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Haruki Murakami, Les attaques de la boulangerie

haruki murakami les attaques de la boulangerie

Par deux fois, les personnages de Murakami attaquent une boulangerie. Ils reproduisent par l’absurde cet « impôt révolutionnaire » tellement à la mode dans les années 1970, sur l’exemple de Staline dans la Russie des tsars finissants. Mais les banques sont ici remplacées par les producteurs de pain et les patrons sont soit communistes, soit étudiants précaires d’une grande chaîne.

Les attaquants sont jeunes. A 18 ans, ils ne veulent pas travailler et ont faim. Ils veulent se bourrer de pain – seulement de pain – sans rien payer. Ils s’avancent donc avec un long couteau – non plus entre les dents comme les cocos rouges – mais derrière le dos. Une invraisemblable vieille hésite à choisir sa marchandise, repose et reprend, faisant bouillir les activistes affamés – mais ils ne veulent pas se faire une vieille. On avait de la pudeur dans la jeunesse gauchiste japonaise.

Et puis flop ! Le patron leur permet de manger tout le pain qu’ils veulent… Sans rien payer ? Sans un sou, oui, puisqu’ils ont faim, mais pas sans rien en échange. Une petite malédiction, peut-être ? Brrr, non, plutôt écouter du Wagner. Ce musicien connoté nazi (bien qu’il fut mort bien avant Herr Hitler), est adoré du patron communiste – contradiction bien réjouissante que n’hésite pas à accentuer Murakami. Les deux jeunes sont obligés d’écouter Tristan et Isolde durant deux heures. Leur âme en est-elle changée ?

C’est ce à quoi s’attaque la seconde nouvelle, publiée cinq ans plus tard et reprise en français dans L’éléphant s’évapore. L’un des héros s’est marié et s’éveille en pleine nuit, tout comme sa femme, affamé. Évidemment rien dans le frigo, que quelques bières (vite descendues), deux oignons fripés, du beurre et du désodorisant. Que faire ? Lénine en a écrit tout un ouvrage, Chto dielat ?,  mais les deux jeunes un peu moins jeunes décident d’aller braquer une nouvelle boulangerie après que le mari eut raconté à son épouse ce qu’il l’avait fait à 18 ans.

Sauf que les boulangeries en pleine nuit, dans Tokyo, sont fermées : qui aurait l’idée d’acheter du pain avant le matin ? La femme prend alors les choses en main, soupçonnant que la fringale qui les tient résulte de cette obscure malédiction jadis sur son mari, plus ou moins formulée, en tout cas wagnérisée. Elle choisit ce qui se rapproche le plus d’une boulangerie : un bon vieux Mc Donald’s, ouvert 24 h sur 24, tenu par des étudiants et des employés prolétarisés.

Un pistolet exhibé à bon escient (dont on ne sait d’où il vient…) fait emballer trente burgers et ligoter les trois employés, tandis que deux clients, aussi jeunes que les braqueurs de jadis (et peut-être leurs fantômes), dorment lourdement sur une table. La faim est apaisée, la malédiction éradiquée. Le narrateur s’en aperçoit lorsqu’il ne voit plus en imagination un volcan sous la surface de la mer, lorsqu’il se penche de sa barque imaginaire. Métaphore de l’existence (la barque), de l’incessant changement (l’eau), de la menace qui pèse (le volcan) ?

Voici en tout cas deux allègres et mystérieuses nouvelles qui se lisent d’un trait, illustrées en vert et or sans que l’on perçoive souvent le rapport avec le texte, mais agréables à regarder. Il y a de la magie dans le surgissement des choses chez Murakami ; le dessin l’accentue. Les éditions de poche 10-18 explorent ce genre minimaliste à images pour les petits lecteurs vite zappeurs qui ont besoin de poser les yeux sur une illustration pour ne pas être sans cesse tentés d’aller voir leur Smartphone. Pourquoi pas ? Tout n’est pas bon à éditer, mais certaines nouvelles de Murakami s’y prêtent admirablement. Ce fut le cas de Sommeil, chroniqué sur ce blog.

Et le livre, malgré son prix modique, peut faire un cadeau de luxe pour un ami branché ou une mamie lettrée. Il se classe dans le genre livre-objet avec sa couverture rigide et son papier glacé, plus que dans le genre texte littéraire.

Haruki Murakami, Les attaques de la boulangerie (nouvelles), 1981 et 1985, 10-18 2013, illustrations de Kat Menschik, 75 pages, €7.98

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Christian Salmon, Storytelling

christian salmon storytelling

Le storytelling est l’art de raconter des histoires. Ou plutôt de mettre en récit un produit, une entreprise, un personnage, une guerre, une politique… Il n’est pas anodin que cette nouvelle façon de présenter les choses soit apparue au début des années 1990, alors que l’Internet prenait son plein essor. La lecture écran engendre d’autres habitudes que la lecture papier : survol, attirance pour les images, les résumés, les messages courts, zapping, activisme de l’hypertexte.

L’exposé exigeait, avant Internet, d’être logique et de convaincre par la raison. L’exposé a désormais laissé la place au conte. Ce n’est plus la logique qui est sollicitée, mais la passion, les instincts. La faculté de raison ne vient qu’ensuite, à la fin, comme happy end : bon sang, mais c’est bien sûr ! L’entrepreneur, le commercial, le financier, le politicien, le propagandiste vont convaincre en racontant des histoires. Ce peut être bon ou mauvais, suivant que l’on met en conte une réalité où que l’on raconte des craques. Christian Salmon, chercheur sur le langage au CNRS, analyse ici les deux faces du nouveau paradigme.

Tout commence avec les entreprises, dont la fonction est de vendre. La publicité, hier centrée sur le produit, se consacre désormais à produire des histoires sur les produits, des images de la marque. Car il faut donner envie à des clients de plus en plus imprévisibles et volages, du fait de la société tout entière. Le changement s’accélère parce que la technologie court devant, que les pays sous-développés émergent, que l’emploi exige de s’adapter et de bouger. Une interaction se forme entre l’infrastructure matérielle de l’existence et la superstructure du comportement et des idées sur le monde. Comme toujours, les États-Unis sont en avance, ils montrent la voie. Les consommateurs deviennent des participants.

Dès l’année 2000, le marketing « n’a plus seulement pour ambition de promouvoir les bienfaits de la société de consommation, il veut produire une société nouvelle, un autre monde » p.40. Les clients citoyens ont autant besoin de croire en leurs marques et en leurs politiciens que les Grecs à leurs mythes. Apple, Microsoft ou Facebook sont des religions, dont les croyants sont les plus zélés prédicateurs. Tout politicien ambitieux sait qu’il vaut mieux mettre en récit les valeurs que parler du programme. L’idéologie, cette fabrique de mythes, est aux anges – et les communicateurs aux manettes.

C’est George W. Bush avec Carl Rowe qui inaugure la série, le président Reagan en précurseur. En Europe, Tony Blair et Nicolas Sarkozy vont reprendre avec succès la méthode. Nous pouvons même aller jusqu’à penser que si la popularité de François Hollande est si basse, c’est parce qu’il use encore de la vieille communication du temps de Mitterrand, sans mise en récit de son action, sans un beau conte distillé pour la politique de son gouvernement.

Évidemment, Ésope le disait déjà, la langue est la meilleure et la pire des choses. Il en est de même pour le storytelling. Cette technique de mise en dynamique d’un message, du passage de chiffres ou d’arguments à une belle histoire émotive et entraînante, peut dériver vers la manipulation. Ce fut le cas pour la guerre en Irak, où le conte du Bien et du Mal a été actionné avec l’accusation fausse des armes de destruction massive. Ce fut le cas pour la politique avec l’industrie du mensonge, l’infotainment (information-divertissement) et la création de sa propre réalité – détachée du réel.

Le divorce entre les citoyens et leurs politiciens n’a jamais été aussi grand parce que le storytelling a été utilisé à outrance, suscitant aussitôt son antidote : la désintoxe, la déconstruction, le persifflage, voire la théorie du complot. En revanche, les marques s’en sortent plutôt bien, entre saga et conte de fée.

L’art de raconter des histoires est au cœur du lien social. On ne fait société que par le symbolique, dont les mythes sont les grands vecteurs. Tout politicien avisé fait du storytelling sans le savoir, comme De Gaulle avec le mythe de « tous résistants », Sarkozy avec « travailler plus pour gagner plus », Mélenchon avec « place au peuple » ou Le Pen fille avec « la voix du peuple, l’esprit de la France ». Ces messages totalitaires, qui sollicitent les instincts et les passions plus que la raison, mettent la politique cul par-dessus tête. Wagner voulait un opéra total, comme l’était selon Nietzsche la tragédie grecque – ou comme les religions du Livre le veulent en leurs messes et prédications. Il s’agit de faire taire la faculté de raison pour fusionner le collectif en groupe manipulable, selon cette psychologie des foules si bien instrumentée au XXe siècle.

Un bon petit livre pour comprendre, donc agir, dans la société du spectacle.

Christian Salmon, Storytelling – la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, 2008, La Découverte poche, 251 pages, €9.03

L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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Leonarda et la secte morale qui pourrit la gauche

Ce n’est pas le premier exemple, mais le plus emblématique : une famille rom kosovare ayant épuisé tous les recours du droit, est expulsée selon les lois en vigueur. On peut certes contester le fait que la police fasse irruption dans un voyage scolaire pour emmener une jeune fille devant ses camarades, mais la loi est la loi. Pourquoi l’avoir votée ou soutenir le gouvernement de gauche qui l’applique en toute connaissance de cause, si c’est pour s’élever contre ? Pourquoi avoir abrogé une circulaire Sarkozy – par ce qu’elle émanait de Sarkozy – qui enjoignait aux préfets d’éviter ce genre d’arrestation ?

C’est alors la mise en branle des grosses caisses médiatiques des « lycéens et collégiens » en grève dans les beauxbos quartiers parisiens – quelques milliers seulement, notons-le – sur des centaines de milliers. Lycéens et collégiens que la gauche morale loue d’être quasi adultes en manifestant contre « le racisme » des expulsions d’immigrés illégaux – mais à qui elle applique le terme « d’enfants » quand il s’agit de Leonarda. Est-on vraiment « enfant » à 15 ans, âge de la jeune fille ? Peut-on célébrer la maturité des grévistes de 15 ans et refuser la maturité à des élèves de 15 ans face aux réalités légales d’une expulsion ? « Sanctuariser l’école » est quelque chose de ce déni. La gauche morale veut protéger les mineurs jusqu’à les infantiliser ; ne sait-on pas qu’en Autriche et dans quelques autres États, les mineurs de 16 ans ont le droit de vote citoyen ? Tollé en France contre cette idée. Pourtant le monde a changé – mais la gauche morale (comme les cathos tradis) refuse de l’accepter. Cachez ce sein que je ne saurais voir ! Qu’on applique la loi, mais loin des yeux et du cœur !

Doisneau 1978 Paris Rivoli les tabliers

Quelle hypocrisie… Les médias se frottent les antennes, jouissent de tous leurs canaux, ça fait du buzz, de l’info, coco ! Peu importe la loi, l’émotion suffit, la désinformation aussi : ne pas confondre Leonarda Dibrani (née soi-disant en Italie : mais où sont les preuves ?) avec Leonardo di Caprio, acteur glamour qui périt dans le naufrage d’une Europe à la technique trop sûre d’elle-même. La gauche morale en profite pour attiser ces divisions qui font le sel de la politique française et les désastres habituels des élections. Continuez, moralistes de gauche, vous aurez Le Pen en première ligne dans les votes en série de l’an prochain !

Mais après tout, cela vous conviendrait sans doute ? Enfin le Mal incarné, le Fascisme établi, vous pourriez vous draper dans la grande Morale pour faire la leçon à tout le monde, comme vous aimez si bien le faire. Car vos idées émotionnelles sont respectables, mais doivent être discutées : vous n’avez pas le monopole du Bien, ni celui du Juste. La démocratie est un forum où tout est sur la table, débattu en commun. Vous n’êtes ni plus dignes, ni meilleurs que les autres, même ceux qui votent Le Pen. Chacun a le droit de s’exprimer et les idées sont souvent le masque d’autres intérêts. N’est-ce pas votre idole préférée, Karl Marx, qui a mis ce phénomène au jour ?

Votre antiracisme, votre pitié pour les expulsés illégaux (et dans le cas Leonarda d’un père violent qui refusait tout travail), votre agenouillement devant les immigrés, nouveaux prolétaires de votre avenir radieux – tout cela est de l’idéologie. Le communisme s’étant effondré avec les réalités soviétiques, maoïstes, castristes et polpotienne, vous avez du trouver une nouvelle religion en urgence. Pourquoi pas l’antiracisme ? Ce terme vague accumule tout ce qui est impérialisme, colonialisme, exploitation, mépris… Bien sûr que nous sommes contre le racisme, tout comme vous – mais pas comme vous. Car il est votre illusion de faire de la politique, alors que vous ne faites RIEN. Cet opium du peuple de gauche permet d’enfumer les citoyens tandis que les VRAIS problèmes sont ailleurs : dans le chômage, la désorganisation de la dépense publique, l’empilement des bureaucraties parasites, l’excès d’impôts et de règlementations qui tuent l’initiative, la fuite des entreprises. Mais contre ces maux, vous ne vous indignez pas.

Agiter la morale sur l’expulsion d’une illégale de 15 ans, c’est médiatique, ça fait un « beau » sujet émotionnel – mais c’est politiquement superficiel et médiatiquement épidermique. Qui parlera encore de Leonarda après Noël ? La télé a besoin de sujets sans cesse nouveaux et de héros sans cesse plus sexy. Votre morale antiraciste masque votre absence de tout projet politique pour la cité. Vous vous contentez de crier votre indignation, mais que votez-vous de concret pour le bien-être de vos concitoyens ? Que proposez-vous pour intégrer les Roms, pour accueillir votre part de la misère du monde – mais pas toute ? Vous restez dans le show médiatique, votre antiracisme est un divertissement de la société du spectacle. Rappelons que, dans la société du spectacle, les citoyens ne sont plus acteurs mais spectateurs. Il leur faut alors des illusions d’agir pour le Bien alors qu’ils n’ont aucune prise concrète sur la réalité des rouages de pouvoir et des privilèges sociaux existants. L’industrie du show les amuse pour qu’ils laissent la paix aux vrais décideurs.

Le progrès moral aurait-il remplacé le progrès social ? Le profond désir de sécurité d’une génération soixantuitarde vieillissante, qui a raté sa révolution et s’en veut, engendre dans les faits une bureaucratisation d’État, l’exigence de garantie des statuts et de l’emploi, les corporatismes, la peur de tout changement. La moraline de gauche est l’impérialisme médiatique de l’indignation. C’est-à-dire, au fond, une impuissance masquée sous les grands mots, le masque idéologique de la réalité des privilèges jacobins, des zacquis menacés. Car la jeunesse se lève, moins grandiloquente et nettement plus pragmatique, nourrie des techniques de l’information et de la communication depuis tout petit, nageant dans la globalisation comme vous n’avez jamais su le faire, bobos confits dans votre génération gâtée.

Nous écoutons les gémissements de l’impuissance, et nous sommes effarés. Ces jobs perdus sur le fumier de la répugnance à s’adapter, ce refus de la productivité exigée d’un tiers-monde qui émerge, n’est-ce pas cela qui est à réformer plutôt que faire revenir tous les illégaux expulsés selon toutes les voies du droit ? Que vaut le droit s’il est sans cesse bafoué par les indignations partisanes ?

La gauche morale apparaît comme une secte nuisible à la gauche apte à gouverner. L’on s’étonne que le Président lui ait fait une concession cynique en autorisant « pour raison d’humanité » la seule Leonarda de 15 ans à revenir à l’école en France – mais pas sa famille. Quelle est cette nouvelle religion morale qui impose ainsi son émotion à la loi ? N’est-ce pas dévaloriser la citoyenneté que d’affirmer souverainement qu’il y a de grands mots émotionnels au-dessus des lois rationnelles ? Et si c’est le cas, pourquoi avoir vilipendé et méprisé ceux qui manifestaient contre le mariage gai ? Eux aussi se battaient pour que la loi reste inférieure aux convictions de leur religion – ce qui n’est pas notre idée. Ou pourquoi avoir défendu la loi contre le voile dans les lieux publics, puisque c’est par une conviction semblable au-dessus des lois humaines, que les filles se couvrent la tête ? « Écrasez l’infâme ! » disait Voltaire lors de toute intervention. Il visait les curés ; nous visons aujourd’hui la gauche morale, intolérante, sectaire, qui veut imposer sa conception du Bien à toute la société via les amuseurs à son écoute.

Nous sommes de ceux qui préfèrent les sociétés pour lesquelles l’opposition est un service public et non un crime moral. Car la moraline fait le lit de l’agacement, et l’agacement fait le vote extrémiste. A trop vouloir imposer son idéologie, le risque est de voir renverser la table.

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Maître Kong dit Confucius

Etiemble Confucius

Il y a un demi-siècle Etiemble, professeur de chinois, écrivain et traducteur, commit un livre sur Confucius, réédité en 1985 en Folio. De l’homme, on sait peu de choses sinon que les Jésuites en Chine latinisèrent son nom de Kong Fuziu en « Confucius ». Il a vraiment existé mais n’est pas l’auteur de toutes les œuvres qu’on lui attribue. Il est né autour de 551 avant notre ère et mort à peu près vers – 479. Moraliste à la manière de Montaigne son successeur de 2000 ans plus tard sans le connaître, il a pensé une période semblable aux guerres de religions françaises. Car de – 591 à la fin officielle des Tcheou au 3ème siècle avant, la Chine n’a connu que des conflits entre chefferies. Sage et non prophète, Confucius est l’auteur d’essais que l’on connaît sous le titre d’Entretiens familiers.

Dans la Chine de cette époque, on ne pouvait être que noble ou esclave. Les nobles sans terres, amenuisées par les partages successifs, ne pouvaient que se faire lettrés et conseiller les princes. Confucius fut l’un des derniers et le plus flamboyant de cette lignée de clercs. De bonne naissance mais pauvre et orphelin, il n’avait que 17 ans lorsqu’un grand officier sur le point de mourir l’institua maître de son fils. « On le chargea de l’intendance, dès lors les comptes furent exacts. On le chargea du bétail, dès lors le cheptel prospéra » p.64. Car l’essentiel, pour Kong, est la vertu.

Certes, les hommes n’en sont pas remplis mais « les oiseaux et les bêtes sauvages, nous ne pouvons nous associer à eux ni vivre en leur compagnie. Si je ne fréquente pas les hommes tels qu’ils sont, avec qui frayer ? » p.65. La base est de bien définir les mots du discours, pour bien comprendre et bien être compris. En effet, « dénominations incorrectes, discours incohérents ; discours incohérents, affaires compromises ; affaires compromises, rites et musique en friche, punitions et châtiments inadéquats (…) le peuple ne sait plus sur quel pied danser, ni que faire de ses dix doigts » p.69. Nos politiciens pourraient utilement s’inspirer de ces conseils de bons sens lorsqu’ils prononcent leurs discours ou qu’ils élaborent la loi. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. De plus, si l’on se dit « souverain », « ministre », « père », ce sont autant de noms qui engagent comme la noblesse oblige. Il n’y a de vertu que dans la droiture de l’intention et la pureté du cœur. Cela se manifeste par la civilité, le premier des rites, qui est respect pour autrui autant que pour soi-même.

L’homme n’est pas un être idéal mais un naturel que l’on éduque par l’exemple plus que par les conseils. Le recours aux anciens permet de tourner les croyances et les manies, mais c’est bien l’homme présent qui doit réfléchir par lui-même et agir. « Parce que je suis maître de moi, je suis maître de l’univers, ou digne de le devenir. Qui veut gouverner doit d’abord se gouverner ». Car tel est la sagesse : on ne change pas le monde par décret, non plus que le peuple, ni les comportements. On ne peut commencer que par ce qui est à notre portée. En premier par soi-même (ce pourquoi François Hollande a entrepris un régime amaigrissant avant les élections). Seul le maintien d’une bonne santé, puis l’exemple de la vertu permettront, de proche en proche, de changer comportements, hommes et monde. Tout le reste n’est qu’utopie dans son sens maléfique d’idéal inaccessible, donc d’alibi pour – surtout – ne rien faire. Si nos « alter » en politique veulent changer quoi que ce soit, ils doivent commencer par comprendre le monde, puis eux-mêmes, enfin donner l’exemple. La première vertu est de donner un modèle. Par sa réussite « exemplaire », les convictions se feront et le monde pourra suivre. Ce n’est pas l’inverse qui est vrai.

Confucius médaille

Ne jamais désespérer de l’homme, dit Confucius, mais aimer comme haïr avec discernement. Point de juste milieu mais le « milieu juste », tel la flèche tirée au centre de la cible et pas à côté. Pour cela respecter, écouter, étudier avant de dire et d’agir. « L’homme de qualité n’est pas un spécialiste » p.107 Mais il est amateur de tout et il s’enquiert. L’homme vulgaire ne pense qu’à son bien-être et à son intérêt, tandis que celui qui aspire à l’équité s’ennoblit. Sa récompense est la paix du cœur et de l’esprit en voyant se diffuser la justice et le bonheur qui va avec autour de lui. Pas besoin de dieux pour injonction ou pour sanction, l’homme suffit qui est semblable à nous, un frère.

« Tout passe comme cette eau ; rien ne s’arrête, ni jour, ni nuit » p.115 – et l’homme de qualité imite ce mouvement, cette fluidité de l’intelligence (qui est faculté d’adaptation) dans le changement incessant des choses (qu’on ne peut immobiliser). L’homme de qualité vit dans le temps, avec son temps, sans regretter un mythique âge d’or ni se consoler dans un quelconque avenir radieux. Ce qu’il faut changer est ici et maintenant, avec les hommes tels qu’ils sont et les rapports de force présents. Pour guide, le sage a la « raison raisonnable et non point rationaliste, et nullement ratiocinante » p.129 : point de technocratie ni de foi aveugle dans le seul « calculable », point de coupage de cheveux en quatre idéologique pour noyer le poisson. La justice exige le bon sens, la voie juste, un regard étendu et l’écoute de tous, même si la décision est une. Dialectiquement, elle se situe « après ».

Confucius entretiens

« Les anciens, qui désiraient que la terre entière resplendit de la resplendissante vertu, commençaient par bien gouverner leur principauté.

« Comme ils désiraient bien gouverner leur principauté, ils commençaient par mettre en ordre leur famille. Comme ils désiraient mettre en ordre leur famille, ils commençaient par se perfectionner eux-mêmes.

« Comme ils désiraient se perfectionner eux-mêmes, ils commençaient par régler leur cœur.

« Comme ils désiraient régler leur cœur, ils commençaient par purifier leurs intentions.

« Comme ils désiraient purifier leurs intentions, ils commençaient par étendre leur savoir » p.137.

Tout maître Kong est là – et tout est dit. Il sert de grand exemple aux Chinois d’aujourd’hui. Et les vaniteux intellos et politiciens français pourraient en tirer des leçons d’humilité au lieu de donner des leçons de socialisme et de démocratie au monde entier.

Etiemble, Confucius, Folio essais, 1986, 320 pages, €3.49

Confucius, Entretiens, Folio2€, 2005, 144 pages, €1.90

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Yasunari Kawabata, Nuée d’oiseaux blancs

Voici le roman japonissime de Kawabata, où tous les ingrédients sont là : la sexualité libre, la tradition du thé, l’esthétique des choses, la sensibilité aux plantes et aux éléments, l’existence torturée par ce qui est convenable ou pas, le destin qu’on subit ou choisit.

Kikuji est un jeune homme incertain, la trentaine. Ses parents sont morts et il se souvient, enfant, de la maîtresse de son père, Chikako. Âgé de 8 ans, il l’a surprise en train de se couper les poils d’une tache de naissance au-dessus du sein gauche. Adulte, il garde de la répugnance pour ce corps de maîtresse, entaché d’une sorte de tare morale. Il faut dire que dame Chikaku est une langue de vipère, volontiers manipulatrice. Ne voila-t-elle pas qu’elle veut marier le jeune homme ? L’entremise est une tradition japonaise, mais l’auteur et personnage se révolte à l’idée d’obéir aux traditions sans avoir rien à dire.

couple japon

Il est plutôt attiré par une autre, Fumiko, la fille d’une seconde maîtresse de son père, Madame Ota. Il est séduit par la grâce de la jeune fille, mais cède à l’admiration naïve et au désir physique de la mère. Celle-ci voit-elle le fantôme rajeuni de son ex-amant dans le fils ? Par honte, elle se suicide ; peut-être pour ouvrir la voie à sa fille qui a bien aimé quand elle était enfant l’amant de sa mère.

D’où un couplet sur le suicide, que l’auteur commettra lui-même en 1972, à 72 ans. « Mourir, c’est refuser toute compréhension, et pour toujours, de la part des autres. Nul ne peut plus comprendre les actes d’un mort ; personne n’est jamais plus en mesure de les excuser » (Eschino, II). Mourir, c’est figer le temps ; dire non à la vie mais aussi au destin ; refuser les traditions qui obligent, mais aussi obéir aux traditions dont le suicide fait partie. Sembazuru – le titre japonais du roman – est la cocotte en papier, métaphore du destin qui plie les êtres à sa volonté, mais aussi de la dérision du destin qui aboutit à ne faire qu’un oiseau artificiel…

Tout se passe dans le rituel. Les cérémonies du thé se succèdent, en groupe ou à quelques intimes. Tout est bon : célébrer l’anniversaire de la mort du père, l’arrivée du printemps, la promesse de mariage… Tout est blanc, symbole de lumière – et de mort en Asie. Car l’existence a pour but de faire émerger l’âme à la lumière, le lotus bouddhique émerge de la fange au grand soleil des mares. Mais une fois la lumière atteinte intervient le nirvana, la fusion dans le grand Tout, lumière de la lumière. D’où l’idée qu’au fond, tout se vaut : le père, le fils ; la mère, la fille. Les amours croisés ne sont que la conséquence de ces liens intimes entre les êtres. Seule l’entachée Chikako est exclue. Ce qui la rend acerbe et démoniaque ; elle tente d’influer sur le destin en s’imposant et mariant.

Mais n’est pas dieu qui veut : elle échoue. Le roman laisse dans le vague l’avenir de Kikuji et de Fumiko. Le lecteur optimiste peut croire qu’ils vont enfin se marier, relier ce qui devait l’être de toute éternité. Mais rien n’est sûr car tout est changement dans ce monde. C’est ce qui fait l’inquiétude métaphysique des romans de Kawabata. Et l’universalité de la littérature japonaise.

Yasunari Kawabata, Nuée d’oiseaux blancs (Sembazuru), 1949, traduit du japonais par Bunkichi Fujimori, éditions Sillage 2009, 192 pages, €12.83

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Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances

paul kennedy naissance et declin des grandes puissances

Voici en poche une remarquable histoire du temps long de la modernité, qui commence vers la Renaissance pour se terminer avec le XXe siècle. Paul Kennedy offre le meilleur des historiens anglo-saxons : la clarté, la synthèse, les faits. Peu d’analyse de la pensée dans ce livre d’histoire – ce qui vexe les intellos ; peu d’analyse des innovations scientifiques et techniques – ce qui vexe les économistes férus de cycles longs ; peu de portraits de grands hommes et de psychologie des rois et capitaines – ce qui vexe les historiens classiques. Mais justement ! Cet autre regard est d’une fraîcheur qui renouvelle l’histoire. Il s’attache aux mouvements de fond qui emportent les individus comme les volontés.

Les thèses défendues dans ce livre, immédiatement célèbre dès sa parution (sauf en France) sont :

1/ « Il existe une dynamique du changement, alimentée principalement par l’évolution de l’économie et des techniques, qui influe sur les structures sociales, les systèmes politiques, la puissance militaire et la position des États et des empires » p.686.
2/ Les évolutions inégales de la croissance, des innovations et de leur réception font le progrès ou la régression des uns et des autres en termes de « puissance militaire et de position stratégique relative des principaux États » p.687.
3/ « La prospérité économique ne débouche pas toujours ni immédiatement sur l’efficacité militaire, car celle-ci dépend de beaucoup d’autres facteurs, qu’il s’agisse de la géographie, de l’état moral de la nation ou de la qualité des officiers supérieurs et de la compétence tactique » p.687. Pas de causalité mécanique, comme les marxistes croyaient mais l’humain relativement autonomes des grandes forces qui le dépassent. L’auteur montre « trois grandes catégories de causes distinctes mais solidaires : d’abord les transformations de l’infrastructure productive industrielle et militaire (…) ; ensuite les facteurs géopolitiques, stratégiques et socioculturels (…) ; enfin les transformations diplomatiques et politiques » p.326.

C’est ainsi que l’Allemagne n’est pas devenue nazie parce que les gros industriels capitalistes trouvaient en Hitler un moindre mal pour leurs profits égoïstes, mais surtout parce que « pour l’essentiel, le programme de politique étrangère des nazis s’inscrit dans la continuité des ambitions qui habitaient auparavant les nationalistes et l’armée supprimée par le traité de Versailles » p.485. C’est donc tout un pays qui a poussé l’exacerbation nationaliste d’un Hitler au pouvoir, surtout après l’échec de la République de Weimar, démagogique et impuissante. En face, l’abandon français : « Très affectée par les pertes de la Grande guerre ; déprimée par une série d’échecs et de déceptions économiques, divisée par les problèmes de classes et idéologiques qui s’aggravent encore à mesure que les hommes politiques essaient vainement de faire face aux dévaluations, à la déflation, aux quarante heures, à l’augmentation des impôts et du réarmement, la société française souffre d’un fléchissement sévère du tonus et de la cohésion nationale au cours des années 30 » p.498. De bons avions, mais pas assez (et c’est le Front populaire qui augmente la production), de bons chars, mais dispersés, un plan stratégique vieilli, des chefs militaires sans audace ni initiative… c’est tout cela qui fait la différence en mai 1940.

« Une supériorité indiscutable du matériel militaire et, plus généralement, de la productivité économique n’implique pas automatiquement l’efficacité militaire » p.636, les États-Unis le vivront lors de la guerre du Vietnam. Inversement, des capacités de production moindres (comme celles des nazis en 1943 face à l’URSS) n’empêchent pas des prouesses tactiques. Ou un manque de matières premières, sur l’exemple du Japon après 1945.

Le ‘miracle japonais’ est l’occasion pour l’historien de pointer ce qui a marché – une vraie leçon d’histoire économique et stratégique pour l’équipe Hollande ! Volonté, éducation, pilotage colbertiste, encouragement à la technique et à l’entreprise, morale du travailler plus, fiscalité favorable à l’épargne. En gros, tout ce qui manque cruellement sous Chirac et Hollande et qui n’est absolument pas « la faute des autres ».

« Une des raisons majeures en est la volonté farouche d’obtenir une qualité supérieure en empruntant aux Occidentaux et en perfectionnant leurs techniques de gestion et leurs méthodes de production les plus modernes. Le Japon a récolté les fruits d’une politique nationale d’éducation vigoureuse et exigeante, et il a eu la chance de posséder un grand nombre d’ingénieurs, de fanatiques d’électronique et d’automobiles, et de petites entreprises dynamiques qui complètent les zaibatsu géants. La morale collective favorise le travail dur et la loyauté envers l’entreprise, et l’on s’efforce d’atténuer les différences entre cadres et ouvriers par un mélange de compromis et de déférence. (…) Mais c’est sans doute plus encore grâce aux politiques fiscales d’encouragement à l’épargne individuelle qui ont permis d’accumuler des fonds disponibles pour l’investissement. Enfin, le Japon doit beaucoup au MITI (ministère du commerce international et de l’industrie), qui a contribué au développement de nouvelles industries et de nouvelles technologies tout en coordonnant le retrait en bon ordre d’industries vieillissantes en perte de vitesse, et qui a opéré dans un esprit radicalement différent du laisser-faire américain » p.654.

Seule la toute dernière partie, « Vers le XXIe siècle » a vieilli, ce qui est normal pour un chapitre de prospective lu une génération après. Mais l’auteur a bien détecté les principaux problèmes : l’envol de la Chine, le déclin de l’URSS (qui allait s’effondrer en 1991), le maintien de la puissance mondiale américaine mais au risque de la « surexpansion impériale » p.804, l’effritement européen dû aux désunions et aux surcoûts nationaux malgré l’union douanière. Et pourquoi avoir repris en 2012 la préface de Pierre Lellouche de 1989 devenue complètement hors de propos ?

Restent 648 pages sur 991 de synthèse magistrale, une vraie leçon de science politique sur le temps long.

Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances – Transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000 (The Rise and Fall of the Great Powers), 1988 revue 2004, Petite bibliothèque Payot 2012, 991 pages, €10.93

Voir aussi sur ce blog Paul Kennedy, Le grand tournant – Pourquoi les Alliés ont gagné la guerre 1943-45

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Radicalisation de crise

L’Amérique reste qu’on le veuille ou non le phare du monde et ce qui lui arrive nous arrivera probablement aussi, avec une décennie de décalage. Ce pourquoi les réflexions suscitées par les dernières élections présidentielles aux États-Unis, rassemblées dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat (n°173, éditions Gallimard, €18.50) font penser à la France. Nos élections présidentielles de l’an dernier ont marqué une pente dont la campagne anti-Obama fut la caricature. Ce qui s’est produit là-bas risque de se produire ici, en 2017. Qu’est-ce à dire ?

Les États-Unis se sont montrés de plus en plus opposés à l’État et de moins en moins unis.

Les divisions raciales, culturelles, d’origines et de résidence géographique sont devenues criantes. En France, nous avons encore connu en 2012 le choc idéologique entre droite et gauche ; aux États-Unis, le choc est désormais entre communautés : Noirs contre Blancs, petites villes contre mégapoles (Washington, New York, Chicago, San Francisco), états du centre contre états des côtes, cols bleus contre cols blancs, industriels et commerçants contre intellos universitaires…

Cela nous menace-t-il ?

Sans aucun doute. Catholiques et Juifs se retrouvent contre un islam médiatique (différent de l’islam pratiqué) qui valorise l’image de l’intolérant, du macho et du terroriste. Il faut dire que les musulmans « normaux » restent frileux face aux surenchères salafistes et autres « Frères »; on ne les entend guère dans les médias… Les laïques sont partagés, anticléricaux mais « respectueux » (jusqu’à la lâcheté trop souvent) des cultures du monde, dont les opprimés et leur religion font partie. Les habitants des campagnes et des petites villes françaises ne se reconnaissent plus dans les grandes villes telles Paris, Lyon, Marseille, Toulouse. Ces mégapoles cosmopolites ne sont plus « la France » (voir la série Plus belle la vie dont les acteurs n’ont même pas l’accent de Marseille) ; leurs élites ne représentent plus la nation mais le nomadisme mondialisé ; leur culture, subventionnée d’État, ne dit plus rien aux éducations classiques. Pire : les partis de gouvernement sont mis dans le même sac de « l’UMPS » tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. Tous sont accusés d’être dans le vent, ploutocrates (que les intellos-économistes méprisants appellent « ultralibéraux »), dévoués au marché (« grand méchant ») et – pourquoi pas ? – aux maîtres du monde qui comploteraient (rumeur) la fin des peuples.

on est autiste

Le vieux fond humaniste résiste encore en France aux séductions de la manipulation ethnique et des théories du Complot, mais pour combien de temps ? Aux États-Unis, le parti Républicain devient récalcitrant, dédaigneux de tout compromis. Il s’agit presque d’une guerre de religion entre Républicains et Libéraux, les premiers étant à la fois conservateurs (moins d’impôts et moins d’État) et libertariens (moi-je, pionnier tout seul contre le monde pour refonder ici-bas la cité céleste) ; les « libéraux », là-bas, sont gens de gauche, en souvenir des Lumières – ce qu’ont bien oublié les archéo-marxistes français passés sous Staline et dont l’esprit ne s’est jamais remis. En France, la propension au refus de tout compromis est moins marquée mais contradictoire, la droite conservatrice (moins d’impôts mais plus d’État), la gauche plus individualiste que libertarienne (moi-je, narcissique – mais qui exige les autres pour faire son théâtre médiatique ou frimer sur les réseaux sociaux). Les Libéraux américains (parti Démocrate) sont keynésiens et partisans du New Deal, en France l’UMP et le PS aussi… sauf à réduire les déficits. De cette confusion multiculturelle surgissent de nouvelles radicalités aux marges. La rue du ‘printemps’ de droite en témoigne.

Il s’agit de crispation des petits Blancs : WASP aux États-Unis et petits commerçants, artisans, fonctionnaires en France contre « les étrangers » qui viennent saisir les opportunités d’emplois et bénéficient des prestations sociales parce qu’ils sont juste en-dessous en termes de revenus. Plus encore : ce lumpen proletariat bénéficie de la bienveillance des intellectuels, des politiciens et des faiseurs de lois, puisqu’ils sont considérés (à cause d’une vague culpabilité impérialiste ou coloniale) comme « victimes », forcément victimes. L’administration crée des quotas pour favoriser les Noirs aux États-Unis, Obama compte régulariser 11 millions de sans-papiers latinos (4% de la population, l’équivalent de 2.5 millions d’illégaux en France). Susan Sontag, gauchiste féministe new-yorkaise, n’est-elle pas allée jusqu’à déclarer que « la race blanche est le cancer de l’humanité » ? La psychologie de la domination remplace l’analyse de la société, c’est sans doute plus confortable intellectuellement et donne l’éternelle bonne conscience d’être avec les opprimés, mais sans travailler en rien ni à la production, ni à la redistribution sociale, ni à l’éducation des gens. Il y a trahison, aux États-Unis comme en France : le peuple (autochtone) pense que les élites (censées les représenter) les trahissent en favorisant les allogènes (qui ne veulent pas s’assimiler ou n’ont aucune incitation à le faire). Quel intérêt d’être conforme, s’il est plus avantageux de rester victime ?

Les élites de gauche préfèrent semble-t-il, aux États-Unis comme en France, les minorités biologiques aux classes sociales, l’état de nature à la construction historique et politique de la société. Limousine Liberals et bourgeois-bohêmes n’ont que faire du peuple, qu’ils méprisent. La dernière mode en politique est d’oublier ouvriers et employés (Blancs) pour favoriser toutes les minorités ethniques ou de « genre » (qui voteront « bien »). Une fois au pouvoir, la loi remplace l’éducation. Les gais-lesbiens-bi-trans sont plus chouchoutés pour convoler, adopter et procréer que les hétéros qui maltraitent leurs enfants et ne savent pas les élever. Je l’ai écrit, je ne suis pas contre le gai mariage, mais je constate le sentiment naissant qu’il vaut mieux « être » que se créer, « naître » que s’éduquer. Mieux vaut être Noir homosexuel illettré sans papier que Blanc hétéro cultivé intégré… Ce serait ça la gauche ?

De plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent plus ou moins confusément : à quoi cela sert-il donc de bien travailler à l’école, de vouloir faire carrière, de payer des impôts ? Dans la France de Hollande plus particulièrement, où « les riches » sont désignés comme boucs émissaires de tout ce qui ne vas pas (au-dessus de 3000 € par mois – soit le salaire moyen d’un fonctionnaire en fin de carrière – selon la fiscalité présidentielle), où les « entrepreneurs » sont méprisés a priori et considérés comme vaches à lait fiscales, où une caste restreinte aidée de communicants et d’avocats (Brafman, Veil, Fouks, Hommel) se protège de la loi commune, où « la recherche » est vue comme l’avenir en paroles mais dernière roue du carrosse en réalité (les étudiants brillants partent à l’étranger, comme les innovateurs en Californie : « trop de lourdeur, trop de casse-têtes administratifs et juridiques ») – où 38% des Français déclarent dans un sondage récent qu’ils quitteraient la France s’ils pouvaient… Quel merveilleux projet politico-social ont nos gouvernements depuis le début du nouveau siècle pour que plus d’un tiers des adultes actifs veuillent fuir !

fesses et bobos

Quoi d’étonnant à ce que le populisme monte ?

Tea Parties aux États-Unis et extrémistes en France se radicalisent contre les élites qui les ignorent et font une politique qui va contre leurs valeurs et leurs intérêts. La volatilité des électorats, déboussolés par le changement non accompagné, par la promotion de minorités sans autre explication que « l’égalité » par principe (seraient-ils « plus égaux » que les autres ?), va s’accentuer – aux États-Unis comme en France. Pire : le grand inquisiteur fiscal est pris la main jusqu’au coude dans le pot à confiture des paradis fiscaux; le grand argentier présidentiel a des intérêts aux îles Caymans ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : voilà le discours politique de la gauche « morale ». Après le stupre, le lucre, les Strauss-Kahn et Cahuzac (sans parler des seconds couteaux Guérini, Lamblin, Andrieux, Teulade, Kucheida… et autres hollandais volant) font du président « normal » une image qui pousse au cynisme. Après la fracture sociale, la fracture morale ? Après le « président des riches » des affaires et de l’industrie, le « président des nouveaux riches »  de la fonction publique et du carnet d’adresses ?

Ce qui veut dire que tout dirigeant élu, Obama comme Hollande, n’a plus de « mandat » des électeurs, seulement des « opportunités » de circonstance. D’où l’espèce de fuite en avant de François Hollande sur les questions libertaires (mariage gai, récidive, vote des étrangers, voler au secours du « pauvre » Mali, « moralisation » des moeurs des copains) pour masquer les vraies questions – qui sont de classe et de mondialisation : chômage, déficit public, fiscalité, encouragement à l’entreprise, politique européenne, émergence de la Chine.

Nous ne sommes pas encore au point atteint par les Américains, mais nous y venons.

Sarkozy caresse l’idée d’un retour radical en politique ; Mélenchon fourbit sa faconde, coupeuse de têtes ; Le Pen père, fille et nièce poussent leurs pions. Obama n’a gagné que parce qu’il a su mobiliser à la base, dans les comtés, en exploitant les données personnelles innombrables, glanées sur les réseaux sociaux et auprès des donateurs particuliers. Hollande en reste aux meetings de sous-préfecture et aux appareils obsolètes.

En France la droite ou la gauche extrêmes sont encore loin de mobiliser vraiment la base et les réseaux sociaux. Pour le moment… mais  d’ici 2017 ? Le radicalisme, c’est dans 4 ans.

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Dangereux vide politique

François Hollande élu depuis un an… un abyssal vide politique ! Après la crise économique de la finance et de l’industrie, la crise sociale du chômage et des impôts, la crise morale DSK et Cahuzac, la crise sociétale de la filiation sans cause, la France va-t-elle vers une crise politique ? La « rue », pour une fois de droite (et bien peu à gauche), voudrait bien cristalliser le mécontentement en mouvement politique sur l’exemple des Tea parties américains. Je l’avais suggéré dans une précédente note, malgré les flèches de ceux restés bloqués sur la petite politique politicienne : « La France pourrait connaître une évolution à l’américaine, avec une droite de plus en plus à droite mais refuge du collectif national, et une gauche de plus en plus anarchiste-bobo, exaspérée de tout est permis. »

La médiocrité du personnel politique et leur panne idéologique font que l’imagination n’est surtout pas au pouvoir et que la refondation des idées est plus que jamais nécessaire.

nouvel-observateur sont ils nuls

Médiocrité des politiciens

Hollande pourrait se contenter de régner, à la Mitterrand, mais le quinquennat (voulu par la gauche) et le Premier ministre (voulu par lui) l’obligent à être dans l’arène. Son tempérament procrastinateur, édredon ni oui ni non, ne convient pas à la fonction. Un président doit se prononcer, il n’est pas dans la synthèse d’un secrétaire général de parti. Il tient bon sur quelques sujets économiques, mais sans aucune pédagogie, laissant les roquets au gouvernement lâcher la soupape du discours de gauche. Est-là une « politique » ? Les citoyens ont l’impression de ne pas être entendus, qu’aucun parti au Parlement ne les représente plus. D’où la rue et les tiraillements au PS.

Dans ce vide politique, la droite pourrait s’engouffrer, mais elle manque de discours cohérent et de chef légitime. Chacun joue sa partie, les « vieux » usés par leurs clowneries de candidats à la présidence de l’UMP, les nouveaux aux dents longues à longueur d’antenne pour la mairie de Paris. Coppé n’est pas crédible, Fillon est dépassé, Juppé reste sur ses terres, NKM se barricade à Paris et Raffarin en Chine… Au total, la droite s’est trop déportée à droite avec Buisson et Coppé. Elle a été battue de peu à cause de cela et du style Sarkozy ; mais les socialistes sont allés trop loin avec la procréation assistée et le laxisme sur les mœurs (cannabis, abolition des peines bloquées etc.), ce qui fait revenir au galop les régions catholiques vers l’anti-Hollande – Hervé Le Bras le dit très bien. 

C’est la chienlit, comme disait de Gaulle, expert ès querelles de bac à sable, fomentées par des « minables » qui ne voient pas plus loin que le bout de leur mufle, « cuisant à petit feu leur petite soupe dans leur petit coin ». Vous avez reconnu les partis : ces « machins » qui devraient sélectionner des candidats valables, comme partout ailleurs dans les démocraties, mais qui ne servent plus en France qu’à se hausser entre soi dans un jeu de l’ego. Coppé n’est pas légitime, Désir est nullissime, les deux jouant leur petit dictateur au mépris des statuts et des règles. Comme si la légitimité résidait dans l’oukase, comme si le charisme se résumait à la grande gueule. Ont-ils compris quelque chose au pouvoir ?

Panne idéologique

La gauche reste empêtrée dans la dépense publique, la redistribution clientéliste, la fiscalité incompréhensible et instable, le gros État à surtout ne jamais réformer, le tabou à accepter mondialisation et rationalisation, le jusqu’auboutisme dans le laxisme des mœurs ultra-individualistes. La droite n’a pas de vision d’avenir, elle en reste au passé, le recours à Sarkozy tenant lieu de projet politique faute de mieux. Comme toute réforme passe par ceux-là mêmes qui profitent du système (élus, technocrates, fonctionnaires, syndicalistes), il y a grande répugnance à ce que cela change. A l’arrogance intello de gauche répond en 2013 l’action directe à droite, qui rassemble bien plus que les groupuscules activistes catholiques ou étudiants. L’aspiration dans les sondages à faire ce que les Italiens font – un gouvernement d’union nationale – dit combien les électeurs ont, dans leur majorité, ras le bol de ces politiciens minables qui se croient légitimes. 2014 ou 2017 verront-elles la réforme forcée du millefeuille étatique dans l’urgence pour incapacité prouvée à résorber le déficit structurel ?

handicap france patrick artus 2013

Aujourd’hui, que reste-t-il ? La peur. Dans le délitement social, les politiciens qui devraient au contraire motiver le pays, montrer la voie de solutions à long terme ont aussi peur que la société – mais pour leurs privilèges.

  • Peur du changement : continuer contre vents et marées faute d’imagination.
  • Peur de la politique : droite ou gauche, surtout ne rien changer au logiciel, on perdrait des électeurs. Dommage que les socialistes ne l’aient pas compris avant le mariage gai.
  • Peur de la rue : accuser la droite de pactiser avec le diable, accuser la gauche d’assassiner des enfants – recours au « fascisme » ou au « couteau entre les dents », vieilles rengaines qui ne disent rien d’autre que l’abyssale stupidité de leurs auteurs.
  • Peur d’expérimenter d’autres canaux de communication entre les citoyens et les décideurs : et pourquoi pas le référendum d’initiative populaire, ou les consultations de citoyens, ou la pédagogie télé, comme Yves Montand l’avait fait sous Mitterrand ?
  • Peur de se remettre en cause : notamment les droits hors du commun des politiciens professionnels, qu’ils soient ministres, députés, sénateurs ou patrons publics (les travaux du siège de la BPI).
  • Peur de l’Europe : qui ose dire à l’Allemagne qu’on ne peut chaque année « attendre les élections » pour décider à 17 ou 27 ? mais qui ose dire aussi qu’il faut réformer chez soi pour converger avec l’Allemagne ?
  • Peur d’approfondir l’Union : à quand une Assemblée européenne élue directement au niveau européen, le même jour, sur des partis européens ? à quand la désignation d’un président élu par le Parlement européen à la tête de la Commission ? à quand le Conseil des chefs de gouvernement remplacée par un Sénat représentant les États-nations et les régions ?

L’imagination n’est surtout pas au pouvoir !

La gauche embourgeoisée depuis Mitterrand s’est installée dans le système, elle ne veut surtout pas le changer ; elle préfère d’ailleurs l’opposition, plus confortable : on peut critiquer sans avoir à choisir, donc promettre n’importe quoi pour se faire mousser. Mélenchon l’a très bien compris, même s’il rassemble peu avec ses rodomontades d’un autre âge. La droite en perte de repères (et surtout de chef qui fasse rentrer dans le rang les ados attardés), rejoue le monôme comme en 1934, encourageant des ligues de factieux malgré la modernisation gaulliste.

Or le monde a changé, les Français ont changé, les petits jeux entre nantis politiques n’amusent plus que les médias parisiens. Si l’opposition descend dans la rue, c’est qu’elle ne paraît pas dans les partis politiques. Le slogan « indignez-vous » n’est pas – ô surprise ! – réservé à la gauche. La droite se radicalise parce que personne n’écoute les classes moyennes qui ont peur du déclassement et se raccrochent aux ‘valeurs’. Circulez, dit Hollande incapable ; on attend 2017, dit Fillon impuissant. Résultat : 30 000 militants devant Mélenchon le 5 mai; 40 000 teufeurs à Cambrai pour une rave. Cherchez où est la politique !

Cette inertie fait surgir Marine Le Pen. La fille de son père a eu l’intelligence tactique de quitter la droite extrême ancrée dans le passé vichyste, OAS ou anti-68. Elle se présente comme la droite qui décide, plus à droite que l’UMP mais dans la tendance sociale-étatiste qui est l’un des aspects du bonapartisme, incarné aussi bien par de Gaulle que par Chevènement, Fabius ou Montebourg. Mélenchon, à côté d’elle, fait pâle figure, populiste racoleur poussant le contentement de soi jusqu’à proposer d’être calife à la place du calife (comme Sarkozy sous Chirac). Hollande, s’il ne réagit pas, la droite, si elle ne trouve pas de nouveaux repères avec un nouveau candidat légitime, laisseront proliférer les extrêmes. Parmi eux, pas difficile de deviner qui va l’emporter !

marine le pen tire ta langue

Quelle refondation des idées ?

L’individu n’est ni entièrement autonome, ni entièrement rationnel comme le croit la droite – mais un peu quand même. Il est mu par des forces invisibles pointées par le marxisme, le freudisme, le structuralisme, le foucaldisme, le bourdieusisme, comme le croit la gauche – mais il n’est pas pour cela une marionnette. Si l’individu est pris dans un champ de forces, il reste relativement autonome. Donc tout pouvoir ne peut décider à sa place ce qui est bon pour lui, ni les technocrates de droite, ni les idéologues de gauche. Pas de volontarisme anti-européen comme le prônent certains irresponsables pour faire la roue ; pas d’inertie suiviste de l’austérité morale allemande, comme d’autres le croient par paresse intellectuelle. Merkel en prétexte à tout balancer ou à ne rien faire ? Quelle blague ! L’économie n’est une science qu’humaine, pas exacte. Elle fonctionne sur la confiance – comme toute société politique. Encore faut-il que cette confiance se mérite et que la subsidiarité empêche l’État parisien ou le Machin bruxellois d’intervenir sur tout, à tous niveaux.

La traduction politique française en est certainement la rationalisation de la dépense publique, excessive et gaspillée (47% de prélèvement obligatoires en 2013 contre 43% en 2011) ; une fiscalité apaisée qui ne change pas tous les deux ans en inhibant l’investissement, l’épargne, la consommation, l’entreprise et l’emploi ; des lois et règlements moins nombreux, mieux rédigés par moins d’élus mais avec plus de moyens ; des lois moins rigides qui ne détaillent pas tout pour laisser une autonomie à la jurisprudence des cas réels ; une éducation moins jargonnante en français, moins nulle en langues et moins axée sur l’élitisme matheux ; une formation adulte ouverte à tous à tout moment ; l’encouragement à entreprendre  et pas le mépris pour « les riches » – cette race mystérieuse surgie des envieux. Le bouc émissaire allemand est bien commode aux pusillanimes de gauche qui attendent la croissance comme d’autres Godot. Bien commode aussi aux extrêmes qui croient que sans l’euro ni Schengen tout irait beaucoup mieux.

Sur ces sujets, il y a une sensibilité de droite et une de gauche – mais abordons enfin ces vraies questions au lieu du mariage gai et autres diversions sur la transparence des élus ou le vote des étrangers ! Depuis un an, combien de chômeurs en plus par laisser-aller de gauche sur la fiscalité aberrante et l’entreprise ignorée ?

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Haruki Murakami, 1Q84 livre 3

Dernier livre de ce 1984 nippon qui nous ramène du monde bizarre à deux lunes où règne la secte des Little People au monde réel. « Les choses et l’apparence, c’est différent », disait un passeur (chauffeur de taxi) dans le premier livre. Murakami joue en virtuose de ces distorsions de réalité. Pour lui, le sexe fait lien.

haruki murakami 1q84 3

Aomamé, fille de Témoins rigides et sectaires, a serré très fort la main de Tengo, fils orphelin d’un collecteur maniaque de la NHK, la télévision japonaise. Elle avait 10 ans et était exclue du groupe des écoliers pour ne pas être conforme ; lui avait le même âge mais était leader, réussissant en maths, littérature et sport. Protecteur et responsable, il n’excluait pas la fillette ce qui a tissé ce lien, « l’unique lieu parfait en ce monde » p.567. Où le collectif groupal propre aux Japonais s’émancipe chez Murakami en individualisme du bonheur personnel. Vingt ans plus tard, dans ce livre 3 et dernier, Aomamé rejoint Tengo, et lui serre très fort le pénis, car le lien de jadis a créé un enfant. La main à 10 ans devient pénis à 30 ans : humour nippon. Murakami est très japonais dans ses romans.

Il reprend d’ailleurs les fils de la mythologie japonaise pour créer ses mondes. Selon le Shinto, Izanagi Celle qui invite est l’un des kamis qui a créé le monde. D’elle, mâle et femelle, naît Amaterasu déesse du Soleil, Tsukuyomi dieu (masculin) de la Lune et Susanoo dieu de l’Orage. A la lune appartient le temps. Ce sont ces trois déités qui, dans le livre 2, ont présidé à l’action d’Aomamé sur le leader de la secte : durant un violent orage, dans un ciel où régnaient deux lunes, le gourou est passé de vie à trépas – et sa tueuse est devenue enceinte par le vecteur de la fille Fukada. La lune Aomamé s’est unie au soleil Tengo sous les auspices de l’orage, représenté par la mort souffrante du chef de secte.

« Nous créons un récit, lequel, en même temps, nous met en mouvement », écrit l’auteur p.496. Écrire, c’est vivre dans un univers d’apparence, mais réel dans l’imagination de l’auteur et du lecteur. Nous ne sommes pas dans un au-delà ni un ailleurs, mais dans un par-delà ce qui existe. L’Asie n’aime pas l’abstraction ni le binaire platonicien ; elle préfère le décalage dans ce monde-ci plutôt qu’une évasion dans l’autre monde.

D’où cette description féroce et détachée que fait Murakami de la société japonaise. L’ordre social est hiérarchique, le mouvement social est conformiste, le citoyen modèle est sectaire. Tout est fait depuis l’enfance pour créer un homme et une femme conformes, rouages bien huilés qui ne font pas de vagues. Écoles, administrations, entreprises, sont des machines à formater où reproduire « une élite aisée et autosatisfaite » p.259. « Leur personnalité était désespérément superficielle. Ils avaient des vues bornées, une pensée plate et ils étaient dépourvus de toute imagination. Leur unique souci était la façon dont ils étaient considérés par les autres. Et surtout, ils ne disposaient pas de l’esprit critique indispensable au développement d’une réflexion féconde » p.261. Les inerties devant la catastrophe de Fukushima, ni prévue, ni contrée, ni résolue à ce jour, montre combien ce conformisme niais peut être dangereux quand on est à la tête d’un pays.

Ce livre trois mène l’histoire à sa fin, non sans rebondissements imprévus. Le destin réduit aux trois personnages d’Aomamé, de Tengo et d’Ushikawa s’entrecroisent : la tueuse, le réécrivain et l’enquêteur. Tous solitaires, tous maniaques, tous décalés. Chacun individualiste, expert en son domaine. Seul le hasard va aiguiller la femme vers l’homme en évitant le méchant ; seule l’intelligence et la volonté vont faire retrouver la porte du monde 1984 pour quitter le monde 1Q84. Laisser Orwell pour le réel, la japonité sectaire du destin pour l’épanouissement individuel du hasard.

Mais nous sommes encore hier, une génération avant, il y a trente ans. Pas de téléphone mobile ni d’Internet, pas de « traitement de texte » portable ni de clé USB. Comme si Haruki Murakami entrait avec réticence dans l’hypermodernité connectée des quinze dernières années. Son imagination a besoin de travailler avant de créer un univers ; il a longtemps enquêté sur la secte Aum, objet de son livre suivant… fondée justement en 1984. Il y a là probablement un signe : que le tréfonds japonais tente désespérément de se fermer au changement – comme il l’a toujours tenté, mais toujours sans succès.

Haruki Murakami, 1Q84 – livre 3 octobre-décembre, 2010, Pocket février 2013, 622 pages, €9.12

Haruki Murakami, 1Q84 – livre 1 avril-juin, 2010, Pocket 2012, €9.12  – Chroniqué sur ce blog.

Haruki Murakami, 1Q84 – livre 2 juillet-septembre, 2010, Pocket 2012, €9.12 – Chroniqué sur ce blog.

Tous les romans de Haruki Murakami chroniqués sur ce blog.

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Social-individualisme

Article repris par Medium4You.

Terminé le national-socialisme, vive le social-individualisme ! Tel semble le message de notre époque, qui a remplacé les élans collectifs (pour le meilleur comme pour le pire – voir l’Iran) par des élans narcissiques, centrés sur l’individu. Le mouvement démocratique libère la personne des appartenances biologiques, claniques, sociales et même physiques. L’hérédité ne fait plus l’identité. Celle-ci devient multiple, construite tout au long de la vie, bariolée. Mais cela ne va pas sans risques.

Le premier risque est celui de la peur. La liberté fait peur car nombreux sont ceux qui ne savent qu’en faire, effrayés de devoir décider par eux-mêmes après avoir réfléchi. D’où cette régression réactionnaire vers un âge d’or, un Dieu qui commande, une religion qui prescrit en détail comment se comporter, un parti qui décide de la morale, des syndicats qui défendent obstinément les zacquis, un chef qui montre le chemin… Merah se croyait missionné d’Allah pour tuer de sang froid de jeunes enfants élevés dans une autre religion (sans même qu’on leur ait laissé le choix).

Le second risque, inverse, est celui de la démesure : tout est permis. La liberté devient la licence, l’émancipation le droit de faire ce qu’on veut, au gré des désirs les plus fous. On se marie entre gais, on baise avec n’importe quel « cochon », on tue sans assumer les suites (dans la série Poubelle la vie), on refuse l’Europe-contrainte, on nie les simples lois de l’économie, on refuse toute entrave au désir du tout tout de suite. Ainsi, l’éthylotest en voiture devient-il une contrainte insupportable, incitant un gouvernement de gauche à agir comme Chirac, président de droite : « je promulgue la loi mais je demande qu’on ne l’applique pas ». Pourquoi rendre légalement « obligatoire » l’éthylotest si ne pas en avoir n’emporte aucune conséquence ? Autant supprimer l’obligation pour n’en faire qu’un conseil de la Prévention routière. Mais non : jamais un gouvernement jacobin n’acceptera de laisser le choix à la société civile, il lui faut toujours énoncer le Bien.

Peur de la liberté, démesure de la licence, ces deux pôles semblent les tentations de la politique. La droite veut conserver, voire revenir sur les excès de libertés ou de réglementation. La gauche veut aller toujours plus de l’avant, faisant du « progressisme » un objectif en soi, sans but, sans définir un progrès vers quoi. La droite veut immobiliser le changement trop rapide de la société, la gauche veut chevaucher le mouvement social. Rien n’a changé en apparence, nous serions dans le clivage classique.

Mais ce serait trop simple, car en économie, c’est l’inverse. En France, la droite est pour s’adapter au monde qui bouge, la gauche frileuse pour résister des quatre fers à tout ce qui change. La gauche d’immobilisme et la droite de mouvement, c’est nouveau… mais rappelle les années 30, où le « progressisme » sort du collectif à gauche pour s’incarner dans l’individualisme, tandis que la droite l’investit massivement !

Cela en théorie, car droite et gauche se rejoignent au gouvernement. Hollande fait concrètement du Sarkozy, il n’y a que le style qui soit différent. Le résultat des élections est tiède, déplaisant à tous ceux de droite comme à tous ceux de gauche. Restent les raisonnables, de moins en moins nombreux, les européens de conviction, les centristes et les sociaux-(qui voudraient bien être)-démocrates – mais sans syndicats puissants.

La tentation de la politique sera donc de refaire du clivage entre droite et gauche. Comment ?fefe Lucile Butel

Depuis des décennies, la droite ne dit rien de l’avenir. De Gaulle montrait le chemin de l’indépendance et de la grandeur nationale, jusqu’à Giscard avec les réformes de mœurs devenues indispensables pour adapter le pays aux mœurs (divorce, avortement, égalité dans le couple, majorité à 18 ans). Mais Chirac n’a rien foutu, roi fainéant conservateur, médiatique anesthésiant. Sarkozy changeait d’avis de mois en mois, reniant ce qu’il affirmait d’abord, refusant d’abolir ce qu’il aurait dû, par exemple ISF et 35 heures, surfant en avant des médias pour faire tout seul l’actualité. Ni le somnifère ni le prozac ne sont de bons moyens de gouverner : la droite n’aurait-elle rien à proposer de plus équilibré ? Ni Chirac, ni Sarkozy, où sera le nouveau projet de société ? Bruno Le Maire, François Fillon, NKM ? Comme nul ne voit rien venir, certains ont la nostalgie du retour de Sarkozy.

Depuis des années, la gauche est restée hors du gouvernement. Elle n’assume donc qu’avec réticences et couacs répétés les « ajustements » nécessaires des promesses au réalisable, de l’idéal « de gauche » au quotidien concret. Promettant l’emploi pour tous dans quelques mois, elle ne réussit que le chômage pour tous par ses insultes aux créateurs d’entreprise, par sa pression fiscale sur les sociétés et sur « les riches » (de la classe moyenne), par sa posture anti-finance (malgré une réforme bancaire avortée) et son théâtre anti-repreneurs s’ils sont étrangers (Mittal, Taylor…). Après avoir accusé la TVA d’être « de droite », voici que la gauche va l’augmenter, après avoir accusé Sarkozy de « brader » les acquis de retraite, voici que la gauche va les remettre en cause, après avoir vilipendé la semaine de 4 jours, voilà que les syndicats d’enseignants vilipendent l’abolition de la semaine de 4 jours, après avoir juré que « jamais » il ne signerait le pacte de stabilité européen, voilà que le gouvernement de gauche le signe selon la version Sarkozy et les désirs allemands. C’est que la réalité des choses rattrape les grands discours abstraits – dans le même temps que l’individualisme narcissique se fiche du collectif comme de son premier slip. Le « Moi, président de la République, je serai irréprochable » nomme ses copains plutôt que des compétents (Jack Lang, Olivier Schrameck, Ségolène Royal…). Les rodomontades du Montambour (merci Alain Ternier pour cet heureux surnom) sonnent creux devant les nécessités industrielles de Florange, Pétroplus, Goodyear et du journal la Provence. Toujours, c’est le « moi je » qui règne et pas le collectif, plus de salaire au détriment de l’intérêt des élèves, plus de copains confort qui ne feront pas de vagues, plus de célébrité auprès de syndicats et de la gauche radicale.

La gauche délaisse alors l’économie où elle ne peut rien – que surveiller et punir (ce qui aggrave la crise) pour faire diversion dans le libéralisme… sociétal. Il répond au narcissisme moi-je d’époque et devrait faire dévier la ligne raisonnable de François Hollande en radicalisme anarchiste à la Beppe Grillo. C’est la vraie tentation de la gauche que de reconstituer du clivage en ce sens. En manipulant le politiquement correct, mariage gai, mères porteuses, droit de vote aux étrangers, toutes les revendications minoritaires deviennent des « droits » pour répondre au prurit d’égalité sans limites. Même les casseurs et autres agresseurs condamnés par la justice deviennent légitimes… s’ils sont syndicalistes ! Le gouvernement de gauche leur reconnaît une égalité supérieure aux citoyens ordinaires : ils peuvent impunément tabasser, casser, séquestrer, sans être condamnés pour autant. Il s’agit de « luttes sociales », donc permises. Un conseil aux maris jaloux ou autres vengeurs : prenez votre carte de la CGT, entraînez votre ennemi dans une manif et foutez lui sur la gueule : vous resterez impunis.

Mais les ouvriers déclinent, mondialisation et productivité obligent. Ceux qui restent délaissent la gauche, surtout le parti socialiste, au profit des fronts, d’ailleurs plus le national que le « de gauche ». Le socialisme perd alors son prétexte social pour changer de clients. Vive l’immigré et le bobo urbain ! Donnons le droit de vote aux étrangers, abolissons les genres, permettons toutes les provocations individualistes-narcissiques. Là est l’avenir puisque là serait « le progrès », induit par le mouvement social qui va sans but.

couple erotique

Le pire vient probablement d’avoir lieu avec le roman Iacub où culture s’abrège en cul tout court. Nous avons là le meilleur exemple de l’amoralité bobo de gauche : l’individualisme absolu, le narcissisme du désir exacerbé, l’aboutissement du libertaire revendiqué depuis Fourier en passant par mai 68. Entre adultes consentants, tout est permis s’il n’y a ni torture ni meurtre ; le désir violent d’être violée peut même se concevoir dans une démarche de jouissance jusqu’au bout (et très vit). On peut même rire de cette lutte pour la domination entre bourgeois cosmopolites mâle et femelle. Mais où serait l’information si le naming répété dans les médias ne constituait les ragots croustillants ? Où serait la « littérature » s’il ne s’agissait de la marque déposée DSK, « ex-Directeur du FMI, ex-candidat à la présidence de la République, ex-figure de la gauche socialiste » ? Le niveau s’abaisse au caniveau. Nul ne peut croire qu’on cherche la « sainteté » en devenant pute à « cochon ». A moins qu’il ne s’agisse de victimiser le prédateur pour renverser l’opinion ? Les victimes apitoient toujours… alors qu’un procès en prostitution a bientôt lieu à Lille.

Voilà de quoi renforcer à la fois le Front national et les islamistes ou cathos intégristes. Voilà de quoi séparer un peu plus le peuple et les élites, la classe moyenne familiale laborieuse et l’hyper-classe supérieure individualiste et riche. Comme à Athènes au IVème siècle : comme quoi le « progrès du mouvement social » est une idéologie qui n’a aucune consistance historique…

D’où mon pronostic (pas mon souhait) :

  • Les classes moyenne et populaire vont volontiers voter de plus en plus à droite (comme chez les Républicains américains) – tant mieux si la droite sait récupérer le raisonnable, l’Etat protecteur sans entraver l’initiative, le moindre gaspillage des deniers publics. Sinon ce sera le Front national qui va grossir.
  • La classe des élites mondialisée et des petits intellos « révolutionnaires » va voter de plus en plus à gauche, surfant sur l’individualisme narcissique – en cherchant à racoler les antisystème, immigrés, étrangers, gais-bi-trans-lesbiens, artistes, écolos, fonctionnaires et autres clients captifs de l’État-prébendes. Tant mieux si le hollandisme ne déçoit pas trop. Sinon les troupes pourraient bien conforter le PDG de Mélenchon, qui se verrait volontiers en Saint-Just appelant aux armes contre les riches et aux frontières contre Bruxelles.

La France pourrait connaître une évolution à l’américaine, avec une droite de plus en plus à droite mais refuge du collectif national, et une gauche de plus en plus anarchiste-bobo, exaspérée de tout est permis. Ce qui promet de prochaines élections intéressantes…

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Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer

Une Américaine d’origine japonaise écrit ici l’histoire romancée de ces femmes venues du Japon aux États-Unis pour se marier. Elles furent « achetées » par des Japonais travaillant aux États-Unis avant Pearl Harbor. De courts chapitres tentent de se mettre dans la peau de ces étrangères parfois très jeunes (13 ou 14 ans) venues dans un pays immense pensé comme un Eldorado, avec des coutumes différentes.

Julie Otsuka Certaines n avaient jamais vu la mer

La première nuit sur le bateau, les fantasmes battent leur plein et quelques idylles avec les marins du pont s’ébauchent ; le sexe a toujours été libre au Japon. Rencontre des Blancs mais, surtout, de leurs maris Japonais, travailleurs au bas de l’échelle dans les plantations, les laveries ou les restaurants. Le peuple xénophobe confronté à la xénophobie des autres, Blancs, Nègres et Latinos. On est toujours le nègre de quelqu’un, notamment lorsque la guerre menace et que l’on est désigné comme bouc émissaire, traître en puissance. Mais auparavant, naissances, enfants qui s’adaptent bien mieux, malheureux cependant d’être ostracisés à cause de la guerre mondiale. Enfin derniers jours, déportation dans les camps de l’intérieur, puis « disparition » des quartiers japonais sur la côte ouest.

Surprise des parents qui ne reconnaissent plus leurs enfants, nés en Amériques et devenus (presque) comme les autres : « Nous les reconnaissions à peine. Ils étaient plus grands que nous, plus massifs. Bruyants au-delà de toute mesure. Je me sens comme une cane qui a couvé les œufs d’une oie. (…) Nos filles marchaient à grands pas, à l’américaine, elles se déplaçaient avec une hâte dépourvue de dignité. Elles portaient leurs vêtements trop lâches. Roulaient des hanches comme des juments. Jacassaient comme des coolies dès qu’elles rentraient de l’école en disant tout ce qui leur passait par la tête. (…) Nos fils (…) refusaient d’utiliser des baguettes. Buvaient des litres et des litres de lait. Inondaient leur riz de ketchup. Ils parlaient un anglais parfait, comme à la radio, et chaque fois qu’ils voyaient nous incliner devant le dieu de la cuisine en frappant dans nos mains, ils roulaient des yeux et nous lançaient : « Maman, pitié ! ». » p.85. Où l’on voit que l’intégration réussie passe par une certaine acculturation. C’est la culture qui ramènera le goût des ancêtres, le retour du Japon. Pas question d’enfermer les adolescents en ghettos, leur souhait le plus cher est de se mesurer aux autres, d’être intégrés comme tout le monde. Avis aux « belles âmes » qui fondent de respect devant les mœurs archaïques des banlieues de l’Islam, en croyant qu’il suffit de laisser proliférer les entorses à la lois et aux mœurs pour que l’enfant né en France devienne un vrai Français.

Le style Otsuka est fait de litanies, mais ces incantations ne sont pas misérabilistes ni victimaires. Elles sont un chant, mais sur le mode très japonais du constat : voilà ce qui est arrivé, voilà comment nous l’avons pris, comme cela venait. Rien à voir avec l’obsession juive après les camps. Bien sûr ce n’était pas drôle, quel exilé trouve une vie rose quand il doit tout recommencer à zéro, le travail comme la langue ? Mais les Japonais-américains, après l’épisode (compréhensible) de la guerre mondiale et du choc de l’attaque surprise de Pearl Harbor sans déclaration de guerre, se sont fondus dans la population. Ils ne forment pas de ghettos, ne ravivent pas sans cesse la mémoire, ne s’enferment pas dans le ressentiment.

C’est pourquoi je trouve presque dommage que le prix Femina étranger 2012 ait été accordé à ce livre. La distinction française tord son message, ramené au victimaire, à l’éternelle revendication des ex : anciens esclaves, anciens déportés, anciens colonisés, anciens génocidés, anciens prolétaires, anciens prisonniers… La France s’est faite une spécialité de cette incantation des victimes, avec cette naïve croyance « de gauche » qu’il y a toujours plus prolétaire que le vrai et que seul le plus déshérité est la lumière du monde et le levier du « changement ». Changement pour quel pire possible pas prévu ? On l’a constaté dans le réalisé avec Khomeiny ou le Hamas, après l’avoir constaté avec Pol et ses potes. Les Japonais des États-Unis ne réclament pas cela. Ils savent ce qu’est la résilience, mot qui semble inconnu du dictionnaire de ceux qui sont toujours prêts à faire d’une victime une cause.

Ignorez les prix, toujours écœurants de politiquement correct, ignorez la bannière qu’on voudrait à Saint-Germain des Prés lui faire porter, lisez ce livre simplement pour ce qu’il est.

Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer (The Buddha in the Attic), 2011, Phébus 2012, 143 pages, €14.25

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Dino Buzzati, Le désert des Tartares

C’est à 34 ans que l’auteur publie cette métaphore de l’existence fonctionnaire. Italien, il met en scène un jeune lieutenant affecté au fort Bastiani, sis dans les montagnes à la frontière du nord. Au-delà, une plaine sèche d’où, dit-on, les Tartares sont venus il y a des siècles. L’existence de garnison isolée est quasi monastique : routine de la discipline, des horaires de garde et pas de femmes. La vie s’écoule, pareille à elle-même, sans perspective autre que l’éternel présent du règlement. Ni carrière, ni enfants, ni réussite sociale, on sert l’État comme on sert Dieu, par devoir.

Mais l’horizon reste vide, rien ne justifie le fort ni le dessèchement sur pied d’une génération d’hommes jeunes voués à ne rien faire. Même lorsque sonnent des alarmes, personne n’y croit, pas plus les officiers supérieurs du fort que l’état-major en ville. C’est la survenue d’un cheval, par-delà la frontière, puis des soldats en armes… qui se contentent de borner la frontière, puis la construction d’une route au loin. La tragédie est qu’à force d’entendre crier au loup, les bergers se lassent, et que le loup peut survenir impunément. Le lieutenant Giovanni Drogo de 20 ans, devenu commandant passé 50 ans, tombe malade au moment où ce pourquoi il était là survient. L’ennemi arrive et il est trop faible pour l’accueillir. Ce sont les jeunots venus en renfort qui vont trouver la gloire, eux qui n’ont jamais mis les pieds au fort. Lui partira, pour le grand voyage, avec le sourire : il faut imaginer Sisyphe heureux.

Nombreux sont les êtres qui se complaisent dans les habitudes. Ils ont peur de l’aventure et préfèrent le connu. Toute entreprise les effraie car il y a risque de changement. Le temps passe et ils ne deviennent rien, ne créent rien, n’entreprennent rien. Et ils sont heureux comme ça ! Ils ont l’impression d’ignorer la mort en se faisant tout petits, insignifiants, neutres. Alors qu’ils ne vivent qu’au ralenti, sans volonté, sans liberté – dans le renoncement. Si Drogo reste au fort trente années, alors qu’il s’était juré de le quitter au bout de quatre mois, c’est qu’« il y avait déjà en lui la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l’amour domestique pour les murs quotidiens. Au rythme monotone du service, quatre mois avaient suffit pour l’engluer. (…) Peu à peu, il avait appris à bien connaître les règlements, les façons de s’exprimer, les manies des supérieurs » p.81. Les paysans restent attachés à leur terre, même pauvre ; les fonctionnaires ne rêvent que d’un petit travail tranquille, sans aucun changement ; les moines ne supportent ce monde ici-bas que parce qu’ils rêvent du monde au-delà, qui justifiera leur sacrifice et leur obéissance.

Sauf que cette existence mécanique mécanise l’humain. Tout fonctionnaire se met à fonctionner comme s’il n’était que rouage sans cœur ni âme. « La sentinelle n’était plus le Moricaud avec qui tous ses camarades plaisantaient librement, elle était seulement une sentinelle, l’une des sentinelles du fort, en uniforme de drap bleu avec le baudrier de cuir verni, une sentinelle absolument identique, dans la nuit, à toutes les autres, une sentinelle quelconque qui l’avait mis en joue et qui, maintenant, pressait sur la détente » p.113. Le devoir avant tout, respect du règlement, tirer après sommation. Le camarade s’écroule, atteint d’une balle en plein front. Car le soldat a été bien formé et bien discipliné ; il est devenu tireur d’élite. Un bon fonctionnaire qui fonctionne sans état d’âme, même contre un semblable, même contre un camarade qui l’appelle par son nom. Il ne veut pas le savoir – parce qu’il ne connaît pas le mot de passe.

L’État déshumanise, comme toutes ces machines sociales inventées pour bureaucratiser les fonctions, segmenter les responsabilités, réglementer les actes. En ce début du XXème siècle où naît la grande ville avec l’essor de l’industrialisation, où naissent les partis de masse et les régimes totalisants, Dino Buzzati livre son testament philosophique, étrangement proche de celui de Kafka. Souvenons-nous, peuple tenté par le socialisme gris des technocrates, que derrière les règlements il y a des humains !

Dino Buzzati, Le désert des Tartares, 1940, traduit de l’italien par Michel Arnaud en 1949, Pocket 2010, 267 pages, €4.94 

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Sortez les sortants !

Article repris par Medium4You.

Les électeurs sont allés massivement s’exprimer à plus de 80% malgré les vacances « colère », l’abstention n’a pas gagné. Les partis qui résonnent dans l’opinion sont les fronts : Front national et Front de gauche. Aussi butés et têtus que des taureaux machos. Aussi en panne d’idées concrètes utilisables, hors des slogans. On note donc dans ce premier tour l’envol du populisme, la lassitude pour les partis de gouvernement et l’effondrement du centre.

Envol du populisme

Surenchère de droite : le vote Le Pen, à près de 20%, est un message clair pour ‘sortir les sortants’, cette élite bobo-cosmopolite qui ne répond rien à la crise. La jeunesse peu éduquée (grâce au syndicat socialiste de l’Éducation nationale qui bloque toujours toute réforme), les sans-diplômes sans-relations sans-mérite, se disent que les sans-papiers, sans argent et sans-logis, chéris de la gauche bobo, comme les nantis de tout, chéris de la droite bobo, ne valent pas qu’on les soutienne. Les ouvriers votent Le Pen.

Surenchère de gauche : le vote Mélenchon est une tentative de donner un sens. Sauf que le ton hystérique et les mensonges (selon Marianne, Vigie 2012, le Véritomètre, Sud-Ouest ou les vidéos traquantes) rendent peu crédible le personnage. Il est tombé autour de 12%, bien en-deçà des fausses promesses des sondages… Le gueulisme radical est dans la ligne des amuseurs médiatiques qui se moquent de tout en restant soigneusement à l’intérieur du système : « tout contre ». Les ouvriers ne votent pas Mélenchon, mais les profs déclassés oui. Mais certains ont trouvé plus utiles de voter Hollande. Mélenchon apparaît d’autant plus braillard et fusionnel qu’impuissant, proclamant tout et son contraire. Les facétieux lui mettent souvent une petite moustache sur les affiches de campagne.

Ces deux partis de tribuns agitent « le peuple », mais il y a malentendu sur la le « pouvoir du peuple » : la démocratie. Le pouvoir libéral est individualiste et universel, préservant la liberté et l’ouverture au monde ; le pouvoir collectiviste est fusionnel, exigeant l’égalité citoyenne par la mobilisation permanente. Qu’elles soient « nationales » ou « populaires », ces démocraties ne sont en rien proches de la nôtre. Leur légitimité ne réside en effet plus dans « le peuple » mais dans « la révolution ». Le premier est godillot et masse de manœuvre, la seconde est mouvement permanent, initié et guidé par des « grands » leaders. Ce fut le cas du Comité de Salut public sous Robespierre, de la Commune de 1871, du parti bolchevique qui dissout l’Assemblée régulièrement élue en 1917, des partis fasciste et nazi, des Mao et Castro, enfin des Conseils de la révolution des printemps arabes. L’avant-garde est composée de ceux qui braillent le plus fort et en imposent aux indécis. Ce pouvoir de chef de bande s’arroge tous les droits : la révolution avant tout, éventuellement (et trop souvent) contre le peuple.

Lassitude pour les partis de gouvernement

L’exaspération, la passion, l’aspiration au changement, font que la raison citoyenne des Lumières se trouve fort déplumée. Les deux candidats de gouvernement ne rassemblent qu’autour de 54% des exprimés. Le réalisme, la modération, l’art du compromis sont contestés par ceux qui se veulent « en résistance ». Le cap est difficile, eux sont à même de mieux le passer que les populistes, mais on sent la lassitude. L’avenir ne sera pas rose pour qui gagnera le second tour.

La crise aurait pu permettre à Nicolas Sarkozy de parler des enjeux du monde et de définir la place de la France. Il aurait pu défendre un projet de compétitivité par contraste avec François Hollande et le tropisme dépensier du projet socialiste. Le travail nécessaire était un thème porteur. Son bilan n’était pas mauvais, malgré certaines erreurs, mais son style personnel a suscité de la haine. Il n’a pas utilisé la crise, préférant le transgressif droitier pour tenter de récupérer l’électorat populaire de Marine Le Pen. Il a donc perdu les centristes. Il n’a pas mis en avant les atouts de son bilan, mais encore et toujours sa personne, comme s’il voulait qu’on l’aime malgré ses trop gros défauts. Ce masochisme suicidaire ne l’a pas servi. Il est deux points en dessous de son rival de gauche, vers 26%.

Inspiré jusqu’à la caricature par François le Grand (Mitterrand), on se demande si François le Petit (Hollande) parviendra à exister. S’il a eu raison d’éviter la confrontation avec Le grand Méchant Luc (Mélenchon), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Georges Marchais. S’il a lancé le défi au petit Nicolas (Sarkozy), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Valéry Giscard d’Estaing. Monsieur ‘Normal’ a du mal à apparaître autrement qu’assez fade. Ses 28% lui permettent de faire bonne figure, mais plutôt contre Sarkozy que pour son équipe socialiste.

Effondrement du centre

La posture du solitaire orgueilleux de François Bayrou ne l’a pas servi. Être « au-dessus » des partis est une force lorsqu’on a une légitimité historique : où est la sienne ? quel est son bilan ? Avec moins de 9% des voix, Bayrou fait mentir les sondages. Comme en 2007 et comme Mélenchon aujourd’hui, il a suscité un effet de mode, retombé au dernier moment.

Outre le caractère indécis du personnage, le centrisme se heurte au grand écart des populations confrontées à la crise. Repli sur soi, identité, souveraineté, que dit Bayrou sur le sujet ? Le problème identitaire n’est pas seulement un mot de Sarkozy : il atteint toute l’Europe (Breivic) et l’Amérique d’Obama. Le déni de gauche bobo ne rendent pas moins réels le gauchissement du parti démocrate (avec le mouvement Occupy Wall Street) comme la droitisation du parti républicain (avec les Tea parties). Les démocrates tendent vers l’anarchisme et les républicains libéraux vers les libertariens… La modération devient à notre époque un fatal handicap.

Le premier tour est tombé le jour de saint Alexandre… mais le second tombera le jour de sainte Prudence. Faut-il y voir un signe ? Le rapport droite/gauche se situe à 47 contre 49%, en faveur du changement. Comment cet éclatement extrémiste des votes se traduira-t-il durant les Législatives de juin ?

(Estimation Ipsos/Logica Business Consulting/France Télévisions/Radio France à 20h52, susceptibles de modifications à la marge)

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2012, la grande incertitude politique française

Article repris par Medium4You et Auxerre TV.

La France a peur. De perdre son triple A, de voir exploser l’euro, de perdre les aides d’État, de constater l’envol de sa facture de gaz et d’électricité, de payer tous ses gadgets électroniques jusqu’à 50% plus cher si le franc revient… Et de changer de président.

L’actuel ne plaît guère mais il est là, à la manœuvre, se démenant dans la crise. Les autres paraissent bien mous ou bien démagogues… Évidemment, la tentation de sortir les sortants est grande parce que le salaire réel baisse, que la crainte du chômage croît et que la retraite et la santé reculent. C’est ce qui est arrivé aux gouvernants anglais, grec, espagnol, japonais et qui arrivera peut-être à l’allemand l’an prochain. Pourquoi Sarkozy et l’UMP y échapperaient-ils ? Jadis on mettait à mort le roi sous lequel une catastrophe s’était produite : il n’avait pas la faveur des dieux. D’autant que le nôtre avait beaucoup promis, de bonnes choses de bon sens comme le populo le comprend et qu’aiment les classes moyennes : travailler plus pour gagner plus, sévir contre les profiteurs et les parasites, faire baisser l’intervention d’État au profit de l’autonomie des acteurs et d’un meilleur financement social, casser les privilèges des preneurs d’otages syndiqués pour rétablir un vrai service public, relancer l’investissement public d’avenir, distribuer mieux les fruits de la croissance. Tout ce que les Jospin-Chirac avaient laissé aller.

Mais le poids des inerties s’est ajouté à la crise pour réduire la volonté à quelques mesurettes. Baisser les impôts est intelligent si l’État recule en s’informatisant, se réorganisant, supprimant ces niveaux hiérarchiques obsolètes – mais tout cela se heurte aux lobbies locaux, élus et parlementaires ; l’autonomie des universités ne fait plus guère débat, sauf qu’on ne s’improvise pas administrateur ; le grand emprunt s’est réduit, loin des enjeux initiaux, bien qu’il existe encore ; le syndicat des taxis et celui des transports ont fait capoter ce qu’il y pouvait y avoir de « service » dans la réforme publique ; les comptes syndicaux restent tout aussi obscurs et des « affaires » régulières surgissent où l’on voit que certains s’en mettent plein les poches ; tandis que dans les banques, les grandes entreprises et chez les détenteurs de très gros patrimoines, les bonus flambent et la contribution aux impôts diminue.

L’image s’est quelque peu écornée de chef qui tranche, de capitaine qui dirige le navire dans la tempête, de rassembleur des énergies. La personnalité de Nicolas Sarkozy ne fait plus rêver, si jamais elle le fit. Ni au centre qui le trouve trop personnel et trop esbrouffe, ni à la droite extrême qui le trouve trop enclin au compromis, assujetti aux puissances d’argent et à la remorque de l’Allemagne. Si l’on peut imaginer qu’un mélenchoniste pourra voter Hollande, il est moins probable aujourd’hui qu’un FN ira voter Sarkozy. S’en tenir à l’UMP seule, tiraillée entre courants, c’est peut-être faire le plein au premier tour mais échouer au second.

En face, François Hollande a le double handicap d’être miroir de Sarkozy, la niaque en moins, et de traîner un parti Socialiste qui lui tire dans les pattes. Sa personnalité trop encline à la synthèse en fait un produit standard. S’il se veut « président normal », encore faut-il qu’il ne soit pas trop normal ! Qu’il sache dire non, surtout aux excès de son camp ; qu’il sache trancher pour l’intérêt général ; qu’il existe dans l’Union européenne, au FMI, à l’ONU. Il paraît plus manageur que capitaine, plus incarner la fonction de premier ministre que celle de président… Il faut ajouter le handicap Aubry, qui fait le forcing pour apparaître comme gardienne de « la ligne » (pas son tour de taille mais l’idéologie) et le handicap Montebourg qui provoque et provoque pour exister, chiot qui veut être chien. Le PS « négocie » avant le premier tour un accord avec les Verts contre le nucléaire et pour encore plus d’emplois publics. Et allez, 50% d’électricité en moins et 60 000 profs en plus que le simple remplacement de ceux qui partent en retraite ! Financé comment ? Mystère… à moins que la bonne vieille démagogie ne renaisse : yaka ! Ben oui, koi, yaka faire payer les riches ! Bon sang, mais c’est bien sûr, suffisait d’y penser ma bonne dame. Qu’un Thomas Picketty – de gauche socialiste et expert en finances publiques – ose dire qu’il y a vraiment très très peu de riches et que, même fiscalisés à 80%, cela rapporterait très très peu au budget de l’État, tout le monde s’en fout. C’est ça, « réenchanter le rêve français » : raviver la haine du bouc émissaire pour faire prendre les piques aux sans-culottes… juste pour l’élection. Après, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient », affirmait Chirac, expert en manipulations politiciennes. Il avait pris ses leçons auprès de Mitterrand.

Restent qui ? Eh bien les populistes, bien sûr ! Dans la ligne Pétain-Marchais : Le Pen, Mélenchon, Bayrou… Le souverainisme et l’« achetez français » est populiste, flattant la grasse xénophobie tapie au fond de tout aigri replié sur lui et ses petits potes. Même les zécolos sont pour le panier « bio » produit à la ferme d’à côté. Quand vous habitez Paris ou une grande ville, bonjour le sport ! Faites-vous comme Thierry Lhermitte qui, chaque week-end, prend son vélo et sa petite remorque pour aller faire ses provisions à la campagne ? Trois heures de vélo le matin, trois heures le soir, tout ça pour quelques carottes et fanes de légumes « oubliés » mais évidemment français-bio-de-saison. Pour le reste, et le tout-venant des ménages, acheter français est (sauf quelques exceptions comme le savon de Marseille, le livre de poche et certaines autos) la certitude de payer plus cher en plus ringard. Et de ne jamais acheter de téléphone mobile, d’ordinateur ni de lecteur MP3.

Laissons donc les extrêmes. Marine ira probablement plus loin que son père au premier tour, mais ne pourra jamais l’emporter que si l’UMP consent à des alliances sur le terrain, ce qui paraît exclu pour l’instant. Mélenchon attire par sa grande gueule mais repousse pour la même raison – il a une cote de popularité aussi forte que Villepin, c’est dire ! Marine Le Pen en Jeanne d’Arc, devant la statue du Commandeur Jean-Marie toujours présent, attire plus « le peuple » que le gauchisme Mélenchon version Robespierre, n’en déplaise aux petits zintellos. Les Verts n’attirent pas plus depuis qu’Hulot et Cohn-Bendit se sont éloignés, errant entre la version procureur et la version gauchisme blablateur, bien loin de la vraie politique.

Donc Bayrou.

Ni droite ni gauche, il peut rallier la France qui réclame le changement sans le risque (slogan de Giscard en 1974). D’ailleurs « l’envie de gauche » est faible en France… 53% selon l’Ifop par téléphone en décembre, probablement plus par désir d’éjecter Nicolas Sarkozy que d’amener au pouvoir les Aubry, Montebourg, Fabius, Lang et autres derrière François Hollande. Le même sondage Ifop-Paris Match de mi-décembre (commenté dans L’Express, lien ci-dessous) donne le trio de tête des personnalités les plus populaires de Français : Jacques Chirac (+2 points, 73%), Nicolas Hulot (-1,68%) et Bertrand Delanoë (+1,67%). Ce sont tous des hommes modéré, du « centre », au-dessus de la politique partisane, agissant peu et laissant faire, rassembleurs par-delà les querelles de clochers ou d’idées. Les Français en ont marre de l’idéologie et des psychorigides.

François Bayrou pourrait bien, cette fois-ci, incarner ce rôle que ni Sarkozy ni Hollande n’apparaissent capables de jouer. Ce n’est pas que cela me plaise, c’est une analyse à froid des tendances.

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Que nous disent ‘los indignados’ ?

Les indignés espagnols initient depuis quelques semaines une façon neuve de faire de la politique : l’insurrection pacifique des non syndiqués sans-partis et au chômage. Cette jeunesse est rafraichissante, bien plus que les braillards idéologues de nos avenues pavées qui scandent du Marx ou du Guevara (sauf le mercredi et pendant les vacances) – puis s’empressent de se poser en intellos sur France Culture et dans Libération une fois leurs études passées.

Indignation : colère envers ce qui heurte la conscience morale, contre les politiciens indignes de confiance dont la légitimité apparaît imméritée. La colère n’est pas le ressentiment, elle a à voir avec la dignité et la justice, pas avec la haine sociale née de l’envie. Le ressentiment veut détruire un système, une classe et des gens haïs en faisant table rase ; la colère veut faire lever un nouvel avenir rectifié en participant à son élaboration. C’est bien la différence entre los indignados espagnols (ou la révolte arabe) – et nos intellos en herbe.

Cet écart, Victor Hugo cité par le Robert l’a démontré : « on n’est indigné que lorsqu’on a raison ». Les Français dans la rue ont des certitudes à la Hugo, le sentiment de détenir l’ultime Vérité – pas los indignados des places espagnoles. D’ailleurs les manifs parisiennes avancent, s’écoulent, cassent des vitrines en queue pour piller – pas les manifs espagnoles qui s’installent, statiques, en des lieux symboliques. Les théoriciens gauchistes ont déjà la société utopique toute prête dans leur tête, pas les pragmatiques indignés qui disent seulement ‘on est là et il faut compter avec nous’.

Carlos Paredes, entrepreneur espagnol associé d’une micro-entreprise d’informatique, explique à MyEurop pourquoi un tel mouvement spontané : « Ce que nous réclamons, c’est que le Gouvernement établisse des mécanismes pour que les gens puissent contrôler ce que font les hommes politiques. Actuellement, en dehors du vote, il n’y a pas de moyen de le faire et les élus ont carte blanche toute la durée de leur mandat. Or, le problème, c’est qu’il y a une professionnalisation de la politique et du syndicalisme qui fait que l’intérêt des élus est de rester au pouvoir le plus longtemps possible, au détriment de l’intérêt des gens qu’ils sont censés représenter. » L’Espagne est une démocratie mais il manque des mécanismes pour empêcher que les élus mettent en place des politiques qui lèsent la majorité des citoyens.

Cette revendication d’autogestion, de non-violence et de tolérance vient de loin. Elle existe aussi en France : la Résistance, le peuple contre les élites défaillantes, Camus contre Sartre, le mouvement anti guerres coloniales et la deuxième gauche avec Mendès-France puis Michel Rocard, l’aspiration européenne sociale-démocrate de Jacques Delors. Aujourd’hui encore, les citoyens français sont attirés par le centre, les sondages le montrent. Dominique Strauss-Kahn l’a un temps incarné, mais sa chute ne profite pas aux extrêmes. Les Français en ont marre des gauchistes radicaux qui veulent tout casser pour instaurer un pouvoir centralisé à leur seul profit. Ils aspirent à la paix, à la participation, aux contrepouvoirs. Comme les autres Européens.

C’est ce qu’a bien perçu Pierre Rosanvallon avec sa démocratie participative. La contre-démocratie est composée des piliers qui surveillent, empêchent et jugent. Par eux, la société en son entier fait pression sur les gouvernants, soit pour les accompagner par leur vigilance, soit pour les corriger lorsqu’ils dérapent. Pas d’apathie politique ni ces manifs fusionnelles entre soi mais une nouvelle « démocratie d’expression » par la prise de parole, « démocratie d’implication » par les moyens de se concerter (dont internet), et « démocratie d’intervention » par les formes d’action collective (p.26). Si la « démocratie d’élection » s’est érodée, les autres sont bien vivantes. Les Intellectuels se voient toujours comme des « résistants » dont le devoir est d’alerter. Or, leur véritable travail est celui d’analyse pour comprendre le réel. Ce n’est pas du théâtre mais de la recherche !

Toutes les personnes qui se réunissent à Puerta del Sol veulent un vrai changement et parlent en leur propre nom, pas en celui d’un parti. Si le campement venait à prendre fin, des assemblées de quartier sont prévues dans tout Madrid. Pas besoin de partis, de syndicats ou d’intellos en Espagne ! Chaque citoyen prend son destin en main. Dure leçon pour les Français qui aiment bien donner des leçons…

Le livre de Stéphane Hessel, ‘Indignez-vous’ est plus émotionnel qu’analytique. Son empathie généralisée est naïve, plus un constat d’impuissance qu’une ouverture vers l’avenir. Mais le succès de son opuscule ne tient pas seulement à son titre et à ce qu’on peut le lire durant un trajet en métro. Il montre la colère face aux injustices des puissants, qu’ils soient riches ou élus. A leurs postures médiatiques, leurs petites phrases, leurs coups sans lendemain. Los indignados en Espagne montrent la voie moderne à ces Français qui cherchent à rejouer sans cesse le psychodrame parisien de mai 68.

Los indignados, dossier MyEurope.info

Los indignados, Rue89

Stéphane Hessel, Indignez-vous, 2010, collection Ceux qui marchent contre le vent, 32 pages, €2.85

Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, 2006, Points essais 2008, 344 pages, €9.02

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L’aberration Libération sur un sondage

Libé est un journal de gôch ! Qu’on se le dise et qu’on se le répète. Peu lu, mais par des convaincus bobos tombés dans mai 68 quand ils étaient petits, il veut voir l’avenir radieux à chaque lendemain qui vient. Hier est paru le numéro spécial Tonton, exigeant « le droit d’inventer ». Inventer : l’espérance sans cesse déçue sait faire – mais pas l’inventaire. En témoigne ce sondage sidérant publié et commenté en pages 3 à 5 pour la prochaine présidentielle.

Rappelons qu’elle n’est que dans un an et que toute prévision de vote ne peut être qu’aléatoire. On ne connaît même pas l’ensemble des candidats, et surtout pas celui de gauche… Mais le militantisme n’en a que faire. Il n’y en a que pour Dominique Strauss-Kahn. Héritier de Mitterrand, « nommé ministre à 40 ans » par Dieu lui-même, DSK est « né de gauche » et ne peut évoluer autrement. Rocard en témoigne qui le dit le meilleur. Il porterait haut les couleurs sociale-démocrates que le parti socialiste aurait acceptées du bout des lèvres, trois ans auparavant. N’ayons pas peur des mots : « Il y a une opportunité historique pour que la France saisisse l’occasion et serve de cristallisateur à une économie mondiale écologiquement compatible » – dixit Michel Rocard.

Est-ce pour cette propagande à grosse ficelle (quel que soit l’intérêt du candidat DSK – s’il se déclare un jour) que le sondage effectué par la société Viavoice est aussi « léger » ? Il n’a pas été réalisé par internet (comme le fameux du Parisien sur Marine Le Pen en février) mais par téléphone. Mais le lecteur qui connaît un tant soit peu la cuisine sociologique se demande comment on peut extraire des réponses aussi nettes de données aussi réduites et de réponses aussi vagues.

Il a déjà fallu 14 jours pour réaliser les questionnaires, ce qui montre l’ampleur de la tâche. Sur un « échantillon représentatif de la population de 18 ans et plus, méthode des quotas » de 2680 personne… seulement 800 ont répondu, se déclarant formellement « de gauche ». Ils ont seuls été interrogés interminablement sur leurs « valeurs ». De quoi enfoncer nombre de portes ouvertes : fallait-il sonder autant pour ça ? Gageons d’ailleurs que le chiffre rond de » 800 est trop beau pour être vrai et qu’il doit s’agir de 782 ou de 804. Remarquons en passant que seul 29.8% de l’échantillon a répondu. Ce qui veut dire soit que les 70.2% restant se considèrent de droite ou au moins hors de « la gauche » officielle, soit qu’ils sont indifférents à la politique et ne souhaitent pas qu’on les interroge à ce sujet !

En déduire alors quelque chose d’utilisable est une œuvre d’art. Surtout quand le lecteur effaré découvre que sur les 800 répondants aux convictions de gauche, 4% « souhaitent la victoire à l’élection présidentielle » de Nicolas Sarkozy et 6% de Marine Le Pen ! Qui connaît la technique reconnaît aussitôt là la « cuisine » des redressements statistiques que chaque organisme de sondage concocte au doigt mouillé, pour « ajuster » les réponses du maigre échantillon de répondants à la toise de l’échantillon « représentatif ». Certes, plus l’on veut affiner, plus il faut multiplier les appels, et ça coûte cher. Libé n’a pas de sous, il fait donc des sondages au rabais. Pourquoi pas, mais une simple mise en garde sur les données s’imposerait auprès des lecteurs.

Il n’en est rien. Malgré le très faible nombre de personnes « sondées » ici au regard des quelques 17 millions qui avaient porté leur voix sur Ségolène Royal en 2007, ne voilà-t-il pas que Viavoice détermine « trois familles » de gauche en 2011 ? Il y aurait 51% pour la gauche régulatrice, libérale mais sociale-démocrate, voulant conserver un rôle de garde-fou à l’État. 29% serait la gauche défensive, effrayée par les coups de la mondialisation, de l’immigration, des délocalisations. 20% resterait à la gauche alternative, plutôt anticapitaliste et écolo. Pourquoi pas, le tableau paraît assez sympa. Mais n’est-ce pas une trop belle copie pour la technique employée ?

Rien ne sonne mieux aux oreilles de l’espérance que ce qu’elle rêve d’entendre. En 2009, le même Viavoice ne dénombrait pas moins dans la même enquête 5 familles de gauche, « d’importance à peu près égales ». Comment, en 2 ans seulement, voici la gauche recomposée et rassemblée ? En 5 ans on comprendrait (la crise est passée par là, Nicolas Sarkozy aussi) mais en 2 ans, est-ce bien raisonnable ? La classification 2009 laisse d’ailleurs rêveur : interventionniste, sociale-libérale, anticonsumériste, antilibérale et écologiste antisystème. Hop ! Voilà les trois dernières catégories fusionnées en une seule deux ans après, ce qui ne fait plus que 20% du total de gauche affirmé… De qui se moque-t-on ?

La grosse ficelle est là : il s’agit de démontrer par les chiffres, selon des extrapolations tirées par les cheveux, que la gauche est « plus homogène que jamais ». Avec DSK en opérateur de synthèse – comme Mitterrand dont on fête justement (ô hasard !) les trente ans de prise de pouvoir le même jour. Tonton dont le plus fameux mérite affirmé dans l’analyse se résume à cet oxymore : « il parlait déjà à une gauche avide de changement et de protection ». Bien vu Madame Michu ! Pourquoi Giscard a-t-il donc échoué, lui qui prônait « le changement sans le risque » ? Et pourquoi pas le prochain slogan à la Chirac : « je ferai tout pour ne rien faire » ?

Affirmer tout et son contraire sur de minces chiffres récoltés par une enquête low cost vaut-il mieux que la méthode Coué ? On se dit que si la gauche gagne 2012, Libé deviendra la Pravda du régime, comme feu Le Matin de Paris sous Tonton… Les candidats, tout comme ceux qui s’intéressent à la politique autrement qu’en dévots déjà sur les genoux, ignorerons cette propagande. Elle a tout de la copie Science Po et pas grand chose de la technique scientifique du sondage.

Libération du 10 mai 2011, pages 3 à 5, avec interview (intéressante) de Michel Rocard pages 10 et 11.

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Filles et garçons au Japon

Nul doute que la société japonaise change : je l’ai vu en 15 ans. Il suffit de revoir par exemple le film d’Ozu, « Le goût du saké » qui date de 1962, pour constater que ce changement n’est pas nouveau mais constant, avec le monde.

Le film montre un Japon de la fin des années cinquante, défait militairement, devenu productiviste et consommateur. La jeunesse ne rêvait alors que d’individualisme, d’appareils ménagers et de clubs de golf. Les traditions se perdaient et les vieux maîtres n’étaient plus reconnus ni récompensés dans leur vieillesse. Les familles éclataient déjà. Chacun tendait à vivre seul – hantise des hommes japonais dont toute l’éducation a été à l’inverse : maternés durant leur enfance, servis dans l’entreprise comme au bar, servis chez eux par leur femme et leur fille mineure, au pouvoir dans la société. Or, le modernisme, dès 1962, faisait que leurs secrétaires les quittaient pour se marier, leurs filles aussi : rien n’allait plus… Ozu est un bon sociologue.

Le visiteur constate le changement en observant garçons et filles dans leur comportement aujourd’hui. A Nara, Horyu ji, ce sont des centaines de collégiens des deux sexes, de quatrième et troisième selon nos classifications, qui envahissent les allées. Ils sont divisés par classes numérotées de 1 à 4 matérialisées par des panneaux portés par des accompagnatrices. Toujours l’appartenance au groupe, ainsi proclamée. Mais les filles sont mêlées aux garçons sur un pied d’égalité, pas comme dans le film d’Ozu un demi-siècle avant.

Les traditions des années cinquante subsistent, mais la jeunesse joue avec. Si le pantalon noir des garçons ne peut avoir pour seule fantaisie que d’être parfois « taille basse », à la mode, la chemise blanche se porte sous toutes ses formes : avec ou sans tee-shirt, avec ou sans cravate, le col ouvert d’un bouton discret ou débraillé jusqu’à quatre.

Un gavroche à visière a la chemise sortie du pantalon. C’est un moyen pour lui d’affirmer son identité à l’intérieur des uniformes. Aujourd’hui, les normes officielles sont relâchées et le « déviant » est accepté officiellement (ce qui veut dire par le gouvernement et par les professeurs, sous la pression de la société). Mais dans certaines limites : pas question de cheveux jaunes ou de téléphones portables, ni de chaînes au cou à l’école, ni le droit de porter autre chose que les éléments indispensables de l’uniforme, chemise blanche et pantalon noir ou jupette pour les filles. La cravate, en revanche, n’est pas exigée.

Elle l’est même tellement peu que le boutonnage de la chemise des garçons est laissé à l’appréciation du climat et des hormones.  Ou de la mode américaine du décolleté pour laisser admirer son teint de pêche et sa peau de bébé. Les Asiatiques sont à l’aise dans cette norme de l’éphèbe : bronzé naturellement et sans poils. Le stoïcisme d’être peu vêtu dans le frais ou sous la pluie est apprécié au Japon, trait culturel de « virilité ». Le Franciscain portugais Luis Frois, qui a vécu plus de 30 ans dans le pays au XVIe siècle, constatait déjà que les enfants « d’Europe sont élevés avec beaucoup de câlins et de douceur, de la bonne nourriture et de bons vêtements ; ceux du Japon à moitié nus et presque privés de tendresse et d’attentions » (Traité de Luis Fros, 1585, traduction française éd. Chandeigne 1993).

Les filles sont toujours habillées de façon plus stricte, plus « tenues » par une société qui reste machiste, mais elles aiment aussi « souffrir » et « transpirer » comme les garçons, selon les valeurs de discipline japonaise. Midori, la petite amie du héros de « La ballade de l’impossible » de l’écrivain Haruki Murakami (1987), explique pourquoi elle a eu le tableau d’honneur à l’école : « justement parce que je détestais cette école à en mourir. C’est pour cela que je n’ai jamais manqué. Je ne voulais pas m’avouer vaincue. Je me suis dit que ce serait la fin si j’abandonnais. » (p.97) Serrer les dents, voilà du stoïcisme moins physique que rester en chemise sous la pluie, mais non moins révélateur d’un trait de la personnalité japonaise, valable pour les deux sexes. Ce qui n’empêche pas les filles d’avoir des gestes que les garçons n’auront jamais, même les mignons efféminés. La conscience des limites existe ici plus qu’ailleurs.

Aujourd’hui, les jupettes plissées noires des collégiennes ne tolèrent aucune fantaisie, le corsage blanc ne dégage pas le cou mais reste noué par un lacet. Elles portent de grosses chaussettes dont le noir tente d’amincir leurs mollets arqués peu esthétiques. Ces jambes arquées, que les garçons n’ont pas, seraient dues à la position assise, socialement seule acceptable pour les filles : à genoux. Les garçons peuvent s’asseoir en tailleur, le sexe toujours protégé de short ou pantalon – pas les filles, dont la jupe reste ouverte. D’où cette déformation des jambes.

Sorties de l’âge ingrat, nettement plus sévère au Japon pour les filles que pour les garçons (c’est l’inverse en Angleterre), les jeunes femmes peuvent être très belles,. Vers 17 ou 18 ans elles arborent le corps souple d’une liane et les traits fins. d’une miniature d’ivoire Elles sont souvent séduisantes dans leur façon de parler et de s’intéresser à vous, comme la jeune aubergiste de Dorogawa qui a flirté quelques minutes avec chacun des mâles du voyage – ou presque.

Ozu, Le goût du saké, DVD

Haruki Murakami, La ballade de l’impossible (1987), Points Seuil

Traité de Luis Fros, 1585, traduction française éd. Chandeigne 1993

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