
C’est le leitmotiv du célèbre poème fleuve du Totor national dans Les Châtiments, versificateur au kilomètre, qui cette fois prend le ton de l’épopée. Nous sommes en 1812 et Napoléon le Grand a envahi la Russie du tsar Alexandre qui se terre. Il a laissé Moscou, a vidé la ville et la fait incendier par ses partisans restés aux alentours. On accusera les Français.
Après avoir conté dans La Bataille, Grand prix du roman de l’Académie française, Essling en 1809, l’auteur nous fait suivre la Grande armée de 500 000 hommes, dont 150 000 venus de France, le reste étant les alliés. Elle occupe la capitale déserte et loge dans les palais restés debout, mais cherche à nourrir les milliers d’hommes. La nourriture a été emportée, noyée, les puits empoisonnés. Les armées russes se dérobent, sachant peut-être qu’elles ne vaincront pas un petit caporal devenu empereur, tant il a montré de génie dans la stratégie sur le champ de bataille. Comme d’habitude, les Russes font confiance à l’immensité, au climat, à la boue des marais de leur territoire. Quant au tsar, il renie sa parole, son « alliance » avec la France.
Napoléon relit l’histoire de Charles XII, souverain suédois conté par Voltaire. Lui aussi a envahi la Russie, lui aussi s’est trop attardé, lui aussi a été vaincu par le général Hiver. Mais il n’en tire aucune leçon, comme tous les hommes de pouvoir laissés seuls devant leur égotisme. Ils croient trop en leur génie pour écouter les autres, la raison, ou le simple bon sens. Le tsar ne « l’aime » pas, contrairement à ce qu’il croit ; il n’a que des intérêts, et les Anglais lui font miroiter le commerce pour contourner le Blocus continental.
Patrick Rambaud nous raconte alors l’épopée du retour, le désordre, le froid glacial, le passage de la Bérézina, le harcèlement des cosaques. C’est le chacun pour soi, l’égoïsme féroce pour un bout de cheval mort ou une sac d’orge moisi. Les civils, qui ont fait de juteuses affaires à Moscou fuient eux aussi, n’ayant rien su prévoir. Ils perdent tout par leur bêtise de ne penser qu’à gagner de l’argent – même la vie.
Dans ce roman, écrit aux sources de la documentation historique, les anecdotes priment sur l’ensemble, mais l’atmosphère est bien rendue : nous y sommes. Les personnages sont un peu pâles, servant à lier l’histoire. Le capitaine d’Herbigny est revenu vivant mais aveugle ; le commis aux écritures Sébastien, enrôlé pour sa trop belle écriture comme l’un des secrétaires de l’empereur et qui a rencontré Henri Beyle (qui deviendra Stendhal), revient mûri, avec un poste à Paris ; Ornella l’actrice, trop jeune pour être avisée, offre son corps pour survivre, mais disparaît dans la steppe. Elle ne peut passer les ponts flottants de la Berezina, que Napoléon fait brûler une fois ses troupes passées ; elle est prise par les Kalmouks, dénudée entièrement avec les autres prisonniers civils, laissée dans la neige par moins vingt degrés, puis livrée aux moujiks qui se vengent, sur l’instigation des popes qui crient au diable. Tout y est.
Quant à l’empereur, il reste visionnaire sur l’Europe, mais a pris pour bouc émissaire commode de ses erreurs les Anglais. Il voudrait la paix avec le tsar son « frère », mais celui-ci ne répond pas. Au lieu d’agir, Napoléon attend. Trop tard pour faire retraite honorablement. Il « croit » que le climat lui laissera quelques semaines de plus, mais ce n’est pas le cas. C’est alors la débâcle, la débandade, la fuite à marche forcée avec une armée qui se réduit chaque jour. Trois cents mille morts au moins dans cette aventure extrême de survie. Pour rien. La France en ressortira affaiblie, 1815 se profile, ses 130 départements seront réduits, Napoléon déboulonné. Sylvain Tesson, deux cents ans plus tard, refera le chemin de la déroute dans un side-car Oural. Il le raconte dans Berezina, chroniqué sur ce blog.
Un honnête roman qui fait revivre l’histoire – et rappelle que la Russie est moins imprenable par la capacité de ses dirigeants que par l’ampleur de son territoire.
Patrick Rambaud, Il neigeait, 2000, Livre de poche 2002, 286 pages, €6,90, e-book Kindle, €5,49
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