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Anne Perry, Une question de justice

anne perry une question de justice
Un peu décevant, ce roman victorien. Ceux qui suivent Monk, commissaire de la brigade fluviale londonienne, depuis ses débuts, aimeront le voir évoluer dans cette enquête (qui n’est pas la sienne), mais les nouveaux lecteurs ne seront pas emportés. L’essentiel de l’intrigue tourne en effet autour des tortures de conscience, un feu d’artifice de scrupules et de choix cornéliens. Nous sommes dans le christianisme de salon, préoccupé non d’action mais de Morale. C’est plutôt ennuyeux.

D’autant que l’auteur n’avance qu’à grands coups de questions successives, sans jamais apporter de réponses. Ce « procédé » (un peu trop systématique), est peut-être fait pour tenir en haleine et ouvrir des pistes dont une seule sera la bonne, mais c’est répétitif et un peu lourd.

Reste l’enquête, car il y a enquête. Monk n’en est pas chargé, puisque le drame a lieu hors de sa juridiction fluviale. Mais il « aide » les policiers du coin qui lui doivent des services. C’est un peu tiré par les cheveux, aussi son épouse, Hester, vient à la rescousse via une bénévole de sa clinique dont le père a été escroqué et avec l’aide de Squeaky son comptable ex-véreux. D’enquêtes parallèles en pression des événements, tout ce petit monde va se retrouver au tribunal.

Car Oliver Rathbone, désormais juge, voit le procès qu’il arbitre partir en eau de boudin. Nous sommes dans le système anglais où le juge n’enquête pas mais se contente de faire respecter le droit entre les parties. Or l’escroc, un pasteur marié et onctueux, féru d’attirer des fonds pour les distribuer libéralement aux « bonnes œuvres » dans le monde, est en passe de sortir la tête haute d’une accusation de fraude prouvée par l’épluchage soigneux de sa comptabilité. Comme c’est un jury populaire qui décide s’il est coupable ou non coupable, le « concours de beauté » que se livre accusation et défense sont une véritable bataille où l’enjeu est « la réputation ». Celle de Taft, ecclésiastique impérieux, égoïste et méprisant – contre celle des humbles qu’il a persuadé par son éloquence de donner au-dessus de leurs moyens. Là encore, ce comportement de don excessif est un peu tiré par les cheveux…

Mais Rathbone n’a qu’une arme pour rééquilibrer la balance, qu’il voit pencher dans les derniers jours en faveur de l’escroc sous couvert de religion : donner à l’avocat de la défense une preuve que le principal témoin en faveur de Taft est lui-même douteux. Cette pièce est une photographie, issue d’un legs de son beau-père, pendu dans une affaire précédente. Elle montre le témoin de moralité Drew sodomiser un petit garçon maigre et nu de sept ans. Ce scandale absolu à l’ère victorienne le fait se rétracter, mais quelqu’un va dénoncer Rathbone et lui, juge, va être arrêté pour « entrave à la justice ». D’autant que l’on retrouve au matin Taft tué d’une balle dans la tête, le pistolet à la main, et sa femme et ses filles étranglées à leur domicile. Le juge est-il responsable de la mort des quatre ?

Au lieu de confier la photo à quelqu’un d’autre pour la remettre aux parties, Rathbone va ratiociner des jours sur l’utiliser ou pas, puis se précipiter la veille au soir du dernier jour pour la confier lui-même à l’avocat de la défense… Encore une invraisemblance d’un avocat qu’on avait connu plus avisé.

Découvrir qui l’a dénoncé sera une belle surprise, sauf pour Scuff, bientôt 13 ans, le gamin des rues recueilli depuis deux ans désormais par Hester et Monk. Mais ce malin qui sait y faire a beau enquêter et découvrir, jamais l’auteur ne lui rend grâce devant les « vrais » adultes. Une autre incohérence du livre.

Le début est intéressant, le finale en beauté, mais la partie centrale patine, se perdant en questions innombrables et masturbation chrétienne de la conscience coupable : comment faire coller le Bien du monde éternel avec les tristes compromis de la réalité de ce monde-ci – un peu lourd. Même les scénettes moralistes entre la « mère » Hester et le « fils » Scuff sont cousues de fil blanc. Le gamin (quasi ado quand même) aurait une terreur blanche de n’être plus aimé s’il faisait « quelque chose » – comme Rathbone, déchu par la justice qui l’honorait hier. C’est un peu gros, même à l’ère Victoria, même pour un orphelin des rues, même pour un lecteur bienveillant…

Anne Perry, Une question de justice (Blind Justice), 2013, 10-18 2013, 403 pages, €8.40
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Mary Shelley, Frankenstein

frankenstein et autres romans gothiques pleiade 2014
Tout dépend peut-être des traductions, mais le roman se lit d’un trait, écrit d’une plume fluide et romanesque. Évidemment, ce n’est pas proféré avec les 400 mots des banlieues ni avec le laisser-aller de mise à l’Éducation nationale : nous sommes au XIXe siècle, où la télé n’existait pas, et où les gens cultivés savaient se servir de leur plume, imparfait du subjonctif inclus ! J’ai lu la traduction d’Alain Morvan en Pléiade, elle est sans accroc.

Issu d’un concours entre auteurs célèbres – lord Byron, le poète Shelley, le médecin Polidori, et Mary – réunis un soir de pluie battante dans les environs grandioses de Genève, ce roman gothique a été conçu dans la fièvre et l’insomnie, l’auteur s’effrayant elle-même de sa création osée. Elle manie avec vigueur les grands mythes du temps, le savant faustien qui veut égaler l’œuvre de Dieu, la Chute par orgueil, l’innocence des simples à la Rousseau, le Mal engendré par le désamour, et même le Juif errant condamné à arpenter la terre jusqu’à ce qu’il expie son crime d’avoir nié Jésus sauveur…

En ce siècle optimiste de foi en la science (qui donnera Jules Verne), la chimie était la discipline reine, en plein essor. Recréer la vie en éprouvette était un rêve presque alchimique, que la découverte des propriétés galvaniques de l’électricité mettait à portée d’imagination. Le jeune Victor Frankenstein est donc le créateur enfiévré d’une « créature » qui ne porte aucun nom. Car Frankenstein n’est pas « le monstre » – mais son auteur. Garçon au début de sa vingtaine, empli d’enthousiasme et d’obstinée volonté comme sont souvent les Suisses de cet âge, il a été élevé dans la nature, flanqué d’une sœur de lait d’un an moins âgée et belle comme le jour qui est vouée à l’épouser dès l’âge propice, et de deux petits frères vigoureux et aimants. Parti à l’université allemande d’Ingolschadt, Victor va faire sa découverte décisive et, avec les meilleures intentions du monde, donner vie à un être vivant doué de raison et d’une force physique peu commune, haut de « huit pieds », soit 2 m 44 pour être précis.

frankenstein monstre pleiade

Mais sa créature est une machine qui n’a pas l’étincelle humaine : ses yeux sont froids, jaunes et délavés, son visage sans émotions, et son attitude effraye au-delà de tout entendement. Son « père » le rejette dès ses premières manifestations de vie et le monstre doit se débrouiller tout seul. Il apprend à parler, apprend à lire, apprend à connaître les hommes et à s’orienter dans le pays par lui-même – ce qui est peu vraisemblable, mais tient au mythe. Solitaire, rejeté par la société humaine, sans amour ni reconnaissance, il « devient » méchant, vieille antienne rousseauiste selon laquelle on nait « page blanche » et où la société y inscrit le bien et le mal à mesure. Victor est coupable d’avoir donné naissance tout seul à un monstre et de l’avoir rejeté sans vergogne. Faux père, niant la sexualité et n’assumant pas ses actes, le lecteur d’aujourd’hui ne peut compatir à ses malheurs. Malgré ses attraits « romantiques » (beau, bien fait, agréable, aimant…) il a sciemment appelé le malheur non seulement sur sa tête, mais aussi sur celle des autres.

mary shelley frankenstein gf

Car ce sont les innocents qui (comme toujours) vont payer : son jeune frère William (prénom du fils des Shelley), adorable petit suisse sportif de dix ans, étranglé dans un parc par le monstre qui l’a tant malmené que sa poitrine découverte révèle le médaillon de sa mère qui a été volé. Il va se retrouver dans la poche d’une jeune servante dévouée de la famille et elle sera condamnée à mort par le machiavélisme du monstre. C’est ensuite Henry, l’ami intime de Victor depuis son enfance, qui va payer de sa vie le ressentiment de la créature, après que Victor ait refusé de lui créer une compagne. Enfin Élisabeth, sa cousine à peine épousée, étranglée à grands cris dans la chambre nuptiale lors d’une absence du mari (pourquoi l’a-t-il laissée, pourtant prévenu par le monstre qu’il se vengerait justement « la nuit de noces » ?).

Son vieux père meurt, seul Ernest, 19 ans semble épargné. Victor, réduit à lui-même, se lance dans la traque du monstre qui le mène dans une course démoniaque vers les étendues glacées du pôle. La créature, comme l’homme de Neandertal (qui ne sera découvert qu’en 1856), survit sans peine mais son « père » ne peut connaître que la souffrance dans ce climat inhospitalier. Victor est recueilli par le navire du jeune Anglais Walton, explorant le passage du nord-ouest et le secret de l’attraction magnétique. Il mourra d’épuisement avant sa créature mais celle-ci promet, dans un assaut d’éloquence diabolique, de s’immoler sur un bûcher sur la banquise (on se demande où il va trouver le bois…).

mary shelley frankenstein livre de poche

Malgré ce tissu d’invraisemblances, les récits emboités de l’explorateur à sa sœur, de Victor à l’explorateur, du monstre à Victor, sont enlevés par la jeunesse énergique (quasi électrique) des protagonistes. L’histoire avance au galop, pleine de bruit et de fureur – et de rebondissements. Le totalitarisme, ici, n’est pas l’Église mais le scientisme, cette croyance en la toute-puissance humaine sur les choses, la monomanie personnelle délirante du savant solitaire en son laboratoire, cet orgueil à la Prométhée (sous-titre du roman) pour voler le feu vital aux dieux, tel Satan défiant son Créateur.

Ce n’est pas la connaissance (raisonnable) mais la passion (déréglée) que Mary Shelley dénonce avec une force peu commune ; non pas la recherche en équipes pour l’utilité humaine, mais l’ambition personnelle de trouver tout seul la nouvelle pierre philosophale. Les Lumières s’éteignent, feu à feu, par la Révolution française et sa foule déchaînée, par l’obsession scientiste à manipuler la vie, par la colonisation pour imposer la Morale unique – avant que surgissent les dictatures féroces du XXe siècle et les délires « scientifiques » du Dr Folamour, du clonage génétique et des algorithmes automatiques du trading de haute fréquence, jusqu’aux « retours » aux vampires, œil de Sauron et autres puissances maléfiques.

C’est dire combien le mythe créé par Mary Shelley résonne encore, et combien sa postérité a de beaux jours à venir !

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1818, Livre de poche 2009, 345 pages, €4.10
Mary Shelley, Frankenstein, Garnier-Flammarion 1993, 371 pages, €5.40
Frankenstein et autres romans gothiques, édition et traduction Alain Morvan, Gallimard Pléiade 2014, 1373 pages, €57.60
Films DVD :
Frankenstein de Mae Clarke avec Colin Clive et Boris Karloff, Universal pictures 2010, €11.70
Frankenstein de Kenneth Branagh avec Robert de Niro, Sony pictures 2010, €11.49
Coffret Frankenstein (contient Frankenstein, La Fiancée de Frankenstein, Le Fils de Frankenstein, Le Fantôme de Frankenstein, La Maison de Frankenstein) des réalisateurs Mae Clarke, John Boles, Boris Karloff, Colin Clive, Valerie Hobson, Universal pictures 2004, €99.00

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Michael Connelly, Echo Park

Michael Connelly Echo Park

Nous sommes à Los Angeles et l’inspecteur Hiéronymus Bosch, dit Harry enquête. Sévissent comme d’habitude les maniaques sexuels, les arrogants du fric, les corrompus de la politique et du service d’Etat. Le sigle FBI ouvre toutes les portes avec une autorité tranquille, légale ou pas. Le travail d’enquête est semé d’obstacles juridiques, politiciens, bureaucratiques. Bref, nous sommes en Amérique, au 21ème siècle.

Echo Park est un quartier de Los Angeles. C’est autour de lui que tout tourne. Une disparition féminine 13 ans plus tôt, les affaires de la fille retrouvées soigneusement pliées dans sa voiture avec ses clés, ses papiers, ses derniers achats au supermarché, le tout dans un garage laissé vide par un locataire ayant déménagé. Un ANE (Affaire Non Élucidée). Comme nous sommes en Amérique, il y a tout un service pour ça. Et l’inspecteur Bosch s’y colle, lui qui en avait assez de la retraite. Ce dossier le turlupine ; son suspect de prédilection va d’échappatoire en échappatoire, sans qu’aucune preuve ne puisse être retenue contre lui. Il n’y a que l’intuition. Pas même un cadavre à confier aux investigations de la police scientifique.

Pour une fois, la politique va donner un grand coup de pied pour propulser le dossier. Un suspect, arrêté par hasard pour « comportement suspect » (on est en Amérique où tout le monde doit faire comme tout le monde), avoue une bonne dizaine de meurtres. Tous de filles. Qu’il dépèce et ensache pour les faire disparaître. Justement, ce soir-là, il évoluait dans le quartier d’Echo Park (où il n’avait rien à y faire) avec le van d’une entreprise de nettoyage (à 2 h du matin !). Comportement éminemment suspect pour que deux policiers zélés l’arrêtent, lui demandent ses papiers, et avisent deux sacs plastiques desquelles coulait quelque chose qui n’avait rien à voir avec les produits industriels.

On ressort le dossier ; Bosch est associé ; l’avocat propose un marché. Nous sommes en Amérique où l’on peut échapper à l’aiguille mortelle si l’on plaide coupable avec négociation. On avoue, on élucide ainsi quelques affaires pendantes, le procureur vous colle au trou pour la vie, et tout le monde est content. Sauf que… Rien n’est simple, surtout à Los Angeles, surtout avec Bosch qui prend à cœur toutes ses affaires par empathie avec les victimes – voire avec leur bourreau.

L’intrigue est compliquée, bien menée, documentée. Ce ne sont que progressions logiques et coups de théâtre, soupçons qui s’avèrent et dévient. La fin est sur trois coups comme dans le finale d’une symphonie romantique. Le premier est haletant et le dernier étonnant !

Un bon cru Connelly pour les vacances. D’autant que le chef Pratt, à quelques semaines de la retraite, compulse des catalogues sur les Caraïbes, les Antilles, tous endroits où il rêve de se retirer malgré son divorce, sa pension alimentaire et sa maîtresse. On peut rêver, non ?

Michael Connelly, Echo Park (Echo Park), 2006, Points poche policier 2014, 428 pages, €7.90

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Arnaldur Indridason, Étranges rivages

arnaldur indridason etranges rivages
Que fait un commissaire de police lorsqu’il est en vacances ? Il enquête… Il ne peut s’en empêcher. Il faut dire que le commissaire islandais Erlendur est d’un pays sauvage ou la nature est aussi belle que cruelle, incitant à la vérité nue. Sa quête est obsessionnelle parce qu’il se sent un brin coupable. Il veut savoir : lorsqu’il avait dix ans, son frère de huit ans sorti à cause de lui, l’aîné, a lâché sa main et a disparu dans une violente tempête de neige. Nul ne l’a jamais retrouvé.

Erlendur campe dans le salon de la vieille ferme familiale abandonnée. Le vent hurle alentour ou bien le froid s’insinue, créant des illusions. Ne voit-il pas l’ombre d’un personnage, rencontré enfant qui avait prédit que son frère Bergur, étant une « belle âme », ne serait peut-être pas conservé par ses parents ? Alors l’homme mûr creuse la réalité passée, il creuse son âme de gamin pour faire la lumière. Est-ce de sa « faute » ? Est-ce la jalousie que son frère (qu’il aimait) ait eu en cadeau une voiture miniature qu’il a violemment désirée ?

Il s’intéresse donc aux disparitions dans la neige et le froid, puisqu’il a appris que l’on peut survivre en se protégeant un minimum et que l’être humain est bien plus résistant qu’il n’apparaît. Des marins tombés à l’eau et déclarés morts, se sont mis à revivre des heures plus tard, dans un lieu plus chaud. Durant la guerre, une troupe de Britanniques a été ainsi partiellement sauvée d’une tempête semblable. Mais une femme, Matthildur, avait quand même disparu au même moment. Énigme : Erlendur interroge les derniers témoins, allant de l’un à l’autre pour mieux focaliser ses questions. « Par curiosité et à cause de son intérêt pour les disparitions, il avait fouillé bien plus profondément dans le passé de ces gens qu’il n’en avait eu l’intention au départ. Il n’avait absolument pas cherché à exhumer un crime. C’est le crime qui était venu à sa rencontre » p.255.

Islande nature sauvage

Car une étrange vérité se met progressivement au jour… Une histoire d’amour passionnée, la haine puissante qui va avec. Le cœur humain, dans la nature islandaise, ne peut que se mettre à l’unisson : été explosif et tempêtes hivernales déchaînées. Malgré les non-dits de ces taiseux du nord, dont le quant à soi est un tempérament, Erlendur va savoir. Il connaîtra pourquoi Matthildur a disparu, où son cadavre jamais retrouvé se trouve, pourquoi les faits se sont déroulés.

Il apprendra en même temps que les terriers de renards recèlent parfois des objets humains, conservés par le temps. Et que les bêtes ne dédaignent pas la viande morte, au point d’en rapporter les os les plus succulents à leurs petits, dans leur tanière. Il retrouvera, chez un chasseur devenu vieux, la petite voiture rouge qu’il avait convoitée, sur les pentes d’une montagne où son frère Bergur et lui étaient dans la tempête. Il saura enfin. Et ce deuil impossible des volumes précédents, ce chagrin obsessionnel, trouvera enfin son apaisement.

Ce roman noir, qu’on ose à peine qualifier de « policier » tant il se passe après toute prescription criminelle, est d’une beauté tragique, écrit sereinement, pas à pas. Il démarre comme un vieux diesel, lentement, puis trouve son rythme de croisière. Les chapitres se succèdent, courts, apportant chacun un élément nouveau. C’est très humain, empathique, le lecteur est ému. Un bel ouvrage.

Arnaldur Indridason, Étranges rivages, 2010, Points policier 2014, 356 pages, €7.60
Existe aussi en livre audio MP3, 675 Mo, €21.50

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Martin Amis, Train de nuit

martin amis train de nuit
Pourquoi mourir quand on est jeune, belle, équilibrée et que l’on explore la physique des origines de l’univers ? Jennifer est retrouvée entièrement nue, sur une chaise, avec trois balles dans la tête. Le suicide est douteux, et pourtant tout concorde. Car on n’est pas fille de flic pour rien…

Le commissaire Tom ne peut accepter que sa fille chérie se soit fait disparaître ; il lui faut une explication rationnelle, un coupable ferait vraiment l’affaire car un homicide, ce n’est pas beau, mais logique. Il charge la virago de service d’enquêter, l’inspecteur femme « Mike » Hoolihan, plus mec que nana, à la voix de rogomme au téléphone. Mike au nom de mâle a été violée par son père de 7 à 10 ans : « est-ce qu’il était pédé ? » s’interroge-t-elle. Elle a laissé poussé, aiguisé et renforcé ses ongles « au vinaigre » pour qu’« une fois atteint les deux chiffres », il ne la prenne plus jamais. Mission réussie : le visage ravagé, la mère horrifiée, le couple divorcé, Mike envoyée aux services sociaux se reconstruit peu à peu. Elle garde de l’amour pour son père mais ne peut avoir de vie sexuelle stable, allant d’échec en échec.

femme morte

Ce pourquoi la mort de Jennifer est pour elle comme le train de nuit qui passe sous ses fenêtres, une secousse brutale. Elle va donc s’acharner à tout décortiquer, à commencer par ce suicide en trois balles : est-ce possible ? Il semble que oui, on a même vu quatre balles avec certains revolvers. Mais cela semble tellement inouï que l’information permet de cuisiner les éventuels coupables, à commencer par Trader, le mari de Jennifer, prof sec et intello dont on a connu les accès de violence, des années auparavant, Arn le gros Texan macho qui se croit irrésistible et qui avait rencart ou Baz le prof médiatique auprès duquel Jennifer travaillait à l’université.

La massacrée de la vie enquête sur la vie massacrée ; la grosse laide vieille sur la svelte éblouissante jeune. Martin Amis aime à saisir les contrastes pour cette dialectique entre la vie et la mort. Il prend le ton des romans noirs américains – un brin vulgaire – pour faire de la littérature. Car ce roman n’est pas vraiment policier. La souffrance intime est-elle le véritable héroïsme des temps nouveaux ? Jennifer sentait ses pensées de plus en plus en décalage avec son existence. Janus avait deux faces, l’humanité aussi, même la plus lisse, la plus belle et la plus riche – en apparence.

Martin Amis est bien plus profond qu’il ne paraît.

Martin Amis, Train de nuit, 1997, Folio 2003, 239 pages, €6.46

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Jérôme Kerviel est-il le bouc émissaire commode ?

• Jérôme Kerviel est-il coupable ? OUI.
• Jérôme Kerviel est-il le seul coupable ? NON.

Il a clairement fraudé et sa faute personnelle est établie par la justice.

Mais il n’a pas été correctement contrôlé par sa banque, la Société générale, à qui la Commission bancaire a infligé un blâme et une amende de 4 millions d’euros pour défaut de vigilance.

Comme trader, Kerviel a été pris en outre par « l’exubérance irrationnelle » dont parlait Alan Greenspan dès l’automne 1996 et contre laquelle tous ont été heureux de fermer les yeux et de se laisser bercer par le jeu et les profits qui rentrent. Le délire de la finance, qui a explosé en 2007 et qui se poursuit toujours en crise économique et d’endettement, n’est pas de la responsabilité de Jérôme Kerviel. Pas plus que le délire de la justice lors du procès Outreau, ni la carence des services sociaux pour les enfants battus, ni l’indigence de l’Éducation nationale à laisser sortir chaque année 150 000 élèves sans aucun diplôme. Il s’agit là d’une erreur de système, d’organisations qui fonctionnent sans voir ni s’adapter.

jerome kerviel trader societe generale

  • Qu’ont fait les autorités publiques contre cet emballement pointé par Greenspan 12 ans avant déjà ? – RIEN.
  • Qu’ont fait les banques pour se prémunir des risques croissants des prises de position et des produits toxiques ? – RIEN.
  • Qu’ont fait les financiers pragmatiques et les économistes donneurs de leçons durant cette période ? – RIEN.

Qu’est-ce donc que « la justice » si un seul coupable est désigné pour cette pyramide de risques incontrôlés du laisser-faire triomphant ?

Ce qui est juste doit être équilibré, tel est le symbole de la balance, chère aux juristes. Où est le droit et l’équilibre dans cette désignation du bouc émissaire unique ? Il n’y a eu aucune pédagogie publique de la justice lors du premier procès, Valérie de Senneville le pointait le 7 octobre 2010 dans Les Échos. « On » a appliqué les règles du droit en fonctionnaire, sans équité ni explication. De quoi transformer le trader fautif en David immature mais héroïque face au Goliath dinosaure obtus de la banque. D’où la tentation médiatique, l’appel au scoop avec la rencontre du Pape, la marche sur Rome à l’envers, la lettre au président Hollande. La victimisation est une tactique propice à l’émotion et au sensationnel. Toujours au détriment de la justice.

Car Jérôme Kerviel est coupable de fraude ; mais Jérôme Kerviel n’est pas coupable de tout.

  1. Notamment des 4.9 milliards d’euros perdus par les ventes brutales et paniques des positions par la Société générale en trois jours. Le livre d’Hugues Le Bret, directeur de la communication de la Société générale à l’époque le montre.
  2. Ni du manque évident de contrôle de la banque sur son trader (« Les 17 inspections conduites par la commission bancaire auprès de la Société générale en 2006 et 2007 avaient-elles permis de s’assurer d’une bonne répartition des rôles et de l’absence de conflits d’intérêts dans le traitement et le contrôle des ordres des traders ? », demande Philippe Marini au Sénat – sans obtenir aucune réponse sur ce point précis). C’est ce qu’a reconnu la Cour de Cassation en renvoyant le procès au civil à la cour d’appel de Versailles.
  3. Ni du délire systémique qui s’est emparé de la finance avec l’explosion des produits titrisés, des négociations de gré à gré, des hedge funds spéculatifs et des « zones grises » des États « non-coopératifs » – sans qu’aucune autorité publique n’y mette encore aujourd’hui le holà, notamment sur le gré à gré sans appels de marge ni registre.

Jérôme Kerviel était trader. Ce métier consiste à « acheter une valeur mobilière au plus bas et la vendre au plus haut pour le compte d’un tiers » – autrement dit une banque – selon la fiche ONISEP des métiers proposée aux collégiens. Ce métier est utile aux entreprises et à l’économie – à condition d’être maîtrisé. La fiche ajoute : « le trader vit en permanence sous pression. Les sommes engagées sont énormes et les résultats immédiats (qu’il s’agisse de gains ou de pertes). Mieux vaut, par conséquent, avoir les nerfs solides. » Notre société prépare-t-elle à ce genre de métier ? – NON : il n’a rien d’un adulte, Kerviel, mais tout du shooté au jeu vidéo, arriviste sans scrupules, un parfait produit des formations scolaires et du système contemporain.

Jérôme Kerviel avait-il les nerfs solides ? Probablement, sinon il ne se serait pas élevé dans la hiérarchie du trading à la Société générale, entre 2000 et 2007. La fiche ONISEP (peut-être après la médiatisation de son « affaire ») ajoute finement : « Le métier comporte incontestablement un aspect ludique, mais il faut garder la tête froide et respecter certaines limites. Le trader est, de toute façon, soumis à des contrôles très fréquents. » Contrôles que – manifestement – la Société générale a bâclés ou mal organisés, voire complaisamment ignorés tant que l’argent rentrait.

Il y a donc faute individuelle de Jérôme Kerviel, faute d’organisation et de contrôle de la Société générale, faute systémique de l’euphorie laissée à elle-même jusqu’au délire.

Jérôme Kerviel doit être rejugé mais doit purger sa peine ; la Société générale a été auditée, condamnée à une amende, gageons que ses contrôles sont désormais au point ; quant au système financier, il ne s’est pas amendé, il n’est calmé que provisoirement, tant les relations incestueuses de caste entre banquiers et politiciens sont fortes (Governement Sachs auprès d’Obama, le pschitt de son « ennemi la finance » par le gouvernement Hollande).

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Fred Vargas, L’armée furieuse

fred vargas l armee furieuse

Tout commence comme chez Simenon 50 ans plus tôt dans Maigret et le client du samedi : Adamsberg-Maigret voit un personnage qui l’attend devant la PJ et n’ose pas entrer ; il le fait parler et un meurtre est annoncé. Qui se produit – mais le coupable n’est pas celui qu’on pense. Il y a du Simenon chez Vargas, sauf que cette pâte humaine qu’elle affectionne autant que lui, elle l’étale sur 400 pages au lieu de 200. Elle est lente, lourde, elle divague volontiers.

Certains aiment ça, surtout les bobos à la campagne. Car elle parle cultureux, Vargas, elle sait les codes ; elle évoque toujours le bon vieux temps de la bonne vieille France du bon vieux terroir, où les gens vivent lentement, rêvent aux météores tout en guignant la femme du voisin, où les vaches ne bougent pas, où les bons petits plats traditionnels mijotent au coin du fourneau, arrosés d’un bon calva de derrière les fagots, tandis que les médecins soignent avec les mains.

Tout commence comme chez Simenon, mais en plus lent. Surtout qu’il y a trois enquêtes : celle de la femme venue voir le commissaire Adamsberg pour lui parler de l’armée furieuse, de la mesnie Hellequin, cette chasse sauvage qui ravage depuis deux mille ans tous les pays de l’Europe du nord et qui emporte tous les méchants de l’année ; celle du pigeon trouvé les pattes attachées en plein Paris par un ado vicieux, probablement ; celle d’un PDG de grand groupe français qui ressemble fort à Bouygues, aux deux fils ambitieux, retrouvé calciné dans sa Mercedes. Le nébuleux Adamsberg à l’esprit tortueux et aux intuitions qui doivent mariner longtemps avant d’exploser sur un détail, devra mener de front ces trois événements aussi importants l’un que l’autre. Pas simple.

Surtout que la première enquête se passe dans le terroir normand (cher à Vargas pour raisons familiales), la seconde à Paris (mais un pigeon, tout le monde s’en fout) et la troisième dans les beaux quartiers parisiens (ce qui met préfet et ministre en émoi). On se demande quelle époque est la plus furieuse, de l’antique ou de la contemporaine, la tradition avait quand même du panache. Le lecteur se retrouve donc embarqué dans une quête mi historienne, mi anthropologique, à visées policières. Les deux premiers chapitres, particulièrement réussis, mettent dans l’ambiance ; la suite est plus lourde à avaler, vous pouvez prendre des pauses – arrosées de calva ou équivalent si m’en croyez ; la fin est remplie d’action et connait un retournement inattendu. C’est bien composé, avec parfois des fautes de français dans la concordance des temps (mais qui connait encore les accords de conjugaison ?).

Au bout de 400 pages, on a passé un bon moment, mais il ne faut pas être pressé et connaître un minimum de vocabulaire. Nous ne sommes pas dans le thriller à l’américaine, ni dans le polar des années 50, mais dans le rompol, abréviation inventée par Vargas pour la lignée qui remonte au moins à Simenon, sinon aux feuilletonistes de la fin XIXe et même à Victor Hugo (contrairement à ce qui est dit en quatrième de couverture par cette génération vaniteuse qui croit le monde commencé avec elle). Car il y a toujours du social chez Vargas en plus des brumes indécises des esprits, toujours une méfiance envers les riches et des puissants (sauf les comtes authentiques) et des Arabes de banlieue sympathiques. Adamsberg doit en plus compter sur la rivalité entre commandants de sa brigade, Veyrenc et Danglard, sans parler d’un fils de 28 ans répondant au doux nom serbe de Zerk, qu’il s’est trouvé dans le volume précédent. Pas simple, donc embrouillé, à plaisir. Mais ça se lit : c’est de l’appellation contrôlée, bien Made in France.

Fred Vargas, L’armée furieuse, 2011, J’ai lu 2013, 441pages, €7.51

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David Morrell, Disparition fatale

Amérique, 2002. Nous sommes quelques mois après les attentats du 11-Septembre. Les Citoyens des Etats-Unis sont traumatisés. En témoigne « Disparition fatale », thriller que fait paraître à ce moment-là David Morrell, le père de Rambo. Le personnage du jeune guerrier qui avait appris à survivre dans la jungle, face à un ennemi insaisissable, est désormais un citoyen lambda qui n’a jamais fait de randonnée, ne sait pas comment utiliser une boussole et encore moins tirer au pistolet. Son seul terrain d’aventure est la zone des petites villes de l’intérieur des Etats-Unis. Comme toujours dans les thrillers américains, un individu moyen se retrouve confronté à la barbarie. Mais, cette fois, elle ne vient pas de l’étranger mais réside à l’intérieur même de l’Amérique, au cœur de la famille. Décidément, le 11-Septembre est bien passé par là.

David Morrell Disparition fatale

25 ans auparavant, Brad, tout juste adolescent a vu disparaître son petit frère. Il avait 9 ans et lui 14. Le gamin lui tournait autour pour jouer au base-ball, mais les copains de Brad étaient excédés de ce moustique qui les empêchait de jouer. Brad demanda à Petey de les laisser et rentrer à la maison. Nul ne l’a plus jamais revu. Jusqu’à ce qu’un jour, des années plus tard, un routard aborde Brad marié, père d’un gamin de 9 ans et architecte, pour lui dire qu’il est ce frère qu’il a perdu. Les indices concordent ; le petit Petey est devenu Peter. Il a été enlevé, enfermé jusqu’à 16 ans dans une cave, d’où il s’est enfui en mettant le feu à la maison de ses ravisseurs. Comment recoller la famille, retisser la toile du destin ?

Tel un péché originel, avoir chassé son petit frère pèse sur Brad à jamais. Il se sent coupable, il veut se racheter. Et il ne voit rien de ce qui lui arrive alors, tel un boomerang… Exactement ce qui est arrivé à l’Amérique messianique ce 11-Septembre 2001. Elle qui croit en Dieu avec superstition, qui fait le « Bien » qu’elle décide être tel, qui préjuge de ses succès être le peuple élu – la voilà aveugle et vulnérable – bien attrapée par le mal qu’elle a elle-même créé.

Le gamin Petey a en effet été enlevé par des intégristes religieux vivant la Bible à la lettre, isolés des autres. Le refus des soins médicaux et la consanguinité des liaisons entre eux ont eu raison de leur souche : après tant d’enfants perdus en bas âge, ils ont décidé d’en enlever un tout fait. Ce gamin, ils l’ont tordu de biblisme et d’obéissance, ils l’ont séquestré mentalement jusqu’à ce qu’il explose, marqué à jamais. Lui veut reproduire ce qu’il a subi, se venger œil pour œil comme on lui a appris dans l’Ancien Testament. Il va donc retrouver ce frère qui l’a rejeté, tentera de le tuer, enlèvera sa femme et son fils, les enchaînera dans une cave…

David Morrell a le sens du suspense et ses 318 pages en Poche, assemblées en courts chapitres, se lisent d’une traite. Au-delà de l’intrigue, il illustre tellement l’Amérique moyenne, celle des petites villes de l’intérieur, qu’il vaut tous les traités de sociologie.

Il décrit très bien cette discipline religieuse contente de soi des communautés fermées, ces vertueux qui assistent à la messe autour du pasteur, leur contentement de soi à faire « le Bien ». Et « la honte » qu’ils ressentent et qui les inhibe quand la situation se retourne, leur impuissance née de leur naïveté.

Il montre aussi combien les institutions sont inefficaces : police, justice, FBI, délivrance du permis de conduire. Car elles sont trop bureaucratiques. Elles agissent selon « les règles », sans suivre leurs instincts ni surtout le simple bon sens. On apprend incidemment comment se créer une identité officielle à partir de rien dans l’Amérique d’aujourd’hui. « Avec la copie de son extrait de naissance (celui d’une personne décédée) et son numéro de sécu, on peut se faire délivrer un permis de conduire, un passeport et n’importe quel autre papier d’identité dont on peut avoir besoin » p. 120.

Leçon d’un Américain post-11 Septembre : tout individu plongé dans le drame ne peut recourir qu’à lui-même pour résoudre l’énigme et retrouver les siens. Il doit s’informer, s’entraîner, se mettre à la place de son ennemi. Avec un sentiment nouveau du tragique qui ne résistera peut-être pas longtemps : « Tout peut arriver. Une seconde, j’étais sur une corniche, à admirer le paysage, la seconde d’après, mon frère me poussait dans le vide.  La prudence est une vertu. –  Je l’ai appris à mes dépens » p.318.

Tout messianisme engendre la naïveté, toute naïveté l’illusion, toute illusion la perte de réalité. Les États-Unis vivaient dans une bulle de confort, de puissance et de sécurité. C’en est fini : retour avec David Morrell au pragmatisme de la Frontière, aux mœurs rude des pionniers, y compris dans le luxe moderne et avec toute la technique. Car le monde réel n’est pas celui, tout rose, de Walt Disney : il est rouge sang.

David Morrell, Disparition fatale, 2002, Livre de Poche 2004, 318 pages, occasion €0.89 à €20.42 

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Peter Robinson, Ne jouez pas avec le feu

2004 Peter Robinson Ne jouez pas avec le feu

Malgré des titres proches, le titre anglais est bien plus percutant dans son participe que le titre français par son impératif… Y a-t-il encore des « littéraires » dans l’édition française ? Des gens qui restent sensibles à la nuance de la langue plus qu’au marketing de brute ?

Cette excellente enquête de l’inspecteur Banks, de la police anglaise du Yorkshire, met en scène un personnage de ‘méchant’ qui, effectivement, est en train de jouer sans cesse avec le feu – et cela depuis toujours. C’est une constatation (titre anglais), pas une injonction morale (titre français) – tout un écart culturel !

Après avoir soupçonné l’un et l’autre, le lecteur sait très vite vers qui l’enquête converge inévitablement. Sauf que ledit coupable est aussi évanescent que ses identités multiples. Il adore ‘jouer avec le feu’, dans tous les sens que prend cette expression.

Il y a ces mystérieux incendies dans lesquels meurent, parmi d’autres, une junkie jeune et paumée, donc adorable. Est-elle victime « collatérale » ou centrale ? On se demande un peu, ce qui va permettre une incursion humaniste dans les pratiques sexuelles d’un certain type d’homme, permise par la réaction victimaire d’un certain type de femme, cela sous les yeux d’une certaine génération bienséante. Comme souvent avec Peter Robinson, les marginaux et les paumés sont sympathiques, et les riches établis se révèlent des escrocs mentaux ou sociaux. Ce roman ne faillit pas à la règle. La scène de drague dans une Audi luxueuse lancée à toute vitesse sur les routes escarpées du Yorkshire est un morceau d’anthologie. D’autant qu’elle ne fait que rajouter son épaisseur de mystère à l’intrigue !

L’histoire se double des aventures compliquées de l’inspecteur avec ses femmes. Son ex-épouse ne trouve rien de mieux à faire, passé 40 ans, qu’un autre bébé ; son ex-maîtresse se retrouve impliquée dans l’enquête à titre passionnel autant que professionnel ; sa nouvelle maîtresse, il n’a pas assez le temps de la voir, laissant la vie filer dans le boulot et le stress ; sa fille même le sermonne de loin au téléphone… Plus que jamais, l’inspecteur Alan Banks, au prénom très milieu des années 50, nous apparaît digne d’estime. D’autant qu’il se retrouvera sans rien à la fin du récit, pour avoir trop aimé le whisky (Laphroaig)…

Sa description par son ex-maîtresse et néanmoins collègue résume tout ce qu’il y a à savoir de lui : « C’est très agréable d’être en sa compagnie, et il est drôle. La plupart du temps, du moins. Il adore la musique, il aime le whisky pur malt, il a des goûts acceptables en matière de films, mis à part un malheureux penchant pour les gros machins d’action et d’aventure. Tu sais : James Bond, Arnold Schwarzenegger et ce genre d’horribles trucs machos. Ce qui est curieux, car il n’est pas vraiment du genre macho. Je veux dire, c’est un homme sensible, gentil, compatissant, et il a vraiment le sens de l’humour » p.272.

Comme tel est le portrait que nous croyons justement être le nôtre, et peut-être est-ce proche du vrai, nous ne pouvons que trouver l’inspecteur Banks fort sympathique. Et cette enquête fort réussie. Elle a son pesant d’action, d’énigme et d’humanité, une trilogie qui fait la qualité des Peter Robinson.

Peter Robinson, Ne jouez pas avec le feu (Playing with fire), 2004, Livre de Poche 2007, 560 pages, €7.22

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Peter Robinson, Matricule 1139

1989 Peter Robinson Matricule 1139

Peter Robinson, auteur policier du Yorkshire qui vit au Canada, a évoqué la vie autarcique et décalée des marginaux post-68. A Necessary End, publié en 1989, n’a été publié en France qu’en 2007 sous le titre trompeur (et stupide) de Matricule 1139. Le chiffre évoque le bagne ou le camp – rien de tel dans le roman ! Comme toujours, le « milieu » littéraire français veut faire original intello alors qu’il n’est que bête (il s’agit bien d’un Milieu dans le sens de Mafia). Passons… Le roman policier de 477 pages, « enquête de l’inspecteur Banks », vaut mieux que les afféteries d’éditeur germanopratin.

Nous sommes en effet au cœur de l’Angleterre, dans le Yorkshire cher à l’auteur, dans les années Thatcher du libéral-dogmatisme. Lors d’une manif, un flic est tué et une centaine de suspects sont possibles. Est-ce politique ? La manif portait contre l’implantation d’une centrale nucléaire et contre l’extension d’une base d’avions américains. Est-ce personnel ? Le flic descendu se trouve être un gros bras vantard et résolument réactionnaire, qui a découvert le plaisir sadique de matraquer la foule hostile, surtout les femmes et surtout à la tête. Est-ce coup de sang ? Un couteau dans la poche, la haine qui monte, le coup qui part dans la bousculade.

Évidemment, comme il s’agit d’un membre de la maison Poulaga, tombé en service commandé alors que l’organisation laissait à désirer, les enquêteurs locaux sont sensés n’être pas objectifs. On éloigne le superintendant du coin pour adjoindre à Banks, inspecteur, un superintendant pugnace venu de Londres. Le fameux Burgess est un tantinet parano, brutal, provocateur. Il a une haine idéologique pour tout ce qui est anarchiste, communiste, pacifiste, étudiant qui pense, féministe, pédé, hippie, marginal et racaille de tout sexe et acabit. De plus, il saute tout ce qui porte nichons et qui passe à portée…

hippie

Nous avons donc tous les éléments bien noir et blanc pour s’identifier au bien contre le mal, comme il était d’usage entre 1965 et 1991. Un délinquant à peine sorti de prison (déstructuré, violent et très peu sûr de lui) fait le coupable idéal. Un militant d’âge mûr, pontifiant et borné, en fait un autre. Sans parler de deux étudiants, froids et peut-être terroristes. Mais nous sommes en Angleterre, pas au Far-West ; Peter Robinson est plus subtil que le stalinien ou le reaganien moyen ; les choses ne sont donc jamais comme elles paraissent, ni les êtres d’un bloc.

La cause hippie, bêlante et gentillette, a produit de l’égoïsme forcené dont les gamins ont souffert. La militance anti-ce-qu’on-veut a des objectifs louables mais se trouver servie bien souvent par des manipulateurs contents d’eux-mêmes et qui se prennent pour des politiciens. Les policiers, en charge du respect de la loi, dérapent à l’envi dans le machisme et le plaisir de frapper ou de soumettre. Les drogués sont dépendants, mais aussi paumés et incapables de vivre une quelconque liberté s’ils sont remis dans la nature. Les féministes ont secoué les conventions, mais braqués les mâles, et se retrouvent esseulées, éperdues de protection et de maternage, une fois l’âge mûr venu…

L’intrigue est subtile et sa résolution in fine une vraie surprise. Ce roman est un bonheur de lecture tant il fait la part belle aux gens, aux doutes, aux scrupules humains. Banks y joue là l’un de ses meilleurs rôles en mari aimant (mais tenté), en père soucieux de ses enfants (mais absent), en policier respectueux des lois (mais qui a ses convictions politiques). Il aime la musique (l’opéra, le blues, le rock « jusqu’à la séparation des Beatles »), les bons whiskies, les diverses sortes de bières, le tabac, la tourte aux huîtres – et surtout les gens.

En cette année de « printemps » un peu partout, il est intéressant de voir comment ont vécu les post-68 et ce roman sans prétentions intellos nous en dit plus que les traités de sociologues.

Peter Robinson, Matricule 1139 (A Necessary End) Le Livre de Poche policier, octobre 2007, 477 pages, €6.75

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Peter Robinson, Le rocher aux corbeaux

1988 Peter Robinson Le rocher aux corbeaux

Il faut du temps pour qu’un éditeur français s’aperçoive qu’un auteur étranger a du succès. D’où ces presque dix ans avant la traduction d’un des premiers romans policiers de Peter Robinson, cet Anglais qui vit au Canada et décrit si bien la vie et les mœurs des villages du Yorkshire.

Il s’agit des années 1980. L’inspecteur divisionnaire Banks a quitté Londres un an et demi auparavant, préférant la saine vie de campagne pour lui et pour ses deux jeunes enfants, Brian 12 ans et Tracy, 14. Dans son district autour de la petite ville d’Eastvale, il ne se passe pas grand chose : ivrognes, bagarres de couples, cambriolages… Rien à voir avec les crimes ni les industries de la drogue et du sexe des quartiers de Londres. Pourtant, il s’agit bien de sexe, de fric et de théâtre pour expliquer ce meurtre d’un homme trouvé par un chien sur la lande. L’être humain reste le même, qu’il vive à la campagne ou à la ville ; peut-être la ville concentre-t-elle les problèmes ? Il reste que les couples se font et se défont, que l’ambition d’arriver règne, que les adolescents cherchent encore et toujours le sexe, l’autre, l’expérience inoubliable. Et les villages fermentent autant que les grandes villes.

C’est dans le passé que cherche Banks car rien, dans le présent, ne semble expliquer pourquoi un ex-universitaire ayant touché un héritage, aimé de tout le monde et vivant dans ses rêves archéologiques, a pu pousser quelqu’un jusqu’à le tuer. Le style Robinson peut alors se déployer, fait d’attention aux petites choses, d’empathie pour les gens, de curiosité pour la comédie humaine. Adolescentes, major en retraite, médecin, éditeur précieux, chanteuse folk, tenant de bar, policier du coin – tous les types sont examinés avec affection et précision.

ado torse nu

La traduction flotte parfois : ainsi, que veut donc dire en français « un jeune homme débraillé, vêtu d’un tee-shirt moulant » ? (p.249) Se débrailler, c’est se découvrir largement la poitrine ; par extension, une mise débraillée signifie des vêtements en désordre. Comment donc un tee-shirt « moulant » pourrait-il apparaître « en désordre » ? Une meilleure traduction aurait pu être « un jeune homme à la mise négligée, vêtu etc. ». Comme il s’agit du petit ami de 16 ans très épris d’une fille qui a disparu, le terme « négligé » aurait renforcé le dédain adolescent pour l’habillement. On peut relever souvent de tels errements de traduction, comme si Peter Robinson n’avait pas de style littéraire. C’est faux et c’est dommage ; ses romans les plus récents sont  mieux traduits.

L’intrigue est menée de façon classique comme un puzzle qui ne se reconstitue qu’à la fin. Agatha Christie était passée maître dans cette façon de faire. Rien n’est innocent dans les aspirations des unes ou les lectures des autres. Un roman bien connu, ‘Les hauts de Hurlevent’, y joue son rôle ; et le titre anglais choisi par Peter Robinson – ‘A Dedicated Man’, un homme voué à ou consacré à – apparaît n’être pas anodin.

Reste que vous devrez attendre les trois-quarts du livre pour qu’un indice vous fasse sursauter, si vous êtes lecteur attentif. Un nouveau personnage de coupable devient possible. Ce sera lui ! A vous de trouver, vous ne regretterez pas votre soirée de lecture.

Peter Robinson, Le rocher aux corbeaux (A Dedicated Man), 1988, Livre de Poche 2006, 349 pages, €6.27

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Elisabeth George, Le rouge du péché

Elisabeth George Le rouge du peche

Cette fois ci, Élisabeth George vous offre le crime parfait. Non qu’on ne trouve point le coupable ! Après de multiples sondages dans le passé et enquêtes sur les liens du présent, le lecteur et les personnages savent pertinemment qui il est. Mais aucune preuve ne permet de l’inculper. Limites de la justice, carences de la police, impuissance des hommes, Élisabeth George joue avec le genre policier et renouvelle le récit. ‘Careless in red’ pourrait se traduire par ‘Négligence en rouge’ ou ‘Carences rouges’. Le rouge est en effet la couleur de la veste du garçon assassiné ; la couleur du foulard et des escarpins de sa pute de mère ; la couleur de la passion et de la vengeance.

Nous sommes en Cornouailles, cette Californie du sud de l’Angleterre. Thomas Lynley, commissaire en disponibilité de New Scotland Yard, randonne depuis 40 jours après que sa femme Helen enceinte de leur fils eût été tuée à Londres pour rien par un Noir de douze ans (‘Anatomie d’un crime’, déjà chroniquée sur le blog).

Il découvre un cadavre de jeune homme au pied d’une falaise de schiste, une escalade qui s’est mal terminée. Le gamin a 18 ans et deux passions : le surf et la baise. Il y est athlétique, énergique entre les jambes mais rien entre les deux oreilles comme le dira l’une de ses amantes. Mais (préjugé bien américain) quoi faire en Cornouailles hors le surf et la baise ?

Probable signe des temps, cette quasi décennie néo-conservatrice de George W. Bush rend Élisabeth McCabe, dite George, bien plus américaine qu’anglaise. Elle décrit ici la vieille Europe du ton neutre et supérieurement amusé de l’ethnologue devant les Bororos. La litanie des prénoms régionalistes est pour quelque chose dans cet exotisme : Santo, Benesek, Madley, Daidre, Kerra, Dellen, Tammy, Selevan, Jago, Edrek, Gwynder… L’Angleterre, désindustrialisée – la City et le désert anglais – ne survit chichement que de petit artisanat de service (planches de surf sur mesure, tourisme sportif, pâtés chauds, chambres d’auberge, journal local) et d’administration (médecine, école, police). La population n’y vit que pour le sexe. Dès 13 ou 14 ans, les jeunes font ça sur la plage ou dans les grottes, « nus ou à demi-vêtus » comme le précise on ne sait pourquoi l’auteur. Dès 17 ou 18 ans, l’activité devient frénétique, tirant en permanence tout ce qui bouge. Le vocabulaire prend son ampleur : clouer sur le matelas, fourrer, niquer, baiser, se faire, farcir – « prendre son plaisir » en est presque bénin. Il y a comme une obsession américaine de femme puritaine mûre (from Ohio) pour les galipettes ‘hétéro only’ des jeunes anglais dans ce roman 2008.

Rien d’étonnant à ce qu’intervienne l’autre symptôme du mal américain : l’obsession biblique, style Ancien testament. Ce pourquoi la traduction française arrangée du titre n’en tord pas le sens, pour une fois. Les références au Bien et au Mal commandés par le Livre y sont constantes, depuis le rouge putassier et le paiement du péché sexuel jusqu’à l’œil pour œil de la vengeance ultime. Comme si l’Angleterre était un pays cagot et bigot à l’égal des États-Unis de Bush ! On ne dira jamais assez combien le 11-Septembre et la décennie bushiste ont tordu la mentalité américaine dans le sens de la névrose obsessionnelle. Cela se voit dans les romans de la période, dont celui-ci.

Reste qu’Élisabeth George est une professionnelle. Elle a un grand talent de conteuse. Malgré le nombre de pages (791), on se surprend à passer deux heures sans lever les yeux, attiré et séduit par le talent de la romancière. L’auteur a créé un écheveau de personnages, une dizaine, qu’elle toronne en une histoire multiple où chacun réagit sur chacun. A chaque rupture de séquence, on a envie d’en savoir plus. L’enquête elle-même n’est pas un modèle du genre, Lynley et Havers (héros habituels des romans de George) n’intervenant que pour la figuration, l’inspecteur local Bea – une femme de la cinquantaine – se dépatouillant comme elle peut des brêles qu’elle a sous ses ordres, de la glu des citoyens qui se connaissent tous et de son intendance de femme divorcée avec fils ado.

L’important est la psychologie. C’est ce qui fait qu’on l’aime. Elisabeth George réussit une belle empathie avec les personnages les plus divers, ramenant leurs faits et gestes aux grandes passions humaines : le rapport père-fils, mère-fille, grand-père et petite-fille, adulte-adolescent, garçon-fille à l’âge pubère, vieux beau-ménopausée avec besoins, etc. Il y a de l’amour et de la haine, des regrets et des pleurs, des résiliences surprenantes et des missions manquées. Le tout forme une tragédie, moins grecque que talmudique, dont le message est : il n’y a pas forcément de justice et souvent les innocents payent… pour rien. Encore qu’ils ne soient jamais vraiment innocents ! Vous avez dit péché « originel » ?

Élisabeth George, Le rouge du péché (Careless in red), 2008, Pocket octobre 2009, 791 pages, €7.98 

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Patricia MacDonald, Un coupable trop parfait

Les romans policiers de Patricia Bourgeau, dite « MacDonald », me laissent un sentiment mitigé. J’admire le professionnalisme de l’intrigue, savamment amenée, conduite avec ce qu’il faut de suspense, sans temps mort. J’aime l’originalité des thèmes, qui change des autres. En revanche, je reste au bord du roman, sans vraiment entrer dans l’histoire. Je n’éprouve aucune empathie pour les personnages. Ils m’apparaissent comme des poupées mécaniques, de simples acteurs jouant un rôle social stéréotypé. Même les héroïnes ne sont pas sympathiques. « Un coupable trop parfait » représente pour cela un progrès : il est sans conteste le meilleur de la série !

Dans les histoires MacDonald, il s’agit habituellement d’une femme et mère qui se heurte à l’égoïsme et à la lâcheté des hommes. La femme est bête ; les hommes violents. Chacun joue son rôle : lui de macho qui a des comptes à régler avec sa mère ou son ex-femme ; elle de maman qui « par instinct » et par « convention sociale » défend bec et ongles ses petits, filles ou garçons. Pas trop grands, les garçons – sinon ils passent à l’ennemi ! En général, la femme-et-mère agit sans aucune rationalité, sans mesurer jamais les conséquences de ce qu’elle fait. Son ‘instinct » la propulse dans les ennuis et ce sont les autres qui l’en tirent. Comment voulez-vous trouver sympathiques de telles pétasses en folie ?

« Expiation » (1981) met en scène une ex-taularde (évidemment innocente !) qu’une société villageoise poursuit mystérieusement de sa vindicte.

« Un étranger dans la maison » (1983) narre la stupidité d’une mère qui laisse sans surveillance son bébé de 4 ans ; il est donc enlevé et retrouvé dix ans plus tard, son ravisseur étant bien sûr autre qu’on ne croit.

« Petite sœur » (1986) est le remord d’une grande sœur qui a fait sa vie hors de sa petite ville et de sa famille étriquée ; la mort du père la rapproche de sa sœur de 14 ans, dont le petit-ami de 21 ans (sic !) n’est pas très net.

« Sans retour » (1989) commence par le meurtre d’une adolescente modèle ; l’auteur donne alors toute la mesure de sa haine féministe en créant le personnage du « fils parfait », un éphèbe superbe de 16 ans dont tout le monde est amoureux ou au moins admire.

« La double mort de Linda » (1994) fait ressurgir une mère qui a abandonné sa fille et ce retour remue les turpitudes de la petite ville.

« Une femme sous surveillance » (1995) montre la femme-victime de la communauté, la veuve qui hérite, l’hystérique qui se remarie juste après le meurtre de son premier mari, celle qui vole le petit-fils.

« Personnes disparues » (1997) multiplie les coupables pour cet enlèvement d’un bébé et de sa baby-sitter adolescente ; les hommes seront malmenés, comme d’habitude, même si le coupable réel n’est pas celui qu’on croit.

« Dernier refuge » (2000) donne à voir la fille naïve qui croit trouver le grand amour à chaque mâle qui s’intéresse à elle ; et tout père qui se préoccupe beaucoup de ses enfants ne peut qu’être suspect pour la MacDonald – c’est le rôle de la « femme-mère », voyons, dans la culture américaine !

C’est ce parti-pris qui agace, au fond. Que chacun soit cantonné dans ses rôles par une société conventionnelle, au point de ne pas pouvoir en sortir autrement qu’en côtoyant la mort. Que chacun soit élevé de façon si étriquée qu’il finisse par confondre « ce qui se fait » avec « ce qui se doit », et les conduites éduquées avec des conduites « naturelles », « instinctives ».

« Un coupable trop parfait » (2002), renouvelle un peu le genre. Il s’agit toujours d’une épouse et mère, agissant « à l’instinct » – ou du moins selon les convenances qu’elle met sous ce nom. Comme d’habitude, elle ne se sent nullement en cause, elle n’a « pas de chance » : son premier mari se suicide sans rien laisser prévoir ; son second mari se noie dans sa propre piscine. A chaque fois, l’épouse-et-mère est absente, préoccupée de fanfreluches ou autres attraits superficiels de l’existence. Mais, cette fois, le héros du roman n’est pas la mère. C’est le fils, un petit garçon de huit ans d’abord traumatisé d’avoir découvert mort son père ; devenu adolescent de quatorze ans qui s’entend mal avec son beau-père et reste maladroit avec son bébé sœur.

Dylan est fragile… et plus fort qu’on ne croit. Il fait d’ailleurs un coupable tout désigné pour la vindicative procureur, ex-amoureuse du beau-père. Dylan remet en question le vernis de « bonne mère » et les hypocrisies adultes – notamment de tous ceux qui sont investis d’autorité : profs, flics et psychiatres. Dylan est sain, au fond : il rigole du féminisme imbécile qui court l’esprit américain ; il devient mâle en découvrant que ses père, beau-père et grand-père ne sont pas si nets que ça ; il choisit son troisième « père » sur la fin ; il prend les choses en mains, puisque sa mère est incapable.

Il y a du progrès dans la peinture des gens réels, Patricia, continuez ! Vous ferez moins de MacDo insipides et plus de vrais romans.

Patricia MacDonald, Un coupable trop parfait (Not Guilty), 2002, Albin Michel, 450 pages, €19.86 (et occasion €2.00)

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Zola, L’Argent

Émile Zola écrivit ‘L’Argent’ en 1891. Fidèle à sa méthode, il s’est documenté, a beaucoup interrogé, est allé voir les lieux mêmes de l’intrigue. Il compose son roman en trois actes, comme un drame classique : l’exposé des motifs, le nœud de l’intrigue, la conclusion édifiante. Ce n’est pas une tragédie, Zola est trop positiviste ; c’est bel et bien un ‘drame bourgeois’ avec le mari, la femme, l’amant :

  • Le mari c’est le banquier juif Gundermann, froid et rationnel.
  • La femme c’est la bourse, la passion laïque du jeu, incarnée d’ailleurs par la baronne qui se donne à qui en veut contre un tuyau.
  • L’amant c’est Saccard, le ‘héros’ dramatique catholique mené par son enthousiasme, féru d’activisme, mais qui ne sait pas se contrôler.

Au fond, Zola se moque bien de l’économie ; contrairement à Balzac, il n’y connaît pas grand chose. S’il décortique les techniques boursières de son temps après s’être documenté en journaliste, c’est pour leur plaquer l’a priori général qu’il a de « l’histoire naturelle » de la société : tout est sexe et fumier. On ne fait de beaux enfants que dans le stupre ; de bonnes affaires que par magouilles ; de belle politique que par trahison. C’est pourquoi Émile n’est pas Honoré, aux perspectives plus vastes ; ni surtout Gustave, ce Flaubert qui pousse le réalisme jusqu’au surréel. Zola reste englué dans ses préjugés envieux de petit-bourgeois ébahi par ce qu’il comprend mal : l’empire, la banque, l’élan vital. Tout reste chez lui coincé au foutre : pas de politique sans coucheries intéressées ; pas d’affaires sans viol ni maîtresses achetées ; pas d’amour sans boue ni saleté. Freud ne fera que rationaliser cet état d’esprit catholique-bourgeois du 19ème siècle où la chair (diabolique) commande tout et le sexe (faible) parvient à tout détruire comme Ève au Paradis…

La bourse ? Elle est pour Zola « ce mystère des opérations financières où peu de cervelles françaises pénètrent » chap. 1. Dès lors, tout est dit : puisqu’il n’y comprend rien, il traduit avec ses lunettes roses :

1. L’argent comme fièvre du jeu : « A quoi bon donner trente ans de sa vie pour gagner un pauvre million, lorsque, en une heure, par une simple opération de Bourse, on peut le mettre dans sa poche ? » chap. 3 Alors qu’il y a très peu de vrais « spéculateurs » en bourse. Même Jérôme Kerviel le trader n’en était pas un, mû par l’ambition de prouver aux gransécolâtres de sa banque qu’il réussissait mieux qu’eux – pas par l’appât du gain.

2. L’argent comme passion sexuelle : « Alors, Mme Caroline eut la brusque conviction que l’argent était le fumier dans lequel poussait cette humanité de demain. (…) Elle se rappelait l’idée que, sans la spéculation, il n’y aurait pas de grandes entreprises vivantes et fécondes, pas plus qu’il n’y aurait d’enfants sans la luxure. Il faut cet excès de la passion, toute cette vie bassement dépensée et perdue, à la continuation même de la vie. (…) L’argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale, servait de terreau nécessaire aux grands travaux dont l’exécution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre. » chap. 7 Mais pourquoi l’argent serait-il « sale » – sauf par préjugé biblique du travail obligatoire dès qu’on n’obéit plus à Dieu ? Il n’est qu’un instrument, la nécessaire liquidité pour investir et l’outil de mesure du crédit ?

3. L’argent comme capacité positiviste : « Mais, madame, personne ne vit plus de la terre. L’ancienne fortune domaniale est une forme caduque de la richesse, qui a cessé d’avoir sa raison d’être. Elle était la stagnation même de l’argent, dont nous avons décuplé la valeur en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes, commerciaux et financiers. C’est ainsi que le monde va être renouvelé, car rien n’est possible sans l’argent, l’argent liquide qui coule, qui pénètre partout, ni les applications de la science, ni la paix finale, universelle… » chap. 4. Par là, Zola traduit le désarroi des « fortunes » traditionnelles, issues des mœurs aristocrates singées par les bourgeois accapareurs de Biens Nationaux à la Révolution : ils n’ont rien compris à l’industrie ni au commerce, ces Français archaïques ; ils ne désirent que des « rentes » pour poser sur le théâtre social. Alors que l’argent est liquide comme le foutre et que seule sa liquidité permet d’engendrer de beaux enfants, ils regardent avec jalousie ces financiers qui utilisent le levier du crédit pour créer de vastes empires industriels ou commerçants. C’est pourquoi son ‘héros’ devra chuter – car une réussite terrestre aussi insolente appelle une punition « divine » ou « de nature » (pour Zola, c’est pareil).

4. L’argent comme immoralité suprême : « Il n’aime pas l’argent en avare, pour en avoir un gros tas, pour le cacher dans sa cave. Non ! s’il en veut faire jaillir de partout, s’il en puise à n’importe quelles sources, c’est pour la voir couler chez lui en torrent, c’est pour toutes les jouissances qu’il en tire, de luxe, de plaisir, de puissance… (…) Il nous vendrait, vous, moi, n’importe qui, si nous entrions dans quelque marché. Et cela en homme inconscient et supérieur, car il est vraiment le poète du million, tellement l’argent le rend fou et canaille, oh ! canaille dans le très grand ! (…) Ah ! l’argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l’amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l’entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. » chap. 7.

Voilà, tout est dit : le credo de la gauche française est fixé pour un siècle et demi. Zola était radical, la gauche de son temps. Mesdames et Messieurs Aubry, Moscovici, Royal, Dufflot, Mélenchon et Besancenot ne parlent pas autrement aujourd’hui. Les immobilistes donneurs de leçons comme Messieurs Chirac et Bayrou non plus. Le dogme est que l’argent le rend fou et canaille – point à la ligne. Où l’on ramène l’économie à la morale, comme si c’était du même ordre. Est-ce de réciter le Credo qui produit le pain ? Ne serait-ce pas plutôt le travail ? Il y a un temps pour prier et pour faire la morale, et un temps pour travailler et produire. C’est même écrit dans la Bible…

Confondre les deux en dit long sur la capacité de penser. La moraline remplace la morale et les inquisiteurs les politiques. L’argent est un outil et un outil n’a pas de morale : seul l’être qui l’utilise peut en avoir une. Le bon sens populaire sait bien, lui, qu’un mauvais ouvrier a toujours de mauvais outils.

Que faire contre l’argent ? Zola a lu Marx et c’est pour cela que la gauche l’encense, malgré l’antisémitisme affiché de ‘L’Argent’. L’un des personnages est Sigismond Busch, louche apatride – juif russe émigré – dont le frère récupère sans merci les dettes signées par les gigolos pour les faire cracher. Mais Sigismond incarne chez Zola l’Idéaliste, le jeune homme, fiévreux de théorie, évidemment phtisique. Il ne rêve que collectivisme socialiste – et il mourra évidemment selon la morale de Zola, pour que le roman respecte « l’histoire naturelle » de son temps.

Zola, en exposant les bases du marxisme, a quand même cette incertitude salvatrice à laquelle JAMAIS le socialisme n’a pu répondre : « Certainement, l’état social actuel a dû sa prospérité séculaire au principe individualiste que l’émulation, l’intérêt personnel, rendent d’une fécondité sans cesse renouvelée. Le collectivisme arrivera-t-il jamais à cette fécondité, et par quel moyen activer la fonction productive du travailleur, quand l’idée de gain sera détruite ? Là est pour moi le doute, l’angoisse, le terrain faible où il faut que nous nous battions, si nous voulons que la victoire du socialisme s’y décide un jour… », chap. 1.

‘L’Argent’ ? Un roman porno autorisé fin 19ème : sans doute pas la meilleure explication de la bourse.

Émile Zola, L’Argent, Folio classique, €5.41

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Réactionnaires

Article repris par Medium4You.

Qu’est-ce qu’être « réactionnaire » ? C’est celui qui réagit à une action ; en politique, celui qui est contre ce qui arrive et veut soit le rétablissement de ce qui était avant (conservatisme) soit l’établissement d’un idéal imaginé (gauchisme) ou d’un équilibre éternel (écologistes). La réaction est une action qui tend à provoquer l’effet contraire à celui qui l’occasionne. Sont donc réactionnaires tous ceux qui refusent le présent au nom d’un âge d’or, d’un ailleurs ou d’une « autre » politique.

Contrairement aux idées reçues, le terme de « réactionnaire » en politique n’est pas réservé aux conservateurs qui veulent retrouver un âge d’or (droite) ou protéger les zacquis (gauche) ; il est aussi applicable à ceux qui prônent le durable, autre nom de l’éternel. Cet âge de stabilité à (re)trouver peut être soit très ancien, soit plus récent.

  1. Ainsi, les contre-révolutionnaires n’ont jamais accepté la révolution libérale des Lumières en 1789 ; ils rêvent au retour du roi de droit divin, de la tradition établie, des féodaux.
  2. Certains écologistes remontent même plus loin, à l’époque néolithique où l’homme a cessé d’être chasseur-cueilleur respectueux de mère nature pour tenter de la maîtriser par l’élevage et la culture, bâtissant des villes pour y entasser les récoltes, créant l’État pour lever l’impôt et entreprendre de grands travaux pour dompter les fleuves, le vent, la matière.
  3. Les nostalgiques des Trente glorieuses rêvent de retrouver l’élan démographique, économique et moral des années de Gaulle, où le parti Communiste et la CGT allaient dans le même sens productiviste et progressiste.

Il y a donc des réactionnaires de droite, des réactionnaires écolos et des réactionnaires de gauche. Mais tous ont un point commun. Ils se ressemblent par leur itinéraire mental, toujours le même, obéissant à un schéma de causalité identique. La séquence commune est : refus du présent, sentiment de déclin, recherche d’un coupable, ressentiment anti-élites, désignation d’un bouc émissaire, rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur.

Extrême droite, extrême gauche et gauche écolo agissent de cette même façon. Toujours au nom du « peuple », bien sûr, à qui l’on inculque que célafôta et yaka. Selon cet archétype politique, peu importe le prétexte, le résultat sera le même. Inutile de prétexter qu’il y a « gauche » dans le titre, il s’agit là de pure idéologie, dont Marx, Nietzsche et Freud ont montré qu’elle n’est que le voile de bonne conscience sur les instincts refoulés.

Il suffit d’examiner point par point l’itinéraire de cet archétype.

1-      Refus du présent : il s’agit de montrer qu’aujourd’hui est pire qu’hier ou que l’équilibre abstrait (Dieu, l’Histoire ou Gaïa même combat). Pas difficile car rien ne va jamais comme on veut. C’est le sens du temps que de changer sans cesse. Le mouvement a deux sens, revenir à l’avant ou anticiper l’après – mais il s’agit, à droite comme à gauche, de quitter ce mouvement pour établir une éternité. De quitter l’histoire qui se fait pour fonder un équilibre perpétuel indépendant des hommes.

  1. L’extrême droite veut retrouver un âge d’or où la culture ne remettait pas en cause la nature, où tout était « naturel » : l’identité, l’état social, la hiérarchie du pouvoir, la croyance, les mœurs.
  2. L’extrême gauche veut retrouver une époque révolue en rétablissant ce qui était alors : État jacobin, politique industrielle, crédit largement nationalisé, franc géré par le gouvernement via la Banque de France, frontières, diplomatie armée indépendante dotée de la bombe nucléaire (en bref un capitalisme monopoliste d’État).
  3. La gauche écologiste veut un avenir sur le thème de l’équilibre, toujours hors de l’histoire, par un nouveau pacte écologique pour effacer l’humain des rythmes naturels et des ressources de la nature, en devenant « renouvelable » ou « durable ». Effacer l’homme des êtres prédateurs au nom d’un « équilibre » du vivant mythique.

2-      Sentiment de déclin : non seulement ça ne va pas, mais ça va de mal en pis. Vite, jetons le bébé avec l’eau du bain ! Pour les réactionnaires, de droite, de gauche ou écolos, il n’y a rien de bon à garder du présent. La nature se dégrade comme le climat, les ressources se raréfient et sont l’objet de compétition mondiale, la population nationale est envahie d’immigrés, l’économie s’effondre à cause des émergents et de la rentabilité marchande, la devise est laissée à un lobby de technocrates apatrides asservi au capital étranger, l’emploi se délite à cause des patrons avides qui vont produire ailleurs et déclarer des bénéfices où il y a le moins d’impôts, la diplomatie et l’éducation n’ont plus « les moyens », le français recule comme langue parlée dans le monde comme le bon français dans nos banlieues. Nous sommes en décadence, rien ne va plus, c’était mieux avant ; il n’y a plus de bons produits, plus de sécurité, plus de jeunesse, plus de morale…

3-      Recherche d’un coupable : il s’agit de démontrer la causalité diabolique, souvent assimilée au libéralisme économique, laisser faire et laisser passer. La différence entre les extrêmes, droite et gauche (avec les écolos), est que la première refuse tout laisser passer au nom de l’autorité réhabilitée contre le laxisme, alors que la seconde distingue soigneusement le laisser faire économique (c’est mal) et le laisser faire des mœurs (c’est bien). Il faut y voir un écart de clientèle, les bobos sont des bourgeois acquis à la gauche qu’il s’agit de garder alors que leur pente naturelle, fonction de leur position sociale et de leur statut de richesse, les mènerait volontiers au conservatisme (si je suis heureux dans la société telle qu’elle est, pourquoi vouloir qu’elle change ?). Or le mouvement historique montre l’affinité des libertés : de la liberté d’expression à celle de voter, de la liberté de faire à celle d’être. La liberté réclame la liberté, voyez l’Iran, la Chine, l’Égypte de Moubarak… Le coupable une fois désigné, pourquoi ne se passe-t-il rien ? Parce qu’il y a Complot, évidemment ! Complot planétaire, fomenté par tous ceux qui ont intérêt à préserver leur pouvoir financier, social et moral et qui empêchent « le peuple » de réaliser ce qu’il veut.

4-      Ressentiment anti élite : qui a donc intérêt à préserver ce qui est ? Ceux qui ont actuellement le pouvoir, les élites sociales, politiques, énarques et grandes écoles, des affaires. Elles sont mondialisées, libérales, riches, urbaines, bourgeoises, parlementaires, attirées par les États-Unis et à l’aise en anglais. Vous avez là tous les ingrédients de ce « qu’il faut » haïr : la société du contrat au profit du retour à la société patriarcale, la culture de la négociation au profit de celle de l’autorité imposée, la société ouverte au profit du protectionnisme et du corporatisme, la population multiculturelle au profit de la xénophobie, le bon français et la loi française contre la presse poubelle et l’instruction à l’américaine (déferlement de franchouillardise sur l’affaire DSK), la campagne contre la ville, le terroir contre l’Europe technocrate, le jacobinisme contre les organisations internationales, le nationalisme contre le cosmopolitisme, la pureté ethnique contre le mélange métèque…

5-      Bouc émissaire : il est tout trouvé, il s’agit du capitalisme libéral anglo-saxon mené par l’Amérique selon l’éternel Complot financier qui dépossède chacun de sa terre, de ses origines, de ses pratiques ancestrales ppour tout rendre négociable et marchand. Un classique qui touche l’extrême droite comme l’extrême gauche et les écologistes, malgré les euphémismes et les dénis. Il s’agit de remettre en cause tout le mouvement de libération de l’individu depuis les démocrates Grecs jusqu’à la révolution des mœurs de mai 1968, en passant par la Renaissance (lire les classiques païens au-delà de la Bible) et les Lumières (esprit critique, égalité en droit et dignité, sortie par l’éducation des obscurantismes et contraintes). Cela au profit du collectif qui commande et exige le fusionnel. Tous les droits au collectif, aucun droit à l’individu : telle est la vulgate de ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Evidemment, le collectif, c’est eux : le parti, l’avant-garde, les spécialistes autoproclamés, la technocratie d’Etat…

L’intérêt de désigner un bouc émissaire est que le ressentiment individuel peut prendre une forme physique collective manipulée et canalisée : la violence de « la rue » est orientée vers des ennemis clairement désignés. Tous ceux qui ne sont pas avec vous sont contre vous : c’est simple à comprendre ! Tu discutes ? Tu es donc l’ennemi, le Diable, le sous-humain, le malade. J’ai le droit moral de te haïr, le droit juridique de t’accuser de n’importe quoi, le droit médical de te faire soigner malgré toi dans des camps spécialisés de rééducation, le droit physique de te taper dessus (et plus si crise politique comme sous Hitler, Staline, Castro, Pol Pot ou Milosevic).

6-      Rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur : à cette anarchie apparente des intérêts particuliers qui semble faire de la société une jungle, le remède refuge est l’État national et social. Il s’agit de la nostalgie de la monarchie, état « organique » où tout le monde est à sa place selon l’ordre divin ou « naturel », ou de l’Etat « intrument de la lutte des classes » pour retrouver l’équilibre de la société d’avant les classes, l’état définitif de la fin de l’Histoire, ou encore de l’empeinte humaine minimum dans l’état de Nature. C’est une constante des programmes de gauche comme de droite extrêmes que ce social nationalisme (ou national socialisme) dans un seul pays. Repli sur soi, sur ses origines, ses traditions, son « modèle social », ses frontières. Contre l’étranger, les traités négociés, les classes privilégiées, les lobbies, vive le peuple sain, rural et premier ! Local contre global : la terre seule ne ment pas, bon sang ne saurait mentir, vox populi vox dei.

  1. Pourquoi l’État ? Parce qu’il est réputé au-dessus des classes et des partis, des intérêts personnels – même s’il est manipulé par une caste étroite au nom du « peuple ». Parce que seules les frontières définissent le domaine d’intervention d’un État.
  2. Pourquoi un sauveur ? Parce que nul groupe ne peut seul être le maître en démocratie, enclin plutôt à négocier, à faire de la petite « politique ». « Yaka imposer car célafôta l’élite établie », est le slogan populiste.
  3. Pourquoi populiste ? Parce que le populaire est toujours en retard d’une génération sur les mœurs – depuis tous temps. Resté autoritaire malgré 1968, patriarcal machiste malgré le droit de vote de 1945 et l’égalité dans le mariage 1975, partisan des solutions de force malgré l’éducation (nationale).

Toute époque de crise engendre ressentiment social et repli sur soi, crispation et intolérance. Malgré l’écart affiché des idéologies, le schéma de réponse politique est le même : il s’agit d’arrêter le temps, de trouver l’équilibre qui rendra immobile le système. Il s’agit là d’un rituel archétypal où peu importent les prétextes – de gauche, de droite ou écolo : l’avenir espéré est résolument réactionnaire.

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Nietzsche et la leçon du vivre

Après Montaigne qui, reprenant les penseurs antiques, énonçait que « philosopher c’est apprendre à mourir » ; après Platon qui, faisant parler Socrate, énumérait les diverses sortes d’amour ; Nietzsche nous fait découvrir ce qu’est la vie véritable. « Je vais vous énoncer trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant » (Ainsi parlait Zarathoustra, 1).

L’esprit « courageux » et plein de force réclame des fardeaux pesants : « il s’agenouille comme le chameau ». Et le fardeau le plus lourd ? « N’est-ce pas ceci : s’humilier pour faire mal à son orgueil ? Faire luire sa folie pour tourner en dérision sa sagesse ? » Tel est l’esprit-chameau « qui, sitôt chargé, se hâte vers le désert. » Il renonce et se soumet – à un Dieu, à une Morale, à un Parti, à un Dictateur.

Au fond du désert, l’esprit « veut conquérir la liberté et être le maître de son propre désert ». C’est alors qu’il devient lion. « Il cherche ici son dernier maître » et « veut être l’ennemi de ce maître ». Ce dernier maître est le dragon « tu dois » – et l’esprit-lion s’oppose à lui en disant « je veux ». Or, « toute valeur a déjà été créée, et toutes les valeurs sont en moi, » dit le « tu-dois ». Ne reste alors au lion que le nihilisme. L’esprit-lion se révolte mais reste esclave de son ennemi. Il est la petite voix qui dit « non », mais s’arrête à ce toujours « non », purement passif. Une existence en négatif de râleur à perpétuité, de jamais-content, de révolté épidermique. Mais le lion est la métamorphose nécessaire pour aller plus loin : il permet la libération. « Se rendre libre pour des créations nouvelles – c’est là ce que peut la puissance du lion. » Et c’est là aussi « la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. »

La métamorphose ultime de l’esprit est la liberté d’enfance.

  • Ni coupable du simple fait d’exister, traînant son fardeau inutile jusqu’au désert de tout esprit, abdication complète de l’être en « Dieu », « Valeurs » ou doxa.
  • Ni révolté permanent, s’opposant à tout parce que ça existe, nihiliste fondamental, n’existant que pour dire « non », sans cesse récriminant, plein de ressentiment et de pensées négatives.
  • Mais créateur, neuf, osant penser par lui-même – créer.

A ce moment du texte surgit l’une des plus belles citations de Nietzsche, celle qui peut-être le condense tout entier : « L’enfant est innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un « oui » sacré. Oui pour le jeu de la création, mes frères, il est besoin d’un « oui » sacré. C’est sa volonté que l’esprit veut à présent, c’est son propre monde que veut gagner celui qui est perdu au monde. »

D’où vient que l’esprit humain se doive de redevenir « enfant » ? Plus que Montaigne, Nietzsche a été marqué par les penseurs grecs. Or le dieu grec le plus original, et l’un des plus puissants, est Eros. L’Amour est figuré sous les traits d’un enfant de 8 ans, primesautier et capricieux, tout entier dans le présent et mené par ses désirs. Il incarne la liberté la plus grande, l’énergie vitale à l’état brut, ce que Freud appellera plus tard la libido. Nietzsche appelle cette vitalité et la corrige en « volonté de puissance ». Elle n’a pas grand chose d’une « volonté » dans le français courant, mais elle est une puissance qui « est » parce qu’elle irrigue tout être vivant. L’accueillir, la maîtriser, la faire servir, telles sont les trois nécessités de l’humanisme grec, dans le prolongement duquel Nietzsche se situe – et c’est là où intervient « la volonté ».

Car cette puissance a deux faces, tout comme la libido freudienne : l’une orientée vers la vie, l’autre vers le néant (le désir de mort). « Vouloir » la vie est un acte de l’esprit, encore que la vitalité de l’être y participe tout entier : le vouloir est plus vif lorsqu’on est jeune, ardent et en bonne santé que vieux, fatigué et usé – mais l’être humain réserve souvent des surprises… Or, diviniser fait cesser la réflexion, le travail et la lutte – la réalité de la vie, en somme. L’idéal est une forme du rêve, une fumée d’opium, un renoncement au réel par lassitude – une faiblesse du vivre. La « volonté de puissance » est donc ce débordement d’énergie orienté vers la joie de vivre, d’aimer et d’apprendre. Elle a cette spontanéité d’enfant ou de course de jeune chat. Elle apparaît comme un plaisir pur, l’accord complet de l’être avec lui-même et avec le monde. Tout le contraire d’une quelconque aliénation. Tout ce que recherche l’humanisme.

C’est là qu’Heidegger s’est fourvoyé : la « puissance » n’est pas chez Nietzsche la force brute, ni la seule énergie vitale instinctive. Elle est la puissance « volontaire », celle qui intègre le tout de l’homme dans ses trois dimensions comme dans ses trois cerveaux : les instincts, les passions et l’intelligence. Nietzsche parle « d’esprit » et l’esprit domine et maîtrise – même s’il ne peut rien sans désirs (instinctifs) ni amours (passionnés). Nietzsche n’évacue pas l’Etre mais son absolu figé. pour lui, l’Etre à majuscule est illusion, seuls existent les êtres éphémères. Le négatif comme moteur des êtres (chameau qui subit ou lion en permanence révolté) est liquidé par le philosophe au marteau. Il redécouvre des Grecs le moteur « politique » des êtres humains, les rapports de pouvoir et d’attraction. Ces rapports sont désirs et forces, mais aussi rationalité et négociations. L’être humain est non fini, qui crée historiquement son propre destin.

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Folio 1985, 504 pages, €8.93

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Presse concierge

‘Le Monde’ devient de plus en plus ‘immonde’, selon le titre décerné par les canulars des années 1980. Le numéro daté (généreusement) des dimanches 10 et lundi 11 juillet 2011 donc préparé samedi 9 (on ne se refuse rien) est un concentré de propos de concierges.

Page 3 « on ne réveille pas Sarkozy » (qu’est-ce qu’on s’en fout !) sur la façon dont il a appris l’affaire DSK. Comme si le Président était coupable d’avoir appris plus tôt que les Français les frasques sexuelles d’un ex-futur candidat ! C’est digne du caniveau internet.

Page 6 « le scandale News of the World » : quel intérêt ?  Les radios en ont parlé en long et en large depuis des jours, c’est du réchauffé. On aurait aimé plutôt que « l’investigation » des journalistes ait levé le lièvre avant que tout le monde le sache. Mais évidemment ‘le Monde‘ s’en fout avant que ça devienne mondial.

Page 8 « quand on est en guerre, on dit la vérité ». S’agit-il d’Afghanistan où « nos » otages viennent de rentrer de 3874 jours de captivité ? Vous dites ? c’est moins ? Ah bon, le monde entier croyait l’inverse à force d’en lire, mais bon… S’agit-il de Libye où « nos troupes » (à court de munitions) se demandent ce qu’elles vont bien pouvoir inventer pour que « nos militaires » puissent partir en vacances comme n’importe quel fonctionnaire ou au moins prof ? S’agit-il de Côte d’Ivoire, de Somalie, du Liban, du Kosovo et de tous ces endroits perdus de vue où nos soldats sont déployés « pour la paix » ou on ne sait quelle mission qui n’a évidemment jamais rien à voir avec la guerre ? Vous n’y êtes pas. C’est Delanoë qui parle des impôts. Sur un ton belliqueux de concierge en colère. Vraiment, quel scoop alors qu’il n’est même pas candidat aux primaires !

Page 9 « les rumeurs sur son couple » ? Bon, ne cherchez pas, c’est Martine Aubry, « obligée » de démentir ce qu’Internet dit sur son mari-copain-amis-compagnon-pacsé (?) qui « défendrait » des islamistes. Est-il avocat ou non ? Quel aventure ! (ciel mon mari !)

Page 10 : à Marseille l’attaque d’un train express régional relance le débat sur la sécurité » – ben vrai ma bonne dame ! Y a pu d’morale j’vous dis. La sécurité c’est toujours à la Une. Et alors ? Y a -t-il enquête du journal pour en savoir plus ? Surtout pas, sur la chanson de « ces jeunes, hein « ! Ça me rappelle mon arrière grand-mère (oui, arrière, ça date comme disait l’égyptien). Elle jugeait de la presse en fonction des crimes relatés : « aujourd’hui y a pa’d’crime, ça a pas d’intérêt ». Texto. Le Monde a bien régressé en quelques années. Il va de mal en pis. Où sont les vaches (qu’un rapport de la Cour des comptes pointe justement ?)

Page 14 « Moody’s sème la pagaille sur les bourses » : on dirait un titre de Libération des années 80, avec jeu de mot douteux sur « bourses ». Page 15 « Un paparazzi au musée » ou mââme Michu à l’Élysée…

« Le Monde n’est plus vraiment Le Monde », dit un lecteur cité par le médiateur, à propos de l’affaire « DSK… tastrophe » (encore un titre poubelle digne de la presse du même nom). C’est vrai, poursuivons page 24 voir « ces femmes complaisantes envers leur mari volage »…

Il y a 15 ans, je lisais Le Monde en 1h15 environ ; aujourd’hui, 10 mn me suffisent… les meilleurs jours. Ce 10 juillet, 5 m’ont suffit largement tant ce torchon me tombe des mains. Rien qui n’ait déjà été dit et ressassé avec témoignages, intellos et contradictoire sur toutes les radios ; rien qui n’ait été analysé (bien plus directement, sans fioritures contorsionnées) par Internet ; rien qui n’ait fait l’objet d’enquêtes de la presse internationale ou (même !) hebdomadaire en France.

Le Monde est tombé bien bas, c’est un lecteur durant quarante ans qui vous le dit !

Avec la télé sur câble et à la carte, Internet et les blogs, la radio podcastable à l’envi, la presse « papier » a du mouron à se faire ! Plus le temps, plus l’envie, trop cher pour ce que c’est, marre des grèves des privilégiés syndicaux du Livre payés comme des cadres de la finance avec des vacances de prof, marre du papier qui tache les doigts et des pages difficiles à tourner alors qu’il suffit de se brancher un écouteur à l’oreille, marre des pubs SNCF ou Casden pleine page à prix exorbitant alors que les « services » publics sont censés être à l’agonie faute d’argent. On se moque de qui ? Pas de moi en tout cas, j’ai résilié mon abonnement et ne suis pas prêt à revenir.

Le journaliste devient le sidérurgiste des années passées. Fini le statut d’exception, la « signature » d’intello-à-la-française. Seuls survivent les groupes qui ont les moyens de financer une équipe de salariés bien formés pour faire des reportages, être envoyés spéciaux, offrir des réflexions de qualité. La revue XXI le prouve qui vend en librairie ce que ‘France Soir’ vendait jadis sous la signature de Kessel, Malraux, Blondin et d’autres. Les faits bruts ne suffisent pas – ils sont gratuits. L’idéologie ne rassemble que des convaincus – de moins en moins. La seule valeur ajoutée est dans la sélection des informations, leur vérification par recoupement, le recul propre au savoir maîtrisé, le décryptage.

Bien loin du ton de concierge affiché depuis peu par cet Immonde ! qui se croit encore « de référence ».

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DSK le retour ?

Article repris par Medium4You.

Du rebondissement de l’enquête aux sauts de cabris des politiciens, il y a de la marge. Il est possible que DSK revienne en politique, il est improbable qu’il soit candidat à la prochaine présidentielle.

Dominique Strauss-Kahn n’est peut-être pas aussi coupable que les apparences médiatisées le donnaient ; il n’est pas non plus blanchi. La victime a semble-t-il menti un peu sur son passé, est-ce pour cela qu’elle aurait menti sur le viol ? Le système américain est ainsi fait qu’il s’agit d’un duel d’enquêteurs entre victime et accusé. La morale américaine est ainsi établie que qui a menti une fois est supposé mentir encore. Reste à le prouver… Ce qui n’est pas le cas au 1er juillet 2011.

DSK est libéré sur parole, sa caution rendue, mais il n’est pas libre de quitter le territoire américain car il reste inculpé. La plainte est toujours crédible, les indices matériels font foi. Difficile de croire qu’on aurait battue la femme de chambre pour former les hématomes et antérieurement soutiré du sperme à l’ex-directeur du FMI pour qu’elle s’en enduise le col et s’en gargarise la bouche avant de le recracher sur les murs…

La prochaine audience du 18 juillet fera avancer l’affaire mais elle reste complexe. DSK peut plaider coupable sur des délits mineurs et payer une transaction, mais ce serait politiquement délicat : autant aller au procès s’il est sûr de son « innocence ». Il peut laisser la procédure suivre son cours, avec le risque d’aboutir au procès et de le perdre, au moins en première instance. L’affaire n’est donc pas terminée.

Le fait de voir un certain nombre de socialistes passer du déni à l’abattement, puis à l’euphorie les montre étonnamment cyclothymiques, bien loin de cette sérénité qu’ils affichent pour gouverner « tranquillement », en président « normal » une France « apaisée ». Cette émotion, trop médiatisée pour être honnête, ne rend pas service à leur cause. Seraient-ils maniaco-dépressifs ?

Même si l’audience du 18 juillet libère DSK de toutes les charges qui pèsent contre lui (en cas de nouveau rebondissement), il lui sera trop tard pour se présenter comme candidat aux primaires, la date étant fixée au 13 juillet. Le parti fera-t-il une exception ? François Hollande le demande, avec quelque démagogie. Ce serait retomber dans ce mépris des votants qui a eu cours en début d’année, lorsque l’on évoquait l’idée que ces primaires ne seraient que « de confirmation ». Martine Aubry est désormais candidate déclarée, comme François Hollande, Ségolène Royal et quelques autres. Si elle devait se désister en faveur d’un DSK revenu, son prestige en pâtirait et nombre de partisans iraient voter ailleurs.

Quant aux centristes, attirés un temps par l’ex-directeur du FMI, ils ne se rallieraient pas à un ex-accusé, même blanchi, après la boue remontée des fonds. On a vu en effet le clan des politiques juifs faire lobby dans les médias pour nier toute réalité aux accusations, sans en savoir plus que le public – les électeurs peuvent en déduire que l’origine passe avant toute vérité et justice. Les paroles telles que « trousser une domestique » ou « il n’y a pas mort d’homme » restent dans les mémoires, surtout féminines. La révélation des viols étouffés tel celui, inabouti mais violent, de Tristane Banon pour motifs politico-familiaux, laissent un goût amer sur la « moralité » de ces politiciens de gauche où la famille, le parti et le clan passent toute autre considération.

Je me réjouis à titre personnel de voir DSK se relever un peu de cette affaire nauséabonde ; je lui souhaite la poursuite de sa carrière politique. Mais il est peu probable qu’il revienne dans la course à la présidence, compte-tenu de ce que nous savons pour le moment.

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Ce qui se révèle de l’ex-candidat Strauss-Kahn

La chute du candidat potentiel libère la parole – et pas seulement des femmes. On apprend ainsi ce que l’on n’aurait jamais su des pratiques du parti qui se dit le plus vertueux de France : la manipulation. Le Congrès de Reims et le recomptage léniniste des votes en faveur de Martine Aubry n’était pas qu’un écart… Les déjeuners secrets avec la presse sont-ils l’autre scandale de l’affaire DSK ? Strauss-Kahn avait convoqué en rendez-vous secrets certains journalistes d’organes de gauche pour qu’ils fassent allégeance et soutiennent activement sa campagne. Marianne, le Nouvel Observateur et Libération ont été arrosés en trois déjeuners ‘off’ dans de grands restaurants parisiens. Denis Jeambar, dans Marianne, vend la mèche… mais bien tard, une fois le loup renvoyé en tanière.

Le métier de journaliste n’en sort pas grandi, pas plus que les mœurs politiques, restées très féodales dans ce pays qui se veut constamment « révolutionnaire ».

Le métier de politicien socialiste non plus. Ce sont ses étudiants de Science Po qui ont assisté médusés à un cours sur le travail et le salaire minimum, et à des propos télé le même soir à l’inverse. C’est qu’il n’est pas politiquement correct au parti socialiste de déclarer que le SMIC est trop haut en France, qu’il pèse sur les salaires juste au-dessus et sur la compétitivité du pays. Entre théorie économique et discours politique, Dominique Strauss-Kahn avait parfaitement assimilé l’hypocrisie nécessaire. Il avait le cynisme du parfait socialiste prêt à tout dire pour arriver au pouvoir, tout en n’en pensant pas moins. La « pensée de gauche » – si tant est qu’il y en ait une en France – n’en sort pas grandie.

De même la référence aux « valeurs républicaines », si souvent affirmées, sont-elles le plus souvent du théâtre. La pratique ne résiste pas aux tentations communautaristes.

On se pose en multiculturel, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, dans la lignée droitdelhommiste d’égale dignité de tous. Voilà qui est très libéral, sens XVIIIème siècle et j’y adhère complètement. Sauf que les femmes sont une espèce soumise, si l’on observe les pratiques de ces messieurs habitués des suites et des ors républicains. Sauf que les indigènes de la république sont renvoyés à leurs différences, tout écart de leur part à la norme dite républicaine étant solidifié en pratique culturelle, particularisme cultuel ou coutume traditionnelle. Ce multiculturalisme bobo, qui n’a rien du regard ethnologue, dépolitise en figeant les différences. Il n’y a rien à faire, tout est ethnique, aucune politique particulière à mener, c’est culturel. L’autre est enfermé dans son origine originale, conservé en indigène irréductible.

C’est la même chose à l’extrême droite avec l’irrédentisme gaulois, celui qui « résiste encore et toujours à l’envahisseur ». Comme s’il existait encore un « peuple gaulois » conservé dans la glace, différent de l’italien du nord, du germain de l’est, de l’anglais du nord et des celtibères de l’est… Le Gaulois est sommé de respecter une « identité française » dont on a peine à savoir ce que c’est.

Les intellos rejettent le multiculturalisme anglo-saxon sous le nom de communautarisme. Ils revendiquent l’intégration à la française. Le cosmopolitisme universaliste est une composante de l’esprit des Lumières, donc appartient à l’esprit français. Mais certains n’ont pas peur de la schizophrénie : ils vilipendent tout ce qui est américain ou anglais, communautarisme, ultralibéralisme comme mondialisation… mais s’empressent de l’adopter candidement s’il sert leurs intérêt immédiat. Tel le lobby juif à l’œuvre dans l’affaire DSK. Nous savons qu’il existe un lobby officiel aux États-Unis ; nous ne savions pas qu’il en existait un occulte en France. Or nous avons tous entendu le chœur des intellos-médiatiques qui se revendiquent juifs défendre le fils de famille sur les télés françaises, comme s’il suffisait d’appartenir à la communauté pour être de facto vertueux. Être juif n’a rien de déshonorant et nombre d’envieux sont antisémites faute d’avoir réussi comme les bons élèves. Mais pourquoi revendiquer l’intégration républicaine, haïr le communautarisme s’il est musulman… mais le pratiquer ouvertement pour soi ?

L’avocat newyorkais de DSK, Benjamin Brafman, revendique son appartenance à la religion juive orthodoxe. Que vient faire la religion dans une affaire de mœurs ? Est-ce que la seule croyance en une religion du Livre expliquerait que les femmes soient dominées et sans leur mot à dire ? Il va plus loin en confiant ses propos sur l’affaire non pas à un journal français comme Le Monde, Le Figaro ou Libération, mais à… Haaretz, quotidien israélien. Que vient faire Israël dans ce procès qui met en cause un citoyen français sur le territoire américain ? Il faut certes y voir une tactique judiciaire qui consiste à détacher DSK des préjugés yankees à l’égard des Froggy bastards, tout en agitant la compassion de la minorité juive américaine, mais imagine-t-on les dégâts dans l’opinion française ? Dominique Strauss-Kahn se trouve extradé de sa culture et de son pays, au profit d’une ethnie mondialiste particulière, qui est montrée pouvoir s’installer ici ou là sans être attachée nulle part…

J’aimais assez l’homme, que j’ai pu rencontrer ici ou là dans des colloques, son intelligence aiguë, son sens de la mesure, sa vision globale. Peut-être aurait-il été un bon président pour la France, donnant les grandes impulsions que ses ministres auraient mises en œuvre. Mais l’expression affichée de ce multiculturalisme-là par son entourage est une forme de racisme qui consiste à dire, qu’on le veuille ou non, « je ne suis des vôtres qu’en partie, je suis avant tout de mon clan ».

Manipulation en sous-main, discours idéologique pour plaire aux militants, refuge communautaire quand sa vertu est attaquée, certitude absolue d’avoir raison et de n’être jamais « coupable » de rien : l’état d’esprit léniniste, ce bunker de la pensée, a décidément beaucoup de mal à lâcher les consciences des hommes de gauche français.

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