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Chow Ching Lee, Concerto du fleuve Jaune

Ce récit est la suite du Palanquin des larmes, publié en 1973 sous l’impulsion du journaliste Georges Walther, et déjà chroniqué sur ce blog. Chow Ching Lee est née dans la Chine féodale, mariée à 13 ans, mère à 14 ans, chassée de son piédestal bourgeois par la Révolution maoïste, réfugiée à Hong Kong puis exilée à Paris après avoir appris toute jeune le piano. Concerto du fleuve Jaune commence alors qu’elle a fait venir en Europe ses deux enfants, son fils Paul (Po) qui réussit bien à Cambridge, et sa fille Juliette (Lin) qui habite avec elle et son nouveau mari M. Tsing.

Mais l’ingénieur M. Tsing est jaloux, routinier et violent. La vie n’est qu’engueulades et orages. Chow Ching Lee, peu solide malgré sa volonté de s’en sortir et sa foi bouddhiste aux limites de la superstition, reste engluée dans les rets des hommes. Un certain Alain est amoureux d’elle, après son beau-frère Fong ; elle ne peut se dépêtrer ni de l’un ni de l’autre car elle ne sait pas dire non. Elle s’en rend compte avec sincérité sur la fin, lorsque sa fille est bouleversée. « C’est moi qui, à cause de ma vie sentimentale désordonnée, ai fait tout ce mal. Soudain, je me sens honteuse, indigne ». C’est un peu tard…

Pour être indépendante, Chow ouvre une boutique de vente d’articles chinois et d’antiquités dans la Quartier latin. Cela prospère, elle terminera en femme d’affaires avec sa fille à la vente et son fils à la comptabilité. Mais elle veut remercier son pays (et d’en être sortie à temps) en reprenant le piano, qu’elle a appris avec la grande Marguerite Long. Pour cela monter à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées, le Concerto pour piano et orchestre dit « du fleuve Jaune », « une très intéressante rencontre de la musique chinoise avec les instruments occidentaux », dit-elle. Cela lui permettra « d’honorer sa famille » qui a souffert à cause d’elle, « la capitaliste » – bien que n’y étant pour rien, ayant été mariée forcée avec un héritier de Shanghai. Le concert a eu lieu en décembre 1973 et ce fut un succès, moins peut-être en raison du talent pianistique de Chow Ching Lee qui avait eu du mal à le travailler, que du symbole politique qu’il représentait, l’année où la Chine Pop était reconnue par les États-Unis après être entrée à l’ONU.

C’est un destin de femme, née au Moyen Âge et entrée dans la modernité grâce à son obstination. Elle est féministe de fait, non de papier. Elle voit la Chine telle qu’elle est, avec ses grandeurs et ses petitesses, au-delà de la propagande et des fantasmes. Ce pourquoi il faut relire Chow Ching Lee.

Chow Ching Lee, Concerto du Fleuve jaune, 1979, Robert Laffont 2001, 278 pages, occasion €5,13, existe aussi en poche J’ai lu, non référencé occasion

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Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les livres de Lawrence Simiane déjà chroniqués sur ce blog

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Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent sur Télumée Miracle

Simone est née Brumant et Guadeloupéenne en 1938 ; elle a épousé l’écrivain de France Schwarz-Bart et lui a donné deux fils dont un musicien de jazz. Elle adore les Antilles, son pays natal, et n’a de cesse de le chanter en faisant vibrer la vie contenue dans son climat voluptueux, ses plantes exubérantes et ses nègres vivaces. Car elle parle de « nègres » Simone la négresse, elle appelle un chat un chat et un nègre un nègre car c’est le mot latin pour la couleur noire – foin du politiquement correct !

Mais ce qui lui importe, ce sont les femmes. Esclaves des esclaves, elles sont considérées plus bas que terre encore dans ces années soixante-dix où l’autre Simone, le Castor, lance ingénument « qu’on ne naît pas femme, on le devient ». Négresse de Guadeloupe, donc inférieure au mâle et descendante d’esclaves vendus par ses propres frères de la côte africaine, Simone Schwarz-Bart relève la tête. Ne sont-ce pas les femmes qui transmettent la vie et les coutumes en Guadeloupe ? Les hommes ne paraissent bons qu’à boire et à se vanter, changeant de femelle comme de chemise, larguant les gosses venus au hasard. Même leurs révoltes du travail sont dérisoires.

Ce sont les femmes qui plantent et qui récoltent, qui enseignent les histoires et qui soignent. Télumée est l’une d’elles. Confiée par sa mère désorientée à sa grand-mère, « haute négresse » nommée Reine Sans Nom dans un hameau de cases en bois de Fond-Zombi, une ravine dans le trou du cul du monde, la petite fille grandit et se forme à l’exemple de son ancêtre. Elle suit l’école primaire où elle rencontre le négrillon Élie, fils du bar voisin, elle se forme en violon dès 13 ans, ses « deux seins » en avant et ses deux fesses en arrière. Ils se sentent destinés l’un à l’autre.

Et c’est le mariage devant tous, dès 16 ans, Élie embauché par le scieur de long Amboise, de trente ans plus vieux, Télumée domestique auprès d’une famille de Blancs. Elles les quitte pour rejoindre son aimé dès que la case qu’il a promis de construire est prête. « Plus haut, entre les troncs des mahoganys, j’aperçus l’échafaudage des scieurs. Élie était sur la plate-forme et le nègre Amboise se tenait au sol, les jambes écartées, cependant que la lame dentelée montait et descendait dans un nuage de sciure. Je m’assis à distance et contemplai les deux hommes en sueur, Amboise, grand arbre sec et noueux qui avait déjà jeté ses fruits, et mon Élie au torse mince, aux attaches encore indécises de l’enfant que j’avais rencontré, quelques années plus tôt, sur le bord de la rivière ».

Tout se passe bien un temps, aucun enfant ne vient, Élie s’entiche d’une autre variété en la personne de Lætitia, la rivale de Télumée depuis toute petite. Il se met à boire, à déserter sa couche, à la battre. Puis il disparaît avec sa maîtresse. Télumée connaît le sort des négresses, prise et jetée, à jamais esclave des hommes et des mœurs. Sa grand-mère passe au-delà et Télumée déménage sur un lopin loué par un Blanc ; elle y cultive un petit jardin et se loue comme coupeuse de cannes.

Sa solitude la fait retrouver le nègre Amboise, qui se met avec elle. Toujours aucun enfant, mais la sagesse du vieux nègre qui est allé en France et a mesuré l’indifférence des Blancs. « Déjà, dans la bouche de sa grand-mère, Amboise avait appris que le nègre est une réserve de péchés dans le monde, la créature même du diable. » Comme il a connu la France, les travailleurs de la canne lui demandent de les représenter auprès du patron de l’usine de sucre et de rhum ; ils militent pour deux sous de plus. C’est non et un jet de vapeur grille les meneurs, dont Amboise qui en meurt.

Télumée se retrouve donc seule à nouveau, une fillette lui est confiée bébé, toute malade, et elle en fait une belle adolescente jusqu’à ce qu’un demi-demeuré la lui ravisse par pure méchanceté. Vieillie, stérile, Télumée mesure alors son parcours de négresse plus bas que terre, le dernier barreau dans l’échelle des êtres. « Au beau milieu de cette incertitude nous vivons, et certains rient et d’autres chantent. J’ai cru dormir auprès d’un seul homme et il m’a vilipendée, j’ai cru le nègre Amboise immortel, j’ai cru à une enfant qui m’a quittée, et pourtant, sans trop savoir pourquoi, je ne considère rien de tout cela comme du temps perdu. Peut-être bien que toutes les souffrances, et même les piquants de la canne, font partie du faste de l’homme, et peut-être bien qu’en le regardant d’un certain œil, en me penchant d’une certaine manière, il me sera possible, un jour, d’accorder une certaine beauté… »

Une langue riche et des noms locaux qui roulent, imagés et naïfs mais vrais comme la terre; un roman de femme qui parle des femmes pour réhabiliter leur destin méprisé ; une certaine acceptation du destin doux-amer, où l’on ne peut séparer le bon du mauvais. Le meilleur roman de l’autrice, dit-on.

Grand prix 1972 des lectrices de Elle.

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent sur Télumée Miracle, 1972, Points Seuil 1995, 256 pages, €7,90, e-book Kindle €6,99 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Alien le huitième passager de Ridley Scott

L’alien, c’est l’étranger en anglais, terme qui vient du latin alienare, égarer la raison, transformer, rendre hostile. Le mot a donné « aliéné » en français, celui qui est hors de sa raison, le fol.

L’Alien est un monstre de l’espace, suprêmement intelligent, télépathe, et sans aucune conscience « humaniste ». Le rêve des libertarien américains. Il est efficace, cruel pour arriver à ses fins, n’hésitant jamais à faire tout ce qu’il peut pour se reproduire et prendre le pouvoir; un vrai psychopathe. Le rêve des capitalistes yankees. A noter que les créatures extraterrestres « aliens » sont des reines qui se reproduisent en agrippant au visage n’importe quel être vivant sans avoir besoin de mâles. Le rêve des féministes anglo-saxonnes. D’ailleurs, l’héroïne du film est la troisième lieutenante du vaisseau, Ellen Ripley (Sigourney Weaver), ce qui accentue le message.

Ce film, dont le scénario de Dan O’Bannon n’est pas très bon à cause des invraisemblables manquements aux règles les plus élémentaires de sécurité dans l’espace au début, est devenu un mythe. Il s’est décliné en six suites et plusieurs jeux vidéos ou jeux de rôle. L’Alien est l’étranger qui s’inocule chez vous, dans votre cocon, dans votre ventre même, et qui vous transforme en esclave pour ses besoins propres. Une allégorie de « l’immigration » non consentie ou du « viol » physique, thèmes qui résonnent toujours fort de nos jours.

Le cargo interstellaire Nostromo, qui transporte une cargaison de 20 millions de tonnes de minerais pour une puissante compagnie privée, retourne vers la Terre. L’ordinateur de bord appelé « Maman » réveille les sept membres de l’équipage maintenus en biostase pour une raison non-commerciale mais militaire : un signal radio inconnu a été capté, émis depuis un planétoïde du système binaire Zeta Reticuli. Les consignes exigent d’aller voir pour enquêter sur toute vie extraterrestre. La navette attenante au vaisseau est donc détachée avec tout l’équipage pour atterrir sur la planète.

Si le lieutenant Ellen Ripley, l’officier scientifique Ash (Ian Holm), l’ingénieur Parker (Yaphet Kotto) et le technicien Brett (Harry Dean Stanton) restent à bord de la navette, le capitaine Dallas (Tom Skerritt), son second Kane (John Hurt) et la navigatrice Lambert (Veronica Cartwright) débarquent à pied en scaphandre pour aller voir le signal, qui émet à 2000 m de leur atterrissage. Les scaphandriers contiennent des enfants, les fils de Ridley Scott, pour rendre le décor plus grand qu’il n’est.

Kane, qui ne prend aucune précaution élémentaire devant l’inconnu et qui explore comme un gosse, tombe devant des « œufs » qu’il s’empresse d’approcher de près et de toucher. Il ne lui vient pas une seconde à l’esprit que ce pourrait être dangereux. D’autant que nul n’a eu l’idée de faire décoder le signal radio par « Maman », ce qu’entreprend en attendant le retour des trois la lieutenante Ripley. Kane est donc victime – par imprudence et bêtise – d’un parasite qui explose d’un œuf pour se fixer à son visage comme un masque.

Il est ramené au vaisseau et, malgré l’ordre de Ripley, commandante de la navette en l’absence du capitaine, est introduit dans la cabine par Ash. Pire, au lieu d’être mis immédiatement en hibernation afin d’en savoir plus et de le soigner sur terre, il est conduit à l’infirmerie où l’officier scientifique l’examine et dit que tout va bien.

Et ce n’est pas entièrement faux. Kane se réveille, le masque qui le couvrait étant tombé tout seul. Il plaisante, a soif et faim, se restaure comme un ogre… avant d’être pris brutalement de nausées et d’expulser par le ventre un xénomorphe qui ressemble à un jeune dragon. Ash empêche Parker de le poignarder au sortir du ventre. Kane meurt et tous les autres sont menacés, comme l’avait prédit Ripley.

Seul l’ingénieur technique noir Parker a du bon sens dans tout cet équipage de demeurés. Lui veut éliminer carrément l’alien alors que le scientifique Ash tergiverse et que le capitaine s’en lave les mains. Quant à la navigatrice, elle est gourde et tétanisée, elle ne sera d’aucune utilité et victime consentante du monstre qui la viole d’une antenne et jouit de ses cris.

Car l’alien devenu très vite adulte (Bolaji Badejo) massacre un à un tout l’équipage, sauf Ripley, moins bête que les autres, qui prend le temps de réfléchir avant de faire n’importe quoi. Il est assez pénible aujourd’hui de suivre les actions stupides de tous ces gens réputés entraînés, éduqués, prévenus (comme d’introduire l’inconnu dans le vaisseau, ne pas respecter la quarantaine, empêcher qu’on le tue au sortir du ventre, aller traquer le monstre à la torche). L’espace n’est pas un bac à sable, et pourtant ils font comme si.

La raison donnée est militaro-industrielle, scie des intellos hollywoodiens en mal d’idées. Ash, qui a remplacé le médecin militaire précédent sans raison, se révèle un androïde placé dans le vaisseau par la compagnie pour assurer la mission. Il tente de tuer Ripley dans un simulacre de viol en lui enfonçant une revue porno roulée dans la bouche lorsque, devenu capitaine après la mort du capitaine, elle apprend par Maman que les ordres sont d’assurer le retour de l’Alien aux laboratoires de la compagnie multinationale Weyland-Yutani, « même si cela implique la disparition de l’équipage ». Les « affaires » avant tout, ou plutôt la puissance militaire au mépris de la vie humaine – un air connu aux États-Unis entre Vietnam et Watergate.

La seule survivante de cette histoire avec le chat Jones (quatre chats roux différents ont joué le rôle) parvient à durer après avoir enclenché l’autodestruction du vaisseau et détruit ainsi symboliquement la Mère qui a trahi (Maman). Mais l’alien, rusé, s’est introduit dans la navette et Ripley doit ruser elle aussi, s’adapter en bonne humaine intelligente, pour éviter de penser à ce qu’elle va faire afin de ne pas alerter le monstre et le surprendre. Elle réussit à passer un scaphandre, à ouvrir le sas et à éjecter la créature dans l’espace d’un coup de harpon. Elle dicte un rapport sur les événements avant de se mettre en hibernation avec cap sur la terre.

DVD Alien le huitième passager (version cinéma 1979 et Director’s Cut), Ridley Scott, 1979, avec ‎ Sigourney Weaver, Tom Skerritt, Veronica Cartwright, Harry Dean Stanton, John Hurt, 20th Century Fox 2014, 1h57, Blu-ray €19,49 version classique DVD 2005 €11,47

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Colette, Le voyage égoïste

Encore un autre recueil d’articles : quand un auteur n’a rien à dire, il publie ses articles en volume. Le thème, s’il en faut un, est celui de la vie quotidienne – facile quand on écrit dans les journaux, Le Matin, Vogue, Demain : c’est ce que les lecteurs/lectrices demandent. Mais ces textes sont riches et se lisent très bien encore aujourd’hui. Colette s’étonne, découvre du neuf, éprouve la joie des cinq sens. Même les mots qui décrivent sont remplis de saveur. L’éphémère du jour voisine avec le tangible du passé. Le souvenir fait voyager autant que l’aujourd’hui. Non sans plaisir mais aussi ironie.

Car Colette se moque.

D’elle-même avec ses souvenirs égoïstes : « Oh ! petit garçon je te montre un vase enchanté, dont la panse gronde de rêves captifs, la grotte mystérieuse où je m’enferme avec mes fantômes favoris, et tu restes froid, déçu… » p.1095 Pléiade. De sa fièvre dans « J’ai chaud ! » – que dirait-elle ne nos,canicules ! De l’absence de l’Autre, mari ou jeune amant : « C’est qu’il n’y a plus, sur la plage lissée par la vague, la moindre trace de tes jeux, de tes bonds, de ta jeune violence, il n’y a plus tes cris dans le vent, et ton élan de nageur ne brise plus la volute harmonieuse de la lame qui se dresse, s’incline, s’enroule comme une verte feuille transparente, et fond à mes pieds… » p.1101. De sa fille qui, à douze ans, évolue et récuse ses yeux de l’an dernier, son imaginaire enchanté et les jeux de déguisement avec les coupons de tissu. « Elle cherche de l’œil un miroir et non plus une couronne de lambeaux radieux » p.1129.

Des autres, de la mode, du temps : comme ces « parents qui soupirent, déconcertés, devant une progéniture qui à dix ans réclame une fourrure, à douze ans une auto, à quinze ans un fil de petites perles » p.1107. Ou ces visites obligées aux uns et aux autres, même si l’on n’en a pas envie, jusqu’à ce « mien cousin laissa chez moi une carte de visite qui portait, gravés, ces mots : Raphaël Landoy, Vice-Président de la Ligue contre l’usage de la carte de visite. » p.1111. Des mannequins « américains », grandes juments garçonnières sans fesses ni seins, sveltes mais anorexiques, qui contraignent les robes et disciplinent les corps peu faits pour ça en latinité. Seuls les hommes apprécient les robes, à condition qu’elles soient sur les mannequins : ils ont le regard objectif, sensuel, et achèteraient bien le tout plutôt que l’oripeau.

La mode allonge en été et raccourcit en hiver, habille en sept ans d’âge les femmes mûres, art de transgression qui vise l’épate plutôt que le confort et surtout le bon sens. Mode garçonnière : « Chez les couturiers, le faste de Byzance se promène sur des collégiens tondus. Lelong drape de ravissants petits empereurs de la décadence, des types accomplis de la grâce sans sexe, si jeunes et si ambigus que je ne pus me tenir de suggérer au jeune couturier (…) : « Que n’employez-vous – oh ! en toute innocence ! – quelques adolescents ? L’épaule fringante, le cou bien attaché, la jambe longue, le sein et la hanche absents, il n’en manque pas qui donneraient le change sur… – J’entends bien, interrompit le jeune maître de la couture. Mais les jeunes garçons qu’on accoutume à la robe prennent, très vite, une allure, une grâce exagérément féminine au voisinage desquelles mes jeunes mannequins femmes, je vous l’assure, ressembleraient toutes à des travestis » p.1181. On notera qu’ainsi Colette se moque des féministes qui voudraient être garces et réduire l’homme à l’androgyne, en même temps quelle dit son goût pour l’extrême jeunesse, étant passée entre vingt et cinquante ans de gouine à cougar.

Sa copine Valentine est de ces écervelées riches et oisives qui suivent la mode et les engouements « à la Facebook » comme on dirait aujourd’hui : s’habiller court en hiver mais avec un long manteau, se payer une couturière à façon plutôt qu’une robe de prix, ou faire l’inverse six mois plus tard avec les mêmes arguments évanescents, « voyager » à toute allure en 11 CV en tenant une « moyenne de 80 », des vendanges en septembre mais habillée comme il sied, « en toile violet-pourpre, imprimée de raisins jaunes » p.1130.

Colette s’étonne que les vendeuses d’habillement étouffent dans les « odeurs de femmes » qui transpirent et ne portent plus de linge. Ou qu’en arrière-saison le « lamé démontre la grossièreté des sens féminins, particulièrement de l’odorat. Car le fumet d’une robe de lamé, humectée au cours d’une soirée chaude, oxydée pendant la danse, passe en âpreté le fier arôme du déménageur en plein rendement. Elle fleure l’argenterie mal tenue, le vieux billon, le torchon pour les cuivres » p.1163.

Elle ironise sur « les joyaux menacés », cet impôt sur les « biens oisifs » mobiliers que le Cartel des gauches voulait établir à 14 % en 1925 ! Les femmes, « jamais elles ne se sont senties si directement offensées » p.1134. Sur les fards dont les parfumeurs imposent le goût douteux aux hommes qui embrassent leur femme, au point que l’un d’eux vient en acheter lui-même pour en tester la saveur avant de l’offrir à son épouse. Sur les chapeaux qui cachent les visages, et l’habitude de les porter avec telles boucles d’oreille, ce qui fait confondre les amoureux qui attendent leur belle à la sortie du métro. Sur « les seins », « leur nom banni, leur turgescence, aimable ou indiscrète, morte et dégonflée ». On refait le sein, « qu’un profond soupir heureux émeuve vos tétons carrés de boxeur, ou votre troublante gorge d’élève de rhétorique, et maintenant vous pouvez choisir » p.1152 : renforts en coupelle de caoutchouc, poches de tulle pour les rentrer et les mouler, l’été le maillot de bain style fillette ou le tablier à carreau sans manches

Colette s’enthousiasme aussi.

De la neige avec le ski qu’elle découvre, des vacances des petits Parisiens qui ont déjà trop chaud en juin et qui vont aller nus tout l’été, des « chasses » en plein Paris d’un léopard échappé ou une perdrix égarée de ses champs. Des mots inventés par les couturiers de mode : « le los de la crepellaine, du bigarella, du poplaclan, du djirsirisa et de la gousellaine – j’en oublie ! – une griserie phonétique me saisit, et je me mets à penser en pur dialecte poplacote » p.1160. Plaisir des mots comme des fruits qu’on croque ou des gemmes qu’on admire. Les « soieries » sont son bonheur : « au sein d’un velours riche en moires, touché du reflet aquatique qui court sur une surface buveuse de lumière, le pavot est devenu méduse » p.1175.

Colette, Colette, Le voyage égoïste, 1911-1925, 1928, Fayard 1996, 128 pages, €14,00, e-book Kindle4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

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La corniche – The Ledge d’Howard Ford

Une reprise « féministe » de Cliffhanger où l’héroïne ne parvient pas à égaler Stallone et où l’intrigue est réduite à une plate caricature typiquement américaine. Il a fallu une horde de producteurs et coproducteurs et trices pour financer ce film de série B qui remue avec délectations les profondeurs des instincts primaires. Mais cela se regarde et l’on frissonne, même si l’on trouve cela bien bête : l’animal qui est en nous est réveillé dans la plus pure idéologie à la Trump où l’individu égoïste est roi et fait régner le droit du plus fort (ici, la plus forte, ce qui change et n’est pas très trumpien).

Deux « meilleures amies » de Los Angeles (la cité des « anges »…) sont venues fêter un triste anniversaire en grimpant une paroi en altitude dans les Dolomites. Près de leur chalet, qu’elles ont rejoint à pied en bonnes sportives, surgissent quatre jeunes hommes, Américains eux aussi, venus pour grimper aussi. Au premier regard Sophie (Anaïs Parello) flashe sur le mâle alpha Joshua (Ben Lamb), pourtant le moins sexy. Elle tanne sa copine Kelly (Brittany Ashworth) pour aller draguer les mâles à côté, d’autant que le leader l’a carrément invitée à venir « boire un verre » avec un pétillement sexuel dans les yeux. Évidemment – c’est gros comme une maison – la conne qui se prend pour l’égale d’un mâle alpha y va. Elle flirte ouvertement, elle se vante de grimper plus vite et mieux, l’accuse de manquer de couilles, lui accorde un long baiser devant tout le monde.

Mauvaise idée d’allumer un psychopathe, et devant ses copains soumis. Kelly, écœurée par tant de vulve ouverte sans vergogne, s’en va se coucher ; elle a autre chose en tête, un souvenir chéri et douloureux. Évidemment – c’est gros comme une maison – le mâle alpha veut se faire la femelle alpha qui, bizarrement, après avoir mouillé et allumé tant et plus, résiste et ne « veut » plus. Joshua commence à la violer en forêt mais il en empêché par ses copains, dont le juriste qui lui rappelle de « ne pas recommencer ». On croit comprendre en effet qu’à 16 ans… Mais pas vu pas pris, alors pourquoi pas ? Sa conception des meufs est à la Trump : « toutes des putes » (il le déclare expressément et donne en exemple la copine du juriste, qui n’était pas au courant). Le caïd des quatre depuis leur école primaire domine les autres ; ils s’en accommodent, par lâcheté mais aussi par cohésion de groupe – ils sont si bien ensembles.

Ils veulent donc « lui expliquer » qu’il s’agit d’un malentendu, qu’on ne va pas appeler la police pour si peu, qu’il faut se réconcilier. Il faut donc rattraper Sophie, CQFD. Commence alors une chasse excitante dans la forêt de nuit avec la conne en proie. S’étant crue alpha, elle n’est plus qu’une petite chose apeurée, halète, geint, court n’importe comment, se prend les pieds dans toutes les branches qui traînent, implore – tous les critères éculés de la femelle Hollywood. Bref, elle fait tellement de foin qu’est rattrapée, empoignée ; elle griffe son agresseur Joshua, elle trébuche comme d’habitude… et tombe de tout son long d’une petite falaise. Mais elle est encore vivante en bas. Il faut appeler les secours ! Mais non, le mâle alpha l’interdit, elle a son ADN sous ses ongles comme on voit dans les séries policières et va parler. Il faut évidemment l’éliminer. Ce qui est fait à l’aide d’une grosse pierre malgré la faible résistance morale des autres, qui sont d’ailleurs impliqués. Le grossier scénario leur fait mettre à tous du sang sur les mains.

La copine Kelly a entendu des cris, elle s’est levée et a couru dans la forêt. On ne sait pourquoi, elle a sa caméra à la main, un vieux machin à objectif comme un tuyau, pas son Smartphone qui aurait été bien plus discret et plus pratique. Elle filme le meurtre et la balance du cadavre dans le ravin. Mais comme elle est femelle dans le scénario, elle ne peut s’empêcher de pousser un cri (hystérique), donc de se faire repérer. Et la course poursuite reprend avec elle pour gibier. Elle parvient à s’enfuir, le plus « fiotte » des quatre (ainsi est-il traité par le mâle alpha, d’autant plus qu’il est mulâtre) la laisse aller comme si il ne l’avait pas vu lorsqu’il la trouve. Kelly empoigne son sac et s’échappe par la falaise qu’elle devait grimper avec Sophie – la si peu sophia, « sage ».

Commence alors le cœur du film, la grimpe. Le juriste s’élance à sa suite, sans corde ni matériel, il manque de l’attraper, agrippe sa culotte, fait chuter ses mousquetons, mais elle lui échappe. Lui dérape et finit en bas, jambe brisée. Les autres le portent dans la cabane mais n’appellent pas les secours, ils lui demandent d’attendre. Mais comme il pourrait divaguer, Joshua va « s’occuper » de lui en prétextant avoir oublié ses gants. Il va ainsi les éliminer un par un – c’est gros comme une maison – en commençant par le meilleur et en finissant par le plus con. Un psychopathe n’a aucun affect, aucun amour et aucun ami. Il est égoïste à point, libertarien à mort.

Pour lui, rien de mieux que la loi du talion, cette bonne vieille loi biblique que les Américains adorent car elles justifient leur droit du plus fort. C’est ce que ce mauvais film va démontrer, implacablement. Kelly grimpe comme elle peut ; elle se remémore les conseils de son ex petit ami, en voix off un peu niaise, qui s’est tué en perdant une bague de fiançailles qu’il a voulu lui, offrir bêtement en pleine paroi, celle-là même que grimpe Kelly, venue avec sa copine Sophie en souvenir de lui pour l’anniversaire. Il a évidemment dérapé – c’était gros comme une maison. Elle-même est aussi limite ; elle perd son téléphone portable qu’elle avait dans une poche et pas à l’intérieur de son sac, sa gourde qu’elle n’a bêtement pas attachée, n’a aucune provision dans son sac de grimpe pourtant soigneusement préparé la veille au soir, aucun vêtement pour se couvrir.

Elle est vite coincée sous une corniche qui termine la paroi – et le spectateur aussi. D’où le titre du film, que les éditeurs n’ont même pas pris la peine de traduire en français. Les autres montent par le sentier à l’arrière et l’attendent au sommet. Elle ne peut ni descendre (car elle n’a pas pris de corde), ni monter car ils lui feraient son affaire. Bien que Joshua affirme qu’il ne veut seulement que la caméra, elle devine bien qu’il va la tuer. C’est d’ailleurs ce qui arrive à ses deux acolytes restants, qu’elle voit successivement jetés du haut par le psychopathe de plus en plus frustré de ne pas voir se réaliser ses désirs.

Je vous passe sur les stupidités telles qu’un serpent python pourtant pas venimeux, la tente providentielle mais accrochée de façon précaire, le gros sac balancé du haut pour la faire chuter, le poignard récupéré, et ainsi de suite. Je ne vous dis rien du meilleur sur la fin.

Le film repousse les limites au risque du grotesque, mais c’est le genre, destiné aux bas du front qui composent désormais la population majoritaire aux États-Unis semble-t-il. On frissonne, on a le vertige, on applaudit aux exploits probablement impossibles à réaliser sur une paroi verticale, on se réjouit viscéralement du talion – mais cela ne nous grandit pas et nous laisse plutôt avec un goût amer. Il n’y a plus désormais ni homme, ni femme, seulement des mâles et des femelles. Les unes bonnes à violer, les autres à trucider pour se venger. C’est la guerre de toutes contre tous.

DVD La corniche – The Ledge, Howard J. Ford, 2021, avec Brittany Ashworth, Ben Lamb, Nathan Welsh, Louis Boyer, Anaïs Parello, AB Vidéo 2022, 1h22, €9,99 Blu-ray €14,97

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Isée St. John Knowles, Coco Chanel

« Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences », disait Charles Baudelaire. En sa qualité d’historien de la Société Baudelaire, sise 26 rue Monsieur-le-Prince à Paris, l’auteur, oxfordien anglais et dramaturge né à Saint-Germain-des-Prés d’un grand-père juif, enquête. Il veut réhabiliter Gabrielle Bonheur Chasnel, dite Coco, née en 1883 hors mariage à Saumur. Placée à 12 ans avec ses jeunes sœurs auprès de cousines germaines de sa mère par un père aigri, elle apprend la couture et devient mythomane, s’inventant le passé et la famille dont elle rêvait. L’auteur reprend le mythe de « l’orphelinat » bien qu’il ne soit aucunement attesté.

Montée à Paris avec le fortuné Etienne Balsan, elle s’en lasse et s’éprend de « Boy », un Arthur Capel anglais, homme d’affaires qui la pousse à créer ses collections de chapeaux puis de modiste. Après 1918, le succès vient. Elle s’associe en 1921 avec les frères Wertheimer pour les parfums. Elle multiplie les amants, ce qui lui donne de nouvelles idées de mode. La célèbre « petite robe noire » date de 1926.

Quand la Seconde guerre mondiale éclate, elle ferme sa maison de couture et licencie ses quatre mille ouvrières, trop revendicatrices après le Front populaire affirment les mauvaises langues, mais peut-être surtout parce que les misères de la guerre et les délires nationalistes font mauvais ménage avec les futilités de la mode. Elle se consacre à ses parfums dont le fameux « N°5 » et tente d’user des nouvelles lois antisémites pour récupérer les droits que possèdent la famille juive Wertheimer. Mais ceux-ci, rusés et exilés aux Etats-Unis, ont fait passer la propriété aux mains de l’aryen Félix Amiot, qui leur redonnera après-guerre. Son antisémitisme d’alors est qualifié « de circonstance » par l’auteur parce qu’elle veut contrer l’aryanisation des affaires Wertheimer par un proche de Vichy.

De 1941 à 44, Chanel vit au Ritz, réquisitionné par la Luftwaffe, avec son amant allemand, le baron Hans Günther von Dincklage, qui émarge au renseignement militaire. Coco Chanel serait devenue espionne au service de l’Allemagne, selon des archives déclassifiées de la Préfecture de police de Paris. Elle aurait été chargée d’activer son ancien amant le duc de Westminster pour favoriser une paix séparée entre le Royaume-Uni et l’Allemagne lorsque cela commençait à sentir le roussi, en 1943. Elle aurait peut-être été agent double, servant aussi les Anglais du MI6 – en toute indépendance.

A la Libération, elle est brièvement interrogée par un Comité français d’épuration autoproclamé de FFI et laissée libre ; elle s’exile en Suisse. Elle ne revient à Paris pour rouvrir sa maison de couture que sur l’instance des frères Wertheimer qui veulent relancer leurs affaires de parfums. Elle meurt en 1971 à 87 ans, sèche et acariâtre, disent certains, en tout cas égocentrique, comme toujours. « Elle n’éprouvait aucun attachement pour autrui », cite l’auteur p.18. D’où ses invectives contre tout et tous.

Isée St. John Knowles se fonde sur les notes du peintre « baudelairien » Limouse à propos de Chanel. Il fait du dandysme la marque de fabrique de Coco, la femme libre qui défie les puissants et la moraline d’époque. « Sa volonté de ne dépendre que d’elle-même et de défier l’autorité de tous les protagonistes de l’histoire », dit l’auteur p.17. En bref, une féministe avant la lettre, vilipendée par le puritain yankee Vaughan dans une biographie biaisée par la moraline, la réprouvant de coucher « dans le lit de l’ennemi ».

Le livre, très illustré de documents et photos, se présente comme un collage en cinq parties baroques, la première sur les « années Saint-Germain » de Chanel 1924-37, la seconde sur « le temps de guerre », la troisième un « tableau synoptique 1939-44 », la quatrième une pièce de théâtre écrite par l’auteur sur Chanel « cette femme libre », etc. et la cinquième « un jaillissement de lumière dans les ténèbres » contant des anecdotes personnelles. Une forme d’hommage de la Société Baudelaire pour les cinquante ans de la mort de Coco plus qu’une œuvre circonstanciée d’historien.

Isée St. John Knowles, Coco Chanel – cette femme libre qui défia les tyrans, préface de sa petite-nièce, Cohen & Cohen éditeurs, Collection Saint-Germain-des-Prés inédit, 2022, 148 pages, €49.00

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Le tour du monde en 80 jours, série

Bientôt diffusée sur France 2, la série revisite le roman de Jules Verne chroniqué sur ce blog. Mais l’auteur classique français est cuisiné à la sauce internationale contemporaine, c’est-à-dire américaine. Il faut évidemment qu’il y ait un Noir, une femme et une lady féministe pour rabaisser le mâle blanc de 50 ans hétérosexuel de l’Angleterre impériale. Le politiquement correct du woke a encore frappé : l’ultra conventionnel de la mode est-il vraiment un « éveil » ?

Phileas Fogg (David Tennant) est présenté comme un bourgeois frileux et couard qu’un amour malheureux a précipité dans la déprime. Il a aimé jadis une belle Elisa, grande voyageuse avec qui il devait faire le tour d’Europe, sinon du monde, mais qu’il a « lâchement » abandonné lorsqu’il lorsqu’elle a voulu partir. Une carte postale lui parvient parfois des différents endroits et la dernière, représentant une horloge qui figure la vie qui passe, celle de Big Ben, n’est pas affranchie et orné de ce seul mot : « Coward » (lâche). Ce serait ce défi féminin qui porterait Phileas à ce pari osé dans son club de gentlemen ? Nous sommes bien loin de l’optimisme technique de Jules Verne et du défi industriel des transports qu’il posait.

Passepartout, le valet français, est joué par un Noir assez doué (Ibrahim Koma) mais qui fuit toutes les difficultés dans la vie, à commencer par la mort de son père, fusillé comme révolutionnaire lors de la Commune de Paris en 1871. Nous sommes loin de l’aide débrouillard présenté dans Jules Verne.

Fix, le détective chargé de suivre et de ralentir Phileas Fogg dans le roman du XIXe siècle, est transformé aujourd’hui en une femme journaliste (Leonie Benesch), fille d’un père directeur de grand quotidien dont on apercevra qu’il a bâti sa carrière sur la fausseté et le mensonge. Elle sera l’âme du voyage, redonnant le moral à Phileas qui déprime et forçant sans cesse Passepartout à agir.

L’aventure est bien là, en ballon, en train, en bateau, en chameau, les obstacles et les difficultés sont sans nombre, et chaque épisode est consacré à l’une d’elle. Ainsi le premier met en scène l’anniversaire de la Commune et la tentative d’assassinat du président de la République française Thiers. Le second voit Phileas Fogg faire un calcul d’ingénieur pour qu’une partie du train vers Brindisi puisse passer sur un pont fragilisé par un tremblement de terre afin de sauver la jambe d’un jeune garçon fan de Jules Verne. Le troisième verra la traversée d’un désert du Yémen, sauvé in extremis par la lady pute que le journal de Mademoiselle Fix a vilipendée sous la plume de son directeur de père. Le quatrième, en Inde, permettra à Phileas de sauver un jeune cipaye accusé de désertion à cause de l’amour qu’il porte à sa promise. Et ainsi de suite.

Nous avons donc une série regardable en famille, tout à fait dans la morale du temps tout en conventions et fadeur, où l’aventure est un divertissement et surtout plus un risque. Mais on peut y prendre son plaisir.

Série Le tour du monde en 80 jours, Steve Barron, 2021, saison 1 en 8 épisodes avec David Tennant, Ibrahim Koma, Leonie Benesch, présentée en octobre au Festival international des séries. Une saison 2 est en préparation.

Dès le 20 décembre 2021 sur France 2, le 21 décembre sur ZDF, le 26 décembre sur BBC 2

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Pierre Kast, Les vampires de l’Alfama

Pierre Kast est un être original. Militant communiste et organisateur de la manif antiallemande de 1940 à Paris, il a passé cinq ans dans la clandestinité en faisant le coup de main contre l’occupant avant de se consacrer au cinéma. Il a été critique, scénariste, assistant de Jean Renoir, metteur en scène. Il meurt à 64 ans d’un malaise cardiaque après un accident de tournage. Les vampires de l’Alfama sont l’un de ses rares romans.

En arabe, « alf maa » signifie « mille sources » et ce nom a été donné au quartier populaire de Lisbonne bâti en kasbah où jaillissent des sources chaudes. L’auteur en a fait un lieu de prédilection pour son histoire. L’époque est le 18ème siècle finissant, Louis XV et le cardinal de Bernis en France, un jeune roi pédé au Portugal et le cardinal libertin João en Premier ministre. L’histoire s’ouvre sur le lutinage de filles « aux frontières de la puberté » par l’homme d’Eglise et d’Etat.

Mais tout ceci se passe dans un univers parallèle où rien n’est réel, ni les lieux, ni les personnages, sauf « l’odeur de l’Alfama » comme l’écrit l’auteur en fond imaginaire. C’est un endroit de liberté où la police n’entre pas, une forteresse des pauvres et des marginaux où tout ce qui est interdit prolifère. Les mœurs y sont libertines, le savoir alchimiste répandu, les vampires tolérés. En bref tout ce qui va contre la Sainte et puissante Eglise et son Inquisition, armée du seul Livre autorisé du savoir : la Sainte Bible.

L’auteur, communiste athée, écrit en 1975, soit sept ans après l’explosion morale de mai 1968. Il tisse un hymne au jouir, bien que notre époque puisse voir écorchée sa moraline trop féministe. Les femmes sont parfois actrices du plaisir et indépendantes en une époque qui ne le tolérait pas, mais souvent aussi objets de plaisir, voire esclaves sexuelles. La police adore torturer les jeunesses entre deux viols. A l’inverse, les vampires sont paisibles et pas prosélytes ; ils offrent la possibilité de prolonger la vie par la morsure mais, au contraire des officiels défendus par la Sainte Eglise, ne forcent ni ne violent personne. L’époque prérévolutionnaire gardait, vous vous en doutez, des mœurs d’Ancien régime qu’il ne faut pas juger à l’aune de nos petits cœurs émotifs.

Car il s’agit d’un roman de fiction, même de « science » fiction puisque la recherche sur la mort y prend une large place. Carla, l’alchimiste qui soigne les pauvres dans tout l’Alfama, a communication par un instrument inventé par le suédois Swedenborg, lui aussi alchimiste en plus d’astrologue mais aussi inventeur et théologien, qu’un confrère pourchassé est en danger à Prague. Il n’est pas juif mais comte roumain ; il avouera plus tard être un vampire de 285 ans. S’il a débuté à 16 ans par le pillage et le viol, il a mûri, fait deux gosses et s’est cultivé auprès de maîtres éminents d’Europe centrale.

Dans ses recherches sur l’immortalité, pierre philosophale des alchimistes plus que l’or, il a découvert que le statut de vampire permettait une vie presque éternelle, à la frontière entre la vie naturelle au soleil et la mort sous terre en caveau. Vivre la nuit, dormir en cave le jour, tel est le destin des vampires mais, avec ce régime, ils peuvent vivre des centaines d’années. Il leur faut seulement régulièrement déménager. Le comte Kotor espère, par ses recherches, découvrir comment vaincre la seconde mort, celle des vampires par les rayons du soleil ou par un pieu dans le cœur. Un pieu, pas un crucifix comme tente de le faire croire la Sainte Eglise catholique et romaine, car un vampire juif ou musulman n’en meurt pas moins le cœur percé qu’un vampire chrétien.

Le comte Kotor et ses deux enfants, sa fille Barbara et son fils Laurent de dix ans plus jeune, abordent donc de nuit sur les rives de l’Alfama au bord du Tage et sont accueillis dans le palais forteresse de Clara sur ses pentes. Ils vivent reclus, tout entier tournés vers la recherche, mais Clara les convainc de sacrifier aux mondanités minimales car on commence à jaser dans la ville. Le comte accepte une réception en soirée chez lui où il invite tout le gratin de la capitale. Il lie ainsi connaissance avec le cardinal Premier ministre, qui est séduit par sa vaste culture et par ses idées libérales et libertaires.

Mais ce Premier ministre est surveillé par le Marquis, ministre de la police, et par le roi, qui veut garder ses plaisirs interdits tout en ayant parfois des retours névrotiques de religion. La volonté du Marquis de marier la belle Alexandra, vierge de 20 ans et nièce du cardinal Premier ministre, va déclencher la catastrophe. Laid et puant, le marquis fait horreur à Alexandra la libertine, qui flirte avec les damoiseaux tout en se gouinant avec ses servantes damoiselles. Pire, elle tombe net amoureuse du bel adolescent blond Laurent, lui-même raide de désir amoureux dans sa cape noire qui le déguise en cyprès sur la terrasse. Il la dévierge et ils osent toutes les positions à poil que le jeu du sexe leur permet. C’en est mignon.

Le chef des services secrets convainc le Marquis et son chef de la police d’investir l’Alfama pour récupérer la belle Alexandra et la livrer aux griffes du soupirant éconduit. Pour cela, rien de tel qu’un bon complot. Engager des sbires qui vont porter des gants à dents acérées afin de porter la marque du vampire sur la gorge de tous ceux et de toutes celles qu’ils vont éventrer en croix comme le font dit-on les vrais vampires. Devant l’horreur de la tuerie, l’ampleur des morts et la révélation du nombre important de vampires en la ville, le roi entre deux pages lutinés ne pourra que signer un décret autorisant l’armée à investir l’Alfama pour nettoyer ce nid du démon.

Ce qui fut fait. Mais la famille du comte s’échappe, aidée par Clara et par Alexandra, comme quoi même en libertinage Ancien régime, les femmes ne sont pas toutes du gibier de viol mais savent faire preuve d’initiative et de courage. Surtout si, selon Pierre Kast, elles pensent hors des normes de la Sainte Eglise et des valeurs « établies » par la « bonne » société.

Je ne vous dis pas la fin, elle laisse ouverte des perspectives intéressantes. Mais il s’agit, rappelez-vous, d’un univers parallèle où tout est possible et permis, hors des normes, des conventions et des interdits. Cette possibilité d’évasion érotique et libérale fait le sel du livre. Il fut édité en poche, comme quoi il fut assez populaire en son temps, mais n’a pas passé le mitant des années deux mille avec son moralisme puritain pro féministe en croissance grave. Je l’avais lu à l’époque et sa relecture toute récente m’a revigoré.

Pierre Kast, Les vampires de l’Alfama, 1975, J’ai lu 1979 réédité en 2006, 249 pages, occasion €3.00

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The Good Criminal de Mark Williams

Avec un titre faussement anglais en français (l’imbécile soumission des collabos aux plus forts, hier nazis, aujourd’hui yankees !), un policier très américain où les salauds ne sont pas ceux qu’on croie. Mais ce n’est pas l’américanisation du titre qui fait la qualité de l’œuvre. Nous avons un correct film d’action avec fusillades, bagarres, poursuites en voiture et explosion de rigueur dans la mythologie d’Hollywood, mais les personnages sont caricaturaux et le sujet un peu court.

Tom « Carter » de son pseudo (Liam Neeson) est un ancien démineur des Marines qui, il y a neuf ans, a décidé d’user de son savoir technique sur les explosifs pour cambrioler des banques. Non pas pour le fric mais par vengeance contre « le système ». Son père, ouvrier modèle en aciérie durant trente-cinq ans, s’est vu frustrer de sa retraite par la malversation d’un dirigeant et, désespéré, s’est jeté à 100 km/h contre un arbre avec sa Chevrolet « sans freiner ». Tom a cambriolé la banque du mec. Puis d’autres. Il ne s’est jamais fait prendre, choisissant toujours le lieu et l’endroit adéquats, travaillant seul et préparant toujours minutieusement ses coups. Il est pour le FBI « le voleur invisible », il a accumulé 9 millions de dollars.

Mais, arrivé dans la ville où l’action se passe désormais, il tombe amoureux de la fille à l’accueil de la société de location d’entrepôts où il vient pour un box. Dès lors, sa vie change, il ne cambriole plus, ne dépense pas son butin. Ce qu’il voulait au fond est « d’être aimé », comme chacun. Il veut donc solder sa période bad boy et « se rendre aux autorités », rendre l’argent et négocier une peine minimum avec visites sans limites. Un peu court comme rédemption, thème yankee obligatoire à la morale. Tom aurait pu jouer le Robin des bois en donnant une justification politique à ses vols, faisant un don anonyme par exemple à une association ou à une caisse de retraite, ameutant la presse. Au lieu de cela il se soumet, en bon garçon modèle yankee, rêvant mariage, maison, gosses et petit travail tranquille, sa morale en paix. C’est de la bouillie pour les chats, pas du bon cinéma.

Le FBI contacté ne le croit pas, une dizaine de « dingues » s’étant déjà fait passer pour le voleur invisible afin de se faire mousser. L’agent chef contacté délègue à deux agents subalternes le soin d’aller voir ce Tom « Carter » à l’hôtel où il dit attendre. Mais deux jours passent et toujours rien. Alors que Tom va – enfin ! – décider que les flics fédéraux, comme le reste des institutions aux Etats-Unis, ne valent pas grand-chose, et qu’il va quitter sa chambre, il trouve les deux sbires à la porte, déguisés en Témoins de Jéhovah avec costume sombre, cravate sur chemise blanche, voiture noire, air impassible de Jugement dernier. Des caricatures de jeunes cons que leur « plaque » rend immortels et invincibles en mission.

Tom leur raconte « ce que les journaux n’ont pas dit » sur les casses, mais les sbires en veulent toujours plus. Notamment le fric, puisque ce n’est que ça qui compte dans la société yankee. Tom fait la bêtise de leur donner les clés d’un box où il a planqué les cartons, mais sans exiger d’aller avec eux ! C’est invraisemblable. Evidemment les deux se servent et entassent dans leur bagnole les cartons de biffetons, bien que le plus jeune et le plus latino ait des scrupules (Anthony Ramos). L’autre, Nivens (Jay Courtney), lui en impose et ils font finalement comme il dit. Sauf que la fille des entrepôts, Annie (Kate Walsh), la copine de Tom qui a fait des études de psychiatre, vient voir ce qu’ils font puisqu’elle les a vus sur la télésurveillance. Ils lui expliquent qu’ils sont des amis, que Tom leur a donné la clé et qu’ils déménagent quelques cartons pour lui afin d’emménager dans la maison qu’il a choisi. Ce n’est pas mal tourné, ça passe, la psy ne subodore rien. Mais les deux agents sont alertés du fait qu’ils sont enregistrés.

Ils vont entasser le fric dans une « planque » du FBI qui ne sert pas et veulent s’en servir « pour leur retraite » (!). Ils reviennent vers Tom à l’hôtel et Nivens veut le descendre avec une arme non immatriculée qu’il a pris dans la planque, mais ce dernier leur demande s’ils ont compté les billets. Trop cons, ils ne se sont pas aperçus qu’il n’y avait qu’un million cinq et pas neuf millions et que le reste est ailleurs. Nivens hésite, l’autre suit. L’avidité sans limites est le propre des yankees et ils ne font pas ce qu’ils sont venus faire, enfin Nivens seulement, l’autre suit. Toc, toc ! A la porte leur chef (Robert Patrick), énervé qu’ils n’aient pas obéis à son ordre d’aller voir le voleur invisible le jour dit et qui vient le faire à leur place. Que faire ? Grave question qui a tourmenté maint révolutionnaire ! Bof, quand on est yankee, on ne fait pas dans la dentelle : une balle en plein cœur et tout est dit. Le chef est descendu et Tom va y passer, malgré le non-Nivens qui a des scrupules. Mais Tom se défend, en Marine. Il assomme le scrupuleux et lutte avec Nivens, passant par la fenêtre où il finit sur lui, l’autre groggy.

Il trouve alors Annie la conne, venue « voir ce qui se passe », la gueule enfarinée. Ils fuient dans sa jeep noire et sont poursuivis par les deux sbires remis de leurs cocards dans leur puissante Chevrolet qui vrombit comme un V8. C’est clair, le chef « a été descendu par Tom » avec le pistolet non marqué, version officielle de flics, habitude yankee. L’autre suit, toujours aussi latino, aussi veule, aussi niais. Le racisme anti-latinos est sous-jacent même si le gars se rachète dans la plus belle tradition biblique à la fin.

Bref, poursuite en bagnoles, feintes, dérobades, Annie mise dans un autocar Greyhound pour n’importe quelle ville car elle est repérée, Tom qui veut « régler ça ». Et Annie la conne qui évidemment n’en fait rien, sachant mieux en féministe obstinée ce qu’il faut faire – qu’un mâle pourtant ancien Marine. Elle revient au bureau pour récupérer la carte mémoire de la vidéo et tombe évidemment sur Nivens venu pour la même évidente raison (mais la conne n’y a pas pensé, n’a pas même écouté son mec). Elle se fait tabasser mais a eu le culot de téléphoner avant sur son portable (pas d’une cabine comme il avait dit, donc toujours aussi conne) pour lui dire qu’elle n’a pas obéi mais qu’elle n’en fait qu’à sa tête (de linotte). Tom accourt, la voit à demi-morte, l’emmène à l’hôpital. Le chef qui reste sur les deux au FBI (Jeffrey Donovan) se pose des questions, Tom voulait se rendre, pourquoi ces brutalités ? Tom Carter réussit à le convaincre que c’est Nivens la pourriture et il lui tend un piège (explosif) pour qu’on le confonde enfin et que sa propre morale soit blanchie.

Je ne vous en dis pas plus mais le reste est de la même eau, avec grands boums, fusillades, suspense et rédemption à la fin, la conne dans les bras du con. Car malheureusement l’acteur Liam Neeson fait ce qu’il peut mais en vieux, et son rôle est celui d’un benêt. Un film qui peut se voir pour l’action mais ne se revoit jamais pour son scénario pas plus que pour ses personnages. De la mélasse de l’ère Trump, sorti en pleine pandémie.

DVD The Good Criminal – Un honnête voleur (Honest Thief), Mark Williams, 2020, avec Liam Neeson, Kate Walsh, Jai Courtney, Metropolitan Video, 1h36, €16.50 blu-ray €18.98

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The Constant Gardener de Fernando Meirelles

Les flemmards du snobisme français de Canal+, nés bobos sous Mitterrand et colonisés définitivement par l’esprit yankee, n’ont fait aucun effort pour traduire le titre du film comme les Canadiens et les Belges l’ont fait. Cette honte montre combien ils courent après le plus fort, l’Amérique toute-puissante. Cette soumission au langage dominant montre combien leur « culture » est abâtardie puisqu’ils ne savent même plus trouver les mots en français. Le film est pourtant tiré d’un roman de l’anglais John Le Carré traduit en français sous le titre La constance du jardinier : il suffisait de le reprendre !

Justin (Ralf Fiennes) est un diplomate discret, effacé, tombé foldingue d’une égérie gauchiste, Tessa (Rachel Weisz) qui toujours en fait trop. C’est la glace et le feu, le flegme britannique dans l’understatement constant et la volcanique italienne juive qui fonce tout droit pour combattre les moulins. Rencontrée lors d’une conférence chiante à New York où Justin a remplacé un collègue, Tessa l’entreprend rudement devant le parterre feutré. Il répond à peine ; intrigué, il l’invite à boire un café.

Tessa manipule-t-elle le diplomate ou est-elle amoureuse de l’homme ? Cette ambiguïté très anglaise fait le charme du début. La suite semble montrer que l’épouse n’est guère fidèle, se donnant à qui peut lui apporter des infos, y compris des « nègres » au grand dam de la pruderie diplomatique britannique. La fin prouvera qu’elle aimait vraiment Justin et que son jeu manipulateur n’était qu’apparences. Cette progression fait beaucoup pour captiver le spectateur.

Justin est envoyé en Afrique, au Kenya, comme conseil en agriculture. Il aime avant tout s’occuper de son jardin, plus timide avec les humains qu’avec les plantes. Pour Tessa, c’est l’inverse ; elle préfère les humains, notamment les femmes et les enfants. Justin reste extérieur au pays africain, Tessa s’y immerge. Elle est toujours flanquée du docteur noir Arnold Bluhm (Hubert Koundé) d’une OBG belge (inventée mais transparente) Médecins de la Terre et la rumeur court qu’elle couche avec lui. Il s’avère que le jeune Noir est pédé et que ce n’est pas le sexe qui les rapproche mais l’humanitaire.

Tessa alimente en informations de terrain Hippo, une ONG allemande spécialisée dans la pharmacovigilance. Son enquête porte sur les pratiques de l’industrie pharmaceutique en Afrique, notamment les tests de nouveaux médicaments. Elle-même enceinte, Tessa ne prend aucune précaution, préférant foncer comme toujours. Elle accouche à l’hôpital de la ville d’un bébé mort-né peut-être par sa faute. Là encore, l’ambiguïté donne du sel à l’histoire.

Mais son séjour à l’hôpital pour les Noirs lui permet de constater que certains traitements administrés par des docteurs blancs non référencés aboutissent à des décès. Son rapport sur les entreprises américaines KDH et ThreeBees, qui cherchent un médicament contre le sida au Kenya, montre qu’elles se moquent des « dommages collatéraux » et de la mort des patients. L’histoire n’est pas uniquement inventée : des essais pharmaceutiques Pfizer soudoyés ont eu lieu au Nigeria sur la Trovafloxacine et ont tué plusieurs personnes en 1997, engendrant scandale, révélation du Washington Post, procès et réparations en millions de dollars. Tessa communique aussi son rapport au directeur Afrique du ministère britannique des Affaires étrangères qui non seulement l’enterre mais demande au collègue de Justin, par qui elle a envoyé le rapport, de la surveiller et d’exiger de Justin qu’il modère « sa pute ».

Comme elle n’en fait rien, elle a « un accident » quelque temps plus tard en rentrant en voiture d’une mission au nord du pays. Elle est retrouvée morte avec « son amant » selon la rumeur, le docteur Arnold, au bord du lac Turkana, criblée de balles par des « bandits » selon la version officielle. Un collègue vient annoncer à Justin la mort de sa femme et, quand il rentre chez lui, constate que le bureau de son épouse a été « visité », l’ordinateur, les disques durs et les papiers emportés. L’espion anglais accrédité lui apprend, entre copains, qu’un contrat privé avait été mis sur sa tête et que lui doit laisser tomber sous peine d’y passer aussi.

Mais Justin aimait sa femme, il continue l’enquête avec Arnold qu’il sait ne pas être l’amant de sa femme. Il ne s’intéressait jusqu’ici pas trop à ce qu’elle faisait, il la laissait libre, en mariage d’égaux tel que convenu au départ. Lors d’un séjour à Londres, non seulement « on » lui confisque son passeport diplomatique au prétexte qu’il faut le changer parce qu’il en circule de faux, mais il découvre avec son jeune neveu féru d’informatique qui aidait Tessa, le site miroir qu’elle tenait et où toutes les informations récoltées figurent. Mais aussi qu’elle l’aime éperdument.

Il va donc contacter Hippo en se rendant en Allemagne sous un faux passeport, se faire tabasser parce qu’il n’est pas un espion et n’a pas su prendre les précautions idoines, puis rentrer au Kenya clandestinement via un safari grand public sous une autre identité, et suivre les traces de Tessa au Soudan, où des médicaments périmés sont largués par les ONG en avion. Il veut récupérer une preuve : la lettre du directeur Afrique enjoignant d’étouffer l’affaire et montrant la collusion de l’industrie pharmaceutique et de la diplomatie britannique en Afrique.

Il se sait menacé, il sait qu’il va y passer ; Arnold a été retrouvé crucifié après avoir été torturé et châtré. Une fois la preuve en main, qu’il va faire envoyer par la poste par le pilote de l’avion de l’ONG, il se rend au bord du lac Turkana, là où Tessa a été tuée, et attend ses propres tueurs.

Cette tragédie à motifs humanitaires fera pleurer les ados et les militants mondialistes. Elle illustre les procédés éthiquement indélicats de certaines multinationales dans la course au médicament prometteur. Elle est surtout la tragédie personnelle d’un amour fou, inespéré, entre un mâle anglais banal et une féministe méditerranéenne engagée. De là sa beauté choc. « Constant » en anglais veut aussi dire fidèle, loyal, inaltérable. Tel devrait être l’amour.

DVD The Constant Gardener (La constance du jardinier), Fernando Meirelles, 2005, avec Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Hubert Koundé, Danny Huston, Daniele Harford, StudioCanal 2006, 2 h, €14.98 blu-ray €17.06

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Donna Leon, La tentation du pardon

Une professora amie de Paola sa femme vient voir le commissaire Brunetti à la questure car elle craint pour son fils de 15 ans. Depuis quelques mois ses notes chutent et son comportement devient déplorable. Se drogue-t-il ? Qui lui vend au lycée privé Albertini ? S’agit-il d’autre chose ? Le commissaire ne sait que faire, il n’a aucune accusation précise ni preuve du délit. D’autant que consommer n’est pas interdit en Italie. Il va donc seulement faire surveiller les abords du lycée mais rien de probant ne se produit.

C’est alors que le père du garçon est retrouvé en sang près d’un pont vénitien en pleine nuit. Il se serait cogné et a le crâne enfoncé mais est toujours vivant. Transporté à l’hôpital, il ne reprend pas connaissance et ses jours sont probablement comptés. Il ne sera d’aucune aide pour dire s’il a été agressé ni ce qu’il faisait de nui dans une venelle déserte. Mais il y a là présomption de crime et Brunetti peut enquêter.

Depuis quelques volumes, il est de plus en plus en couple (professionnel) avec la commissaire Claudia Griffoni, qui vient de Naples et qui a l’intuition empathique des gens du sud selon l’auteur, américaine vivant à Venise et portée à pousser au génétique tous les déterminismes humains. Ainsi les Vénitiens seraient « cupides », les Siciliens « mafieux » et les Napolitains (pourtant tout aussi mafieux) « empathiques ». Cela fait avancer la psychologie…

Toute l’enquête se passe donc à aller voir l’un ou l’autre, à soupçonner des escroqueries sans nombre, si courantes en Italie où l’Etat est impuissant et ses politiciens corrompus que plus personne ne les voit et que tout le monde tire la couverture à lui. Ce sont les dessous de tables en millions de lire versés hier pour tout achat immobilier, les bagagistes d’aéroport qui se servent impunément dans les bagages des touristes, une fuite à la questure qui a livré le nom d’un coupable relâché sans preuve et que sa victime a fait tabasser, des pharmacies qui font payer le prix fort à leurs clients Alzheimer parce qu’ils ont oublié leur ordonnance en échange de coupons permettant d’acheter avec une réduction de 20% des cosmétiques haut de gamme dont le prix a été majoré de 70%, des médecins complaisants qui livrent des ordonnances pour les médicaments remboursés la plus chers en lieu des génériques et qui touchent leur pourcentage, sans compter les prescritpions aux décédés non encore déclarés ou égarés dans les délais administratifs…

Cet état d’esprit sans illusion fait commettre une bourde à Brunetti. La victime du pont est un expert-comptable qui change d’emploi très souvent et de ville à chaque fois. Comme s’il mettait au jour une comptabilité parallèle de chaque entreprise avant de la faire chanter – ou de la dénoncer à la Guardia di Finanzia quelques mois plus tard si elle refuse. Le lycée privé des enfants coûte en effet cher et il n’en a pas les moyens avec ce qu’il gagne. Sauf que la Griffoni a des doutes et qu’elle a raison : le comportement du comptable trouve une explication bien plus convaincante que l’escroquerie.

Guido Brunetti relit avant de s’endormir les classiques de ses études. Il a choisi cette fois-ci Sophocle et la pièce Antigone. Ce qui le conduit à penser au tragique des lois concurrentes : celle des dieux qui enjoint à Antigone d’enterrer son frère selon les lois éternelles non écrites ; celle des hommes, incarnée par son oncle Créon qui interdit une sépulture aux coupables de trahison envers la cité. Faut-il s’abstraire des lois de son pays au nom d’une loi que l’on dit « supérieure » parce qu’on y croit ? Ou faut-il avant tout obéir en citoyen parce que la loi commune qui permet de vivre ici-bas a été débattue et, même insuffisante, est ce qui tient la société ? Griffoni, en commissaire féministe, « n’en peut plus de cette histoire ». Un Egyptien immigré a assassiné sa fille de 16 ans au poignard dans son sommeil parce qu’un garçon de son âge lui a envoyé des messages sur Facebook. Il le justifie par la loi de l’islam, « comme si on l’avait élevée dans une tente au milieu du désert ». La commissaire démonte ce prétexte trop facile. « Ces hommes justifient leur violence envers les femmes et s’attendent à ce qu’on croie qu’ils n’avaient pas le choix. (…) Il l’a assassinée parce qu’il était en train de perde son contrôle sur elle. C’est aussi simple que cela. Tout le reste n’est que de la poudre aux yeux, une tentative de flatter notre petit ego d’Occidentaux si tolérants envers les autres cultures » p.169.

Il est donc nécessaire d’appliquer la loi, si insuffisante soit-elle. La tentation du pardon doit rester une tentation, il n’y a pas d’autre moyen de consolider une société qui se délite par tous les bouts. Mais le magistrat qui doit décider (le commissaire ne fait qu’enquêter) appliquera la loi selon l’équilibre des choses. Une loi ne doit pas être appliquée de façon tyrannique car elle ne vient pas des dieux : elle est humaine et révisable. Antigone et Créon avaient tous deux raison mais ils ont poussé chacun leur position jusqu’à la démesure.

Un roman policier sans meurtre de sang ou presque, qui parle de la justice et de la loi, des travers italiens et de l’humanisme en soubassement. Quant au garçon de 15 ans, le lecteur n’en saura pas plus même s’il le rencontre brièvement sur quelques lignes.

Donna Leon, La tentation du pardon (The Temptation of Forgiveness), 2018, Points policier 2020, 306 pages, €7.90 e-book Kindle €7.99

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« La » Covid

Les cas de coronavirus augmentent à nouveau nettement avec les transhumances vacancières et les fêtards de tous âges (des raves et boites ados aux « mariages » familiaux) qui ne peuvent s’empêcher de se grimper dessus et de se lécher en bande. Les experts ont dit que le virus avait muté en pire lorsqu’il avait atteint l’Europe, en témoignent l’Italie et l’Est de la France en mars. Ils disent maintenant qu’il a muté en plus bénin au vu des cas qui ne dégénèrent plus en réanimation… Comme pour les masques (qui ne « servent à rien » mais « sont obligatoires »), personne ne sait rien et affirme péremptoirement, amplifié par les médias qui font un scoop de n’importe quel fragment d’hypothèse. Le porte-parole du gouvernement n’est pourtant plus si bête.

L’Académie française comme les Québécois préconisent de dire « la » Covid sous prétexte que c’est la traduction de « disease » en anglais qui signifie « la » maladie et France culture en fait tout un débat érudit… qui n’aboutit nulle part.
Car disease est « le » malaise (traduction littérale) et n’a pas de genre dans la langue anglaise : on ne dit pas « she » comme pour le chat ou le bateau mais « it », signe neutre. En quoi Covid (qui est un virus) serait-il féminin ?

Faut-il y voir une flemme des ramollis octogénaires qui composent l’assemblée immortelle, le coup de force de la seule Secrétaire perpétuelle et elle aussi immortelle ? Ou les vieux préjugés catho-tradi sexistes qui mettent au féminin tout ce qui vient du Mal ?

La femme, chez les catholiques, c’est le diable : il a perverti Eve, la première femme sorti de la côte d’Adam et a précipité le couple hors du Paradis dans la misère du labeur et de l’enfantement douloureux. En témoignent en langues latines les sept péchés capitaux, quasi tous féminins : la luxure, la gloutonnerie, l’envie, l’acédie ou paresse, l’avarice, la colère. Un seul (l’orgueil) est masculin, mais féminin en latin (superbia) – et l’estime de soi n’est d’ailleurs pas un péché si elle n’est pas accompagnée de « la » démesure ou de « la » vanité.

Quant aux dix plaies d’Egypte de la Bible, elles sont en large majorité féminines en langue française : les eaux changées en sang, les grenouilles, les poux mais les mouches, la mort des troupeaux, les furoncles mais la grêle, les sauterelles, les ténèbres, la mort des premiers nés…

Presque tout ce qui est « mal » vient de la souillure – assimilée aux femmes par les règles menstruelles. Le malaise qui rend malade devient mal-être dans la civilisation.

Disons donc « la » Covid pour emmerder les féministes et insinuer en subliminal que la nature chère aux écolos n’est que grouillement de maladies, émergentes comme les pays à immigrés – la onzième plaie de notre temps selon les réacs radicaux. Il y a beaucoup de sous-entendus dans la désignation féminine de Covid…

Ceux qui disent « le » Covid me paraissent plus logiques et plus sensés, mais on ne peut rien contre les mouvements de foules que tous les journaleux perroquettent à l’envi.

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1984 de Michael Radford

Sorti en 1984 d’après le célèbre roman d’anticipation Nineteen Eighty-Four (1984) de George Orwell (pseudonyme d’Eric Blair), ce film sonne comme un avertissement : il n’y a qu’un pas entre notre société aux apparences démocratiques et un régime totalitaire. La différence ? Tomber amoureux et penser par soi-même. Supprimez par décret ces deux attitudes du cœur et de l’esprit et vous ne garderez que les bas instincts, soumis au parti.

C’est ce qui arrive dans le pays imaginaire d’Oceania (métaphore transparente du monde anglo-saxon), en lutte avec Eurasia (d’obédience soviéto-nazie) et Estasia (clairement maoïste) – tous totalitaires comme en vrai. Le reste du monde est le quart-monde où conquérir des matières premières et des territoires. Le roman d’Orwell est paru en 1949, en réminiscence du Nous autres de Zamiatine, publié en 1920 (et interdit dès 1923 par Staline). Le roman d’Orwell surgit en 1949 à l’heure d’un Staline triomphant, d’un Mao vainqueur, et du premier recul de l’Amérique avec la bombe A désormais aux mains des soviétiques.

Il imagine un parti totalitaire stalino-hitlérien, arrivé au pouvoir trente ans auparavant en 1954, embrigadant tous les âges dans l’AngSoc, le (national) « socialisme anglais », dominé par Grand frère – Big Brother (Bob Flag dans le film). Les individus ne s’appellent plus entre eux monsieur ou citoyen, ni encore camarade, mais « frère ». Le secrétaire général des frères est le « Grand » frère, selon le tropisme constant de gauche à surnommer « grand » tout ce qui émane d’elle. La société est uniforme mais hiérarchisée : les apparatchiks en costume à la tête (membres du cercle restreint du Parti intérieur), les employés en bleu de travail au milieu (n’appartenant qu’au Parti extérieur) et le prolétariat relégué dans des ghettos et des taudis, tout en bas. Pour éradiquer le « vieil homme » qui jouit, aime et pense, la propagande est omniprésente, télévisuelle, répétant en boucle les slogans et les informations aménagées par le pouvoir (tout comme en Chine de Mao).

« Big Brother is watching you ! » n’est pas un vain mot. Le Grand frère vous regarde constamment car les écrans ont aussi des caméras qui permettent à la monitrice de gym du matin de vous apostropher personnellement pour rectifier la position, ou à la police politique d’observer avec qui vous baisez et ce que vous dites entre deux étreintes. Il y a bien une résistance, elle réussit même à faire sauter un pylône ou deux, mais le principal de la police est la pensée. Le « crime de pensée » se rapproche tellement de ce que nous connaissons comme le « politiquement correct » de la « gauche morale » du « catho de gauche » moralisant ou de l’islamiste sourcilleux que c’en est confondant. Même les gamins vous soupçonnent, enrôlés dans des mouvements disciplinaires style BrotherJugend ou Pionniers staliniens. Ils sont les pires, car façonnés depuis la crèche à penser formaté. Quant à désigner les choses, le dictionnaire approuvé se réduit d’année en année au profit d’une Novlangue de 800 mots, tout comme le russe s’est abâtardi avec la langue de bois du proletcult. Tout mot est euphémisé, simplifié et doit servir le parti. Il comprend peu de syllabes afin d’être prononcé vite et sans réflexion, une sorte de mot-réflexe à la Pavlov permettant de susciter immédiatement la réaction voulue. « L’ignorance, c’est la force ! ».

Winston Smith (John Hurt) est un employé banal, chargé d’un travail inutile à l’humanité mais vital pour le parti : rectifier pour le ministère de la Vérité (Miniver) les archives du Times selon la « vérité » en vogue au présent. Car le passé n’est pas histoire, il n’est qu’un souvenir dans la mémoire. Winston « éradique » ainsi un membre du parti en disgrâce et le remplace par un quidam, tout comme Staline faisait recouper les photos avec Trotski (pseudonyme pour Bronstein). Ce dernier, en Oceania, s’appelle d’ailleurs du nom juif de Goldstein, bouc émissaire commode stalino-hitlérien.

Seul le parti définit ce qui est « vrai » ou pas, selon la doublepensée novlangue, aujourd’hui la bonne maxime de Trump, reprise de Goebbels, qu’un mensonge affirmé avec force et répété en boucle finit par devenir une croyance de groupe, donc votre vérité personnelle. « La liberté, c’est le mensonge ! » clame la propagande – et la CGT reprend l’idée à chaque manif, quel qu’en soit le sujet. On le voit, 1984, ce n’était pas seulement hier mais c’est en partie aujourd’hui et ce pourrait être pleinement demain. Car « qui possède le passé possède le présent ; et qui possède le présent détermine le futur », dit encore Big Brother.

Winston, qui a osé aller en zone interdite se faire une pute du prolétariat (pour 2$), se sent observé par Julia, une fraîche jeune fille de la Ligue anti-sexe (Suzanna Hamilton, 24 ans au tournage) qui milite pour le parti afin de décourager les relations sexuelles et l’amour – tout comme les féministes hystériques américaines de nos jours, adeptes de la PMA et de l’enfantement sans mâle (donc sans mal). Car le sexe isole du collectif et l’affect amoureux rend indisponible au parti. Chacun n’a le droit d’aimer que le Grand leader, tout comme les chrétiens n’ont à aimer que Dieu. Où le spectateur pense par lui-même que ces partis collectivistes ont tout de la religion, fonctionnant comme elle, réclamant la même soumission inconditionnelle et totale, repoussant tout amour terrestre et toute vie bonne au profit du but unique qu’est le Pouvoir du parti. Quand l’orgasme aura été éradiqué scientifiquement, selon le projet du parti, les humains seront les parfaits robots fonctionnels du social. L’individualisme, le capitalisme, la pensée personnelle seront des vestiges animaux dépassés par l’Evolution créatrice du parti.

Sauf que Julia tombe amoureuse de Winston ; il n’est pourtant pas très beau ni jeune (44 ans au tournage)… Mais elle aime coucher et jouir, elle le dit crûment, comme les premières égéries « libérées » autour de Lénine jadis. Cet exercice physique serait sain s’il n’entraînait pas l’amour, donc le désir de faire nid, donc de préférer les « membres » du parti au parti lui-même. « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Matthieu 22:37) est le mantra de toute religion despotique, et la police de la pensée doit y mettre bon ordre. Ce qui fournit quelques scènes cocasses où Julia porte sa combinaison de travail sans jamais rien dessous, se promène nue dans la chambre louée, où les flics casqués, sanglés et bottés arrêtent le couple entièrement nu sans même un battement de cil.

Julia soupçonne Goldstein de ne pas plus exister que la guerre contre Eastasia car on ne maintient le peuple dans l’obéissance que lorsqu’il est au bord de la survie, lorsqu’une ration de 25 g de chocolat par semaine au lieu de 20 g suffit à rendre heureux et que « la géniale stratégie » du Grand frère a permis aux fils partis à l’armée obligatoire de « tuer 25 000 ennemis en un jour ». Winston, qui ose aussi penser tout seul dans un cahier où il tient un journal de ses opinions et fixe ses souvenirs, est poussé à basculer par son supérieur O’Brien (Richard Burton) qui lui confie un exemplaire pilote du nouveau dictionnaire de Novlangue, dixième édition. Entre les pages sont collées celles d’un Traité que l’on entrevoit brièvement comme Théorie et pratique du collectivisme oligarchique. Son auteur serait Goldstein (alias de Trotski) mais O’Brien, après l’arrestation de Winston et Julia, déclarera qu’il en est lui-même l’auteur. Selon Machiavel, tout prince doit susciter sa propre opposition pour se valoriser et contrôler le ressentiment. Mais la théorie politique qu’il contient est une science des révolutions : seule la classe moyenne peut remplacer la classe dirigeante, jamais « le peuple » qui est toujours manipulé. D’où l’emprise que les dominants maintiennent par des techniques de publicité et de manipulation psychologique dont la Minute de la Haine où la foule en délire lynche le bouc Goldstein virtuellement devant l’écran.

Winston est torturé (Julia aussi probablement), avec pour fonction d’annihiler totalement sa personnalité. Il renie Julia, révoque ses opinions, écrase ses souvenirs ; Julia lui avouera avoir fait de même car trahir l’autre, c’est se montrer repentant. Le corps, le cœur et l’esprit de chacun ne doit appartenir qu’au parti. La terreur comme anesthésiant de la raison a été pratiquée avec le succès qu’on connait par Staline, Hitler, Mao et Pol Pot, et se poursuit en Chine où les camps de « rééducation politique » subsistent toujours en grand nombre. Chez Poutine, c’est la prison en premier avertissement et l’assassinat par une mafia parallèle impunie en cas de récidive.

Winston, relâché après avoir « avoué » que quatre doigts sont cinq si le parti le dit, que la mémoire doit être vidée de tout souvenir s’ils contredisent le présent du parti, en bref que le chef a toujours raison. Il est dénoncé comme traître repenti et la litanie de ses crimes aussi imaginaires qu’absurdes (comme durant les procès de Moscou) s’étale sur les télécrans : « j’ai trahi le parti, j’ai suivi le traître Goldstein, j’ai saboté la production industrielle du pays (lui qui n’avait accès qu’aux archives du Times !), j’ai couché avec les deux sexes, j’ai… ». Le Confiteor chrétien ne dit-il pas : « j’ai gravement péché par orgueil contre la loi de mon Dieu, en pensée, délectation, omission, consentement, regard, parole et action » ? Au parti comme en religion, il s’agit de se purger de tout péché, d’éradiquer à la racine sa « nature humaine » pour redevenir blanc comme neige aux yeux de Dieu, pure créature-miroir de Lui-même, et être accueilli dans le paradis socialiste où l’on vous dit ce qu’est le vrai bonheur… qui est au fond la mort : Winston, une fois converti, sera exécuté.

Prix du meilleur film et du meilleur acteur 1985 pour John Hurt aux Evening Standard British Film Awards.

DVD 1984, Michael Radford, 1984, MGM United Artists 2005, 1h46, avec John Hurt, Richard Burton, Suzanna Hamilton, Bob Flag, standard €5.14 blu-ray €10.99

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Patricia Macdonald, Personnes disparues

L’Amérique telle qu’en elle-même : un pays où les femmes sont la clientèle privilégiée des auteurs de polar, où les hommes sont en général nuls et où les pervers (des deux sexes cette fois) s’ébattent en toute liberté. Le thème est, en ce roman dense et bien monté, le kidnapping d’un bébé et le viol et l’assassinat de sa baby-sitter de 15 ans dans une petite ville banale. De quoi allécher le chaland.

Rebecca tend son pull pour faire ressortir le galbe hérissé de ses seins et attirer l’œil d’un adolescent de son âge qui évolue en skate non loin d’elle dans le parc. Celui-ci s’en fout, les filles sont trop bizarres pour qu’il cède à ce brut appel sexuel, au risque d’être accusé de harcèlement. Mais ce n’est pas le cas d’un fringant prof d’histoire du collège qui passe par là. Il engage la conversation, s’intéresse au bébé de 6 mois prénommé Justin, offre un cracker, effleure de sa main l’épaule de la jeune fille. Qui se lève d’un bond, outrée : elle s’exhibe mais ne veut pas qu’on réponde à ses avances – pas n’importe qui. C’est tout le paradoxe de la féministe yankee qui ne sait pas ce qu’elle veut en faisant ce qu’elle fait.

On la retrouvera tuée et violée, le bébé envolé.

Pete Cameron pète le feu ; il est le chef de la police et le parfait macho. Il mène ses subordonnés à la baguette, y compris la jeune Noire aux ongles manucurés, et a déjà sa petite idée préconçue sur le coupable. Sa fille de 15 ans, une ado mal dans sa peau un peu grosse, coiffée et vêtue comme l’as de pique, a accusé son prof d’histoire de harcèlement. C’est elle qui lui envoyait surtout des mots d’amour et l’avocat a plaidé sa cause assez fort pour qu’il soit blanchi. Mais il n’en pas moins été suspendu trois mois – sans salaire – et doit retrouver ses élèves ces jours-ci. Cameron le popu considère Henson l’aristo comme le flic de base l’avocat de la haute : le défenseur des privilégiés bourgeois. Ce pourquoi, lorsqu’un témoin du parc établit un portrait-robot qui colle pile avec le prof, il l’alpague aussi sec.

Nouvelle cause pour l’avocat qui pompe les économies du couple ; nouveaux soupçons sur le bellâtre, dieu des stades avant son accident à la jambe qui l’a rayé des compétitions à la fin de son adolescence. Le dieu est retombé dans la vile humanité et son inconscient se rebelle. Il désire toujours être l’enfant gâté d’hier, celui qui fait tomber les filles. D’où son attitude ambigüe devant le teint de lait, les seins fermes et les fines gambettes. Caresser, peloter, séduire, il aime ça. La grosse éconduite et la plus belle fille du collège lui tendant un piège devant caméra. De là à l’accuser de viol ou même de meurtre…

Mais les convenances sont plus fortes que la vérité : elles « croient » avant de savoir ; elles soupçonnent de noirs dessins et de bas instincts avant de faire confiance ; elles jugent d’opinion avant la justice. Ah, les convenances ! On ne saurait y déroger dans la société yankee démocratique, transparente, communautaire. Maddy l’épouse se sent obligée par les conventions, elle en perd son libre-arbitre et même sa volonté. Elle croit au fond d’elle-même que son mari n’est pas innocent avec les filles ; elle cède en son cœur à l’amour d’un prêtre catholique qui n’ose la toucher ; elle accepte contrainte et forcée un chaton (noir) donné par l’épouse de l’avocat qui causera un accident par sa stupidité de mère inattentive ; elle se sent obligée en contrepartie de sa responsabilité d’inviter chez elle le couple blessé et son bébé ; elle force sa pitié pour la femme sèche et peu maternelle que se révèle Bonnie. Même quand elle apprend que son Clyde (qui s’appelle Terry) est un ex-taulard à peine sorti, qui s’est marié en prison où il a passé cinq ans, accusé à tort.

Le décor est posé, les personnages campés. Aucun ne paraît ce qu’il est vraiment, les conventions obligent à l’hypocrisie sociale, l’action se déroule en quiproquos permanents. Ce qui en dit long sur la société américaine ; elle n’a guère changé en vingt ans, sinon en pire. Que penser en effet de cette affirmation tranquille de l’auteur, experte en psychologie sociale en son pays, que les filles ne demandent en 1997 qu’à être forcée pour l’amour ? Car passer outre aux conventions est signe de virilité, être en rébellion contre les normes gage d’attachement, prendre l’initiative se définir comme un homme. « L’adolescent [dans les 16 ans] (…) ne se rendait pas compte que son seul crime consistait à ne pas être assez entreprenant et que, s’il ne se décidait pas bientôt, il ne tarderait pas à la perdre au profit d’un garçon plus âgé à qui l’expérience avait enseigné qu’on ne demandait pas toujours la permission. En effet, elle ne voulait pas avoir à donner son consentement dans la mesure où entretenir des relations intimes avec un homme avant le mariage allait à l’encontre de ses croyances et même de sa religion. Et qu’il ne le comprenne pas, cela la mettait en rage » p.322. Hypocrisie toujours… « Non » signifie « oui », juste parce qu’ainsi on ne se parjure pas, on sauve les apparences de sa croyance et de sa religion – même si on désire très fort être baisée. Comme les autres, pour être bien conforme. Pauvre Amérique !

Mais c’est pour ces analyses fines et saignantes que j’aime les romans policiers de Patricia Macdonald : ils permettent de comprendre la société dans laquelle je ne voudrais surtout pas vivre.

Quant au roman, l’action se déroule de rebondissements en rebondissements, de chausse-trappes en impasses, de tir au pistolet en fuite avec otages. On ne s’ennuie pas – jusqu’à la chute.

Patricia Macdonald, Personnes disparues (Lost Innocents), 1997, Livre de poche 1999, 383 pages, €7.90 e-book Kindle €9.49

Les romans policiers de Patricia Macdonald chroniqués sur ce blog

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Philippe Sollers, Femmes

Ce roman est touffu, déjà daté lorsque je l’ai lu en l’an 2000, interminable. Mais l’auteur a eu la coquetterie de le terminer à la page 666 dans l’édition Folio – le chiffre de la Bête (il ne l’a probablement pas fait exprès). Dans ce livre, pas d’histoire ni de personnages mais le fil des jours, des rencontres. Il y a des pensées et un narrateur schizophrène, impliqué et extérieur, parisien et étranger, ici et ailleurs. L’atmosphère décrite est typiquement « fin de siècle », le XXe mais aussi celui de « la gauche » mythique, une nouvelle gauche déjà usée, décadente. La description est aiguë de tous ces intellos brusquement promus gonflés de leur importance, de l’agitation du microcosme. Rappelons que ce roman a été publié en 1983 lors du mitterrandisme triomphant. Tous les ego sont démesurés, ils couchent et cherchent le compliment d’abord et le pouvoir toujours.

Philippe Sollers écrit sec comme Simone de Beauvoir. Il entremêle un essai, un portrait, une baise, alternativement et en rythme. Ce n’est pas du Casanova, bien que le personnage soit invoqué. Femmes s’apparente plutôt aux Mandarins de Simone, actualisé Nouveau roman. Au début, l’auteur abuse des trois petits points en fin de phrase. Il expérimente une respiration à la Céline, le talent d’imprécateur en moins. Si l’esprit ne passe que par le verbe, Sollers est plus à l’aise dans les jeux de mots et les rapprochements inattendus que dans l’imprécation.

Face au vide mental qu’il constate chez ses congénères conformistes – intellos de gauche et féministes comme le veut la mode, mais surtout dépendants, vaniteux et frigides – l’auteur vante l’orgueil mâle, solitaire et butineur. Ni coupable, ni inverti, ni androgyne, mais juste un homme, blanc et catholique. De plus, il rend son héros marié et père d’un petit garçon. Cultivant l’entre deux ambigu, Il n’est ni vraiment père de famille, ni célibataire volage. Il aime sa femme, s’occupe de son enfant, mais pas 24 heures sur 24. Il s’isole, il voyage, il rencontre d’autres femmes (et couche complaisamment avec elles, souverain et libre – mais avec aucun garçon, restriction de goût).

Philippe Sollers se raconte sans se raconter, il se la joue en faisant parler un nègre, un journaliste américain qui est son double, miroir un peu barbare, un peu persan au sens de Montesquieu. « L’horizon européen se ferme », il est nécessaire de sortir de ce milieu parisien, si provincial au fond, si clanique, où « tout le monde se connaît » et pratique un genre de « prostitution éclairée » p.385. L’histoire mondiale, en 1983, se respire ailleurs : à New York, Venise, Rome. Le roman brasse beaucoup de thèmes qui travaillent l’époque. Les femmes sont émancipées, castratrices, mais au fond très seules. Elles sont des goules dont il faut user tout en s’en préservant. Le monde nouveau est « dur, cynique, analphabète, amnésique » p.22 – ce qui n’est pas si mal vu.

Les vedettes intellectuelles des années 1980 ont un côté cuistre, les « grands débats » sont vides et narcissiques. « La seule chose jamais discutée, c’est : pourquoi vous, bipède parlant, être là ? » p.27. Avec ce ton primaire, anti jargon, presque phonétique mais quasi incompréhensible pour ceux qui parlent en circuit fermé : les psys, les marxistes, les écri–vains, les universitaires. Comme ils sont pathétiques, aux pieds d’argile, ces colosses médiatiques, outres gonflées du vent admiratif des ignares : Fals (Lacan), Boris (Edern-Hallier), Lutz (Althusser), Baron (Aron), Werter (Barthes), Malmora (Moravia). A la question primordiale (voir ci-dessus les bipèdes), ils n’apportent aucune réponse, seulement des stéréotypes des poses théâtrales. Mode et dogmes, tel est le temps des masses, de « l’hommasse » p.230, « le collant et la laque » p.335 pour paraphraser La paille et le grain d’un certain président.

Le remède sollerien ? « Vivre ses passions sans se sentir coupable » p.35, une « longue et instinctive discipline de l’homme qui veut accomplir son projet, rien d’autre » p.93, un « guelfe blanc (…) c’est-à-dire pessimiste, casuistique, baroque, ayant appris à (ses) dépends qu’on peut seulement traiter le mal par le mal… jésuite » p.152. Un « sexy » p.622, ni prude ni obsédé du sexe, un joueur, un peu Casanova, tenté à la fois par le judaïsme et le matérialisme à la Démocrite p.210, un catholique en somme, pour la tradition, le décorum et la profondeur plus que pour la foi. Dandysme de l’affirmation dans une époque « anti ». Car « le totalitarisme (…) la pente inévitable humaine, ne sera vaincu que par (…) raffinement systématique, sauvage » p.336. Sollers le dandy exige protection de sa vie privée, repli sur soi et pudeur la plus stricte. Et l’admiration des œuvres, les vraies : « qu’est-ce que c’est gênant, n’est-ce pas, que le Concile de Trente ait produit des milliers de chefs-d’œuvre, et le Progressisme appliqué tant de croûtes ! » p.335. En 1983, en pleine gauche égalitariste triomphante qui subventionnait la culture avec prosélytisme militant au prétexte d’élévation des masses, il fallait oser.

Citant Schlegel : « L’ironie est la conscience claire de l’agilité éternelle, de la plénitude infinie du chaos » p.406. Sollers prend des accents nietzschéens mais sans presque le savoir (une seule allusion, via Lou Andréa Salomé, sur le retour possible du catholicisme). Comme s’il existait quand même un tabou à ne pas transgresser : de Maistre oui, Céline passe encore, mais Nietzsche non ! Allons, Philippe Sollers, encore un effort : bien que ni français (Sade), ni italien (Casanova), Nietzsche est très actuel – prophétique. Dommage de l’ignorer.

Philippe Sollers, Femmes, 1983, Folio 1985, 672 pages, €12.80 e-book Kindle €11.99

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T2 Trainspotting de Danny Boyle

Ce film est la suite de Transpotting du même réalisateur, sorti en 1996, et reprend les mêmes personnages « vingt ans après » selon les recettes du feuilleton à la Alexandre Dumas. Quatre jeunes des cités d’Edinbourg en Ecosse ont vécu (mal) la crise économique et ont sombré dans l’héroïne, fort à la mode en ces années laxistes. Tommy, trop accro, est mort du sida et Mark (Ewan McGregor) décide d’arrêter. L’opportunité lui est fournie par un gros coup proposé par Sick Boy (Jonny Lee Miller) : acheter 4000 £ deux kilos d’héro revendue 16 000 £ à un revendeur. Après la fête, alors que tous sont endormis, Mark se tire avec le fric, laissant sa part à Spud (Ewen Bremner) dans une consigne de gare. Ce dernier se gardera bien d’en faire état auprès des autres.

Vingt ans après, Mark revient sur les lieux de son enfance. Il rencontre un à un ses anciens amis, ce qui ne vas pas sans cassage de gueule pour se venger. Spud est sauvé in extremis du suicide par Mark qui vient le voir mais Sick Boy, qui tient le pub désert de sa tante dans la zone, se défoule avant de proposer à Mark, qui le dédommage, de s’associer pour créer un « sauna » avec huit chambres pour les filles. Autrement dit jouer au mac. Il a déjà tenté le chantage par caméra cachée avec Veronica sa copine bulgare (Anjela Nedyalkova), mais cela n’a pas vraiment marché. Les travaux commencent, Mark a passé un petit diplôme de comptable avant d’être débarqué de son entreprise comme trop peu qualifié, pour cause de fusion, il cherche et convainc le jury pour un financement européen. Les associés obtiennent 100 000 €.

C’est alors que Franco (Robert Carlyle), le quatrième des trois mousquetaires de la bande, s’évade de prison où il doit purger encore vingt ans après les cinq ans qu’il vient de faire. Revenu chez lui, il s’aperçoit que son gamin a grandi et qu’il est désormais un bel adolescent ; il l’embauche derechef pour l’aider aux cambriolages. Mais il n’a plus la main et se prend les pieds dans le tapis, c’est son fils qui leur sauve la mise en sautant sur le propriétaire réveillé et l’étourdissant assez pour qu’ils aient le temps de s’enfuir. Mais c’en est fini, ce n’est pas son truc, le garçon veut « étudier » et pas finir comme son père taulard ni son grand-père pochard.

Franco cherche alors à tuer Mark, bouc émissaire idéal de sa vie ratée. Ah, s’il avait eu ces 4000 £ il y a vingt ans ! Il n’en aurait probablement rien fait de bon, mais c’est l’illusion qui compte. De fil en aiguille, il va le retrouver par hasard, le poursuivre, le pendre, mais en sera empêché par Sick Boy qui a un intérêt pécuniaire à ce que Mark vive. Franco assommé d’un coup de chiotte à monter sera fourré dans un coffre de bagnole et abandonné devant une gare, où les flics viendront le cueillir, intrigués par les coups dans la tôle.

Spud est encouragé à écrire les histoires de sa vie par Veronica, mais le spectateur ne sait pas vraiment si l’éditeur entraperçu dans le film est intéressé. Ce qui compte pour Veronica est de se tirer de ce pays sans avenir et de quitter en beauté cette bande de losers. Après avoir flirté avec Mark, le plus doué de la bande mais qui s’avère perdant comme les autres, elle apprend par ses écrits que Spud imite à la perfection les signatures et se sert de lui pour soutirer les 100 000 € du prêt et filer avec, retrouver son gamin en Bulgarie. Et les niais se retrouvent comme devant, enfermés dans l’inutilité sociale et la banlieue reliée par trains, incapables de s’en sortir sans sortir des clous.

Tiré d’un mauvais roman d’Irvine Welsh, cette fable sociologique est contée avec humour et zapping permanent, sur une musique du tonnerre. La bande-son rassemble Iggy Pop, The Clash, Blondie, Queen, Frankies Goes to Hollywood et d’autres, tous excellents pour rythmer les séquences et offrir une échappée subliminale à l’image. Restent deux scènes trash avec un proviseur adjoint d’un collège de jeunes filles qui se fait mettre par un gode géant manié vigoureusement par Veronica et un sniffage de rails de coke par Sick Boy – ce pourquoi le film est « interdit aux moins de 12 ans » (dès 13 ans, ils ont déjà expérimenté tout ça ?)

Que faire quand le système social vous barre la route ? Vous ne pouvez ni exploiter la terre (privée), ni être exploité comme ouvrier (prolétaire) faute d’emplois, ni exploiter les filles sans subir leur résistance (féministe), ni monter une entreprise sans avoir sur le dos les gros bras des caïds de la zone… L’Europe, par ses financements, peut aider mais il faut en avoir les moyens intellectuels et la volonté. Ne reste que la tentation de se détruire – par l’héroïne, la prison ou le suicide. Le Royaume-Uni du No future est représenté avec un certain charme, bien que l’éclatement des séquences soit un brin outré, presque déréglé. Probablement comme les personnages.

DVD T2 Trainspotting [DVD + Copie digitale], Danny Boyle, 2017, avec Ewan McGregor, Jonny Lee Miller, Ewen Bremner, Robert Carlyle, Anjela Nedyalkova, Sony Picture 2017, 1h53, standard €8.79 blu-ray €13.37

DVD Trainspotting + T2 Trainspotting [DVD + Copie digitale], Sony Pictures 2017, 3h23, standard €12.49 blu-ray €29.01

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Henry James, Un portrait de femme

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Premier « grand » roman de l’auteur, l’intrigue se réduit à un portrait en situation. Isabel Archer, orpheline ramenée d’Amérique par sa tante qui vit en Angleterre, se veut idéaliste, libre et indépendante – à l’américaine. Elle va trouver dans la vieille Europe l’illusion de la beauté et l’amère réalité du mariage. Car cette féministe avant la lettre, révolutionnaire du Nouveau monde en butte à la féodalité patriarcale de l’Ancien, se laisse aveugler par l’Idéal sans mesurer aucunement les rapports réels de classe ni d’argent.

Le lecteur ne peut pas aimer Isabel ; elle ne s’aime pas elle-même en se faisant une idée à la fois trop haute et trop épurée d’elle-même. Elle se croit intelligente, elle se laisse manœuvrer ; elle se croit lucide, elle ne décèle pas le dissimulé ; elle se croit souveraine, elle s’enferme dans le devoir social. Elle est pétrie de contradictions et ne s’en rend même pas compte : charmante et indécise, volontaire et passive, active et fataliste, éprise de culture et profondément ignorante, capable et se fourvoyant sans cesse dans des impasses. « Isabel était sans doute fort encline au péché d’orgueil ; elle passait souvent en revue avec complaisance le champ de sa propre nature et avait tendance à tenir pour acquis, sur des bases fort minces, qu’elle avait raison ; il lui arrivait souvent de s’admirer impulsivement » p.757 Pléiade. Cet orgueil d’impulsion va causer sa perte. Car Isabel est incapable d’exister, sans cesse le jouet de désirs qu’elle ne peut satisfaire, névrotiquement sur ses gardes, ne choisissant que par défaut, en réaction ou en négatif. Elle est absente de son destin – un comble pour une Américaine qui révère l’indépendance !

L’auteur aime à peindre à loisir les profondeurs psychologiques des êtres. Il s’étale avec des raffinements de détails page après page, passant d’un acteur à l’autre, faisant dévoiler par l’un les ressorts de l’autre. Il construit son roman à partir d’un personnage dont il explore les facettes. Ce pourquoi l’action est presque inexistante, le décor déplaçant surtout les états psychologiques de la femme en portrait : l’Amérique où elle s’étiole, l’Angleterre où elle se révèle, Florence où elle s’enferme. Les personnages sont presque tous expatriés yankees en Europe ; ils ne font rien et se contentent de jouir : Touchett père est un banquier qui a réussi, Osmond un esthète ravi de lui-même. Par contraste, le prétendant Goodword est un industriel héritier qui dirige avec succès ses entreprises, Henrietta Stackpoole une journaliste éprise de véracité et de pittoresque qui n’hésite jamais à aller enquêter sur place. Isabel n’appartient ni à l’un ni à l’autre de ces mondes : elle se voudrait active et positive, elle se laisse aller à la vacuité et à la dépendance.

En Angleterre, dans le château de Gardencourt où réside sa tante, elle rencontre Ralph son cousin. Il devient amoureux d’elle mais se sacrifie car il est très malade et mourra avant les dernières pages ; il aimerait que son ami lord Warburton épouse Isabel, et celui-ci est épris, mais la belle se refuse ; Goodword, son promis d’Amérique, la relance jusqu’en Europe, elle ne veut pas de lui, pas même de ses services. Qui alors ? Personne – Isabel rêve d’être libre.

C’est alors que le destin la favorise : le père de Ralph, sur le point de mourir, lui laisse un héritage conséquent, sur la demande instante de son fils. Isabel peut enfin réaliser son idéal : faire ce qu’elle veut. Son drame est qu’elle ne sait pas quoi faire. Après avoir voyagé parce que cela se fait, mais croquant les miles à toute vitesse comme par avidité, Isabel se retrouve sans but. Ayant échoué à Florence avec sa tante, elle se laisse prendre dans les rets d’une intrigante et de son ancien amant, qui ont une fille à doter et un train de vie à assumer.

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Osmond est le type même de l’oisif narcissique, esthète jusqu’au bout des ongles socialement inutile. Indifférent, misanthrope, il préfère sa collection d’objets aux mondanités ; paresseux, il ne gagne aucun argent et est frustré dans ses désirs d’accumuler. Il enrobe de sublime son insignifiance sociale – et apparaît moins « diabolique » que dans le film de Jane Campion tiré du roman. Son seul amour est sa fille, une gamine de 15 ans qu’il a soigneusement remisée au couvent pour qu’elle soit docile et ignore les tentations du monde. Culte de l’innocence et goût de l’ordre s’orchestrent pour assurer l’emprise paternelle, prélude à la sujétion au futur époux. Nous sommes dans le siècle bourgeois où le mariage est celui des intérêts du patrimoine, pas celui des sentiments de chaque être. Osmond est conventionnel, conservateur, égoïste. Il « limitait et bornait toutes choses ; (…) il ajustait, réglait, dirigeait leur manière de vivre. (…) Il était sans cesse à la recherche de l’effet, et ses effets étaient savamment calculés » p.1118. C’est un vaniteux, inexistant par lui-même : « il mesurait son succès à la seule aune de l’intérêt que le monde lui portait » p.1119.

Il veut faire faire à sa fille un « beau » (c’est-à-dire riche) mariage. Lui-même cède aux instances de la mystérieuse Madame Merle, veuve d’un commerçant suisse, qui veut le marier avec l’héritière idéaliste Isabel – je ne vous dévoile pas pourquoi. Osmond va donc déployer tous ses charmes pour ne pas la brusquer (il ne la désire pas) mais pour faire tomber dans son escarcelle ses 60 000 livres de rente. L’indépendante se laisse faire… aspirant au fusionnel.

Après avoir refusé ceux qui l’aimaient vraiment et l’auraient laissée libre, elle s’offre sans réfléchir aux belles manières d’un individu qui ne l’aime pas et n’en veut qu’à son argent. Seule la fille d’Osmond, Pantsy, se met à l’aimer – ce qui la lie. Elle se marie et ce lien devient pour elle un devoir. Même reconnaissant son erreur, même découvrant le complot, même malheureuse, elle ne veut pas se déjuger et assume son erreur pour le reste de sa vie. Après l’illusion puis le déni, la bêtise. Décidément, le lecteur ne peut pas aimer Isabel.

Au long de ces centaines de pages, Henry James alterne les tableaux d’exposition avec les scènes de théâtre. Il excelle à rendre les conversations mondaines et analyse de façon maniaque les ressorts psychologiques d’une décision. C’est tout l’intérêt qui demeure pour ce roman d’un monde révolu où les riches entre eux décidaient du sort du monde et n’avaient pour tout sentiment que leur intérêt pécuniaire, jouant avec les passions des autres par amusement. Ils savaient que « le devoir » et « les liens sacrés du mariage » empêcheraient de facto toute velléité de liberté. Un beau monde que ce monde ancien !… Avec l’explosion des réactions conservatrices et du retour aux religions, il revient.

Henry James, Un portrait de femme (A Portrait of a Lady), 1881, 10-18 2011, 688 pages, €10.20

Henry James, Un portrait de femme et autres romans, Gallimard Pléiade 2016 édité par Evelyne Labbé, 1555 pages, €72.00

DVD Portrait de femme de Jane Campion avec Nicole Kidman, John Malkovich, Barbara Hershey, Mary-Louise Parker, Martin Donovan, Filmédia 2010, €13.00 

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Henry de Montherlant, Les jeunes filles

montherlant les jeunes filles
ÉvoquerLes jeunes filles de Montherlant aujourd’hui est une gageure ; rappelons cependant que ceux qui le critiquent ne l’ont jamais lu – ils en ont entendu parler par quelqu’un dont les préjugés lui ont fait tirer un trait définitif sur toute lecture. Or ce roman a été commencé en 1936, année du Front populaire et du grand vent de liberté qui semblait souffler alors sur la jeunesse et la modernité. On ne voulait pas voir le fascisme au sud-est, le franquisme au sud-ouest, ni le nazisme ou le stalinisme à l’est. Ce qui préoccupait était le bonheur. Mais comment trouver le bonheur dans l’inégalité ? Or l’époque restait très macho et emplie de convenances bourgeoises… et les femmes n’avaient pas encore le droit de vote !

Cette charge de Montherlant sur les femmes de son temps, je l’avais lue pour la première fois à la veille de la Terminale au début des années 1970, à cette période du secondaire français qui rend cuistre, comme le dit justement l’auteur. La relecture a ceci de bon qu’elle permet d’aller au-delà de la prime impression ; le jugement que l’on porte se dégage du goût que l’on a pour le texte. Je trouvais alors la peinture assez juste. Je me délectai de retrouver les traits haïs des jeunes bourgeoises bovarysantes qui empoisonnaient mes classes de leur idéalisme psychologique. Depuis j’ai connu d’autres filles et surtout des femmes sorties d’adolescence, au travail, à l’université, en bateau, en voyage, loin de ce lieu d’irresponsabilité et d’oisiveté malsaine du lycée.

Dans Les jeunes filles, Montherlant prend position : sur la femme telle qu’il la voit, sur la société bourgeoise de son temps, sur l’enfant qui est promesse. Il dessine d’autre part un caractère : celui de Costals, qui est l’un de ses masques.

montherlant pitie pour les femmes

Tout en marquant sa différence d’avec la femme, Montherlant rêve d’elle comme d’un être au même niveau que l’homme. Si pour lui le mâle n’a pas de conception du bonheur (« un état négatif », « dont on ne prend conscience que par un malheur caractérisé »), s’il ne s’intéresse à la femme que par désir des sens ou par volonté d’enfant, s’il est un être actif, ouvert et curieux, insouciant, guerrier – la femme lui apparaît plus stable, plus renfermée, plus « sérieuse », plus attentives aux états psychologiques qui conduisent à la paix et au bonheur. Elle en fait « une réalité substantielle extrêmement, vivante, puissante, sensible. » Fondamentale distinction des sexes : l’homme pointu, fait pour percer, chercher, vaincre ; la femme fendue, faite pour recevoir, attendre, concevoir. Homme en pic et femme en creux ; homme qui chasse et prévoit, femme qui s’attache et s’enferme.

Il ne faut pas attacher trop d’importance à ces oppositions de couples qui sont des métaphores et, comme les mots eux-mêmes, des images. L’homme n’est pas toujours montagne ni la femme vallée. Mais il reste que la différence existe, qu’elle n’est pas uniquement culturelle, et que toute dissemblance n’est pas nécessairement contradiction à résorber. Un couple fécond est union des contraires et certainement pas fusion de deux semblables. L’homme n’est pas la femme, il l’épouvante, l’apitoie et la fascine ; la femme n’est pas homme, ni dominée, ni identique.

« Presque toutes les fois qu’une femme se dégrade – par une mode qui l’enlaidit, une danse qui l’encanaille, une façon imbécile de penser ou de parler – c’est l’homme qui l’y a poussée ; mais pourquoi ne résiste-t-elle pas ? » Désarroi et colère de Montherlant, taxé sans fondement de misogyne, auquel les féministes depuis, à travers leurs excès, ont heureusement répondu. La bourgeoise de son époque, qui ne fait rien par standing (pour montrer qu’elle n’a pas besoin de travailler), devient vaine, cancanière, ignorante, simple femme-objet pour un faire-valoir social. Quand la femme n’a d’autre rôle que de parure pondeuse, ses parents la poussent nécessairement au mariage, seul moyen de lui faire acquérir un statut.

Costals, comme Montherlant, « rêvait d’étreintes plus dignes de lui, d’égal à égal, sur le plan héroïque ». Non point la femme garce (clope, pantalon, cheveux courts, ongles rongés et manières de charretier), mais la femme puissante, aussi libre que l’homme. Non point amazone, Jeanne d’Arc ou Walkyrie, ces créations d’homosexualité refoulée des sociétés autoritaires, mais Reine morte, Mariana fille du Maître de Santiago, Pasiphaé ou sœur Angélique de Port-Royal, des femmes dignes comme Iseut ou Chimène. Telle est Rhadidja, la jeune maîtresse marocaine de Costals, aussi insouciante dans la vie que dans la mort, trouvant plaisir à donner sans demander en retour, vivant le présent et non l’avenir ou le passé, jouissant de l’instant sans idéaliser l’ailleurs.

Car ce qui agace le plus Montherlant est l’Hâmour raillé par Flaubert, cette caricature monstrueuse du sentiment féminin agrémentée par les littérateurs et considérée avec sérieux par la bêtise bourgeoise à la Bovary. Il ne faut pas dévoyer l’amour comme le font à longueur de temps ces romans pour midinettes, ces chansons pour teen-agers et ces films hollywoodiens. Comme sont méprisables ce commerce du sentiment, cette enflure du cœur pareille à une drogue dont il faut augmenter la dose pour qu’elle fasse encore effet !

Costals ramène l’amour à ce qu’il est : « d’une part de l’affection à nuance de tendresse, et de l’estime ; et, d’autre part, du désir ». Rien de plus – mais quel couple peut se vanter de vivre DÉJÀ ces sentiments ?

Parfois l’affection « va proprement à l’infini », en ces rares cas où les êtres se reconnaissent et se choisissent. Ils veulent s’aimer « comme le chrétien (intelligent) veut croire » : par pari. Ainsi Costals et son fils. Ainsi Rodrigue et Chimène. Mais ce sont là des miracles qu’on ne peut prostituer. Certes, l’amour existe, mais il ne faut pas qualifier ainsi le seul mouvement du désir ou l’affection d’un soir. Aussi, « l’un des devoirs de l’Européen moderne, qui veut vivre raisonnablement » est-il « d’opposer avec la dernière fermeté une légèreté systématique à ces complications et à ces sublimations malsaines ».

On ne peut aimer « à fond » qu’un être libre, qui échappe miraculeusement à sa condition sociale. « Ce qu’on aime est toujours un enfant », dit Costals. L’enfant ontologique au sens de Nietzsche : l’être de la dernière métamorphose, innocence et oubli, jeu, roue qui roule sur elle-même, oui sacré à la vie. Ainsi Guiguite, la maîtresse juive, ainsi Rhadidja, la maîtresse arabe. Ainsi les bêtes, les primitifs, les gosses. Rien de pesant, de sérieux, de nécessaire. L’amour aussi infini que l’eau de la mer mais, comme elle, indifférent, comme elle, en mouvement. « Quelle ivresse de vivre sur cette eau mouvante, jamais épuisée, jamais fidèle, jamais désespérée, qu’est la vie d’un autre ! »

montherlant le demon du bien

Fi des convenances et de l’idéalisme bourgeois. Le mariage ? Comme une dernière extrémité, après promesse de divorce par consentement mutuel. Mieux que le mariage est la liaison libre, qui préserve la liberté des partenaires et l’indépendance du plaisir. Quelle misère que ces couples de Nénette et de Rintintin, ces « pénuries frissonnantes qui ont besoin de se réchauffer l’une à l’autre ». Ne jetons pas la pierre : si le mariage aide à vivre, tant mieux, mais il est trop souvent le lot des médiocres qui ne sont rien tout seul. Rares sont les amours qui durent, où la sexualité se transforme en affection, où l’on connait le bonheur de vieillir ensemble…

Quant à l’enfant… Refus de la lapinerie sociale, refus de l’héritier bourgeois. L’enfant est chose sérieuse, qu’on ne doit pas « faire » sans y penser. « Avoir » un enfant parce que tout le monde le fait, parce que la société l’attend de vous, parce qu’il sera nounours entre les mains d’une femme déçue, ou parce qu’il fournira les futurs citoyens pour occuper les bataillons de profs et autres spécialistes ? Non ! Un être se respecte, il se construit comme une œuvre. « J’imagine très bien que j’aurais pu, depuis dix ans, ne faire rien d’autre que me consacrer à l’éducation de mon fils », dit Costals. Lorsqu’on veut qu’il vienne au monde, lorsqu’on veut être son père et le reconnaître pour fils, on ne le laisse pas à la charge des institutions. Spécialisées et anonymes, elles feront déteindre sur lui « l’ignominie du siècle ». Vouloir d’un fils, c’est vouloir l’aimer, donc l’estimer et qu’il s’en montre digne. Donc le modeler soi-même, tâche difficile, belle, et qui suffit à justifier une vie.

Positions scandaleuses pour l’époque – et qui nous sont sympathiques aujourd’hui. Elles prennent leur relief lorsque l’on considère le caractère particulier de Costals. La conduite de sa vie est une conséquence de sa nature et du libre choix de soi-même. Le roman Les jeunes filles analyse le rapport entre soi et les autres. Le mot-clé est « dépendance ».

Si les rencontres avec les autres sont nécessaires (« on ne vit pas sur soi seul impunément »), et si le repli sur soi, lorsqu’il n’est pas commandé par de hautes raisons spirituelles ou intellectuelles, n’a le plus souvent pour cause que l’impuissance ou la peur de vivre. « Je n’aime pas qu’on ai besoin de moi, intellectuellement, sentimentalement, ou charnellement », dit Costals. Car le besoin fixe l’être, le réduit à l’un de ses moments, alors qu’il doit garder la liberté du mouvement. « Je redoute ceux qui me comprennent », car ils n’ont saisi qu’une image de moi, seulement l’un des masques, et ils s’imaginent m’avoir tout entier. Or « je suis une âme de grâce, et les âmes de grâce se communiquent comme la grâce même, qui prend toutes les formes. Et je suis – essentiellement – celui-qui-prend-toutes-les-formes ».

L’amour, l’admiration, font dépendre et obligent à se conformer. La grâce qui séduisait ne peut que s’épuiser car elle ne peut s’enfermer dans les formes sans perdre sa qualité essentielle qui est la légèreté. Les âmes de grâce sont comme ces oiseaux à qui l’on ne peut rogner les ailes sans qu’ils deviennent de stupides oiseaux de basse-cour. L’albatros du poète…

montherlant les lepreuses

L’existence de Costals est de plaisir et de sagesse, une vie bonne à l’antique, où la liberté se préserve par un certain égoïsme, permettant l’amour du fils et la genèse d’une œuvre. Costals se rend libre pour aimer et pour écrire, non par pur nombrilisme. Sa sensibilité vive, qui est celle de Montherlant, le pousse à porter une attention exigeante aux autres – à ceux qu’il choisit. Ce qu’il appelle sa charité, que ceux qu’elle vise ne comprennent pas, y voyant autre chose que la gratuité du don. Andrée Hacquebaut croit que c’est par amour pour elle que Costals répond à ses lettres, comme Thérèse Pantevin et Solange. L’Hâmour toujours… pareil à celui de ces chiens errants qui viennent se frotter à vous en remuant la queue et vous suivent partout parce que vous leur avez jeté un regard.

Les bêtes, les primitifs et les enfants, Costals, sont plus simples – plus légers – que vous ne dites. Quelle pesanteur que ce sérieux bourgeois que vous gardez encore, malgré juin 36, malgré mai 68, malgré la libération de la femme !

Henry de Montherlant, Romans 1 (dont les 4 tomes des Jeunes filles, 1936 à 39), Gallimard Pléiade 1959, 1600 pages €59.00
Tome I Les jeunes filles, Folio 1972, 224 pages, €6.50
Tome II – Pitié pour les femmes, Folio 1972, 224 pages, €6.50
Tome III – Le démon du bien, Folio 1972,256 pages, €6.50
Tome IV – Les lépreuses, Folio 1972, 256 pages, €9.93
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Inconséquences à gauche de la gauche

Il y a « la gauche », celle qui gouverne et qui aspire à gouverner ; et il y a la « gauche de la gauche » qui ne veut surtout jamais gouverner pour rester au chaud dans le nid des « principes » – puisque ces principes sont LA Vérité révélée un jour par un prophète barbu (qu’Allah en soit loué !… Euh, non, il s’agit d’un juif et allemand en plus, un certain Marx, Karl).

Belle et rebelle, la gauche de la gauche attire les immatures, les Clémentine Autain passées directement des barricades étudiantes à la vie trépidante de militante politique. Sans espoir d’en sortir… Elle cumule, Clémentine, égérie de jeunesse, mère suicidée, auteur d’une maitrise d’histoire sur la colonisation en Algérie et d’un DEA sur le féminisme, violée à 23 ans dit-elle aux marches de l’université Paris VIII, UNEF et MLF, engagée auprès des sans-papiers, à gauche de la gauche de la gauche, écolo et adepte de refaire le monde (sur RTL). Elle pousse l’ivresse à être plus dans le vent que le vent ne peut la porter, à l’extrême pointe de « ce qu’il faut ». C’est que, fille de comédienne et de chanteur, elle est tombée dans la com’ toute petite. Jack Ralite le communiste et Alain Krivine le trotskiste ont été ses mentors.

Clémentine Autain a parfaitement le droit d’être ce qu’elle est et de militer comme elle veut. Mais elle ne possède ni LA vérité révélée, ni même la cohérence qui la rendrait légitime. Elle parle fort, trop vite, assène sans complexe ses idées, intervient partout – mais cet activisme ne vaut pas qu’on la suive. Au contraire.

L’exemple Autain n’est pas unique mais exemplaire. La gauche de la gauche se déconsidère par ses outrances, ses postures et ses inconséquences. Que propose-t-elle de concret ? Couper des têtes à la Chavez (Mélenchon) ? Tout nationaliser et augmenter les salaires (Besancenot) ? Yaka et encore yaka – mais surtout ne jamais faire front uni pour accéder au pouvoir, ni même accepter des concessions réalistes pour faire de l’entrisme dans un gouvernement de gauche comme EELV. La politique est un combat où il ne s’agit pas d’être dans le vrai mais d’imposer sa raison.

Et cette raison est l’absence totale de frontières. L’idée vient de Marx, qui la voyait dans l’avenir, évoquant l’internationalisme des prolétaires, définis comme soumis aux puissants. Les prolétaires ont bien régressé, moins nombreux parce que l’industrie s’est robotisée et surtout exilée dans les pays émergents, mais aussi parce que la hausse des salaires ouvriers a suscité chez eux une « trahison de classe ». Les ouvriers mieux payés n’ont plus autant revendiqué mais sont devenus petit-bourgeois, aspirant au frigo, à la bagnole, à la télé, au Smartphone, aux congés payés à Sousse ou Antalya.

Et la gauche de la gauche crie à la trahison de l’idéal, elle qui est composée surtout de fonctionnaires pour qui ni l’emploi, ni la santé, ni la retraite ne sont – leur vie durant – un problème, et de petits intellos qui se croient aptes à refaire le monde en moins de deux sans jamais avoir travaillé en usine ni même à la caisse d’un supermarché.

Délaissant les prolos, trop réactionnaires à leur goût, ils ont investi massivement sur l’immigré, l’ex-colonisé, le musulman, devenus Victimes puissance dix puisqu’à la fois pauvres, peu éduqués, « différents » et mal considérés. La grande idée socialiste s’est dévoyée dans le maquignonnage spéculatif du toujours plus « petit » selon le Christ, celui qu’il faut absolument aduler pour entrer au paradis (« Ce que vous faites au plus petit, c’est à moi que vous le faites »). Pas mal pour des gauchistes athées laïcards…

Donc toutes les victimes ont « droit », toutes les victimes du monde doivent pouvoir entrer librement dans cet Eldorado qu’est l’Europe, sans qu’aucune frontière ne puisse les en empêcher.

Penser à l’envers est le propre de la gauche de la gauche… Démonstration :

gamins torse nu en croisiere

Les frontières, dites-vous ? Ne sont-elles pas les bornes de la souveraineté, où les citoyens décident de vivre ensemble et d’organiser leurs relations ? Ouvrez tout grand les frontières et vous n’aurez plus de citoyens souverains – à moins de considérer les immigrés comme des hilotes exclus de tous droits. Première inconséquence de la gauche de la gauche.

Si les frontières sont abolies, comment interdire aux marchandises de passer avec les gens, aux escrocs et aux terroristes de pénétrer partout sans contrôle, aux échanges généralisés (rêves du libre-marché intégral) de se produire ? Ah non ! fulmine la gauche de la gauche, pas les OGM ni le produit du travail des enfants, ni… Alors, faut-il rétablir les contrôles, donc les frontières ? Deuxième inconséquence de la gauche de la gauche.

Et si la majorité des citoyens (qui ne sont pas tous à gauche de la gauche) ne sont pas d’accord ? Faut-il abolir la démocratie au nom de la Vérité qu’on croit détenir ? Hélas ! l’immigration fait peur. Moins la concurrence pour les emplois ou le spectacle de la pauvreté que le choc des mœurs et des religions, dont on voit bien, depuis une vingtaine d’années, les inconvénients dans le « vivre-ensemble » (pourtant incantation à gauche de la gauche). Les citoyens veulent avoir leur mot à dire : certains disent carrément ça suffit (ils votent Front national), d’autres pas trop ni trop vite (ils votent plutôt centriste), d’autres établissons des règles claires de ce qui est permis et de ce qui n’est pas permis (ils votent un peu Républicain), d’autres encore commençons par améliorer les procédures d’éducation et d’intégration avant d’ouvrir (ils votent plutôt socialiste). Il n’y a que la gauche de la gauche à réclamer le laisser-faire, laisser-passer des immigrés sur tous les sols. Troisième inconséquence de ces gens.

Les gauchistes de la gauche se sont monté le bourrichon, haletant de « s’exprimer », pas le temps de penser, zappant d’une wiki-fiche à l’autre sans jamais lire, étudiant à peine et comprenant à demi-mots – puisque l’idéologie donne toutes les clés. Pour eux, l’Histoire est en marche et le mouvement social induit par le mouvement inéluctable de l’économie va amener l’internationalisme planétaire. En parlent-ils aux Chinois, aux Russes ou même aux Indiens (deux-tiers de la planète) ? Que nenni !

  • NOUS Européens sommes coupables de colonialisme, même si les colonies sont indépendantes depuis deux générations.
  • NOUS sommes donc sommés d’expier ce péché originel, par des laïcards athée qui ne craignent pas d’en appeler au préjugé chrétien si cela sert leurs intérêts de pouvoir.

Le Français de souche appelé Souchien vote Front national, c’est entendu à gauche de la gauche. Faisons de ce sous-chien notre Bête noire, notre pire ennemi – car chacun sait, depuis le proto-nazi Carl Schmidt qu’il faut désigner l’ennemi pour se créer une identité. Identité ? Mot tabou à gauche de la gauche mais qu’on est bien obligé d’employer pour se différencier et simplement exister. Quatrième inconséquence de la gauche de la gauche…

La cinquième ne serait-elle pas d’inciter à voter massivement Front national les citoyens effrayés des outrances posturales des militants sans-frontières ?

Et je suis certains qu’on peut en trouver d’autres !

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Le chat de Monsieur de Buffon

buffon oeuvres pleiade
Le Bourguignon Georges-Louis Leclerc, ci-devant comte de Buffon né en 1707 et mort en 1788 (heureux homme), se méfiait des chats.

Il partageait les préjugés de la catholicité de son temps pour cet animal venu d’orient, à la fois merveilleux et diabolique comme tout ce qui vient d’ailleurs (et surtout d’orient) : « Le chat est un domestique infidèle, qu’on ne garde que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode, et qu’on ne peut chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent les chats que pour s’en amuser ; l’un est l’usage, l’autre l’abus ; et quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer » (Histoire naturelle des animaux, 1749, Pléiade 2007, p.689).

De fait, Buffon écrivait admirablement mais n’a point élevé de chats. Plutôt qu’observer et décrire, il créa de toutes pièces une fantasmagorie comme on en fit au moyen-âge avec Renart et Ysengrin, prêtant à l’animal qualités et défauts d’une certaines espèce d’hommes.

chatte

Pour Buffon – et les Chrétiens du temps – seul le chien est fidèle, le chat est trop indépendant ; le chien est l’exemple que réclame Dieu, le chat n’est que la tentation du diable. « De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine. » Ne dirait-on pas les larrons du temps ? Ou la vie réelle des aigris de cour ?

Le chat apparaît pour ce qu’il est : un hédoniste, un égotiste, voire égoïste – tous péchés largement condamnés par notre sainte mère l’Église. Et pourtant, en 1751, au 15 janvier, les députés et syndics de la faculté de théologie de Paris firent parvenir à Buffon la liste des 14 extraits de L’Histoire Naturelle jugés non conformes à la religion !… Comme quoi nulle croyance a priori ne fait jamais bon ménage avec la science, adepte de la méthode expérimentale.

chatte femme

« Le chat est joli, léger, adroit, propre et voluptueux ; il aime ses aises, il cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et s’ébattre : il est aussi très porté à l’amour et, ce qui est rare dans les animaux, la femelle paraît être plus ardente que le mâle. » Décidément, quel libertin ce félin !

Quel féministe ! Même si ce mot n’existait point alors, la remise en cause du principe Mâle dans la domination amoureuse ne pouvait avoir qu’odeur de soufre.

chat et garcon

L’éducation du chat, si tant est qu’elle puisse se faire, est plutôt « à la Rousseau » et nous, humains du 21ème siècle qui avons expérimenté la chose depuis 1968, savons ce que cela veut dire : « Leur naturel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d’une éducation suivie. (…) C’était plutôt par le goût général qu’ils ont pour la destruction que par obéissance qu’ils chassaient ; car ils se plaisent à épier, attaquer et détruire assez indifféremment tous les animaux faibles… » Quels sales gosses, quand même, ces libertaires !

Moi, j’avoue bien les aimer, ces gamins-là. Mais c’est travers de notre époque.

Georges-Louis de Buffon, Œuvres, Gallimard Pléiade 2007, 1760 pages, €66.00

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Michael Connelly, La blonde en béton

michael connelly la blonde en beton livre de poche

Une plaignante de la ville de Los Angeles fait un procès à l’inspecteur Harry Bosch pour avoir tué son mari. Il faut dire que ledit mari était un tueur psychopathe présumé, avec une dizaine de meurtres de jeunes femmes à son actif. Ladite victime était entièrement nue après avoir tenté d’étrangler une prostituée qui a donné l’alerte, et le psychopathe a commis la fatale erreur de glisser la main sous son oreiller pour saisir quelque chose alors que Bosch, pistolet braqué, le sommait au nom de la loi de ne pas bouger.

Durant ce temps, les meurtres continuent… Le fameux ‘Dollmaker’ n’a-t-il pas été descendu ? Le maquilleur est ainsi surnommé parce qu’il s’appropriait les produits de beauté des victimes pour outrageusement les farder après leur mort. Durant le procès, une lettre anonyme sous la forme d’un poème est envoyée à la police. Elle permet de découvrir un corps, noyé dans le soubassement d’un entrepôt détruit : la blonde du béton.

Dès lors, c’est la course entre la police qui finit par douter d’avoir pourchassé le bon, l’avocate de la plaignante qui semble triompher et le Dollmaker (le Maquilleur) qui suit son idée. Se mêle à tout cela l’aventure de Harry avec Sylvia, ses hésitations à s’engager, les scrupules de bonne femme américaine à se lier à un flic, son travail ne lui permettant pas d’assurer la sécurité psychologique de Mère – figure dans laquelle se voit toute féministe appartenant à la culture des États-Unis. Rien de simple donc.

D’autant que tout se complique. Harry Bosch était persuadé d’avoir éliminé le vrai Dollmaker – et les preuves sont là. Auraient-ils toujours été deux ? Aurait-il un imitateur ? D’intuition en intuition, à peu près tout le monde au courant des faits apparaît comme coupable, certains seront pistés et révéleront… d’autres choses. Jusqu’au bouquet final, inattendu comme il se doit, qui fait frémir de plaisir. Voici un très bon Connelly.

Michael Connelly, ancien journaliste de Los Angeles, excelle à découvrir l’envers du décor. Les paillettes d’Hollywood et les célébrités des stars masquent la misère du grand nombre, attiré dans la ville-cinéma par l’espoir de percer. D’où ces adolescentes qui fuguent et se déguisent en poupées américaines pour être retenue sur les pellicules (gros seins, grosses lèvres, gros rouge du fard industriel et grosse chevelure en choucroute, décolorée). Elles devront pour cela se faire culbuter, chevaucher, sucer, laper dans les vidéos porno, lever la jambe dans des spectacles de promotion, puis sombrer dans la prostitution, la drogue, le sida. Pour finir étranglées sur un trottoir… Étranglées ou poignardées par leurs alter ego mâles, le plus souvent orphelins ou à mères autoritaires, devenus pervers, sadiques, inadaptés…

Mais que ne ferait-on pas pour son quart d’heure de célébrité, dans une société où seule compte l’apparence et où l’on n’existe que si l’on passe à la télé !

Michael Connelly, La blonde en béton (The concrete blonde), 1994, Livre de poche 2015, 600 pages, € 8.30
e-book format Kindle, €8.49

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Andrea Japp, Autopsie d’un petit singe

andrea japp autopsie d un petit singe
Six nouvelles dont la première est, à mes yeux, la meilleure. ‘Le passage d’un ange’ ne donne pas son titre au recueil, ce qui est dommage car il s’agit d’amour – le thème récurrent des nouvelles. Ce bref récit se tient miraculeusement entre émotion et leçon. Loin de larmoyer, comme il est trop souvent de mise aujourd’hui, l’auteur décrit sans pathos la triste humanité, mais avec pudeur aussi sa rédemption. Il est question de pauvreté et de chevaux, d’une charge d’huissier et de dettes, d’un couple qui se délite et d’une vieille solitaire…

Les autres nouvelles mettent en scène le choc permanent entre conventions et sentiments, parents aigris et mères fusionnelles. Il n’y a guère que les hommes à être mal traités par cette féministe littéraire qui arbore une vision noire du monde.

Nul lecteur ne peut dire qu’il soit ressorti joyeux de ces pages, mais elles sont prenantes. Un brin datées peut-être, de ces années post-68 (sans Internet !) où les normes bourgeoises avaient peine à mourir, surtout en province. Viols, lesbianisme, machisme, pédophilie (d’une femme avec un « enfant » de 18 ans !), meurtre du père – on a vu bien pire depuis, mais Andrea Japp déploie tous ses fantasmes.

Seules les bêtes semblent racheter les humains – parce qu’elles sont vraies. Ainsi la jument, la chatte et même la hyène – toutes des femelles, vous avez bien noté…

Il y a de la caricature mais aussi du ciselé. On sent que cela sort du ventre, ces histoires, même si aucune n’est véridique. Bizarre pour une scientifique toxicologue experte auprès de la NASA, traductrice des thrillers morbides de Patricia Cornwell et auteur elle-même de romans policiers sous pseudonyme.

Andrea Japp, Autopsie d’un petit singe, 1998, Livre de poche 2000, 187 pages, occasion €0.01

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Écologie et gauchisme : Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique

Eva Sas Philosophie de l ecologie politique
François de Rugy, député, quitte EELV, parti accusé de « sectarisme gauchiste »; Jean-François Placé, sénateur, menace de le faire lui aussi et déplore les petits arrangement arrivistes de Cécile Duflot. L’écologie est-elle un avatar mai 68 du gauchisme pour bobos arrivés ? Un petit livre paru il y a 5 ans y répond…

Économiste sociale au sein d’Europe Écologie Les Verts et député de l’Essonne, Eva Sas tente une synthèse idéologique sur les fondements du parti. C’est intéressant, mais n’englobe au fond que l’écume des choses. Comme si elle avait voulu collecter des idées pratiques, politiquement utilisables dans les débats, plutôt que de replacer l’éco-logie (la science de notre habitat) dans son contexte historique.

Pour elle, tout commence en mai 68. Avant ? – Rien. Après ? – Tout.

Les années 1970 font prendre conscience d’un monde fini (mais Oswald Spengler l’avait dit en 1918 et Paul Valéry en 1919 – Épicure pointait déjà la petitesse de l’homme dans l’univers infini)… Cette génération bobo – Eva Sas est née en 1970 – croit que tout commence avec elle, notamment la philosophie. Elle fait donc de l’écologie politique le bras armé d’une doctrine qui combat l’homme (mâle, car Eva Sas est aussi féministe) comme maître et possesseur de la nature selon Descartes qui reprenait la Bible.

Pour que ces idées soient utilisables, il ne faut pas remonter avant mai 68 (que tout le monde connait) et ajouter les réflexions de l’École de Francfort (Jonas et Habermas) sur la refondation éthique après Auschwitz. Ainsi reste-t-on dans le vent, politiquement correct et tout empli de bonnes intentions.

Rien n’est faux, dans ce qu’expose Eva Sas, tout juste un peu rapide parfois – mais clairement orienté vers l’usage politique. Sa troisième partie sur le « nouveau paradigme » de l’écologie politique est le plus faible du volume. Les parties 1 et 2 méritent la lecture pour recentrer les idées de notre temps sur notre temps : « la pensée 68 contre une société en perte de sens » et « la refondation de l’éthique : retrouver du sens ». Mais comme tout cela est dialectique, hégélien, présenté comme inévitable !… Thèse, antithèse, synthèse – et voilà le paradis retrouvé. Sauf qu’il reste à construire, et que la « pratique » arriviste agressive des Duflot et autres écolos politiques français ne donne vraiment pas envie.

L’écologie serait, selon l’auteur, « forcément de gauche » car le monde limité exige une répartition selon la justice, donc un « besoin de régulation » contre les intérêts forcément égoïstes. Mais en quoi « la gauche » est-elle une catégorie encore pertinente dans le monde clos globalisé ? Justice et régulation sont les maîtres-mots, autre façon de traduire le « surveiller et punir » du soixantuitard Michel Foucault. Certes, la « démocratie participative » chère à Pierre Rosanvallon est préconisée, bien qu’on ne la voie guère en actes dans le parti vert, qui démontre que « l’exigence » écologique se traduit bien souvent dans l’urgence par la coercition.

Selon l’auteur, Mai 68 a été « une émancipation libertaire contre un ordre social figé » (bien qu’issu de ce bouillonnement idéologique, politique et social de la Résistance oublié par l’auteur, dont Stéphane Hessel a rappelé les fondements dans Les Indignés). L’humanisme universaliste réduit l’Homme à l’abstraction d’une norme et évacue les déviants (Michel Foucault) – ce qui n’est pas faux. Il faut reprendre Nietzsche pour établir que toute norme est aliénante, y compris l’universel, et revivifier la force vitale comme vecteur en interactions avec d’autres. Tout cela tire l’écologie vers le vitalisme et l’organicisme contre-révolutionnaire…

D’où le battement inverse « de gauche » : le productivisme privilégie les besoins matériels alors que les besoins affectifs, artistiques et spirituels sont négligés. La consommation est fondée sur l’illusion du désir et la croyance que le nouveau est toujours mieux. Ivan Illich est convoqué pour démontrer que l’homme est esclave de la technique (mais Nietzsche et Heidegger l’avaient dit bien mieux avant lui). La technique induit des monopoles radicaux comme la voiture, qui exige de travailler pour la payer, permet d’habiter loin de son travail pour l’utiliser, exige de partir en vacances avec elle pour la rentabiliser. La technique force à la professionnalisation, donc formate une oligarchie du savoir spécialisé : nul habitant ne peut construire sa maison sans architecte, produire sa propre électricité sans EDF, se soigner sans médecin. Le savoir n’est plus partagé mais délégué à des experts, le vote remplace le débat, l’État-providence réduit la dépendance aux autres et engendre la bureaucratie des comportements. De tout cela il faut se libérer, dit fort justement l’auteur, pour la planète (objectif affiché) et pour réaliser l’utopie du jeune Marx de retrouver sa propre nature (objectif caché).

Rien n’est faux dans l’analyse, tout est biaisé dans la solution : pourquoi faudrait-il (impératif présente comme allant de soi) réaliser Marx ?

La seconde partie oriente plus encore, par Auschwitz et Hiroshima, le sens « à retrouver ». Malgré les progrès du Progrès, la technique et la démocratie, la barbarie reste ancrée en l’homme et la vulnérabilité de la nature est mise au jour (cette vision peut-elle être qualifiée « de gauche » ?). La Raison n’est pas neutre, selon Jürgen Habermas résumé par l’auteur : si la raison objective structure la réalité, la raison subjective sert les intérêts du sujet. D’où le recours à Hans Jonas et à son « Principe responsabilité ». Si le pouvoir humain d’agir s’étend à la planète entière, le pouvoir de prévoir reste faible ; il faut promouvoir une éthique de l’incertitude et le principe de précaution. La responsabilité est le corrélat du pouvoir : n’agis que si ton action est compatible avec la permanence de la vie. La nature aurait un sens, qui est de promouvoir la vie – et la vie serait « bien ». Voilà deux présupposés philosophiques qui ne sont pas discutés par Eva Sas.

Habermas réhabilite la raison vers « l’agir communicationnel » : la condition sens est l’entre-nous, les interstices du dialogue pour une compréhension commune. La vérité n’est pas en soi mais issue d’un consensus, ne sont valides que les actions pour lesquelles tous sont d’accord. Pour réaliser cet accord, la démocratie participative est indispensable, la légitimité est l’espace entre les sujets, pas les arguments pour ou contre ; il faut que chacun sorte de lui-même pour trouver une position au-dessus de tous. Cette utopie où se multiplient les « il faut » est-elle réalisable ? Ne s’agit-il pas plutôt de « convaincre » les réticents par propagande, rhétorique et coup de force de quelques-uns ? Encore une fois, l’usage de cette démocratie participative dans les congrès écolos français ne fait pas envie ! Or la légitimité commence par l’exemple…

La dernière partie, la plus faible, fait sortir le loup du bois : l’ambition écologiste (française) est de produire « un homme nouveau » pour « changer la vie ». Comme Lénine fondé sur Marx, dont Staline a prolongé le caporalisme bureaucratique.

Certes, l’homme multidimensionnel à la Marcuse est vanté ; certes, la liberté est présentée comme fondement de l’autonomie à préserver, qui est maîtrise du rapport à soi et au monde ; certes, la solidarité résulte des interdépendances entre les êtres humains et la nature, elle se construit dans le dévoilement sans fin des déterminismes. Eva Sas parle (comme Marx) de « conditions authentiquement humaines » pour vanter la démocratie participative + le principe responsabilité + la réduction des inégalités. Mais ces injonctions sont assez peu convaincantes, ancrées dans l’abstraction : aucun exemple précis n’est donné de la façon dont cela fonctionne concrètement.

Tout ce livre vise à montrer que l’écologie politique est « naturellement » la pensée d’aujourd’hui, la seule vraie pensée du « progrès » social désormais détaché du progrès économique. Pensée de combat, les notions telles que nature, nature propre de l’homme, vie, vitalisme, humanité authentique, inégalités, déterminismes – ne sont pas définie ni discutées, mais présentées comme allant de soi. Or rien ne va de soi : seule l’exemplarité du parti vert et de ses membres le pourraient. Nous en sommes loin.

Avec ce danger totalitaire du politiquement correct orienté vers le Bien : « C’est ce côté démocratique qui entraîne l’aspect idéologique, parce qu’il faut, pour cimenter les masses, une sorte de corps de croyance commune, donnée par le parti et le chef du parti, et qui caractérise cette espèce de monarchie nouvelle qu’est la monarchie totalitaire », analysait François Furet du communisme.

Un petit livre intéressant – pour savoir comment pensent les écolos idéologues – mais qui laisse insatisfait. On comprend pourquoi, en France, pays où les mots et la pose théâtrale comptent plus que les faits et les actes, l’écologie soit emportée par le gauchisme. Vieux reste métaphysique venu de la Bible et de Hegel…

Eva Sas, Philosophie de l’écologie politique – de 68 à nos jours, 2010, éditions Les petits matins, 134 pages, €12.00

Lire aussi dans ce blog :

Eloi Laurent, Social-écologie
Bourg et Witheside, Vers une démocratie écologique

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Sophie Jabès, Camille, Camille, Camille

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Camille Claudel, 1864-1943, sœur aînée de Paul, écrivain, a été l’amante d’Auguste Rodin, auguste sculpteur mâle, avant d’être internée en 1913 – ce qui la rendra célèbre.

C’est son frère Paul Claudel, auteur catholique converti célèbre et accessoirement diplomate, qui fait interner sa sœur pour démence paranoïaque, avec l’appui de sa mère. Dans la bien-pensance chrétienne bourgeoise de l’époque, il n’était pas convenable qu’une femme ne soit pas mère et fasse un métier d’homme, se colletant à la matière pour ébaucher (quelle horreur !) des nudités.

Rodin tentera d’améliorer le sort de son élève mais sans grand succès contre la toute-puissance de « la famille », et il meurt en 1917. Il consacrera toute une salle à l’œuvre de Camille Claudel dans son hôtel particulier – qui deviendra le Musée Rodin.

Contrairement à la doxa féministe de l’auteur, qui fait de Camille une aliénée au pouvoir mâle, Rodin dira de son élève préférée : « Je lui ai montré où trouver de l’or, mais l’or qu’elle trouve est bien à elle ». Octave Mirbeau, auteur du très sensuellement masochiste Jardins des supplices (chinois), encore lu de nos jours avec délices, mais qui était aussi critique d’art très connu de son temps, est enthousiaste : pour lui, Camille drape le nu pour en révéler l’intime.

Le livre que publie Sophie Jabès, dramaturge et scénariste italienne, est illustré de la sculpture fétiche de Camille Claudel, Sakountala, amante d’un roi hindou avant d’être oubliée à cause d’une malédiction. Toujours la religion pour maîtriser les femmes, croient les féministes, qui caricaturent les femmes en êtres réputés insatiables, goulues du diable, avides trous noirs qui aspirent en elles toute l’énergie mâle, menées par le seul vagin…

Sophie Jabès fait du théâtre à l’italienne, elle en fait donc trop. La pièce publiée dans ce livre est faite pour être jouée sur scène, « surjouée » et bien scandée pour bien marquer les imaginations, car tel est le théâtre. N’ayant pas vu la pièce, montée en octobre 2014 au Lucernaire à Paris, je ne peux qu’en dire les échos de lecture qu’elle a eu sur moi par ce livre.

L’auteur détriple Camille – d’où le titre – la présentant sous trois faces : vieille édentée, matrone corpulente, jeune fille passionnée. Ces trois personnages apparaissent, disparaissent, dialoguent lors de rencontres improbables. La sculptrice éprise de la glaise qui veut façonner l’amour devient, à sa maturité, une femme libre maîtresse d’elle-même et dégagée de son mentor, avant de finir vieille internée, proche de la mort qui surviendra à 78 ans. Elle revient sur son passé, réfléchit ce miroir de l’existence, pense à sa destinée. Elle qui voulait donner plutôt que prendre, a été prise et reprise maintes fois : par Rodin son amant, par sa famille qui l’enferme, par le siècle qui refuse aux femmes le droit d’être libres – légalement, financièrement, sexuellement.

Nous sommes dans le lourdement symbolique mais notre époque n’aime pas les subtilités, éduquée de télé où seul le coït en passes de trente secondes (y compris pour la politique en « petites phrases ») réussit à faire jouir l’audimat. Nous sommes loin de Racine et même d’Anouilh, mais le « message » théâtral est clair : purement militant, oubliant quelque peu la jouissance de créer autrement que dans sa chair.

Oubliant aussi combien la condition des femmes a changé – en bien. Ce féminisme-là me fait penser à la gauche figée sur Germinal. Comme si Zola était un journaliste du XXIe siècle à la pointe de la sociologie…

Sophie Jabès, Camille, Camille, Camille, 2014, Lansman éditeur (Belgique), 52 pages, €17.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Pekka Hiltunen, Sans visage

pekka hiltunen sans visage folio policier
Malgré son prénom en « a », Pekka Hiltunen est un Monsieur qui dirige en chef un magazine en Finlande. C’est dire s’il connait bien son pays, cette Finlande quasi ignorée de tous, et le monde de la presse, sans visage et obsédée de rentabilité donc d’immédiat. La Finlande est égalitaire et féministe, à la pointe des tendances du siècle. L’auteur met donc en scène deux femmes, dans la trentaine, qui se posent des questions sur leur existence.

La première, Lia, travaille comme maquettiste pour un magazine à Londres. Elle est exilée, solitaire, perçue comme exigeante, et ne connait que des passades d’un soir avec les hommes. Une sorte de pute admise, en somme. C’est en passant en bus dans la City qu’elle entr’aperçoit le cadavre de la Volvo, une femme écrabouillée au rouleau compresseur comme pour l’humilier au maximum. Cette image la travaille, ce fait divers la hante. Elle n’aura de cesse de trouver qui est cette femme et pourquoi elle finit étalée sur le bitume aux pieds de son agresseur.

La seconde, Mari, est aussi finlandaise exilée à Londres. Mais elle a créé sa propre société d’intervention, embauchant hacker, informaticien, documentaliste et détective privé. Mari a décidé de prendre son destin en main et d’user de ses dons médiumniques pour orienter la société dans ce qu’elle croit le mieux.

Lia et Mari vont se rencontrer dans un bar, lors de l’anniversaire très arrosé de la première avec ses collègues masculins. Anglais comme Finnois adorent se bourrer la gueule à s’assommer, ce qui est un peu étrange pour nous, plus tempérés. Mais cela montre combien la raison n’est pas le ressort premier des femmes dans ce roman.

Lia agit en névrosée obsessionnelle pour découvrir le nom de la femme aplatie ; elle mettra sa propre vie en danger en interrogeant le milieu proxénète d’Europe de l’est à Londres, n’échappant que de justesse au Chauve, un macho à la carrure impressionnante et aux yeux de cabillaud froid. C’est qu’il faut bien caricaturer pour faire passer le message : les femmes sont l’avenir de l’homme ; les mâles ne sont guidés que par leur queue et leurs fantasmes de domination. Lia a pour objectif politiquement correct de démonter le mac à putes – ce qu’elle va réussir n on sans quelques péripéties.

Mari, de son côté, agit en psychotique paranoïaque pour démonter un autre personnage : le chef magnétique d’un parti d’extrême droite anglais (qui bat sa femme comme ses putes, et viole quotidiennement ses fans par ses discours orgasmiques). Les deux féministes agissent – évidemment ! – pour le Bien… Autrement dit, tous les moyens sont bons si les intentions sont morales, comportement tordu mais tellement de notre époque.

La « Sans-visage » écrabouillée, tout comme la femme inconnue du leader Arthur Fried, vont retrouver un visage, une identité, une personnalité. Fried est un nom ambigu, en anglais il signifie « éreinté » mais en allemand « pacifique » ; ce double-visage est le miroir de notre société, communicante en apparence, ultra-égoïste au fond. Nous sommes en ce roman entre la Morale (un brin dégoulinante de bien-pensance d’époque) et Mission impossible (où gadgets informatiques et experts en tous genres accomplissent une tâche en temps limité).

Faut-il franchir la ligne pour le Bien ? Cette grave question agite les dernières pages. Mari a déjà choisi, elle qui est un brin médium ; Lia choisit in extrémis. Nous ne sommes pas sûrs qu’elle suive la bonne voie.

Reste un roman fascinant où la psychologie des personnages principaux est suffisante pour nous les attacher, tandis que l’action se prépare minutieusement avant la catharsis en quelques pages. C’est plutôt efficace et mérite d’être lu, malgré la moraline.

Pekka Hiltunen, Sans visage, 2011, traduit du finnois, Folio policier 2014, 544 pages, €9.00

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Élections : le cave se rebiffe

Ce n’est pas en soi « la gauche » qui a été rejetée par les électeurs ces deux dimanches de municipales, ni vraiment « le président » ou peut-être « sa politique » – c’est bel et bien le socialisme à la française et l’indigence de son parti.

Le socialiste est trop souvent content de soi, sûr de son bon droit « progressiste », animé d’une foi aveugle en sa « mission » d’émancipation des Lumières et d’égalitarisme révolutionnaire féministe. Comme tous les croyants, il n’écoute pas ; comme tous les prêtres d’une quelconque religion, il est sûr de détenir le vrai, donc de savoir mieux que « le peuple » ce qui est bon pour lui. Aujourd’hui comme hier, « le peuple » infantilisé, méprisé, ignoré se venge : il vote avec ses pieds. Hier contre le socialisme de l’Est lorsque le mur de Berlin est tombé, aujourd’hui contre le socialisme municipal, cette exception française qui a façonné le parti.

francois hollande rit

Missionnaire, le socialiste remplace le peuple par l’image idéale qu’il s’en fait : celle du troupeau sous la houlette de son berger, des poules en poulaillers protégées du « renard » par l’État fermier, pater familias macho, autoritaire et propriétaire. Mais l’État ne remplit plus ses promesses, ayant trop promis et trop prélevé, désormais obèse des structures empilées et impuissant de moyens essoufflés. Malgré les impôts en hausse pour tous, y compris pour les plus modestes, y compris sur les mutuelles santé, le déficit (4,3% du PIB) et la dette publique (93,5% du PIB) continuent de croître, dépassant l’objectif que s’était même fixé le gouvernement pour 2013. A quoi bon payer toujours plus, si c’est pour le gouffre de la gabegie administrative et des ayants-droits qui sont toujours les autres ?

Aucun électorat n’est captif, pas plus celui des prolétaires que celui des Français issus d’immigrés, pas même celui des profs… A trop caqueter contre le renard fantasmé de la finance tout en se couchant devant les puissances réelles qui font marcher l’économie et assurent les fins de mois de l’État, on perd son crédit. A trop valoriser les comportements marginaux sans prendre en compte la sensibilité populaire sur le fondement social de la famille et des enfants (plafonnement des allocations, mariage gai et lesbien, théories sur le genre à l’école), les bobos parisiens des ministères ont braqué non seulement la province restée catholique, mais aussi les Français issus de l’immigration sur leurs convictions religieuses, et encore leur volonté d’être conformes et de s’intégrer à une société sûre d’elle-même.

Impuissant à faire encore rêver, le socialisme du terrain croit emporter le peuple dans « le progrès » – sans rien changer dans l’économie. Il est pour ces intellos le nomadisme multiculturel, la redéfinition perpétuelle de soi et le zapping opposé à tout enracinement identitaire au profit d’une valorisation a priori du métissage, d’un antiracisme qui apparaît comme la tare des seuls Blancs, une repentance pathologique. Le Paris d’Hidalgo contre le désert français. Ce que propose le socialisme est, au fond, la haine de soi, l’ouverture aux autres se réduisant à se fondre dans l’ailleurs plutôt que de s’enrichir aux contacts. Le peuple en ses profondeurs refuse cette mentalité d’esclave, unique en Europe.

elections paris hidalgo

Tout se passe comme si le socialisme s’était coulé dans le catholicisme pour reproduire sa religion, son église et son sectarisme moral. Chasser les marchands du temple, encourager à tout quitter pour suivre le maître qui promet le Progrès, déraciner les militants pour leur faire parler toutes les langues et les envoyer partout dans le monde porter les leçons, imposer ce qui doit être pensé, ce qui peut être dit, ce qu’on doit enseigner – certain de sa bonne conscience – il faut écouter ce refrain sans cesse ressassé dans les médias que c’est toujours « de la faute des autres » si la Cité de Dieu n’advient pas. Thierry Pech, directeur de Terra Nova, a le poli sympathique de l’intellectuel modéré mais son discours reste dans la croyance que tout est de la faute à l’euro fort, à la Banque centrale européenne, à Angela Merkel, à « l’austérité » imposée à la dépense publique. Comme s’il suffisait de recommencer comme avant, sous la vieille gauche 1981, à dépenser, augmenter autoritairement les salaires, travailler encore moins que 35 h, réglementer encore plus, donner encore plus de « droits » pour que – miraculeusement – les capitaux affluent, l’investissement reprenne, les entrepreneurs innovent, les emplois fleurissent. Est-ce un hasard si le chômage augmente, si les jeunes bien formés s’expatrient, si le logement s’écroule et que les impôts rentrent moins ? N’est-ce pas plutôt parce que les ministres (depuis 2 ans au pouvoir) ont insulté les entrepreneurs, pigeonné les créateurs, réglementé les bailleurs, taxé la production et un peu plus tout travail ?

Sociologiquement issu des classes populaires en ascension scolaire, fraction de petit-bourgeois ambitionnant d’égaler les grands bourgeois par la méritocratie élective, le parti est devenu de plus en plus hermétique, entre copains intellos qui discutent interminablement et se tirent dans les pattes. L’électeur a du mal à cerner la vision socialiste de la société dans la valse des grandes promesses suivies de petites politiques inverses, dans « les efforts » demandés à tous qu’on ne restitue qu’à quelques-uns : les minorités sexuelles ou ethniques, les grandes entreprises, les syndicats majoritairement composés de fonctionnaires, les mauvais payeurs locatifs et ainsi de suite.

De plus en plus âgés et provenant en large majorité du secteur public, les militants et les élus socialistes ne représentent pas les Français en leur diversité. Non seulement l’électorat socialiste est volatil, mais de larges fraction du peuple ne votent plus ou contre lui, aux extrêmes, surtout à droite. Marine Le Pen a su valoriser l’État-nation autoritaire et protecteur que Sarkozy a incarné un temps mais que le Louis XVI au pouvoir a laissé tomber au prétexte d’être « normal ».

Les exclus des prébendes, les effrayés du monde, les non-intellos se sont vengés dimanche. On peut mépriser le cave, quand on est du Milieu et spécialiste de la fausse monnaie électorale. Mais un jour il se rebiffe…

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Alice Ferney La conversation amoureuse

alice ferney la conversation amoureuse

Voici un roman d’adultère, très français, très classique. Ce pourquoi on en a peu parlé sans doute, « l’air du temps » ne supportant plus ni le bien écrit, ni l’enfermement traditionnel, ni les mœurs dites d’un « autre âge ». Ce roman d’Alice Ferney ouvre cependant sur les relations éternelles du couple et, plus largement, sur les rapports entre hommes et femmes. Il le fait bien plus que les romans français qui paraissent couramment.

Rien de bien nouveau, dira la vulgate : la biologie étant ce qu’elle est, les hommes ont été sélectionnés pour devenir prédateurs et combattants, les femmes pour la stabilité et pour l’ambiance. Rares peuvent être alors les rencontres véritables entre les deux. On le dit volontiers, la passion sexuelle du début lyrise l’esprit, l’illusionne mais, une fois le physique apaisé, la passion ne tarde guère à dégénérer en habitudes et agacements. L’atterrissage du cannabis et les lendemains de cuite ont ce même goût amer, cette même désorientation des sens. Seuls des enfants du couple, s’il y en a, « les enfants qui rient » écrit bellement l’auteur, peuvent retenir ces nœuds de l’épousaille qui glissent et se défont. Sauf lorsque ladite épouse emporte ses enfants avec elle lors du divorce car la société reste, dans sa tête obtuse, à l’ère Victoria et au code Napoléon, elle lui laisse tous ces droits-là : les hommes, n’est-ce pas, ces « prédateurs et combattants », ne sauraient s’encombrer de mioches !

Alors, cet « adultère » ? N’est-il pas, contre la vulgate, une autre façon de voir le couple ? Est-ce un opprobre ou le jeu nécessaire d’une séduction renouvelée ? Un « jeu » comme un bois qui joue, un « je » qui prend sa place par rapport à l’autre, des deux côtés, ou un gamin qui rêve et qui s’essaie, dans un autre univers ? Le jeu est plaisir inventé, meilleur s’il transgresse les conventions sociales inadaptées ; il est ainsi une épice qui permet aux relations de rester personnelles, « entre nous ». Peut-on, lorsqu’on est femme, aimer deux hommes à la fois ? Ou bien, lorsqu’on est homme, aimer deux femmes en même temps ? Aimer, pas baiser – comme l’époque tend trop souvent à confondre à cause du film popu et des vidéos pornos qui transforment les sentiments en mécanique sentimentale ou corporelle.

La conversation amoureuse est alors celle de deux êtres que la société sépare, cette société qui tend à transformer en destin chaque fourche de la route. Durant la conversation amoureuse, chacun peut rester soi, fidèle à son histoire, tout en vivant l’aventure. L’amour féminin cristallise tandis que l’amour masculin s’amenuise. La conversation, cet art si français du respect mutuel, devient cet entretien familier où les liens physiques et l’échange affectif comptent autant que le plaisir intellectuel – ce qui compense. Le secret des rencontres relie hommes et femmes dans un même goût d’indépendance. Il permet non le « dialogue », affrontement cérébral de deux argumentations, mais cet échange de signes et de reconnaissance mutuelle de deux personnes différentes qui se trouvent bien ensemble. Sans rien retirer aux autres, ni aux partenaires « officiels » – ni aux enfants, ni aux amis de longue date. Même si, la libido ne s’éteignant qu’avec la vie même, il n’y a pas d’âge pour tomber amoureux. Le charme de l’autre tient à l’inconnu que l’on découvre peu à peu, à la passion qui couve à l’âge mûr plutôt que de brûler, ses braises restant bien plus durables et bien moins intolérantes qu’en l’âge de flammes adolescent.

Conversation amoureuse serait un roman banal au fond, s’il n’apparaissait aussi décalé dans notre époque macho-féministe. Il dit une histoire intimiste comme les années 1970 se sont préoccupées d’en inventer dans les films, chez Truffaut et Godard notamment. Ces années post-68 ont su découvrir cet équilibre rare entre l’égotisme et le fusionnel, entre « moi je » et « je t’aime toi » (tout comme entre « moi citoyen » et « faire ensemble » d’ailleurs). Le misérabilisme social, l’arrivisme économique et l’égalitarisme forcené entre sexes qui tend, par mimétisme, à rejeter tout ce qui est civilisation au nom d’une vérité « primaire », ont balayé de nos jours toute distance, semble-t-il, entre le désir et sa réalisation. On agresse, on viole, on invite ses copains à la « tournante ». Plus de tact, plus de préliminaires, plus d’attention à l’autre. La quémande du « respect » est le cache-sexe de la force à l’état brut, du « je veux tout et tout de suite et je prends », caricature de matou râleur qui hante les jardins la nuit.

Pour un mufti d’Australie, la femme n’est que « de la viande »qu’il faut « couvrir en plein air » afin d’éviter que « les chats » ne s’en repaissent aussitôt. Les matous, n’est-ce pas, « prédateurs et combattants », tiennent tous leurs droits de Dieu même, dit-on ? Et pourtant, Mahomet le Prophète avait une chatte auprès de lui, pas un matou. L’œil indulgent des mâles machos méditerranéens arabes se moquent bien, au fond, de la religion ; ils lui préfèrent leurs coutumes et superstitions bédouines. Ce qu’ils repèrent, ils le prennent, et c’est « normal » dans la société de ce mufti-là.

2006 10 mufti australie femme non voilee est viande à l air

Il faut se garder que l’empathie pour les exclus des banlieues ne tombe dans le travers de valoriser ces mœurs d’un autre âge. Beaucoup de revendications des ghettos, d’ailleurs, vont dans le sens d’être enfin « comme les autres » et non pas d’imposer sa communauté. Sauf pour les trafics mafieux qui fleurissent. Contrairement à ce que brament en chœur les vierges effarouchées du socialisme d’hier, c’est justement parce que la police devient efficace à démanteler ces trafics que la manipulation des jeunes fait exsuder la violence. Ce qu’affirment haut et fort les professionnels, avant toute démagogie politique.

Mais ce ne serait pas la première fois, n’est-ce pas, que certains bourgeois bohèmes et progressistes – évidemment « de gauche » – seraient séduits par la force primaire des « bons sauvages ». Ils vont au peuple comme la vache au taureau.

C’est le grand mérite, dans cette démagogie ambiante, de lire et de relire Conversation amoureuse d’Alice Ferney, cette sonate d’automne dans le grand badaboum médiatique. Le roman montre des hommes, des femmes, différents et complémentaires, et tout le jeu de leurs relations humaines. Et c’est passionnant parce que pointe élevée de la civilisation – vraiment très loin des mœurs de Lynch, en cours dans les banlieues et dans les cerveaux primaires des moral-socialistes.

Alice Ferney La conversation amoureuse, 2000, J’ai lu 2004, 317 pages, €6.56

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Monumental hollandisme

Le Français moyen ressemble au Caïn nu sculpté par Henri Vidal pour le jardin des Tuileries : effondré de voir baisser son pouvoir d’achat par stagnation des salaires, hausse des impôts et envol de la plupart des dépenses contraintes (essence, fioul, électricité, assurances, loyer, timbres, billet SNCF…)

henri vidal cain nu tuileries

Il avait élu un matamore qui se disait « normal » ; il regrette de ne pas avoir reconduit « l’anormal » qui, au moins, avait de l’énergie. Il « clivait » ? Comme si Ayrault, Taubira, Belkacem, Duflot, Montebourg et Bertinotti ne « clivaient » pas, sous la houlette de Hollande le «sournois » (selon Mélenchon) ! Où est la force de la volonté, sculptée par Antoine Bourdelle rue de Lille, le long du musée d’Orsay, dans le rondouillard à lunettes ?

antoine bourdelle orsay force de la volonte torse nu

Le président folâtre en scoot comme le sous-préfet au champ d’Alphonse Daudet. Il est vrai que « né en Seine-inférieure » comme le dit sa wikibio, le chef au nom de pays est plus sensible à l’exotisme féminin des ports de mer qu’aux égéries féministes et bottées de la capitale. Alexandre Falguière a figuré l’Asie seins nus sur la place Montherlant, flanquée d’autres monumentales femelles en bronze, nique à l’amateur de jeunes éphèbes.

alexandre falguière orsay asie seins nus

Paris, comme les Français, célèbre le baiser, comme ce couple nu enlacé d’Auguste Rodin, posé devant l’entrée du musée de l’Orangerie. Les Français non intégristes, cela va de soi, car les religions du Livre – toutes ! – répugnent à la chair, à la nudité, à l’érotisme. Pas le président, c’est déjà ça.

auguste rodin orangerie baiser nu

Est-ce parce qu’il imite en tout François Mitterrand, son mentor et son maître ?

La répétition de l’histoire mitterrandienne commence à devenir systématique : impôt sur la fortune à 75%, tournant de la rigueur social-libéral 18 mois après élection, en octobre 1983 2013, on ne compte plus en effet que 32 % 26% de satisfaits, un record pour un président de la République de la Ve à l’époque, maîtresse rue Mazarine du Cirque, encouragement tactique au Front national  à l’extrême-droite pour contrer la droite par des triangulaires, loi de 1985 2014 limitant (sans jamais l’abolir comme ailleurs en Europe) le cumul des mandats, révolte massive des familles à propos de l’école libre du genre dès l’école « maternelle », égalité entre hommes et femmes dans les entreprises à l’école, dérégulation économique, intervention au Tchad au Mali, engagement au Rwanda Centrafrique…

Bientôt les Ordonnances sur le cumul emploi-retraite, le travail à temps partiel, et l’insertion professionnelle des jeunes de 16 à 18 ans l’emploi et la formation professionnelle ?

Bientôt la percée du Front national Rassemblement Bleu marine aux élections européennes de 1984 2014, Le Monde titrant comme 30 ans avant Grave échec de la gauche ?

Bientôt la commémoration de la bataille de Verdun, avec célèbre poignée de main entre le président Mitterrand Hollande et le chancelier Kohl la chancelière Merkel ?

Étonnant, non ? Comme aurait conclu sans querelle (avec un R) un regretté (vrai) comique.

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Peter Robinson, Qui sème la violence

1990 Peter Robinson Qui seme la violence

Ce roman étrange n’est PAS une enquête de l’inspecteur Banks. Il s’agit d’un roman policier classique à la Agatha Christie, qui semble le modèle de l’auteur, avec pour originalité sa construction. Ce sont en effet les destins de deux femmes qui s’entremêlent jusqu’à se rejoindre…

Côté Dr Jekyll, Kirsten est une jeune étudiante en lettres, brillante, amoureuse, confiante, qui se fait trucider dans un parc au retour d’une soirée bien arrosée. Elle s’en sort miraculeusement mais est marquée à vie dans chair et dans sa sexualité par ce « viol » au couteau. Côté Mr Hyde, Martha a le souvenir d’un viol qui l’a rendue autre ; elle n’a de cesse que de retourner sur les lieux où s’est produit l’agression pour se venger.

Peu à peu, de scène en scène, l’intrigue se met en place. Rien de classique mais une construction en abyme qui laisse ouverte nombre de perspectives.

Ce qui rend étrange ce roman est qu’il n’est pas anglais. L’auteur, bien que britannique d’origine, vit au Canada et la mentalité américaine faite de Bible (version Ancien Testament) et d’égoïsme l’a marqué. Ses personnages sont peu probables, pour ce que je connais du Yorkshire, mais tiennent plus des côtes de la Nouvelle Angleterre. Qu’importe, la construction est efficace et la chute finale – méritée – dénoue tout, d’un coup.

Ce qui rend étrange ce roman est aussi qu’il est féministe. Pour un auteur homme, c’est aussi improbable, d’où cette impression de flottement dans les caractères, le côté un peu artificiel des filles en but à la violence mâle. Je ne sais à qui est dédié ce livre, le prénom « Jan » ayant cette détestable habitude anglo-saxonne de s’appliquer à n’importe quel sexe, fût-il le plus incertain.

Les garçons n’apparaissent que comme des bites sur pattes dont l’humour et la tchatche n’ont qu’un objectif : le lit. Les hommes – les vrais – sont munis de mains baladeuses et d’yeux fureteurs dotés de rayons X pour déshabiller tout ce qui porte nichons. Les autres sont insignifiants comme le jeune amant étudiant de Kirsten, son père, ou les mâles flanqués de marmaille. Ceux qui ne « peuvent » pas sont irrémédiablement condamnés, comme par quelque gène défectueux, à devenir psychopathes – encore un trait typiquement américain.

D’où ce sentiment d’improbable qui ne vous quitte jamais à la lecture. Mais aussi l’efficacité de l’intrigue, parfaitement resserrée sur les caractères qui comptent dans le récit, tout le reste n’étant que décor esquissé à gros traits. Une autre facette de Robinson.

Peter Robinson, Qui sème la violence (Caedmon’s song), 1990, Livre de Poche 2006, 380 pages, €5.80

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