
L’image du « paradis » la plus parlante aux humains reste celle de l’enfance : l’insouciance, la protection des parents, la curiosité ardente pour le monde qui vous entoure, les sensations très fortes des premières fois… L’auteur, écrivain du terroir né en Quercy dans un village non loin de Sarlat, est devenu prof à la ville avant de se retirer au pays de son enfance. Il se souvient.
Ce sont les années cinquante et soixante, ces parenthèses d’après-guerre où la vie renaissait comme au printemps, dans l’immuable des saisons et des traditions. Au village, les gens vivaient encore au Moyen-Âge, avec souvent pas l’électricité ni l’eau courante, en autarcie quasi complète. Ils produisaient leur blé, leur lait, leur vin, leurs viande, leurs légumes ; ils vendaient le surplus sur les marchés ou faisaient du troc comme jadis. C’était le temps d’avant des artisans : charron, forgeron, maçon, bourrelier, meunier, boulanger… La période était stable à la campagne, la vie lente, on prenait son temps.
L’auteur, brutalement déraciné à 11 ans pour aller au collège dans « l’enfer de la ville » (dit-il), revenait au village aux week-ends et aux vacances se ressourcer d’odeurs du foin, des feuilles d’orme cueillies pour les vaches, du cuir, de lessive ; il reprenait vie en sandalettes, pieds nus dans la rosée, courait les champs et les prés, préférant toutefois la forêt, son calme et ses mystères. Il était flanqué de son frère jumeau, plus placide selon lui, mais il dit toujours « je », en jumeau dominant.
C’est une nostalgie pour l’ancien monde – celui que j’ai connu aussi, à la campagne, même si ce n’était pas la même. Pour ma part, je ne regrette pas ce temps-là car la pensée était bien étroite, les distractions limitées, la culture absente, les cancans multiples, les haines de voisinage persistantes, qui remontaient à la nuit des temps. Il faisait froid, l’hygiène restait douteuse, les toilettes dans une cabane du jardin, les odeurs fortes entre les poules et les vaches. L’auteur se dit « progressiste », comme son milieu enseignant, mais sa nostalgie de l’enfance se confond trop souvent avec celle de l’ancien temps, celui d’avant mai 68 (l’auteur avait 21 ans).
Certes le monde était différent, sous la houlette de l’homme blanc et dans l’espérance ancrée de la démocratie désaliénant les citoyens du monde (ONU, UNESCO, FMI…). Aujourd’hui, le « c’était mieux avant » est repris par les partis extrémistes à la culture rancie, qui préfèrent élever des murs plutôt que parler avec l’Autre qui ne pense pas comme lui. Et « les écologistes » se muent trop volontiers en conservateurs acharnés de tout ce qui est, aveugles aux mouvements du monde et des sociétés. Bien-sûr qu’il vaut mieux « être ensemble », faire partie d‘un groupe familial, amical, local, s’ancrer dans « une communauté ». Mais la ville, son individualisme et ses propositions de culture sont incomparables pour émanciper chacun de ses déterminismes et le révéler à lui-même.
Sauf que cette liberté fait peur au grand nombre, qui préfère se réfugier dans les traditions, l’immuable, le Moyen-Âge. Aussi, chacun lira ce témoignage selon qui il est.
Christian Signol mérite d’être lu pour ce qu’il décrit des années qui ne sont plus, dans ce récit qui n’est pas un roman. Ceux qui les ont vécues vieillissent et, peu à peu, commencent à disparaître. Il dit le basculement du monde. Ce n’était pas le premier, ce ne sera pas le dernier.
Aujourd’hui même, le monde bascule à nouveau avec les attentats islamistes du 11-Septembre, l’essor du populisme des extrêmes depuis Trump 2016, la pandémie d’origine chinoise 2019, l’invasion russe d’un État souverain 2022, les catastrophes naturelles qui se multiplient en raison du réchauffement du climat. Beaucoup se réfugient dans la nostalgie et quittent les villes pour les villages – mais sans consentir à la frugalité d’avant…
Christian Signol, Bonheurs d’enfance, 1996, Livre de poche 1998, 191 pages, €7,70, e-book Kindle €6,99
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Les romans du terroir de Christian Signol déjà chroniqués sur ce blog




































































































































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