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P.D. James, Un certain goût pour la mort

Une vieille fille de 65 ans, solitaire punaise de sacristie, et Darren, un gamin de 10 ans miséreux et fils de pute, se rencontrent sur le chemin de halage un matin vers huit heures et demie. Ils vont ouvrir l’église Saint-Matthew à Londres, épousseter et mettre des fleurs devant la BVM (Blessed Virgin Mary – la Bienheureuse Vierge Marie). Ils découvrent… deux hommes égorgés dans la sacristie de l’église. Ce n’est pas banal, d’autant que l’un d’eux est un clochard et l’autre un ancien ministre qui vient juste de démissionner. Double meurtre ou suicide ? Les indices sont maigres et les analyses donnent peu d’informations. Tout se joue, comme toujours, dans la psychologie des personnages, leurs habitudes, leur famille et relations.

Pour le vagabond alcoolique, pas grand-chose à dire, il était marginal, et se réfugiait dans ce lieu ouvert à tous – à condition d’en demander la clé au presbytère. C’est vraisemblablement l’autre personnage qui l’a fait entrer. Il s’agit de sir Paul Berowne, baronnet qui a obtenu le titre après la mort en Irlande de son frère aîné Hugo, militaire, et qui est devenu député conservateur, puis secrétaire d’État.

Adam Dalgliesh, commissaire à la tête de la toute nouvelle section des enquêtes sensibles mettant en cause des personnalités, officie ici sur un cas compliqué. Sir Paul avait connu ces deux derniers jours comme une révélation. Il avait attrapé la foi comme on attrape la grippe, aussi soudainement, aussi absolument. Son existence, pourtant réussie en apparence, ne le satisfaisait pas. Il avait pris le titre et la maison de son frère, il s’était remarié avec une fille belle et sotte surnommée Barbie après avoir tué sans le vouloir sa première femme dans un accident de voiture, et délaissé sa fille Sarah. Celle-ci, désormais adulte, s’est maquée avec un bourgeois révolutionnaire qui adore comploter et créer des cellules secrètes, faisant engager du personnel acquis à ses convictions pour espionner, et l’occuper ainsi pour le garder sous sa coupe. Quant à Swayne, le frère de Barbie qui aurait aimé être un Ken, il vit en parasite, délaissé par leur mère qui vole d’amant riche en amant riche. Sarah elle-même a pour amant le docteur Lampart, gynécologue et directeur d’une clinique très rentable d’accouchements et d’avortements. Règne sur la maisonnée la matriarche de 82 ans, fille de comte, Lady Ursula, qui garde les mystères de famille et du petit personnel sous sa morgue aristo. De plus, Barbie est enceinte… mais pas de son amant, qui a subi une vasectomie.

Le commissaire Dalgliesh, avec son adjoint inspecteur-principal Massingham et l’inspecteur femme Miskin, aime son métier et son équipe. Il « aime la mort » car elle révèle l’humanité des gens. Le titre est d’ailleurs tiré d’un poème d’Alfred Edward Housman : « There’s this to say for blood and breath,/ they give a man a taste for death » – il y a ceci à dire sur le sang et le souffle,/ ils donnent à l’homme le goût de la mort.

L’affaire a des ramifications dans le passé puisqu’un tract anonyme (mais orienté) accuse sir Berowne d’avoir provoqué la mort de sa femme et d’une infirmière de sa mère, retrouvée nue après s’être jetée alcoolisée dans la Tamise à la suite d’un avortement. On le soupçonne d’avoir été le père du fœtus, ce qu’il nie. Car il a convoqué Adam Dalgliesh plusieurs semaines avant sa mort pour lui faire part du tract anonyme, reçu au courrier, et d’un article de la Paternoster Review, feuille de chou confidentielle mais néanmoins conservatrice qui en reprend les termes. Le commissaire ne peut manquer de voir un lien entre ces morts successives et les égorgements de Saint-Matthew. D’autant que chacun ment sans arrêt, et presque sur tout. Il faut à chaque fois enquêter, vérifier, établir de façon irréfutable les faits avec preuves physiques et témoignages concordants, pour que les menteurs avouent candidement avoir menti à la police, par souci de bienséance.

Mais tout finit par se savoir et le lecteur connaîtra vers la fin qui a tué et pourquoi. Ce qui compte est comment le prouver, et surtout l’imprévu du dénouement final. La société anglaise des gosses de riches, des politiciens démagogues, mais aussi la bureaucratie des « services sociaux » n’en sortent pas grandis, et c’est ce qui fait tout le sel des romans de Phyllis Dorothy James.

Ainsi les députés de gauche qui proposent des lois imbéciles : « Si j’ai bien compris le raisonnement assez confus de mon honorable collègue, on demande au gouvernement de garantir à tous les citoyens l’égalité de l’intelligence, du talent, de l’énergie et de la fortune, et d’abolir le péché originel à partir de la prochaine année fiscale. Le gouvernement de Sa Majesté est prié de réparer par décrets statutaires l’échec éclatant que la divine providence connaît dans ce domaine » p.317.

Ou encore le besoin de religion jusqu’à l’absurde, rôle tenu dès les années 80 par l’antiracisme (touche pas à mon pote) et reprise aujourd’hui avec délice par LFI : « Le lycée polyvalent d’Ancroft avait eu sa religion lui aussi. Une religion à la mode et bien pratique vu qu’il était fréquenté par des élèves de vingt nationalités différentes : l’antiracisme. Vous ne tardiez pas à comprendre que vous pouviez vous permettre d’être aussi rebelle, paresseuse ou stupide que vous vouliez si vous connaissiez à fond cette doctrine fondamentale. Celle-ci ressemblait à n’importe quelle autre religion : on pouvait l’interpréter comme on voulait ; composée de quelques banalités, mythes et slogans, elle était facile à apprendre ; elle était intolérante, pouvait parfois servir de prétexte à une agression sélective et permettait d’ériger en vertu morale le fait de mépriser les gens qu’on n’aimait pas. Et par-dessus tout, elle ne vous coûtait rien » p.367. Délicieusement vrai…

Long roman, mais il le mérite.

Grand prix de littérature policière, meilleur roman étranger 1988

Phyllis Dorothy James, Un certain goût pour la mort (A Taste for Death), 1986, Livre de poche 1989, 575 pages, €8,90, e-book Kindle €7,99

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Le vrai esprit est celui qui perçoit le vrai monde, dit Alain

Un jour, en novembre 1908, le philosophe Alain relit Shakespeare. Mieux que les séries télé d’aujourd’hui, le théâtre du grand anglais décrit le monde tel qu’il est, les gens tels qu’ils se rêvent. « Nous sommes faits de la même étoffe que les songes » est dans La Tempête. L’esprit Ariel déchaîne les vents et les mers à sa fantaisie, comme un Trompe enfant.

Dans Shakespeare, « on y voit deux amoureux qui sont comme hors du monde et perdus dans leurs rêves ; leur ivresse gagne jusqu’aux spectateurs et les choses se passent dans la pièce justement comme les amoureux les imaginent ; tout doit finir bien ; l’esprit est roi du monde ». Le hideux Caliban se traîne à terre comme Trompe voudrait voir faire le serpent chinois et le coq européen. Sauf que Caliban reprend des forces, car lui n’est pas un rêve, mais une puissance de la terre. Dès lors, « l’enfant est fait », dit Alain. Ariel disparaît comme un songe.

Ainsi passent les dieux, ceux qui disent « je veux » et dont la volonté s’accomplit par le verbe. Ainsi dans la Genèse : « Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. » Ainsi dans le show politique de Trompe : « Donald dit : « que les droits de douane soient ». Et les droits de douane furent » – et le marché obligataire américain a dévissé dans l’heure de 0,5 %, soit dix fois plus qu’en une seule année. Dieu est omnipotent, dans l’imaginaire des hommes ; pas Trompe. Il a dû dire le contraire de ce qu’il venait de dire, tout en s’en glorifiant (nul compliment n’est meilleur que venu de soi-même) : « Finalement, je suspens pour 90 jours ». Et le marché obligataire américain, celui de la dette de l’État, s’est redressé. Provisoirement. En attendant la prochaine frasque du Bouffon qui se prend pour Dieu.

Nos rêves sont faits de la trame du réel, analyse Alain. Ainsi les électeurs « croient » le politicien quand il affirme haut et fort qu’il agira. Mais « je croyais que j’avais rêvé ; en réalité j’avais perçu les choses, mais assez mal (…) J’avais essayé, comme nous faisons toujours, de reconstruire les choses d’après cela. » L’histoire est toujours reconstruite a posteriori. Nous avons l’illusion que la volonté suffit, sans tenir compte des circonstances ni des choses ; si cela ne fonctionne pas comme attendu, c’est toujours de la faute des autres, ainsi du communisme à cause des méchants capitalistes (ou de la CIA) ; ainsi du trompisme – cet art de tromper le monde – à cause des marchés, de la Fed, des méchants exportateurs vers l’Amérique.

Découvrir les vraies causes, « c’est cela même qu’on appelle le réveil », écrit Alain. Quelqu’un marche devant nous et nous « croyons » le connaître ; c’est en fait quelqu’un d’autre. Nous suivons une route (ou la technologie GPS) ; ce n’est pas le bon chemin, nous avons « cru » le reconnaître, ou « cru » le GPS, qui n’a pas été mis à jour – dame Hidalgo vient justement de changer le sens interdit dans la rue à Paris, ce qui arrive constamment. « Nos rêves nous viennent du monde, non des dieux. C’est notre paresse qui les fait. De là les faux esprits. (…) Le vrai esprit est celui qui perçoit le vrai monde. » Encore une fois, penser n’est pas croire, mais analyser avant de juger, et tester son hypothèse pour la confirmer avec les faits.

Le rêve est bon quand nous dormons, ou que nous laissons errer la pensée. Il est mauvais lorsque nous sommes éveillés et actifs.

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Les gouvernants sont formatés dindons, dit Alain

Nous n’étions qu’en 1908 et, déjà, pointait la caricature de l’ENA, école que Macron a supprimée mais qui subsiste sous un autre nom. L’art de régler le problème par un tour d’illusionniste. Rien n’a changé depuis un siècle, dit Alain. Avant même l’ENA, « Dindon-Collège » existait déjà…

L’école supérieure des gouvernants, quel que soit le nom qu’elle porte, enseigne à pontifier pour paraître profond, à parler pour ne rien dire afin de noyer le poisson, à faire l’acteur de théâtre plutôt qu’à rester soi. « Vous avez certainement remarqué, me dit le directeur, qu’un certain nombre d’hommes sont disposés, par nature, a préférer le paraître à l’être, et à s’engraisser de l’opinion d’autrui. Il tiennent beaucoup de place dans la vie ordinaire, et ne sont bons à rien. Aussi nous les prenons pendant qu’ils sont encore jeunes, et les formons pour leur véritable carrière, qui est le gouvernement des peuples. »

Chacun sa place, et les grenouilles doivent être gonflées par l’enseignement pour paraître aussi grosses que les bœufs. Percez-les à jour, et ils exploseront. On l’a vu durant le Covid : personne ne savait rien sur rien, mais tous affirmaient haut et fort détenir la seule vérité des choses – que les masques ne servaient au fond à rien, que le virus n’était qu’une grippe un peu virulente, qu’on pouvait se désinfecter à l’eau de Javel (y compris les bronches, disait le Trompe, qui n’avait jamais rien lu de sa vie). Jusqu’au « professeur » de Marseille qui savait mieux que tous les scientifiques du monde comment manipuler les faits à son gré pour asséner « sa » vérité. Démentie rapidement par les mêmes faits – qui sont tenaces, comme chacun sait. Le Trompe a pris de l’hydroxychloroquine à poignée au petit-déjeuner et… s’est vu contaminé par le Covid comme si de rien n’était.

Les murs du collège de dindons sont peints d’allégories qui s’annulent, comme le Travail couronnant la Persévérance, suivie de la Persévérance couronnant le Travail – autrement dit comment démontrer tout et son contraire, selon le vent. Les amphis sont pleins de profs discourant des heures pour ne dire que du vent (émettre de l’air chaud, disent les Anglais qui ont appris le Parlement plus tôt que nous), avec beaucoup de mots creux (ce qu’on appelle la langue de bois) et de phrases toutes faites (qu’on appelle les éléments de langage). Celui qui s’endort le dernier aura le prix. Les étudiants raturent, car ils croient avoir compris alors que, comme disait Alan Greenspan, président de la Federal Reserve, la Banque centrale américaine, dans les années pré-krach, « si vous avez compris ce que j’ai dit, c’est que vous n’avez rien compris ».

Les plus forts en thème sont ceux qui sont capables de tirer douze pages sur un canon explosé pour conclure qu’il ne peuvent rien en dire tant que l’enquête est ouverte (on connaît ça…). « Mais le plus fort est celui qui avait à répondre (c’était le sujet proposé) à des citoyens qui viennent demander du secours parce que leur maison brûle. Il écrivit vingt pages pour dire que la question allait être mise à l’étude. Ce jeune homme ira loin. » Faites long et chiant, avait coutume de dire Édouard Balladur à ses énarques, lorsqu’il voulait qu’un rapport soit publié sans être lu. Nommez une commission, disaient les vieux briscards de la défunte IVe République, que les plus cons à gauche voudraient voire revenir.

Rien de nouveau sous le soleil…

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Pour être soi il ne faut pas être seul, dit Alain

Fin décembre 1907, le philosophe Alain se rend compte qu’« il y a de merveilleuses joies dans l’amitié ». Moins dans le sentiment lui-même, comme on tend à le penser, que dans la contagion de l’autre. « Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vraie joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie. » On n’est joyeux que dans la joie partagée – pas tout seul.

« L’homme content, s’il est seul oublie bientôt qu’il est content ; toute sa joie est bientôt endormie ; il en arrive à une espèce de stupidité et presque d’insensibilité. » Le sentiment intérieur a besoin des humains ou des animaux domestiques pour exister ; pour apparaître au jour ; pour se révéler. C’est pourquoi la morosité des autres nous contamine, le « sérieux » pesant des politiciens nous déprime, l’atmosphère constamment critique démolit tout. La dérision n’est pas un rire, c’est une grimace ; elle n’amuse pas, contrairement à ce que croient les « amuseurs » ; elle rend triste. D’ailleurs, les clowns sont tristes, ils l’ont toujours été. Et l’humour juif est celui qui est le plus poignant parce qu’il ne fait pas rire.

« Il faut une espèce de mise en train pour éveiller la joie », dit Alain. Il la compare à ces branches sèches qui deviendront poussière si l’on n’y boute pas la flamme. Mais alors, quel feu ! Comme le petit enfant, il faut rire pour être joyeux – et non pas le contraire. « On a besoin aussi de paroles pour savoir ce que l’on pense », poursuit Alain. Ce pourquoi coucher sur le papier ses pensées permet tout simplement de penser. Sans les mots, tout ce qui est en nous reste informulé, informe, inexprimé. D’où la réflexion du philosophe que « tant qu’on est seul, on ne peut être soi ». Les plus primaires, manquant de mots pour le dire, parlent avec leurs poings. C’est un échec de l’éducation, la familiale comme la nationale : ne pas faire des adultes des enfants qui lui sont confiés – les laisser seuls.

Seuls les « nigauds de moralistes », dit Alain, pensent qu’aimer est s’oublier. C’est tout le contraire. Aimer, c’est réagir à l’autre et le faire réagir, donc exister. « Plus on sort de soi-même et plus on est soi-même ; mieux aussi on se sent vivre. » Vaste réflexion, comme en passant, sur une affinité courante : l’amitié. Tel est le sel de la philosophie, la vraie, celle qui propose une vie bonne.

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A jouer au con, on le devient

Qu’arrive-t-il à « la gauche » ces temps-ci ? Une régression boutonneuse comme ces à peine pubertaires qui se fâchent parce qu’ils ont été « traités » ou parce qu’untel « l’a dit » ? François Bayrou, encore Premier ministre, a énoncé « un sentiment de submersion », à Mayotte surtout et parfois ailleurs. En bon agrégé de lettres classiques, il sait ce les mots veulent dire, au contraire des Vallaud (juriste énarque), Faure (économiste politicien) et autres faibles du parti qui se dit « socialiste ».

Bayrou énonce une réalité. Bien loin des « grands mots » des enflures théâtrales à la Hugo, qui sonnent bien mais accrochent peu, tant les gens sont exaspérés de l’écart grandissant entre les mots et les actes. Bien nommer les choses, disait Camus, c’est déjà avoir prise sur le réel. S’enfumer de « Grands principes » et de « mots tabous » n’est qu’une hypocrisie de petite politique politicienne. Il y a des jours où « les socialistes » feraient mieux de se taire et de travailler.

« Alerte vagues submersion : le niveau 5 déclenché à Biarritz », énonce la Météo ces jours-ci, sans que les caciques du parti rose n’y voient une désinformation due au Rassemblement national. Il s’agit de vagues (pourtant marines) pouvant emporter un promeneur sur le bord de côte, pas d’un tsunami. Même chose pour l’immigration : le chef de l’extrême-centre reste modéré et n’entonne pas les clairons de l’extrême-droite. Il y a un vrai problème à Mayotte, comme dans certaines régions françaises (la Guyane, le Nord, par exemple). Le nier au nom du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout le monde il a droit, est une niaiserie. C’est jouer l’autruche à se cacher la tête dans le sable, endosser le rôle de Tartuffe devant le sein qu’il ne saurait voir – mais qui existe.

Or « le peuple » – les citoyens qui votent et manifestent – savent bien qu’il y a une question. Qu’aucun gouvernement n’a prise à bras le corps, contrairement à ce qui a été fait au Canada, en Suède, au Danemark et ailleurs. Ne pas la considérer revient à laisser la place à tous les excès des « yakas » par les « fauqu’on ». Donc à ouvrir tout droit un boulevard aux Trump et autres adeptes de la tronçonneuse.

Le problème de Mayotte est dû à la droite, jamais cohérente dans ses choix contradictoires. Il n’aurait jamais fallu faire de cette île un « département ». La solution serait probablement de le transformer en « territoire d’outre-mer », analogue à Tahiti, en décentralisant la gestion des flux et sans que les nés sur place deviennent français par automatisme. Mais qui prendra à bras le corps cette question ? La droite, aujourd’hui à grande gueule, n’a rien foutu malgré sa décennie de gouvernement.

Il y a bien d’autres menaces de « submersion » aujourd’hui que Mayotte. Cette île n’est (pour paraphraser le diable) qu’un « détail » politique dans la multiplicité de problèmes bien plus graves. Pensons à la « submersion » de la dette, que les marchés vont nous infliger s’il y a encore censure et une fois de plus aucun budget ; à la « submersion » de l’anti-parlementarisme devant cette Assemblée de singes qui ne pensent qu’à leur banane personnelle et pas à la jungle qui les environne ; à la « submersion » des licenciements par l’attentisme des investissements d’entreprise devant l’incertitude et l’immobilisme politique persistant ; à la « submersion » du prochain vote à l’extrême, comme on l’a vu aux États-Unis, face aux errements de « la gauche » et de sa débilité politique.

En jouant chaque jour un peu plus aux cons, les « socialistes » le deviennent. Ils sont à chaque fois ramenés vers la radicalité mélenchonne, une envie de tout casser et de renverser la table pour virer ces incapables qui se goinfrent en Assemblée aux frais des contribuables – sans faire leur boulot qui est de composer une politique. Au risque que le parti socialiste soit assimilé définitivement au parti insoumis, et que cette radicalité révolutionnaire entraîne un mouvement de rejet clairement en faveur de l’ordre… donc du RN. La chienlit, ça suffit ! Avait dit de Gaulle avant d’emporter l’Assemblée en 1968, avec une majorité introuvable.

On ne sait même plus de quel « socialisme » on parle chez les Vallaud, Faure et autres indignés pour un mot. Le socialisme utopique des « droits » de 1848 et de l’enflure romantique ? Le socialisme « scientifique » des moyens de production de Marx ? Le socialisme d’État à la chinoise avec surveillance tout azimut et camps de redressement ? Du socialisme « réel » des soviétiques, de sinistre mémoire (« sinistre » vient de « gauche ») ? Le socialisme démocratique à la scandinave qui a pris la « submersion » migratoire à bras le corps, en imposant une intégration des valeurs du pays aux postulants étrangers) ? Le faurisme est instable, comment pourrait-il établir une relation durable en politique ?

Le Bruit du tic-tac se rapproche (titre d’un livre commis par Olivier Faure avec Lucile Schmid en 2001) : la France va bientôt exploser si les députés ne se reprennent pas pour faire leur travail (comme tout le monde !), et ce sera un benêt rose soi-disant indigné, comme le Premier secrétaire (mal élu) du PS, qui aura allumé la mèche.

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Zorro ou la métaphore politique française

Jean Dujardin, 52 ans, le mâle à la française, un peu épaissi après ses exploits en surf dans Brice de Nice puis son essai d’incarner en OSS 117 un James Bond de la DGSE, se veut désormais le défenseur des pauvres et des orphelins sous la forme du renard (Zorro en espagnol) dans une Los Angeles qui n’est qu’une bourgade, pas plus grande qu’un village gaulois.

La série sortie en septembre 2024 sur Paramount et qui passe désormais sur France 2 en huit épisodes est réalisée par Émilie Noblet et Jean-Baptiste Saurel d’après un scénario de Benjamin Charbit et Noé Debré.

Dans le premier épisode de la série, après vingt ans à n’être que l’adjoint de son père don Alejandro (André Dussollier) à la tête de la ville, le vieux politicien retord qui assure sa popularité par des « fêtes » qu’il finance par de la dette sans cesse renouvelée, lui confie – avec regret – les clés de la cité. Normal, il meurt juste après avoir douté de son bon choix.

Et voilà don Diego fort marri, lui le fils à papa devenu snob, juriste et technocrate, se piquant de parler politiquement correct en disant « autochtone » et pas « indien », et qui n’a rien vu des problèmes de la ville. C’est « la crise ». Est-il à la hauteur ? Dans les dix premières minutes du premier épisode de la série, il se fait humilier trois fois, comme le Christ.

Une première par des bandits qu’il désarme, avant de leur rendre leurs épées par bêtise et candeur bobo, s’ils « promettent » de bien se tenir. Mais la racaille n’a cure des promesses, elle préfère la loi du plus fort à la loi juridique. Ainsi dans les banlieues, ou Macron face à Poutine dans les débuts de l’invasion de l’Ukraine…

La seconde fois, c’est lorsque son père passe la main et lui confie la clé de la ville puis, alors que Diego commence à discourir avec des phrases longues et des mots compliqués pour déclarer qu’il faut l’eau courante aux habitants, reprend la clé et décide de continuer… avant de calancher en pleine foule. Ainsi notre président Macron, réélu, indispensable à tout croit-il, est-il toujours à la hauteur de sa tâche ?

La troisième est lorsque sa femme Gabriella (Audrey Dana), lasse de ne pas avoir d’enfant faute de baiser suffisamment – même pas une fois par semaine – décide de l’aguicher alors qu’il se débat dans les factures douteuses à son bureau. Elle le branche, mais il ne répond pas, préférant aller voir un incendie qui s’est déclaré dans la ville. C’est don Emmanuel (Éric Elmosnino), affairiste, qui saisit les terres et vide les maisons de leurs habitants pour se rembourser de ce que la ville lui doit, et que l’ancien alcalde, père de Diego, a sans cesse repoussé pour financer ses « fêtes » (on se rappelle les JO, la réouverture de Notre-Dame, en attendant la suite). Selon l’adage, bien connu des escrocs, que plus vous devez de l’argent à quelqu’un, plus vous le tenez car, s’il vous met en faillite, il perd tout. Une vieille astuce dont les ministres d’Ancien régime ont usé et abusé auprès des riches bourgeois et seigneurs – et dont les fonctionnaires de Bercy, les économistes de gauche et les politiciens démagogues usent auprès des marchés financiers, jurant que « l’impôt » remboursera tout ça… à terme.

Don Diego n’a plus 20 ans et n’est plus Zorro depuis longtemps – comme Macron n’est plus aussi fringuant depuis 2017. Mais, face aux malheurs de la ville, il reprend sa panoplie de justicier, loup sur les yeux, grande cape noire, épée flamboyante, et le cheval Tornado, ou plutôt son fils étalon. Appel au président à ressaisir ses pouvoirs ?

Ce « remake » est adapté au présent, avec vocabulaire d’aujourd’hui et valeurs culcul bobo. C’est probablement une satire à prendre au second degré, bien qu’à le voir en famille, ce soit un peu compliqué. Ce que retient l’adulte citoyen est que Zorro redevient justicier. Il jette aux orties les convenances hypocrites qui profitent toujours aux plus puissants pour faire régner le bon ordre au fil de son épée. Il jette au feu la lettre qu’il compose laborieusement au roi d’Espagne (à plus de 12 000 km) et qui mettra seize semaines à arriver par bateau, et autant pour que la réponse revienne, sans parler du temps interminable que la bureaucratie espagnole mettra à la traiter. Il part direct aller délivrer le jeune garçon que les soldats ont emprisonné pour avoir résisté à la saisie. C’est un peu Macron à Mayotte contre Bayrou procédurier.

Zorro signe d’un Z fort réussi son exploit à l’épée sur le torse du vieux sergent Garcia (Grégory Gadebois), devenu adepte du pardon des offenses et de la zen attitude. Rappelons que le Z est le signe des nationalistes va-t-en guerre de Poutine et que le pardon et la procrastination sont les faiblesses bien connues de l’Occident, de son parlementarisme à 27 et des parlotes interminables et futiles entre députés nationaux.

D’où cette métaphore politique, presque trop grosse pour être voulue : foin du droit et des procédures, contre les ennemis une seule solution, l’épée, l’armée, la force. Au service du Bien, pour dissuader les méchants, mais quand même. Plus de chicanes procédurières, de la décision, et les moyens d’y parvenir.

Une sorte d’appel à un pouvoir fort, incarné par un héros, aidé d’une héroïne comme Gabriella l’est à Diego (féminisme d’aujourd’hui oblige). Et qui voyez-vous comme héros politique appelé à signer Z durant notre crise politique française actuelle ?

Je vous le donne en mille.

NB / Pour le reste, une fois visionné toute la série, elle ne restera pas dans les annales. Manifestement ciblée sur les 12-15 ans, la dérision potache permanente et le bavardage narcissique du Zorro principal lassent très vite. Quant à la Zorra… woke ! woke ! woke ! On se roule par terre. Une épouse qui n’a jamais reconnu son mari au lit ?

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Édouard Philippe, Des lieux qui disent

Un mauvais titre pour un assez bon livre. Un titre trop technocrate, dans le prolongement Des hommes qui lisent, publié en 2017 et que je n’ai pas lu. Édouard Philippe y parlait des livres qui l’ont construit, tandis qu’il parle ici des lieux qui lui donnent un lien intime et politique avec la France : l’école Michelet, le port du Havre, Notre-Dame, le monastère de la Verne, l’hôpital Charles Nicolle, le Palais Royal. Pourquoi un mauvais titre ? Parce qu’il est à la forme passive, comme résignée, dans la ligne des « soignants, sachants, enfeignants, gouvernants et autres gnangnans… » Des lieux « qui disent » comme s’ils pouvaient parler, affirmant en quelque sorte une fatalité, une raison des choses. Comme si ces pseudo-raisons existaient…

Alors que c’est plutôt la volonté politique que promeut l’ancien premier ministre et probable candidat à une future présidentielle, avec son parti Horizon. Un « combat », écrit-il, sous trois formes : pour la survie de la démocratie libérale, parlementaire, de l’État de droit et de l’économie de marché ; pour répondre à l’urgence climatique par-delà les slogans et les yakas, dont le danger serait « d’interdire » plutôt que de faire évoluer ; pour une France puissance dans l’Europe.

Cinq thèmes pour exposer ce combat : apprendre (l’école), aménager (les infrastructures industrielles et de transport pour relier), soigner (les problèmes de l’hôpital et de la médecine libérale), juger (du Conseil d’État dont Philippe est membre au tribunaux locaux, à la politisation de l’École de la magistrature et à l’entre-soi du corps érigé en forteresse par méfiance envers tous), espérer (sinon par la foi religieuse, du moins par la promotion d’une foi républicaine des Lumières, laïque et désireuse de progrès). L’ordre des priorités est probablement choisi ainsi – car on ne peut tout faire, tout réformer, tout rebâtir d’un seul coup en quelques années. Sauf que rien ne peut réussir sans la foi en sa mission, et que le dernier chapitre est peut-être à placer en premier.

Mais l’ex-chef de gouvernement candidat aux affaires est un homme prudent, élevé dans un milieu de profs qui savent ce que veut dire négocier avec une classe hétérogène, des parents d’élèves exigeants et irascibles, une administration lourde et lente qui ne veut pas de vagues. Édouard Philippe écrit avec la plume sur des œufs, sans cesse à nuancer, à excuser, à rendre hommage avant d’avancer une – toute petite – critique. Les chapitres sont écrits sur le même plan : un souvenir personnel, un peu d’histoire du sujet, des chiffres actualisés, quelques citations littéraires – et un constat d’évidence qui appelle des solutions raisonnables d’évidence… sur le long terme.

Rien de révolutionnaire ni de neuf mais, pour le candidat qui se présente comme « un bon généraliste » p.178, mais l’appel à donner des libertés et à favoriser l’initiative locale décentralisée pour s’adapter au terrain et aux problèmes (le contraire d’Emmanuel Macron qui veut tout centraliser à l’Élysée, peut-on lire en filigrane). Et l’affirmation tranquille du réformisme à poursuivre (comme Emmanuel Macron mais avec une méthode différente, peut-on toujours lire entre les lignes). Et, bien-sûr, il existe ce réformisme ! depuis des années en France, sous plusieurs gouvernements de bords différents, ce qu’on dit par convention impossible aux Gaulois réfractaires. Preuves à l’appui.

Sa méthode ? Le « sérieux » – contrairement aux bouffons des va-Nupes qui font le clown à l’Assemblée au lieu de débattre des vrais problèmes, des écolos opposés sur tout (et même entre eux) au lieu de se préoccuper de l’intérêt général et des compromis nécessaires à toute action politique concrète, des excités populistes du yaka pour qui tout est simple. « Toute ma vie m’a conduit à dire et à penser qu’il était possible de changer les choses pour autant que la démocratie soit prise au sérieux et que nos institutions soient respectées. (…) Le sérieux, c’est l’idée simple qui veut qu’en maîtrisant complètement les règles du jeu, en les appliquant avec constance et cohérence, sans jamais chercher à biaiser avec elle mais en comprenant ce qu’elles permettent, il soit possible de réussir » p.295. Autrement dit un président qui préside et un premier ministre qui gouverne – selon la Constitution – pas un mélange des genres. Un style en peu lourd pour affirmer une conviction que le travail sur les choses et avec les gens permet seul d’analyser les problèmes et de trouver des solutions. Telle est son « ancre », « à la fois symbole de la maîtrise de son destin et de l’aspiration à l’aventure » p.77.

Avec deux références adolescentes : Mendès-France et Blum. Sur le premier, « L’exigence morale le courage intellectuel la rigueur politique du juriste engagé en politique » p.182 ; sur le second, « Un charme supplémentaire : la silhouette d’un dandy critique d’art, la figure d’un haut fonctionnaire brillant et inventif, (…) le dreyfusard convaincu et combattant, l’écrivain que j’admirais (…). Et puis il y avait l’homme politique, au caractère trempé mais jamais dénué de doute, qui marque l’histoire » p.183. Des modèles à suivre.

Un constat lucide, qui ne se veut pas désabusé, des maux qui traversent la société française :

  • « Qui pourrait dire aujourd’hui que l’école en France forme de bons républicains  ? qui sait encore ce que cela peut vouloir dire  ? » p.28.
  • « L’effort de redressement de la Nation [Philippe y met une majuscule] passe par des incarnations physiques, et les grands travaux d’infrastructures, parce qu’ils reposent sur l’idée de l’intérêt général, du long terme et d’une certaine forme de grandeur, incarnent cette volonté » p.101.
  • « Nombre de médecins. Ils sont en 2023 environ 226 000. En 2000, ils étaient 200 000 ; en 1980 environ 100 000. (…) Qui rappelle qu’entre 1980 et 2023, le nombre de médecins a augmenté de 120% ? » p. 137. Il n’en manque pas, ils sont seulement mal répartis et, comme nombre de profs ne sont pas devant des classes, nombre de médecins jouent les fonctionnaires dans les instances.
  • « La plus grande fragilité de notre pays face à l’obscurantisme intellectuel et la violente remise en cause de nos principes ne tient pas aux dispositions législatives qui reconnaissent la liberté de pensée et de culte ni à celles qui imposent à l’état une neutralité complète. C’est l’absence de perspective de notre société, l’indigence de notre stratégie nationale, la faiblesse idéologique actuelle de notre modèle républicain qu’il faut à la fois déplorer et craindre, car elle laisse la place aux prédicateurs d’un autre modèle de société » p.266.

Quelques pages sur ses maladies – pas graves ni contagieuses – le vitiligo (p.170) qui lui blanchit la barbe et l’alopécie (p.172) qui lui ôte cheveux et sourcils. Tout cela change son apparence et, comme il est un homme public soumis au regard scrutateur des citoyens et des médias comme des autres politiciens, il veut s’en expliquer.

Au total un livre étape pour se présenter en tant qu’homme et citoyen, pour se définir comme politicien réformiste engagé au service du pays. Facile à lire, parfois un peu fastidieux comme un rapport d’énarque, mais avec quelques moments d’émotion sur Notre-Dame qui brûle ou le sens de la prière dans un monastère à 14 ans, lui qui s’est éloigné de la foi religieuse. Un intéressant constat argumenté sur les principaux problèmes dont nous abreuvent les médias (école, transports, justice, hôpital, islamisme) sans toujours approfondir.

Édouard Philippe, Des lieux qui disent, 2023, JC Lattès, 313 pages, €21,90 e-book Kindle €15,99

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Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs

Des vacances sur la Méditerranée pour le gendarme Léon Crevette et son ami retraité Eddy Baccardi, qui a vendu du pinard avant de se mettre « à l’écoute » des esseulé(e)es. Il aide sa réflexion : « l’étincelle, celle qui ne jaillit qu’au frottement de deux silex » p.74. Le crustacé au rhum fait plus que des étincelles : c’est un plat qui se déguste.

Un marin mort est retrouvé dans la grotte des Flambeaux noirs ; une vieille légende y mettait un pèlerinage avec des torches qu’on laissait s’éteindre avec ses vœux. Mais quel rapport avec la victime ? Peut-être aucun, si ce n’est qu’elle ne s’est pas noyée. Le Commandant Crevette, sitôt rentré de vacances, est renvoyé en mission sur le lieu de ses vacances – car c’est là que le mort fut découvert. Déjà Valentina, sa compagne russe qui est légiste, a été requise pour autopsier le cadavre, un homme de pas 40 ans, faute de médecin accrédité sur les lieux. Le lieutenant Flocon un brin gelé, en charge du coin, se liquéfie à l’idée de mener une enquête, lui qui sort à peine de l’école de gendarmerie après la charcuterie de ses parents. Les deux vont donc être priés par le proc de travailler ensemble.

Le mort était propriétaire de trois bateaux de pêche dont la Marie-Louise ; tous, curieusement, ont été immatriculés récemment aux îles Marshall, un paradis fiscal où l’on est en outre peu regardant sur le droit du travail. Son fils Victor, 9 ans, est enlevé peu après sa mort. Y aurait-il anguille sous roche ? Son grand-père est sénateur louche, de plus en plus tenté par l’extrême-droite. Une piste ? Mais rien. Il patauge, le Léon, entre « la veuve qui officiellement ne sait rien, le capitaine de la Marie-Louise qui ne dit rien, le dénommé Brahim et le blond barbu qui ont réponse à tout… (…) le sénateur qui a l’air faux comme un jeton » p.86. Les matelots marocain et norvégien ne disent pas ce qu’il savent, mais ils savent quelque chose. Le tout est de les amener à fissurer leur vérité en béton.

Léon laisse s’agiter ses petites cellules grises. Il les entretient aux petits plats d’un restaurant gastronomique non loin de son hôtel. Il déguste même des saint-jacques Rossini ! Une délicieuse recette adaptée par des Belges sur la Côte d’Azur dans le roman, mais qui vient de l’école du Ritz à Paris dans le vrai. Pas très diététique, mais goûteux.

Le gamin finira par s’évader tout seul en faisant un truc qu’il a vu dans une série télé (comme quoi la télé forme la jeunesse). Le sénateur sera pris la main dans le sac ou plutôt le revolver sur la tempe. Le commanditaire de tout le trafic ayant abouti à la mort du père et à l’enlèvement du fils, découvert et châtié. Il s’agissait d’un homme protégé, qui se fait appeler le Docteur T, et qui informe plus ou moins « les services » sur les djihadistes revendeurs de drogue avec qui il est en « affaires » ! Mais, si l’on sait dès le début que le sénateur n’est pas clair (dame, un politicien !), le lecteur ne trouve aucun fil pour le guider dans le labyrinthe. L’enquête est habilement menée par un auteur qui connaît bien les arcanes des Administrations, ayant passé sa carrière comme haut-fonctionnaire.

C’est léger, pétillant, l’auteur s’amuse et ne se prend jamais au sérieux. Comme cette remarque, en passant, sur le sénateur véreux, perquisitionné, qui « s’agite, mélenchonise. C’est un abus de pouvoir, une forfaiture, il est sénateur de la République, et la République, c’est lui ! » p.121. Le gendarme Crevette conduit ses enquêtes à la Maigret, avec le pif plus qu’avec les techniques modernes, et l’optimisme de l’auteur est contagieux. Il fait passer un très bon moment.

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs – Une enquête de Crevette et Baccardi, 2023, L’Harmattan noir, 219 pages, €20,00

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Nietzsche contre les grandes enflures et les petits venimeux

Pour une fois d’une grande clarté, Nietzsche conseille à Zarathoustra de se garder de deux engeances humaines : les soi-disant grands hommes et les mouches de la place publique.

Ô combien nous connaissons ces deux espèces, de nos jours, avec les populistes à la Mélenchon, Zemmour ou Rousseau – et avec les « réseaux sociaux » qui lynchent à tout va pour être confortablement « d’accord » en bande organisée ! Les uns comme les autres, cela leur évite de penser. Les premiers ne sont qu’éponge à populo, ils renvoient aux gens ce qu’ils veulent entendre avec un seul but : le pouvoir ; les seconds ne sont qu’échos geignards ou vindicatifs, ils « s’expriment » pour dire qu’ils sont minables comme les autres et que tous ceux qui sont au-dessus leur font mal.

D’où ce conseil de Zarathoustra aux créateurs : « Fuis, mon ami, dans ta solitude ! Je te vois étourdi par le bruit des grands hommes et fouaillé par les aiguillons des petits. »

Les ainsi désignés « grands hommes », les hommes importants, notables, sont de « grands comédiens » et plus ils font de bruit et de vent, plus ils apparaissent grands ; ce sont des enflures au sens strict de la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf. « Dans le monde, les meilleures choses ne valent rien sans quelqu’un qui le représente : le peuple appelle ces figurants des grands hommes. » Ainsi Didier Raoult, professeur distingué et directeur d’un grand centre de recherches médicales à Marseille, s’est-il fait capter par la gloire populaire. Chercheur, il a abandonné la recherche pour la représentation ; il a des convictions, ce qui est légitime, mais ne les a pas vérifié selon la méthode éprouvée. Il s’est retrouvé malgré lui représentant des antivax et autres « rebelles » à tout, ignares crasses et autres mécontents. Devenu un personnage, emprisonné dans ses affirmations péremptoires à la télé devant le monde entier, il est devenu un « grand homme » avant d’être dégommé par la réalité. Les 156 000 morts en France du Covid n’ont rien eu à faire de sa chloroquine ; il a été prié vivement de faire valoir ses droits à la retraite.

« Le peuple n’entend rien à la grandeur, je veux dire à la création. Mais il a un sens pour tous les figurants, pour tous les comédiens des grandes causes. » La science et sa rude discipline ? Il s’en fout, le peuple, il ne veut pas des vérités que l’on peut prouver mais des certitudes. Le peuple veut la croyance, pas la connaissance. Et lorsqu’un chercheur ou un politicien se lance à la tête du peuple, il renie la méthode scientifique ou le souci de compromis pour l’intérêt général. Cela donne des histrions, pas des créateurs. Ce qui rend aveugle à ce qui meut véritablement l’histoire. « Le monde tourne autour des inventeurs de valeurs nouvelles : il tourne, invisible. Mais autour des comédiens tournent le peuple et la gloire : ainsi va le monde. » Et il est bien méprisable…

« Le comédien a de l’esprit » – oyez Mélenchon ou Zemmour – « mais il n’a guère conscience de l’esprit. Il croit toujours à ce qui lui procure ses meilleurs effets – à ce qui incite les gens à croire en lui ! » D’où les dérives de Mélenchon ou Zemmour, ou Rousseau, ou tant d’autres, dont jadis Sarkozy. « Demain il aura une nouvelle foi et après-demain une autre plus nouvelle encore » – voyez Mitterrand ou Marine Le Pen. « Renverser – c’est ce qu’il appelle démontrer. Rendre fou – c’est ce qu’il appelle convaincre ». Une fois le chaos établi, son pouvoir sera mieux assuré. Et il le gardera par tous les moyens – voyez Poutine en 1999 avec ses faux attentats du KGB à Moscou et sa guerre totale en Tchétchénie. « Le sang est à ses yeux le meilleur de tous les arguments. » Pire ! « Il appelle mensonge et néant une vérité qui ne s’insinue que dans les oreilles fines » – voyez Trump ou Zemmour, ou Rousseau… et ainsi de suite. Or « jamais la vérité n’est restée au bras des intransigeants », constate Nietzsche. C’est même un marqueur : plus quelqu’un affirme et éructe, moins il est dans la vérité – ce pourquoi Zemmour, qui en a fait trop comme souvent les gens issus de minorités qui cherchent une revanche sociale, a lassé puis carrément perdu. « La place publique est pleine de bouffons solennels – et le peuple se vante de ses grands hommes ! »

« Tout ce qui est grand se passe loin de la place publique et de la gloire ».

Les mouches venimeuses des réseaux sociaux ne créent rien – que du buzz de mouche, le zonzon qui hypnotise et endort ceux qui ont l’âme faible et veulent hurler avec les chiens, obéir comme dans la ruche, trop souvent sans savoir pourquoi, juste pour faire comme « tout le monde » croient-ils. D’où la distance sociale nécessaire pour garder son esprit sain. « Tu as vécu trop près des petits et des pitoyables. Fuis leur vengeance invisible ! Ils ne sont pour toi que vengeance. » Car ils sont jaloux de ceux qui les dépassent, envieux de ceux qui osent penser autrement que la foule, lâches devant le courage de dire « non ». Inutile de lutter, les médiocres et les chiennes (de garde) sont trop nombreux – et se faire entendre de leur cerveau étroit est vain ; ils sont conditionnés par la foule, réduits au plus petit commun dénominateur humain, autrement dit le cerveau reptilien qui n’agit que sur pulsions, sans aucun brin de raison.

« Innombrables sont ces petits et ces pitoyables ; et maint édifice altier a péri par des gouttes de pluie et des mauvaises herbes. » Pour se préserver, il faut donc s’isoler, établir une barrière de courtoisie, mais une barrière ferme. « Ils bourdonnent autour de toi même quand ils te louent : leur louange est importune. Ils veulent être près de ta peau et de ton sang. Ils te flattent comme on flatte un dieu ou un diable. » Ils attendent de toi des réponses à leurs geignements, des caresses, du réconfort – le meilleur étant enfin d’être d’accord avec eux. Ils sont ainsi apaisés car ils t’ont rabaissé à leur niveau ; ils ne craignent plus ce qui les dépasse. « Ils pensent beaucoup à toi avec leur âme étroite – tu leur es toujours suspect ! Tout ce qui donne beaucoup à penser devient suspect. » Car « leur âme étroite pense : ‘toute grande existence est coupable’. » La fierté déplaît – il faut être comme tout le monde ; la bienveillance déplaît – ils y voient du mépris ; rien qu’être soi-même est une injure – « devant toi ils se sentent petits et leur bassesse s’échauffe contre toi d’une vengeance invisible ». Chacun a ses exemples pris dans son existence de tels comportements. Le mien est par exemple les critiques de livres qui me sont envoyés et que je lis : j’expose pourquoi j’ai aimé ou non, mais il me serait interdit de dire non ! La vérité est rude à entendre, mais elle est vérité, même si ce n’est que la mienne.

D’où le conseil de Nietzsche : « Fuis dans la solitude, où souffle un vent rude et fort. Ce n’est pas ta destinée d’être un chasse-mouches ». Ce pourquoi je ne suis qu’en veilleuse sur les réseaux sociaux et que je méfie toujours des enflures, qu’à titre personnel je critique impitoyablement.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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La solitude est sagesse d’être soi, dit Montaigne

Le chapitre XXXIX des Essais, livre 1, s’intitule De la solitude. Montaigne s’insurge contre l’opinion communément partagée que nous sommes nés pour les autres et non pour nous-mêmes. Il préfigure ainsi les Lumières, qui vont faire de l’individu la base de la société et non plus l’inverse. « Les états, les charges, et cette tracasserie du monde ne se recherchent plutôt pour tirer du public son profit particulier ». Tout politicien vous dira, la main sur le cœur, qu’il se dévoue à la collectivité – mais n’y trouve-t-il pas quelque satisfaction de vanité et d’orgueil ? Se faire reconnaître dans la rue, se faire écouter et avoir l’illusion de changer ainsi le cours des choses, avoir du pouvoir, ne sont-ce pas là des jouissances aussi fortes que le sexe et l’argent ? « Répondons à l’ambition que c’est elle-même qui nous donne le goût de la solitude », rétorque Montaigne.

Car côtoyer des gens de vices est dangereux pour la sagesse, « la pire part est la plus grande », constate notre philosophe. Et de citer ce « pressant exemple, Albuquerque, vice-roi en l’Inde pour le roi Emmanuel de Portugal, en un extrême péril de fortune de mer [tempête], prit sur ses épaules un jeune garçon, pour cette seule fin qu’en la société de leur fortune [partage de leur sort] son innocence lui servît de garant et de recommandation envers la faveur divine, pour le mettre à sauveté ». Le sage peut être content, seul dans la foule, dit Montaigne « mais, s’il est à choisir, il en fuir, dit-il, même la vue ». Il supportera s’il ne peut faire autrement mais évitera la contagion et la promiscuité des vices : il a déjà assez à faire avec les siens sans prendre de plus en considération ceux des autres !

Ce qui importe, pour le sage – et pour Montaigne – est de « vivre plus à loisir et à son aise ». Les affaires de la cour, celles du marché et celle de la famille, que le Périgourdin appelle joliment « la ménagerie », n’en sont pas moins importunes. Tous les instincts et toutes la passions nous suivent toujours, où que nous allions, en voyage comme au désert, dans les cloîtres comme dans les écoles de philosophie. Socrate dit que l’on s’emporte avec soi. « Notre mal nous tient en l’âme : or elle ne peut échapper à elle-même », dit Montaigne citant Horace. « Ainsi il la faut ramener et retirer en soi : c’est la vraie solitude, et qui se peut jouir au milieu des villes et des cours des rois ». C’est le quant à soi de qui pense par lui-même, le sire de soi des Normands attachés à la personne qui choisit ses allégeances, la reconnaissance de l’être unique créé par Dieu ou par le hasard naturel, l’humain désaliéné des entraves sociales et autant que possibles biologiques. « Faisons que notre contentement dépende de nous ; déprenons-nous de toutes les liaisons qui nous attachent à autrui, gagnons sur nous de pouvoir à bon escient vivre seuls et y vivre à notre aise. » Il y a une quête bouddhiste dans cette voie personnelle que Montaigne reprend au stoïcisme romain. Mesurer la vanité des choses, l’impermanence des rangs, les caprices de le fortune. S’y soustraire volontairement par le pouvoir sur soi contre les trois souffrances.

Chemin difficile, surtout lors de catastrophes. « Stilpon, étant échappé de l’embrasement de sa ville, où il avait perdu femme, enfants et chevance [biens], Démétrios Poliorcète, le voyant en une si grande ruine de sa patrie le visage non effrayé, lui demanda s’il n’avait pas eu de dommage. Il répondit que non et qu’il n’y avait, Dieu merci, rien perdu de sien. » Dur, mais blindé : c’est ainsi que l’on résiste aux forces naturelles, aux guerres, au terrorisme. Ne pas être atteint au fond de soi et recommencer à vivre et à construire. Une sagesse pour notre temps, qui a cru trop longtemps avoir échappé à la nature, aux dictatures et aux fanatiques. « Il faut avoir femme, enfants, biens, et surtout de la santé, qui peut ; mais non pas s’y attacher en manière que notre heur en dépende », explique Montaigne. En notre époque de divorces, de gestation pour autrui, d’orphelins, retrouver cette forme de renoncement est vital.

Cela ne veut pas dire indifférence aux autres ni au monde, mais « il se faut réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissions notre vraie liberté et principale retraite et solitude. » Une amie à moi me disait jadis qu’elle était outrée d’une remarque entendue d’une de ses relations : « je ne m’ennuie jamais avec moi-même ». Elle prenait cela pour de l’orgueil, voire de l’égoïsme. C’est pourtant sagesse stoïcienne vantée par Montaigne, et il en cite Tibulle : « Dans la solitude, soyez-vous un monde à vous-même ». Puis de s’exclamer : « Notre mort ne nous faisait pas assez de peur, chargeons-nous encore de celles de nos femmes, de nos enfants et de nos gens. Nos affaires ne nous donnaient pas assez de peine, prenons encore à nous tourmenter et rompre la tête de celles de nos voisins et amis. » J’ai vu moi-même l’exemple déplorable des filles angoissées dans le RER le jour où les terroristes frères Kouachi étaient recherchés par la police après avoir tué ; elles se cramponnaient à leur smartphone pour avoir des nouvelles, sursautant au moindre bruit derrière elles, scrutant les quais aux arrêts de peur de voir surgir des démons en noir, arme à la main. Elles vivaient hors de soi, elles se faisaient un film, elles étaient possédées par leur imagination angoissée.

Il y a un temps pour tout, déclare Montaigne à la suite des Romains et des bouddhistes indiens : un temps pour apprendre, un autre pour vivre, un troisième pour se retirer et méditer. Et de citer Socrate qui « dit que les jeunes se doivent faire instruire, les hommes s’exercer à bien faire, les vieux se retirer de toute occupation civile et militaire, vivant à leur discrétion, sans obligation à nul emploi déterminé ». L’âge mûr venu, « prenons de bonne heure congé de la compagnie ; dépêtrons-nous de ces violentes prises qui nous engagent ailleurs et éloignent de nous » – ce que les politiciens, les chefs d’entreprises ou les chercheurs universitaires ont beaucoup de mal à faire, se croyant toujours indispensables aux affaires.

« La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi », décrète Montaigne.

Mais il ne faut pas se retirer du monde comme un ermite si l’on ne s’y sent pas, notre sage reste toujours loin de toute radicalité vécue, morale ou politique. « Il se faut servir de ces commodités accidentelles et hors de nous, en tant quelles nous sont plaisantes, mais sans en faire notre principal fondement ; ce ne l’est pas ; ni la raison ni la nature ne le veulent ». La vertu excessive de qui jette tous ses biens, couche à la dure, se crève les yeux ou se châtre n’a rien de vertueux – avis aux écolos mystiques de notre tremps, volontiers imprécateurs d’austérité forcée, surveillée et punie. La vertu exemplaire est plutôt de se contenter de ce que l’on a et d’en être heureux. « Je ne laisse pas, en pleine jouissance, de supplier Dieu, pour ma souveraine requête, qu’il me rende content de moi-même et des biens qui naissent de moi. » Cela dépend du goût de chacun, dit Montaigne mais « ceux qui l’aiment, ils s’y doivent adonner avec modération. » Lui n’aime pas l’administration de sa « ménagerie » mais d’autres si ; lui aime les livres mais pas au point de s’en rebuter par trop d’ascèse : « ne faut point se laisser endormir par le plaisir qu’on y prend ». « Les livres sont plaisants ; mais, si de leur fréquentation nous en perdons en fin la gaieté et la santé, nos meilleurs pièces, quittons-les ». En toute activité, « il faut donner jusqu’aux dernières limites du plaisir, et garder de s’engager plus avant, où la peine commence à se mêler parmi », dit Montaigne.

Ainsi de la randonnée, activité que j’ai beaucoup pratiquée : l’âge venant, le niveau baisse, inutile de vouloir trop en faire. Moi qui ait l’âme commune, dit Montaigne, « il faut que j’aide à me soutenir par les commodités corporelles ; et, l’âge m’ayant dérobé celles qui étaient plus à ma fantaisie, j’instruis et aiguise mon appétit à celles qui restent plus sortables à cette autre saison ».

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Notre imagination nous mène dit Montaigne

Parfois Montaigne est clair et parfois filandreux. En ce chapitre XXI du premier livre de ses Essais, son propos est clair mais sa forme absconse, surtout la fin qui se perd sur la véracité du témoignage.

Citant « les clercs » : « Une imagination forte produit l’événement », assure-t-il. Et de prendre pour exemple Gallus Vibius qui voulut pénétrer la folie et en devint fou, ou Simon Thomas, médecin de son temps, qui lui dit « que, fichant ses yeux sur la fraîcheur de mon visage et sa pensée sur cette allégresse et vigueur qui regorgeait de mon adolescence, et remplissant tous ses sens de cet état florissant en quoi j’étais, son état s’en pourrait amender ». Mais c’est là empathie plus qu’imagination, à moins que ce ne soit désir d’ordre amoureux. Nous compatissons et nous sentons comme l’autre. Les effets de l’imagination sont plutôt l’admiration qui élève celui qui admire alors que le dénigrement des autres le rabaisse.

La croyance permet des miracles. En bien comme en mal. Ainsi « la jeunesse bouillante s’échauffe si avant en son harnois, tout endormie, qu’elle assouvit en songe ses amoureux désirs » – en bref, citant Lucrèce « Au point que, dans l’illusion d’accomplir l’acte sexuel, ils répandent à large flot le liquide séminal et souillent leurs vêtements ». Là, l’imagination agit sur le physique. La chose est mieux dite en latin, ce qui fait sérieux face aux gens d’Eglise, tous fort prudes en catholicisme. Les stigmates qui s’ouvrent sur le corps des saints confits en dévotion à Jésus-Christ sont la face lumineuse ; le viol à la suite du visionnage assidu de pornographie la face sombre. C’est toujours l’illusion qui agit et confondre ce qu’on croit avec la réalité n’est pas toujours bienvenu. « Il est vraisemblable que le principal crédit des miracles, des visions, des enchantements et de tels effets extraordinaires, viennent de la puissance de l’imagination », dit notre sceptique qui préfère au fond la raison à la croyance.

C’est l’effet placebo de guérir par des simagrées et Raoult aurait été plus efficace à vanter son hydroxychloroquine s’il avait porté sur la tête un cône de sorcier plutôt qu’endosser la blouse du professeur et de parer sa potion de vertus scientifiques imaginaires. Montaigne cite un comte, sien ami, qui craignait ne pouvoir bander le jour de son mariage à cause d’un ensorcellement. Qu’à cela ne tienne ! Notre philosophe s’improvise médecin de l’imagination et sort de ses « coffres certaine petite pièce d’or plate où étaient gravées quelques figures célestes ». Il la confie au comte par un subterfuge, la noce étant très surveillée, lui donnant des consignes comme la porter à même les rognons et de garder tout cela secret. « Ces singeries sont le principal de l’effet », assure un Montaigne allègre et drôle qui n’y croit pas une seconde mais en mesure l’effet sur l’ami ainsi rebandé. Et de donner quelques conseils d’homme mûr expérimenté (40 ans) à tout nouveau marié : ne point se presser ni s’opiniâtrer car la crainte de ne pas être à la hauteur fait souvent défaillir.

Il écrit ainsi tout un paragraphe sur le membre viril, indocile à la volonté s’il en est, « refusant avec tant de fierté et d’obstinations nos sollicitations et mentales et manuelles ». Il en est de même pour l’intestin, qui pète à tout va, la langue qui salive hors de propos ou le cœur qui s’emballe par imagination. Ce que nous croyons ferme serait-il plus important à notre corps que ce que nous pensons bien ? « Pourquoi pratiquent les médecins d’avance la croyance de leur patient avec tant de fausses promesses de sa guérison, si ce n’est afin que l’effet de l’imagination supplée à l’imposture de leur potion ? » Nous pourrions dire la même chose des politiciens démocratiques dont les « promesses n’engagent que ceux qui les croient », selon le mot attribué à Chirac, lui-même affublé du sobriquet de « Super menteur ». Trump, ardent dealer, était passé maître dans ces fausses vérités qu’il baptisait de « vérités alternatives », pas moins vraies dans l’imaginaire que les vérités de la réalité.

Gageons que les prochains mois illustreront Montaigne et que l’imagination va devoir s’affoler des promesses des uns et des autres candidats ! A moins que le scepticisme n’ait gagné la politique avec l’indifférence, ce que je ne crois en rien, mais qui pourrait expliquer « la radicalité » prêtée à ce début de campagne. Pour attirer l’attention, rien de mieux que le coup de pied dans la porte des premières leçons faites aux apprentis vendeurs. Enjolivez, il en restera toujours quelque chose.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00  

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Manquer de mémoire préserve du mensonge dit Montaigne

Montaigne, en son neuvième texte du premier livre de ses Essais avoue qu’il n’a point de mémoire, « je n’en reconnais quasi trace en moi ». Il s’agit de souvenirs, pas de l’entendement qui, lui, fonctionne fort bien.  Mais les inconvénients de manquer de mémoire sont innombrables.

Ainsi ses amis lui reprochent de les oublier, puisqu’il affirme mal se souvenir… Même si l’affection n’a rien à voir avec la mémoire, ils lui reprochent son ingratitude, comme si oublier signifiait ne pas aimer. « Qu’on se contente de ma misère, sans en faire une espèce de malice, et de la malice autant ennemie de mon humeur », dit amèrement l’auteur. Mais pourquoi fournit-il les verges pour se faire battre ?

La contrepartie heureuse est qu’ainsi il n’a nulle ambition car manque de mémoire « est une défaillance insupportable à qui [se soucie] des négociations du monde. »

Une autre contrepartie est qu’ainsi son parler est plus court et plus net, aucune citation, anecdote ni souvenir ne venant alourdir son propos, à l’inverse de certains seigneurs de ses amis. « A mesure que la mémoire leur fournit la chose entière et présente, ils reculent si arrière leur narration, et la chargent de vaines circonstances, que si le conte est bon, ils en étouffent la bonté ». Ainsi les articles de journaux intellos d’aujourd’hui sont remplis de retours aux calendes grecques avant même d’aborder le sujet, ce pourquoi il est bon, quand vous lisez Le Monde par exemple, de sauter derechef le premier tiers des articles pour enfin savoir de quoi il s’agit. Quant aux vieillards, ils radotent volontiers, chez nous comme chez Montaigne. Il faut dompter sa mémoire comme ses autres facultés. « J’ai vu des récits bien plaisant devenir très ennuyeux en la bouche d’un seigneur, chacun de l’assistance en ayant été abreuvé cent fois ».

Un troisième avantage (dont Montaigne ne parle que comme « second » parce qu’il a déjà oublié le premier…) est qu’il se souvient moins des offenses, des pays et des lectures, si bien que « les lieux et les livres que je revois me rient toujours d’une fraîche nouveauté ». Le point est capital : comment inventer, innover, ressentir par soi-même, si l’on est encombré de références et de souvenirs dus à la mémoire ? Trop retenir empêche d’exister, Jules Vallès le disait des géants des arts, à qui il aurait volontiers détruit les œuvres afin que chaque jeune puisse créer à son aise, sans les contraintes du « classique » ou des références. L’avenir appartient-il à celui qui a la mémoire la plus longue ? Mais le savoir ne progresse-t-il pas parce que nous sommes montés sur les épaules de nos ancêtres ?

L’avantage décisif, pour Montaigne, est le suivant : « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que qui ne se sent point assez ferme de mémoire, ne se doit pas mêler d’être menteur. » Que vous inventiez des choses fausses ou que vous déguisiez les choses vraies, il n’est pas rare qu’à mentir longtemps vous ne finissiez par vous couper. C’est ainsi que les espions doivent se changer eux-mêmes pour être crédibles dans une autre identité, le Bureau des légendes l’a amplement montré. Montaigne cite ainsi un homme de François 1er, mis par lui auprès du duc de Milan François Sforza après que le roi eût été chassé d’Italie. Il se nommait Merveille mais est resté si longtemps auprès du duc, officiellement pour ses affaires privées, qu’il a incité au soupçon et été exécuté de nuit, après un procès expéditif en deux jours. Le roi, qui soupçonnait son espion démasqué malgré les dénégations, accule l’ambassadeur « sur le point de l’exécution, faite de nuit et comme à la dérobée. A quoi le pauvre homme embarrassé répondit, pour faire l’honnête que, pour le respect de sa majesté, le duc eût été bien marri que telle exécution se fut faite de jour. Chacun peut penser comme il fut relevé, s’étant si lourdement coupé… »

« En vérité, le mentir est un maudit vice », déclare préalablement Montaigne dans ce texte ampoulé et mal construit, comme s’il eut rajouté quelques bouts sans revoir l’ensemble. « Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole ». Il s’agit de confiance. Mentir sape la confiance, ce que nos politiques semblent ne toujours pas voir appris. Ainsi des masques « qui ne servent à rien » alors qu’il s’agit plutôt de dire que l’on n’en a pas prévu et que l’on ne savait plus en produire,ou encore des actions qui vont être faites mais présentées comme si elles étaient déjà réalisées ! Car le mensonge prend de multiples formes, de la simple omission à la flagrante contre-vérité. Certains s’en font même une spécialité, comme Poutine et Trump. Pour eux comme pour les dictateurs, Staline, Mussolini ou Hitler, il ne s’agit plus de faits mais d’allégeance : si je dis que le blanc est noir, vous devez voir le blanc en noir. Dans 1984, le Parti du Grand frère vous harcèle et torture jusqu’à complète soumission. Daech fait d’ailleurs de même.

Dès lors, chercher le vrai est un chemin ardu. Même « les scientifiques », dont on peut croire que la méthode éprouvée les préserve d’affirmer sans preuves, deviennent sujets à caution quand ils quittent leurs laboratoires et leur domaine strict de recherches pour devenir « experts » généraux à la télé. Ainsi du professeur Raoult, chercheur émérite mais dévoyé par la communication, dont l’ineffable chloroquine défraie encore la chronique du Covid. Peut-on dès lors « croire » les savants lorsqu’ils montrent qu’ils sont capables de dévier avec la même légitime certitude et la même autorité du savoir que lorsqu’ils ont prouvé des recherches approfondies reconnues par leurs pairs… sur des sujets dont ils savent peu de chose ? Raoult aurait-il pu dire que la chloroquine n’était qu’une piste qu’il fallait explorer sans l’exclure, mais que des études sérieuses devaient valider ? Au lieu de cela, il a affirmé, voire traité ses contradicteurs d’imbéciles ou de menteurs.

« Le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini », dit Montaigne. Un seul chemin conduit à la vérité mais de multiples au mensonge. Comme tout passe par le langage, qui fait société, chacun doit alors se méfier d’autrui, de ceux qui mènent la cité et de l’opinion commune – mais sans pouvoir s’en affranchir pour rester sociable et citoyen, donc humain. « Et de combien est le langage faux moins sociable que le silence », conclut le philosophe. Mieux vaut se taire lorsqu’on ne sait pas, que d’affirmer abruptement qu’on sait alors que l’on n’est pas certain.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

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Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de Jean Yanne

Je n’aimais pas Jean Yanne, petit-bourgeois content de lui avec sa gueule de se foutre du monde – j’avais tort. Il a saisi avec acuité dans ce premier film les travers sociaux de son temps et cette œuvre, qui date de l’ère Pompidou, rappellera des souvenirs à ceux qui l’ont vécue et enseignera les autres sur la « bêtise » de masse.

Gerber, reporter de radio (Jean Yanne), est envoyé en Amérique du sud où – c’était l’époque – sévissait le mythe de la Revolución menée par Che Guevara. Il paye de sa personne et interroge dans la jungle les barbudos. Ce n’est pas le cas de ses confrères qui profitent des putes locales et du rhum arrangé, chemise ouverte sous les cocotiers, imaginant leur texte et les ponctuant de rafales de mitraillette enregistrées sur magnétophone. Gerber est pour « la vérité », pas pour le bidouillage.

Quand il revient à Paris, sans la bande son confisquée par les révolutionnaires prédateurs, il découvre combien son monde a changé – ou plutôt a suivi la mode. La radio dans laquelle il travaille s’est mise à Jésus parce que Jésus est « dans le vent », dit son patron à lunettes. Tous les jingles sont déclinés sur Jésus, des curés invités à débattre, un con fesseur sur les ondes incite les auditeurs à téléphoner contre pénitences. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil dans la société de cons sans sommation. Même les pétasses de l’accueil, choisies bien roulées en ces années tranquillement machistes, doivent porter un uniforme qui rappelle la joie colorée des jubilés ou la fraternité des jamborees. La pub pour les produits de consommation est estampillée Dieu et tout le temps d’antenne disponible s’affaire à capter le temps de cerveau disponible pour fourguer de la pub à tout va. Car c’est ce qui rapporte au PDG du groupe (Bernard Blier) qui se fout du contenu comme du marketing et n’ouvre l’œil en réunion du conseil que lorsque le mot « budget » est prononcé.

C’est caricatural mais vrai. Gerber se fait virer mais son chef (Jacques François) le rattrape parce qu’il lui sauve la mise en recevant sa femme hystérique à sa place (Jacqueline Danno), qu’il a voulu faire enfermer. Le cérémonial du licenciement est en avance sur son temps, il sera celui des années 1990 : le PDG, à l’écoute de sa chaîne de radio, envoie un crâne à son directeur de chaîne avec le nom de celui à virer collé dessus. Toute une armoire est consacrée aux trophées ainsi cumulés. Gerber se moque ouvertement du monde et de RadioPlus (anticipation brillante de l’ère Canal+) avec ses animateurs déjantés et ses filles prêtes à tout. Après un Journal parlé particulièrement acide sur un politicien qui vient de mourir et qui n’avait aucun intérêt, il est cette fois définitivement viré.

Il va voir son ami précédemment renvoyé (Michel Serrault) qui s’occupe d’un théâtre d’avant-garde pour une municipalité d’avant-garde de la banlieue d’avant-garde (Nanterre ?). Celui-ci déplore qu’il n’ait le choix qu’entre des pièces d’avant-garde aussi nulles les unes que les autres, imitant les opéras maoïstes avec poses révolutionnaires au prétexte de Brecht (à la mode). Le Bien est en blanc éclatant et Mal en noir nazi, CRS ou nonne. La femme du chef que Gerber lui a envoyé est bel et bien « folle » mais avec une conviction qui fait la pièce. Pas grave, rétorque Gerber, une pièce, je vais t’en écrire une, moi. Scandale de son nom aidant, la salle est pleine et le spectacle sur une musique de Ahmed Eousme Mozzar a du succès, d’autant que les danseurs-danseuses miment l’acte sexuel sur scène : tout ce qui fit le sel de l’époque.

Pendant ce temps, le chef a nommé des nuls aux émissions et le PDG le dit et le répète : « c’est de la merde » ; les annonceurs l’appellent : « c’est de la merde ». Il mandate donc son épouse (Marina Vlady) pour circonvenir Gerber afin qu’il revienne mais comme chef et « avec les pleins pouvoirs ». Il prend le risque… Et la radio décolle en effet mais les annonceurs sont furieux : car les produits sont testés avant d’avoir leur publicité à l’antenne. Fini la bondieuserie, vive la vérité ! Comme quoi « Dieu » récupéré par l’Eglise laisse tout faire. La vérité est révolutionnaire, disait-on volontiers en ces années post-68 – et le poster de Che Guevara trône désormais à la place de « Jésus » dans le studio d’enregistrement du Journal.

Mais la vérité, si elle plaît aux masses, y compris à la « ménagère de moins de 50 ans » que l’on voit faire la cuisine en écoutant la radio périphérique, ne plaît pas, mais alors pas du tout, à la gent commerçante ni aux maquilleurs du marketing. Il s’agit de faire vendre, pas d’informer. Rien n’a changé depuis, sauf que les gogos se sont organisés en consommateurs associés et mènent une guerre de guérilla contre les mensonges ou contrevérités des industriels trop pressés de vendre n’importe quoi. Le faux-cul d’antenne (Daniel Prevost) qui s’est raccroché aux branches afin de ne pas être viré a été nommé testeur alimentaire ; il en meurt très vite ; les pubs sont refusées.

D’où le bal des prétendants auprès du PDG, ce qui permet au spectateur d’admirer les DS noires racées, aux phares tournants triangulaires, probablement la plus belle automobile des années 1970, à côté de laquelle les Mercedes avaient l’air de char d’assaut et les Peugeot 404 de boites à savon. Chacun des divers « présidents » vient se plaindre auprès du PDG, qui voit les actions de son groupe chuter en bourse. Même le gros con à casquette de la CGT, en 404 (mais rouge), vient aussi dire que si les gars se marrent, le chômage leur pend au nez et qu’il faut arrêter. Il refuse le cigare (qui fait bourgeois) mais l’accepte quand le PDG lui affirme qu’il vient directement de Cuba (révolutionnaire). Au bal des faux-culs, le communiste n’est pas le dernier : avec le gaullisme, dont un représentant pontifie devant le micro (Henri Vilbert) avant qu’on veuille lui faire une injection de penthotal afin qu’il dise bien la vérité, le communisme est bien le second pilier du régime vu par Jean Yanne.

Tout cela va mal finir ; Gerber est trahi par son frère d’antenne le plus proche, à l’imitation de Judas ; le PDG va nommer le traître à sa place et les marchands du temple seront contents, le cours de bourse va remonter. Même si – juste vengeance envers qui a voulu le tuer par des boules à claquer explosives – Gerber a répondu à la place du PDG (qui était parti dans une autre pièce pour lui faire son chèque) de vendre les actions.

Le film est tourné dans une verve jubilatoire et les chansons mode sur Jésus superstar s’intitulent « Tilt pour Jésus-Christ », « Notre Père sur mesure », « Dans les bras de Jésus », « Ciné qua pop », « Alléluia garanti », « Che ô Che ô », « Jésus java » ainsi que le célèbre « Tout le monde il est beau » du générique (à écouter ici). Décalé d’une génération, ce film de music-hall permet un œil critique sur notre époque qui, au fond, n’a pas fondamentalement changé. C’est moins gros aujourd’hui, plus feutré, mais bel et bien dans la même veine.

DVD Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, Jean Yanne, 1972, avec Jean Yanne, Bernard Blier, Michel Serrault, Marina Vlady, Jacques François, Studiocanal 2012, 1h40, €9.99

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Hommage à John Mc Cain

John McCain vient de mourir d’un cancer américain. C’est à la fin de 2002 que j’ai connu le sénateur de l’Arizona à Washington, lors d’une série de rencontres organisées par le père de la célèbre courbe de Laffer sur la relation entre prélèvements obligatoires et recettes de l’Etat (que le président qui « a fait HEC » aurait dû apprendre avant de faire sa monumentale erreur de 2013). McCain m’avait fait une forte impression, l’effet d’un vertueux, conservateur mais humain.

Il était Républicain, mais pas vraiment de la tendance Georges W Bush : ni héritier fils de famille, ni diplômé huppé par complaisance, ni bobo échappant au service militaire, ni affairiste rentre dedans. Militaire, fils et petit-fils de militaire, il savait ce qu’était l’honneur. Il mettait les relations humaines au-dessus des relations d’affaires et haïssait le mensonge comme les passe-droits. Ce pourquoi il avait été refusé d’être libéré par les Nord-vietnamiens avant les autres pilotes prisonniers parce que « la règle » voulait que le premier entré soit le premier à sortir.

Il s’est lancé en politique à 46 ans, après cinq années passées dans les geôles vietnamienne pour avoir été descendu lors de sa 23ème mission au-dessus de Hanoï. Il n’était pas un militant discipliné de son parti mais gardait sa façon de penser – ce qui est plutôt rare dans n’importe quel parti qui ne réclame que des supporters.

En bon libéral (au sens français), il considérait que l’égoïsme des intérêts privés devait être contrebalancé par le pouvoir d’Etat. En bon libre-penseur (même s’il était chrétien), il considérait que la bigoterie engendrait inévitablement « intolérance et corruption ». Toute croyance ancrée dans une unique et indéracinable Vérité donne des œillères et conduit les gens à mentir et à user de tous les moyens pour la faire triompher. Ainsi, lors des primaires républicaines de 2000 pour la présidentielle, le clan George W Bush l’a-t-il accusé des pires turpitudes de l’imaginaire yankee : engrossé une femelle noire, trahi au Viêt Nam, transmis la syphilis à sa seconde femme, avoir perdu la raison en captivité. Rien de vrai mais « plus c’est gros, plus ça passe » disait le bon docteur Goebbels. Trump reprendra en plus vulgaire cet usage des « fake news », terme délicatement tendance pour dire les « mensonges ».

Abus de pouvoir, abus d’influence, abus de richesse, John McCain s’élevait contre. Il était l’autre face de l’Amérique, celle des pionniers et des cow-boys opposée à celle des spéculateurs et des affairistes des banques et de l’industrie. Il était humain, pas politicien, pragmatique pas népotiste.

Bien que soutenu lors de la campagne présidentielle 2008 par Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Clint Eastwood et Bruce Willis, il sera battu par Barack Obama qui lui aussi donnait une image d’honnêteté et d’intégrité – mais homme neuf et de couleur. Obama le démocrate a beaucoup déçu ; McCain le républicain aurait probablement pu faire mieux, moins empêtré dans sa couleur et moins inféodé au Government Sachs.

Mais la politique reste une saloperie : ce qui compte est de gagner et peu importent les moyens. Il faut malheureusement des politiciens pour gouverner le pays, mais les électeurs doivent les surveiller et les institutions les tempérer – et les médias enquêter plutôt que de faire la morale (comme notre imMonde). C’est ainsi que fonctionne une saine » démocratie ». Si John Mc Cain n’a pas pu, il reste un exemple.

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Survivre dans la mutation mondiale

J’ai eu le plaisir intellectuel de rencontrer Henri de Castries, ancien PDG d’Axa aujourd’hui volontairement retiré des affaires à 63 ans (mais devenu président Europe pour le fonds américain General Atlantic). Cet ancien scout catholique élevé à Passy, issu d’une famille de vieille noblesse et marié à une famille de vieille noblesse, a suivi les étapes de la méritocratie républicaine : HEC, ENA, colonel de réserve parachutiste, Inspecteur des Finances durant quatre ans avant d’intégrer l’entreprise privée d’assurances Axa, dont il a prolongé la stratégie de Claude Bébéar par une adaptation mondiale et numérique.

Dans un brillant exposé sans notes il a donné sa vision de l’avenir de la France, compte-tenu de la dynamique historique. C’est un message puissant, à la Fernand Braudel, pour déterminer les courants de long terme qui s’imposent malgré qu’on en ait, les tendances à moyen terme sur lesquelles on peut encore peser, et les actions à court terme prises dans le jeu pervers des ego et de la petite politique.

Ce qui détermine le monde global aujourd’hui, et qui s’impose à tous, c’est le climat, la démographie et le combiné éducation et technologies numériques.

Sur le climat, le réchauffement est inévitable. Ce qui veut dire montée des eaux marines, ouragans, modification de la flore et de la faune. Comme près de la moitié de la production mondiale se trouve à moins de 50 km de la mer, chacun peut imaginer les bouleversements induits – que l’on peut et que l’on doit prévoir.

La démographie est inscrite dans les naissances passées, dans les pratiques culturelles d’enfanter aujourd’hui, dans les progrès fulgurants de la médecine… et dans les pandémies inévitables en monde global. Le risque est majeur pour l’Europe, Russie comprise. Car, sur les douze pays à démographie déclinante, neuf se trouvent en Europe, notamment la Russie et l’Allemagne. En même temps, aux portes mêmes de l’Europe se trouvent une Chine démographiquement puissante et avide des matières premières des étendues dépeuplées de Sibérie, et une Afrique qu’une courte distance méditerranéenne sépare de l’eldorado économique fantasmé. D’ici 25 ans, 4 à 5 millions d’Africains ne trouveront pas de boulot chez eux chaque année. Où vont-ils aller ? Nous avons donc l’impératif devoir de développer l’Afrique (qui commence à bouger) et à encourager l’entreprise locale, parce que l’intégration de millions d’allogènes à cultures différentes menace le destin de la civilisation européenne. C’est moins la menace d’un islam radical que la menace du nombre et la rapidité de l’appel d’air qui doivent être gérés. Envers la Russie, confrontée aux mêmes problèmes que nous, il nous faut négocier et s’entendre. En restant ferme sur nos intérêts mais en reconnaissant des questions communes (sur le Moyen-Orient, l’énergie).

Le numérique chamboule toute l’éducation. Les gens de sa génération (et de la mienne) ont été formés à l’écriture à la plume et à la lecture de gros livres érudits. De « lire, écrire, compter » ne reste plus guère que compter… Les écrits se dictent ou se tapotent, la lecture se réduit à sa plus simple expression, l’image remplaçant très vite le texte et l’orthographe (voire la grammaire) étant ignorées comme inutiles. Ce qui est indispensable aujourd’hui est moins la faculté de lire que de rechercher et de juger des informations pertinentes. Notre école publique est-elle préparée à ce monde déjà là ? La formation professionnelle tout au long de la vie, puisque chacun va changer dix fois de métier et plusieurs fois de statut (salarié, autoentrepreneur, libéral, peut-être un temps fonctionnaire), devient impérative ; faut-il la laisser entre les mains de partenaires sociaux moins soucieux d’avenir que de cette manne ?

Les tendances à moyen terme se trouvent pour nous surtout en Europe. L’Amérique s’éloigne avec Trump et la mentalité de ses électeurs qui préfèrent ériger un mur entre eux et le Mexique, ériger une barrière mentale contre l’idée de réchauffement climatique, et une solide barrière monétaire sur leurs intérêts immédiats. Sans l’Europe, la France n’est rien, peut-être bientôt plus « une nation » tant les politiciens nationaux sont déconsidérés, leurs partis en miettes, et que le local (commune, intercommunalité, région) est nettement plus populaire. Sans parler du communautarisme qui vient, pas seulement religieux mais aussi idéologique, sectaire – dans les médias et le politiquement correct.

Partout en Europe est menacée la classe moyenne et, avec elle, la démocratie et les libertés. Car le libéralisme est associé aux classes montantes, avec pour fond mental le christianisme qui a assuré deux choses : chacun est considéré comme individuellement responsable pour discerner le bien et le mal, et on ne peut faire société sans considérer le sort des autres. Ce qui veut dire que la raison prévaut et que la modération doit être. Le « juste » n’est pas seulement la justice mais aussi la modération. C’est ainsi qu’il y a une « religion » de la laïcité qui va au-delà de ce qui est raisonnable, alors que nous devons associer les croyants d’autres religions que chrétienne dans la même nation.

Dans le court terme politicien, tout cela doit se traduire par une adaptation à l’Europe sur la fiscalité, le droit du travail, le fonctionnement commun des traités. Mais aussi par un effort crucial français sur l’éducation et la formation professionnelle, pour assurer un niveau de chômage moins indécent comparé aux pays voisins que nos 10% de la population active. Car on ne fait pas société sans travail, c’est le chômage qui a conduit historiquement aux extrémismes, avec la crispation religieuse en sus comme dans toutes les périodes de grand bouleversement du monde (Renaissance, Révolution, guerre de 14).

En ce sens, le gouvernement Macron va dans la bonne direction, même s’il ne va pas assez loin.

Que sera la France en 2025 ? Peut-être une nation qui continue de compter (avec le seul siège permanent de l’Europe au Conseil de sécurité de l’ONU depuis le Brexit) – mais à condition d’être soi-même un exemple. Ce qui ne va pas sans redéfinition de la dépense publique, qui dépasse aujourd’hui 56% du PIB pour des avantages d’Etat-providence qui se réduisent. Ce qui ne va pas non plus sans sélection des meilleurs, dans la bonne tradition républicaine (et sur l’exemple chinois actuel), pour assurer des élites de l’administration et des entreprises à la hauteur des défis permanents. Quand des gens de 30 ans créent en dix ans plusieurs entreprises qui valent des milliards, la génération des installés doit se poser la question du comment. La hiérarchie traditionnelle et la production classique sont-elles adaptées aux nouveaux besoins et aux nouvelles façons de vivre ?

Penser loin et analyser global est rare parmi nos dirigeants – notamment sous les socialistes et avec François Hollande. Henri de Castries a couché dans la même chambrée, comme Jean-Pierre Jouyet, lors de leur service militaire commun en 1977 à Coëtquidan. Il sait de qui il parle. « Ne pas jouer les hamsters qui tournent sur place dans leur roue » est le mantra qu’il récite… mais que trop peu appliquent parmi ceux qui ont à diriger aujourd’hui.

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Max Gallo, Richelieu

Dans l’un de ses derniers livres historiques Max Gallo, mort en juillet 2017, délivre un message de foi patriotique. Sa biographie de Richelieu n’est pas œuvre d’historien mais de militant chevènementiste. Le sous-titre, La foi dans la France, en témoigne. Il s’agit d’admirer les grands hommes, pas de connaître la vérité. Ainsi le mythe patriote peut-il servir aujourd’hui.

L’opération est sympathique, pédagogique, mais fait bon marché de la complexité des hommes – et des femmes ! Car, à lire Max Gallo, tout n’était qu’intrigues et manigances autour du roi faible Louis XIII, intronisé à neuf ans alors que son père, le tonitruant Henri, était troué par l’assassin charentais Ravaillac. Louis fut terrorisé par papa, grand baiseur et truculent bavard, qui eut six enfants et douze bâtards ; il fut dominé par maman, Marie de Médicis jalouse et très dévote qui s’accommoda fort bien de la régence et eut beaucoup de mal à laisser les rênes du pouvoir à l’adolescent lorsqu’il eut 16 ans.

Par religion, le jeune Louis a en horreur la chair femelle ; par rébellion, il prend le contre-exemple de ses parents. Mais comme il est épris d’affection, il a besoin de jeunes favoris et d’un vieux mentor. Les favoris seront Luynes puis Cinq-Mars, « marquis de quinze ans », ainsi que Mlle de La Fayette parce qu’elle voulait rester chaste et entrer au couvent. Le mentor sera Richelieu.

Armand Jean du Plessis n’est devenu cardinal-duc que par la faveur du roi, et « de » Richelieu qu’à la mort de son frère aîné. Il était de 16 ans plus vieux que le roi et a su faire allégeance à maman avant de séduire fifils. Comme il n’a jamais dévié des conseils d’aîné avisé et de la ferveur qu’il a mis au service du royaume, d’après Max Gallo, Louis XIII l’a laissé faire, en pleine confiance. Adolescent bretteur et occupé de femmes, Armand Jean est vite contraint par sa famille à entrer dans les ordres pour conserver le bénéfice de l’évêché de Luçon. Il serait resté obscur évêque sans les intrigues de la Cour.

Mais il va dès lors accomplir sa « mission » – comme si, selon Gallo, elle lui avait été confiée par En-haut : « car telle est la volonté de Dieu qui a choisi de faire d’un homme, d’une dynastie, ses représentants sur terre. Le roi est sacré » p.250 (édition XO). L’ordre établi doit être respecté, telle est « la foi » de Max, « Dieu » venant en argument imparable. Or ce n’est pas « la France » qui est en jeu, mais « le royaume » – ce qui est un peu différent. Sous l’Ancien régime la nation existe peu, bien que le sentiment d’appartenance soit né contre les Anglais au moyen-âge, se soit affirmé contre les Espagnols au siècle des Louis, avant les Allemands aux 19ème et 20ème. Le royaume est surtout l’apanage du roi : tout ce qui l’enrichit conforte sa gloire, signe que Dieu est avec lui.

C’est tout ce qui importe à Richelieu, joignant son propre orgueil à celui de la dynastie, éminence rouge tuteur du roi. Le peuple ? Il s’en moque ; il fait réprimer les croquants va-nu-pieds en les pendant « par grappe ». Les Protestants ? Ce sont des traîtres en puissance, que les Grands manipulent avec l’aide de l’Espagne afin d’asservir le royaume à leurs intérêts particuliers. Gaston d’Orléans est ainsi habillé pour l’hiver, fat, inconstant, lâche. L’Eglise ? Elle doit servir le royaume, fille aînée vassale spirituelle du pape, mais bras armé bien plus puissant.

Dès lors, la geste du héros est écrite, et foin des détails qui ne cadreraient point. Le « trop joli enfant » qui accompagne Richelieu dans une campagne contre l’Espagne ? Pur instrument de propagande pour faire parler les soldats et rapporter leur moral au cardinal. L’enrichissement personnel incommensurable ? Rien que de très normal pour parler en égal aux Grands. Le népotisme familial ? Pratique courante de clientélisme d’époque.

Max Gallo nous offre une biographie qui se lit bien, phrases courtes, temps présent de rigueur. Des vérités simples à retenir, assénées et répétées comme un prof, pour bien ancrer dans la tête de linotte les points essentiels. Mais la « vraie » vie ? A quoi servirait-il de savoir ? Le lecteur ne doit retenir que ce qui reste dans l’histoire, le personnage et non la personne, le symbole agitable aujourd’hui et non la réalité humaine du temps.

Car Richelieu est l’Exemple du politicien voué à son pays… tout l’inverse de ceux d’aujourd’hui, des Grands serviteurs socialistes qui se servent avant tout eux-mêmes, et des barons de droite qui servent leur famille. Vite lu car  écrit au Gallo, mais un peu court quand même.

Max Gallo, Richelieu – La foi dans la France, 2015, Pocket 2017, 416 pages, €7.40

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Tempête à Washington de Otto Preminger

Nous sommes en pleine guerre froide, en 1961, et le président des Etats-Unis (Franchot Tone) doit choisir son Secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères). Lui est atteint d’une maladie grave incurable et n’en a plus que pour peu de temps ; il veut que sa diplomatie soit poursuivie avec un homme de talent, en qui il a confiance. Mais Robert Leffingwell (Henry Fonda) est un universitaire contesté, notamment par tout ce que la droite patriote, sinon nationaliste, compte de va-t’en guerre et d’empanachés d’honneur comme au 19ème siècle.

Comme toute nomination présidentielle doit être entérinée par le Sénat, selon l’excellent principe institutionnel des contrepouvoirs (check and balance), une commission d’enquête se réunit, que le chef de la majorité (Walter Pidgeon) confie à un jeune sénateur du parti Brigham Anderson (Don Murray). Le leader de l’opposition Seabright Cooley (Charles Laughton), dinosaure de la politique et sénateur de la Caroline du sud (état jadis sécessionniste) depuis quarante ans veut à tout prix empêcher cette nomination qui reviendrait, selon ce « patriote » ultra-conservateur, à « négocier » avec les communistes de l’URSS – donc à brader « la civilisation » au nom d’une promesse de paix illusoire. Mais aussi au souvenir d’une vieille rancune où Leffingwell a démontré que Cooley mentait.

Le maccarthysme vient de sévir aux Etats-Unis et toute personne soupçonnée d’avoir eu des sympathies communistes est considérée comme un suppôt du diable. Leffingwell a été à des réunions à Chicago lorsqu’il était étudiant, pour comprendre et par vague idéalisme adolescent (ce qu’il explique à son fils de 14 ans – Eddy Hodges). C’est donc toute cette « affaire » que ressort le laid et pervers Laughton, en citant un témoin de l’époque. Fonda est obligé de mentir à la commission pour épargner un ami venu comme lui aux réunions, qui officie désormais au ministère des Finances. L’engrenage de la machine démocratique se met alors en place.

Le président veut Leffingwell et il est pressé ; le Sénat veut faire les choses dans les formes ; le président de la commission croit de son devoir d’appliquer la procédure la plus stricte. Les partis s’agitent, chacun voulant manipuler l’autre au nom des Grands Principes par la sortie d’affaires personnelles insignifiantes. C’est ainsi que Henry Fonda se voit reprocher d’être resté crypto-communiste parce qu’il croit à la négociation et à la diplomatie plutôt qu’au gros bâton à la Trump. C’est ainsi que le président de la commission, nommé par son parti, se voit harcelé au téléphone par des extrémistes de ce même parti (ancêtres des Tea-partisans d’aujourd’hui) ; on lui reproche une liaison homosexuelle d’un instant, lorsqu’il était à l’armée, avec un certain Ralph qui est aujourd’hui dans la dèche et ne trouve rien de mieux que de se prostituer dans un bar gay de New York. A cette époque – pas si reculée et que les extrémistes conservateurs font tout pour voir revenir, aux Etats-Unis comme en Russie et en Turquie – le simple soupçon de gaieté valait soupçon de communisme, donc diabolisation automatique.

La commission d’enquête doit étudier et entériner (Advise and Consent) la nomination, mais chacun sort ses « affaires » comme la gauche hollandaise aux abois avec Fillon. Le patriotisme guerrier de Laughton, qui se fait applaudir, est efficacement contré par les réalités de la guerre rappelées par Fonda, qui se fait applaudir en retour. Les deux positions sont légitimes, l’une plus dangereuse que l’autre et peut-être plus archaïque, mais compréhensible. Ce qui va départager le choix sera la série de coups bas personnels, de faux témoins et de chantages que chacun se croit obligé de dégainer « pour son parti ». Belle excuse des lâches qui oublient l’humain pour jouer à la politique. Ce pourquoi j’ai toujours profondément méprisé les politiciens, surtout ceux qui se présentent comme les plus vertueux (« responsable mais pas coupable », « Moi président… »). Je préfère les cyniques assumés à la Pasqua, très Charles Laughton si l’on y réfléchit.

Car, au fond, la « vraie » politique américaine se joue entre membres de la même aristocratie sociale, qui se pique d’être gentleman et ne dépasse pas certaines limites. Ce pourquoi le jeune loup technocrate auteur du chantage, sénateur entouré de conseillers techniques (une nouveauté à l’époque), préfigure les loups de Wall Street dans la finance et autres « sans scrupules » à la House of Cards. Des salauds, au sens de Sartre, des gens à mépriser absolument, pour qui seule compte la fin et pas du tout les moyens. Au point de pousser au suicide le jeune sénateur Anderson, papa d’une petite fille, qui préside la commission sénatoriale. « On » veut qu’il soit moins impartial et qu’il pousse la commission à entériner le choix du président. Comme d’habitude les royalistes le sont plus que le roi et l’extrémisme des jeunes sénateurs du parti font plus que le président n’aurait voulu : ils tuent l’un des leurs !

Le projecteur se déplace donc du communisme vers l’homosexualité, de la politique vers les affaires, du patriotisme (légitime) aux saloperies (méprisables). Et à la fin les deux leaders de partis, Charles Laughton et Walter Pidgeon, se congratulent de voir la procédure respectée et la vraie politique reprendre ses droits sur la merde humaine. Qu’ont donc à voir avec l’intérêt général (politique) les minables attaques (personnelles) sur chacun ? Elles manifestent plutôt l’arrivisme forcené, la haine de classe, la violence de bande des intérêts très particuliers.

Le président va mourir, le vice-président (Lew Ayres) prendre constitutionnellement sa place, le sénat repousser l’investiture de Leffingwell – le nouveau président choisira un Secrétaire d’Etat qui lui convient.

Plus de cinquante ans après, ce grand film américain reste très actuel. Avec Trump et l’absence totale de scrupules pour la vérité de ses sbires partisans, avec Hollande et la sortie immonde des « affaires » sur Fillon au moment crucial, avec les officines dans l’ombre qui ne cessent d’alimenter la presse à scandale sur tout et n’importe quoi, au détriment des vrais problèmes de tous. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. D’où l’efficacité de la Constitution américaine, probablement meilleure que la nôtre, qui offre des contrepouvoirs démocratiques aux décisions de chaque acteur important.

DVD Tempête à Washington (Advise and consent) de Otto Preminger, 1962, avec Henry Fonda, Charles Laughton, Walter Pidgeon, Don Murray, Franchot Tones, Lew Ayres, Artedis films 2014, 142 mn, €18.39

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Vide socialiste

Le monde a changé, pas le socialisme.

Idéologie dominante du siècle dernier, née au siècle encore avant en réaction à l’individualisme croissant dû à l’essor démocratique et industriel, le socialisme est désormais mort et Macron vient de l’enterrer. Il restera désormais comme une secte de gauche parmi d’autres, un parti-croupion analogue au parti radical, cet ex-faiseur de rois de la IIIe République.

J’ai connu cette génération socialiste qui a intronisé Mitterrand en 1981 – ex-ministre de l’Intérieur hostile à l’indépendance de l’Algérie puis ministre de la Justice donnant les pleins pouvoirs à l’armée – avant de crever sous Hollande, secrétaire de parti une bonne décennie à gérer les egos entre 1997 et 2008. Ceux qui ont poussé le machiavélien né camelot du Roy, présenté à Pétain avant de virer résistant, gaulliste puis ministre, étaient ces petit-bourgeois arrivistes des années 1980 qui avaient fait quelques études et avaient soif de participer aux décisions. Fils amers de ceux qui n’avaient pas su résister durant la guerre de 40, ils ont cru bon de porter les valises des terroristes FLN, futurs dictateurs soigneusement planqués jusqu’aux accords d’Evian – et toujours au pouvoir en Algérie. Comme la « résistance » allait bien pour les autres ! Comme la bonne conscience jouissait à s’éclater pour « les pauvres, les déshérités, les damnés du colonialisme… justement terminé » !

A ceux-là, leurs ados ont « fait » 68 contre la guerre et la consommation, avant de se réfugier dans la prébende d’Etat comme profs ou politiciens. Ce sont ces ados jamais vraiment grandis qui ont joué du synthétiseur hollandais contre l’agitation sarkozyste, croyant apaiser le pays par un train de réformettes que la revancharde Aubry a taclé via les députés qu’elle fit nommer. Car ce n’était « jamais assez à gauche, ma chère ! » comme Jospin – qui n’avait pas démérité – l’apprit à ses dépens en avril 2002. Le socialisme battu par Le Pen, quelle honte déjà ! Les « frondeurs » ont achevé l’ouvrage en faisant battre au premier tour de la présidentielle tous les socialistes – le frondeur Hamon comme le radical Mélenchon – à la fois par Le Pen et Fillon.

Car le ver était dans le fruit… Qu’a donc « le socialisme » à dire sur le monde actuel ?

De plus en plus globalisé, faisant la place à l’ancien « tiers » monde qui lui taille des croupières à marche forcée, emporté par le numérique, l’informatique, la robotique, les algorithmes et les nanomachines, le monde change à grande vitesse – et pas le socialisme. Le libéralisme au contraire – et c’est là sa vertu – sait s’adapter puisqu’il accepte par construction ce qui vient, « liberté » étant le maître-mot.

Mais le socialisme, loin de pencher vers les associations de base du modèle français selon Proudhon, a vivement préféré les grandes idées philosophiques du prophète juif qui prenait la suite des Evangiles : Marx. Lequel a été récupéré par tout ce que l’Allemagne compte de fumeux et de proto-totalitaires sous la houlette de l’hégélianisme, avidement repris par les Sartre et autres petits intellos français qui avaient honte d’apparaître trop rationnels (comme Bergson, Valéry ou Alain) à l’époque où l’Allemagne dominait l’industrie mondiale. Les années antitotalitaires post-68, après les révélations de Soljenitsyne puis de Solidarnosc, ont emporté le marxisme en acte du « socialisme réel » (ainsi se disait-il)… et tout le socialisme avec !

La société de cour, idolâtre du Mitterrand-soleil, a fait le reste, remplaçant les militants enthousiastes et la fraîcheur des idées par les technocrates d’appareil et les slogans de parti. Comment penser le monde quand vous faites allégeance à une bande où l’entre-soi compte plus que l’universel ? D’où ce « gauchisme culturel » décrit par Jean-Pierre Le Goff, qui acheva de faire divorcer les intellos bourgeois urbains du populo des périphéries et des villages. Le « socialisme » réduit aux bons sentiments et aux mot-valise, avec l’écologie comme nouvel horizon de croyance.

Libéralisme des mœurs adulé, libéralisme économique honni : quelle magnifique contradiction ! Car cela signifie « tolérance » aux intolérants – par exemple poutiniens, trumpiens ou islamistes ; ouverture des frontières – juste pour les migrants, pas pour les marchandises ni pour les capitaux ; incantation au « collectif » – et préoccupations uniquement focalisée sur les « droits » aux minorités infimes (homo, voilées, féministes).

La plus vaste blague a été la candidature de Benoit Hamon. Lui, un renouveau du socialisme ? Apparatchik né dans le système, dont le seul métier a toujours été la politique, adepte de l’entre-soi fanatique par ses réseaux multiples cultivés depuis toujours – comment aurait-il pu représenter un homme neuf dans « le système » ? Quant à son programme, il reste l’utopie-reine de toute croyance millénariste : demain on rase gratis (revenu universel, hédonisme, RTT avant retraité, annulation de la dette, taxation de tous ceux qui dépassent la norme d’Etat, imposition des robots – avant de leur accorder des « droits » en tant que minorité visible ? -, loi contre la torture des chatons, agnelets et autres petits veaux). Comment gouverner dans la réalité si l’on reste guidé par le principe du plaisir ?

Que reste-t-il en 2017 du « socialisme » ? Rien. Ce vide est le vide de « la croyance » face aux faits.

Et c’est tant mieux : le champ est enfin libre pour créer autre chose.

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La politique comme roman-photo

Les médias sont populistes par construction : au lieu d’analyser, ils romancent. Parce que cela fait vendre, le scoop engendre du buzz, les news du business, le fake du like. Pourquoi vous étonnez-vous que tous ces mots soient anglais ? Parce qu’on ne sait pas les dire en français. Parce qu’il s’agit de fric et que seul le monde anglo-saxon, pragmatique et près de ses sous, sait compter. Pas de Grands principes pour la philosophie anglo-saxonne – mais du bon gros pragmatisme à ras de terre, accessible au temps réduit du petit cerveau disponible de la masse.

C’est le danger du « capitalisme » que de ne pas savoir ce qu’il est. Les médias français sont remplis de petits procureurs contre « le système », contre « le capitalisme ». Mais, comme ils ne savent pas le définir, y mettant toute la réprobation « morale » qu’ils ont pour TOUT ce qui ne va pas sur la planète, ils se vautrent dans le pire capitalisme qui soit : celui de la bauge, de l’ignorance, de l’égoïsme forcené, du gros tirage, du fric… Voilà les conséquences de ne pas désigner les choses correctement. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait fort justement Albert Camus… en 1944. Pléiade 1, p.908

Les médias ne sont pas politiques, ils sont bouffons. L’entertainment remplace l’entretien, le rejet le projet, la morale le national. Cet essentialisme du « tous pourris » ne fait pas avancer, il enfonce dans la fange. Ce faisant, il renvoie aux citoyens une image glauque de ceux qu’ils ont élus, il dégoûte de la chose publique et du débat politique, il marque la France à l’international d’une honte devant laquelle Trump et son trumpisme ferait presque pâle figure. Ah, qu’il était doux de donner des leçons au monde entier il y a quelques mois… quand il s’agissait des autres !

J’aime bien Mélenchon ou Fillon lorsqu’ils renvoient les médias dans les cordes, eux qui « posent des questions » souvent plus longues que les réponses très courtes qu’ils réclament, ou des questions qu’on aurait honte de poser tant elles sont ineptes, eux qui harcèlent l’interlocuteur quand sa réponse dépasse trente secondes (comme si le critère professionnel était de mitrailler les affirmations sans donner le temps de réponse), ou encore cet acharnement à « s’interroger » encore et encore sur l’écume immédiate par peur d’aborder les vrais problèmes du fond.

Le comportement de François Fillon, d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen (pour ne prendre que ceux qui sont pris) n’est plus supportable aujourd’hui – mais pour des pratiques pour une bonne part légales hier. Ou du moins dans les mœurs admises par l’ensemble de la classe politique depuis Mitterrand. On le sait, mais seuls les politiciens et les médias feignent de l’ignorer. Les gens en charge de la politique sont trop nombreux, cumulards, professionnels des partis de plus en plus loin du terrain, incontrôlés. Ils acquièrent avec le temps un sentiment d’impunité inadmissible.

La loi est dure ? Elle doit être la même pour tout le monde. Si elle est floue, elle exige d’être précisée ; si elle est mal rédigée par ceux-là mêmes qui répugnent à y être soumis, enlevons la loi aux députés pour la faire rédiger par des commissions indépendantes sans conflits d’intérêts. Mais comme ce serait quitter « la démocratie » pour la technocratie (ce qui n’est pas souhaitable), érigeons de véritables contrepouvoirs puissants – avec le moins de conflits d’intérêts possibles. Donc révisons les médias : leur financement par de gros capitalistes d’influence, leur rédaction trop monocolore politiquement, trop parisienne, leur droit d’enquête et la préservation des sources. Les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie – il suffit d’observer la Turquie ou la Russie…

Mais c’est au lecteur et au spectateur de se désabonner ou ne plus regarder les médias et émissions qui préfèrent le feuilleton politicien au programme politique. Les ingrédients habituels des romans d’amour à l’eau de rose, style Harlequin, mettent en scène le sexe, le pouvoir et l’argent. Voilà ce qui fait vendre. En politique, les ingrédients sont repris avec des délices coupables : abus de pouvoir et argent à tous les étages sont le lot des politiciens selon la presse  (même Le Monde, bien nommé L’Immonde par les potaches) et la télé (même Arte, qui se croit intello). Reste le sexe : à quand les révélations ? Pas de partouze à 12 ans chez Fillon ? Pas de gigolos sexy chez Macron ? Pas de beuveries libertines chez Marine ? Allons, la presse, un peu d’imagination ! L’affaire Markovic a pourtant donné le ton, sous le général…

Gardons plutôt notre « temps de cerveau disponible » pour réfléchir par soi-même au lieu de le confier aux pubards et autres histrions de l’amusement médiatique. Macron reste-t-il dans le vague ? Faisons-le préciser. Fillon est-il trop comptable dans la rigueur ? Demandons-lui des explications. Hamon verse-t-il dans le côté Père Noël ? Exigeons de lui qu’il résolve sa contradiction entre distribuer et produire, payer tout le monde malgré la fuite devant l’impôt renforcé, faire l’Europe sans l’Allemagne. C’est cela qui est citoyen, pas une embauche familiale de 1988 ou un costume trop beau pour le pékin moyen envieux.

La loi n’est pas la morale, faut-il sans cesse le rappeler ?

Le projet politique n’est pas le comportement. Il importe beaucoup plus à la France, aux Français, à l’avenir, que l’élection porte à la présidence un candidat capable de décider et de voir loin. Pas que l’on rappelle sans cesse la « faute » d’il y a 30 ans, 15 ans, 5 ans. Fillon n’est pas Cahuzac, que diable ! Encore moins Macron. Quant à Le Pen, elle s’assoit sur les accusations – ce qui est peut-être la méthode la plus efficace, à défaut d’être éthique : les Français jugeront d’ici deux mois.

Après cinq années de gauche gouvernante plutôt lamentable (indécise, velléitaire, contradictoire, effacée), les électeurs semblent aspirer à la droite. Si ce n’est pas Fillon, ce sera Le Pen. Quant à Macron, il tente pour l’instant la « synthèse » équilibriste chère à Hollande et à ses disciples – et il risque autant d’échouer ou de décevoir.

Macron a pour lui sa jeunesse, son optimisme réformateur, sa dynamique hors parti. Il a contre lui l’aspect trop communication de ses discours, un projet incertain, des « papiers » d’école de commerce ou d’oral à l’ENA sur plusieurs sujets cruciaux. Il est le candidat qui agglomère le plus d’indécis sur sa personne, ce pourquoi les sondages le concernant sont artificiels.

Fillon assume une politique de droite qui remet l’Etat où il devrait être. Avant tout assurer la défense et la sécurité, faire appliquer la loi, contrôler les migrations massives. Ensuite aider à la modernisation de l’économie en débloquant les initiatives, seules à même d’adapter à la modernité et de rebâtir une industrie qui s’effiloche. Enfin quitter la posture de honte d’être français, la repentance à répétition, affirmer les valeurs des Lumières, la coopération européenne et une politique étrangère où les intérêts français priment sur les postures idéologiques. Il a pour défaut son côté tranchant et opiniâtre, ses « affaires » qui ne reluisent pas plus que les pompes cirées à l’Elysée par le conseiller présidentiel Morelle, son peu de cas de l’argent public tout comme le coiffeur salarié de Hollande à 9000 € par mois ou le logement de ses maitresses à la Lanterne. Mais on a trop oublié l’insignifiant sortant, dans les médias, tant l’absence de toute perspective historique est la marque du journalisme aujourd’hui.

Or ce devrait être cela la politique : un projet comparé et débattu entre candidats. Pas le feuilleton people de médias ignares et flemmards en mal de notoriété narcissique. Je suis las des médias qui « sortent » un scoop tous les deux jours – et toujours sur le même. Nombre d’électeurs, écœurés par ce cirque sans lendemain, vont déclarer « ne pas savoir » ou « voter Macron » jusqu’au dernier moment – jusqu’à ce qu’un sursaut de dégoût pour les mœurs dévoyées du médiatique leur fasse mettre dans l’urne le bulletin d’un vilipendé – juste pour envoyer foutre les donneurs de leçons pas plus purs que ceux qu’ils accusent.

Bel exemple de « démocratie » que le monde va de nouveau nous envier !

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Denis Ralet, Le cauchemar du président

Ce roman est de politique fiction. Il raconte comment un président moyen, élu comme plus petit commun dénominateur, reste impuissant à agir face à une catastrophe de longue ampleur. Car, pour agir, il faut convaincre ; en démocratie – même représentative – le chef n’est pas celui qui conduit mais celui qui suit. L’opinion doit être mûre – or l’opinion est paresseuse, confite dans le confort des habitudes qu’il est très difficile de changer. « Les magazines people se vendent par millions et (…) ceux qui parlent de notre avenir, de celui de nos enfants, de la Terre sur laquelle nous vivons, ceux-là n’intéressent pas grand monde » p.68. D’autant que les divers intérêts (géopolitiques, économiques, idéologiques) vont dans le sens du conservatisme : pourquoi changer quand tout va plutôt bien ?

Le déclencheur de « la crise » (cet acmé de la maladie qui fait soit crever, soit se renouveler) est une explosion nucléaire en Antarctique. Pourquoi ? Nul ne sait ni ne saura. C’est gros – mais invraisemblable. L’auteur aurait pu trouver autre chose de plus réaliste, ou exposer un complot avec un but précis. Il n’en fait rien, ce pourquoi ce roman n’est que l’ébauche d’un thriller. Je trouve pour ma part cet abandon dommage : quel beau thème que celui d’une aile de papillon qui fait basculer la planète ! Au lieu de cela, l’auteur va linéaire, racontant l’enfance du président, son ascension vers le pouvoir, ce qu’il y fait ou plutôt ne peut faire, ce qui se déroule malgré tout et tous.

Donc une explosion de grande ampleur, qui creuse la banquise et fait fondre un peu plus la glace – avec ses conséquences en chaîne, mais sur le long terme : cyclones, inondations, submersion de côtes, mauvaises récoltes… Les politiciens, élus pour quelques années, ne songent pas au futur ; ils se foutent des enfants, y compris les leurs, et l’avenir se borne à leur réélection au prochain terme. Le président français Chabrolles n’est pas aussi fort que la Constitution veut bien le dire ; il est pris dans les rets des rapports de force géopolitiques, des multinationales, des règlements européens, des perspectives de son parti, de ce que l’opinion est prête à consentir. Donc il ne fait rien – comme Chirac, comme Hollande. Il minimise par le discours, il dissimule les informations sensibles. Il tente de susciter une réaction vers la moindre consommation, les circuits courts, le retrait des rives inondables… mais le temps passe et l’inertie demeure.

Les périodes de crise engendrent des comportements égoïstes, inciviques, centrés sur soi. Les banlieues s’embrasent, des immigrés rançonnent, la jungle installe sa loi. Il est donc inévitable que l’avatar du Front national remporte les présidentielles de 2027, puis les suivantes. Sans vraiment résoudre la question de la sécurité, mais en jouant sur la peur. Ces éléments sont peu convaincants, à mon sens, 2027 est trop loin pour une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en cas de crise majeure. Une fois au pouvoir, nul doute que l’Exécutif ne soit fort, renforçant la police, n’hésitant pas à réprimer fermement, sinon sauvagement – à la russe (le tropisme poutinien de l’extrême-droite européenne est de notoriété publique). Cela inclut une réorganisation des alliances géopolitiques et économiques, pas seulement l’exit de presque tous les pays européens fors l’Allemagne, la France et le Benelux, comme il est raconté.

Reste que, malgré ses défauts de construction et son catalogue de tout ce qui peut changer au demi-siècle prochain (y compris une crue centenale de la Seine p.134), ce roman de fiction politique se lit d’un trait, écrit d’une plume alerte et sans jargon.

Subsistent malheureusement nombre de fautes de français qui montrent combien l’éducation pèche depuis une génération. La créativité de la langue est féconde lorsqu’il n’existe pas de mots équivalents, mais elle marque l’ignorance lorsqu’elle vient en substitution. Qu’est-ce par exemple que ce « parastatal » p.61 alors que paraétatique existe ? Pourquoi écrire « le port d’Hambourg » p.100 alors que l’élision ne se fait jamais devant le H ? Que veut dire « endéans les 12 mois » p.140 alors qu’avant suffirait ? Quel est cette langue de bois du terme « subsidier » p.186 alors qu’il existe subventionné ? La mystérieuse « agréation » p.205 ne voudrait-elle pas dire agrégat ou agrégation ? Le « travail presté » p.206 et 214 est une invention de nul, alors que travail fourni suffirait. Ces bourdes gâchent un peu la fête, alors que ce roman mériterait d’être lu et médité.

Faut-il « passer » sur ces fautes et cet inachèvement pour ne considérer que l’idée même ? Non, sans doute, car c’est cet abandon au spontanéisme au détriment du travail, cette focalisation sur le seul but au détriment des moyens, qui fait s’écrouler l’expression, l’éducation, et la société même. Comment comprendre, se faire comprendre et débattre si l’on n’utilise pas les mots justes ? Or si « les gens » ne voient que le court-terme de leurs petits intérêts dans leur petit coin, comme le montre l’auteur, c’est bien parce que l’on a renoncé à leur ouvrir l’esprit, à leur assouplir la langue et à activer leur esprit critique. « On peut devenir ministre, fonction équivalente à un poste de direction dans une multinationale, sans rien connaître au secteur concerné », critique justement Denis Ralet p.203 – mais s’applique-t-il à lui-même cette remarque de bon sens ? Peut-on devenir écrivain et être lu sans connaître la juste expression écrite et la construction efficace d’une fiction qui captive ? « Nul art pour les nullards » p.221 ?

Ne soyons pas trop sévère, malgré l’agacement des défauts. Je vous conseille la lecture de ce roman de politique-fiction, il vaut le détour et les deux heures que l’on y passe. Je dirais seulement à son auteur : « peut mieux faire ». Ce serait dommage de gâcher de bonnes idées par une manière trop peu travaillée.

Denis Ralet, Le cauchemar du président – 2022 une bombe explose en Antarctique, 2017, Telarcom éditions, 240 pages, €19.50

e-book format Kindle, €9.49

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Réformer la démocratie

Tout va mal : les politiciens, une fois élus, font ce qu’ils veulent et s’assoient sur leurs promesses « qui n’engagent que ceux qui les croient » perroquettait Chirac sur l’air de son bon maître Queuille ; même fraudeurs, même pris dans « les affaires » et cités en justice, les élus continuent de se pavaner aux Assemblées, dans les collectivités, et parfois au gouvernement – et ils peuvent se représenter sans obstacle ; les partis programment ce qu’ils ne peuvent pas tenir, la négociation européenne reste lointaine et opaque (chaque élu s’empressant de dire célafôtabruksel). En bref, l’électeur a la triste impression que ses élus sont des charlatans, que son gouvernement est impuissant et son président un histrion. Communiquer remplace gouverner et le performatif l’acte.

D’où la tentation réelle de renverser la table, de jeter dehors tous ces incapables plus ou moins pourris, au profit de gens neufs (si possibles des hommes, pour leur aura « d’autorité », d’ailleurs…). Nous l’avons vu en France aux dernières européennes ; nous venons de le voir aux Etats-Unis avec le macho Trump contre la femme Clinton ; nous le voyons aujourd’hui avec François Fillon et les emplois fictifs au Parlement français, avec Marine Le Pen au Parlement européen ; nous le verrons peut-être plus tard avec Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Benoit Hamon ou d’autres (sait-on jamais ?).

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La fracture est dans « la démocratie » même, depuis les origines. Elle sépare le régime représentatif du régime direct, les élites déléguées et le peuple participant.

Mais ce qui est aisé en cité (Grèce ancienne), en collectivité locale (française) ou même en petit pays fédéral (Suisse, Belgique), est nettement plus compliqué en grands Etats étendus, voire multilingues et multiethniques (Inde, Russie…). D’où la représentation : le citoyen délègue ses pouvoirs de décider et d’exécuter pour un temps limité à une assemblée parlementaire ou à un « homme fort » – parfois les deux, comme en France où le président comme le député sont élus au suffrage universel sans intermédiaires (ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis pour le président). L’inconvénient est que « la politique » se résume à voter, voire à adhérer à un parti, donc à suivre sans grand pouvoir de décision ses oukases. Le citoyen est vu comme abstrait, « universel » donc interchangeable, doué de raison donc sondable, et mu toujours par son intérêt personnel – ce qui est loin d’être la réalité !

L’opposé du régime représentatif est la participation directe : chacun vote sur tous sujets d’intérêt commun, et peut remettre en cause ses élus chargés d’exécuter la politique décidée par la majorité. Le citoyen n’est pas uniquement électeur mais pluriel (sujet de droit, combattant pour la patrie, ouvrier ou chercheur, enseignant ou artisan, délibérant en assemblées, associations ou mouvements). Il n’est pas abstrait mais socialement concret, ses intérêts de groupe sont pris en compte et non pas seulement ses « droits universels ». C’était le cas dans certaines cités grecques (mais pas en tout temps) et de la république romaine (plusieurs siècles avant notre ère). C’était l’idéal de la Commune de Paris et des soviets russes en 1917 ; mais les élites ont vite mis le holà à cette prise de pouvoir qui les privait du leur, Thiers et Lénine ont durement réprimé « le peuple » en armes. Cela reste l’idéal d’un certain gauchisme libertaire, de certains écologistes (avec les sempiternelles scissions de groupuscules que l’on observe).

Un régime intermédiaire permet de gouverner par des représentants tout en conservant une participation directe : le régime fédéral. Il n’est pas innocent que la plupart des grands Etats soient fédéraux : Inde, Etats-Unis, Canada, Russie, Allemagne, Suisse, plus récemment Espagne, bientôt peut-être Royaume (ex-)Uni. Le citoyen participe à la politique qui lui est proche (collectivité locale, région) et délègue les décisions complexes et long terme à l’Etat fédéral (diplomatie, guerre, justice, politique économique).

La France, régime semi-présidentiel jacobin, centralisé et autoritaire, est en adoration devant le régime représentatif.

La politique est un métier, la cooptation la règle et l’esprit de caste permet toutes les dérives non sanctionnées – sauf par les médias, curieusement « informés » au meilleur moment politique – puis par la grosse caisse de résonance de l’Opinion. Mais l’Opinion n’a rien à voir avec la justice, pas plus que la morale avec le droit : la loi de Lynch est immédiate et sans appel ; la réalité des faits est toujours plus nuancée – la justice en tient compte à l’aide des procédures, jamais l’Opinion qui juge sur impressions.

Tout se joue par concours à l’ENA, se poursuit en cabinets ministériels et dans les grands partis qui trustent les financements, et se parachève par un entre-soi social (collèges privés, rallies pour se rencontrer et se marier, échanges de postes en conseils d’administration ou en investiture, inceste avec les médias…) et un accaparement économique (le pantouflage).

Un sondage Viavoice pour la Fondation Jean Jaurès de septembre 2016 intitulé L’observatoire de la démocratie montre combien les Français sont à la fois très attachés à la démocratie (91%) et combien ils la sentent menacée (72%). Seuls un tiers d’entre eux considère qu’elle « fonctionne bien ». Conscients de sa fragilité, ils revendiquent une plus grande participation, dans la lignée des études de Pierre Rosanvallon. Seuls 52% votent systématiquement, et les moins assidus sont les jeunes sous 35 ans et les classes populaires (ces deux catégories, quand elles votent, n’hésitent pas à renverser la table).

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Mais c’est surtout qu’ils ont mal à la représentation : non seulement on leur promet tout pour ne réaliser que pas grand-chose, mais on leur cache qu’on ne peut guère, comme si un « Complot » allait contre leur volonté. Ils sont 46% à vouloir réformer le gouvernement, 44% le Sénat et l’Assemblée nationale, 43% à vouloir diminuer les pouvoirs du Sénat (dont ils ne comprennent pas le rôle et pour qui ils ne votent pas). Ils ne comprennent pas qui fait quoi du président et du ministre, du député et du sénateur. Sans parler de l’Europe qui « impose » ses règles (alors qu’elles sont négociées par les ministres de chaque nation à Bruxelles). Ils rejettent massivement les partis politiques de gouvernement, tant ils semblent de simples machines à élire, qu’ils fonctionnent entre copains et qui ne prennent pas en compte les besoins des « vrais gens ».

Ils réclament, cela ne vous étonnera pas, plus de participation…

Des référendums, à l’initiative du gouvernement ou d’initiative populaire, sur les sujets de société (mais pas sur la diplomatie, la justice et la police, ni sur la politique économique).

Plus de pouvoirs locaux aux collectivités territoriales (commune, communauté de communes, région) – avec le financement y afférent.

Un contrôle des élus par les électeurs, notamment par le non-cumul des mandats, l’abaissement du nombre des parlementaires – mais aussi par le pouvoir de démettre. Le 49-3 citoyen, bien que trop manipulable, donc dangereux pour le fonctionnement de l’Assemblée, va dans ce sens.

Un engagement citoyen plus que politique, qui permet de « refaire société » hors des partis mais dans les associations, les ONG, les mouvements. Ce pourquoi l’écologie est populaire en France, même si les « partis » écologiques et leurs politiciens à l’ego trop souvent gonflé ne font pas recette comme en Allemagne.

Pour répondre à ce désir de participer, ne faudrait-il pas que la France devienne, comme l’Allemagne, la Suisse et l’Espagne et même le Royaume-Uni – ses voisins – un Etat fédéral ? Les régionalistes seraient contents, les électeurs de « la France périphérique » aussi, la participation serait mieux assurée et les problèmes de bac à sable (type barrage de Sievens ou aéroport bis de Notre-Dame des Landes) ne remonteraient plus systématiquement à Paris en psychodrames nationaux. La France des régions s’intégrerait probablement mieux à « l’Europe », celle-ci étant moins vue comme un super-Etat jacobin que comme une association de régions semi-autonomes avec lesquelles il est possible de tisser des liens directs.

Alors, la démocratie : le pire des régimes… à l’exception de tous les autres ?

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Qu’est-ce que le capitalisme ?

Le « capitalisme » – mot-valise – pas grand monde ne sait vraiment ce que c’est. Il est utilisé comme injure par les privilégiés d’Etat, comme explication totale de tout ce qui ne va pas par les petits intellos, par le grand méchant marché pour les écrasés de la domination. Or le capitalisme n’est pas « à bout de souffle », comme certains le prétendent, qui préfèrent leurs rêves à la réalité, imaginer un souverain Bien abstrait plutôt que creuser un tantinet cette même réalité.

Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas un système « scientifique » ressortant d’une quelconque « loi de l’Histoire » (qui n’existe pas) – comme « la gauche » depuis le marxisme a pris l’habitude de le penser, dans le confort d’une doctrine toute faite qui évite d’observer et de réfléchir.

On retient en général six critères du capitalisme :

  1. propriété privée des moyens de production (au détriment des non-possédants)
  2. division du travail pour assurer la productivité (mais aliène le travailleur qui ne voit pas l’ensemble de son travail)
  3. employés non propriétaires des moyens de production (induisant une « inégalité »)
  4. entreprise comme aventure et risque (avec pour sanction la faillite)
  5. mesure du succès selon le profit (récompense de l’innovation et du pari) mais monopole temporaire (donc pousse à l’investissement, à l’innovation, à la recherche et à la prise de risques)
  6. liberté du marché où se confrontent offre et demande de produits et services (mais tendance au monopole, donc exigence d’une instance supérieure – l’Etat – pour faire respecter la concurrence)

Avant tout c’est un système économique efficace, mais le capitalisme induit une sociologie des acteurs entre possédants, non-possédants, fonctionnaires, enfin influe sur la politique par sa volonté de règles du jeu établies par les Etats.

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Le capitalisme est avant tout un système d’efficacité économique.

Il a toujours existé ; il existera toujours car il tend à produire le maximum (de biens et services) avec le minimum (de matières premières, de capital et d’humains), ce qui est à la fois rationnel, économique et même écologique (réfléchissez un peu). Pour Max Weber, le capitalisme est la rationalisation même des activités collectives, loin du bon-plaisir dépensier du pouvoir féodal ou des superstitions magiques des agriculteurs.

Le capitalisme, comme outil d’efficacité de la production, est politiquement neutre, en ce sens que des sociétés très différentes utilisent le capitalisme : les Etats-Unis république impériale, la Chine communiste à parti unique, la Russie démocrature, l’Allemagne social-démocrate, la France jacobine et étatiste, le Royaume-Uni monarchie parlementaire libérale, la Suisse fédérale et d’initiatives citoyennes…

Le capitalisme, comme appropriation privée a émergé dès le néolithique, lorsque les populations de chasseurs-cueilleurs ont troqué leur prédation nomade sur la nature sauvage contre l’exploitation d’un capital (cheptel, terre, forêt, lieu de pêche, carrière de silex, de sel ou de minerai) – en le protégeant de la prédation des autres. Sont ainsi nées au moins deux classes sociales distinctes : les pillards nomades et les propriétaires sédentaires. Coiffées parfois par un Etat, comme en Mésopotamie ou en Egypte, qui a inventé la comptabilité pour mieux prélever l’impôt sur la production et le soldat pour les armées. Le mot capitalisme provient d’ailleurs du latin « caput » – la tête de bétail.

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Car cette façon de produire capitaliste induit nécessairement une sociologie des acteurs, un régime de propriété et un mode de comportement.

L’appropriation privée des moyens de production distingue ceux qui possèdent de ceux qui ne possèdent pas. Les premiers ont (par héritage, prédation ou effort personnel) le cheptel, la terre, le capital, les machines, les brevets ; les seconds n’ont que (par origine sociale défavorisée, éducation pauvre ou manque d’effort personnel) leur force de travail – déclinante avec l’âge – ce qui conduit Karl Marx entre autres à en faire une catégorie « exploitée ».

Ce jugement philosophique (et non économique, ni sociologique) entraîne la condamnation morale des possédants, censés être avides d’accumuler toujours plus d’argent. Mais cette dichotomie simpliste ne résiste ni à l’histoire, ni à l’observation du présent : l’éthique protestante de Max Weber a fait de la morale austère l’une des conditions de réussite du capitalisme industriel ; l’honneur du travail bien fait a créé, selon Michel Albert, la variante du capitalisme rhénan qui fait le succès de l’industrie allemande et suisse ; aujourd’hui, les plus gros capitalistes de la planète, Bill Gates, Steve Jobs, Warren Buffet, Elie Broad (de Kaufman and Broad), George Soros, ont pris la suite des Carnegie, Rockefeller, Kellog, Guggenheim, Getty – pour financer massivement des organisations caritatives mondiales. En France, le chef étoilé Thierry Marx a permis dès 2002 aux détenus de Poissy de bénéficier d’une formation en bac professionnel Restauration et il crée en 2012 une formation gratuite à la restauration destinée aux jeunes sans diplôme et aux personnes en réinsertion ; Xavier Niel, patron de Free, a créé une école d’informatique gratuite ouverte aux sans-diplômes.

Il y a certes des Bernard Madoff et autres « loups de Wall Street », mais qui n’a pas ses moutons noirs ? L’Eglise et ses pédophiles ? L’Administration et ses Cahuzac ? Le service public et ses profiteurs pris dans les « affaires » ? Les parlementaires avec leurs prébendes ? S’il fallait condamner « le capitalisme » parce qu’il existe des avides et des méchants, il faudrait condamner tout Etat, toute administration et toute église parce qu’ils en ont autant en leur sein… Le capitalisme est-il moral ? s’interrogeait le philosophe André Comte-Sponville – il montrait qu’en logique, c’est non ; le capitalisme n’est ni bien ni mal, il est seulement utile ou inefficace. A chaque ordre son rôle : l’économie n’est pas la politique – c’est à la politique de réguler le capitalisme – pas de le « condamner » ; c’est à la justice de faire respecter les règles – et de condamner les écarts – et c’est à la politique de définir ces mêmes règles et de donner les moyens à la justice.

Par-dessus les deux catégories des possédants et des exploités de Marx s’en est créée une autre, issue de la complexité croissante des sociétés organisées en Etats : la bureaucratie. Les fonctionnaires ou les managers salariés ne possèdent aucun capital (autre que celui – scolaire – d’avoir passé un concours ou d’avoir réussi des études) ; mais leur force de travail salariée est garantie à vie (retraite comprise), ce qui n’en fait pas des « exploités » mais des instruments des règles de droit d’une Administration. Comme hier les clercs de l’Eglise.

On ne peut donc pas affirmer que le capitalisme « se maintient en creusant le fossé entre les nantis et les pauvres », ni qu’il « fait endosser par l’Etat les effets d’une déroute financière ». Ce sont bien les politiciens qui ne font pas leur boulot de dire le droit et de surveiller et sanctionner les écarts à la loi, les politiciens qui cèdent aux lobbies de la finance, de la pharmacie ou du nucléaire – pas les « capitalistes » : ceux-ci ne font que maximiser l’efficacité de leur outil entreprise.

Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que la mathématisation du monde, l’orgueil de la rationalité poussé au rationalisme, conduisent à la dérive de la raison, au tout-calculable, tout-quantifiable ; avec cet espoir utopique de tout prévoir et de tout contrôler. Jusqu’au transhumanisme visant à remplacer tout ou partie de l’humain par l’informatique et le robot. Les délires de la finance ont montré en 2007 combien la rationalité sans affect, l’outil sans ouvrier, l’économie sans politique, peut dégénérer. Mais cette finance n’a été contrôlée par personne, et surtout pas par les organismes d’Etat dont c’était pourtant le travail ! – aussi bien aux Etats-Unis adeptes de la transparence qu’en France étatiste donneuse de leçons. Quant au mot de François Hollande, « mon ennemi la finance », on sait bien ce qu’il est devenu : la démagogie électoraliste s’est heurtée à la réalité des choses. Pourquoi « honnir » plutôt que contrôler ? La faillite du politique est ici totale.

D’ailleurs, ceux qui disent le capitalisme fini ne savent pas comment il serait « remplacé »… Ni la décroissance prônée par certains, ni le troc proposé par d’autres, ni la vie en autarcies communautaires rêvée par quelques-uns ne peuvent remplacer la production de masse qui propose à tout le monde des biens et des services, l’organisation du commerce mondial qui évite la pénurie et les aléas climatiques, et l’innovation qui incite à proposer de nouveaux biens. Peut-être ceux qui rêvent de la vie monastique ou de la thébaïde à la Rousseau, sont-ils d’un âge déjà mûr pour aspirer à la tranquillité, ont-ils trop goûté aux fruits de la consommation pour s’en être lassés, ou sont-ils fatigués des changements au point de désirer la quiétude du pavillon avec petit jardin pour la retraite ? Je ne crois pas que les pays émergents, ni la jeunesse émergente ou développée, aient un quelconque désir d’austérité ou de contrainte.

Cela ne signifie en rien que leurs achats ne soient pas réfléchis, ni qu’ils ne veuillent pas éradiquer l’obsolescence programmée. Mais il existe des groupes de pression des consommateurs pour cela, des associations qui influent sur les lois – et des intellos qui, lorsqu’ils font leur boulot, mettent en garde contre les manipulations du marketing, de la pub, de la collecte des données, du panurgisme des réseaux sociaux, de la démagogie politicienne et ainsi de suite. Encore faut-il convaincre intelligemment, avec des arguments, et non se contenter de faire peur en prophétisant l’Apocalypse. L’écologie devra se faire avec les outils du capitalisme pour être efficace et « durable » ; ou elle ne sera qu’une religion de plus.

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Pour s’épanouir, le capitalisme a besoin de la liberté des échanges. Ce que seule la politique peut lui donner, via l’organisation de l’Etat, l’élaboration du droit et un régime de droit libéral.

Les anarcho-capitalistes considèrent que l’État est dangereux et qu’il est possible de s’en passer en s’appuyant sur le « droit naturel », sa propre capacité de défense, et des organismes privés rémunérés. Dans la réalité, il n’existe pas de société capitaliste pure où tous les moyens de production seraient propriété privée et seraient exploités par leurs propriétaires de façon totalement libre sans concours et influence de l’État (via le droit de propriété, la justice pour faire respecter les contrats, les règles de concurrence et d’exploitation, les normes sanitaires et de pollution, les impôts, les infrastructures d’éducation, de santé et de transports…).

Pour les libéraux classiques, comme Alexis de Tocqueville ou Raymond Aron, le marché est un moyen de satisfaire les désirs, pas une fin en soi. Une économie dirigée, planifiée, autoritaire, n’a jamais résolu les inégalités ni les abus, l’histoire entière du XXe siècle le montre à l’envi en URSS, en Chine, à Cuba, en Corée du nord… Le respect des libertés fondamentales et des contrepouvoirs institutionnels permet d’éviter – en démocratie – la constitution de monopoles, ou la corruption des fonctionnaires par les industriels. La tentation existe (le lobby pharmaceutique sur les autorisations de mise sur le marché des médicaments, par exemple), mais le fait qu’il y ait « scandale » et que des mesures législatives fermes soient prises, montre que le système peut se corriger. Bien sûr, ceux qui sont persuadés de faire le bien des autres malgré eux, considèrent l’interventionnisme d’Etat comme seul instrument « moral » – montrant par là-même combien ils font peu de cas de la démocratie (le dernier exemple est le référendum sur Notre-Dame des Landes, dont ils refusent le résultat).

Le capitalisme n’est pas la liberté, mais partout où il y a liberté, il y a capitalisme. Ce pourquoi tous ceux qui préfèrent l’égalité honnissent le capitalisme ; ils lui préfèrent le clientélisme de parti et les privilèges de nomenklatura.

L’histoire du capitalisme montre ses capacités de mutation et d’adaptation :

  1. capitalisme foncier (mésopotamien, grec, romain, châtelains et gentilshommes fermiers, bourgeois propriétaires et gros fermiers, agriculteurs « industriels »)
  2. capitalisme commercial = fin moyen-âge (Venise 14ème) – mi-18ème (marchés, magasins, foires, changeurs et banquiers). Les sociétés par actions ont permis aux riches négociants de prendre un risque et de financer leurs expéditions (route de la soie, route des épices, route du thé). Le grand négoce est toujours resté sous le contrôle des gouvernements nationaux (doctrine mercantiliste). La dynamique du capitalisme a été bien décrite par l’historien Fernand Braudel.
  3. capitalisme industriel et bancaire = 19ème (révolution industrielle en Angleterre fin 18ème par le textile puis machine à vapeur, l’entreprise privée organisée)
  4. capitalisme multinational = début 20ème et surtout après 1945 (grande entreprise parfois transnationale, production et consommation de masse, concentration et lois anti monopoles, recours à l’épargne et émergence d’actionnaires différents des managers (John Kenneth Galbraith), régulation de la monnaie et du marché par l’Etat (John Maynard Keynes), les excès interventionnistes contrecarrés par la dérégulation Reagan et Thatcher – qui a conduit à l’excès inverse de la spéculation financière 2007 – et à la re-régulation des banques et des paradis fiscaux.)
  5. capitalisme monopoliste d’État = fin du 20ème siècle, tentative socialiste de transformer le capitalisme pour lui faire accoucher du communisme. A l’exemple de l’URSS et des pays de l’Est, il a été très à la mode en France sous la gauche Mitterrand (jusqu’au tournant de la rigueur… dès fin 1983) et en Chine post-maoïste (jusqu’à la crise récente).
  6. capitalisme cognitif = nouveau, il serait issu de la mutation des conditions de production, qui font de plus en plus appel au capital-savoir plutôt qu’au capital financier ou industriel. Inventer aux Etats-Unis et produire en Chine pour en faire le marketing aux Etats-Unis et dans le reste du monde permet de capter l’essentiel de la plus-value sur le produit fini. Mais l’émergence des pays et les coûts de transport croissants n’en font peut-être pas un modèle pérenne.
  7. capitalisme libertaire = est un réseau réel de travailleurs indépendants, de coopératives et mutuelles (adhésion volontaire, capital commun, décision une personne une voix, profit traduit en nature), de financement participatif (crowfunding). Mais le collectif reste bien capitaliste, l’efficacité primant sur la production, seule l’éthique (par exemple franc-maçonne pour les mutuelles d’assurance en France) pouvant assurer une redistribution différente du profit.

Le capitalisme est un outil qui prend de multiples formes, pourquoi donc rêver sans cesse d’un monde idéal où il n’existerait pas et qui serait sans aucun problème ? Ce sont les humains qui créent les problèmes, pas les outils. Car, malgré les tentatives libertaires (coopératives ouvrières) ou collectivistes (les « démocraties » populaires), ce monde idéal n’existe pas – sauf au monastère. Pourquoi ne pas se poser plutôt la question de savoir quel est le système qui donne le plus de chances à tous de poursuivre efficacement ses propres objectifs ?

Le capitalisme, système d’efficacité économique inégalé, fait fond sur la discipline et sur la responsabilité individuelle parce que l’erreur est sanctionnée et parce qu’il incite à la recherche, à la création, à l’innovation pour le bien de tous. Dans l’histoire, le développement des villes, de l’artisanat, l’apparition de la bourgeoisie sont liés à l’existence de la propriété – Marx l’avait bien noté, encensant le capitalisme et n’appelant qu’à son dépassement.

Est-ce pour cela que certains rêvent de déporter tous les bourgeois à la campagne, comme le fit Pol Pot ? Ou de revenir avant le néolithique pour empêcher la « propriété privée » ? Le rapport salarial entre patrons et employés selon le prix de marché du salaire (rapport contractuel) est un progrès par rapport à la contrainte d’Etat (socialisme « réalisé »), au servage (rapport féodal) ou à l’esclavage (rapport de force) – ne croyez-vous pas ? Surtout si chacun s’entend (par son vote) pour que l’Etat – au-dessus des intérêts particuliers – définisse des règles démocratiques valables pour tous. Encore faut-il avoir les politiciens au bon niveau.

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Christian Wasselin, La chouette effraie

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Jouant sur le double sens du mot « effraie », ce « roman assez noir » reste constamment dans l’ambiguïté. Ni policier (faute d’enquête), ni pleinement roman (faute de psychologie crédible), cette fiction se lit assez bien, même si elle ne mène nulle part.

Tout commence par le vol d’un film inachevé, dont la copie unique doit être projetée pour les fans d’une chanteuse d’opéra prénommée Marie-Bal dont la voix envoûte les foules. Elle finira massacrée.

Cela se poursuit par un concert halle aux vins dans un cimetière où des goules à la mode s’orgisent dans la nuit – jusqu’à ce qu’un homme de main au surnom japonisant en agresse une. Il finira massacré.

Nous avons un producteur de télé malfrat qui, pour faire l’audience, monte ses propres faits divers ; un maire notaire de Lille qui veut se faire réélire ; un opposant fringuant qui complote et se perd ; un rentier de brasserie mécène qui dispose d’un manoir isolé un brin en ruines ; un couple improbable d’une échappée d’asile au prénom de rose et d’un faux artiste « dans la restauration » au nom de bière – et ainsi de suite.

Le lien entre tout cela ? Sans raison, juste le hasard des circonstances. Les uns enlèvent les autres, entravent les uns, favorisent les autres – et tous se massacrent allègrement à la fin (même avec l’aide d’un chat…).

L’histoire n’a pas de fil, surréaliste et absurde, dans un monde fin de siècle à la Huysmans, celui d’Émile Loubet et de la Belle Époque qui meurt. Réalisme et fantastique s’emmêlent alors que des affairistes et des politiciens laissent faire des « milices » et empêchent la police pour mieux manipuler et régner. Mais nous sommes en France, un peu à Paris et surtout dans le nord cher à l’auteur, né à Marcq-en-Barœul. A l’ère contemporaine bien que circulent des Simca Beaulieu (au V8 de 84 ch), des Buick et autres voitures des années 50 – mais la carte de téléphone existe déjà et le « TPR, train particulièrement rapide » aussi.

Un monde froid et humide où la brume engendre des catastrophes et de vieux manoirs ayant échappé aux deux guerres recèlent des souterrains. Nous errons entre les marais de Clairmarais et les sous-sols de la Vieille-Bourse à Lille. Ce sont des antres, des oubliettes modernes, pour des actes gothiques où Sade est moins requis que Walter Scott.

Le lecteur ne peut se raccrocher à l’histoire ; il ne peut suivre aucun personnage sympathique ; il ne peut qu’aller comme vont les chapitres, dans un feuilleton sans queue ni tête, absurde comme l’existence peut-être, comme le No future qui hante l’époque, sûrement.

L’auteur écrit habituellement sur la musique, Berlioz, Schumann, Beethoven, Mahler. Son style est fluide mais prend parfois des allures baroques, comme cette trop longue phrase qui ondule, se perd et ne débouche sur rien de la page 150 : « On croyait se souvenir… »

Bizarre, mais pas comme l’ange ; surréaliste, en fantasmes automatiques ; ni chair ni poisson, cynique et parodique. Il commence bien et finit mal, dans un bain de sang général, sans que le lecteur puisse saisir le quoi du comment. Inclassable, il laisse dubitatif – doté d’un charme étrange et pénétrant.

Christian Wasselin, La chouette effraie, 2016 Les soleils bleus édition, 401 pages, €20.00 

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Panique dans la rue

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Pas de panique (quoique…), il ne s’agit que d’un film. Mais il est noir, haletant et humain. Les Etats-Unis 1950 étaient encore sous l’élan collectif de la guerre et le fric gagné au jeu, volé, reçu en salaire, comptait moins que l’honneur du travail bien fait et la considération pour le collectif. Même si une place de cinéma ne coûtait que 25 cents, comme nous l’apprend le gamin.

Un immigré clandestin venu d’Arménie (Lewis Charles) grâce à un cousin inféodé à Blackie, un caïd de la pègre qui n’est pas nègre mais toujours habillé en noir (Jack Palance), tombe brutalement malade et s’enfuit littéralement après avoir gagné au jeu. Blackie ne peut accepter de perdre, et encore moins de se voir refuser une revanche ; macho sans jamais sourire, il « a horreur d’être possédé »… Au cours de la poursuite il tue le type, et ordonne à ses acolytes – serviles et pas très futés (Zero Mostel et Tommy Cook) – de le transporter pour le balancer à la flotte dans les docks de la Nouvelle-Orléans. Lorsqu’il est retrouvé par la police, le médecin légiste détecte que le cadavre est porteur de la peste pulmonaire, dont les symptômes ressemblent à ceux d’une banale grippe – mais qui tue en deux ou trois jours.

Or cette maladie est très contagieuse puisqu’elle se transmet par l’air que nous respirons et les choses infectées que nous touchons. Il faut donc vacciner et isoler toutes les personnes ayant été en contact avec le mort. Sauf qu’il est inconnu, clandestin, venu probablement d’Asie par un cargo, et que la pègre refuse de parler par omerta.

C’est le mérite du médecin-chef (Richard Widmark), fonctionnaire peu payé mais hanté par son devoir, que d’insister auprès des autorités (soumises aux routines de la procédure) et du maire (politicien pour une fois éclairé) sur le danger qu’il y a à laisser courir les contaminés, comme à avertir le public via la presse. Une panique monstre pourrait aisément se produire, chacun cherchant à protéger « ses enfants » – beau prétexte pour dire avant tout sa propre peau. Ou bien un système dictatorial devrait être mis en place, quadrillant la ville et empêchant chacun de sortir, obligeant à la vaccination et à la prophylaxie, ce qui menacerait les libertés publiques si chères au cœur des Américains.

On a dit que « la peste » était une métaphore du communisme venu de l’étranger par les immigrés, qui envahit les esprits comme toute idéologie totalitaire (voir La Peste de Camus), et contre lequel il est nécessaire de se serrer les coudes pour en vacciner la communauté. Ou du Maccarthysme suscité en anticorps – mais deux ans après le tournage. Cet aspect de guerre froide, oublié aujourd’hui, n’ôte rien à l’action ni au message du film, tourné en décors naturels sur le port, dans les rues mal famées et les bars interlopes. Une pandémie, qu’elle soit microbienne, idéologique ou religieuse, peut toujours surgir – n’importe où – et générer une panique dans la rue. Par exemple les assassinats du 13 novembre 2015…

La police (Paul Douglas) dispose de peu d’indices, d’autant que le cadavre et toutes ses affaires ont été aussitôt incinérés ; elle dispose de 48 h pour trouver. Et le médecin-chef s’investit lui-même dans une enquête personnelle tant il connait la peste et ses ravages potentiels (il parle chinois). Sauver le monde lui va mieux que d’élever son fils (Tommy Rettig) ou de contenter son épouse (Barbara Bel Geddes), mais… le devoir avant tout. Les scènes de famille, qui semblent mièvre dans la noirceur du film, servent de contraste pour montrer combien l’égoïsme et le repli sur le cocon du couple et des enfants sont une tentation permanente – en balance avec la tâche, vitale à la société.

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C’était un reste de rigueur quaker dans l’Amérique de l’époque, vertu très diminuée semble-t-il aujourd’hui après les frasques de la finance et la clownerie politique. D’où l’intérêt pour nous, Européens, de revoir ce vieux film afin de nous remémorer l’image d’une autre Amérique, celle qui nous a menée vers le progrès scientifique et matériel comme vers l’ouverture au monde, jusqu’aux abords du millénaire. Depuis, il nous faudrait voler de nos propres ailes… Mais aurions-nous les réactions saines de ces serviteurs d’Etat en 1950 ?

DVD Elia Kazan, Panique dans la rue (Panic in the Streets), 1950, avec Richard Widmark, Paul Douglas, Barbara Bel Geddes, Jack Palance, Zero Mostel, ESC conseil 2016, €29.70

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La jeunesse s’en fout

Deux enseignements sont à tirer d’un sondage IFOP pour Atlantico du 1er septembre 2016 : 1/ le sens des mots qui se perd dans le slogan politicien, 2/ l’évasion de la jeunesse de toute politique.

La question est posée de savoir si « les valeurs républicaines » et si « l’identité nationale » sont des concepts qui touchent personnellement. Gauche et droite sont ainsi mesurées à leurs slogans intimes.

Rappelons qu’un sondage, même selon des méthodes scientifiques, n’est qu’une image à un moment donné de l’opinion et que la taille de l’échantillon peut biaiser l’interprétation sur des sujets aussi vagues que les valeurs. Mais la tendance mesurée par un sondage qui pose les mêmes questions à un an d’intervalle environ est plus fiable – ce qui est le cas du sondage cité.

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Saturation des mots : valeur républicaine comme identité nationale ne veulent plus rien dire, employés à tort et à travers et pour n’importe quoi par des politiciens qui préfèrent la posture morale du discours médiatique aux décisions pratiques efficaces. L’enflure à gauche, les rodomontades à droite, incitent les citoyens à ne plus en voir le sens. Ils étaient 35% à être touchés par les « valeurs républicaines » en mai 2015 ; ils ne sont plus que 25% le 1er septembre…

C’est la même chose pour « l’identité nationale », car la nation reste mal définie et l’identité un concept flou : est-ce la devise de la république ? les idées d’émancipation des Lumières ? l’origine chrétienne recyclée en humanisme ? l’histoire révolutionnaire ? ou les simples idées du patron de la droite qui les emploie ?

Les valeurs proclamées et les valeurs observées ne coïncident pas : la démocratie semble accaparée par quelques-uns et ce microcosme élitiste fonctionne dans l’entre-soi, avec pour complicité les médias – et plus particulièrement la presse écrite. D’où la baisse massive de lecture des journaux, la perte de crédibilité abyssale des journalistes et la croyance de plus en plus forte dans les théories du complot où une minorité intéressée « cache des choses » au grand nombre pour mieux le manipuler.

Rien d’étonnant à ce que les partisans du FN croient plus en l’identité nationale (encore qu’à 48% seulement !) que les partisans du FG (encore qu’à 15% quand même !). Mais il est encore plus étonnant que le votant FN ne soit pas touché par le mot « république » (10% seulement !), et que les membres du PS ne soient touchés QUE pour 43%. Ces gens-là, socialistes et nationaux socialistes, sont-ils donc pour une « dictature » – qui est l’exact inverse de « république » ? En ce cas les électeurs et surtout les jeunes sont fondés à fuir et à surtout ne pas voter pour ce genre de bouffons.

Il y a là une perte de sens préoccupante, les mots paraissent dévoyés et sans signification – alors qu’une claire définition est le premier pas vers l’adhésion. Les « valeurs républicaines » ne parlent pas à 75% des Français, même à 63% des socialistes ! Comme le disait Manuel Valls, la langue politique devient une langue morte, comme si les politicards parlaient latin ou hébreu. En revanche, dès que l’on fixe une valeur sur un exemple concret, là les langues se délient et la politique reprend ses droits : voyez en août le ridicule burkini.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » : telle est la faute claire et nette de la gauche culturelle que de tortiller du cul pour désigner les choses. Ce ne sont que : « pas de stigmatisation ! pas d’amalgame ! c’est plus complexe que ça ! on ne peut pas dire ! »

Mais si : disons les choses – pas de tabou dans le débat public. Ce qui ne signifie nullement que « la parole raciste » ait droit de cité, mais observer qu’il y a 91% d’enfants d’origine musulmane dans une école est un FAIT, pas un jugement. C’est sur ce fait que l’on peut débattre, juger et éventuellement agir (accentuer la mixité, traiter tout le monde pareil, répartir en bus les classes dans différents quartiers, comme aux États-Unis, etc.). Les têtes soumises à l’extrême-gauche « supposée » avant-garde parce qu’elle connaîtrait mieux le marxisme, cette prophétie soi-disant « scientifique » de l’Histoire, ne pensent plus : elles ont trop peur d’avoir « honte à la gauche », d’être en état de péché mortel devant les ayatollah de l’extrême, gardiens du Dogme. Cette gauche encombrée de tabous nie donc le fait, une vieille habitude communiste de la langue de bois, qu’Orwell avait si bien ridiculisée dans 1984 : le ministre de la guerre s’intitulait ministre de la paix, la pire dictature d’apparatchiks après 1945 se présentait comme démocratique et populaire, la liberté était la contrainte et le tortionnaire en chef était qualifié de Génial leader à la Pensée avancée…. Ce serait une vaste blague si ce comportement clérical, attendant la parole éclairée de la curie gauchiste avant de parler, n’avait des conséquences dramatiques à la fois pour la république, pour la démocratie et pour la concorde civile.

On mesure là combien les « idiots utiles » qui peuplent les médias et qui aboient en horde toujours à gauche, sont une nuisance à la démocratie. Ces petits intellos plein de bonnes intentions et le cœur sur la main, enflés dans des poses généreuses avec de grandes envolées lyriques à la Victor Hugo, croyant en l’idéalisme réalisable de suite et dans la bonté du pire ennemi – mais sans jamais se compromettre aux affaires ni mettre les mains dans le cambouis – empêchent le débat plutôt qu’ils ne font avancer l’histoire. Peut-être y aurait-il autant d’idiots utile à l’extrême de la droite, si d’aventure le poutinisme était poussé un peu plus… Mais la génération post-68 qui truste les places a été biberonnée au marxisme le plus à gauche possible, cette maladie infantile, disait Lénine.

Affirmer le contraire de ce qui est, inverser les valeurs : « Aujourd’hui, les mouvements islamistes font exactement la même chose. On l’a vu avec le burkini. Les associations islamistes défendent cet uniforme en se plaçant sans scrupule sur le terrain de la liberté individuelle et de la tolérance, alors même que ces mouvements entendent promouvoir une société qui tourne le dos à ces valeurs. Le renversement du mot discrimination restera sans doute comme le summum de cette stratégie puisque, par la grâce de la rhétorique, ce sont ceux qui dénoncent une pratique hautement discriminatoire qui se voient accusés de prôner la discrimination » déclare Vincent Tournier, maître de conférences à Science Po Grenoble. Je n’ai RIEN à changer à ces propos.

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Le pire est ce que ce sondage montre de la conscience politique de la jeunesse actuelle : ils s’en foutent. Près de deux sur trois (63%) « ne savent pas » ce qui les touche, le mot « république » étant très vague (grâce à l’Éducation nationale qui entonne plutôt le colonialisme de la IIIe, la défaite de la IVe et le monarchisme de la Ve ?).

Non seulement ils n’ont pas été éduqués à penser par eux-mêmes ni à savoir ce qu’un mot veut dire, mais ils restent ignorants des informations de base, piochant ici ou là sur Internet sans être capable de mesurer le vrai du faux. Ils ne s’intéressent pas aux conflits de la société, tellement habitués qu’ils sont à rester égoïstes, centrés sur leurs hormones et avides seulement de selfies qui les mettent en valeur auprès de leurs pairs. Pire, ils fuient les conflits, « surtout pas de vagues » dit-on à l’ENA, et les jeunes font pareil : dès que l’on élève le ton, ils zappent. Affirmer les ennuie, se défendre demande trop d’effort, résister à la rigueur… mais en restant passifs, ne « faisant rien », surtout pas s’indigner pour pas grand-chose comme les velléitaires parisiens qui se contente de passer la nuit debout en bavassant à l’infini.

Dépolitisés, individualistes, ne croyant plus aucun « adulte » tant ceux-ci, de la génération mûrie juste après 68, leur apparaissent emplis de narcissisme moral, gavés de mots creux, de blabla social et de comportements égoïstes – ils désertent… C’est que les jeunes imitent toujours les plus âgés qu’eux, qui leur indiquent la voie : leur égoïsme jeune est le miroir de l’égoïsme bobo content de lui post-68, arrivé au pouvoir avec la génération Mitterrand – et n’a jamais décroché depuis.

D’où le problème du sens : des mots, des valeurs, des conflits. Ceux-ci sont pourtant inévitables en toute société, ce que la politique doit régler. Tout politicien élu a pour devoir quotidien de gérer les multiples conflits entre les intérêts divergents de son peuple d’électeurs, pour aboutir aux compromis nécessaires sans dévoyer le cœur de ce qui fait vivre ensemble.

Si nous sommes dans le chacun pour soi, comme dans les pays anglo-saxons, alors toutes les revendications sont aussi légitimes et la guerre civile n’est pas loin : on le voit aux États-Unis avec la guerre des Noirs et en Angleterre avec les exceptions du droit pour les minorités (il a fallu une dizaine d’années pour emprisonner un prêcheur haineux issu du Pakistan !).

Un sondage European Value montre combien un cœur européen qui réunit de la Scandinavie à l’Espagne (sans le Royaume-Uni ni l’Italie – ni les pays de l’est) fait consensus sur un « corps de valeurs mêl[ant] engagement dans la vie citoyenne, sociale et politique, sécularisation religieuse, ouverture aux autres, fort degré d’adhésion aux principes démocratiques et libéralisme des mœurs ». Au contraire, l’Europe orientale, la Russie et la Turquie, sont d’un type « religieux-autoritaire » qui les repousse hors de l’Union.

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C’est probablement cette double contradiction – entre les discours et les actes des politiciens 1/ nationaux, et 2/ entre un cœur européen et ses marges – qui pousse « les jeunes » à éviter d’émettre un avis. Ils ne veulent entrer en conflit avec personne, ayant déjà du mal à gérer leurs conflits intimes et personnels ; ils n’ont pas appris à penser sous le gauchisme pédago béat en spontanéité et laisser-faire ; ils ont à leur disposition la puissance d’Internet, la meilleure et la pire des choses, où le soft-power américain peut se donner à plein, tandis que les manipulateurs sectaires ont tout loisir de rafler quiconque dans leurs filets. Tout ce qui les intéresse, en cette fin d’été sur le blog, c’est (quand même les livres mais surtout) la nudité, le sexe et la plage…

Dommage pour la jeunesse : elle sera bientôt adulte et « aux affaires ». Elle aura à prendre des décisions graves et radicales. Elle n’est en rien préparée, ni ne s’y intéresse. C’est la faute de ma génération, celle qui a cru aux promesses de Mitterrand comme à celles de Chirac, ces menteurs de profession qui ont fait des émules, de Sarkozy à Hollande, de Mélenchon à Le Pen… Ce pourquoi le changement : c’est maintenant !

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Hypothèse Macron

Emmanuel Macron a démissionné. A 38 ans, il veut un projet pour la France et se positionne pour l’avenir. A court terme ? A long terme ? Nul ne sait, pas plus lui-même que les « commentateurs ». Pour être candidat, il faut être en situation, or la situation pour 2017 n’est pas établie. Chaque camp en est encore à envisager ses primaires et les candidats putatifs à songer se déclarer. Rien n’est fait, rien n’est encore sur les rails.

Mais je formule ici une hypothèse : et si François Hollande avait choisi Emmanuel Macron comme successeur à la tête de la gauche ?

emmanuel macron

Les frondeurs socialistes, tout entier dans les logiques d’appareil et regardant l’avenir avec la programmation du passé, parlent volontiers de « trahison ». Macron aurait fauté envers le président selon eux – qui honnissent François Hollande. Ces ringards de la politique n’arrivent peut-être pas à la cheville du petit Mitterrand machiavélien qui a su si bien les manipuler depuis de longues années. Je n’encense pas François Hollande, je crois qu’il est un mauvais président ; mais je ne sous-estime pas le personnage, ni son intelligence, ni sa capacité politique. Il est apte à tous les rouler dans la farine.

Il est possible que le président sortant se représente, si la situation lui offre un créneau pour ce faire. Si, en décembre, les sondages, la conjoncture et les attentats (possibles) ne le lui offrent pas, il est bel et bien possible qu’il se retire… au profit de son poulain Macron.

C’est en effet lui qui l’a fait sortir de l’obscurité et l’a promu. Sa démission n’est pas pour divergence politique, ni pour divergence personnelle, mais pour « reprendre sa liberté ». Ce qui laisse ouvertes toutes les portes, y compris un « coup » hollandais contre ceux qui l’enterrent bien trop vite. Macron n’est pas déloyal, au contraire : il ouvre un possible.

J’avais écrit dans une précédente note d’avril que « s’il a nommé Macron, le plus populaire (et le plus jeune) de ses ministres, c’est comme ‘bouffon du roy’, trublion apte à dire tout haut ce qu’on pense tout bas sans oser le dire, aussitôt démenti, aussitôt ‘tempéré’. Emmanuel Macron et son ‘franc-parler’ soigneusement mesuré sert à la dialectique de la com’ présidentielle : il crée de la divergence pour mieux faire converger. Le président a beau jeu alors de dire « mais non, je ne propose pas d’aller aussi loin » – mais le message est passé. »

Hollande président s’est trouvé vite trop à l’étroit dans sa majorité sectaire ; il était trop tard pour l’ouvrir, après ses déclarations gauchisantes de campagne. Monsieur Normal, qui est devenu Monsieur Pas d’bol avec son dernier pensum, aspire désormais à « rester dans l’histoire ». Or faire « la synthèse » entre socialisme et libéralisme est un grand projet de gauche, qu’on le veuille ou non. Il a le mérite, malgré les acariâtres et les archaïques, de redonner du souffle à la politique.

Le parti Socialiste est devenu inaudible avec ses divisions (habituelles), ses crises d’ego (immatures) et ses leçons de morale à la terre entière (alors que nombre de fraudeurs et de condamnés en justice viennent de ses rangs). Les électeurs en ont marre de ceux qui se posent en vertueux qui jamais ne font de compromis (en façade) pour se coucher (en réalité) devant la force, qu’elle vienne d’Allemagne, de la finance, des États-Unis, des clients du Golfe pour les armements ou de la pression braillarde des « associations » et autres ligues de vertu. François Hollande serait plutôt du genre pragmatique, évoluant pour composer avec le réel lorsqu’il ne peut pas l’annuler. Sauf qu’il n’a pas été hardi pour imposer son profil, comme Mitterrand avait su le faire.

Ce qu’il n’a pas osé, empêtré dans ses liens de parti et d’anciennes fidélités, Macron l’a pu. Le parler-vrai sur les entreprises, sur le mérite du travail, sur la récompense de la richesse, sont peut-être des épouvantails dans la vieille gauche, mais cette gauche-là est condamnée : Macron est populaire. Il a eu certes des dérapages de langage qui ont été plus loin que sa pensée, des irrespects pour des syndicalistes d’autant plus chatouilleux qu’ils ne représentent pas grand-chose à l’échelle nationale, des erreurs du fait qu’il n’a jamais été élu et qu’il a peu côtoyé les gens du peuple. Mais ce qu’il dit plaît, sa démission est plébiscitée par 83% des interrogés. Il fait passer un souffle nouveau sur les vieilleries. Même si seulement 47% souhaitent le voir se présenter aux Présidentielles… pour le moment. Mais si François Hollande lui passait volontairement la main et le soutenait – comme Gérard Collomb – sans réserve ?

francois hollande

En politique il est nécessaire de voir loin, donc de peser les conséquences des décisions que l’on prend. Quiconque agit non selon ce qu’il peut faire mais selon sa Bible du moment n’est pas un politicien mais un théocrate. Hollande songe à se représenter… s’il a une chance. Sinon, il peut fort bien adouber Emmanuel Macron, coupant ainsi l’herbe sous le pied de tous ses ex-ministres devenus rivaux qui se contente de fonctionner en bons fonctionnaires du parti formatés fonction publique.

Minoritaire à gauche, il peut récupérer ceux de droite que la dérive sécuritaire et autoritaire effraie : face à Macron, Juppé ou Bayrou feraient-il le poids ? Ne les a-t-on pas assez vus ? Proposent-ils quelque chose de neuf ?

Il ne faut pas sous-estimer le profond désir de changement du système monarchique de la Ve République, ni l’exaspération des blocages idéologiques et procéduraux des partis, aussi bien chez LR qui milite haut et fort pour réélire Sarkozy qu’au PS qui rêve de revenir au mitterrandisme et que chez EELV qui va radouber Duflot, sans même évoquer l’histrion Mélenchon. Ne seraient neufs en mai prochain que l’angelot Macron et l’aragne Marine… Qui gagnerait ?

Ni l’économie, ni la participation politique, ne sauraient être liées aux ordres impulsés d’en haut. C’est au contraire « la base », dans le peuple, les petites entreprises, chez les gens qui se trouvent assez adultes et responsables pour se prendre en main, que l’avenir se bâtira. C’est par exemple ce que réclament les agriculteurs : construire le prix des produits ensemble avec les industriels et la distribution. Il est très possible qu’avec la génération de retard habituelle à la France, Emmanuel Macron réussisse ce qu’a réussi Tony Blair en 1997. Après tout, 2017, ce n’est que 20 ans plus tard !

Il y aurait toujours une gauche et une droite mais Emmanuel Macron, en se plaçant au-dessus des blocages partisans sous la forme d’une troisième voie – et s’il sait s’entourer pour tout ce qu’il ne sait pas faire – pourrait bien incarner un renouveau de la gauche, enfin adaptée au nouveau siècle.

François Hollande serait alors crédité d’avoir fait bouger l’histoire, d’avoir permis l’ajustement du pays à la modernisation du monde global sans rien perdre de l’idéal de justice et de partage, d’avoir apaisé la société en évitant à la droite de se fourvoyer dans l’extrême. Il ne serait plus président mais il serait un sage.

Vaste ambition dont il n’est pas sûr qu’il ait les épaules pour la porter – mais qui le sait ?

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Jean Tirole, L’économie du bien commun

jean tirole economie du bien commun

L’intérêt de ce gros livre est qu’il est récent, se lit très facilement, et met à la disposition du grand public des recherches économiques le plus souvent publiées par des spécialistes et en anglais. L’auteur résume dans plusieurs chapitres des recherches qu’il a entreprises lui-même ou en collaboration sur les trente dernières années, ce qui renouvelle largement la pensée convenue des économistes de tribune trop médiatiques pour être honnêtes, et autres déconomistes « atterrés ». Car l’un des mérites de ce livre est de livrer des faits et des arguments, pas de l’idéologie. Même si le titre se situe résolument dans le sens du collectif.

Rappelons que Jean Tirole est l’un des rares français à avoir obtenu le prix « Nobel » d’économie (vos gueules, les cuistres ! tout le monde sait qu’il s’agit du « prix de la Banque de Suède » car Alfred Nobel considérait l’économie comme une discipline aussi vaine que l’alchimie). Il livre au public un menu consistant, même s’il est parfois elliptique, format oblige ; mais il renvoie à des références (le plus souvent en anglais). Il diffuse les recherches fondamentales récentes sur la théorie de l’information et sur la finance comportementale, peu connues du grand nombre. Nul citoyen français n’aurait droit à ces études spécialisées si Jean Tirole n’avait pas fait l’effort de vulgarisation nécessaire.

Il expose en 4 parties et 17 chapitres son économie du bien commun :

  1. La première examine économie et société, ce qui entrave la compréhension, les limites morales, le métier de chercheur en économie, l’aller-retour entre théorie et évidence empirique (le terme d’évidence est un anglicisme, le terme le plus exact serait plutôt témoignage ou preuve) ;
  2. La seconde fixe le cadre institutionnel de l’économie, l’Etat et l’entreprise, plaidant pour la réforme afin de s’adapter au monde qui vient, et à la responsabilité sociale ;
  3. La troisième, la plus longue, aborde une série de thèmes d’actualité avec la profondeur du chercheur, le défi climatique (un brin indigeste), le chômage (je l’ai évoqué en détail dans une précédente note), la construction européenne, à quoi sert la finance, la crise financière de 2008 ;
  4. La quatrième étudie l’enjeu industriel, fort à la mode dans les débats politiciens. Jean Tirole y met de la clarté, posant l’écart entre politique de la concurrence et politique industrielle, prouvant combien le digital modifie la chaine de valeur, mettant en garde contre l’ignorance des défis numériques à l’organisation sociale, considérant l’innovation et la propriété industrielle et ouvrant des pistes pour réguler de façon incitative.

Il n’est pas possible, en deux pages, de rendre compte de la richesse du livre, seulement d’en donner quelque aperçu. Le fondement est exposé p.15 : « la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général ». Ce livre est un outil de questionnement, il n’apporte aucune solution toute faite, il insiste en revanche toujours sur la complexité et sur la nécessité d’évaluer toute action avec l’œil de l’économiste, pour être utile à la société.

L’économiste est un chercheur, pas un énarque, et Jean Tirole n’est pas tendre pour les grenouilles généralistes qui prétendent se faire plus grosses que le bœuf : « Nous verrons tout au long de ce livre comment l’hubris – en l’occurrence une confiance trop forte dans sa capacité à faire des choix de politique économique – peut, en conjonction avec la volonté de garder un contrôle et donc le pouvoir de distribuer des faveurs, conduire l’Etat à mener des politiques environnementales et de l’emploi néfastes » p.45. L’exigence de réalisation des objectifs laisse trop souvent la place à « des postures ou des marqueurs à effet d’annonce » qui sont inefficaces et « dilapident l’argent public » p.59. De même, à propos des produits « toxiques » : « Sciemment ou non, des collectivités locales utilisent un produit dérivé afin d’améliorer la présentation des comptes à court terme ou pour se créer artificiellement un risque au lieu d’en éliminer un : de la roulette à l’état pur » p.395. Les cris d’orfraie des Mélenchon et autres « atterrés » ne sont donc pas vraiment justifiés… A propos de la crise financière de 2008 : « Comme la crise de l’euro, évoquée dans le chapitre 10, elle a pour origine des institutions de régulation défaillantes : de supervision prudentielle dans la crise financière, de supervision des Etats dans la crise de l’euro. Dans les deux cas, le laxisme a prévalu tant que ‘tout allait bien’ » p.461. Et si les politiciens balayaient devant leur porte avant d’accuser les autres ?

Sur la construction européenne, l’auteur pointe que « l’action européenne a réduit les écarts de revenus et que, même en tenant compte des calamiteuses dernières années, les institutions européennes ont dans l’ensemble contribue à la croissance » p.351. La crise de la zone euro est due à l’écart croissant de compétitivité entre Etats réformateurs et ceux à courte vue, entre 1998 et 2016, en gros l’Europe du nord contre l’Europe du sud (France incluse) où « les salaires ont augmenté de 40% quand la productivité n’a augmenté que de 7% » p.354. Et nos politiciens, d’autant plus véhéments qu’ignares, de nager en pleine contradiction : « on ne peut à la fois insister sur la souveraineté et exiger un plus grand partage des risques. Et c’est là le fond du problème » p.381. Les études montrent que « l’Etat-providence est la plupart du temps plus développé dans les communautés homogènes » p.387.

Le livre de Jean Tirole est consistant, mais écrit gros. Chacun des chapitres peut se lire séparément, à quelques exceptions près ; je vous conseille d’ailleurs de les consommer par étapes, selon votre intérêt, car le style très « plat » de l’ensemble, s’il est de bon ton dans la neutralité scientifique, est peu plaisant à haute dose. Jean Tirole est économiste, pas écrivain, mais il fait un effort très louable de clarté.

Jean Tirole, L’économie du bien commun, 2016, PUF, 629 pages, €18.00

e-Book format Kindle, €14.99

Jean Tirole déjà sur ce blog

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Mary Higgins Clark, Le démon du passé

mary higgins clark le demon du passe
C’était au temps de la génération d’avant, au temps où Internet n’existait pas encore, ni les téléphones mobiles, ni les ordinateurs portables. Il fallait téléphoner d’une cabine ou d’un bon vieux fixe, aller sur place chercher dans les archives des journaux papier ou en bibliothèque, prendre rendez-vous formellement par courrier ou aller sonner à la porte.

Relire cette époque, pas si lointaine pour qui aborde la perspective de la retraite, est aussi exotique que relire Balzac. Nous sommes dans un autre temps, avec d’autres mœurs. Non, ce « n’était pas mieux avant », mais c’était différent. S’y replonger est reposant.

Mary Higgins Clark, magicienne américaine du suspense, concocte ici l’un de ses meilleurs livres. Elle décrit avec une précision critique les us et coutumes du monde politicien à Washington, le Président qui attire à lui les Élus tel un Dieu-le-Père, le Vice-Président qui pourrait être pour la première fois une femme élevée comme un Fils, et le menu fretin des députés et sénateurs pris en plein grenouillage dans le bénitier.

La presse reste cruciale pour établir ou ternir une réputation. Les journaux qui tachent les mains sont omniprésents mais la télé et les émissions des journalistes-phares ont un impact presque aussi grand.

Pat Traymore, executive woman du rêve américain, corps souple et dents longues, est jeune et talentueuse, tout ce qu’il faut pour réussir. Elle est engagée sur sa réputation par un média local de Washington DC pour établir le portrait d’une sénatrice de l’État de Virginie, Abigaïl Jennings, qui a pris la place de son mari après que celui-ci fut décédé dans un accident d’avion d’affaires tout neuf où il était seul à bord avec un pilote expérimenté. Abigaïl est partie de rien, sa mère était cuisinière d’une famille riche ; elle s’est faite toute seule, autre incarnation du rêve américain ; elle pourrait être pressentie pour devenir Vice-Présidente.

Mais elle répugne à évoquer ses années de jeunesse dans un bled paumé d’un État très bourgeois. Pat Traymore aura fort à faire pour humaniser ce bourreau de travail, femelle froide et rigoriste envers ses subordonnés. Malgré désaccords et embrouilles, elle va y parvenir – mais pas sans modifier quelque peu l’image de cette icône politique… dans un sens que nul n’avait imaginé.

mary higgins clark le demon du passe1999

Car Pat Traymore s’appelait Kerry Adams lorsqu’elle avait trois ans. On a retrouvé son père et sa mère morts, un pistolet entre eux, dans leur salon de Georgetown, elle-même dans le coma, crâne fêlé et jambe droite brisée. Adoptée par ses grands-parents et élevés loin des États-Unis, elle a voulu revenir dans la maison du crime, qui lui appartient par héritage, pour enquêter sur son propre passé.

C’est alors qu’elle reçoit des menaces d’un illuminé qui croit obéir à la voix de l’ange Gabriel…

Peu à peu, le puzzle éclaté va se mettre en place car tout est lié : les parents de Pat Traymore, la sénatrice Abigaïl, les décès mystérieux qui jalonnent sa carrière, l’illuminé et sa « fille ». Enquêter, réfléchir, remuer le passé – tout cela va forcer les vieux acteurs à agir, donc à se découvrir. Et la fin n’est pas celle qu’on croyait, sinon il n’y aurait pas surprise.

Un beau suspense, enrobé dans une description sociologique minutieuse de ce petit monde des dieux qu’est la politique à la capitale fédérale. Trente ans après – une génération – ce livre reste tout aussi intéressant à lire. Car rien n’a changé des caractères humains ni des mœurs politiciennes.

Mary Higgins Clark, Le démon du passé (Still Watch), 1984, Livre de poche 1999, 286 pages, €6.10
Format Kindle, €7.49

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Ernesto Che Guevara et Fidel Castro

Tout le monde connaît ce médecin argentin devenu révolutionnaire aux côtés de Fidel, puis ministre de l’économie jusqu’en 1964, avant de préférer continuer ailleurs la guérilla révolutionnaire plutôt que d’obéir à la bureaucratie envahissante. Philippe nous apprend que « Che » veut dire quelque chose comme « mon pote ». C’était l’expression favorite d’Ernesto Guevara à ses camarades de maquis, qui lui ont donné ce surnom.

ernesto che guevara adolescent

Le « Che », d’ailleurs, m’est sympathique. Ernesto Guevara de la Serna est né le 14 juin 1928 en Argentine. Il est fils de petit-bourgeois, petit-fils de chercheur d’or et descendant du vice-roi du Mexique. Asthmatique durant son enfance, il se passionne d’abord pour la lecture comme un malade isolé avide d’autres esprits, puis les sports comme quelqu’un qui connaît le bonheur de respirer. Nietzsche parlait de « nature nue ». L’amitié, l’amour, les relations humaines, la création artistique, les goûts et les couleurs, dépendent de la disposition du corps. Les états d’âme et les rapports humains dépendent en dernier ressort de la physiologie, du rapport à son corps, de son énergie vitale comme de l’expérience acquise, encouragée ou inhibée par l’éducation et le « ce qui ne se fait pas » social. Le corps est sagesse et c’est lui qui apprend à vivre. Je suis convaincu moi aussi de cela. Le souci du climat, du lieu, du moment, du repas, du jeu et des plaisirs, n’est pas indigne du philosophe. L’homme est inséré dans son environnement et il doit en tirer harmoniquement sa santé.

Castro et Che 1956

Très sensible et poète, Ernesto écrit à 17 ans un traité philosophique inspiré de Voltaire. Il aime les gens, la justice et les voyages. Il devient médecin. J’ai beaucoup d’affinités pour ce type d’homme heureux d’être, de rencontrer, de parler. En bon médecin, il met l’homme au centre du monde – mais n’est-ce pas aussi l’affinité de tout bon politique ? De la Serna se marie avec la Révolution en la personne d’Hilda, militante marxiste péruvienne qui parfait son éducation théorique et pratique. Il rencontre Castro en juillet 1955 à Mexico et est de l’expédition Granma du 25 novembre 1956. 82 hommes sont entassés sur le yacht à moteur de 13.25 m de long qui fait naufrage sur la côte, dans la tempête. Il faudra des mois, dans la sierra, pour convaincre les paysans puis les partis des villes, de rallier la révolution. Guevara sait les convaincre. J’ai retrouvé, dans ma bibliothèque de mes années de science politique, les « Textes militaires » de Che Guevara, paru chez Maspero en 1961, dont j’ai fait une studieuse lecture durant mes jeunes années.

che guevara pochoir

Pour le Che, le bon guérillero est un réformateur social. Il prend les armes pour faire écho à la protestation latente du peuple. Le guérillero est un ascète ; il aide et enseigne le paysan ; est un exemple par sa conduite, ouvre son esprit sur le monde, les rapports sociaux et l’idéologie ; encourage la lecture. Et le guérillero, alors « atteint des moments durant lesquels la fraternité humaine atteint sa plus haute valeur ». A 30 ans, comme Alexandre, Ernesto Guevara entre victorieux à La Havane le 3 juin 1959, bien avant Castro. Il est le polifacetito, l’homme aux multiples talents, chaleureux, séducteur, entraînant, généreux. Il écrit beaucoup, théorise sa pratique, enseigne et soigne. Pour nombre d’étudiants des années 60 il était le grand frère ; dans les années 70 il était encore un exemple, mais la rhétorique marxiste, trop scolaire, fastidieuse, sectaire, n’était déjà plus suffisante pour expliquer la complexité du monde.

cuba cartes postales che guevara

Ce que j’aimais de lui aussi était cette parole de 1966 que Castro, trop féru de pouvoir au sens catholique, devrait méditer : « ayons toujours une grande dose d’humilité, une grande dose de goût de la justice et de la vérité pour ne pas tomber (…) dans des dogmes extrémistes, dans l’aliénation des masses. » Malgré le jargon final, il est clair que le Che donnait priorité à la pratique, au pragmatisme. Il était artiste, pas politicien : « les honneurs, ça m’emmerde ! » avait-il dit. Il est mort pour ce qu’il croyait, repéré par satellite parce qu’il ne pouvait s’empêcher de fumer – en plein désert forestier – piégé par la CIA en Bolivie, le 9 octobre 1967.

che guevara icone

Entendons-nous bien : pour moi, Fidel Castro a eu raison de faire la révolution pour libérer son île de l’emprise mafieuse américaine et de sa corruption morale de pays sous-développé et asservi. J’ai un faible pour Ernesto « Che » Guevara, aventurier idéaliste, généreux, parfaite incarnation de la jeunesse dans ce qu’elle a de romantique. Mais je récuse l’idéologie marxiste, ringarde aujourd’hui, fondée sur une sociologie dépassée (le « prolétariat » n’est qu’une construction intellectuelle qui justifie le pouvoir de caste de ceux qui s’en proclament « l’avant-garde »), et sur une vision économique qui date du 19ème siècle (où l’homme se doit d’être maître et possesseur de la nature, productiviste et prédateur sans souci de son environnement). Je récuse la volonté de faire le bonheur des gens malgré eux : l’autorité est nécessaire en début de révolution mais, au bout de plus de 50 ans de pouvoir (deux générations en ces pays où l’on copule très tôt !), elle n’est qu’une contrainte inadmissible. Si la politique est l’art du possible, si son arrière-plan est d’épanouir les êtres humains en aménageant la vie sociale et économique, alors la liberté est incontournable. Je reconnais les réalisations du régime castriste, la faible mortalité, l’éducation des enfants, mais je ne prends pas le bébé avec le bain. La dernière libération du pays est encore à venir !

cuba carte économique

Fidel Castro, ex-élève des Jésuites, ancien membre du mouvement nationaliste de droite, le Parti Orthodoxe, lorsqu’il commence en 1953 sa lutte contre Batista, avocat manqué, pourfendeur de la perestroïka de Gorbatchev, agitateur permanent « d’offensives idéologiques » pour masquer ses ratages – vu son grand âge et son état de santé – devrait passer la main. Il est lider maximo, « Taille Extra Large », comme le souligne Zoé Valdès avec humour dans « La douleur du dollar » (1996, traduit chez Actes Sud), Sa Majesté l’Enflure, l’Outre gonflée de vent. « XXL » est l’héritier de la culture espagnole catholique qui exclut les étrangers. L’Inquisition a toujours fait la chasse aux « hérétiques », reproduisant dans ses colonies l’environnement clos de la mère patrie, sa docilité spirituelle, sa quête des vanités, son expiation du « péché » par les macérations et le jeûne. À l’inverse, les colons protestants ont fait leur révolution eux-mêmes et en pleines Lumières.

Les colons hispaniques n’ont eu qu’une indépendance subreptice, acquise par lassitude de la mère-patrie ou avec l’aide yankee, dans un négativisme anarchiste qui a préludé à des régimes autoritaires machistes. La société civile est restée inexistante, l’État restant organisé sur le modèle théocratique de l’Église, archaïque, paternaliste, sans développement, ne vivant que des matières premières. Aucun esprit d’industrie, mais la préférence pour la « pureté » idéologique, catholique d’abord, marxiste ensuite. Pour Castro, plutôt que d’encourager l’ingéniosité des hommes, il faut en extirper l’avidité, la putasserie, l’égoïsme. Punir avant d’élever, afin de faire advenir un homme nouveau apte au « paradis sur la terre ». Mais quand le cours mondial du sucre baisse et que celui du pétrole monte, l’économie cubaine se trouve mal. Et rien n’est changé depuis 55 ans…

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Moraline socialiste

Balles tragiques à Charlie Hebdo, 12 morts. Les événements de janvier bouleversent les postures politiques, mais l’unanimisme en réaction à la barbarie fanatique ne fait que masquer les clivages. Puisque tout le monde – ou presque – se sent Charlie (sans décider entre « être » et « suivre » dans le slogan « je suis »), faisons vivre ce ton libertin qui, de Molière et Voltaire à Cabu et Wolinski – en passant par Flaubert, Daumier, Desproges et quelques autres – est un trait de la culture française. L’ironie plus que l’humour, la satire politique plus que la dérision : se moquer, c’est considérer l’autre, donc aimer s’affronter à lui civilement – pas le mépriser, encore moins le tuer ! Le véritable mépris se manifeste par la plus complète indifférence : on ne rit jamais de ce qui n’existe pas à nos yeux.

Le rire, disait Bergson, nait du mécanique plaqué sur le vivant. C’est pourquoi tous les sectaires, les croyants ânonnant, ont toujours été la cible privilégiée des humoristes – religion ou pas.

Les événements l’ont prouvé, s’il en était besoin, coexistent deux postures de gauche : celle qui veut agir (au gouvernement mais parfois en région), et celle qui préfère rester dans le confort de l’opposition (« frondeurs » ou intellos sans mission). J’ai déjà parlé des intellos de la gauche bobo ; je parle aujourd’hui des politiciens. Manuel Valls, Premier ministre, a été parfait durant la crise, le ton juste, les mesures choc, l’équilibre du droit. D’autres ministres ont été reconnus et les Français sondés le manifestent sans réticence. Mais d’autres politiciens de gauche, rencognés dans leurs fiefs et jalousant peut-être ce pouvoir auquel ils ne sont pas directement conviés, préfèrent le rappel à la Morale.

Les Grands Principes (évidemment figés une fois pour toutes quelque part entre 1789 et 1917) sont leur Bible et leur Coran. Lorsque j’évoque par exemple des mots tabous comme « épuration ethnique » (réponse à une question d’un blogueur) ou « lobby juif » (institution légitime aux États-Unis) – même si ma conclusion est nuancée – je me vois accusé aussitôt de « blasphème ». Quand vous avez un interlocuteur face à vous, son œil perd de son brillant, son discours devient monocorde, il dérape en pilotage automatique comme ces appareils où il suffit de mettre une pièce pour que sorte encore et toujours la même chanson. Les ténors de la Gauche bien-pensante édictent des fatwas dans les médias pour stigmatiser et déconsidérer ces loups démoniaques (de droite ou « ultra-libéraux » pas moins) qui osent souiller leur onde pure… Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos et les trotskistes (par ordre d’apparition à l’histoire). Nous subissons aujourd’hui la triste moraline socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes. La réalité toute crue ne saurait passer sans cette sauce – analogue au ketchup pour les ados (qui en mettent partout parce qu’ils craignent le vrai goût des choses).

Soyons donc impertinent et osons moquer les travers de ces « vaches sacrées » qui aiment à prendre trop souvent la position du missionnaire et s’affichent en précieuses ridicules.

La fin d’année 2014 a vu les grandes orgues du socialisme tonner sous les voûtes. La Charte des Socialistes pour le Progrès Humain rappelle les élans romantiques louis-philippards des proto-socialistes étrillés ensuite par Marx en termes « scientifiques » et par Lénine en termes « politiques ». La Charte fait ronfler les grands mots, ceux qui ne veulent rien dire et qui servent de réceptacles bien démagogiques à toutes les aspirations et fantasmes : émancipation, démocratie, égalité « réelle », progrès, justice « sociale », primat du politique, collectif. On voit combien la vraie vie fait voler en éclat ces grands principes, lorsque le droit tombe sous les kalachnikovs et combien l’émancipation promise toujours n’arrive pas à avancer sous la pression du victimisme (les assassins seraient de pauvres victimes de la société, la désintégration scolaire n’aurait rien à voir avec l’immigration, le collectif est forcément plus fort que les communautarismes…).

Le romantisme politique (qui a culminé en 1848) est caractérisé par le sens du spectacle (drame, héroïsme, sacrifice), par la sentimentalité et l’éloquence (appel à l’idéal, Lamartine, Hugo), par une insistance misérabiliste (les pauvres, les opprimés, Gavroche, Cosette, Michelet, Eugène Sue), enfin par l’appel ”religieux” (une vision morale étendue à l’univers, des dénonciations au nom de l’Infini, la mystique pédagogique et le Progrès comme justification). Ces thèmes viennent du catholicisme et le socialisme les a récupérés sous Jaurès, Blum et Mitterrand. Ils continuent à courir sous la surface soi-disant « laïque » des socialistes au pouvoir.

En décembre, Martine Aubry dénonce – contre son propre gouvernement qui voudrait desserrer les carcans sur l’emploi – « la promenade du dimanche au centre commercial et l’accumulation de biens de grande consommation ». Elle moralise brutalement, du haut de son impérium moral-socialiste : « Je me suis toujours engagée pour un dimanche réservé à la vie : vie personnelle, vie collective. » C’est oublier que la « vie collective » exige aussi des gens qui travaillent le dimanche : les conducteurs de train pour ne pas prendre sa voiture non-écologique, les cinoches pour projeter des films « culturels », les musées et leurs gardiens asservis à travailler quand les autres se baladent, les boulangers qui font le pain du matin, les marchés où les « producteurs » viennent présenter leurs récoltes, les policiers pour suivre les délinquants et sécuriser les lieux publics…

La consommation moralement acceptable de Martine Aubry apparaît comme celle des bobos urbains. Les autres, les prolos, campagnards ou banlieusards, en sont réduits à l’achat en ligne sur Internet, le dimanche – puisqu’ils travaillent toute la semaine. L’interdit sur le travail du dimanche a-t-il mis depuis des siècles « la culture au cœur de la vie » ? Il y a mis la messe, oui – la culture, non. Cette Culture aubryste serait-elle la nouvelle messe sociale à laquelle tous sont sommés d’assister ? Mieux ne vaudrait-il pas réformer le mammouth du conservatisme scolaire, ou ne pas faire payer (comme dans le Paris Hidalgo-socialiste) les musées de la Ville aux chômeurs, que d’énoncer ce genre de jugement moralisateur sur les activités des gens ? Ils sont censés en socialisme être libres, « émancipés », « égaux », ils font ce qui leur semble bon : de quoi l’État devrait-il se mêler ? La bonne conscience morale de classe est insupportable, édictée par ceux-là mêmes qui se parent de vertu populaire.

selfie nue

Même chose, le même mois, en plus immature. L’insupportable ado de Troisième, Cécile Duflot, pose avec Virginie Lemoine « pour lutter contre l’homophobie ». Est-ce cet « acte » qui va changer les comportements ? Si oui, on attend d’elle un selfie nue devant un HLM contre le mal-logement. Cela ferait encore plus ado et encore plus progressiste, les seins nus étant la transgression des normes bourgeoises qui fait causer dans le poste – et la posture féministe cette révolte anti-mecs qui fait tant jouir les anémiques intellos de gauche. Il est vrai que le bilan-logement du ministère Duflot n’est pas très flatteur… Détourner l’attention par un coup d’éclat ne rehausse pas le niveau de cette politicienne trop avide de célébrité médiatique pour être honnête.

C’est enfin l’ineffable président, François Hollande, qui lors de son « inauguration » de la Cité de l’immigration, a réduit la République à « l’adhésion à un projet commun ». Sans plus. « Parce que depuis 150 ans, la République n’est pas liée aux origines, c’est l’adhésion à un projet commun. » N’avez-vous qu’à venir et adhérer – comme au parti socialiste – pour devenir « français » ou « européen » ? « Vivre en France, c’est une somme de devoirs et de droits » : c’est un peu court, politicien ! On l’a vu juste un peu plus tard… avec les lamentables Kouachi et Coulibaly, « français » de ressentiment qui haïssaient la république, la civilité, la culture, la liberté… On l’a vu plus largement hors Hexagone après le printemps arabe : sans nation, pas de corps politique ni d’État qui fonctionne, pas de régulation organisée des intérêts particuliers mais une simple association d’ayants droit ou de mafias trafiquantes ou cléricales.

Tocqueville l’a bien montré, que Hollande n’a manifestement jamais lu : plus la démocratie avance, plus l’égoïsme croit et plus la solidarité recule. Plus les droits particuliers se multiplient, plus chacun se replie sur ses acquis, au détriment du collectif. C’est bien « de gauche morale » que de vouloir tout et son contraire, afin d’attraper le maximum de gogos dans les filets ! L’incantation au collectif est contradictoire avec les droits pointilleux des ultraminoritaires, l’élan progressiste commun est contradictoire avec les petits narcissismes qui rendent indifférent. Se sent-on français avec la simple « adhésion » par la carte d’identité ? On « adhère » à quoi ? Au système de copains du Moi-président ?

Moi president Hollande exemplaire

Les « racines » sont certes à critiquer et à renouveler pour les garder vivantes, mais ce n’est pas un projet aussi vague à la sauce hollandaise qui va rendre fier d’être français ! Ni donner envie de participer à la démocratie collective. Ni encourager la solidarité ou l’ouverture à l’autre. Il y a une rare maladresse chez Guimauve le conquérant – comme l’appelait Fabius (…avant d’être ministre).

La leçon socialiste apparaît donc comme un catéchisme : obéissez aux commandements ! Or ni le Bien ni le Mal ne sont fixés pour l’éternité (sauf dans la Bible et le Coran), ils dépendent d’une construction historique – variable selon les sociétés. Si les amours entre adolescents du même sexe sont une éducation chez les Baruyas, cela « ne se fait pas » en Europe et est clairement « haram » dans le monde musulman (même si des accommodements avec la réalité sont clairement avérés). Il n’y a pas que l’écologie ou le salafisme à vouloir être « punitifs », le socialisme moral aussi qui condamne les comportements du peuple (consommer le dimanche autre chose que « la » culture reconnue par les bobos), ou les sentiments envers les comportements minoritaires (on peut accepter que deux lesbiennes vivent ensemble, mais pourquoi remettre en question « le mariage », s’interrogent les gens – pour ma part, cela m’est indifférent mais le choc populaire est une réalité).

Nietzsche l’a exposé largement, « la » morale du temps est toujours la morale des Maîtres, de ceux qui dominent. Martine Aubry, Cécile Duflot, François Hollande, édictent « ce qu’il faut penser » – aussi ridicule ou courte-vue que cela puisse paraître. Car il s’agit dans ces trois faits de nier la réalité (acheter le dimanche, le mariage comme sacralité, les conditions réelles pour se sentir français) au profit d’arguments d’autorité qui abêtissent le citoyen, l’électeur, les gens du peuple.

Et ceux qui les profèrent impunément…

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