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Tuer le rire ?

L’un des tueurs voulait massacrer du juif ; les deux autres faire rentrer le rire dans la gorge. Car pour ces raccourcis du cerveau, on ne peut rire de tout. Si le rire est le propre de l’homme (Rabelais), Dieu l’interdit – ou plutôt « leur » Dieu sectaire, passablement fouettard, Dieu impitoyable d’Ancien Testament ou de Coran, plus proche de Sheitan et de Satan. Ange comme l’islam, mais déchu comme l’intégrisme.

Comme le Prophète ne savait ni lire ni écrire, il a conté ; ceux qui savaient écrire ont plus ou moins transcrit, et parfois de bouche à oreille ; les siècles ont ajoutés leurs erreurs et leurs commentaires – ce qui fait que la parole d’Allah, susurrée par l’archange Djibril au Prophète qui n’a pas tout retenu, transcrite et retranscrite par les disciples durant des années, puis déformée par les politiques des temps, n’est pas une Parole à prendre au pied de la lettre. Le raisonnable serait de conserver le Message et de relativiser les mots ; mais la bêtise n’est pas raisonnable, elle préfère ânonner les mots par cœur que saisir le sens du Message.

rire de mahomet

La bêtise est croyante, l’intelligence est spirituelle. Les obéissants n’ont aucune autonomie, ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, ils ont peur de la liberté car ce serait être responsable de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Ils préfèrent « croire » sans se poser de questions et « obéir » sans état d’âme. Islam veut-il dire soumission ? Un philosophe musulman canadien interpelle ses coreligionnaires : « une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? »

Il ne faut pas rejeter la faute sur les autres mais s’interroger sur sa propre religion, distinguer sa pratique de la foi.

Mahomet s’est marié avec Aisha lorsqu’’elle avait 6 ans (et lui au-delà de la cinquantaine) ; il a attendu quand même qu’elle ait 9 ans pour user de ses droits d’époux : c’était l’usage du temps mais faut-il répéter cet usage aujourd’hui ? L’ayatollah Khomeiny a abaissé à 9 ans l’âge légal du mariage en Iran lorsqu’il est arrivé au pouvoir… Les plus malins manipulent aisément les crédules, ils leurs permettent d’assouvir leurs pulsions égoïstes, meurtrières ou pédophiles, en se servant d’Allah pour assurer ici-bas leur petit pouvoir : Khomeiny, Daech, mêmes ressorts. Trop d’intermédiaires ont passés entre les Mots divins et le texte imprimé pour qu’il soit à prendre tel quel. Croyons-nous par exemple que Jésus ait vraiment « marché sur les eaux » ?

voies du seigneur

Il ne faut pas croire que le Coran soit la Parole brute d’Allah. Que font les intellectuels de l’islam pour le dire à la multitude ?

Toute religion a une tendance totalitaire : n’est-elle pas par essence LA Vérité révélée ? Même le communisme avait ce tropisme : « peut-on contester le soleil qui se lève ? » disait à peu près Staline pour convaincre que les lois de l’Histoire sont « scientifiques ». Qui récuse la vérité est non seulement dans l’erreur, mais dans l’obscurantisme, préférant rester dans le Mal plutôt que se vouer au Bien. Il est donc « inférieur », stupide, malade ; on peut l’emprisonner, en faire son esclave, le tuer. Ce n’est qu’une sorte de bête qui n’a pas l’intelligence divine pour comprendre. Toutes les religions, toutes les idéologies, ont cette tendance implacable – y compris les socialistes français qui se disent démocrates (ne parlons pas des marinistes qui récusent même la démocratie…). Les incroyants, les apostats, les hérétiques, on peut les « éradiquer ». Démocratiquement lorsqu’on est civil, par les armes lorsqu’on est fruste.

kamikaze se fait sauter

Le croyant étant « bête » parce qu’il croit aveuglément, comme poussé par un programme génétique analogue à celui de la fourmi, ne supporte pas qu’on prenne ses idoles à la légère. Toutes les croyances ne peuvent accepter qu’on se moque de leurs simagrées ou de leurs totems : la chose est trop sérieuse pour que le pouvoir fétiche soit ainsi sapé. C’est ainsi que Moïse va seul au sommet de la montagne et que nul ne peut entrevoir l’Arche d’alliance ou le saint des saints du temple, que Mahomet est-il le seul à entendre la Parole transmise par l’ange et que nul infidèle ne peut voir la Kaaba. Dans Le nom de la rose, dont Jean-Jacques Annaud a tiré un grand film, Umberto Ecco croque le portrait d’un moine fanatique, Jorge, qui tue quiconque voudrait simplement « lire » le traité du Rire qu’aurait écrit Aristote. Ce serait saper la religion catholique et le « sérieux » qu’on doit à Dieu… Les geôles de l’Inquisition maniaient le grand guignol avec leurs tentures noires, leurs juges masqués, leurs bourreaux cagoulés devant des feux rougeoyants. Pas question de rire ! Même devant Louis XIV (sire de « l’État c’est moi »), Molière devait être inventif pour montrer le ridicule des médecins, des précieuses ou des bourgeois, sans offusquer les Grands ni Sa Majesté elle-même.

Il ne faut pas croire que le rire soit le propre de l’homme ; ce serait plutôt le sérieux de la bêtise. Que font nos intellectuels tous les jours ?

rire beachboy

C’est cependant « le rire » qui libère. Il permet la légèreté de la pensée, le doute salutaire, l’œil critique. Rire déstresse, rend joyeux autour de soi, éradique peurs et angoisses – ce pourquoi toute croyance hait le rire car son pouvoir ne tient que par la crainte. Se moquer n’est pas forcément mépriser, c’est montrer l’autre en miroir pour qu’il ne se prenne pas trop au sérieux. C’est ce qu’a voulu la Révolution française, en même temps que l’américaine, libérer les humains des contraintes de race, de religion, de caste, de famille et d’opinions. Promotion de l’individu, droits de chaque humain, libertés de penser, de dire, de faire, d’entreprendre. Dès qu’un pouvoir tend à s’imposer, il restreint ces libertés-là.

rire de tout

Est-ce que l’on tue pour cela ? Sans doute quand on n’a pas les mots pour le dire, ni les convictions suffisamment solides pour opposer des arguments. Petite bite a toujours un gros flingue, en substitution. Surtout lorsque l’on a été abreuvé de jeux vidéos et de décapitations sans contraintes sur Internet : tout cela devient normal, « naturel ». C’est à l’école que revient de dire ce qui se fait et ce qui ne se fait en société : nous ne sommes pas dans la jungle, il existe des règles – y compris pour la diffamation et le blasphème. Il est effarant d’entendre certains collégiens (et collégiennes) dire simplement « c’est de leur faute ». Donc on les tue, comme ça ? C’est normal de tuer parce qu’un autre vous a « traité » ? Est-ce ainsi que cela se passe dans les cours de récré ? Si oui, c’est très grave…

rire de tout france

L’écartèlement entre les cultures, celle de la France qui les a partiellement rejetés, celle de l’Algérie qu’ils n’ont connue que par les parents et cousins, ont rendu les frères Kouachi incertains d’eux-mêmes, fragiles, prêts à tout pour être enfin quelqu’un, reconnus par un groupe, assurés d’une conviction. La secte est l’armure externe des mollusques sans squelette interne. Ils se sont créé des personnages de héros-martyrs faute d’êtres eux-mêmes des personnes.

Il ne faut pas croire que la multiculture enrichit forcément. Que font les politiciens pour établir les valeurs du vivre-ensemble sans les fermer sur l’extérieur ; pour faire respecter les lois de la République sans faiblesse ni « synthèse » ?

Comment faire pour « déradicaliser » les individus ? Une piste de réflexion intérieure, européenne et géopolitique. Lire surtout la seconde partie.

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Dix ans de blog !

Le 8 décembre 2004, sur l’invitation du journal Le Monde, j’ouvrais un blog : fugues & fougue. Ce curieux « journal intime » électronique venu des États-Unis était devenu à la mode avec l’élection présidentielle de George W. Bush et, dans la perspective des présidentielles à venir 2007. Comme pour renouveler l’intérêt des abonnements qui s’effritaient, le « quotidien de référence » voulait se brancher bobo.

Ma première note a porté sur le programme que je me proposais : « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. » Ma conviction était et reste toujours que « le monde est beau et triste ; les humains sont la plus grande source de joie et la pire source d’horreurs – nous ne sommes pas des dieux. Hélas. Retenons ce qui fait vivre. » Je m’y suis tenu, alternant lectures, voyages, témoignages et opinions. J’ai toujours pensé que le blog était l’alliance idéale entre écrit et oral, spontanéité et réflexion : « l’écriture devient dialogue, avec ce recul de la main qui fait peser les mots et garde l’écrit moins évanescent que la parole ».

Sauf que, comme beaucoup, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles, l’équivalent du bouton « j’aime » des rézozozios (avec l’option « va te faire foutre » en plus), une « réaction » plutôt qu’une réflexion. Au départ libertaire (toute opinion est recevable), je suis désormais responsable (directeur de la publication), donc attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spams et physing etc.) – que je censure désormais sans aucun état d’âme.

fugues et fougue 2005

L’intérêt du blog a été multiple :
• M’obliger à écrire quotidiennement, donc à préciser ma pensée et à choisir mes mots, évitant de rester comme avant (et comme beaucoup) dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.
• Exiger de moi un autre regard pour observer ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Écrire oblige, comme la noblesse, rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble. Donc pas d’émotion de l’instant, comme ces naïfs qui croyaient que j’émettais mes notes en plein désert, lors du voyage au Sahara !
• M’offrir l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie pour chroniquer), témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueur du monde.fr, puis d’autres).
Donner aux autres – mes lecteurs – ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées). Enrichir, poser des questions, offrir une tentative de réponse.

Communiquer en plein désert

Je pensais au départ échanger des idées ou des impressions de voyages en forum – bien mieux que la triste réalité… car j’ai plus donné que reçu. Peut-être parce que mon blog est resté généraliste et non spécialisé dans ces micro-domaines dans lequel les commentaires aiment à se développer (la cuisine, la politique, les hébergements, les complots…). J’ai été beaucoup repris – et c’est tant mieux (si l’on indique la source).

Les rencontres avec les blogueurs ont été intéressantes, dès avril 2005 au Café de l’Industrie à Paris, puis à Montcuq en août. Des amitiés sont nées, qui résistent parfois au temps (Jean-Louis Hussonnois (hélas parti trop tôt), Virginie Ducolombier, Yann Hoffbeck, Véronique Simon, Alain Ternier, Daniel Baudin, Guilaine Depis…) et d’autres non (Frédéric, Laurence, Huu, Céline, Philippe, José, Gérard, Katrine, Jean-Pierre, Jean-Marie, Lunettes rouges, Versac, Arthur…). Le « jouet » blog a vite lassé la majorité des bobos du monde.fr. Leur narcissisme a trouvé plus ludique et moins fatiguant de lâcher une phrase, une photo ou un lien vidéo sur leur fesses-book. D’autres ont voulu faire de leur blog et des réunions de « blogueurs de référence » quelque instrument au service de leur ambition politique. La dernière rencontre a coulé à Coulon en 2007 ; personne n’a semblé regretter depuis lors.

Dix années m’ont permis d’apprendre ce qui convient et ce qui plaît, même si je n’applique pas forcément les recettes intégrales du marketing. Il est nécessaire :
• « d’écrire blog » : c’est-à-dire court, voire en points-clés qui reviennent à la ligne
• d’illustrer : les images (prises par moi, reprise sur les moteurs, ou retravaillées) sont les principales requêtes qui font venir les visiteurs
• de donner toujours les références : soit en lien, soit à la fin (même si certains blogs « interdisent » d’être cités…)
• de varier les plaisirs offerts aux lecteurs : en variant les thèmes – tout en les regroupant en « catégories » pour la commodité (colonne de droite, après « commentaires récents ») – même si certains lecteurs pas très doués « ne trouvent pas » (il y a toujours le carré « rechercher », juste sous la pensée, qui permet de trouver ce qu’on veut dans le blog avec un seul mot-clé).

fugues et fougue blog sélection du monde fr 2005

Je ne regrette rien, j’ai même été sélectionné dans les favoris du monde.fr… jusqu’au 17 novembre 2010 où lemonde.fr a planté tous les blogs. Sans rien dire avant deux jours entiers. L’explication donnée n’est pas plus intéressante : « Après vérification, il apparaît que certains éléments composant votre blog (photos ou sons) ont été effacés lors de cet incident et n’apparaissent donc plus. » Autrement dit, lemonde.fr n’a aucune sauvegarde, pas de back up. A se demander s’ils ont la compétence de leur ambition. Il fallait payer (l’abonnement au journal) pour bloguer. Malgré le plaisir des 2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans, c’en était trop. L’indépendance technique était indispensable.

Celle d’esprit aussi, car Le Monde prenait une tonalité « de gauche bien-sûr » tellement conventionnelle (intello-parisiano-bobo) que c’en devenait pénible. L’accaparement de Télérama puis du Nouvel Observateur ont ajouté à cette dérive de prêt-à-penser socialiste modéré bien « comme il faut ». On peut être de gauche sans être au parti socialiste ni lire Le Monde ou le Nouvel Observateur. On peut aussi ne pas être de gauche mais de droite ou du centre – ou d’ailleurs.

Argoul.com est humaniste et libéral, au sens des Lumières, volontiers libertaire mais pas naïf sur la nature humaine. Il n’est pas, pour moi, de fraternité sans liberté, alors que l’égalité ne permet aucun lien social quand elle est poussée aux extrémités jacobines ou collectivistes – ni, dans l’autre sens, du « j’ai tous les droits » anarchiste ou libertarien. Ce qui est trop souvent le cas ces derniers temps.

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Racisme, injure à la mode – mais au-delà du mot ?

Nier scientifiquement les races n’est pas le problème, la dignité humaine est question de droit, pas de biologie. Se croire supérieur est remis en cause par l’histoire même. Seuls les échanges permettent d’avancer – à condition d’être ouvert, donc capable d’être soi, bien formé par le système scolaire et la société. Or l’idéologie antiraciste est devenue un politiquement correct qui conforte l’immobilisme et ne veut rien connaître du ressentiment des petits Blancs. Elle est la bonne excuse des gens de gauche pour surtout ne rien changer aux maux de la société. Pour vivre ensemble en bonne intelligence, il faut plutôt conforter transparence et démocratie : c’est de la politique, ni de la science, ni de la morale.

1/ Les races humaines n’existent pas pour la biologie moléculaire qui ne considère que les gènes ; pas plus pour la génétique des populations qui fait des « races » des fréquences statistiques en perpétuel changement. Mais les classifications faites par chacun pour parler des autres ne sauraient se réduire au réductionnisme moléculaire. La science peut nous dire comment est fait le monde ; elle ne nous dit rien sur la façon de nous conduire. Ce qui est en question dans la société n’est pas la différence entre minorités visibles, mais l’égalité des droits et devoirs en dignité et comme citoyens. Les rapports sociaux sont infiniment plus importants dans la vie de tous les jours que les classements en fonction des peaux, des sangs et des gènes. L’égalité des droits ne doit rien à la biologie ; la politique n’est pas, chez nous, une biopolitique. En démocratie, les assistés imbéciles ont les mêmes droits que les géniaux inventeurs et nul ne peut savoir si l’un est plus « utile » à la société que l’autre car ni le génie ni la bêtise ne se transmettent par les gènes, seulement par l’éducation, la culture et le milieu historique. Nul être humain ne se réduit à un ensemble de caractéristiques objectives, mesurables, scientifiques. Le sujet ne saurait être un objet.

Nous ne vivons pas chaque jour dans une population de gènes, nous vivons dans une population d’humains. Claude Lévi-Strauss le disait déjà dans Race et histoire (1951) : il ne faut pas confondre les caractéristiques biologiques et les productions sociales et culturelles. Certains médicaments, comme le vasodilatateur BiDil sont efficaces seulement chez les populations d’origine africaine – c’est un fait d’expérience. Mais reconnaître ce fait n’est pas de l’ethnocentrisme, qui consiste à rejeter tout ce qui ne correspond pas à notre norme. Ni de la xénophobie, qui consiste à faire de l’étranger (à la famille, au village, à la région, à la nation, à la race) un bouc émissaire de tout ce qui ne va pas dans notre société. Comme les Grecs disaient « barbares » tous les non-Grecs – forcément non-« civilisés ». Les ados aujourd’hui « niquent » ou tabassent tous ceux qui ne sont pas comme eux (photo) : où est la différence ?

Elle est dans la culture : quand Alexandre a vaincu les Perses, il a bien vu que la civilisation n’était pas seulement grecque. Et de cette fécondation croisée est née la grande bibliothèque d’Alexandrie – progrès – avant son incendie par les sectaires chrétiens, puis son éradication totale par l’islam intolérant.

torture ado torse nu

2/ L’évolutionnisme biologique formulé par Darwin est fondé sur l’observation des espèces, mais le « faux évolutionnisme », selon Lévi-Strauss, est fondé sur l’apparente continuité historique qui aurait fait se succéder les civilisations dans un Progrès linéaire. Or le progrès n’est jamais linéaire : mille ans avant Jésus, on croyait la terre ronde ; mille ans après, on la croyait plate… Les civilisations stables dans la durée n’en sont pas moins subtiles et en évolution, même si leur histoire – tout aussi longue que la nôtre – présente peu de changements apparents. Les civilisations à la même époque se juxtaposent et échangent des marchandises, des idées et des hommes ; elles se combattent ou s’allient. La Renaissance se caractérise par la rencontre des cultures grecque, romaine, arabe, orthodoxe avec la culture européenne ; le jazz, le blues, viennent du melting-pot américain par le rythme africain et les vieilles chansons de marche françaises. Seule la puissance fait qu’une civilisation s’impose provisoirement, mais la puissance est sans cesse remise en cause : le Royaume-Uni régnait sur le monde en 1914 ; il a cédé le pas aux États-Unis dans les années 1930 ; ceux-ci vont probablement céder le pas à la Chine d’ici la fin du siècle.

Pour Lévi-Strauss, les sociétés qui connaissent le plus d’échanges ont pu cumuler le plus les idées, les capitaux et les innovations. Ce que montrent aussi l’historien Fernand Braudel et les économistes Joseph Schumpeter, Nicolaï Kondratiev et Immanuel Wallerstein. Chaque grappe d’innovations engendre de nouveaux métiers qui rebattent les distinctions sociales. La globalisation, au lieu d’aboutir à une même culture, amène plus de diversité. Elle est le moteur du progrès qui, par ses innovations, produit à son tour une diversité de cultures. A condition d’être ouvert à la nouveauté, et bien formé pour la recevoir. C’est là qu’est le problème…

3/ Être ouvert, c’est avoir une personnalité forgée par le savoir scolaire, mais aussi par les disciplines comme le sport qui forment le caractère. Pour être ouvert aux autres, il faut d’abord être soi. Claude Lévi-Strauss, dans la conférence Race et Culture prononcée à l’UNESCO à Paris en 1971, déclare : « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs pouvant aller jusqu’à leur refus et même leur négation ». Scandale pour les béni oui-oui du politiquement correct ! Ce n’est pourtant que ce que tous les sages disent à leurs disciples : « Deviens ce que tu es » (temple de Delphes), « trouve ta voie » (Bouddha), « des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants » (Nietzsche), « vaincre toutes les aliénations de l’homme « (Marx), « tuez le Père » (Freud). Pour être soi même, il faut quitter sa famille, se dresser contre la tradition paternelle, sortir de son milieu. C’est à ce titre seulement que l’on devient adulte et responsable, individu créateur et pas un pion formaté interchangeable. Dire que tout ne vaut pas tout, ce n’est pas être « raciste » ni ingrat, mais déclarer que certaines façons d’être ont à nos yeux plus de valeurs que d’autres. Est-ce que l’école et même la société forment des êtres de caractère et de culture ? La démission du système depuis 1968 et peut-être avant (1940 ?) n’est-elle pas une part du problème ?

Racisme anti blanc Monde 16mars20054/ Créée sous l’égide de l’UNESCO en 1950, l’idéologie antiraciste était destinée à lutter contre les séquelles du nazisme et à affronter l’apartheid qui régnait aussi bien en Afrique du sud qu’aux États-Unis. Mais le politiquement utile est devenu politiquement correct. L’association CRAN s’est créée  sur le critère de la « race » noire – ce qui disqualifie son combat même. L’apartheid a été éradiqué, sauf peut-être entre Israël et Palestine, mais n’empêche nullement des massacres « ethniques » en ex-Yougoslavie, les « génocides » au Rwanda et au Congo, ou autres répressions de « minorités » au Tibet, en Birmanie ou en Irak – sans que l’UNESCO s’en émeuve. Le retour des guerres de religion a remplacé ces derniers temps les guerres raciales. Mais le mécréant est situé par les croyants bien en-dessous de l’humain, comme s’il était d’une autre « race » : donc exploitable, vendable, corvéable à merci. Le lumpen proletariat d’Arabie Saoudite, les chrétiens enlevés et négociés par les sectes islamiques, les Coptes massacrés par les « musulmans en colère » sont autant d’exemples de sous-humanité traitée comme du bétail – dont les « antiracistes » ne disent pas un mot.

En nos pays développés, le tabou sur les minorités visibles, victimes – forcément victimes – fait que l’on ne peut critiquer leurs travers sans être accusé de la rage : le racisme. Pourquoi ne pas dire qu’il y a plus de délinquants d’origine maghrébine dans les prisons françaises que la moyenne ? Pourquoi ne pas dire aussi que de très nombreux étudiants aux noms maghrébins présentent des thèses en économie, finance, mathématique, médecine et autres domaines ? En quoi serait-il injurieux de dire les faits ? Au contraire, la transparence permet seule de remonter aux causes et de tenter des solutions. L’attitude du déni ne sert que l’immobilisme et le fantasme du Complot.

Progressisme de substitution, paravent commode à l’immobilisme du système social, l’idéologie antiraciste remplace la lutte des classes et fait religion pour les laïcs. Le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » a été engendré la mondialisation et par l’essor des techniques, aboutissant à cette création médiatique : le consommateur aliéné. Nul ne peut plus blasphémer sans être aussitôt moralement condamné par la bonne conscience « de gauche » – forcément de gauche – confite dans le contentement de soi.

Les prolétaires sont d’autant plus racistes que leur privilège de Blancs est bien la seule chose qui les distingue de leurs collègues de couleur, tout aussi exploités et méprisés. Les homophobes sont d’autant plus attachés à leurs privilèges d’hétérosexuels que c’est bien un des seuls dont ils peuvent encore jouir en ces temps de féminisme. Comprendre cela, c’est saisir que « le racisme » n’est pas une conviction profonde mais une réaction d’humilié qui cherche à se distinguer socialement. C’est donc pouvoir agir sur les causes : le chômage, le déclassement, les ghettos périurbains, l’inadaptation scolaire… Tout ce à quoi échappent les bobos confortablement installés dans les CDI par copinage, le statut social par mariage, les centres-villes, les écoles privées. La gauche, par son « indignation » moraliste, se garde bien de concrètement agir. Surveiller et punir est plus paresseux que de se retrousser les manches sur l’emploi, la formation, le logement, les programmes scolaires et la formation des maîtres.

Que veut-on ? L’assimilation au nom du nivellement de toutes les différences ? Ou la juxtaposition en bonne intelligence de communautés fermées sur elles-mêmes ? Ni l’un ni l’autre, me direz-vous peut-être ?…

Donc acceptons les différences, acceptons que l’on parle des différences, acceptons les règles de la bonne intelligence – dont la première consiste à ne pas choquer les autres en public, en agitant des bananes ou en arborant un niqab.

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Esprit français

vertus fonctionnaires

Les critères d’évaluation des candidats en écoles supérieures de commerce disent ce qu’il NE FAUT PAS être : indécis, non investi, pas créatif, peu autonome, passif, fermé, insensible, individualiste, sans critique, indifférent au monde de l’entreprise. L’amusant est que se dessine ainsi un portrait en creux des mauvaises qualités du commercial… qui laisse apparaître son antithèse presque parfaite : le fonctionnaire.

Le fonctionnaire est l’occupant d’une fonction publique, organe d’un ensemble, tiré du latin dès 1370 qui signifie l’exécution d’une charge (faire fonction de) en situation de dépendance (en fonction de). Le mot fonctionnaire, tiré de fonction, apparaît sous la plume de Turgot en 1770. Le titulaire fonctionnant est un rouage d’une machinerie administrative. En est tiré le terme de « fonctionnarisme » vers 1850, « prépondérance gênante des fonctionnaires dans un État » selon le Robert historique de la langue française. « Bureaucrate, rond-de-cuir, budgétivore », ajoute en synonymes le Petit Robert

fesses et bourgeois

Si l’on en croit le portrait en creux des qualités requises en grandes écoles, le fonctionnaire n’est pas adulte épanoui responsable – mais tout l’inverse : infantilisé par la pure exécution sans initiative, dépendant irresponsable sans empathie, non motivé et se moquant des affaires, des relations aux autres et de toute entreprise (quoiqu’il fasse, il est payé, pensionné et garanti).

« Fonctionnaire : Inspire le respect quelle que soit la fonction qu’il remplisse » disait Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues. Sa personne représente en effet un ensemble symbolique qui le dépasse et lui confère sa puissance. Un fonctionnaire est censé incarner l’État, ne pas avoir de pensée personnelle mais être la voix du règlement et de la loi, ne pas avoir d’intérêt particulier mais se poser en garant de l’intérêt général. D’où le vocabulaire volontiers administratif de ses représentants lorsqu’ils se sentent contestés, cette façon d’évacuer la question particulière par la légalité générale, de ne jamais être responsable personnellement en face d’un individu mais d’être un sachant fonctionnant devant un numéro de dossier.

L’importance historique de l’État fait que les Français révèrent un comportement inadapté au monde globalisé, depuis que l’échec soviétique a prouvé la sclérose de cette machinerie hiérarchique. Il est donc plus difficile aux jeunes français d’intégrer les valeurs et les comportements de la concurrence et de l’initiative, ce qui fait justement les créateurs d’idées nouvelles appliquées à la production de nouveaux biens. Si la France recèle nombre d’inventeurs, elle recèle peu d’entrepreneurs. Pire : ils sont découragés d’entreprendre par l’ambiance sociale et culturelle, entravés par l’Administration en ses multiples règlements paperassiers et la multiplication des taxes, voire insultés par les politiciens idéologues qui font de la démagogie leur seule tactique électoraliste.

Pourquoi, dès lors, se lamenter de n’être pas aussi structuré que l’Allemand, pas aussi réactif que l’Américain, pas aussi hédoniste laborieux que le Suédois, ou habile commerçant comme le Chinois ? Le « modèle » culturel français a fait son temps (le mot empreinte, traduction plus exacte de l’anglais anthropologique pattern serait plus juste : l’empreinte culturelle).

La tentation est immense de se réfugier dans le passé, de fermer les yeux et les frontières pour rester entre-soi, comme « avant ». La Chine des mandarins l’a fait jadis, avec les succès qu’on a vus ; la Russie soviétique l’a tenté avec le rideau de fer, protectionnisme dérisoire qui a explosé dès que les citoyens de l’est ont pu franchir le mur ; la Corée du nord et Cuba le pratiquent aujourd’hui, laissant le monde aller de l’avant tandis qu’eux traînent, leurs dirigeants fascinés cependant par les films et les gadgets des pays qui vont de l’avant…

Yes week-end reve francais Ce n’est pas ainsi que l’on évolue. Oublie-t-on, au pays de Descartes, que l’intelligence est la faculté d’adaptation ? Oublie-t-on, au pays des Lumières, que l’universel est l’autre nom de la voie vers la liberté ? Voie qui fait envie à tous ceux qui vivent sous les despotismes, voie qui montre le chemin de la libération, la lumière du savoir comme de la conscience ?

Mais croire qu’est toujours « universelle » notre propre façon de voir, passive et datée, est une ornière mentale. Toutes les valeurs du fonctionnaire que sont le faible investissement personnel, l’absence de créativité, l’autonomie réduite, la passivité devant les règles, la fermeture à l’humain au profit du principe, l’indifférence au monde de l’entreprise – tout ce qui était vertu au temps de l’État bâtisseur de la société – ne sont plus les valeurs d’aujourd’hui depuis que la société est devenue mondiale et autonome. L’esprit français s’éteint, et c’est tant mieux. Que vive un esprit renouvelé, pleinement de son temps !

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Jean-Pierre Jost, Histoires grinçantes et cocasses

jean pierre jost histoires grincantes et cocasses

Ces histoires sont vraies, vécues ou entendues, dans la Suisse des années 1950 encore très paysanne. L’auteur échoue à ses examens de collège à 15 ans et est envoyé par son père travailler comme ouvrier agricole dans les fermes de Suisse alémanique, la région d’Emmental. Il y fait son trou, garçon fluet mais ni les yeux ni les oreilles dans sa poche. Né en 1937 dans une ferme, Jean-Pierre Jost vit en quasi adulte le monde paysan ancestral, celui que certains écolos bien intentionnés n’ont fait que parer de vertus autarciques et non-prédatrices. Or, il suffit de lire ces récits enjoués et soigneusement rédigés pour comprendre.

La campagne, c’est le travail dur, de 5 h le matin à 20 h le soir.

La campagne, c’est l’exigence des bêtes, vaches à traire et à mener pâturer, les foins à rentrer pour l’hiver, le fumier à sortir et à répandre à la fourche dans les champs – ce qui demande du muscle et de l’endurance ; sans parler des cochons à nourrir, des chèvres, des chevaux de labour.

La campagne, c’est la menace des orages, violents en montagne, les chemins rendus glissants où le charroi s’enlise ou verse, les incendies de grange qui prennent d’un coup, ruinant les réserves d’une année, les hannetons et les doryphores qui boulotent la pomme de terre et le reste.

La campagne, c’est l’ignorance, la solitude, la misère sexuelle, l’attirance pédophile, le besoin de gnôle jusqu’à l’ivresse, la méfiance envers tous les « étrangers » (l’étrange commence au village voisin), les haines familiales pour des questions d’héritage, la radinerie, l’hygiène déplorable (un bain par mois).

La campagne, c’est le travail des enfants, « main d’œuvre indispensable » même si – en principe – on ne leur donnait pas de travaux au-dessus de leurs forces. Cela les rend tôt responsables et conscients de la valeur des choses, mais les empêche de jouer avec les autres, de réviser leurs leçons et les oblige à devenir adultes très tôt, souvent corrigés et battus pour être « dressés », de quoi rendre asocial et violent à son tour.

C’est tout cela, la vie « bio », comme avant, du fantasme écolo citadin. Le grand mérite de ce petit livre est de nous faire toucher du doigt combien « avant » n’était pas si bien que cela, combien le « progrès » qu’il est à la mode de vilipender n’est pas si négatif, combien tout ce qui est humain ne peut jamais être tout Bien ni tout Mal mais toujours mêlé et nuancé.

Il y avait de bons moments dans cette existence traditionnelle, les fous rires à la table du maître quand émergeait de la soupe les deux chaussettes du fermier mises à sécher au-dessus du feu, le ragoût-toutou (recette régionale prisée), Max le cheval intelligent qui savait ouvrir le bidon de céréales dans la grange d’à côté pour s’en gaver, la vache toussotante qui arrose copieusement de l’arrière le maquignon qui soulignait ses défauts, le tel est pris qui croyait prendre du contrebandier d’absinthe, l’enterrement express parce que les chevaux du corbillard devaient rentrer les foins avant l’orage.

Ce sont 34 petits récits grinçants ou cocasses que l’auteur nous livre avec le recul de l’âge. A 75 ans, il n’a rien perdu de sa curiosité ni de sa verve. C’est très agréable à lire et remet dans la réalité crue l’imaginaire rural.

Jean-Pierre Jost, Histoires grinçantes et cocasses, 2013, éditions Baudelaire, 125 pages, €12.83

Le site de Jean-Pierre Jost

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Angoisse de liberté

La grande aspiration révolutionnaire est la liberté, tant en 1789 en France, qu’en 1796 aux États-Unis, en 1848 en Europe, en 1871 à Paris, en 1968 dans le monde développé et en 2012 dans les pays arabes. Mais ce qui rend libre rend responsable, chacun devient (plus ou moins) maître de lui. D’où la grande angoisse du siècle : suis-je capable ? Si je ne réussis pas, ne dois-je pas ne m’en prendre qu’à moi-même ? En réponse (pensée éminemment conservatrice, réactionnaire »), est-ce vraiment, entièrement, « de ma faute » ? Fleurissent alors ces théories du Complot qui tentent d’exonérer chaque individu au profit de forces occultes et si puissantes qu’on ne peut rien contre elles…

Mais qu’est-ce que la liberté ?

C’est être propriétaire de soi, maître de son destin et de ses passions, apte à réaliser ses potentialités dans l’existence. Les philosophes coupent comme les cheveux la liberté en quatre, ce qui ajoute à la complexité, mais aussi à la précision du langage. Le concept général de « liberté » recouvre quatre acceptations : la liberté « naturelle » de l’homme doué d’un cerveau, la liberté « civique » du citoyen, la liberté « politique » du peuple, enfin les libertés « réelles » qui permettent l’épanouissement de soi.

  1. La liberté naturelle est celle de faire, par absence de contrainte (être emprisonné, forcé au travail, contraint à choisir telle voie ou à penser telle chose). Le 18ème siècle l’a théorisée en Droits de l’Homme. Individuellement, l’être « doué de raison » doit agir en pleine conscience et avec mesure : c’est ainsi qu’un enfant n’est pas entièrement libre puisque pas fini, qu’un aliéné est irresponsable, qu’un affamé ou un menacé dans sa sécurité a quelque « liberté » de contrevenir aux lois. Mais que l’esclave de ses passions (sexe, argent, pouvoir) ne saurait être au-dessus des lois.
  2. La liberté civique est celle de jouir de ses droits civils. Cette liberté s’arrête où commence celle d’autrui, car l’être humain vit en société : il peut (mais ne peut que) faire tout ce que les lois permettent. C’est le rôle des lobbies de forcer au changement de la loi, parfois pour des « droits » qui concernent d’infimes minorités ; c’est le rôle d’autres lobbies (culturels, religieux, économiques, écologiques) de manifester leur désaccord.
  3. La liberté politique permet à la vie collective d’être consentie par chacun – soit par « légitimité » de la force en régime féodal ou clanique (le faible se soumet volontairement au fort pour demander protection ou reconnaît les liens charnel qui l’obligent), soit par « croyance » en une légitimité divine (celui qui n’est pas « né » ou « oint du seigneur » reconnaît le droit divin de celui qui l’est à le commander), soit par « contrat social » en démocratie (où des élections périodiques permettent à chaque citoyen de « faire les lois » et de « consentir à l’impôt » en désignant ses représentants au Parlement ou son opinion directement par référendum). Être citoyen est sous conditions d’être adulte en pleine possession de ses moyens (en France pas avant 18 ans, sans perte des droits civiques par condamnation, capable, recensé comme national et inscrit valablement sur les listes électorales). L’idée venue du droit antique est celle du travailleur (qui contribue aux impôts), père de famille (qui contribue au renouvellement de la nation) et en âge d’être soldat (qui contribue à la défense de la patrie). Pour tout ce qui concerne le collectif politique, le refus habituel est de manifester, plus radicale est la « résistance » (jusqu’à la révolution parfois, ou le coup d’État) pour faire changer le régime ou l’idéologie, le refus ultime est l’exil (vivre sous d’autres lois).
  4. Les libertés réelles sont les conditions et les moyens qui permettent à chaque individu de se former physiquement, culturellement, professionnellement et civiquement pour devenir ce qu’il est, en pleine possession de tous ses moyens potentiels. Théorisées au 19ème siècle, elles se sont traduites par le concept d’État-providence sous Bismarck en Allemagne (1883-89), Roosevelt aux États-Unis (1933-35), puis Beveridge en Angleterre (1942-45), avant d’être assumées en France par le Programme du Conseil national de la Résistance en 1945-46. Le militantisme syndical, politique, associatif, forcent l’État à aller plus loin, mais l’économie contraint – sans argent supplémentaire, pas de nouveaux droits ; avec moins d’argent, remise en cause partielle des droits « acquis ».

avions 14 juillet

A la lecture de cette énumération, le lecteur comprend vite que LA liberté est une utopie. Elle est un but légitime de l’être humain, mais toujours en devenir, jamais réalisé complètement. En nature, on nait homme ou femme, « sain et normalement constitué » ou avec quelque malformation ; en éducation, on grandit avec ou sans famille, avec ou sans modèles, avec ou sans incitations et stimulations, avec ou sans « bons » professeurs, formateurs ou « maîtres » (au sens des arts martiaux) ; en civisme, les lois contraignent, d’autant plus que l’on n’est pas dans « la norme » sociale du moment ; en politique, le régime sous lequel on vit est plus ou moins démocratique, plus ou moins clanique, plus ou moins ouvert ; en moyens offerts, le Budget permet plus ou moins écoles, formations, assurances, soins, retraites…

Mais il ne faut pas confondre « les moyens » avec ce que les individus en font.

L’éternelle revendication syndicale est celle des « moyens », mais elles servent trop souvent d’excuses aux dérives des organisations (Éducation nationale) ou au gaspillage (formation professionnelle) !

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif – pourquoi faire étudier de force des matières abstraites à un ado qui préfère la pratique ? Faire à Pôle emploi du rendez-vous compassionnel ou du tutorat pour « remplir les papiers », est-ce cela qui va offrir les chances pratiques de retrouver du travail ? Même chose en politique : combien de citoyens ne sont pas inscrits sur les listes électorales ? Combien, inscrits, s’abstiennent ou votent blanc parce que l’offre politique ne correspond en rien à leurs convictions ? Pourquoi certains courants dépassant les 10% des voix ne sont-ils pas représentés au Parlement ? Pourquoi certaines manifestations sont-elles minimisées en nombre et plus réprimées que d’autres ? Pourquoi a-t-on l’impression que certains minoritaires sont « plus égaux » que d’autres ?

L’angoisse naît de la liberté

Elle oblige à se retourner contre soi pour mesurer ses capacités, elle oblige à se comparer aux autres en termes de « droits » et de « moyens », elle oblige à s’adapter à un environnement qui change – et plus vite aujourd’hui que jadis. L’emploi est plus instable, les critères de jugement plus péremptoires (stagiaire trop jeune jusqu’à 30 ans, sénior inemployable dès 45 ans), les compétences exigées plus floues et plus diverses, le couple est plus libre donc plus précaire, l’école plus sélectionneuse et excluante. Chacun doit désormais faire ses preuves tout le temps.

D’où les trois conduites d’adaptation :

  1. La norme avec le « bon élève », les « grandes » écoles et les mafias des réseaux de relations et de famille ;
  2. La révolte avec le contrepied systématique de la norme : jouissance du corps plus que culture de l’esprit, machisme contre le féminisme, violence contre l’exigence d’être « sage », ignorance personnelle revendiquée contre le savoir socialement valorisé, religion dogmatique contre le relativisme culturel et bobo, incivisme haineux contre les bourgeois-blancs-nantis-normaux, croyance aux Complots qui exonère de penser et d’agir…
  3. L’évitement avec le culte du « cool » : se poser socialement en décalé ou « alternatif », artiste maudit, écolo qui coupe les ponts au fond de sa province ; somatiser par la dépression, l’asexualité, la phobie scolaire ou le burn out au travail.

Plus de liberté égale plus de responsabilité. Cela fait peur, suscite l’angoisse, met les individus en face de leurs dons mais aussi de leurs carences. La liberté – comme tout en ce monde forcément imparfait – est la meilleure et la pire des choses. Une angoisse – mais aussi le prix à payer pour évoluer vers plus d’humain, plus d’être. Au fond, c’est par lâcheté et paresse que nombre de gens se livrent aux tyrannies sociales, médiatiques, politiques ou religieuses. Faut-il les plaindre ? Ou avouer qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent ?

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Qualités pour exercer un métier financier

Vous postulez pour exercer sur les marchés financiers ? Vous voulez suivre une formation grande école dans la finance ? Voici ce que vous devrez savoir, mais aussi comment vous devrez être.

Les connaissances ne suffisent jamais, un métier n’est pas un catalogue des acquis. Aptitudes et attitudes comptent plus que les connaissances lorsqu’on quitte les postes d’exécution pour accéder aux postes de décision. Savoir faire est utile ; savoir être devient indispensable.

On disait volontiers, dans la banque des années 1980, qu’un cadre n’avait pas à connaître le métier sur le bout des doigts pour diriger son équipe. Il lui suffisait d’en savoir le minimum pour contrôler : seulement 10%.

Clavier ordinateur

Tout métier exige une triple couche de connaissance, plus encore les métiers de service : 

1/ les fondamentaux de l’éducation et du bon sens pour connaître l’entreprise et son environnement technique, juridique, économique et social, ses règles du jeu, ses outils d’aide à la décision, son système d’informations et son modèle d’affaire.

2/ des aptitudes de comportement pour s’y adapter, analyser les situations, structurer sa pensée et résoudre un problème, se situer dans l’organisation et travailler avec les autres. Être curieux et responsable, savoir apprendre et communiquer – désormais en multilingue et en multiculturel. Savoir prendre des décisions et avoir le sens du résultat, savoir motiver et être reconnu apte à diriger.

3/ les compétences propres au métier exercé. Elles sont techniques et de conduite, un savoir-faire et un savoir-être particulier, adaptés au métier et aux clients.

Le métier de finance est exercé différemment sur les marchés, dans les entreprises ou auprès d’une clientèle privée patrimoniale. Le savoir-faire est proche mais le savoir-être est spécialisé.

Les marchés exigent un haut niveau de connaissances techniques mais aussi une capacité de trier des informations innombrables à flot continu, à les synthétiser pour l’action. Car les intervenants sur les marchés sont des décideurs, de véritables entrepreneurs en leur domaine.

Ce qui implique d’avoir de la curiosité, d’aimer chercher, creuser l’analyse hors du flux courant des nouvelles.

Mais aussi d’avoir le bon sens du risque, cette faculté à ne pas aller trop loin dans ce qui se calcule, à garder la raison à sa place – éminente mais pas unique – pour laisser aux intuitions et à l’instinct leur domaine. Ce que la langue anglaise appelle « intelligence » va bien au-delà de la seule rationalité propre au terme français. Certes, tout est probablement rationalisable, mais nos capacités actuelles de calcul comme d’utilisation de notre cerveau ne sont pas à la hauteur. Il subsiste une part de mystère qui n’a rien à voir avec la superstition mais avec le calcul intuitif, non formalisé, l’analyse par analogie et mémoire, les probabilités, tout ce qu’on appelle faute de mieux l’intuition ou l’instinct du chasseur.

Les marchés font ce qu’ils veulent, mais leurs acteurs sont humains et les figures se répètent, chaotiques mais avec des îlots de cohérence. Les hommes d’expérience savent naviguer sur cette mer changeante et guider à bon port la barque secouée en chemin.

Reste, comme capacité majeure du métier, à bien communiquer. Pour expliquer où l’on va, les risques que l’on est prêt à prendre et quelles techniques sont utilisées. Cela pour motiver les équipes, présenter un scénario compréhensible au public via la presse, et dire aux clients comment l’on s’occupe d’eux. Il faut donc savoir être clair, parler avec conviction en public et rédiger correctement, sans jargon ni flots de chiffres. Pouvoir raconter l’histoire, c’est donner une cohérence à son action.

La finance d’entreprise est plus orientée vers la performance financière, via la collecte des informations et la mesure du risque. Il s’agit d’intégrer normes et règles de droit, de maîtriser comptabilité et analyse, d’avoir l’esprit d’efficacité et d’impartialité. Pas de décision politique ici, comme sur les marchés, mais l’identification des priorités pour présenter un tableau de bord chiffré, utilisable par les dirigeants. Car eux restent les véritables entrepreneurs.

La clientèle privée patrimoniale a besoin d’être guidée et rassurée. Les connaissances techniques sont mises au service des besoins, le savoir-être au service des attentes. Mieux vaut être bon commercial que bon technicien dans ce métier. Négocier est la base, savoir dire non une qualité, vendre un service plus qu’un produit l’objectif. Car la relation se construit avec le temps, sur le long terme. Elle a pour base la confiance, qui ne se bâtit qu’avec ce mixte de compétences techniques, de savoir-être à l’écoute et de capacité à analyser chaque situation. La psychologie l’emporte sur les produits, la relation sur le marketing. Rigueur et sens du risque en sont les traductions dans le comportement. Ce qui va avec l’aptitude à demander conseil aux spécialistes de chaque sujet et à ne pas prétendre tout savoir.

Selon que vous choisirez l’un ou l’autre, votre métier vous changera. Si vous vous y sentez bien vous serez un bon professionnel, apprécié pour ses capacités et son expérience.

Mais l’on ne va jamais dans un métier sans y être attiré :

  • par le risque sur les marchés,
  • par l’analyse chiffrée en entreprise,
  • par la relation en clientèle privée.

Selon que l’on a tel tempérament, le métier va l’affiner, le révéler, l’épanouir. A chacun de choisir sa voie pour y être reconnu.

L’auteur de cette note a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il enseigne depuis plusieurs années dans le supérieur, en Bachelor et Masters.

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Arthur D. Little

Arthur est un roi très connu; il mange autour d’une table ronde.

Arthur est aussi un caleçon pour homme; à rayures ou à petits carreaux, il coûte dans les 35€.

Arthur est encore un petit garçon né en 2006 ; il a rencontré dans un trou les Minimoys (ces mini mois narcissiques d’époque).

arthur et les minimoys

Arthur D., comme Desperate Student était une rencontre 2010 ; toujours curieux des autres, je l’ai évoqué dans mon blog Fugues & Fougue aujourd’hui disparu. L’article est encore lisible sur Paperblog et Ideoz (1029 lectures).

Il n’a pas changé aujourd’hui, refusant de grandir. Arthur D. Little prend donc le nom de petit Arthur, homonyme (sans rapport) d’un célèbre cabinet de conseil en stratégie fondé en 1886.

Citations favorites, du temps qu’il était sur un réseau social bien connu : « Philosopher n’est qu’une autre manière d’avoir peur et ne mène qu’aux lâches simulacres. » Où l’on voit qu’intelligence sans caractère n’est que faiblesse de l’âme. Ou encore : « La Grande Crise confirma les intellectuels, les militants, les citoyens ordinaires dans la conviction que quelque chose était foncièrement vicié dans le monde qui était le leur. » Nous y voilà. Arthur Little se sent étranger dans le monde adulte, français, contemporain. Il n’aurait jamais du quitter le giron de l’école, il aurait pu faire une prépa après Louis-Le-Grand parce qu’il y réussissait bien (1er accessit en thème latin), enfin poursuivre sur les rails tracés par l’institution. Cela l’aurait au moins mené quelque part, peut-être jusqu’à la maturation adulte. Mais Arthur n’est pas en phase avec ses condisciples, qu’il juge épidermiques au sens physique et mental ; ils ne songent qu’à se frotter dans les teufs après s’être anesthésiés aux substances alcooliques et poudreuses, avant de reprendre le collier des idées reçues, des habitudes hétéro bien vues et des opinions politiquement correctes. (La satire d’une conversation de café entre une étudiante et un étudiant valait la lecture !)

Arthur D. a tenté une première année de fac en philo par goût de la théorie, puis a laissé tomber pour cause d’enseignants confits en administration (j’arrive, je dicte mon cours, je m’en vais, je ne suis pas payé pour le reste). Aucun copain étudiant, chacun pour soi, le seul attrait éventuel était entre mâles et femelles. Quel avenir ? La seule profitation ? La reproduction fonctionnarisée du système ? No future : « En France, l’université fonctionne pour les profs et l’administration, pas pour les élèves. » Aujourd’hui 25 ans, Arthur D. Little ne fait rien. Que lire des livres, se promener dans Paris, parfois écrire. Ce qui n’est pas si mal, au fond quand on ne sait pas quoi faire.

[La photo ci-contre n’est pas lui, mais il y a un vague air…]

ephebe on dirait arthur

Ces derniers temps, il s’est retiré du réseau social et a supprimé son blog. Ce n’est pas la première fois, il me disait déjà en 2010 : « je crois que je ne vais pas tarder à supprimer le blog  (de même que j’ai déconnecté mon compte Facebook) ». Il alterne ainsi entre volonté de s’ouvrir aux autres et de se refermer sur lui. Il veut être reconnu, puis rester ignoré. Peur d’être adulte, d’assumer ses idées, ses relations, son être. Il plutôt goûté en 2010 ce que j’ai écrit après notre première rencontre : « J’ai lu le joli article que vous m’avez consacré sur le blog. Il est bienveillant et fidèle à ma réalité actuelle. Vous m’avez compris. J’aime bien aussi la photo des chaussures adolescentes vertes-grises un peu usées comme une métaphore de mon existentialisme ». Je l’avais senti, il rêve d’abolir le temps pour rester Peter Pan, l’adolescent perpétuel comme le Justin Bieber d’époque qui est un peu son idéal sentimental. Il lui faudrait un père mais ce n’est pas mon rôle. « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé », dit le renard au Petit prince ; je suis responsable, donc « bienveillant ».

Arthur écrit bien, mais au fil de la plume, répugnant à mettre de l’ordre dans l’anarchie du désir et le flux pulsionnel. Cela convient à la littérature où il montre quelque don, moins à la réflexion, bien qu’il tâte de l’essai. Il fait « trop long et trop touffu », comme lui disaient déjà ses profs au lycée. A l’ère du texto et du zapping, cela ne passe plus. Autant n’écrire que pour la secte de plus en plus restreinte des intellos « d’un haut niveau théorique », comme me disait récemment une attachée d’édition. Quel haut niveau théorique ? Je ne crois qu’à la connaissance, pas au jargon qui manipule le savoir. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », disait si justement Nicolas Boileau dans son Art poétique en 1674 ! Le reste est pensée confuse ou cuistrerie.

Arthur D. Little se veut plutôt décalé, un peu à l’écart du monde. Il écrit pour l’abstraction qu’est « l’autre », le lecteur anonyme. Puis parfois prend peur de ce qu’il a livré, et efface, supprime et se retire. Il angoisse parce qu’il a mal au siècle et ne connait pas le diagnostic. D’où ses explorations d’auteurs, ses plongées dans la psyché, son analyse de la « barbarie désirante », puis ses découragements successifs : « Il m’arrive de me dire que je vais tout arrêter, qu’écrire ne sert à rien, que ce blog lui-même n’a pas de validité étant donné qu’il n’est lu que par le cercle restreint… »

Va-t-il revenir ? Son regard manque, le lien s’est distendu mais il subsiste.

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Maître et esclave chez Nietzsche

Les termes de « maître » et « d’esclave » ont pris de nos jours des déterminations absolues qu’il faut relativiser. En concept philosophique, le maître est sujet et l’esclave objet. Pour Nietzsche, le premier possède une énergie vitale qui déborde en création et en jeu, imposant sa façon de voir et posant des actes. Le second a une faiblesse intrinsèque qui le fait se réfugier dans le groupe, obéissant à un chef, à une communauté, un règlement, à une morale extérieure à lui-même, par confort de suivre et de reproduire plutôt que d’inventer. L’esclave jalouse le maître qui déplore l’épuisement de l’esclave.

Randonneur sur montagne Caspar David Friedrich

Chez Nietzsche, ces positions philosophiques (et non pas sociales) sont existentielles (et non pas essentielles). Est esclave, dit Nietzsche, celui qui ne dispose pas des deux-tiers de son temps. Le travail aliène, comme le devoir, les idées reçues, l’opinion, la famille, les rituels sociaux – les choses qui se font. L’épouse, les enfants, les parents, l’amitié sont un bonheur si l’on choisit le moment et la distance – pas s’ils sont un boulet à traîner. Travailler n’aliène pas si l’on est créatif, entreprenant, si l’on possède son métier au lieu d’être possédé par lui. Il faut avoir le respect de soi.

Entre maîtres et esclaves joue la dialectique. Elle pousse les premiers à s’affirmer par rapport aux seconds, à se réinventer sans cesse, à aller de l’avant avec une énergie inépuisable ; elle pousse les seconds à envier les premier, à tenter de les égaler, à unir leur faiblesse pour améliorer leur sort. Chacun peut être maître dans son domaine, esclave à la maison ou à la boutique et maître ailleurs, dans l’orchestre ou sur le dojo par exemple. Chacun peut être maître et esclave à l’intérieur de soi, cédant parfois à ses instincts, d’autres fois dominant et organisant ses passions.

L’idéal est cependant d’être maître de soi, Maître en soi, pleinement homme supérieur. Il faut alors se préoccuper de développer toutes ses qualités cachées, s’informer et penser par soi-même au lieu de suivre le troupeau de la foule, du parti ou des potes. Il faut donc être « fort » pour résister à la facilité de céder aux premiers entraînements venus.

maitre aikido

Ce pourquoi Nietzsche dit du maître qu’il est un aigle, solitaire dans l’éther, regard aigu, ailes larges et serres puissantes. L’esclave, par contraste, est mouton bêlant dans un troupeau, sous la houlette d’un berger et cerné par les chiennes de garde. Le maître est créateur : loin de suivre ou d’imiter, il invente, il se brûle dans chacun de ses actes comme Galilée sur le bûcher de l’Inquisition ou Jeanne d’Arc, hérétique selon l’évêque Cauchon.

Aucun maître ne peut jamais être intégriste : il ne lit rien pour l’appliquer littéralement. Il ne croit personne aveuglément, surtout pas les prêtres ou les intellos qui se posent en intermédiaires de la parole de Dieu, de l’Histoire ou de la Morale ! Le maître transpose et transforme ce qu’il entend et ce qu’il voit selon ce qu’il est, il l’adapte à ce qu’il veut. Ce qui compte avant tout est sa volonté propre et non pas l’impératif catégorique divin, moraliste ou de mode.

Est-ce à dire qu’il crée sa propre morale ?

Oui, dans le sens où ce qu’il fait, c’est LUI qui le fait et pas un Principe abstrait. L’être humain « maître » n’est pas agi par le destin ou les conventions : il agit. Il est responsable : ni fonctionnaire d’un Règlement divin, ni servant d’une morale ‘naturelle’ qui n’existe pas, ni soumis aux diktats « scientifiques » des savants qui se veulent gourous ou du politiquement correct de la mode intello.

Non, dans le sens où, tout maître qu’il soit, l’homme supérieur appartient à une société avec ses traditions et son milieu. Il n’est pas seul mais inséré dans de multiples liens : verticaux de générations et horizontaux de famille, d’amis et de collègues. Ce qui le distingue de l’esclave est qu’il n’obéit qu’en tant qu’il adhère, selon ce que Rousseau réclamait des démocrates. Le maître est maître de soi et de son existence, il est heureux ici bas. S’il désire une autre position, il s’emploie à l’obtenir.

esclave nu torture michel ange

L’esclave au contraire rêve d’être conforme, conservateur et non pas créateur. Il rêve d’absolu déjà écrit et non pas d’aujourd’hui à écrire, de Grands Principes intangibles et non pas d’actes individuellement responsables et historiquement contingents. Il lira la Bible ou le Coran en intégriste, littéralement, surtout sans l’interpréter – il a bien trop peur d’oser ! Il croira aveuglément les climatologues sur la catastrophe à venir et les éthologues sur la violence héréditaire. L’esclave – celui qui n’est pas maître de lui – cherche consolation à son impuissance, se glorifie de sa couardise dans la chaleur du bétail. Il cherche désespérément à « être d’accord » avec celui qui parle, jaloux d’égalité faute d’être par lui-même. Si l’autre ne pense pas comme lui, cela l’énerve, le désoriente et il devient grossier. Il injurie celui qui est différent plutôt que d’argumenter pour le comprendre : il a bien trop peur de se remettre en cause !

Si le maître veut devenir ce qu’il est (trouver la voie dirait le zen), l’esclave cherche surtout à devenir ce qu’il n’est pas, refusant ce qu’il sent en lui-même : son énergie, ses désirs, ses passions. Il a peur de la vie qu’il sent bouillonner en lui, il refoule ses instincts, il brime ses passions, ignore toute logique ; il se mortifie, fait pénitence, se confesse, s’autocritique. Il se veut conforme aux Principes, non pas être vivant mais robot désincarné, passe-partout socialement acceptable, politiquement correct et fonctionnant rouage. L’esclave est agi par les modes, la morale commune et les Grands Principes, il est malheureux ici bas et dans sa condition, il ne rêve que de compensations ultérieures (la société sans classes) ou au-delà (le paradis terrestre). Toujours demain ou ailleurs, c’est plus facile que d’exister aujourd’hui en s’affirmant…

Il est simple d’être esclave, dit Nietzsche ; beaucoup plus difficile d’être maître.

Est-ce pour cela qu’il faut céder à ses penchants pour la paresse et laisser tomber ? Surtout pas ! La voie est étroite mais elle offre une vie bien plus exaltante. Nous sommes tous en partie maîtres dans certains domaines et esclaves pour le reste. Mais il nous appartient de développer notre maîtrise : cultivons notre jardin, disait Voltaire !

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Déboires techniques à Tahiti

Explosion et incendie sur un vol d’Air Tahiti, une grosse frayeur. Le moteur de l’avion en partance pour l’île de Raiatea a pris feu au décollage de l’aéroport de Tahiti-Faa’a. En urgence, le pilote a coupé le moteur et fait demi-tour. Un incident majeur qui bouleverserait les plans de vols de la compagnie… Rien ne va plus à Air Tahiti. Pannes, incidents à répétition. C’est la faute à Pas de Chance ? Plusieurs incidents, dont deux graves en 14 mois. Alors, loi des séries ? défauts de construction ? défauts de maintenance ? sur les ATR 72 de la flotte locale, mais aussi pannes à répétition sur le Twin Otter desservant Ua Pou aux Marquises. Peut-être encore une histoire de tupapau ?

Air Tahiti Nui

D’abord l’incendie, ensuite le vol de cuivre sur le câble à Hawaï, pépins successifs confirmés par Hawaiian Telecom. C’est qu’ici au milieu de nulle part ce fameux câble nous arrive d’Hawaï. Ce serait un SDF qui aurait volé le câble en cuivre, may be pour le revendre aux Chinois ?

gamin testant ses muscles

« Une arrivée digne de vidéo-gag » titrait  la Dépêche de Tahiti en contant le retour des internes originaires de Rapa au collège de Tubuai (Australes). Les élèves au retour des vacances scolaires (mi-décembre, mi-janvier) dans  leur île lointaine après une nuit passé à bord du bateau administratif Tahiti Nui, et avec plusieurs heures de retard ont pu enfin mettre pied à terre. Les enfants quittent le Tahiti Nui qui peut entrer dans le lagon mais n’arrive pas jusqu’à l’épi et montent à bord d’une des baleinières, la seconde étant hors service. Mais, le moteur de la baleinière est tombé en panne à mi-chemin entre le Tahiti Nui et la rive.

Il n’y avait pas de rames sur la baleinière. Les hommes d’équipage ont emprunté celle (une seule !) d’un jeune pratiquant le vaa (pirogue polynésienne) pour pagayer chacun leur tour et tenter de guider l’embarcation jusqu’à bon port ! Les marins, à petits coups de rame, ont amené la baleinière sur le récif et l’ont faite passer tant bien que mal, puis ils l’ont tirée à la nage jusqu’à la plage, enfin au petit quai. Les jeunes étaient épuisés, somnolents, affamés et ont finalement rejoint le collège dans le truck qui était venu les attendre la veille au soir. Il est fort possible que le travail scolaire de ce lundi matin n’a guère été à la hauteur des espérances ! Imaginez la vie de ses petits pensionnaires de 11 ou 12 ans séparés de leur famille pendant un trimestre et qui ne retournent pas volontiers au collège.

Au fait, c’était qui le ou les responsables de cette farce ? Hein ? Je n’entends pas bien ! Oui, oui, c’est la faute au popaa qui a construit la baleinière et à celui qui a construit le moteur de celle-ci. Bravo ! Il faudra bientôt remplacer popaa (blanc) par tinito (chinois) puisque tout vient de Chine.

Hiata de Tahiti

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Évaluer un étudiant

L’évaluation fait peur en France, société de Cour, où le « classement » est tout de suite ressenti comme « social », donc élitiste ou méprisant. Le prof intégré à l’Éducation nationale estime avoir acquis un « statut » qui le mettrait à l’abri de toute remise en cause, notamment via son évaluation. Ce pourquoi les incompétents pédagogiques sont si nombreux, mal choisis, pas aidés et confortés contre vents et marées par leurs syndicats maisons.

L’évaluation est cependant nécessaire pour trouver sa place dans un cursus d’études, une entreprise et même la société. Profondément conservatrice est la conception du statut à vie, qui ne remplace la « naissance » d’Ancien régime que par le concours passé une seule fois vers 20 ans. Évaluer, c’est évoluer. Non pas « stigmatiser » (mot d’autant plus à la mode que son étymologie est religieuse), non pas marquer d’infamie un état quasi biologique de crétinisme ou d’excellence avec morgue, mais faire le point sur la maturité, l’équilibre et le désir d’avenir.

Ce pourquoi tous les jurys sont un peu une cooptation, que le vocable de « concours » dans la fonction publique masque mal. L’Administration choisit les candidats formatés à l’Administration – jamais les autres, même s’ils ont de bonnes notes à l’écrit. Il y a donc beaucoup d’hypocrisie à dire que le concours est neutre, ou même « républicain ». Un tirage au sort après sélection de niveau (l’écrit) aurait tous les critères de neutralité requis. Gageons qu’il brasserait un peu mieux la sociologie du fonctionnariat, ENA compris !

Dans le privé, l’évaluation est plus large et beaucoup moins élitiste que dans l’Administration. Ce qui compte est d’être adapté à ce que l’école pour l’étudiant, l’entreprise pour le candidat, attendent. Adapté ne signifie pas formaté. C’est bien une réflexion de professionnel de la politique, en général issu de la fonction publique, que de croire qu’une entreprise exige du « formaté » ! Seule une administration exige que ses éléments « fonctionnent », obéissant aux « règlements » sans état d’âme. L’entreprise exige de l’initiative, de la communication, de la souplesse d’adaptation. Ce pourquoi les ex-fonctionnaires sont si mal à leur aise dans les ex-monopoles d’État plus ou moins privatisés : France télécoms, la Poste, la SNCF…

Il est donc très utile qu’au contraire de l’Université (qui ne forme que des sachants, pas des opérationnels), les écoles professionnelles mettent les étudiants dans le bain de l’évaluation très tôt. C’est le cas des écoles de commerce, bien moins élitistes que les « grandes » écoles visant la politique comme Science Po ou l’ENA. Car il y a quatre façons d’accéder aux écoles de commerce :

  1. À bac+2 avec le concours Passerelle 1 ou après une Prépa scientifique ou commerciale
  2. À bac+3 avec le concours Passerelle 2
  3. À bac +5 ou 6 directement en Mastère spécialisé
  4. Après plusieurs années en entreprise par la formation continue

Pour les évaluations Passerelle, les étudiants ont entre 19 et 25 ans. Ils ne sont pas « finis », encore adolescents et plutôt naïfs, surtout en France où le système scolaire maintient dans la sujétion infantile jusqu’à 18 ans : pas de responsabilités dans le lycée, pas de tutorat de plus jeunes, pas de travaux en équipe, pas de rôle social… Uniquement du bachotage matheux pour « classer » les « meilleurs » admis en S et les « nuls » relégués ailleurs. Mais se distinguent deux groupes : les Prépas et les bac+2.

Lors des entretiens de jury, les Prépas apparaissent mieux « formatés », ils ont appris à bachoter, mais ils n’ont rien vu de la vie. Si leur famille ne les a pas emmenés petits, ils n’ont pas voyagé, ils ont quitté le sport l’année du bac, n’ont jamais travaillé l’été ni œuvré en associations. Toute leur existence s’est polarisée dans le bachotage continu « pour les études », ce qui les laisse abstraits d’esprit, maladroits dans les relations humaines et sans initiatives. Ils désirent rester « encadrés », ne trouvant leur autonomie que fort tard dans la vie, au-delà de 30 ans.

Les bac+2 ont choisi la filière courte des IUT, DUT ou une expérience universitaire. Ils sont unanimes : surtout pas poursuivre à l’université ! Les enseignements restent théoriques, voués à former des chercheurs ou des profs plutôt qu’à préparer à la société réelle qui produit. Chacun est livré à lui-même, sans aucune aide pédagogique, sans aucun partenariat pour les stages, avec de rares associations. Cette réflexion, opérée tôt, donne des étudiants plus ouverts, qui ont vu et pratiqués plus de choses : les voyages, les petits boulots, les sports, les associations.

Le jury a pour but de sélectionner les étudiants les mieux aptes à suivre les enseignements de l’école, mais aussi à s’y trouver heureux. L’investissement financier – au contraire de l’université – exige de se tromper le moins possible, surtout pour l’étudiant. C’est donc lui rendre service de ne pas le sélectionner lorsqu’il n’est manifestement pas fait pour une école de commerce. Cela n’enlève rien à ses qualités intellectuelles (il a passé l’écrit avec de bonnes notes) ni à ses qualités humaines, mais lui évite de perdre du temps à se fourvoyer dans une voie qui n’est pas faite pour lui.

Que demande-t-on d’un candidat ? Qu’il soit autonome et responsable, qu’il soit ouvert au monde et aux autres, qu’il sache structurer sa réflexion et soit honnête avec lui-même, qu’il soit intéressé par le monde de l’entreprise et motivé par l’école où il postule. On le voit, ce n’est pas grand-chose – et en même temps, cela fait tout. L’entretien compte pour près des deux-tiers de la note finale qui permettra l’accès aux places. Le parcours-type (Bac S + IUT de gestion ou Prépa maths) n’est pas obligatoire – des « littéraires » ou des étudiants ayant travaillé tôt réussissent aussi bien ; le projet professionnel non plus. Ce qui compte est avant tout que la personnalité du candidat colle avec le cursus proposé à l’école, qu’il trouve sa place. La première année lui servira à tester les différentes matières s’il n’est pas décidé.

Avec l’expérience, il ne faut pas un quart d’heure pour évaluer un étudiant. Le jury passera néanmoins 30 mn avec chacun pour lui laisser le temps de répondre aux incertitudes de son CV, de poser ses propres questions et d’aborder tout sujet qui lui tiendrait à cœur. Il y a les immatures avec potentiel, pas encore adultes mais qui le deviendront dans l’ambiance ouverte et active de l’école ; il y a les imbus d’eux-mêmes qui croient en leur excellence malgré des lacunes évidentes. Il y a le grand nombre, peu formés au lycée, qui savent mal s’exprimer et n’utilisent pas les mots dans leur sens correct.

J’ai ainsi entendu un candidat argumenter sur la compétitivité de la France : « il faut baisser les salaires ! » – en creusant un peu, il voulait dire les charges sociales… Un autre déclarer qu’il fallait en entreprise « toute sa place à l’individu » – il voulait dire à l’humain… Une dernière affirmer qu’elle lisait ‘Le Monde’ tous les jours – en fait les gros titres sur son iPhone et le résumé quand ça l’intéressait…

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Le normal-socialisme

La fin du népotisme et des oukases présidentiels, le retour aux corps intermédiaires, à l’indépendance de la justice : le règne commençant de François Hollande et de son Premier ministre Jean-Marc Ayrault, fils d’ouvrier du textile et méritocrate républicain, ressemble fort au radical-socialisme relouqué, une sorte de « normal-socialisme » pour président « normal », un bruit de fond politique dans la société française.

Mais prendre le pouvoir est une chose, l’exercer une autre. L’anti-sarkozysme primaire n’a jamais fait un projet, « revenir » sur les réformes de l’hyperprésident ne dessine aucun avenir… mais la fin de laborieuses économies budgétaires qu’il va falloir compenser par ailleurs. L’économie va mal dans la réalité et le déni va sans souci dans l’opinion de gauche. La mauvaise Grèce vient justement de se rappeler aux membres de l’Union. Elle refuse à la fois l’austérité et la sortie de l’euro, rejette son élite aux commandes et la discipline collective, ne veut pas payer d’impôts ni de tutelle budgétaire… D’où la montée des extrêmes, dits « populistes » pour dire leur immaturité violente : les gauchistes et les nazis, le Mélenchon et la Marine à la grecque. Avis de dérive possible à la gauche au pouvoir.

Contrer l’extrémisme veut dire donner des voix aux courants populaires. Cela passe par une dose de proportionnelle, peut-être, mais surtout par un rôle réévalué du Parlement où doivent être débattus dans la sérénité et la durée les grandes questions de société et d’économie. La « normalité » de la Vème République est que le président règne et que le Premier ministre gouverne, chef de la majorité parlementaire mais pas dispensé de ses avis. La normalité des institutions exige que les contrepouvoirs remplissent leur tâche sans interférence du politique, ni des partis, ni des ego des puissants. Cela passe aussi à la base par les associations, les syndicats, les débats publics, les référendums locaux, la presse locale, les blogs, les réseaux sociaux… Être citoyen, c’est participer, pas se retirer dans l’entre-soi en remâchant ses rancœurs sur le « tous pourris » ou « l’État PS ».

Le socialisme Hollande n’est pas le socialisme Mitterrand et 2012 n’a rien à voir avec 1981, n’en déplaise aux histrions médiatiques qui adorent les rétrospectives (ce qui leur évite de réfléchir et d’inventer). L’étatisme jacobin des nationalisateurs taxeurs n’est plus d’actualité. Nous vivons dans le monde ouvert du XXIème siècle, pas dans la nostalgie du marxisme bismarckien début XXème. L’industrie lourde fond à vue d’œil et peut-être faut-il s’en préoccuper, mais il faut surtout encourager l’innovation, l’image de marque et le service !

Ce ne sont pas les subventions d’État qu’il faut aux Français, mais moins de paperasserie pour créer une entreprise, moins d’obstacles à toute réduction d’effectifs en cas de crise – ce qui rend l’embauche malthusienne – moins de mépris pour « le profit » s’il est réinvesti pour créer de l’activité, donc de l’emploi et des exportations, moins de mathématisation du cursus scolaire, la réévaluation des relations humaines et des réalisations en équipe. Vaste programme pour le normal-socialisme !

Mais n’est-ce pas cela avant tout, « changer la vie » ? Bien plus que rêver d’une utopie (qui n’a jamais que des bons côtés) ou régresser à un âge d’or (qui n’a jamais existé) ? On a vu ce qu’a donné l’utopie communiste en URSS, en Chine, à Cuba, au Cambodge… On a oublié que l’âge d’or des Trente glorieuses de la reconstruction et l’État-providence créé en 1945, ont généré les guerres coloniales, les rapatriés d’Algérie, la révolte fiscale des artisans-commerçants, les manifs d’agriculteurs excédés de « Paris et du désert français », les attentats OAS, le travail en miettes, l’homme unidimensionnel aboutissant à la révolte de mai 68 et l’effondrement des houillères et de la sidérurgie…

Le capitalisme actuel est moins industriel et familial (rhénan) que financier et anonyme (anglo-saxon). L’Allemagne, le Japon, la Chine, l’Inde, montrent que le capitalisme industriel est le seul qui donne la puissance aux États, alors que le capitalisme financier reste hors sol, cosmopolite, égoïste, évanoui dans les paradis fiscaux. La question est alors moins de savoir gérer l’existant (la finance) que d’encourager l’intérêt stratégique national et européen (l’industrie). « Dompter » la finance ne devrait donc pas suffire au normal-socialisme.

Le contraste allemand montre combien la France est loin de l’état d’esprit nécessaire ! En France : une éducation vouée à l’abstraction, le tabou sur l’apprentissage, le mépris de l’argent au profit des « honneurs », la lutte des classes permanente entre syndicats (très peu représentatifs et surtout du public) et les patrons (pas tous profiteurs), la propension des jeunes à vouloir « devenir fonctionnaires » à 70%, les 35h et la retraite à 60 ans, les quatre mois de vacances des enfeignants et les journées chargées des enfants, les « devoirs » à la maison et le jugement ultime sur les seuls maths pour « classer » les bons et les nuls, l’ouverture sans filtre de l’université où 70% des premières années n’atteignent jamais la troisième, générant un gaspillage de moyens et des rancœurs d’orientation…

L’apaisement normal-socialiste de la France passe par l’examen de ce qu’a réussi l’Allemagne. Il ne s’agit pas de copier un « modèle » (vieux tropisme scolaire des abstracteurs français mal éduqués par le système), mais de voir comment nous pourrions changer en mieux : des jours de classe moins chargés, des vacances plus courtes, des enseignants moins nombreux par élève mais mieux payés, des activités collectives, l’apprentissage en alternance, des syndicats bien plus représentatifs, la cogestion de crise syndicat-patronat, l’implication des collectivités publiques dans les entreprises d’intérêt stratégique, une paperasserie bien moindre et moins de taxes sur l’emploi et les revenus du travail. Rien que cela !

Mais l’égalité, dit Pierre Rosanvallon (La société des égaux), est la capacité à se comporter en égaux : ce qui signifie être autonome, responsable et indépendant. Tel est le normal-socialisme : l’’inverse de la victimisation Royal ou du care Aubry où un État-maman distribue la becquée et les soins aux milliers de pauvres assistés réputés incapables et maintenus sous tutelle. Le normal-socialiste se constitue en égal des autres par l’éducation, les liens sociaux et l’intelligence des situations – au contraire de la gauche tradi qui croit encore à l’État niveleur rendant tout le monde pareil.

La société devient plus complexe parce que l’individualisme s’approfondit avec la démocratie, Tocqueville l’avait déjà montré. La représentation politique ne peut dès lors plus passer seulement par les grandes machines de masse que sont les partis, ni la politique consister à imposer d’en haut des décisions technocratiques ou partisanes. Il faut plutôt écouter, faire remonter, expliquer, débattre, négocier. Associer la population et les qualifiés aux décisions, montrer qu’il y aura toujours des perdants à tout changement d’une quelconque situation, mais que l’intérêt national et européen doit primer. Que la dépense publique ne va pas sans rigueur budgétaire et que trop d’impôts tue l’impôt. Fini le « toujours plus ! », place au réalisme.

Non, 2012 ne ressemble en rien à 1981. Le socialisme à la française serait-il devenu « normal » ? Semblable aux autres socialismes européens ?

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Alexander Kent, Victoire oblige

L’aventure… Les adultes trouvent cela gamin et de toutes façons lisent peu ; les adolescents ne lisent plus, sauf quand tous leurs copains en parlent comme le phénomène Harry Potter. Dommage, car Alexander Kent est un grand romancier d’aventures populaires. ‘Victoire oblige’ est le 14ème de la série, toujours aussi prenant et humain. Son héros est le capitaine devenu contre-amiral Richard Bolitho, même pas fait Sir après ses exploits nelsoniens dans la Baltique…

Nous sommes en 1801 et Napoléon, comme avant lui Guillaume et après lui Hitler, songe à envahir la perfide Albion. L’île n’a pour se défendre que sa marine, équipée par la presse, c’est-à-dire la rafle sur les côtes et dans les prisons d’hommes et d’adolescents valides pour servir le roi. La marine à voile et en bois exige beaucoup de bras pour tirer les cordages et parer aux manœuvres. Bolitho commande une escadre, mais réduite parce que la guerre avec la France révolutionnaire dure depuis 8 ans.

Des pourparlers de paix sont en cours et les politiciens sont comme tous les politiciens, des faux-culs. Ils exigent des militaires le maximum, mais les trahissent à la première éclaircie. Bolitho est envoyé dans le golfe de Gascogne pour surveiller la flotte de chaloupes et péniches de débarquement préparées par les Français. Elles remontent lentement vers la Manche et il s’agit de les retarder au maximum, voire de les détruire car les politiciens français négocient par devant et préparent l’invasion par derrière. Mais l’un des Lords de l’Amirauté, fin stratège, qui donne ses ordres à Bolitho, meurt. Dès lors, le contre-amiral n’a plus de protecteur : à lui de décider des ordres qu’il a reçus. S’il réussit, ce sera patriotique, s’il échoue il sera méprisé et renvoyé. C’est ça la politique…

Bolitho est un battant. Il aime la mer, le mouvement du bateau sous lui, et les hommes qui l’entourent, des jeunes mousses gargoussiers jusqu’aux officiers dont beaucoup ont été aspirants dès 12 ans sous ses ordres, jadis. Ce qui lie les hommes entre eux est l’aventure, la mer cruelle et les batailles où le feu rend presque fou. Qui sait garder sa raison et commander à bon escient est le maître. Celui qu’on respecte parce qu’il décide, tout en restant conscient de la dignité de chacun malgré les galons qui séparent. Ses marins appellent le contre-amiral Dick Égalité parce qu’il a des hommes une conception moderne, presque « révolutionnaire » bien qu’Anglais.

Bolitho a su s’entourer et ce sont ces hommes qui le font autant qu’il les entraîne à la victoire. Son neveu Pascoe, second d’un autre navire, Herrick, commodore de la flotte sous ses ordres, Allday son domestique, jusqu’au jeune garçon Stirling, aspirant de 14 ans pour qui le contre-amiral est un dieu. L’existence est rude au combat, surtout pour de jeunes âmes au physique encore fluet qui doivent commander à des adultes. Mais l’exemple des aînés, officiers comme eux, l’exemple des pairs, aspirants comme eux, la protection bougonne de quelques vieux boscos qui trouvent leur jeunesse touchante, font de ces gamins des hommes en devenir. Les traumatismes en sont moins lorsqu’ils sont replacés à leur juste place par toute la société à laquelle vous appartenez.

Bolitho a une fiancée qu’il aime profondément mais qu’il doit délaisser pour accomplir sa mission et « sauver le monde », du moins le sien, ce monde anglais où la domination des mers reste le poumon vital du commerce et de la prospérité. Une femme peut-elle comprendre cette dette d’honneur des hommes entre eux ? Oui, elle le peut si elle aime. Et Bolitho est comblé. Il réussira sa mission, bien sûr, ramènera son neveu et le jeune aspirant Stirling à bon port, puis se mariera…

Happy end, non sans des pages haletantes de scrupules et d’action. Bolitho est ménager des hommes, il sait ce que coûtent les combats de navires. Il a peur, comme chacun, il doit prendre les décisions stratégiques tout seul, malgré les conseils de prudence avisés. Il est celui qui décide, donc celui qui est responsable. Angoisse du commandement… Mais le spectacle de ces aspirants presqu’enfants qu’il a formé, devenus aujourd’hui des hommes posés commandant les bâtiments, est là pour lui montrer qu’il n’a pas failli.

C’est ce mélange de doutes et de décision, d’affectivité et de rigueur, d’honneur et d’humanité, qui fait tout le prix de ces aventures. Douglas Reeman a pris le nom d’un de ses camarades marins mort au combat durant la Seconde guerre mondiale, pour dire la vie de la marine. Pour notre bonheur malgré le fait que notre nation soit désignée comme ennemie. Dommage que les éditions Phébus ne mettent les tomes qu’au compte-gouttes sur le marché. Ils ont été publiés dès 1981, pourquoi tant de lenteur ? C’est un beau cadeau de Noël pour un jeune adolescent et un rare plaisir pour les adultes qui aiment la vie à bord.

Alexander Kent, Victoire oblige (A Tradition of Victory), 1981, Phébus poche Libretto, juin 2011, 373 pages, €10.45

Un autre Alexander Kent chroniqué sur ce blog

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Albert Camus, La Chute

Cet étrange objet qui n’est ni vraiment un roman, ni un essai, ni une pièce de théâtre, a eu beaucoup de succès à sa parution. C’est qu’il participe un peu de ces trois genres. Écrit après ‘L’Homme révolté’, il en défend les thèses ; après l’adaptation par Camus de plusieurs pièces d’auteurs étrangers, il en a le sens du rythme ; à la suite de ‘L’Etranger’ et de ‘La Peste’, il romance un type d’humanité.

En 1956, nous sommes à la fin du compagnonnage des intellos avec le Parti communiste. La guerre est loin, Staline est mort, des rumeurs commencent à filtrer sur ses « crimes » et l’URSS ne tardera pas à envoyer ses chars contre les prolétaires hongrois après avoir maté ceux de Berlin. L’avenir « radieux » apparaît bien gris, repoussé aux calendes. Le moralisme devient alors insupportable. Tous ces donneurs de leçons qui tentent de vous rendre coupable du seul fait d’être né agacent, au nom d’une Vérité révélée par le prophète Marx, mise en forme par l’activiste Lénine et réalisée par le tyran Staline. La « repentance » d’être né Français, donc bourgeois, blanc et nanti finit par détourner le public lecteur (majoritairement bourgeois, blanc et nanti) de ceux qui se prennent pour les envoyés du Pape rouge. A l’époque même où la papauté de Rome se raidit sur le dogme : « Qu’ils soient athées ou dévots, moscovites ou bostoniens, tous chrétiens, de père en fils. » Le Péché, originel, bourgeois, d’avoir laissé faire la Shoah ou la colonisation en Algérie (thèmes à vif dans ces années 50), n’est-il pas un nouveau culte de la culpabilité qui prépare de nouveaux asservissements ?

‘La Chute’ paraît dans ce contexte et il a un gros succès pour dire tout haut et avec ironie ce que chacun finissait par penser tout bas sans oser le dire. Assez de ces professionnels du moralisme ! De ces révolutionnaires en chambre qui savent tout et vous accusent au nom de l’Idéologie ! C’est un roman monologue assez court, en cinq journées – cinq actes de théâtre – qui relate la confession d’un « juge-pénitent » à un quidam rencontré dans un bar d’Amsterdam.

La Hollande est pour Camus, méditerranéen, le « paysage négatif » par excellence ! « Voyez, à notre gauche, ce tas de cendres qu’on appelle ici une dune, la digue grise à notre droite, la grève livide à nos pieds et, devant nous, la mer couleur de lessive faible, le vaste ciel où se reflètent les eaux blêmes. Un enfer mou, vraiment ! Rien que des horizontales, aucun éclat, l’espace est incolore, la vie morte. N’est-ce pas l’effacement universel, le néant sensible aux yeux ? » Enfer, néant, universel, sont les mots favoris de Sartre, l’adversaire. Paysage dépressif, incitant au masochisme et à l’obsession maniaque – tout à fait le décor glauque des nouveaux pays de l’Est. Il n’est pas innocent que la maison qui abrita Descartes fut transformée en asile de fous ; il n’est pas innocent non plus qu’elle rappelle Dante : « avez-vous remarqué que les canaux concentriques d’Amsterdam ressemblent aux cercles de l’enfer ? L’enfer bourgeois naturellement, peuplé de mauvais rêves. »

Jugez et vous serez jugés, telle est la maxime des théologiens, fussent-ils laïques ou sartriens au nom du Bien. Jugé, vous vous sentirez coupable, même si vous n’avez rien « fait ». L’existentialisme pose que votre existence même est une suite « d’actes » dont vous êtes forcément responsables, depuis l’acte gratuit (défendre un criminel) jusqu’à l’indifférence (se dire qu’il fait trop froid pour se préoccuper d’un bruit de chute dans la Seine). Ne pas faire, c’est faire en négatif – vous êtes coincé, nul n’est innocent, Monsieur l’avocat Clamence (dont le nom sonne presque comme ‘clémence’). Resucée laïque du Péché originel – ce pourquoi le narrateur avocat se prénomme Jean-Baptiste. Camus habille avec ironie les intellos parisiens : « Il m’a toujours semblé que nos concitoyens avaient deux fureurs : les idées et la fornication. A tort et à travers, pour ainsi dire. » A tort pour les raisons et à travers pour les femmes. Pour survivre, « les gens se dépêchent alors de juger pour ne pas l’être eux-mêmes ». Ce qui compte surtout, est qu’on vous regarde : « l’enfer c’est les autres » a dit Sartre. Et Staline a piqué à Goebbels le truc du marteau : plus c’est gros, plus ça passe, plus vous assénez une contrevérité, plus les gens finissent par y croire… parce que tout le monde le dit. Les tyrans, les manipulateurs politiques et les conseillers en communication le savent parfaitement.

La subtilité est de retourner ce jeu social : avouez et vous serez pardonné, repentez-vous et vous aurez toute bonne conscience pour vous poser en juge. Ainsi font les curés catholiques avec la confession, ce pouvoir inquisiteur d’Eglise qui permet la maîtrise des âmes. Ainsi font les psys freudiens qui croient que le ‘dit’ guérit et qui fouillent impitoyablement tous les souvenirs enfouis, tous les non-dits dissimulés. Ainsi font les communistes avec leur ‘bio’ fouillée où tout ce qui est bourgeois en vous est impitoyablement mis en lumière, ce qui vous ‘tient’ politiquement. Vous serez ainsi « juge-pénitent ». En vous transformant de chameau en lion, selon la métaphore de Nietzsche, vous arrêterez de subir en coupable, sans rien dire, pour vous libérer en attaquant les autres acteurs de cette comédie humaine. « En tout cas, voilà : je n’ai jamais pu croire profondément que les affaires humaines fussent choses sérieuses. (…) Je regardai toujours d’un air étonné, et un peu soupçonneux, ces étranges créatures qui mouraient pour de l’argent, se désespérant pour la perte d’une ‘situation’ ou se sacrifiant avec de grands airs pour la prospérité de leur famille. »

Chacun est juge et jugé dans la société française des années 1950 : comment bien vivre dans ce contexte social exaspéré de moraline ? En se tenant du côté du manche, dit Camus non sans rire. C’est là où il se détache de l’immoraliste gidien ou du mémorialiste dans un souterrain de Dostoïevski. Clamence est un héros involontaire de notre temps, dont tous les actes forment une morale, dont la duplicité dit une vérité. Humour tragique, un miroir qui renvoie notre image non politique mais sociale, quoique…

Camus, La chute, 1956, Gallimard Folio, 4.37€

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Michel Onfray, La sagesse tragique

Article repris par Medium4You.

Voici un petit livre sur Friedrich Nietzsche, écrit dans l’enthousiasme de la jeunesse à 28 ans et préfacé vingt ans plus tard par un philosophe devenu passeur des œuvres. C’est une excellente introduction à Nietzsche, courte et percutante, se mettant dans le courant de la branchitude pour mieux recadrer les préjugés. Il faut lire Nietzsche, dit le médiatique libertaire ! Car il vous libère personnellement de tous les esclavages, à commencer par celui de l’opinion, de la mode, de la morale, de la politique, des déterminants économiques, des religions.

« Je sais que Nietzsche n’est pas de gauche, ni hédoniste, libertaire, ou féministe » p.12. On pourrait ajouter chrétien ou socialiste dans la liste de ce qu’il est de bon ton « d’être » en apparence dans les années 2000. Tout ce que le philosophe n’est pas suscite automatiquement la haine pavlovienne des fusionnels, des branchés, de tous ceux qui n’ont qu’une ambition : être comme les autres, d’accord avec le dernier qui parle, surtout pas « différent », oh là là ! Il y a donc mauvaise foi, méchanceté, manipulation des textes, jeu de pouvoir intello dans ce qui paraît sur Nietzsche depuis des décennies. Michel Onfray, c’est son grand mérite, rectifie au bulldozer ces tortillages de cul pour donner la cohérence de la vie et des idées du philosophe au marteau, prophète de Zarathoustra l’apollinien dionysiaque.

Nietzsche c’est l’énergie au cœur de toutes choses. Ce qu’il appelle la volonté de puissance n’a rien de la tyrannie SS ni de l’emprise stalinienne sur les masses mais constate l’énergie vitale en chaque être, de la cellule végétale à nos corps de primates intelligents. Cette énergie est un fait, elle sourd de la vie même puisque vivre est lutter contre l’inertie de la matière.

Aux hommes d’exception de faire servir cette énergie au mieux de leurs capacités humaines. Ils sont appelés « sur »-hommes parce qu’ils se détachent de la masse indistincte vouée à seulement survivre et se reproduire. L’indistinction est ce « dernier homme » qui rumine bovinement en regardant passer les trains de l’histoire, masse grégaire à la Ortega y Gasset qui se laisse modeler comme une vulgaire pâte à partis collectivistes, fascistes ou communistes, humains « esclaves » de la mode, de l’apparence, de l’opinion.

Qu’est-ce qui empêche les Alexandre et les Diogène aujourd’hui, les Léonard de Vinci et les Einstein ? La mauvaise conscience morale prescrite par les « esclaves » qui ne trouvent bien que ce qui rabaisse tout le monde à leur niveau, et imposée en système par les religions du renoncement : christianisme, bouddhisme, socialisme. Ce dernier – une hérésie laïque du christianisme – est marxiste bismarkien, le seul que Nietzsche connût. Le Surmoi rigide des religions et des idéologies au nom d’un au-delà, d’un ailleurs ou d’un éternel lendemain (qui chante et qui rase gratis…), secrète une moraline permanente qui refoule les instincts vitaux comme le montrera Freud. La répression sociale des désirs engendre névrose de civilisation et ressentiment politique, envie de tout casser et d’éradiquer le vieil homme au nom d’une utopie radicale d’égalité abstraite.

A chacun, dit Nietzsche, de se révolter contre ces contraintes et structures qui aliènent : travail, famille, patrie. La morale comme la domination économique, l’asservissement politique comme la crainte religieuse sont des carcans qui rendent esclaves. Chaque  individu doit être maître de ses propres valeurs, ce qui signifie avant tout maître de lui. Nietzsche n’est pas un nihiliste pour qui tout vaut tout, ni un anarchiste pour qui tout est permis, ni même un libertaire vautré dans l’accomplissement ici et maintenant de tous ses désirs. C’est un peu la limite de Michel Onfray que de le tirer vers ses propres fantasmes. Nietzsche aime le bouillonnement des passions et désirs (son côté Dionysos) mais il aime y mettre son ordre par une rigueur qui hiérarchise (son côté Apollon). Non, tout ne vaut pas tout ! Des valeurs sont préférables à d’autres – mais ce n’est pas à une instance extérieure à chacun de l’imposer comme un commandement. Chacun se commande lui-même : telle est sa liberté.

Nietzsche est grec antique pour qui la minorité exemplaire des être humains d’exception doit entraîner les autres à incarner l’homme au mieux de son potentiel : un esprit sain dans un corps sain, avec de saines affections. Nietzsche a pour maître les moralistes français, de Montaigne à Chamfort, qui jugent du bon et du mauvais pour eux, et non pas du bien et du mal en soi. Ce que l’on accomplit ici et maintenant, il faut le vouloir comme s’il devait revenir éternellement. C’est ainsi que l’éternel retour du même peut être désiré comme matrice des actes. Telle est la seule façon d’agir selon sa conscience. Il ne s’agit pas de morale venue d’ailleurs, ni de contrainte sociale politiquement correcte, mais d’éthique personnelle : être fier de soi dans ce que l’on fait. Être responsable de ses actes et les assumer à la face du monde.

Il n’y a donc pas d’élitisme social chez Nietzsche, non plus que de contrainte de « brutes blondes », comme quelques citations sorties de leur contexte pourraient le laisser croire. Michel Onfray insiste bien sur ce point et le démontre. « Le Maître donne, non par pitié ou compassion, mais par excès de force, débordement de vie. Ses objectifs ? Maîtrise de soi, rigueur et vigueur, noblesse et grandeur. Non pas commander, mais se gouverner » p.140. Et d’ajouter, perfide pour la mode médiatique qui se pose afin d’anticiper les places à venir (si les socialistes compassionnels du ‘care’ gagnent l’élection présidentielle) : « Jaurès ne s’y était pas trompé, lui qui voyait dans le surhumain une potentialité à laquelle il suffirait de consentir » p.144. Nietzsche déclare que le socialisme est une supercherie qui conforte le système d’esclavage industriel et la tyrannie de la majorité médiocre en reportant toujours à demain la liberté personnelle au nom de la Morale.

Le travail aliène lorsqu’il est imposé et n’offre aucune satisfaction à l’être humain. A l’inverse, le loisir (l’otium des anciens), permet la création personnelle au quotidien. « Qui n’a pas les deux-tiers de sa journée pour lui-même est esclave », déclare Nietzsche dans ‘Humain trop humain’, §283. Humour de Nietzsche, qui n’est pas relevé par Onfray : 2/3 d’une journée de 24h font 16h… ce qui laisse 8h de travail pour la société et pour gagner sa croûte. On peut bien sûr ne considérer que les heures éveillées et calculer les 2/3 de 16h, ce qui laisse 10h de loisirs et donc… 35h de travail par semaine. Mais les individus sont-ils moins aliénés quand ils ont du temps libre ? La pression sociale des potes, des cousins, de la famille, du quartier, de la télé et des médias, de fesse-book et autres chaînes mobiles, des associations, du parti, de l’État, de la religion, permet-elle d’être enfin soi ? Bien sûr que non. Ni le temps de loisir ni la technique ne libèrent… si chacun ne se prend pas lui-même en main pour épanouir ses potentialités.

Pour cela, rire, danser et jouir de ses sens, prescrit Nietzsche. Il faut penser léger, se moquer de ceux qui font la tronche, des politiciens pour qui tout est « grave » et des religions prêchant l’enfer à qui n’obéit pas aux Commandements. Il faut une vie bonne à la Montaigne, parce qu’elle est la seule que nous ayons, sans illusions sur l’au-delà. Exubérance et maîtrise, élan mais art : croit-on que la danse n’est pas une discipline ? Marcher, randonner pour penser mieux, en mouvement, loin de ce « cul de plomb » qui caractérise « la pensée allemande » (et tant de philosophes-bureaucrates français). Écrire souvent mais ciseler ses aphorismes par le travail comme on forge une épée avant de la plonger dans l’eau froide.

« Soyons les poètes de notre vie », dit Nietzsche à ceux qui ne l’ont pas compris, « et tout d’abord dans le menu détail et le plus banal » (Gai savoir §289). Lisez Nietzsche ! Il est un maître de vie. Lisez-le avec le guide Onfray, qui est un bon pédagogue.

Michel Onfray, La sagesse tragique – du bon usage de Nietzsche, 1988, Livre de poche 2006, 188 pages, €5.70

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Ruth Benedict, Le chrysanthème et le sabre

Ruth Benedict, écrit « Le chrysanthème et le sabre » en 1947 sur une commande des forces d’occupation américaines au Japon. Elle ne connaît pas le japonais, n’est jamais allée au Japon et se contente d’écumer les bibliothèques pour lire les auteurs occidentaux sur le pays du soleil levant, d’interroger des immigrés japonais aux États-Unis et des prisonniers de guerre. Tout cela en une année seulement.

Le tour de force est que, si son étude date aujourd’hui un peu en raison du développement et de l’ouverture au monde du Japon, son ideal-type de la mentalité japonaise est assez éclairant. Il ne s’agit pas de dégager une « essence » ethnique du Japon mais de repérer les inerties culturelles dues à l’histoire de ce peuple îlien. Il est étonnant que les Français aient attendu 40 ans pour traduire ce livre fondamental. Cela qui marque l’étroitesse d’esprit et la croyance confortable en sa supériorité de la génération française d’après-guerre, inadaptée aux changements rapides du monde contemporain.

J’ai noté quelques formules qui manifestent la qualité de l’analyse. Pour Ruth Benedict, « les Japonais trouvent du réconfort dans un mode de vie planifié et codifié à l’avance, où la pire menace est l’imprévu ». (p.36) « La confiance des Japonais dans la hiérarchie est la base de leur conception des rapports d’homme à homme, ainsi que de l’individu à l’Etat » (p.49) « Au Japon, les prérogatives attachées à la génération, au sexe et à l’âge sont considérables. Mais ceux qui en jouissent les exercent en responsables plutôt qu’en autocrates. » (p.59)

« La vertu, au Japon, dépend de la reconnaissance de sa propre place dans le grand réseau de dettes mutuelles, réseau qui englobe à la fois ancêtres et contemporains. » (p.93) « Bien qu’au départ toute âme soit resplendissante de vertu comme resplendit une épée neuve, elle se ternit néanmoins si son brillant n’est pas maintenu en permanence. Cette « rouille de la personne », pour reprendre leur expression, est aussi néfaste qu’elle l’est sur une lame. Un homme doit apporter à sa personne le même soin qu’il apporterait à son épée. Mais le brillant et l’éclat de son âme sont encore là, même recouverts de rouille, et il suffit de polir cette âme à nouveau » (p.179) C’est une jolie formule, venue tout droit du bouddhisme. Nul n’est “mauvais” en lui-même car il recèle une étincelle du divin. Mais c’est à lui de mettre au jour ce trésor intérieur, de faire briller son éclat par son apprentissage et sa discipline. «

Pour les Japonais, l’idée que la recherche du bonheur est un but digne de ce nom dans l’existence est une doctrine surprenante et immorale. « A leurs yeux, le bonheur est une détente à laquelle on s’abandonne quand on le peut ; mais lui conférer la dignité d’une chose à partir de quoi l’État et la famille doivent être jugés, c’est tout à fait inconcevable. » (p.173) « Les Occidentaux sont gens à considérer comme un signe de force la révolte contre les conventions et la saisie du bonheur en dépit des obstacles. Mais les forts, selon le verdict japonais, sont ceux qui ne tiennent pas compte du bonheur personnel et remplissent leurs obligations. La force de caractère, pour eux, se montre dans l’obéissance aux règles, non dans la révolte. » (p.187)

« Le Japon, avec un amour vital du fini qui fait penser aux anciens Grecs, comprend les techniques du yoga comme un exercice de perfectionnement personnel, un moyen par lequel un homme peut acquérir cette « excellence » qui ne laisse pas subsister l’épaisseur d’un cheveu entre l’individu et son acte. C’est un exercice d’efficacité. Un exercice de stricte dépendance de soi. La récompense se trouve ici et maintenant car elle met à même d’affronter n’importe quelle situation avec l’exacte dépense d’effort nécessaire, ni trop ni trop peu, et assure le contrôle de l’esprit naturellement capricieux en sorte que ni menace extérieure, ni remous intérieurs, ne puissent débusquer l’individu de lui-même. » (p.216) « Quand une voie débouche sur une impasse, on y renonce comme à une cause perdue parce qu’au Japon on n’apprend pas à persévérer dans les causes perdues » (p.269).

Son chapitre sur l’éducation des enfants et celui où elle énumère complaisamment les différentes sortes de « devoirs » sont ceux qui ont le plus vieillis. La société japonaise a évolué en un demi-siècle comme toutes les sociétés en développement accéléré du monde dit “post-moderne” : les traditions rigides s’assouplissent et certaines se trouvent remises en cause. Reste qu’on peut encore parler d’obligations passives reçues de l’Empereur, des parents, des maîtres et des patrons, le “on”, et d’obligations de contreparties envers les autres ou envers soi-même (ce qui est l’honneur), le “giri”. Mais ce « patriotisme » au pays et à la lignée, cette reconnaissance envers les maîtres, cette dette sociale envers ceux qui vous donnent quelque chose, ces devoirs de respecter les convenances et de maîtriser ses émotions, tout cela s’est modernisé, se rapprochant un peu plus des mœurs occidentales. Simplement peut-on dire que le carcan social est plus rigide au Japon.

Ruth Benedict, Le chrysanthème et le sabre, Picquier Poche, 1998, 350 pages

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