Articles tagués : poison

P.D. James, Meurtres en blouse blanche

Un hôpital dans la campagne proche de Londres ; une école d’infirmière attenante, dans laquelle une inspectrice de la DASS anglaise s’apprête à observer une séance pratique où le patient doit être nourri par sonde gastrique. Une élève infirmière, Heather Pearce, joue le rôle du patient. Toute la salle est attentive. On procède selon les rites, la sonde est introduite, le lait réchauffé à la température du corps est versé par l’entonnoir… Et là, catastrophe ! Un hurlement sauvage, la victime qui se tord de douleur et qui finit par décéder malgré tous les soins apportés par le médecin chirurgien présent.

Ce n’est pas un accident, c’est un assassinat et le Yard est prévenu. Le commissaire Adam Dalgliesh et son inspecteur Masterton (alors 28 ans), se chargent d’interroger tous les présents. La médecine légale montre que le « lait » a été remplacé par un détergent, dont justement la bouteille des toilettes a disparu. Ce n’est pas la première fois que l’on confond ce détergent avec du lait, on se demande pourquoi le fabricant n’a pas l’injonction de le colorer. Mais nous sommes en 1970, et les soucis environnementaux ou de santé publique sont de faible importance.

Est-ce une blague qui a mal tourné, ou en voulait-on vraiment à Heather Pearce, fille guère aimée dans ce milieu clos des filles entre elles ? Suit presque aussitôt la mort de Joséphine Fallon, autre élève infirmière, studieuse mais peu liante, découverte au matin dans son lit. Empoisonnement ? Se serait-elle suicidée, avouant ainsi son crime ? Ou l’a-t-on fait taire pour d’obscures raisons ? Il s’avère que, là encore, l’assassin a pris ce qu’il avait sous la main, en l’espèce de la nicotine pure qui servait à désinsectiser les roses de la serre. Qui avait accès à cette serre ? Qui connaissait ce poison ? Pas de hasard, les infirmières apprennent les poisons et l’acte a été accompli sciemment. Il y a donc nouveau crime. Les deux sont-ils liés ?

Dalgliesh et Masterton vont sonder les âmes, de façon un peu plus physique pour le jeune Masterton qui n’hésite pas à payer de sa personne auprès d’une jeune fille et d’une femme mûre pour extirper des renseignements. Mais chacun craint pour sa position, son pouvoir, la respectabilité de l’établissement. Les infirmières, fortes de leur savoir reconnu, se méfient des hommes, qu’elles trouvent portés à l’égoïsme. Peu à peu, le puzzle se met en place. Dans ce huis-clos où tout se sait, tout le monde se connaît, tout fermente, le passé ressurgit et conduit au chantage. Les caractères névrosés se révèlent.

Phyllis Dorothy, qui connaît bien le milieu médical pour y avoir travaillé, fouille les personnalités de ces filles qui veulent exercer un métier de soins. Parfois empotées et banales dans le civil, certaines se révèlent empathiques et à l’écoute de leurs patients ; d’autres se vengent de leur enfance malheureuse sur leurs pairs. La directrice Mary Taylor gère ces egos tandis que le grand patron, le docteur Courtney-Briggs, content de lui et compétent, avoue avoir eu une liaison avec l’une des victimes. Le commissaire Dalgliesh va tirer de tout ce fatras humain et psychologique un fil conducteur – et parvenir à la vérité. Qui rebondit au dernier moment, faisant de ce roman du grand art – et qui a assuré alors le succès de l’auteur.

Phyllis Dorothy James, Meurtres en blouse blanche (Schroud for a Nightingale), 1971, Livre de poche1991 , 351 pages, €3,50, e-book Kindle €6,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les romans policiers de PD James déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Serge Brussolo, Le château des poisons

Serge Brussolo est un conteur d’histoires, un aventurier de l’imagination. Il nous transporte ici au Moyen Âge, sous le règne de Louis IX (qui deviendra saint). L’hiver rude, la misère, la lèpre et les superstitions savamment entretenues par les clercs d’Église, qui se haussent ainsi du col et assurent leur pouvoir, sont le décor. L’amour et les machinations en sont le sel.

Jehan le bûcheron, défendant son seigneur à la hache, est distingué sur le champ de bataille et fait chevalier in extremis avant que le baron ne meure. Le chapelain est témoin et le consigne sur parchemin. Jehan est devenu Montpéril, chevalier errant, sans terre ni fortune. Il se loue à un gros moine qui transporte une somme d’argent pour quérir une relique de saint Jôme, réputée guérir de la lèpre. Les forêts ne sont pas sûres, domaine des loups en bande et des malandrins qui vous détroussent pour une paire de bottes ou un morceau de lard. Cette mission lui a été ordonnée par le riche seigneur Ornan de Guy, revenu de la Croisade. L’homme fait se croit atteint de la lèpre et veut épouser au plus vite la jeune Aude, 15 ans et un corps de gamine. La relique doit le guérir, il suffit d’y croire et de prier. Quant au moine Dorius, qui aime citer le latin, il doit être fait chapelain du fief.

Jehan rencontre une trobaritz, Irana, une trouvère, baladine allant chantant de cours en marchés les aubades des chevaliers et de la fine amor. La femme a une personnalité, sait lire et écrire, ce n’est pas une vulgaire femelle qu’on prend au débotté sur une botte de foin. Il en tombe plus ou moins amoureux, ce qui semble plus ou moins partagé. Ce flou fait beaucoup pour tendre les relations entre les personnages.

En effet, chacun se révèle peu à peu jouer un rôle – sauf Jehan, naïf car brut de décoffrage. La relique est menée à bon port, mais le baron décède empoisonné. Par qui ? Le goûteur officiel fait office de coupable idéal, car seul à même de saupoudrer le rôti de marcassin entre sa bouche et celle du baron. Il est brûlé pour cela comme sorcier, mais est-ce vraiment lui ? Les deux frères et la sœur du condamné, marchands drapiers bien fournis de pécunes, mandatent Jehan pour enquêter. Dans le même temps, Dorius a pris les choses en main au château en déshérence, et somme Jehan accompagné d’Irana de veiller sur la pucelle. Aude a en effet reçu la visite, en pleine nuit, d’un monstre bossu et contrefait qui lui a raconté des horreurs.

Cette machination pour empêcher les noces du baron et de la pucelle ne serait-elle pas le fait de l’amant éconduit, le jouvenceau Robert de Saint-Rémy, amoureux dès l’enfance de la belle Aude ? Ou du père de la jeune fille, que l’avarice de son épouse a poussé dans les bras du riche baron, mais que lui réprouve après que Jehan lui ait fait part des rumeurs de lèpre ? Ou d’Aude elle-même, qui susurre le mot de lèpre pour faire croire au baron qu’il va mourir ? Ou du chevalier Ogier, jaloux du succès du baron alors qu’il a fait moins que lui aux Croisades ? Ou du moine loui-même, ambitieux et prêt à tout suggérer pour assouvir son besoin de s’élever dans la hiérarchie ecclésiastique ?

De meurtres en rebondissements, Jehan trouvera tour à tour tout le monde coupable, avant de s’apercevoir qu’il a été joué de bout en bout. Au point que son épée rouillée lui tombe des mains lorsqu’il veut se venger. Mais il a réussi sa mission : il a trouvé qui, par un concours de circonstances, a conduit le goûteur au bûcher.

Roman policier historique et thriller fantastique, ce livre est une belle aventure pour adultes et adolescents. J’ai eu plaisir à la lire.

Serge Brussolo, Le château des poisons, 1997, Livre de poche 2001, 255 pages, €7,70

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Les trois maux sont des biens pour Nietzsche

Zarathoustra/Nietzsche met des mots sur les maux dans ce chapitre important qui s’intitule « Des trois maux ». Il commence par se situer au-dessus du monde, sur un promontoire face à la mer avec un arbre à ses côtés – les deux faces de la planète, l’eau primordiale d’où tout naît et la terre qui enracine. A cet endroit, à ce moment de l’aube, il « pèse » le monde. « Mon rêve, un hardi navigateur, mi-vaisseau, mi-rafale, silencieux comme le papillon, impatient comme le faucon : quel patience et quel loisir il a eu aujourd’hui peser le monde ! » C’est « une chose humainement bonne », bien loin des fumées d’infini des religions qui droguent les crédules.

« Quelles sont les trois choses qui ont été le plus maudites sur terre ? C’est elles que je veux mettre sur la balance. La volupté, le désir de domination, l’égoïsme : ces trois choses ont été les plus maudites et les plus calomniées jusqu’à présent – et je veux les peser humainement ».

La mesure de la balance sont ces questions vitales : « Sur quel pont le présent va-t-il vers l’avenir ? Quelle force contraint ce qui est haut à s’abaisser vers ce qui est bas ? Et qu’est-ce qui ordonne à la chose la plus haute de grandir encore davantage ? » Ces trois « lourdes questions » sont celles de la vie humaine, tout simplement. Où va-t-on ? Avec quelle énergie en soi ? Avec quels autres ? Poussé par quoi ?

LA VOLUPTÉ « c’est pour tous les pénitents contempteurs du corps l’aiguillon et le pilori, c’est le ‘monde’ maudit chez tous les visionnaires de l’au-delà : car elle nargue et égare tous les trouble-doctrines ». C’est aussi « le feu lent qui consume la canaille » – le sexe pour lui-même. C’est « un poison doucereux » pour « les flétris » – ceux qui en font une drogue à accoutumance. Mais, pour les forts, « ceux qui ont la volonté du lion », « c’est le plus grand cordial », « la plus grande félicité, le symbole du bonheur et de l’espoir suprême. Car à bien des choses l’union est promise, et plus que l’union », plus que la simple copulation de l’homme et de la femme. Ce pourquoi nombre d’hommes politiques sont actifs en la matière. Mais, ni « cochons », ni « exaltés », Nietzsche en appelle aux « lions » pour célébrer la volupté. Elle est l’alliance du ciel et de la terre, la reproduction de la vie en son essence, l’avenir biologique de l’espèce humaine. La volupté peut donc être la pire ou la meilleure des choses selon que vous êtes fort ou faible, que vous la domptez pour la faire servir l’avenir ou que vous vous y abandonnez comme un cochon se vautre.

LE DÉSIR DE DOMINER « c’est le jouet cuisant des cœurs les plus durs, l’épouvantable martyre réservé aux plus cruels, la sombre flamme des bûchers vivants. » C’est aussi « le frein méchant qui est mis aux peuples les plus vains, la honte de toutes les vertus incertaines, à cheval sur toutes les fiertés. » C’est encore « le tremblement de terre qui rompt et disjoint tout ce qui est vermoulu et creux, c’est le briseur irrité et grondant des sépulcres blanchis, c’est le point d’interrogation qui jaillit à côté des réponses prématurées. » C’est ce qui fait que l’humain rampe lorsqu’il est faible, « qui l’asservit et l’abaisse au-dessous du serpent et du cochon ». Le désir de dominer «  c’est le maître effrayant qui enseigne le grand mépris » – avec cette ambivalence de montrer aux hommes combien ils sont lâches et paresseux pour les faire réagir, mais aussi de tenter les purs et les solitaires vers la dictature, « brûlant comme un amour qui trace sur le ciel la pourpre de séduisantes félicités », les incitant à dominer. Une fois encore, ce qui est « bon » pour l’homme peut aussi être mauvais pour ceux qui n’ont pas la force de le supporter (à commencer par les tyrans qui s’y réfugient au lieu d’en faire un outil), car le monde ici-bas (le seul pour Nietzsche) est ainsi fait qu’il est toujours mêlé et que la « pureté » n’y existe jamais.

L’ÉGOÏSME est le troisième soi-disant mal. « Que la hauteur solitaire ne s’isole pas éternellement et ne se contente pas de soi, que la montagne descende vers la vallée et les vents des hauteurs vers les plaines  : Oh ! qui donc baptiserait de son vrai nom un pareil désir ! ‘Vertu qui donne’ – c’est ainsi que Zarathoustra appela jadis cette chose inexprimable. » Il la nomme désormais ‘égoïsme’, « le bon et le sain égoïsme qui jaillit d’une âme puissante ». Or, qu’est-ce qu’une âme puissante ? C’est l’idéal antique de l’humain accompli, celui qui s’égale aux dieux : « L’âme puissante qui possède un corps élevé, un beau corps, victorieux et harmonieux, autour duquel toute chose devienne miroir : le corps souple et séduisant, le danseur dont le symbole et l’expression est l’âme joyeuse d’elle-même. La joie égoïste de tels corps et de telles âmes s’appelle elle-même : ‘vertu’. » Cette vertu pèse le bien et le mal, ou plutôt le bon et le mauvais – car ni bien, ni mal, n’existent en soi mais en fonction de ce qu’ils font à la société humaine.

Nietzsche précise de cette vertu : « Elle bannit loin d’elle tout ce qui est lâche ; elle dit : Mauvais – c’est ce qui est lâche ! Méprisable lui semble l’homme soucieux qui soupire et se plaint sans cesse et qui ramasse même les plus petits avantages. Elle méprise aussi toute sagesse lamentable (…) Une sagesse nocturne qui soupire toujours : tout est vain ! » Donc les petits-bourgeois avaricieux qui « profitent » et adorent se « faire aider » pour tout, éduquer les enfants, finir la fin du mois, se loger moins cher, se divertir à peu de frais… Donc les petits intellos qui se croient « sages » parce qu’ils relativisent tout et restent soigneusement « neutres » en étant « toujours d’accord » avec celui (ou celle!) qui parle avec assez de force, même si ce qu’il dit est hors du bon sens.

Pire encore ! La vertu de l’âme puissante « hait jusqu’au dégoût celui qui ne veut jamais se défendre, qui avale les crachats venimeux et les mauvais regards, le patient trop patient qui supporte tout et se contente de tout  ; car ce sont là coutumes de valets. » Autrement dit d’esclaves ou d’exploités. Si je le traduis pour aujourd’hui, esclaves sont les « démocrates » qui croient que tout admettre est un signe de santé, que « dire » ou « paraître », c’est offenser, que diffuser sa culture et ses traditions ne doit plus être imposé aux allogènes qui occupent le même sol, que tout est désormais à la carte pour les monades des banlieue qui prennent les allocations et les avantages sans souscrire au contrat social. Esclaves sont aussi les pusillanimes qui prônent la « paix » avant tout, alors qu’une bonne paix n’existe que lorsque l’on a préparé la guerre, que l’ont est assez fort pour dissuader l’ennemi. Poutine est un tyran mongol qui ne reculera jamais à vouloir réunifier l’empire du tsar Nicolas, tout comme Hitler jadis voulait réunir à la Grande Allemagne les provinces irrédentistes où l’on parlait allemand. «Mauvais – c’est ainsi qu’il appelle tout ce qui est ployé et servile, les yeux clignotants et soumis, les cœurs contrits et cette manière hypocrite et flétrissante d’embrasser lâchement à pleine bouche. »

Nietzsche/Zarathoustra en appelle au « jour, le tournant, l’épée du jugement, le grand midi ». La sagesse appelle le grand midi de lumière et de vitalité enfin reconnue. La lumière – les Lumières – qui font sortir de l’obscurité du non-dit – de l’obscurantisme des religions ; la vitalité de la volupté du corps, exercé par le sport, harmonieux par la santé, qui engendre des enfants pour le plaisir de les voir vivre et grandir, de les éduquer et de les ‘élever’ vers l’humain plus, le meilleur.

Des trois « maux » des prêtres et des doctrines d’autorité qui veulent imposer leur morale, Nietzsche fait trois « biens » pour l’humaine condition.

Non, il n’est pas « mal » de jouir de son corps avec ceux des autres qui y consentent et en éprouvent de la joie.

Non, il n’est pas « mal » de désirer dominer, à commencer par se dominer soi-même, car cela incite ceux qui ne le peuvent pas ou ne croient pas le pouvoir à se reprendre et à le désirer eux aussi (cela s’appelle l’émulation) – et seuls ceux qui ne sont pas assez forts resteront ‘dominés’ (par leur manque d’entraînement du corps, par leur paresse à apprendre, par leur manque d’exercice de l’esprit) ; leur absence de mérites les laissera en proie aux croyances, aux illusions, et en feront des proies faciles pour les religions).

Non, il n’est pas « mal » d’être égoïste, car cela veut dire avoir développé son ego contre les dominations imposées (les gènes, la famille, le milieu, l’éducation, la société, les mœurs, le politiquement correct, les croyances, l’opinion…). De cette façon, le « libéré » partiel peut aider les autres, descendre des hauteurs pour désenchaîner des exploitations, sortir des illusions complaisantes, affirmer sa culture face à ceux qui voudraient la saper au nom d’une croyance venue d’ailleurs. La santé s’appelle vertu, et elle est baptisée faussement du nom d’égoïsme – il faut remettre les choses dans l’ordre. Cet égoïsme qui vient de l’ego sain est « bon » : il affirme, il règne, il attire. Il est un bon exemple à suivre.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Vient de paraître en Pléiade

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Frédéric Nietzsche, Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Soupçons d’Alfred Hitchcock

Quand le jeune séduisant oisif Johnnie Aysgarth (Cary Grant) rencontre la belle Lina McLaidlaw (Joan Fontaine) sous un tunnel, dans un train, c’est le coup de foudre. Le cynique joueur perpétuellement désargenté tente sur elle un expédient, lui « emprunter » un timbre pour faire l’appoint de l’amende qu’il doit payer pour voyager en première classe avec un billet de troisième. Nous sommes hors du temps, dans une Angleterre fictive alors qu’elle est en guerre en 1941, pour un public américain qui rêve encore de la vieille Europe (ce qui va s’inverser après-guerre).

Lina tombe raide dingue du bel homme qui l’emmène promener et tente de l’embrasser, puis au bal où il s’introduit, non invité, pour danser. Lui ose tout. Il n’a rien, elle s’en apercevra une fois mariée – sans le consentement de ses parents, le général McLaidlaw (Sir Cedric Hardwicke) et son épouse Martha (Dame May Whitty). L’oie blanche vouée au destin de vieille fille selon ses parents qui désespèrent, est ravie par le renard rusé au beau pelage. L’a-t-il épousé pour sa fortune ? Elle n’en a pas, que 500 £ de rente annuelle servie par son père, et rien à son décès que son portrait en général, pour surveiller moralement le couple. Car John flambe ; il loue une somptueuse maison à sa nouvelle épouse qu’il appelle « Ouistiti » (Monkey Face), il engage une jeune servante Ethel (Heather Angel) et une cuisinière. Avec quoi paie-t-il ? Avec des emprunts un peu partout : les amis, les banques, l’assurance-vie ; le jeu aux courses ; les « affaires » plus ou moins douteuses. Il est sans cesse sur la corde raide, plein d’idées mais la tête pleine de vent. Incapable de travailler, inapte au mariage bourgeois.

Lina, tête d’institutrice à lunettes qui lit au début un livre sur la psychologie de l’enfant, devient vite soupçonneuse. Elle découvre une à une les entourloupes de son mari, prend peur peu à peu. Certes, il a à chaque fois d’’excellentes explications qui tiennent la route, mais quand même… Il est cynique avec ses amis, ses connaissances, son cousin même le capitaine Melbeck (Leo G. Carroll) qui l’a engagé comme agent immobilier dans sa société avant de le virer six semaines plus tard pour avoir piqué dans la caisse. Son ami de collège Biquet (Beaky en anglais, Nigel Bruce), gentil mais naïf, est subjugué par John et lui passe toutes ses lubies. « C’est tout Johnnie ! » est son mantra favori. Rien de grave, il s’en sort toujours, il est gentil.

Mais Biquet ne supporte pas l’alcool, il meurt à Paris après un pari d’avaler un grand verre de cognac, alors qu’il y était pour affaires, dissoudre une société constituée avec John pour mettre en valeur un site touristique au-dessus des falaises sur la côte, que Lina a démonté rationnellement au point de les faire renoncer. La police vient au domicile des Aysgarth pour interroger John sur son ami mais il est absent : il a accompagné Biquet à Londres pour son vol vers Paris. Lina est effondrée, elle soupçonne Johnnie de l’avoir son ami pour sauver ses avoirs. Suspense. Celui-ci revient dans l’heure qui vient, il était bel et bien à Londres, a mis Biquet à l’aéroport avant de passer à son club, il téléphone à la police immédiatement pour répondre aux questions. Mais quand même…

Pourquoi John s’intéresse-t-il autant aux romans policiers de la reine du crime du village ? Pourquoi, au cours d’un dîner avec elle et son cousin légiste, cherche-t-il à connaître le moyen le plus sûr de tuer quelqu’un sans se faire prendre ? Pourquoi cuisine-t-il jusqu’au bout l’écrivaine pour lui soutirer le nom du poison indécelable que tout le monde peut se procurer – car d’usage courant en ménage ? Lina prend vraiment peur. Elle en tombe malade, croit qu’il veut la tuer pour toucher les 500 £ de son assurance-vie au cas où elle meurt. Elle sait qu’il est à court d’argent, sans cesse affairé à s’en procurer à tout prix, elle a lu une lettre de la compagnie qui répondait à l’une de ses demandes. Elle ne boit pas le verre de lait qu’il lui a apporté d’en bas, en montant l’escalier sous la verrière, dans un suspense angoissant.

En voulant repartir chez maman, ayant appris la mort de son père, elle veut s’éloigner de John et peut-être le quitter. Elle est amoureuse mais les coups de canif dans le mariage ne cessent de la blesser. Son cher Johnnie n’a-t-il pas vendu pour 200 £ deux vieilles chaises de famille offertes comme cadeau de mariage par le général afin qu’elles soient transmises à la génération future ? Il ne respecte rien, refuse tout travail honnête, ne vit que d’expédients et d’escroqueries. Elle veut conduire, il ne veut pas ; il tient à l’accompagner. L’auto longe les falaises à pic sur la mer et ses rochers acérés en contrebas. La porte du passager ferme mal, c’est une voiture décapotable un brin usée. John se penche vers la portière comme s’il allait l’ouvrir et pousser sa femme hors de l’auto, un malheureux accident qui lui assurerait le capital d’assurance-vie. Mais c’est un fantasme de femelle angoissée devenue paranoïaque : fausse route, au contraire il voulait la protéger ! Frustration d’être dupé sur ce qu’on croyait savoir…

Le film est conduit comme une enquête policière, mais à l’intérieur du couple, avec l’amour comme enjeu. Le mari dissimule sa gêne financière perpétuelle sous un costume impeccable et son incapacité à gérer ses avoirs sous un air désinvolte ; l’épouse qui craint l’avenir sur la corde raide croit le pire et imagine le reste. La mayonnaise monte peu à peu, au point de culminer dans le fantasme du meurtre… Veut-il l’empoisonner ? Le verre de lait fera déborder le vase. Veut-il la précipiter du haut de la falaise ? La portière sera l’explosion.

Mais tout s’apaise, conclusion heureuse exigée par le studio – comme par la mentalité à l’eau de rose yankee. Cela aurait pu être un film bien noir, cela reste un film de suspense fort réussi, mais dans les normes acceptables par la société des années 40. Le jeu de l’amour et de la peur.

DVD Soupçons (Suspicion), Alfred Hitchcock, 1941, avec Joan Fontaine, Cary Grant, Cedric Hardwicke, May Whitty, Leo G. Carroll, éditions Montparnasse 2003, 1h35, €17,30 Blu-ray €15,05

Alfred Hitchcock sur ce blog

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Rocher des haruspices étrusques

Nous nous rendons ensuite en forêt de noisetiers sous le Monte Cimino vers le rocher des haruspices étrusques, il sasso del Predicario. Il domine la vallée et s’ouvre sur le ciel, ce qui permettait aux augures étrusques d’observer le vol des oiseaux, la direction de la fumée des offrandes, la direction de la foudre et la giration des étoiles. Les haruspices étaient spécialisés dans l’observation des entrailles et surtout du foie des animaux.

Le foie de bronze de Plaisance, découvert en 1877 en Emilie-Romagne, montre comment il pouvait être lu en fonction de chaque divinité particulière. Ce siège de la pensée selon les anciens Sumériens, étaient divisé en quatre points cardinaux. Il s’agissait moins de prédire l’avenir que de savoir si le lieu était propice à l’agriculture et à l’installation des hommes. Il est vrai que l’observation d’un foie permet de connaître la santé de l’animal, donc l’abondance de la nourriture du coin et de la qualité de l’eau. Le foie gorgé de sang était symbole de vie, une sorte de microcosme matériel de l’élan vital du macrocosme.

L’empereur Claude, mort en 54 de notre ère, empoissonné par sa femme Agrippine qui lui préfère le jeune et beau Néron, a repris à Rome cette fonction étrusque et y a soutenu devant le Sénat le maintien du collège des soixante haruspices – qui durera jusqu’en 408. Claude a d’ailleurs écrit une Histoire des Tyrrhéniens (nom grec des Étrusques) aujourd’hui perdue et a été marié durant quinze ans avec Plautia Urgulanilla, d’une puissante famille toscane – qui sont les descendants biologiques des Étrusques selon les analyses génétiques récentes.

Le sentier est peu tracé dans la forêt de Malano car il n’est fréquenté que par des initiés, dont nous sommes. Des paysans enfouis sous les arbres cueillent les noisettes à l’aide d’un engin qui ressemble à un ventilateur et qui absorbe feuilles et fruits en tournant avec le vrombissement d’une tondeuse. Je n’avais jamais vu de machines à cueillir les noisettes.

Nous grimpons le flanc de vallée par une sente très escarpée jusqu’au plateau où nous prendrons notre premier pique-nique. Il s’agit d’une salade de roquette aux petites tomates et aux olives vertes avec carottes râpées, jus de citron et huile d’olive. Nous avons aussi du jambon et du fromage pecorino. Le pain n’est pas salé au nord de Rome – donc meilleur pour la santé ! – à cause de l’impôt sur le sel exigé en son temps par le pape Paul III.

Nous suivons un sentier à plat en bord de falaise dans la forêt où poussent les chênes, les érables de Montpellier et les myrtes. Lorsque les rochers sont à découvert, le soleil tape fort. Il fait plus de 30°. Nous rencontrons parfois une nécropole étrusque creusée dans la roche, un simple trou avec des banquettes tout autour, ainsi que des sarcophages à même le sol dont les couvercles ont été pillés. Ils sont bien alignés, comme dans un cimetière. Un mur « étrusque » est réalisé en gros blocs cyclopéens. Il semble ne rester des Étrusques que les éléments intangibles du décor, grattés jusqu’à la roche mère. Les Romains ont tout pris et ont effacé du paysage le souvenir même de la culture qui a précédé la leur.

Le rire dit « sardonique » vient de l’île de Sardaigne où des stryges (les sorcières de l’époque) empoisonnaient les gens avec une plante à la strychnine (l’œnanthe safranée) qui leur donnait un rictus mortel. Les vieux étaient ainsi sacrifiés à Chronos avant les Romains. Selon le guide, les Italiens se caricaturent ainsi : le Milanais produit, le Romain mange et le Napolitain dort. Tout ce qui est fabriqué et vendu génère des impôts que les fonctionnaires de la capitale s’empressent d’utiliser tandis que les gens du sud attendent la manne. Peut-on le dire en France de respectivement Paris, Lyon et Marseille ?

La marche se poursuit sur des chemins de terre poussiéreux et de petites routes de campagne agricole. Il fait très chaud. Nous devons rejoindre la camionnette garée à l’ombre.

Catégories : Italie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nos politiciens de gauche ressemblent aux tarentules de Nietzsche

A l’occasion de l’opposition à la réforme des retraites – parfaitement légitime en soi puisqu’elle va demander aux actifs plus d’efforts – la relecture de Zarathoustra apporte une image frappante : celle de la tarentule. C’est une araignée noire tapie au centre de sa toile. « Il y a de la vengeance dans ton âme », s’écrie Zarathoustra, « partout où tu mords il se forme une croûte noire, le poison de ta vengeance fait tourner l’âme ! » Nietzsche visait les prêtres chrétiens (tous habillés de noir) mais aussi les doctrinaires d’université et les hommes de lois moralistes (habillés de même couleur), voire les politiciens égalitaires de son temps.

Où nous retrouvons le nôtre. Car nos politiciens contestataires n’ont pas pour objectif le bien du peuple comme ils veulent le faire croire, mais le goût du pouvoir et de la revanche. Ils ne seraient crédibles pour faire avancer la société que s’ils étaient « délivrés de la vengeance », or ce n’est pas le cas. A quoi rime cet histrionisme de guignols à l’Assemblée ? Cette affiche communiste au Macron impérial ? Ces revendications absurdement irréalistes du Smic à 2000 euros, retraite à 60 ans et ainsi de suite ? Devons-nous rejouer névrotiquement la prise de la Bastille suivie de la Terreur à chaque fois que nous ne sommes pas d’accord et ne parvenons pas à un accord avec de longs mois de « négociations » ?

« Mais les tarentules veulent qu’il en soit autrement. ‘C’est précisément pour nous la justice que le monde se remplisse des orages de notre vengeance’ – ainsi parlent entre elles les tarentules ». On dirait du Mélenchon, ce n’est que Zarathoustra. Qui décortique le sous-jacent, et ce pourquoi le compromis n’est jamais possible avec les politiciens français de gauche dans leur extrémisme : « ‘Nous voulons exercer notre vengeance sur tous ceux qui ne sont pas à notre mesure et les couvrir de nos outrages’ – c’est ce que se jurent en leurs cœurs les tarentules. » Notre mesure signifie nos petites personnes, la tarentule veut tout rabaisser à son niveau, faire que chacun lui ressemble – et outrager ceux qui y échappent. Ainsi fit le communisme – et l’on voit à quoi il a abouti : à la fuite massive une fois le Mur tombé, au vote avec leurs pieds des citoyens des glorieuses démocraties « populaires ». Et l’on voit où l’aboutissement de cet aboutissement conduit aujourd’hui : à la dictature impitoyable, agressive et purement réactionnaire d’un lieutenant-colonel du KGB sur tout un peuple en déclin.

Voilà à quoi a abouti le fantasme chimérique d’égalité. L’égalité peut être en droit, en dignité, en chances ; elle ne peut être totale. L’égalité dévoyée fait changer de sexe les enfants de 9 ans et croire que l’on n’est ni homme, ni femme mais une hybridation plus ou moins prononcée, qu’être égal c’est ne pas regarder (le regard juge et la racaille frappe pour un simple regard), ne pas dire (les mots discriminent, ce pourquoi on ne dit plus nègre ni même noir et à peine humain de couleur, et qu’il est interdit de singer le noir quand on est blanc, même si l’inverse n’est pas prévu par le woke). Car Nietzsche s’élève contre cette notion, antinaturelle selon lui, antihumaine même, d’égalité (au sens totalitaire d’absolu). « La vie veut elle-même s’exhausser sur des piliers et des degrés : elle veut découvrir des horizons lointains et explorer les beautés bienheureuses – c’est pourquoi il lui faut l’altitude. » Cette revendication égalitaire cache au fond l’envie, la jalousie de ne pas être meilleur, aussi bon que les autres, d’avoir mieux travaillé à l’école, s’être entraîné au sport, avoir cultivé son esprit. « Nous voulons élever nos cris contre tout ce qui est puissant ! » s’écrient les tarentules. Les médiocres parlent aujourd’hui de « dominants ».

Ce que cache cette envie, c’est tout simplement l’envie d’avoir pour soi le pouvoir sur les autres, de les commander, de les rabaisser, de les humilier. Les révolutionnaires idéalistes arrivés au pouvoir sont souvent pire que les dictateurs qu’ils sont chassés : voyez les jacobins de 1789, les communistes en 1917, le FLN en Algérie, les islamistes après Ben Ali. « Prêtres de l’égalité, la tyrannique folie de votre impuissance réclame à grands cris « l’égalité » : vos plus secrets désirs de tyrans se travestissent sous des paroles de vertu ! ». Cela se nomme la démagogie, et il n’est pire tyran qu’un démagogue parvenu au pouvoir : voyez Hitler, voyez Castro, voyez Chavez, voyez Trump – je frémis en pensant à un Mélenchon s’il avait été élu, lui qui se réfère à Chavez comme à un Mentor !…

« Ils ressemblent aux enthousiastes ; mais ce n’est pas le cœur qui les enflamme – c’est la vengeance. Et lorsqu’ils deviennent froids et subtils, ce n’est pas l’esprit, mais l’envie qui les rend froids et subtils. » Voyez Mélenchon, et Badiou. « A chacune de leurs plaintes résonne la vengeance et chacune de leurs louanges porte une blessure ; s’ériger en juges leur semble le comble du bonheur. » Mélenchon se venge de l’absence du père, divorcé lorsqu’il avait 10 ans ; Badiou a pour croyance que les mathématiques sont l’ontologie de la philosophie, ce pourquoi lui a toujours raison malgré les autres, égarés par la phénoménologie – il a ainsi justifié les Khmers rouges (1,7 millions de morts).

« Or, voici le conseil que je vous donne, mes amis : Méfiez-vous de tous ceux en qui l’instinct de punir est puissant ! C’est une mauvaise engeance et une mauvaise race ; ils ont des faces de bourreau et de ratiers ». Ainsi parlait Zarathoustra. Ecoutons-le.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Frédéric Nietzsche, Livres, Philosophie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Pauline Gedge, La dame du Nil

La dame date du XVIe siècle avant notre ère, elle est égyptienne, elle est reine et un temps pharaonne. Elle se nomme Hatchepsout. La romancière canadienne en son premier roman d’histoire antique la cueille à 10 ans lorsqu’elle est déjà garçon manqué, déambulant en simple pagne dans le palais et ses jardins, rêvant de tirer à l’arc et de conduire les chars comme un adolescent. Ce qu’elle fera dès 12 ans, comme un garçon, car son père Touthmôsis 1er en est fière et son frère, le futur Touthmôsis II préfère la nourriture et la compagnie des femmes à l’exercice et au pouvoir.

C’est un beau roman historique que nous propose l’autrice préféministe, dans la lignée des grandes femelles qui ont fait l’Histoire d’Egypte bien avant l’islam, telles Néfertiti et Cléopâtre. Le pays autour du Nil séduit par son climat doux, ses monuments célèbres et la sensualité de ses corps quasi nus. Mais il n’est pas simple de gouverner un état rendu opulent par la crue annuelle et dont les richesses sont convoitées par les pillards des marges, moins chanceux par la nature mais aussi moins enclins à faire l’effort de travailler la terre.

Hatchepsout va assister à l’empoisonnement de sa grande sœur de 14 ans par le grand prêtre d’Amon pour raisons politiques. Les religions, partout sur la planète, sont de constantes plaies car elles profitent des peurs pour imposer la Croyance, donc le pouvoir des prêtres. Sonnée, la fillette qui va être mariée à son demi-frère de 16 ans, se précipite le soir dans les jardins, sème sa nounou et son gardien, et va nager dans le lac sacré… d’où elle est tirée d’une poigne de fer par un novice adolescent du temple d’Amon, Semnout, fils de paysans du Nil qui rêve de devenir architecte. Le garçon, qui a 14 ans et déjà de robustes épaules selon la romancière, la sèche et la console avant de savoir à qui il a affaire. Mais Hatchepsout lui est reconnaissante de s’être intéressée à sa personne plus qu’à son titre et elle lui voue une fidélité qui durera jusqu’à la fin de sa vie.

Entreprenant son papa pharaon qui ne peut rien lui refuser, elle fait de Semnout un apprenti architecte auprès du plus grand du temps, puis son vizir, le second du pouvoir après elle lorsqu’elle assure la régence après la mort de son époux Touthmôsis II. Elle aurait pu l’épouser, le faisant pharaon qu’on sort, mais elle reste fidèle aussi à la tradition qui veut que la détentrice du sang royal se marie de préférence avec un demi-sang royal, en l’occurrence son frère issu d’une autre mère puis, au décès de celui-ci par maladie, le fils, son neveu. Car elle-même n’a eu que deux filles de sa liaison avec Touthmôsis II et celui-ci a dû faire d’une danseuse sa seconde épouse officielle pour engendrer un fils.

Ledit neveu, futur Touthmôsis III qui ressemble à son grand-père Touthmôsis 1er, aurait bien épousé à 17 ans sa tante, à la mort de son père, mais Hatchepsout de vingt ans plus âgée a refusé. Elle voulait régner seule encore un petit peu de temps tout en admirant la force, la vitalité et le sens politique du garçon. Ce n’est que quelques années plus tard que, devenu jeune homme athlétique et bon guerrier, Touthmôsis s’est lassé d’attendre et a fait assassiner ses soutiens, à commencer par Semnout, avant de l’engager à se retirer du pouvoir. Elle a donc bu la coupe – empoisonnée comme il se doit.

Hatchepsout jeune a conduit les troupes à la guerre et a combattu elle-même sur un char lorsqu’elle n’était encore que princesse héritière. Son seul amour, hors son père, a été pour Semnout par qui elle a fait construire son tombeau, le complexe de temple de Deir-el-Bahari qui se fond avec la falaise, face à Louxor.

Un beau roman de rêve, de pouvoir et d’amour, dans lequel manque un peu de la sensualité du Nil – mais l’époque de sa parution était encore imbibée de la morale coincée évacuée par 1968 mais qui, malheureusement, revient.

Pauline Gedge, La dame du Nil (Child of the Morning), 1977, Balland 1980, 404 pages, occasion €1.68 ou J’ai lu 2 tomes, €19.00  

Catégories : Egypte, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Christian Jacq, La reine soleil

Tout le monde connait Toutankhamon « l’image vivante d’Aton », le pharaon adolescent dont le masque d’or a ébloui les expositions. Mais qui connait sa tendre épouse, la reine Akhésa (Ankhes-en-pa-Aton de son nom complet, parfois écrit Ânkhésenpaaton) ? C’est pourtant elle qui a initié le tout jeune prince, son demi-frère né d’Akhenaton et de la « Young Lady » des fouilles, vers 12 ans (né vers 1345 avant) alors qu’elle en avait elle-même deux de plus. Femme forte, troisième fille d’Akhenaton (Amenhotep IV) et de Néfertiti, elle est descendante royale, celle qui désigne le pharaon qui sera son époux. Car la lignée se transmet par les femmes, sauf rupture brutale, comme le fera le général Horemheb à la fin de l’histoire.

Akhésa est cueillie toute fraîche par le romancier historien à ses 14 ans, devenue femme depuis peu, avec de « petits seins arrogants » qui pointent sous la tunique de lin transparente tout comme le triangle de ses cuisses. Akhésa est une belle fille, élancée, svelte, dorée. Le jeune Toutankhaton en est ébloui, séduit, amoureux, lui qui porte encore le nom voué au dieu soleil Aton imposé par le pharaon Akhenaton son père malgré l’ire des grands prêtres d’Amon à Karnak. Comme partout, le clergé d’une religion totalitaire est une plaie civique. Ces intermédiaires entre les hommes et les dieux qui captent une bonne partie des richesses du pays « au nom des dieux » se croient au-dessus du commun des mortels et veulent régenter l’humanité. Ils supportent mal le politique et n’hésitent pas à tuer, par le poison le plus souvent, en serpents qu’ils deviennent dans l’obscurité des temples et des intrigues entre soi. C’est ainsi que finira Toutankhamon, à 18 ans en 1327 avant notre ère, selon le scénario privilégié par l’auteur (mais pas historiquement établi – il aurait pu décéder d’une plaie au crâne, d’une plaie infectée à la jambe, d’un accident de char).

Entre temps les intrigues de la cour, le mysticisme d’Akhenaton en sa capitale isolée du pays, le retrait de la reine Néfertiti devenue aveugle et indifférente au monde, vont faire bouillir les ambitions. Le « divin père » Aÿ est vieux mais de bon conseil, il deviendra pharaon pour quelques mois avant de partir pour l’au-delà, choisi par Akésa à la mort de Toutankhamon. Le général scribe Horemheb est organisé mais trop ambitieux, encore heureux qu’il soit légitimiste et ne veuille pas attenter à la vie de Pharaon. Il n’obtiendra la double couronne d’Egypte que lorsque tous les autres recours seront épuisés, faisant condamner malgré lui à mort Akhésa (invention du romancier) pour avoir comploté un mariage avec un prince hittite pour contrer son ambition. Akhésa mourra à 20 ans, une année à peine après son amour Toutankhamon.

Elle le trouvait enfant lorsqu’elle a dû se marier avec lui qui avait 8 ou 10 ans pour assurer la succession d’Akhenaton, mort en 1338 ; mais il était touchant. La puberté l’a tourmenté de désir et rendu insatiable. Il aimait sa femme superbe et de plus en plus à mesure des années. Ils baisaient un peu partout, dans la chambre, dans les bosquets, sur la rive du Nil, dans les roseaux, dans une grotte au-dessus des tombeaux. Malgré ses innombrables coups de queue, l’adolescent ne lui a fait que deux filles, mortes-nées. Il y avait un défaut de santé chez le jeune prince. On suppose aujourd’hui par des études poussées sur sa momie qu’il était atteint de malaria et de la maladie de Khöler (une anomalie de la croissance des os). A la fin de son adolescence, il avait encore du mal à supporter longtemps sur la tête le poids de la double couronne, seule son épouse le réconfortait et lui donnait la force.

C’est du moins ainsi que romance Christian Jacq, centré avant tout sur la femme, à la mode de notre temps. C’était avant l’ère biblique (peut-être inspirée d’ailleurs par le culte du dieu unique Aton, imposé par Akhenaton en avance sur son temps) ; la femme était moins dévalorisée que par la suite. Hatchepsout, Téyé (ou Tiyi), Néfertiti, Akhésa, Cléopâtre, sont de grandes égyptiennes, réhabilitées par notre siècle – et par le souci commercial de plaire à un lectorat surtout féminin. Intrigues et eau de rose suffisent à faire de ce roman un plaisir de lecture. La sensualité des adolescents, leur beauté juvénile, l’ambition des adultes, le climat doux et l’aménagement luxuriant des jardins, le savoir-faire luxueux des objets, la majesté des temples de pierre et le grandiose des tombeaux, composent un décor qui ravit. L’Egypte des pharaons était alors « la » civilisation, peut-être la mère de toutes les occidentales, dont la nôtre mâtinée de grecque, de romaine, de juive et de germanique.

Christian Jacq, La reine soleil – L’aimée de Toutankhamon, 1988, Pocket 2018, 576 pages, €7.95

Les romans de Christian Jacq déjà chroniqués sur ce blog

L’Egypte sur ce blog

La vallée des rois sur argoul.com

Voyage en felouque sur le Nil par Argoul

Catégories : Egypte, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Emile Zola, Madeleine Férat

Zola n’est pas seulement le créateur des Rougon-Macquart, chronique de la vie sous le Second empire, il a écrit aussi d’autres romans. Madeleine Férat est l’un de ceux qui l’ont fait connaître avec Thérèse Raquin, un mauvais ouvrage à la limite du feuilleton populaire, empli de hantises et d’obsessions. Deux êtres aux enfances ravagées se rencontrent et s’aiment jusqu’à ce que le destin – chez Zola le tempérament poussé par l’hérédité – les déchire. C’est noir et truculent car Zola exulte à décrire la bassesse, les instincts, les pulsions irrésistibles. Il en fait un système, ce pourquoi il ne restera pas dans l’histoire littéraire. Car Flaubert le disait, « l’art prêcheur » passe rarement la postérité.

Voici donc Madeleine, belle plante rousse, fille d’ouvrier auvergnat promu entrepreneur – puis ruiné. Confiée à un ami avec une petite rente à la mort du vieux, elle passe son adolescence en pension jusqu’à ce que l’ami, émoustillé, la prenne auprès de lui avec l’intention de la violer. Elle refuse et fuit, faisant sa vie à Paris en garni. Elle fréquente des étudiants dont Jacques, futur chirurgien de marine, dont elle est « imprégnée ». Zola adopte cette légende urbaine de « l’empreinte » du premier amant sur une fille vierge (chap. IX), comme si « la fille » était une sous-espèce qui n’attendait que la fécondation du mâle pour s’épanouir. Madeleine gardera Jacques « dans la peau » même après qu’il fut déclaré mort dans un naufrage et qu’elle se soit mariée avec Guillaume.

Voici donc Guillaume « de Viarmes », héritier oisif d’un père chimiste devenu fou qui vivait isolé à La Noiraude, un manoir près de Vétheuil. Veuf, il est un père distant, peu intéressé par son petit garçon qui est élevé par sa servante « protestante », donc « fanatique » des rigueurs de l’Ancien testament. Elle voit le diable partout et la poigne de Dieu s’abattre sans pitié sur les pécheurs. Sans mère ni fratrie, avec un père absent et une bigote rigoriste, Guillaume est malingre et veule. Il est harcelé au collège jusqu’à la Seconde où un nouveau venu de Paris, l’athlétique et bon garçon Jacques, un peu plus âgé que lui, le prend sous son aile et le protège des autres. Guillaume avait tout pour devenir inverti, modèle paternel absent, peur des femmes, faiblesse devant la force, affection éperdue – mais cela ne se faisait pas de l’écrire et Zola en fait un hétéro banal, un sous-mâle prêt pour la mante religieuse. Peut-on un instant y croire ?

Madeleine et Guillaume ont une fille, Lucie, mais le père – autre légende urbaine – veut se reconnaître dans les traits de son enfant. Or ceux-ci sont ceux de Jacques, l’ami chéri en même temps que l’ex-amant de sa femme. Procédé de feuilleton, Jacques n’est pas mort, il a été sauvé puis embarqué pour ses cinq années de chirurgien de marine en Cochinchine, d’où il revient pour jouir d’un héritage. Il écrit à Guillaume qui ne se tient plus de joie, tandis que Madeleine qui a découvert sa photo aux côtés de son mari lorsqu’ils étaient collégiens, est glacée. Elle a peur de revoir Jacques, dont ses fibres restent passionnées ; elle a peur de la réaction de Guillaume, lorsqu’il apprendra qu’elle a couché avec son ami – car elle ne lui a pas dit. Feuilleton toujours ces quiproquos de théâtre sur la route avec la mendiante qui est une ex-amie de Madeleine devenue cocotte, ce regard entendu du garçon d’auberge qui la reconnait, la chambre même où elle a baisé avec Jacques lors d’une partie fine, la présence même de Jacques justement ce soir-là dans l’auberge… Tout cela se terminera mal, dans la grandiloquence romantique du drame avec mort et poison, décès de la petite fille abandonnée et désespoir de Guillaume – réduit à rien. C’est gros, c’est lourd, c’est Zola. Peut-on un instant y croire ?

Fatalité du sexe, ressassement obsessionnel des lieux du vice, destin implacable de l’hérédité – à laquelle Zola mêle pas mal d’éducation, dans une sorte d’hérédité des caractères acquis spencérienne infirmée aujourd’hui par la science. Ce n’est pas la Morale qui pousse au tourment (Zola n’est pas Hugo), ni même la bêtise bourgeoise de la société (Zola n’est pas Flaubert), ni les élans intimes de l’individu (Zola n’est pas Stendhal), mais les gènes, les vice de « race », le tempérament.

Ainsi de Madame de Rieu, une relation du couple, en proie à la quarantaine avec un vieux mari sourd : « Elle choisissait toujours des amants d’un âge tendre et délicat, dix-huit à vingt ans au plus. (…) Si elle eût osé, elle aurait débauché les collégiens qu’elle rencontrait, car il entrait dans sa passion pour les enfants un appétit de voluptés honteuses, un besoin d’enseigner le vice et de goûter d’étranges plaisirs dans les molles étreintes de bras faibles encore » chap. VI p.134. L’écrivain jouit de décrire la perversion, il s’y vautre au prétexte d’un personnage qui n’est pas lui, il insiste : « Aussi la trouvait-on toujours en compagnie de cinq ou six adolescents, elle en cachait sous son lit, dans les armoires, partout où elle pouvait en placer. (…) Ses quarante ans, ses airs ridicules de fillette, sa graisse blanche et fade, qui faisaient reculer les hommes mûrs, étaient un attrait invincible pour les drôles de seize ans ». De vingt ans à seize, l’auteur fait monter en journaliste l’excitation du voyeur.

A l’inverse, une passion vicieuse est d’en rajouter sur la condamnation vertueuse au nom de l’austérité requise par la religion, l’obéissance au Dieu jaloux. La morale apparaît comme l’idéologie de la passion frustrée chez Geneviève, la vieille servante protestante : « Elle goûtait une volupté farouche à écouter ces sanglots et ces cris de la chair. La confession de Madeleine lui ouvrait un monde de désirs et de regrets, de jouissances et de douleurs qui n’avaient jamais secoué son corps vierge, et dont le tableau lui faisait songer aux joies cruelles des damnés » chap. VII p.167.

Malgré les descriptions truculentes de la nature, je n’ai pas aimé ce roman : trop invraisemblable, trop déterminé, trop fabriqué. Son « naturalisme » n’a plus rien de naturel mais devient une systématique. Zola a échoué au bac scientifique et sa science est autodidacte, marquée par le positivisme. Madeleine est peut-être inspirée de sa conquête Alexandrine, dont il fera sa femme, et qui aurait couché avant lui avec son ami de collège aixois Paul Cézanne.

Emile Zola, Madeleine Férat, 1882, Livre de poche 1975, 351 pages, €6.23 e-book Kindle €0.99

Emile Zola, L’Argent, déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou

Cinq nouvelles neuves pour la chatte détective, assistante d’attachée de presse parisienne. Qui a dit qu’il n’y avait pas de chat policier ? Cocteau, qui affirmait que son nom n’était pas le pluriel de cocktail, en jugeait d’après les minets qui l’entouraient, tandis que les flics de son copain Genet étaient plutôt des chiens. Mais cette boutade est infirmée par Christian de Moliner lorsqu’il met en scène avec subtilité l’art et la manière, pour une chatte observatrice et aimante, de communiquer avec les humains.

Ce n’est pas simple mais lorsqu’un certain Pierre envoie chaque mois des roses rouges à sa maitresse sans dire qui il est, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout lorsque la dernière carte comporte deux points d’exclamation. Qui se cache derrière ce prénom anonyme ? Un auteur ? Un admirateur ? Un dragueur ? Un sérial killer ? Jasmine a une idée et si Catou est son nom – le chat en occitan – son prénom est bien le sien. Quant au lecteur averti, il apprend page 26 que Pierre Ména..rd « aime les hommes ». Chat alors !

Lorsque sa « maman » voyage, c’est un ami dans la dèche qui la garde à l’appartement de Saint-Germain-des-Prés : son parrain. Mais ne voilà-t-il pas que, de retour des Indes, ledit parrain s’effondre dans l’escalier cinq minutes après avoir bu un thé vert chez maman ? Le docteur du rez-de-chaussée constate un empoisonnement, mais qui l’a fait ? Maman ne va-t-elle pas être accusée ? A Jasmine de se démener crocs et griffes pour dire ce qu’elle a vu et supputé.

Parrain disparu, marraine prend la suite : Armelle, l’amie de maman. Mais lorsqu’elle doit s’absenter pour faire quand même quelques courses, des cambrioleurs percent la serrure pour voler l’appartement. Jasmine a fort à faire pour déplacer Gustave le gros chien bête et Mélodie la chatte rivale qui ne peut pas la sentir. Elle délivre gros bêta et réussit à sortir de l’appartement pour alerter une voisine. C’est qu’il n’est pas simple d’être chatte en charge des stupidités humaines !

P.A.V.E. sont les initiales (fictives, je vous rassure) d’un auteur bien connu de maman qui a eu du succès il y a une décennie (un tel auteur existe bien mais il n’a pas eu le prix Goncourt). Depuis, il est sec : les affres de la page blanche, le blocage sans remède, l’incapacité à placer un mot sur une page ou même une idée sur le fil. Il sollicite son ancienne maitresse pour qu’elle lui écrive un synopsis qu’il n’aura qu’à enrober de style afin de donner une suite à son roman d’amour à succès. Et surtout conserver la confortable avance de son éditeur sur cette suite qui ne passe pas. Encore une fois, Jasmine est à la manœuvre : elle a une idée. Un dé en ivoire et la télécommande pour afficher Amazon vont suffire à proposer un projet…

Que faire lorsqu’on est chatte seule à la maison, enfermée sans croquettes, et que maman ne revient toujours pas du cheval où elle va galoper un brin ? Un accident ? Un abandon ? Un amant subit ? Quelques coups de patte et un téléphone qui vibre, voilà juste assez pour que Jasmine se débrouille. L’amie de maman fait le reste pour elle. Ce n’était qu’un accident de trottinette, pas de quoi en faire un plat !

Primesautier, touchant, inventif, le style de ces nouvelles sans prétention fait passer un doux moment à ceux qui aiment les chats comme à ceux qui ne les connaissent pas encore. Car ces petites bêtes, réputées égoïstes et indépendantes, sont tout le contraire.

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou, 2021, éditions du Val, 89 pages, €10.50 e-book Kindle emprunt abonné

Les précédents exploits de Jasmine Catou sont rassemblés dans le volume Les enquêtes de Jasmine Catou, éditions du Val, 2020, €16.50 et même édités en anglais sous le titre Detective Jasmine Catou !

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jasmine Catou chroniquée sur ce blog

L’auteur et la chatte ont DEUX PAGES entières dans le magazine Matou Chat du mois de juin en vente en kiosque sur le net. Et peut-être bientôt sur PODCAT, chaîne YouTube !

Catégories : Chats, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Le miroir se brisa de Guy Hamilton

Voici une version filmée et aménagée du roman policier d’Agatha Christie portant le même nom. Miss Marple (Angela Lansbury) séjourne en 1953 dans le bourg de son enfance, St Mary Mead où le châtelain loue son manoir de Gossington Hall à une équipe de cinéma d’Hollywood venue tourner l’histoire d’Elisabeth 1ère contre Marie Stuart. La fête traditionnelle du village se déroule sur les pelouses et dans les salons. C’est l’occasion d’une course en sac pour les gamins, d’un parcours du risque pour les jeunes scouts en uniforme et de commérages sans fin pour les provinciales du cru. Marple en profite pour se faire une entorse en tombant à cause d’un chien.

A l’intérieur, la belle et vieillissante Marina Gregg (Elizabeth Taylor) daigne se présenter au bon peuple, tout sourire figé sur son visage ; elle sort d’une dépression pour avoir eu un garçon mongolien à cause d’une rubéole attrapée durant sa grossesse. Heather Babcock (Maureen Bennett), jeune femme du village, entreprend l’actrice pour l’avoir rencontrée une première fois durant la guerre lorsqu’elle était venue chanter pour les GI. Heather se souvient qu’elle était malade mais s’était levée pour cette soirée exceptionnelle et, en fan obstinée, était parvenue à entrer dans les coulisses où elle avait obtenu un autographe de Marina ; elle l’avait même embrassée de joie. Pendant son discours un brin longuet, le visage de l’actrice se fige soudain et son regard fixe un point derrière l’épaule de la bavarde ; c’est pour elle comme si le temps s’était suspendu. Puis, à l’arrivée de sa rivale plus jeune et outrée, la Lola Brewster (Kim Novak) qui va jouer Elisabeth, flanquée de son producteur un brin vulgaire (Tony Curtis), elle se reprend. Puis propose que son mari réalisateur Jason Rudd (Rock Hudson) leur prépare des cocktails comme il sait si bien le faire.

Un peu plus tard, Heather est morte dans un fauteuil – empoisonnée. Scandale dans le Landerneau anglais. Qui l’a fait ? Pour quel mobile ? Avec quel poison ? L’inspecteur Dermot Craddock de Scotland Yard, « neveu préféré » de Miss Marple (Edward Fox), est chargé de l’enquête. Il va soupçonner tour à tour tout le monde, de la secrétaire de Marina et Jason (Geraldine Chaplin) à l’actrice rivale qui ne peut pas la blairer et au producteur un brin véreux, jusqu’au retournement final comme toujours improbable et bien pensé.

Malgré les rebondissements, l’intrigue compte moins que le duel des actrices dans cet opus filmé. Le casting est prestigieux mais éclipse l’action policière. En revanche, l’ambiance du petit village anglais avec ses cottages ouverts sur le jardin fleuri mais meublés confortable avec leurs profonds canapés devant la cheminée, les rumeurs et commérages, le médecin de campagne et les petits commerces, le ciné-club bricolé où le film se casse avant la fin, est bien rendu. Dans cet endroit paisible pour la retraite d’une vieille fille peuvent se passer de drôles de choses venues de l’autre côté de l’océan et du passé.

DVD Le miroir se brisa (The Mirror Crack’d), Guy Hamilton, 1980, avec Angela Lansbury, Geraldine Chaplin, Tony Curtis, Edward Fox, Rock Hudson, StudioCanal 2018, 1h05, €2.99 blu-ray €10.99

DVD coffret Agatha Christie : Le Miroir Se Brisa + Meurtre au Soleil + Mort sur Le Nil + Le Crime de l’Orient Express, StudioCanal 2020, 8h06, €19.99

Catégories : Cinéma, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

C.L. Grace, Le temps des poisons

Kathryn Swinbrooke, apothicaire à Canterbury, vient de se marier avec son diable d’Irlandais, commissaire du roi Edouard IV. Nous sommes à Walmer dans le comté de Kent en 1472. Louis XI de France, universelle Aragne, tisse sa toile pour enfermer l’Angleterre et récupérer Calais. Il protège Henri Tudor, descendant du roi assassiné par Edouard. Ses espions diplomates et rusés intriguent. Chacun se tend des pièges. C’est dans cette atmosphère qu’une négociation doit avoir lieu entre Lord Henry, fidèle du roi Edouard, et les envoyés de Louis XI.

Mais c’est à ce moment que, dans le village au bas du manoir, un forgeron et sa femme sont empoisonnés en plein jour. Il y aura encore d’autres meurtres. Est-ce lié à la négociation ? Qui est ce prêcheur tout vêtu de noir, arrivé à ce moment au village, qui fulmine contre les mécréants ? Qui est cette grand-mère, deux fois veuve, qui vit seule à l’orée de la forêt avec ses chats et qui n’a ni l’œil ni l’oreille dans sa poche ? Pourquoi ressurgit cette histoire de naufrageurs, pendus haut et court par Lord Henry sur ordre du roi ? Et ces trois malheureux partisans des Lancastre, massacrés par les villageois alors qu’ils demandaient asile ?

Nous sommes dans un festival des poisons, dans un nœud d’intrigues, plus digne d’une cour italienne Renaissance que d’un village côtier de l’Angleterre médiévale. Superstitions, haines, démons, font la sarabande dans les esprits et les demeures. Kathryn, logicienne aristotélicienne, et Murtagh, militaire droit et fonceur, vont se mettre en quatre pour comprendre et offrir au jugement.

La fin n’est pas celle qu’on croit, ce qui est le meilleur compliment qu’on puisse faire à tout roman policier. Les personnages sont attachants, du tabellion avide à la jouvencelle échauffée, de la vieille impotente acariâtre au gamin orphelin, du diplomate trop subtil au sergent vaniteux de son tout petit pouvoir. Le décor médiéval et villageois en est presque écolo. Mais vivre proche de la nature n’a jamais rendu heureux en soi : les instincts et les passions supplantent trop souvent la raison dans ces animaux sociaux que sont les humains.

C.L. Grace (Paul Doherty), Le temps des poisons (A Feast of Poisons), 2004, 10-18 2008, 309 pages, occasion 3.38€

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , ,

Hervé Bazin, Le bureau des mariages

L’art de la nouvelle est un art à part entière. Il ne suffit pas d’écrire une histoire courte pour créer une nouvelle ; il lui faut aussi une chute, comme une leçon ou un choc au lecteur. Le « grand romancier » français des années 1950, alors très populaire, y excelle.

Ces neufs nouvelles paraîtront bien surannées aujourd’hui car elles évoquent leur époque. Mais leurs leçons sont éternelles. Elles disent que l’humanité reste bien la même, soumise aux mêmes passions et tombant dans les mêmes travers. Mais « le destin » est souvent le nom de sa propre conduite : on ne récolte que ce que l’on a semé, dit la sagesse paysanne ; le karma est l’ultime conséquence de tous les actes accomplis, dit le Bouddha.

Louise, vieille fille qui vit avec un demi-frère célibataire comme elle, rêve d’un mari et passe une petite annonce. Elle ne sait pas à quoi elle s’engage car la correspondance est toujours plus belle que la réalité. Le grand jour venu de la rencontre, elle a une sacrée surprise !

Des gamins de 8 à 13 ans jouent aux indiens, à la guerre. Mais l’excitation des hormones qui commencent à se diffuser chez le plus grand, le chef, pousse les jeux trop loin. Le petit souffre-douleur de 8 ans, est poursuivi par la meute car il veut quitter la bande. Il se réfugie dans un blockhaus. La lutte pour le déloger sera terrible.

Quand un filou trouve un portefeuille bien garni sur le trottoir, chacun pense qu’il va le rafler. Mais, après quelques pernods, il décide d’aller le rendre, espérant une récompense. Sauf que le mari étourdi y logeait de l’argent destiné à sa maitresse qu’il serait mal venu d’étaler devant sa femme. Le filou vertueux se retrouve le bec dans l’eau, à moins que son instinct ne reprenne le dessus…

Un vieux paysan expert en champignons est doté d’une épouse grognon et autoritaire : quoi de mieux que de s’en débarrasser par un bon petit plat de la mycologie ? La gourmande, ayant englouti l’assiette aux deux-tiers, additionnée d’une salade bien vinaigrée pour faire bon poids, se plaint très vite de maux de ventre. Sauf que le docteur diagnostique tout autre chose qu’un poison. Quel expert a raison ?

Durant l’Occupation, la livraison de quatre otages emprisonnés destinés à être fusillés en représailles au déraillement d’un train, sont désignés. Le comptable détenu doit apurer leurs comptes et leur faire rendre leurs effets. Mais il a un sursaut de patriotisme et va ruser comme il se doit.

Un vieux couple de retraités regarde par la fenêtre le temps passer. Il n’arrive jamais rien. Aussi, lorsque le tirage au sort leur fait toucher le lot d’un bon au porteur, pour une valeur importante, ils ne savent plus quoi faire. Trop engoncés dans la routine des jours, ils préfèrent le rêve à ce qu’ils pourraient réaliser : changer la salle à manger, faire un voyage à Rome.

Mère-Michel est un homme, un bedeau secrétaire de Mairie, dont le nom, Michel Lemaire, a suscité ce sobriquet. De plus il est bancal et il se venge de la vie en tourmentant ses voisins sans en avoir l’air, tout sucre au-dehors, toute rage dedans. A l’image des chats dont il s’entoure, uniquement des mâles castrés, comme lui qui n’a su trouver chaussure à son pied. Mais lorsqu’il entreprend une ultime vilenie au lendemain de Noël, il trouve le bon Dieu plus cauteleux que lui.

Les deux dernières nouvelles sont d’un cru moins réussi, mais l’ensemble édifie sur la nature humaine.

Hervé Bazin, Le bureau des mariages (nouvelles), 1951, Livre de poche 1976, 158 pages, occasion €0.65 ou e-book Kindle €7.99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Palma Sur

Nous partons à neuf heures avec un petit sac pour trois jours ; nous laissons le reste dans le bus à la garde du chauffeur Tita qui dort dedans. Dans le ciel, des vautours planent avec les thermiques ; les Indiens disent qu’ils font tourner la terre.

Le bain de Drake est le lieu du trésor piqué dans la ville de Panama. Au Costa Rica, le ramboutan s’appelle Mammon, la richesse matérielle biblique : je me demande pourquoi, peut-être parce que son aspect chevelu évoque les couilles du diable ? Adrian nous apprend, parce qu’il parle toujours beaucoup, que le dendrobate est la grenouille venimeuse, très petite et très colorée. Elle est aussi très toxique en liberté, probablement par ce qu’elle mange. Les Indiens utilisent son mucus comme poison pour leurs flèches, mais aussi pour augmenter la couleur des plumes de queue des perroquets. La toxine permet une repousse beaucoup plus vive.

A Palma Sur, nous visitons l’église Saint-François-d’Assise.

Dans cette petite ville, de grosses sphères de pierre sont exposées dans un parc, découvertes dans les années 1930 lors de défrichages de jungle par l’United Fruit Company pour planter des bananes. Elles sont reconnues patrimoine culturel par l’UNESCO depuis 2014. Les sphères ont été retrouvées avec des morceaux de poterie de la culture d’Aguas Buenas (-200 à 600), ainsi que des sculptures de type polychrome de Buenos Aires (1000 à 1500). Est-ce un phénomène géologique ou une création artisanale ? Nul ne sait vraiment à quoi elles servaient. Ceux qui les ont percées n’ont pas trouvé d’or à l’intérieur comme la légende le voulait.

Le parc voit ses bancs de béton décorés de scènes peintes figurant les paysages du Costa Rica ; c’est naïf mais assez joli.

En face, un petit train à vapeur anglais du XIXe siècle a été le premier train roulant sur un chemin de fer au Costa Rica. La locomotive portant le numéro 87 conduisait des wagons destinés au transport des bananes. Aujourd’hui, le pays n’a plus aucun train car ce moyen de transport est trop lent et coûte surtout trop cher à entretenir.

Après avoir bu une noix de coco fraîche, nous embarquons pour le paradis du pauvre homme, traduction de l’anglais (obligatoire ici pour les touristes) de Poor Man’s Paradise. Ce sera le nom du lodge dans lequel le bateau va nous mener, dans le parc national du Corcovado cher à Cizia Zykë. Ce Français de père albanais et de mère grecque a été délinquant avant d’être légionnaire puis trafiquant en Argentine, au Canada et au Mali. Il s’installe au Costa Rica à 29 ans en 1980 avec son épouse et il publie en 1985 son autobiographie, Oro, relatant son orpaillage clandestin dans le pays, au sein même de cette réserve naturelle que nous allons visiter ! Je me souviens que ce macho affirmait avoir sodomisé une blonde dans les douches de fortune – et qu’elle aurait aimé ça. Bernard Pivot l’avait apostrophé avant de se faire remonter les bretelles par l’ambassadeur du Costa Rica pour faire de la publicité à une exploitation illégale.

Notre bateau descend la rivière à mangrove et méandres, rencontre la mer dans un grand mouvement, ce pourquoi nous passons plutôt à l’étale de marée. Il y a moins de vagues même si la vitesse fait que le bateau de dix personnes où nous sommes dix-huit tape.

Le capitaine est grêlé, sa femme plutôt ronde portant double rangée de crocs alignés comme des perles, haut et bas, et le neveu Slade a du poil aux jambes mais pas encore à la lèvre supérieure.

Catégories : Costa Rica, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Steven Saylor, La dernière prophétie

Gordien le Limier est de retour à Rome après son aventure à Massilia. César, après avoir franchi le Rubicon, a franchi l’Adriatique à la poursuite de Pompée. En 48 avant notre ère, la grande bataille de Pharsale se prépare tandis qu’à Rome des magistrats de second rang gèrent les affaires courantes. Quoi de mieux que cet interrègne pour susciter des ambitions politiques ? Milon et Marcus Caelius complotent pour prendre la place des deux absents, même s’ils n’en ont pas l’envergure. Quoi de mieux que la plus vile démagogie pour attirer les petites gens et ameuter la foule ? Remettre les dettes, faire dégorger les riches, augmenter les salaires, distribuer du pain : c’est l’éternel lendemain qui chante sans qu’un début de commencement n’arrive jamais. Car, une fois au pouvoir, les tribuns de la plèbe occupent les places et accaparent les richesses – « au nom du peuple » selon l’idéologie mais comme les autres dans les faits.

C’est alors qu’apparaît une étrange femme venue d’Alexandrie, une grecque d’Egypte. Elle se fait nommer Cassandre, comme la prophétesse troyenne et entre en transes devant une flamme pour proférer des propos plus ou moins sibyllins. « La première fois que j’ai rencontré Cassandre… » raconte Gordien. Mais l’auteur abuse du procédé, chapitre après chapitre, « la sixième fois que j’ai rencontré Cassandre… » C’est un brin lassant, et ce roman n’est pas des meilleurs.

Est-ce parce qu’il est concentré sur les femmes ? Même si les matrones romaines sont décrites comme aussi tordues et rusées que les hommes, même si chacune des principales a sa personnalité, il y a forcément moins d’action et plus de discours. Malgré la description pittoresque de la donzelle de Marc Antoine et Antonia qui court nue dans la maison pour ne pas se laisser habiller : « Y a-t-il quelque chose de plus horripilant que les cris d’une petite fille de six ans ? » p.145.

Cassandre est belle mais énigmatique. Est-elle actrice habile ou est-elle possédée ? Manipulatrice ou sorcière ? Les superstitions, à Rome, habitent les esprits et les crédules ne manquent pas. Assurer à un ambitieux la victoire en décrivant un défilé grandiose, ne serait-ce pas le moyen de le pousser à la faute ? Toujours est-il que Cassandre n’est pas aimée, sauf de Gordien qui finit par la baiser. La belle blonde à la tunique déchirée qui laisse voir une partie des seins tombe un jour dans ses bras au marché, alors que Gordien, sa femme, sa fille et son gendre, sont en train de négocier une botte de radis. Elle a été empoisonnée.

Le Limier se mandate tout seul pour enquêter. Qui a voulu sa mort ? Il s’occupe de son incinération et observe que ce ne sont pas moins de sept des femmes les plus riches et les plus puissantes de Rome qui viennent y assister en litière. Dont Calpurnia, la femme de César, Fausta, fille de Sylla et femme de Milon, et Clodia, ex-amante de Marcus Caelius. Comme chacun sait, le poison est l’arme préférée des femmes… Mais à qui le crime profite-t-il ?

Les émeutes se font récurrentes au forum, l’endettement monte dans les ménages, les denrées se font rares au marché. C’est dans ce contexte tendu que l’enquête commence ; elle s’avèrera difficile et prendra un tour inattendu. Mais Gordien pourra rembourser ses dettes, adopter un autre « fils » et partir avec son épouse malade pour l’Egypte, où elle croit pouvoir guérir de ce mal qui la ronge depuis des mois. Et comme Meto reste avec César, peut-être sera-t-il possible d’obtenir de ses nouvelles ? Car un père a beau « renier » son fils, il ne cesse cependant d’y rester au fond attaché.

Steven Saylor, La dernière prophétie (A Mist of Propheties), 2002, 10-18 2005, 345 pages, €8.24

Les roman policiers historiques de Steven Saylor chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Steven Saylor, Un Égyptien dans la ville

En 56 avant notre ère, deux personnes étranges viennent frapper un soir à la porte de Gordien le Limier dans sa demeure romaine : un philosophe grec déguisé en femme et un galle, prêtre châtré du culte de Cybèle maquillé et couvert de bijoux. Le Grec est Dion, rencontré par Gordien en -90 lorsqu’il hantait le port d’Alexandrie, juste avant qu’il n’achète au marché une esclave à peine nubile, la moins chère du lot, cette Bethesda aujourd’hui mère d’une Gordiane de 13 ans dont il allait faire sa femme.

Dion est ambassadeur d’Egypte venu implorer le Sénat romain de ne pas annexer son pays en prétendant qu’un testament du roi Ptolémée XI a légué son royaume à Rome. Dion vu son ambassade attaquée, ses amis décimés, il a failli lui-même être empoisonné et n’a plus confiance en personne – sinon en Gordien, « l’homme le plus honnête de Rome » selon les mots de Cicéron. Gordien reconnait le vieux maître mal déguisé, évoque le bon vieux temps de sa jeunesse et des échanges philosophiques, lui offre à dîner, mais il ne peut l’aider. Il doit partir le lendemain dès l’aube en Illyrie (actuelle Albanie) voir son fils Meto, soldat auprès de César.

Dion est assassiné dans la nuit qui suit, le volet de sa chambre forcé et plusieurs coups de poignard portés au thorax. Une jeune esclave sur laquelle il assouvissait ses instincts avait été intime avec lui juste auparavant mais était sortie de la chambre. Gordien se sent coupable de ne pas avoir aidé son ancien mentor et consent volontiers à enquêter sur la requête de Clodia qui soupçonne le jeune et beau Marcus Caelius, son ex-amant, du meurtre.

Clodia est une mûre matrone mais a gardé un corps superbe qu’elle met en valeur par des tuniques transparentes et des exercices sexuels réguliers. Elle va volontiers aux beaux jours dans ses jardins au bord du Tibre où, depuis une tente rouge et blanche au pan relevé sur le fleuve, elle peut suivre à loisir les ébats de tous les jeunes hommes et garçons qui viennent se baigner (« de 15 ans ou plus » se croit obligé de préciser le puritain yankee sommeillant chez l’auteur) et, « fiers de leur corps, se mettre nus ». Elle en convie parfois un ou deux à venir partager sa tente car elle aime cueillir les fruits à peine mûrs.

Dans ce troisième opus de la série policière historique sur Rome, l’auteur relâche un peu son filtre pudibond – sauf pour son personnage principal Gordien et pour sa famille qui restent bien bourgeois et convenables au sens de la morale américaine. Mais les ébats dans les bains sont décrits avec jubilation, les dîners spectacles permettent aux amants de se montrer à Clodia, des rumeurs les plus folles et les plus sexuelles font se délecter les badauds du forum, les vers obscènes du poète Catulle, amoureux éconduit de la belle Clodia, sont colportés avec délice.

Et le meurtre dans tout ça ? Nul doute que le roi Ptolémée ne soit dans le coup, mais qui a payé le meurtrier ? Qui a tenu le poignard ? Qui a cherché à empoisonner Clodia après Dion ? La puissante famille des Clodii – Clodia et son frère trop aimé Clodius – mandatent Gordien pour découvrir des preuves contre Marcus Caelius. Mais si ce n’était pas lui ? ou pas tout à fait lui ? ou lui qui doit porter le chapeau ?

Rien n’est simple et les armes de la séduction valent autant que les armes létales. L’argent corrompt presque tout, sauf l’honnêteté et la loyauté. Gordien ne se laissera pas faire et ce qu’il découvrira dans sa propre maison a de quoi effrayer tout bon époux et père. Mais l’esclave que Dion a fouetté et baisée raconte sa nuit – et alors tout bascule.

Dans cette enquête aux multiples miroirs Rome tout entière se révèle aux premiers temps de César, à peine vainqueur en Gaule. Et toute l’Amérique de l’auteur se lit en filigrane, ce qui enlève un peu de sel historique – à moins que la dépravation humaine ne soit éternelle comme la Ville et que l’orgueil impérial ne soit poursuivi par les Etats-Unis du XXe siècle. Comment faut-il lire, en effet, ce genre de phrase : « Rome sait comment s’y prendre pour assimiler tout ce qui se présente – arts, coutumes et même dieux et déesses – et en faire quelque chose de typiquement romain » p.211. N’est-ce pas le cas de nos jours du melting-pot yankee ?

Un bon roman de mœurs malgré quelques anachronismes comme « météorite » ou « touriste » essaimés ici ou là par un auteur trop au présent ou par un traducteur malavisé. L’intrigue rebondit sur la fin comme il se doit et le lecteur en sera somme toute abasourdi.

Steven Saylor, Un Egyptien dans la ville (The Venus Throw), 1993, 10-18 2000, 381 pages, €7.80 e-book Kindle €9.99

Les romans de Steven Saylor sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ambivalence Marcel Proust

Proust, ce bourgeois maladif et languissant, cette plante de serre à la mémoire protéiforme, est malsain et fascinant. Malsain parce qu’on ne sépare pas l’homme de l’œuvre et que l’homme est déplaisant. Fascinant parce qu’il observe l’humaine comédie et que son regard est aigu. Ce qu’il représente est ambivalent.

J’ai abordé Proust tard, je n’ai lu Du côté de chez Swann qu’à 16 ans parce que la réminiscence via la madeleine dans le thé m’avait plu et que je voulais goûter à la fameuse longueur des phrases. Et je me suis aperçu que le thé était du café au lait dans les premiers brouillons, comme la madeleine n’était que du pain grillé ; le snobisme exigeait que cela fut changé. J’ai savouré ces souvenirs d’enfance parce qu’ils sont la seule fraîcheur de l’œuvre, encore que passablement reconstruits en illusion acceptable. Et je me suis arrêté là.

La nouvelle édition de la Pléiade m’a permis, passé 35 ans, de reprendre l’œuvre dont l’intérêt, hors le style, m’apparaît très inégal. Un amour de Swann m’a ennuyé, A l’ombre des jeunes filles en fleurs plutôt séduit. Cette œuvre ne se lit pas d’une traite mais par périodes, afin de ne pas s’engluer dans le phrasé, de ne pas se laisser contaminer par cette façon insinuante et étouffante de voir le monde, par ce scalpel envers les êtres et cette angoisse de lierre du narrateur. Proust est un poison assimilable à petites doses. Car on en revient à l’homme.

Marcel est né dans cette bourgeoisie pressée d’arriver dont le besoin atavique et frustré de possession fait s’accumuler les meubles, les bibelots, les plantes, les tentures dans un intérieur étouffant de serre chaude. L’appartement parisien des parents Proust collectionne les signes de la réussite sans jamais trier ; on y reconstitue le monde en miniature. Il y fait trop chaud, l’on y respire mal, les relations humaines sont guindées et pesantes. Le père est majestueux et lointain ; il est l’arbitraire. L’enfant éprouve un attachement fusionnel et névrotique à sa mère ; il est sujet à un asthme nerveux qui le rend délicat. L’adolescent exacerbe toujours les tendances de son milieu et, chez Marcel Proust, rien n’est simple : ni le langage, ni les manières, ni la conduite. Il apparaît alambiqué et trompeur, trop tendre et trop caressant, poseur et quêtant l’affection comme un chien triste. Il restera sa vie durant l’enfant gâté : malade professionnel, sempiternel plaintif, dilettante social, phobique de toute contrainte, et inverti pour l’occasion.

Sa mauvaise santé d’origine respiratoire lui fait sentir le prix du temps qui passe. Le souffle est la représentation la plus physique de la durée, la respiration scande les secondes. Proust en acquiert le sentiment aigu de l’éphémère des moments et des êtres, ce qui le fait s’accrocher tragiquement à un amour rendu absolu. Cette impuissance à être aimé selon ses désirs fusionnels lui permet, par décantation, une distance de la mémoire à la réalité, il intériorise, analyse, reconstruit. « La vraie vie est ailleurs, non pas dans vie même, ni après, mais en-dehors » (lettre du 8 novembre 1908 à Georges de Lauris). La vraie vie est pour lui dans l’illusion, dans le souvenir reconstruit, la fiction c’est-à-dire dans la littérature.

A l’art classique de raconter une histoire, Proust substitue la subjectivité. Il ne décrit pas la réalité du monde extérieur mais l’impression que fait sur lui le monde. Son intelligence ordonne ce que son instinct et ses passions ont retenu des sensations, impressions et émotions filtrées par la mémoire. Il dissèque les êtres par incapacité à les aimer pour eux-mêmes. Ceux qu’il prétend aimer sont des miroirs de son narcissisme ; il s’aime en eux comme un personnage qui endosse des rôles de théâtre. En réalité, prodigieusement inquiet, Marcel est incapable d’éprouver un amour sincère ; il est trop frileux, trop centré sur lui-même pour avoir la générosité débordante, la compassion sans contrepartie qui est le signe de l’amour véritable. Ce qu’il appelle « amour » est une comédie sociale, fort jouée dans les salons de son temps. Pour lui, d’ailleurs, tout est comédie. Il passe ses soirées à disséquer les êtres qu’il rencontre afin d’en découvrir le ressort caché, ce qui les fait se mouvoir. Il y a là le sadisme d’un entomologiste et, en même temps, la prodigieuse intuition du psychologue – ambivalence toujours.

L’homme est l’œuvre et Proust reconstruit sa vie en roman. La Recherche est une quête de soi et elle a de son auteur le même inachèvement, la même immaturité, les mêmes velléités. Dans l’écriture, cela se traduit par la masse des brouillons, des versions accumulées, des ratures, des additions, des remontages, la juxtaposition de fragments. Proust est Protée ; il se hait lui-même, il voudrait être un autre. Il va, il vient, il reste en chantier. Tout comme son œuvre, de construction cellulaire, organique comme un corps qui pousse.

Cocteau a eu la prescience de ce que Proust allait devenir : « Les miroirs multipliés (d’un) prodigieux labyrinthe à ciel ouvert ». L’œuvre a quelque chose de la mer, océan primordial et soupe primitive nourricière et changeante, capable de s’enfler en colère ; elle est courant des profondeurs et lame qui submerge et étouffe, eau salée qui pénètre les poumons et les ronge. Le style a quelque chose de brillant et d’inquiétant : la phrase coule telle un serpent, développe ses anneaux, fascine d’un regard magnétique, bien balancée par les virgules qui font comme un souffle régulier ; elle argue, montre, analyse – insidieuse et dangereuse comme un reptile. Car elle envoûte, engourdit, asphyxie par ses sautes de rythme ; elle embrume et ensorcelle.

Je reviendrai sur les œuvres, mais lentement.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Gallimard Pléiade, tome 1 €65.00 tome 2 €66.00 tome 3 €70.00  tome 4 €65.00

Jean-Paul et Raphaël Enthoven, Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, Plon 2013, 736 pages, €24.50

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Stendhal, La chartreuse de Parme

Ecrit-dicté en 53 jours, ce gros roman en deux livres et 28 chapitres est l’acmé de Stendhal. Primesaut, généreux, tout de mouvement, il est la vie même. Dans ce siècle bourgeois où, après l’épopée napoléonienne, les Français deviennent compassés et bienséants, Henri Beyle se moque de la moraline pour placer le désir égotiste en premier. Foin du devoir social, le plaisir personnel avant tout.

Ce pourquoi il invente une Italie princière où l’aristocratie survit comme à la Renaissance. Le Prince et son Machiavel se divertissent en salon de duchesse, tandis que le bas peuple se réjouit des fêtes et des intrigues dont les rumeurs parviennent jusqu’à lui par l’intermédiaire des valets et cochers. Dans cette « utopie », pourrait-on dire, l’auteur place des personnages qu’il aime et auxquels il donne de forts caractères.

Fabrice est le béjaune cueilli à 16 ans – cet âge où l’adolescent devient plat, disait l’auteur dans Lisimon – pour lui faire chevaucher en fugue vers Waterloo, rejoindre ce Napoléon qu’il admire et qu’il ne verra que de loin. En passant par Paris, il perd son pucelage lors d’une « orgie » (I.2 p.169 Pléiade), ce qui accentuera son inclination naturelle envers les femmes. Ce sont elles qui le feront homme, puis héros, puis grand d’Eglise, avant de le perdre par l’amour. Car cet attrait qui mêle sexe, sentiment et admiration a son revers : lubricité, attachement et déraison. Fabrice dont le désir est par-delà le bien et le mal, aristocrate empli de jeune énergie qui définit ses propres valeurs, est pris à son jeu. Egotiste plutôt qu’égoïste, car son plaisir n’existe que lorsqu’il en donne aux autres, il se moque des convenances et des devoirs civiques – sinon d’être aimable et reconnaissant à ceux qui l’aiment.

Fils cadet d’un père déchu, frère d’un aîné qui le dénonce à la police pour être « libéral » (jacobin) dans un régime despotique, Fabrice est adulé par sa tante Gina del Dongo qui n’a pas d’enfant. Elle sort dans le monde le prime adolescent beau comme un Corrège pour lui éduquer le goût. Car Fabrice apprécie peu les livres, ne connait à 18 ans « pas même le latin, pas même l’orthographe », avoue-t-il (I.6 p.251 Pléiade) – il n’étudie que ce qu’il faut ; il ne préfère rien tant que chevaucher les destriers comme les donzelles. Mais il a « un courage si simple et si parfait, que l’on peut dire qu’il ne s’en aperçoit pas lui-même », dit sa tante (II.16 p.400 Pléiade). La règle qu’elle lui donne pour arriver à l’école comme dans l’Eglise ou ailleurs est simple : « Crois ou ne crois pas ce qu’on t’enseignera, mais ne fais jamais aucune objection. Figure-toi qu’on t’enseigne les règles du jeu de whist ; est-ce que tu ferais des objections aux règles du whist ? » (I.6 p.251 Pléiade). Tout l’art d’être bon élève, conforme aux codes sociaux, est dans cette règle minimale : il s’agit de faire semblant, tout en gardant son quant à soi.

Fabrice del Dongo à 16 ans selon le Corrège (qui a inspiré Stendhal)

Angelina-Cornelia-Isota Valserra del Dongo sera comtesse Pietranera, duchesse Sanseverina avant de redevenir comtesse Mosca, selon ses maris successifs. Elle est éprise de son neveu (après l’avoir été de son père biologique à 13 ans) mais sa passion est exaltation de cœur et d’âme plus qu’envie ailleurs. Fabrice, lui, ne tombe jamais amoureux – dans le premier livre : « j’aime sans doute, comme j’ai bon appétit à 6 heures ! » (I.13 p.336) ; « la nature m’a privé de cette sorte de folie sublime » (I.7 p.273). Il est seulement « léger et libertin » (II.22 p.490 Pléiade), ce qui est le meilleur de « l’amour » dont l’enflure romantique agacera Flaubert sous le terme d’Hâmour. Ce n’est qu’à 25 ans et après 9 mois de forteresse (comme une gestation de maturité) qu’il fixera son désir sur Clélia, qu’il a rencontré lorsqu’elle avait 15 ans et lui 17. Elle est la seule femme accessible à son regard dans la prison où il enfermé par une traîtrise du prince. L’esprit suivra le cœur qui suit lui-même le désir : c’est ainsi que l’on tombe amoureux, de bas en haut et non l’inverse.

Mais la nature reprend ses droits, dans une ellipse typiquement stendhalienne pour dire que l’acte est consommé : « Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d’extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne lui fut opposée » (II.25 p.543 Pléiade). Il suggère plus tôt que Fabrice, « à peine âgé de 16 ans » (I.2 p.165 Pléiade), a contenté la geôlière de la prison de B*** (Beaumont en Belgique ?) où il a passé 33 jours pour avoir été soupçonné d’être espion : « Le lendemain, avant l’aube, cette femme tout attendrie dit à Fabrice… » (I.2 p.171 Pléiade). L’attendrissement du cœur est révélateur du contentement du corps…

La figure de la duchesse Sanseverina est égale dans le roman à celle de Fabrice. Cette mère de substitution, passionnée et possessive, d’une féminité toute méditerranéenne, entretient le roman dans une atmosphère d’ébriété érotique à l’italienne où le paraître et la sociabilité constituent une aventure de chaque instant. Elle fait du jeune libertin un ecclésiastique, de Fabrice rêvant d’être soldat à Waterloo un évêque rentier qui ne peut se marier, gardant pour elle toute seule ce neveu trop chéri. Sauf que le prince la trahit et que le jeune homme, qui a tué en se défendant d’un coquin amant jaloux, est bouclé en citadelle comme Alexandre Farnèse jadis (futur pape Paul III) pour un semblable duel. Alexandre s’évadera à l’aide d’une corde, ce qu’imitera Fabrice poussé par la duchesse et forcé par Clélia, fille du général geôlier. Mais Fabrice est tombé réellement amoureux de Clélia, bien qu’elle ait juré à la Madone d’épouser un marquis sur les ordres de son père s’il ne meurt pas. Sorti de prison, Fabrice y revient volontairement pour voir Clélia, au risque du poison – ce qui arrangerait tout le monde. C’est faire bon marché de la Sanseverina qui fait empoisonner d’abord le prince par un exalté amoureux d’elle et de la république, puis séduit son fils héritier afin de sauver son neveu.

Le Corrège, L’Education de l’Amour (détail), illustration de Fabrice et de son fils Sandrino avec Clélia

Mais à trop vouloir garder pour elle le jeune homme, elle gâche tout. Fabrice est lié à Clélia, qu’il a prise dans un transport et dont il a un fils, Sandrino (le petit Alexandre), considéré comme l’aîné du marquis époux. Son propre père ne l’a jamais aimé (il n’est d’ailleurs pas son vrai père… qui serait le lieutenant français Robert, de l’armée de l’empereur dont la duchesse était amoureuse à 13 ans). Fabrice veut à l’inverse aimer et éduquer ce fils conçu par hasard. Être fils d’évêque n’avait rien d’étonnant pour les catholiques italiens, même si cela se passait plutôt dans les siècles précédant le XIXe. Mais cette embrouille ne pouvait être clarifiée sans un autre volume, et l’auteur préfère une fin rapide. Ce n’est pas dévoiler un secret de dire que tout le monde meurt au final – car nous sommes au siècle romantique même si Stendhal a un style plutôt de Code civil (comme Napoléon) et des exaltations, en pleine nature, moins panthéistes que celles de Rousseau.

A cette histoire d’amours mêlés (le paternel, le maternel, le sexuel) s’ajoute une intrigue politique de grand art. Lorsque j’ai lu ce livre pour la première fois, vers 16 ans, cela a décidé de mon goût pour l’analyse politique et orienté mes études. Car le Machiavel du prince de Parme s’appelle Mosca (la mouche) et il est d’une grande subtilité dans la conduite des affaires de la cité. Le prince ne peut se passer de lui, malgré son pouvoir absolu, et les opposants sont tous inférieurs malgré leur « libéralisme » (au sens des libertés politiques du XVIIIe siècle). Pas plus Mosca que Stendhal n’aiment la démocratie ni « la canaille » ; l’exemple américain est pour Stendhal le summum de l’avilissement : « le culte du dieu dollar, et ce respect qu’il faut avoir pour les artisans de la rue, qui par leurs votes décident de tout » (I.6 p.250 Pléiade). La politique mérite mieux que le nivellement par les envies et le vote des ignares. Ce pourquoi la description de la société de cour et ses intrigues est ciselée avec « esprit, profondeur et concision », comme le dira Balzac, qui « trouve cette œuvre extraordinaire » (p.622 Pléiade). Le comte Mosca sait que la politique n’est pas un combat « moral » entre le bien et le mal mais un choix provisoire et de circonstance entre le préférable et le pire. Mosca le ministre, c’est Stendhal le diplomate ; Mosca l’amoureux de la duchesse (qui deviendra sa femme), c’est Beyle amoureux. Et Fabrice est le fils inventé qu’il n’aura jamais eu.

Stendhal, La chartreuse de Parme, 1839, Garnier-Flammarion 2009, 687 pages, €4.50

Stendhal, Œuvres romanesques complètes tome 3, Gallimard Pléiade 2014, 1498 pages, €67.50

Les œuvres de Stendhal chroniquées sur ce blog

Catégories : Livres, Stendhal | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Matthieu Legault, Les Médicis – Le complot Pazzi

Auteur canadien d’une série jeunesse obtenant le Prix littéraire des enseignants (Leonardo), Matthieu Legault se lance dans l’aventure pour (presque) adultes. Son thriller Renaissance est en effet plein de rebondissements, de poison et d’assassinats, dans une atmosphère très politique.

Nous sommes à Florence en 1478 et les Médicis – Laurent « le Magnifique » et son frère Julien – règnent sur la république. Ils ont acheté les grandes familles et taxé lourdement les autres (manière très mélenchonienne de faire payer ses ennemis politiques).

Un complot se prépare, commandité – excusez du peu – par le pape Sixte IV, lui qui adore s’entourer de cardinaux de 15 ans. Eglise, argent et stupre faisaient bon ménage en ces temps de décadence spirituelle. Luther n’allait pas tarder à surgir après Savonarole qui, lui, est déjà dans Florence et tonne contre la corruption tant des princes civils que des princes de l’Eglise.

Les Pazzi et les Gondi veulent reprendre le pouvoir que leur a ravi Cosme de Médicis une génération avant, et les condottiere du pape sont prêts à les aider à investir Florence s’ils tuent les deux frères Médicis. L’archevêque de Pise, très chrétien en apparence, n’hésite pas à conseiller d’agir en pleine messe de Pâques, dans la cathédrale, au moment de l’Elévation lorsque le vin devient sang et l’hostie chair du Christ ! Un signe de plus que les « croyants » se foutent de la religion et plus encore de Dieu, n’ayant en tête que le pouvoir. Si Dieu existe et qu’il a commandé une morale, nul doute que tous ces assassins iront droit en enfer – mais je doute.

Un espion des Médicis est égorgé au bord du fleuve Arno et Laurent demande à ses Aigles d’enquêter. Il s’agit d’un groupe de forces spéciales chargé de protection et de renseignement, allant jusqu’à l’assassinat sur ordre. Les deux enquêteurs de prestige sont Feliciano et Fedora, tous deux jeunes et bien faits, le corps aux normes de la sculpture païenne. L’auteur ne nous épargne aucun détail de leur anatomie, selon cet idéalisme narcissique dont la jeunesse actuelle est avide.

Elle est aussi avide d’action et de sang, et là non plus rien ne nous est épargné, du trait d’arbalète dans l’œil à l’éviscération en public jusqu’aux bagarres de commando au poignard. Il faut que le corps souffre pour se réaliser, il faut qu’il baise frénétiquement aussi. Fedora tombe donc enceinte de Feliciano, ce qui ne va pas sans poser problème à leur mission. D’autant que Laurent est largement en faveur de l’avortement. Mais ils feront tout pour la réaliser.

D’abord protéger les enfants Médicis, deux petits garçons et une fille, contre les Gondi dont le fils Claudio, 18 ans, a été éventré sur le pont vieux en pleine matinée. Est-ce Laurent qui l’a voulu, lui qui a sermonné juste avant les apprentis peintres dont le jeune homme à l’atelier Verrocchio ? Bien sûr que non, mais la vérité importe moins que la croyance, selon l’éternelle manipulation politique qui fait rage de nos jours plus que jamais.

C’est Constantino, « à peine plus de 15 ans », qui dirige les Aigles pour la protection des enfants. Nous trouvons cet âge un peu gros, même si un garçon de 15 ans peut avoir l’intelligence aigüe et la souplesse en combat. Mais que peut son squelette encore fluet contre un homme fait ?

Le lecteur mûr se demande donc si ce livre est vraiment destiné aux adultes ou plutôt aux adolescents, dans la lignée des séries américaines. D’autant que l’auteur comme l’éditeur (pourtant « réuni » à plusieurs), sont fâchés avec la grammaire du français. Passons sur les expressions canadiennes disant systématiquement « le boisé » pour « le bois » et autres particularismes ; c’est plutôt amusant. Ce qui l’est moins en revanche sont les fautes qui sautent aux yeux : p.27 conseillé pour conseiller, p.61 fourni pour fournit, p.126 témoigné pour témoigner, p.199 lasse pour las (celui qui parle est un mâle), p.247 ballet pour balais ! p.305 pose pour pause, p.329 papale pour papal – et j’en oublie sûrement. La faute aux logiciels américains type Word qui sont ignares en français ? Cela fait en tout cas très désordre, amateur, et c’est dommage pour le roman historique car l’époque est brillante, l’action bien menée et l’auteur imaginatif.

Si vous passez sur ces défauts agaçants, vous passerez un agréable moment de tension en compagnie des princes de la Renaissance florentine et de leurs nervis aigus et avisés.

Matthieu Legault, Les Médicis – Le complot Pazzi, 2013, Les éditeurs réunis (Canada) 2016, 427 pages, €19.95 format Kindle €6.06

Ce titre est suivi d’un second volume : Les Médicis-Les maîtres de Florence (que je n’ai pas lu)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Paul Doherty, La galerie du rossignol

paul-doherty-la-galerie-du-rossignol

Voici la toute première des « riches et navrantes aventures de frère Athelstan », tel que sous-titré. Paul Harding, de son vrai nom Doherty, est un professeur anglais d’histoire médiévale et il adore ciseler de subtiles intrigues en les situant dans ce moyen-âge pittoresque et naïf qui est notre histoire dans son état brut. Les passions humaines y sont en effet bien les mêmes : l’amour et la concupiscence, le sens de l’Etat et l’avidité du pouvoir, les fortes inégalités sociales et la débrouille permanente. Frère Athelstan est un dominicain exilé de son ordre par son prieur pour une faute de jeunesse que l’on apprendra en route. Il est curé de la paroisse de Saint-Erconwald, en plein quartier populaire de Londres. Ses ouailles sont Watkins le ramasseur de crottin, Cecily la ribaude, Ranulf le tueur de rats, Pike le fossoyeur, et toute leurs ribambelles d’enfants délurés et dépenaillés.

Mais le curé a pour ordre d’assister aussi le coroner de Londres, sir John Cranston, ex-soldat du Prince Noir, rabelaisien et de grand cœur. Il pète, rote, ronfle, mais ne laisse pas d’écouter ce que se dit sans en avoir l’air. Il ne déteste rien plus que la morgue des riches ou des grands qui croient avoir en face d’eux un balourd qu’il suffit d’impressionner. Tels Laurel et Hardy dans les ruelles mal famées comme dans les demeures chaulées et fleuries, Athelstan et Cranston ont à résoudre une énigme politique sur mission expresse du régent Jean de Gand.

Un riche orfèvre est mort empoisonné dans sa chambre fermée, après qu’on ait fouillé ses papiers à la recherche d’un document compromettant pour les hautes instances du pouvoir. Le roi Richard, fils de son frère aîné le Prince Noir et petit-fils d’Edouard III, n’a que dix ans et la blondeur frêle des gamins trop couvés en cette époque de peste. Nous sommes en 1377 et le royaume a besoin d’une poigne forte pour se remettre des défaites en France et de la saignée pesteuse.

Quelle est cette mystérieuse société secrète des « fils de Dives » (le mauvais riche de la parabole de Lazare) ? Quels sont les liens de dettes entre les marchands et les grands ? Quel frère aurait eu intérêt à tuer son frère ? Quelle femme bafouée aurait pu se venger de la préférence de son époux pour les pages ? Pourquoi, un par un, les associés de l’orfèvre meurent-ils de pendaisons suspectes ? Comme d’habitude, en expert de l’intrigue, Paul Harding nous délivre les informations une à une, nous égarant sur de fausses pistes, mettant brutalement en lumière des passions et les intérêts des uns et des autres. Tel un puzzle, les pièces se mettent en place ; comme dans une partie d’échecs, les pions s’avancent masqués. La logique des clercs – grâce en soit rendue à Aristote ! – vaut bien l’habileté diabolique des classes dirigeantes. « Nous cherchons un fil conducteur, déclare Athelstan. La logique nous enseigne que la solution d’un problème est contenue dans son intitulé même » p.219. Reste à se poser les bonnes questions.

Pour cela, le jeune frère prêcheur a toutes les qualités, du fait de sa formation comme de son principal péché. Le vieux Cranston, qui en a vu d’autre, a la subtilité de le lui faire remarquer : « Votre prieur n’ignore pas, Athelstan, que grâce à votre sentiment de culpabilité et votre sens inné de la justice, vous êtes l’homme idéal pour cette tâche » p.132. Cranston lui-même, n’est pas le balourd qu’il paraît : « Les tueurs s’étaient jetés sur eux, épées et dagues en avant. Le coroner soutint leur assaut, parant avec dextérité et faisant tournoyer son épée en un demi-cercle d’acier. Ces quelques secondes suffirent à Athelstan pour comprendre à quel point il avait orgueilleusement méjugé son compagnon en qui il voyait un sac à vin ventripotent, prêt à succomber sans cesse à la tentation » p.199. Il n’est pas jusqu’au gamin-roi lui-même, Richard II, dont « les yeux bleus » soient « à la fois enfantins et implacables » p.242.

Tous les personnages familiers des aventures suivantes sont déjà là, de même que la truculente ville de Londres, trépidante d’activités et de populace vivace comme le chiendent. Il y a des marchands fourrés, des apprentis s’égosillant, des gamins loqueteux, le gardien du Pont de Londres et sa marmaille qui joue demi-nue sous les piles, les porteurs d’eau et vendeurs de « saucisses épicées », une accorte aubergiste… Et l’auteur fait montre d’un sens de l’humour tout anglais. En témoignent les noms des pas moins de onze tavernes citées dans l’histoire : « « Le Pourceau de l’Evêque », « L’Agneau de Dieu », « L’ours au gourdin enturbanné », « La tête de Sarrasin », « Au Cochon Doré », « Le bliaut fourré »… Quant à la « galerie du rossignol », elle est faite sur le modèle du parquet chantant du palais de Kyoto, au Japon : des lattes d’if qui couinent sous les pas pour empêcher tout ennemi d’approcher silencieusement. Un décor pittoresque, des caractères bien trempés, des personnages sympathiques, une énigme intelligente – que nous faut-il de plus pour passer deux heures agréables ?

Paul Doherty (paru en 2007 sous le pseudonyme de Paul Harding), La galerie du rossignol (The Nightingale Gallery), 1991, 10/18 2013, 264 pages, €7.50

Les romans policiers historiques de Paul Doherty chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Thorgal 34, Kah-Aniel

Thorgal 34 Kah Aniel couv
Un cru meilleur que le précédent, l’histoire s’accélère un peu (pas trop) et la magie renaît (plutôt conventionnelle).

Mais pourquoi ces couleurs verdâtres et marronnasses, même dans les instants les plus lumineux de l’amour, de la ville ou du désert ? La gueule du héros en couverture elle-même est alourdie du bas comme s’il devenait moins avisé et plus prognathe, affublé d’une barbe de notable socialiste.

Rosinski est-il en pleine déprime pour atténuer l’éclat de l’orient par ces ombres lourdingues ? Où est passé le dessinateur des albums de la maturité ?

Exit Jolan pour l’instant, Thorgal poursuit sa route et Aniel grandit. On apprend de qui il est le descendant, bien que Thorgal l’ait engendré.

Mais nous quittons le nord et les étoiles pour le politiquement correct arabisant. Le grand métissage des gènes et des cultures… Tout le monde il est beau et puissant, le jeune chamelier basané est amoureux de la nordique Lehla tandis que Thorgal abandonne sa passion d’Aaricia pour une voilée, fille de concubine à sultan !

Thorgal 34 thorgal et salouma voilee

Des pages entières ne contiennent que des cases sans un mot, signe que le scénariste n’a pas grand-chose à dire. Pas plus que le dessin, qui baisse, le scénario n’est à la hauteur. Il sombre lui aussi dans le verdâtre et le marronnasse du politiquement correct onusien.

Thorgal 34 amour verdatre

Le fils des étoiles passe de la fonction d’homme debout à celle d’homme de boue.

Thorgal 34 lehla nue au bain

Les complots de harem remplacent les bagarres viriles, les passes magiciennes l’intervention des dieux. Asgard est bien oublié au profit des coutumes islamiques où « si les jeunes filles se promènent en tenu affriolante, c’est qu’elles sont à prendre » (p.29) et où le poison et la ruse sont préférés à l’arc et l’épée.

Thorgal 34 moeurs arabes pour la femme

Le personnage de Thorgal en est trahi, l’amour serein méprisé, les valeurs vikings ignorées. Au profit d’un salmigondis à la mode, vendable à la multiculture. Le jeune lecteur, en pleine construction d’identité, a besoin d’autre chose que ce Machin où tout vaut tout, où l’on baise qui est là malgré les serments, où l’on somme la vierge de s’initier aux godemichés et où le fils aîné est oublié tandis que le cadet n’est plus un fils.

Thorgal 34 aniel nu

Aniel renaît, nu, en jeune homme voué à une destinée, prélude peut-être à une bifurcation de héros par Sente.

Thorgal 34 aniel jeune homme nu

Le néo-scénariste n’aime pas le monde viking qu’il connait mal (un gamin de 5 ans qui ne sait pas nager chez les Vikings est une stupidité). Il n’aime pas plus Thorgal ni Aaricia, ça se voit depuis ‘Moi, Jolan’ ; il n’a de cesse de bifurquer pour faire exister les personnages secondaires, bien à lui, mais affadis depuis Van Hamme. N’en étant pas le père, Sente adopte avec peine une famille de héros recomposée – pour le grand dam de la série !

Souhaitons que le cru 2014 de la série quitte un peu ces bas-fonds culturels et ces illustrations fadasses pour un peu de sain héroïsme et de magie positive !

Rosinsski & Sente, Thorgal 34, Kah-Aniel, 2013, 48 pages, €12.00

Tous les Thorgal chroniqués sur ce blog

Catégories : Bande dessinée, Thorgal | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Arto Paasilinna, La douce empoisonneuse

arto paasilinna la douce empoisonneuse
L’écrivain finlandais loufoque poursuit ses contes cocasses sur la société finlandaise contemporaine. Nous sommes ici dans Orange mécanique version champêtre, trois affreux jojos qui refusent de travailler envahissent la fermette de la veuve colonelle Ravaska. L’un d’eux est Kauko, son neveu par alliance, mais ses copains et lui sont aussi bêtes que méchants. Ils ne pensent qu’à se soûler à la bière, hurler nus dans le jardin après le sauna, martyriser le chat et rafler tout l’argent possible après avoir piqué puis défoncé des bagnoles.

ado jean torse nu
Chaque mois, au terme de la pension de la veuve, son calvaire recommence. Après une séance particulièrement sauvage, et comme ils se mettent en tête de lui faire signer un testament, elle décide donc d’en finir. Elle a plus de 80 ans et pourquoi tiendrait-elle encore à la vie ? Réfugiée chez son ami le docteur Kivistö, plus de 70 ans, elle consulte les encyclopédies pour concocter un poison fatal qui lui donnera la liberté.

Mais la mort ne veut pas d’elle et une suite d’aventures rocambolesques fait se faire prendre au piège successivement les trois compères. Il y a un dieu pour les vieillardes. Happy end, non sans avoir déroulé les lâchetés, l’indifférence et la bêtise de la société contemporaine – où tout semble permis.

L’écriture est celle d’un conte plus que d’un roman policier, encore moins d’une prise de tête intello comme les auteurs français adorent en pondre. Vous vous amuserez, vous serez tenu en haleine, vous méditerez sur la stupidité des temps. Et vous passerez ma foi un bon moment.

Arto Paasilinna, La douce empoisonneuse, 1988, Folio 2013, 257 pages, €6.46

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Saint Mélar de Bretagne

Le Trégor célèbre un curieux saint catholique, qui n’est pas référencé dans le dictionnaire hagiographique des Bénédictins de Ramsgate (Brepols 1991). Sans doute a-t-il été radié par l’Église pour absence de preuves de sainteté. Mélar est un prénom qui ne se donne guère et pourtant, l’histoire du personnage vaut d’être contée.

Gauguin a peint un gamin breton qui aurait pu être Mélar.

Il faut faire la part des superstitions et de la propension à tisser des légendes sur des faits anodins. Les curés et moines du temps adoraient embellir les victimes des païens pour exalter la gloire de ce trou noir de la foi qu’ils appellent ‘Dieu’. Car Dieu est le recours, l’Inconnaissable et l’Infini, mais qui n’intervient jamais – sauf quand les pauvres humains lui prêtent des intentions… une fois la chose produite. Mélar, qu’on a déclaré « saint » parce qu’il n’était que victime, a sa crypte du VIe siècle dans l’église de Guimaec (20 cts pour éclairer l’endroit).

Son oncle fait couper à Mélar, 7 ans, poignet droit et pied gauche

L’histoire veut qu’il ait été héritier du comte de Cornouaille, poste convoité par son oncle Rivod. L’odieux frère de son père – après l’avoir assassiné – a donc voulu rendre le gamin inapte à sa fonction. Pour cela, il lui a fait couper tout simplement à sept ans le poignet droit et le pied gauche. Plus d’épée ni de monte à cheval : comment être digne d’un comte ? Mais l’enfant grandit en sagesse – évidemment en monastère – et compense ses handicaps par des prothèses qu’on dit d’argent. Sept ans plus tard, durée symbolique en même temps que maturation pubertaire nécessaire à le rendre héritier, il devient populaire, comme tout persécuté qui relève la tête. Rivod est donc obligé de le faire égorger…

Mélar compense son handicap par des prothèses d’argent

Pour cela, il soudoie le gouverneur du gamin, Kerialtan l’homme nourricier en qui le jeune Mélar avait le plus confiance, comme en son fils qui a son âge. Rivod lui promet en don tout ce qu’il pourra apercevoir du haut du mont Frugy, à Quimper. L’histoire ne dit pas s’il y a souvent du brouillard, mais ce n’est pas impossible : l’oncle est avare et rusé. Son épouse conseille à Kérialtan de mieux négocier. Durant ce temps, elle en profite pour s’enfuir avec Mélar et se placer sous la protection du comte Commor, dont le château est à Lanmeur. Commor est marié avec la tante paternelle de Mélar.

Mélar découvre le poison

Mais Kérialtan et Justan son fils rejoignent le jeune prince, qui est heureux de les revoir. Ce qui ne l’empêchent pas de tenter de l’empoisonner, mais là – ô miracle ! – d’un simple signe de croix le jeune homme reconnaît le poison. Les deux compères, dont l’un a 14 ans, sont donc obligés de l’égorger puis de lui couper la tête comme preuve. Il est désormais inscrit sur l’église de Guimaec que « le crime eut lieu dans une auberge située à l’emplacement actuel du Crédit Mutuel »… Sic transit gloria mundi.

Mélar, 14 ans, décapité par Kérialtan, son copain du même âge

Hâte ou hasard, dont on veut voir la providence divine, Justan l’ado se tue en tombant du château d’où il s’enfuit. Kérialtan a soif et le petit martyr lui fait naître une source, dit-on. Rivod lui donne ce qu’il a promis mais Dieu est décidément au théâtre, deus ex machina, et sur le champ le foudroie. Trop beau pour être vrai, n’est-ce pas ?

Saint Mélar portant sa tête

Mais ce n’est pas tout. Le corps sans tête de l’adolescent doit être inhumé mais, à chaque fois, il s’échappe. Ce n’est qu’en laissant libres les bœufs qui conduisent son sarcophage que le saint « choisit » un lieu, au-dessus duquel on élève une église. Manque encore la tête et la superstition s’en mêle, on se croirait au fin fond du Tibet : après querelles et années, les chefs politiques et religieux des deux comtés voisins (celui de Commor et celui de Rivod) se rencontrent avec les restes de Mélar sur la frontière. Après un jeûne de trois, jours, ne voilà-t-il pas que, sous le regard de l’assemblée en prières, la tête vient toute seule rejoindre le corps décomposé !

Crypte de Mélar sous l’église de Guimaec

Cela suffit-il pour faire un saint ? Que nenni, si l’on en croit le droit canon. Il y faut des miracles plus consistants. Se contenter de subir, même avec la foi, ne suffit pas. Même si le père Méliau était fort croyant et avait élevé son fils dans la croyance en Dieu. Quant aux événements extraordinaires, ils ne sont pas prouvés : une foule voit toujours ce que la majorité croit avoir vu.

Exit donc saint Mélar du calendrier et du dictionnaire officiel. Dommage, c’était une belle histoire. Il reste quand même une église à lui consacrée et quelques bois gravés de sa légende.

Catégories : Bretagne, Religions, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Alix, Enak, amitié érotique

Alix, Enak, deux garçons, deux amis. Deux amants ? C’est plus complexe qu’il n’y paraît. L’aîné protège et éduque le petit, qui le lui rend en fidélité et en présence. C’est le résultat de toute une histoire personnelle pour chacun d’eux. Éros n’est pas philia car l’affectif compte plus que le sexe à l’adolescence. Les deux orphelins Alix et Enak se construisent l’un par l’autre.

Esclave, Alix ne porte qu’un pagne bleu de travail. Ce n’est que lorsqu’Arbacès le rachète qu’il enfile une tunique rouge de citoyen et se chausse de sandales. Quels que soient les vêtements du haut, ce sont les sandales qui, dans les albums, distinguent le civilisé du sauvage ou la liberté de l’esclavage. Les pieds nus touchent le sol, trop proches de la nature ; les sandales sont l’intermédiaire technique qui permet d’aller sans se blesser, conquête de civilisation. Cheveux courts, visage imberbe, le port d’Alix est proprement militaire pour l’antiquité. Dans les derniers albums, il prend l’habitude de porter l’exomide grecque, costume de soldat qui laisse à nu la moitié droite du torse.

Le rouge est la couleur d’Alix, rayonnante, ardente, solaire. Couleur de feu, de sang, de vie, elle projette son éclat alentour et incite à l’action, avec l’enthousiasme de la jeunesse. Les Chrétiens feront du rouge la couleur du diable, des maisons closes et de l’interdit. Arracher sa tunique rouge, comme le font les ennemis d’Alix à maintes reprises, c’est lui arracher sa puissance solaire de citoyen civilisé. Ainsi fera le gladiateur au trident, dans l’arène des ‘Légions perdues’, dans une parodie de viol. Peut-être faut-il y voir une clé de l’éros d’Alix.

Les bourgeois bien-pensants préfèrent de loin les amitiés particulières d’adolescents pensionnaires (qui préparent de solides réseaux sociaux) aux turpitudes avec les filles (qui risquent d’entamer le patrimoine, de dévaluer la marchandise et d’entacher la réputation). Avant 1968, les femmes étaient même interdites de dessin par contrat dans les bandes dessinées destinées à la jeunesse !

Mais il y a évolution au cours des albums. Alix crie « ne me touche pas ! » à la reine Adréa qui veut l’étreindre en 1967 (Le dernier Spartiate).

Mais en 1974, Alix est prêt à succomber avec Saïs (‘Le prince du Nil’), plus encore en 1977 avec Samthô (‘Le spectre de Carthage’).

Il est même prêt à ramener une femme chez lui à Rome en 1978 avec Malua (‘Les proies du volcan’). Enak dissuade Alix de partager son amour, mais 1968 est bien passé par là.

On voit une première fille les seins nus dans un album d’Alix p.42 des ‘Proies du volcan’ ! Alix sera manifestement dépucelé en 1996 par rien moins que Cléopâtre (‘Ô Alexandrie’) durant un bain à deux, tandis qu’Enak est envoyé à côté…

La tunique d’Enak est bleue… quand il en porte une. Son extrême jeunesse supporte mal le vêtement et il aime aller torse nu comme tous les prime adolescents. Son teint lui aurait permis de porter du rouge alors que le bleu va mieux aux blonds. Mais c’eût été au détriment de la symbolique. Le bleu est la plus profonde des couleurs. Le bleu de la nature n’est que vide accumulé : celui de l’air, celui de l’eau. Il symbolise la pureté mais aussi le vide de l’infini. Dans l’héraldique, l’azur est femelle, bleu marial. Enak est la part féminine du couple de garçons, avec ses valeurs définies : émotivité, faiblesse, tendresse, mélancolie, fidélité, bon sens terre à terre. Il a froid, il a faim, il se fatigue, tombe, tremble de fièvre, s’évanouit. Il retient Alix vers l’enfance, alors que le jeune homme mûrit. Cette tension parle aux jeunes lecteurs : ils sont dans le même cas.

Alix rencontre Enak dès le second album. C’est un Égyptien d’une dizaine d’années, aux longs cheveux noirs et à la peau caramel. Il apparaît en pagne bleu comme Alix jeune, assis pleurant sur les marches d’un escalier de la vieille ville (p.20 du ‘Sphinx d’or’). Son développement corporel évolue à mesure qu’il prend de la maturité ; il atteint environ 15 ans dans ‘Ô Alexandrie’. Gamin, il est naïf, joueur, affectueux et n’aime rien tant qu’une main aînée sur son épaule. Enak est orphelin, privé d’amour comme beaucoup de jeunes lecteurs ont l’impression d’être. Il suit Alix comme un chiot suit son maître, suscitant une identification des abonnés au ‘Journal de Tintin’.

Alix l’accepte puis, sur la demande des lecteurs touchés, se l’attache définitivement dans le troisième album lorsqu’Enak revient, fragile et torse nu, pour la seconde fois sans père. Il a un peu grandi, ses muscles se sont dessinés, c’est « un brave petit homme » (p.30 de ‘L’île maudite’) doté d’un beau visage tendre (p.33) et d’un corps ferme, gracieux quand il court (p.56-57).

L’auteur s’agace de ce métèque maladroit imposé par son public et le fait longtemps rabrouer par Alix (‘La tiare d’Oribal’ pp.17, 23, 29, ‘Le tombeau étrusque’ p.27). Le gamin ne fait pas attention, n’obéit pas, trébuche, tombe, s’assomme, obligeant ainsi Alix à l’attendre, à le porter, à le choyer, à venir le délivrer.

Dans ‘Le prince du Nil’, Alix vivra une Passion de Christ pour lui, jeune faux prince « retrouvé » pour piéger César. Gracieux animal sur fourrure (p.31), Enak apparaît malléable, de caractère influençable (p.27), flatté d’être adopté comme descendant royal (p.41). Il se reprendra un peu tard lors des retrouvailles, scène d’amour toute crue (p.45) qui précède l’apocalypse due à la colère des dieux.

N’ayant pu s’en défaire et ayant mis en lumière la part nocturne et faible du garçon, l’auteur fera désormais d’Enak le vrai partenaire d’Alix. Il faut observer le regard tout d’amour d’Enak pour Alix dans ‘Le dernier Spartiate‘ (image ci-dessus). Le jeune garçon secourt l’enfant mendiant Zozinos sans s’écrouler en larmes lorsque le petit expire dans ses bras (‘Le fils de Spartacus’) ; il descend sans peur une falaise abrupte en se tenant aux buissons et il cache Alix assommé dans ‘Le spectre de Carthage’.

Son apogée dure deux albums. C’est un très bel Enak adolescent de 14 ans, aimé de son dessinateur, qui apparaît dans ‘La tour de Babel’ puis dans ‘L’empereur de Chine’.

Il traverse cette dernière aventure torse nu du début à la fin, alors qu’Alix est vêtu d’une tunique grecque et que les Chinois sont habillés de pied en cap. Cela le fait rayonner, le rend plus attachant, poussé par une sensualité vague à laquelle les jeunes lecteurs peuvent s’identifier. Dans cette Chine traversée d’intrigues et de cruelles tortures, cette semi-nudité symbolique d’Enak traduit la conversion du barbare à la civilisation romaine. Celle qui n’a rien à cacher, pas plus le corps que l’âme. D’où la force symbolique du poison qui s’écoule sur sa poitrine nue, sans l’atteindre au cœur, à la fin de l’album.

L’homme nu – comme le dira Simenon – est structuré par une force intérieure qui lui vient de l’éducation. Le prince Lou Kien ne s’y trompe pas, qui tombe amoureux de cette grande santé que lui n’a pas, de cette jeunesse morale et vigoureuse, de cette liberté sereine presque divine.

L’empereur de Chine’ est le double inversé du ‘Prince du Nil’. Enak a grandi dans la lumière d’Alix, il est devenu romain, il a appris à relativiser les faveurs des puissants. Son amour pour Alix est désormais fidèle. Lorsque son ami est soupçonné de complot, dénudé, empoigné, ligoté, jeté dans une cage à demi-immergée (souvenir des prisonniers du Vietcong), Enak plaque le prince qui veut le garder auprès de lui pour courir le sauver. Il se rachète ainsi de sa lâcheté précédente aux yeux des lecteurs. L’auteur s’est pris à l’aimer, lui qui a déclaré qu’on ne dessinait bien que qui l’on aime. Le vocabulaire appliqué à Enak est le même que celui appliqué jadis à Alix : « et c’est l’âme et le cœur déchirés qu’il est reconduit dans le palais » (p.32). Enak doit être enterré vivant tel une bête favorite avec le prince mort de ce qu’il lui a brisé le cœur. Ce qui donne cette scène dessinée étonnante où Enak, a demi-drogué, n’avale pas le poison qui s’écoule sur son menton et sur son torse, sorte de lien post-mortem du prince qui l’aimait trop  et que sa bouche refuse. Alix le sauvera en le portant comme une Pietà.

Si Enak a encore peur dans le noir (‘La tour de Babel’), s’il s’endort parfois sur les genoux d’Alix (‘Le cheval de Troie’), il résout l’énigme égyptienne en faisant fonctionner ses petites cellules grises et donne des conseils à Alix dans ‘Ô Alexandrie’. Corps encore en devenir mais esprit qui s’affirme, le dessin de Jacques Martin exprime à la fois l’idéal grec et la vie qui grandit. La beauté physique est le reflet de la beauté morale : Enak n’était que joli animal dans ‘Le prince du Nil’, surtout ligoté torse nu dans un puits où l’attendent des rats ; il prend la beauté de l’éphèbe dans ‘L’empereur de Chine’. Les corps des garçons sont harmonieux, bien dans leur peau, naturels. Jacques Martin dessinera les filles de même lorsque la bien-pensance le lui permettra, tel Malua, Saïs ou Lidia.

Mais très vite Enak aura quinze ans, corps robuste et âme fidèle. Il sera présenté parfois tout nu ou couché tout à côté de son aîné. D’où l’introduction de plus en plus manifeste des filles, amoureuses souvent d’Alix mais parfois tentées par Enak, plus « mignon » selon le standard asiatique. Quinze ans, c’est l’âge légal des amours autorisés par la loi. Jacques Martin ne fait que suggérer, c’était dans les mœurs antiques, mais l’âme compte plus que la chair en catholicisme – à la suite des Grecs antiques. L’amitié des deux garçons peut fort bien rester « platonique », rien ne s’y oppose, ni l’antiquité, ni la loi, ni l’auteur. L’érotisme est souvent dans l’œil des lecteurs adultes, pas dans celui des adolescents. Cette ambiguïté fait le charme des albums.

Pour une synthèse des aventures d’Alix, voir ‘Alix Orphelin du 21 janvier‘ sur ce blog.

Dessins de Jacques martin tirés des albums chez Casterman :

Tous les Alix chroniqués sur ce blog

Catégories : Alix, Bande dessinée | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Paul Doherty, Le porteur de mort

Nous sommes en 1304 dans l’Essex. Saint-Jean d’Acre – dernier bastion chrétien en Terre sainte – est tombée aux mains des musulmans quelques années plus tôt. Le donjon des Templiers a résisté le dernier avant que les survivants soient tous massacrés, sauf les jeunes filles et les garçons de moins de 15 ans, voués aux plaisirs et lucratifs sur le marché aux esclaves. A Mistelham dans l’Essex, en ce mois de janvier glacial, le seigneur du lieu s’appelle Scrope ; il est l’un des rares à avoir échappé à la prise d’Acre. Il s’est servi dans le trésor templier avant de s’évader en barque avec ses compagnons anglais dont Claypole, son fils bâtard et un novice du Temple.

Mais justement, il a volé le Sanguinis Christi, une croix en or massif ornée de rubis enfermant le sang de la Passion et enchâssés dans du bois de la vraie Croix, dit-on. Les Templiers veulent récupérer ce bien tandis que Scrope l’a promis au roi Édouard 1er d’Angleterre qui l’a fait baron et l’a bien marié. Voici que des menaces voilées sont proférées par rollet contre Scrope tandis qu’une bande d’errants messianiques établis sur ses terres pratiquent l’hérésie et la luxure. Le roi, dont le trésor de Westminster a été pillé par une bande de malfrats particulièrement habiles (fait historique !), ne veut pas que le Sanguinis Christi lui échappe.

Il mande donc sir Hugh Corbett, chancelier à la cour, pour enquêter et juger sur place au nom du roi. Il sera accompagné de Chanson, palefrenier, et de Ranulf, formé au combat des rues par sa jeunesse en guenilles et que Corbett a sauvé jadis de la potence. Le trio débarque donc au manoir de Scrope, muni des pleins pouvoirs de la justice royale. Lord Scrope est sans pitié, il aime le sang ; sa femme Lady Hawisa est frustrée, il la méprise ; sa sœur Marguerite est faite abbesse du couvent voisin ; lui est adjointe un chapelain, maître Benedict ; Henry Claypole, orfèvre et bailli de la ville, est le bâtard dévoué de Scrope ; le père Thomas, curé de la paroisse, est un ancien guerrier ; frère Gratian, dominicain, est attaché au manoir.

Qui sont ces Frères du Libre Esprit, que Scrope a fait passer par les armes un matin, pour complot et hérésie, dans les bois de son domaine ? Une bande d’errants hippies rêvant de religion libérée de toute structure et hiérarchie, adeptes de l’amour libre et de la propriété communiste ? Trop jolis blonds à la peau lisse venus de France ? Artistes habiles à la fresque et à chanter ? Pourquoi donc aiguisaient-ils des armes sur la pierre tombale d’un cimetière abandonné ? Pourquoi s’entraînaient-ils au long arc gallois dont les flèches sont mortelles à plus de 200 m ? Depuis quelques mois, un mystérieux Sagittaire tue par flèche un peu au hasard dans le pays, après avoir sonné trois fois la trompe. Qui donc est-il ? De quelle vilenie veut-il se venger ?

Ce seizième opus de la série Corbett est très achevé. L’intrigue est complexe à souhait, comprenant comme il se doit un meurtre opéré dans une pièce entièrement close sur une île entourée d’un lac profond sans autre accès que par une barque bien gardée. Il y a du sang, beaucoup de sang ; un passé qui ne passe pas, des péchés commis qui poursuivent les vivants ; des instincts qui commandent aux âmes, aiguillonnés par Satan. Nous sommes dans le froid britannique entre James Bond et Hercule Poirot, entre l’action et l’intrigue, la dague et le poison. Nightshade (le titre du livre en anglais), c’est l’ombre de la nuit, la noirceur des âmes mais aussi le petit nom de la belladone, cette plante mortelle ingérée à bonne dose. Whodunit ? Qui l’a fait ? C’est à cette éternelle question des romans policiers que Corbett doit répondre, aussi habile à démêler les passions humaines qu’à agiter ses petites cellules grises.

Paul Doherty, Le porteur de mort (Nightshade), 2008, poche 10/18 janvier 2011, 345 pages, €8.17

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,