Articles tagués : muscles

Marini, Les aigles de Rome II

La suite des Aigles de Rome (chroniquée sur ce blog) qui a conté l’adolescence de deux garçons, Marcus Valerius Falco et Ermanamer latinisé en Arminius. Leur ardeur pubertaire a été disciplinée, ils ont été entraînés à la guerre, ils se sont affrontés par rivalité avant de devenir amis à vie. Ivresse des armes et plaisir des sens, il n’en faut pas plus aux ados pour se sentir heureux. Mais voici que l’amour s’en mêle…

C’est l’objet du tome II. En 9 après J.-C., Marcus revient de la guerre où il a été initié à la condition d’homme romain de la bonne société. Il se défoule chez Felicia, épouse de sénateur qui aime le plaisir. Il retarde le moment de retrouver son épouse légitime Silvia, qu’il n’a pas choisie mais que son père a arrangé pour la politique. Or Silvia l’aime, son beau corps de jeunesse musclée, son caractère ombrageux et son cœur passionné. Sauf que Marcus en aime une autre, rencontrée lors d’une course de chars cinq ans avant. Priscilla est déjà fiancée mais Marcus a le coup de foudre. Réciproque après un temps. Las ! Les pères décident pour les filles et Priscilla est mariée de force à un ami du papa, toujours pour raisons politiques.

De plus, Priscilla a pour mère la redoutable Morphea, une intrigante qui se sert de son corps et de son emprise sur les hommes importants pour faire avancer ses intrigues. Elle organise des orgies où les accouplements se font en public, pour le plaisir et pour la compromission. Elle veut conserver le beau et viril Marcus pour elle-même et est jalouse de sa fille qui a capté le cœur du jeune homme. Aussi, lorsque Marcus, chien fou, veut enlever Priscilla, il est assommé par le garde du corps nubien Cabar, montagne de muscles et fidélité à toute épreuve, puis conduit dans la maison de Morphea, attaché nu et fustigé sur la poitrine, avant d’être violé sous les yeux de Priscilla qui croit ainsi que Marcus la trompe. Elle se soumet alors au mariage arrangé tandis que Marcus, désespéré, se soumet à son ami Arminius, envoyé par l’empereur Auguste mater les révoltes en Germanie.

Rome reste corrompue par la volupté, l’ambition et les intrigues, et l’empereur n’est pas en reste. Pour dresser les garçons plein de fougue, il envoie Arminius, le Chérusque (Allemagne du nord) devenu romain, rétablir l’ordre de Rome et dompter la vitalité sauvage des peuplades germaniques par la sienne – mais mandater Marcus son ami et frère d’arme, lui-même issu de Germains par sa mère – pour le surveiller et rentrer en grâce auprès de son père.

Sauf que Morphea apprend à Marcus que Priscilla a suivi son mari en Germanie et lui demande de la protéger en lui adjoignant Cabar. De quoi alimenter le suspense pour la suite…

Un dessin toujours magnifique, les corps des jeunes gens sortis de l’adolescence pour devenirs purement virils, des femmes bien pourvues et lascives. Une nudité dans les plaisirs qui ne plaira pas au pudibonds moralement coincés, mais qui est d’une vitalité somptueuse. Les dessins présentent Rome comme si nous y étions et font attention aux détails, comme les fresques des murs, les graffitis des tavernes, les danseuses nues et les musiciens en plus simple appareil, les échansons, les échoppes, les courses de char, les statues du forum et des villas, les scènes de bataille. De la belle BD.

Marini, Les aigles de Rome II, Dargaud 2009, 60 pages, €17,50, e-book Kindle €6,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Bande dessinée | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Conan le barbare de John Milius

Après la défaite ignominieuse du Vietnam, l’Amérique avait besoin de compenser par des héros positifs, musclés, vrais combattants, et pas ces drogués ramassés pour servir des buts politiques incertains. Décalé dans un autre temps et dans un lieu indéterminé, Conan n’est qu’un enfant (Jorge Sanz) lorsqu’il voit massacrer sa famille, son père (William Smith) d’un coup de hache dans le dos, sa mère (Nadiuska) décapitée par Thulsa Doom (James Earl Jones), le chef reptilien de la horde, alors qu’elle tient son fils par la main. Réduit à la condition d’esclave, selon les normes des barbares que les Russes ont poursuivi avec les enfants ukrainiens, Conan se construira une cuirasse de muscles et un mental d’acier pour survivre d’abord, puis se venger ensuite.

Enfant, esclave, gladiateur, voleur, puis conquérant, le barbare va se civiliser par lui-même. Enchaîné à la roue de la douleur, une machine sans fin dans le désert, le gamin est rivé à la chaîne avec deux autres avant, en grandissant, de pousser sa barre tout seul puis, une fois adulte (Arnold Schwarzenegger), à pousser à la roue sans aucun autre forçat. C’est à ce moment qu’il relève la tête. Il est Conan le fort et non plus le petit garçon soumis par la force. Cela justifie la citation de Nietzsche qui ouvre le film : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».

Ses maîtres s’en aperçoivent, qui le vendent comme gladiateur contre d’autre brutes aussi musclées, mais moins dotées cérébralement. D’abord maladroit – il se laisse faire – il finit par riposter, et l’emporter, avant d’être formé militairement. Il est célèbre, rapporte beaucoup d’argent. Lorsque personne ne veut plus parier contre lui, il est libéré. Il erre alors seul, volant ce qu’il trouve pour subsister. Un seul but – pas très reluisant : la vengeance. Ce sera sa quête.

Comme son père le forgeron le lui a appris, Conan ne fait ainsi qu’un avec son épée, source d’énergie séminale. Cette alliance de l’âge du fer donne un esprit à la matière, ce qui aide l’homme à survivre : seul l’acier est fiable, il ne faut faire confiance à personne d’autre, dit le papa au gamin. Thulsa Doom qui a anéanti sa famille sous ses yeux a rendu Conan barbare. Il va combattre sa propre faiblesse pour la surmonter – avis au peuple américain à peine rescapé du bourbier vietnamien et que Reagan récemment élu veut galvaniser. Il faut dire que le réalisateur était absolument anti-hippie et militariste, il avait rêvé de finir général dans l’armée et collectionnait les armes. L’épée paternelle ayant été volée par Thulsa Doom sous ses yeux, Conan va devoir trouver la sienne afin de se forger une âme (comme on dit l’âme d’une épée).

Il la trouvera en se réfugiant dans un trou de rocher contre les loups – qui s’avère un tombeau de roi où le squelette tient une épée. Conan se l’approprie, puisque le défunt n’en a plus l’usage – d’ailleurs il s’écroule en poussière. Cette épée le libère en lui permettant de briser sa chaîne. Elle remplace la croix chrétienne pour assurer le symbolique, la vitalité humaine qui s’exprime ; l’épée s’oppose aux deux serpent qui se font face, enseigne de Thulsa Doom et de sa secte, rappel du diable de la Genèse qui a tenté Eve. Laquelle s’est laissé faire, volontiers « sous emprise », selon l’excuse universellement invoquée de nos jours pour tout ce qui concerne les femmes. Seule l’épée tranche par la volonté et la raison, et établit le vrai, au lieu de l’illusion fascinatrice des yeux de serpent qui ramène chacun de nous aux réflexes de croire de son cerveau reptilien. Le film va plus loins que la simple fantaisie héroïque:il donne un sens philosophique à la destinée humaine.

Dans son errance, Conan rencontre une sorcière (Cassandra Gava), avec qui il fait l’amour torride avant qu’elle ne s’échappe en fumée ; puis un voleur, Subotaï (Gerry López) avec qui il noue une alliance d’intérêt ; enfin Valeria (Sandahl Bergman), une aventurière qui convoite les joyaux contenus dans la tour de la secte. Celle-ci, aux dires du roi, fait régner la terreur sur le pays et a enlevé sa fille roi pour la livrer à son chef et grand-prêtre Thulsa Doom. Conan connaît Valeria bibliquement, et c’est meilleur qu’avec la sorcière parce que bien réel. Elle sera la femme de sa vie, bien qu’elle le paye de la sienne. Le trio s’infiltre dans la tour par une corde, Conan tue le gros serpent (en duralumin sous une peau en mousse de caoutchouc vulcanisée). Il allait dévorer une vierge sur ordre de Thulsa Doom qui la tient « sous emprise » de son regard magnétique, il vole le gros rubis de la taille d’une orange gardé par le reptile et l’offre à Valeria qui le porte désormais en sautoir.

Les deux autres veulent en rester là, mais Conan poursuit sa quête névrotique de vengeance. Se déguisant en prêtre après avoir assommé l’un d’eux qui lui faisait des propositions sexuelles au vu de sa musculature, il est démasqué par les sbires de Thulsa. Il l’a bien reconnu comme celui qui a massacré son village et décapité lui-même sa mère. Dans son temple, le reptilien ne le tue pas mais lui dit qu’il se trompe : ce n’est pas l’acier qui est la vérité de l’homme, mais la chair. Détenir du pouvoir sur la chair vaut mieux que sur l’acier – et, d’un geste, il fait signe à une vierge de sauter ; elle s’écrase à ses pieds, morte. Le diabolique fait crucifier Conan sur l’arbre du malheur, sec en plein désert, comme le Christ sur sa croix, « pour réfléchir » – ainsi le diable a-t-il tenté Jésus durant quarante jours au désert.

Mais Subotaï le retrouve, à moitié mort, et effectue la descente de croix, tandis que Valeria s’affaire comme sainte Irène a soigné Sébastien. L’enchanteur mongol (Mako) qui ne croit pas vraiment à ses passes mais s’en fait une armure contre les méchants, l’aide à lutter contre les esprits, en contrepartie de sa propre vie. Une fois Conan remis, ils pénètrent le palais souterrain de Thulsa Doom lors d’une orgie cannibale où tout le monde communie dans l’extase et la drogue pour sauver la fille du roi Osric qui les avaient mandatés. Durant sa fuite, Valeria succombe à une flèche faite d’un serpent raidi lancé par Thulsa Doom, qui l’empoisonne.

La jolie et conne princesse fausse vierge (Valérie Quennessen), qui reste croyante en son maître et « sous emprise », est attachée à un rocher comme Andromède pour attirer Doom et ses sbires. Moins parce qu’il « l’aime » (un reptile est trop froid pour ressentir une quelconque émotion) que parce que son ego souffre qu’on l’ait volé et que Conan s’en soit tiré au lieu de réfléchir et le rejoindre. Conan, Subotaï et le sorcier préparent une embuscade entre les rochers d’un ancien temple barbare. Les gardes de Doom sont tués dans une grosse bagarre habile comme on les aime, avec les lieutenants Rexor et Thorgrim qui avaient massacré le village cimmérien du petit Conan. Ils portent des armes invraisemblables, un gros marteau comme le Thor nordique, des haches monumentales comme on n’en a jamais fait pour combattre (celles retrouvées en fouilles sont des haches d’apparat). En bref du gros, de l’excessif, du yankee. Il faut toujours que tout soit énorme pour contenter le peuple habitué aux qualificatifs outrés du commercial. Même Swcharzeneggerapparaît comme un Hercule de style Bibendum Michelin plus que Farnèse. Valeria apparaît de l’au-delà en un flash comme une valkyrie pour sauver Conan d’un coup de Rexor. Et Conan, lors du duel, brise l’épée volée à son père. Ce n’est donc pas l’acier qui est l’âme, mais bien la chair qui le manie : la force et l’intelligence.

La princesse voit son emprise s’écrouler sous la dure réalité de l’indifférence de Doom, qui la laisse à son sort – et à son rocher où elle gît à moitié nue. Conan la délivre retourne avec elle au temple pour décapiter le reptilien Thulsa Doom devant toute sa secte, et la croyance en son pouvoir se dissout aussitôt. Il incendie le temple et repart avec la princesse qu’il redonne à son père. Sera-t-il roi ? « C’est une autre histoire », dit le film – et cela deviendra le mantra de la suite.

Le fantastique s’immisce avec la sorcière incongrue, le serpent géant dans le puits de la tour, la métamorphose de Thulsa Doom en reptile, qui pourrait suggérer qu’il est un ancien Atlante rescapé, la danse des esprits qui tentent d’enlever le corps agonisant de Conan blessé, et l’apparition comme un flash pour donner du courage de Valeria revenue d’entre les morts pour soutenir son Conan contre le barbare.

Reste que cette débauche de muscles ne rend pas de Schwarzenegger la perfection faite mâle. S’il peut séduire par son outrance les jeunes garçons qui rêvent d’avoir le dixième de sa musculature (et peut-être frémir aussi les filles une fois pubères qui rêvent de bras puissants), la barbarie se mesure plus à l’aune de l’esprit qu’à celle du corps.

DVD Conan le barbare (Conan the Barbarian), John Milius, 1982, avec Arnold Schwarzenegger, Cassandra Gava, James Earl Jones, Max von Sydow, Sandahl Bergman, ‎20th Century Studios 2002, anglais, français, 2h09, €4,12, Blu-ray €12,83

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Conan le destructeur de Richard Fleischer

Suite de Conan le barbare, sorti deux ans avant, le film met en scène le puissant Conan le Cimmérien des années 1930 de Robert E. Howard – pastiché, déformé et avili depuis. Au point d’en faire un musclé sans cervelle, un Connard le Barbant comme disait un critique du Masque et la plume, ou un Déconan barbaresque, comme dessinait Pilote.

Les inquiétudes et interrogations du début du XXe siècle, qui connaît des bouleversements rapides (Première guerre mondiale, krach boursier de 1929 suivi d’une grave dépression économique mondiale, montée des fascismes) a suscité une vague de super-héros compensateurs parmi les dessinateurs juifs américains. Les BD sont devenues depuis des films : Superman de Jerry Siegel, Captain America de Hymie Simon, Batman de Bob Kane (Robert Kahn). Ils ont été inspirés par Hercule et Tarzan, passés de la littérature au cinéma, et poussé par une volonté de revanche sur l’antisémitisme. Robert E. Howard lui-même, né d’Isaac Mordecai Howard et de sa femme Hester Jane, passe son adolescence à faire de la musculation et de la boxe amateur. Conan est son double sauvage qui incarne la force dans un paysage barbare – tout à fait l’Amérique… Très (trop) proche de sa maman, Howard a eu une liaison de deux ans seulement avec une femme, mais a préféré projeter dans ses œuvres un masculinisme exacerbé – qui plaît tant aujourd’hui.

S’il y a plus de muscles, le mâle (Arnold Schwarzenegger) est constamment torse nu à l’écran, il y a aussi un peu plus d’humour, et du divertissement à l’américaine : Zula la guerrière (Grace Jones) que Conan sauve du lynchage. Moins de sexe et de nudité, moins de décapitations et empalements à l’épée, une vedette femelle – noire – qui fait de l’ombre au héros mâle – blanc -, cette resucée Conan a eu moins de succès que le premier et Arnold Schwarzenegger a arrêté la série. A vouloir trop plaire au public gnangnan, on perd des dollars… Il faut dire que Jehnna (Olivia d’Abo) en nièce vierge de reine perverse (Sarah Douglas) est particulièrement niaise. Elle a d’ailleurs obtenu le prix du plus mauvais second rôle féminin.

En bref, Conan tout seul et tout nu prie devant une auge de pierre en plein désert du centre de la Turquie (le pays des Cimmériens). Une horde de guerriers noirs à cheval, déguisés de capes et de casques à cornes l’attaque, cherchant à l’emprisonner dans un filet. Il se démène, les culbute, les tranche en deux. La maléfique reine Taramis , qui a commandité la scène, est satisfaite : elle veut de lui comme escort boy pour sa nièce nubile, Jehnna, une « femme-enfant » qui ne sait pas quoi faire avec un mec quand elle l’a agrippé. Mais elle seule peut voler la corne du démon Dagoth, cachée dans la forteresse d’un sorcier, et auquel le cœur-joyau magique d’Ahriman, caché dans un autre château magique, permet d’accéder. Conan refuse, mais Taramis lui fait miroiter pouvoir retrouver la femme de sa vie, perdue jadis, Valeria. Une promesse n’engage que celui qui la croit, disait Chirac. Connard le Barbant est évidemment dupe : muscles ou cervelle, il faut choisir.

Commence alors une quête, qui serait initiatique si Conan était un ado cherchant son identité ou à se tailler un royaume, mais il n’en est rien. D’où la déception : il fera tout ça pour rien. Juste pour le spectacle, ce qui est frustrant. Lorsque la distribution des prix aura lieu à la fin, sous la nouvelle reine Jehnna – toujours vierge – lui refusera ce corps qu’elle offre (avec son esprit benêt) préférant croire encore et toujours à la chimère Valeria.

En attendant, place à l’action. Jehnna est guidée « par son instinct » (ciel !), et la troupe de Conan, Malak le filiforme son compère voleur (Tracey Walter) et Bombaata le garde du corps de Jehnna, deux mètres de haut, tout dévoué à la reine (Wilt Chamberlain). Ils agrègent en chemin l’enchanteur Akiro (Mako) prêt à être rôti en broche par des cannibales borborygmant comme dans La guerre du feu – deux têtes volent et les autres s’enfuient. Puis Zula, la cheftaine de bandits que les villageois étaient en train de lyncher après l’avoir attachée d’une patte à un pieu. Grosses bagarres, rictus dents serrés à la Schwarzy de Jones, quelques sourires arrachés aux spectateurs.

Enfin le but du voyage, le château de Thoth-Amon au centre d’un lac, où se trouve le joyau cœur. Jehnna veut passer l’eau tout de suite, mais Conan préfère d’abord que tout le monde se repose. Le magicien du lieu, qui l’a vu dans sa boule de cristal, prend la forme d’un oiseau géant et enlève la fille pour la coucher, toujours vierge, sur un lit près d’une salle de cristal. C’est là que les autres vont la retrouver, après avoir « deviné » l’affaire, pris un bateau, trouvé une entrée « secrète » du château via un souterrain immergé. Conan casse les carreaux, où se démultiplie le mage sous la forme d’un gorille en plastique qui fait Grrr ! Et tout le monde s’enfuit, avec le cœur-joyau. Des gardes de la reine les attaquent en chemin et Conan les bousille ; Bombaata fait semblant de croire à une trahison, alors que le spectateur sait que la reine lui a ordonné de tuer Conan dès que le joyau sera trouvé. Bon, mais ça fait toujours une grosse bagarre en plus.

Malak soigne les plaies avec une crème concoctée par Akiro et, durant cet instant de détente entre deux guerres, masse la cuisse de Zula de plus en plus haut, bien au-delà des plaies. Ce seul moment un brin érotique fait sourire, même les gamins de 8 ans. Il n’y en aura pas d’autre, ça pourrait leur donner des idées. On les renvoie aux gros muscles, seuls censés les intéresser à cet âge (je parle des garçons) Je ne sais pas si les filles apprécient Conan, mais si Jehnna le trouve « beau » parce qu’elle n’a connu personne. Il porte cependant cette espèce d’armures musculeuse bizarre et inesthétique, avec des seins gros comme pour allaiter, au point de ne pouvoir supporter aucune tunique. Elle n’a rien de l’harmonie que l’on prête habituellement au « beau ». Nous sommes loin des canons grecs.

Toujours guidée par son pif, Jehnna mène la bande jusqu’à un temple perdu, où des prêtres magiciens gardent précieusement la corne de Dagoth. Seul cet appendice viril (situé sur le front) pourra lui redonner la vie – et l’apparence d’un beau mâle normalement musclé dont la reine Taramis rêve. Esseulée dans son palais, elle en caresse langoureusement la statue – sans imaginer une seconde qu’une corne sur le front et pas entre les jambes donne une idée de ce que pense le personnage : uniquement au vice. Encore une grosse bagarre dans les souterrains du temple, des inscriptions disent que Jehnna devra être sacrifiée pour que Dagoth renaisse mais Conan dit « on verra plus tard ». Une grosse porte est soulevée à la force des muscles par Conan et Bombaata, tandis que Malak se glisse dessous et actionne le levier tout bête qui permet de l’ouvrir. La corne est là, toute bijoutée de pierres précieuses. Jehnna s’en saisit, mais voilà les gardes qui rappliquent. Grosse bagarre, duel de magiciens avec Akiro, fuite dans les souterrains, Bombaata retarde les autres en faisant s’écrouler une paroi, afin de ramener Jehnna à lui tout seul.

Au palais de la reine Taramis, grosse joie (tout est gros dans ce film), cérémonie de résurrection, la corne est plantée sur le crâne de Dagoth, le magicien s’apprête à égorger la jeune fille selon les rites. Mais il prend son temps, celui du théâtre. Mal lui en prend, Conan et sa bande surgissent des souterrains, où Akiro a vu l’entrée secrète. Conan se bat avec Bombaata – grosse bagarre. Il finit par l’avoir. Il empale le grand vizir avant qu’il ne réussisse à saigner Jehnna. Puis il se mesure carrément au démon Dagoth qui renaît avec la corne sur son front bas. Ce n’est pas encore un beau jeune homme comme Taramis en rêve, mais un monstre au cuir épais et aux pattes palmées. Heureusement qu’Akiro fait parvenir au cerveau étroit de Conan l’info que la corne maintient seul Dagoth en vie, il n’y aurait pas pensé tout seul. De fait, quand il l’arrache, le monstre agonise.

Fin de la quête, distribution des prix. Conan refuse le sien pour préparer une autre aventure… qui n’aura jamais lieu : il deviendra gouverneur de Californie durant huit ans.

Selon le titre yankee, ce film est un destroyer, pas un croiseur, encore moins un porte-avion. Il fait feu de tous muscles, mais ça s’arrête là. Cela ne peut plaire qu’à des gamins (mâles) et à des ploucs des collines au QI réduit par l’isolement, le ressentiment et la malbouffe.

DVD Conan le destructeur (Conan the Destroyer), Richard Fleischer, 1984, avec Arnold Schwarzenegger, Grace Jones, Wilt Chamberlain, Mako, Tracey Walter, BQHL Éditions 2025, anglais, français, 1h39, €19,99, Blu-ray €10,33

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Stefano Martino, Les Chroniques d’Atlantide 3 La rage du dieu serpent

L’Atlantide est un monde mythique qu’a évoqué Platon, un monde antique dont on ne sait rien, et qui excite les imaginations. Comme le niveau des mers a monté depuis l’Antiquité, la découverte de murs sous la mer par les archéologues n’a rien d’étonnant, mais ils font rêver à ce monde perdu. Est-il venu des étoiles ? D’une civilisation avancée qui s’est autodétruite par des guerres intestines ?

C’est la thèse de cette BD en trois tomes, dont la fin vient nous donner la clé : la guerre ne sert jamais à rien, qu’à détruire et à rendre triste. Eoden, le roi guerrier d’Atlantide, est réputé tué au combat. Mais c’est une ruse pour vaincre son ennemi juré, Thorun. Le grand prêtre Hak-na, le grand prêtre du culte de Rankoom qui attise la haine, s’avère un fils bâtard chassé du palais pour préserver la race.

Le général des armées de Mu va profiter de l’occasion pour attaquer le roi Leoden et la reine Naeel. Dans le temple du serpent à plumes, où Leoden se rend avec Naeel, l’ancienne menace se réveille. Il s’agit d’un grand oiseau préhistorique dont le bec garni de dents est redoutable. Leoden va le payer de sa vie, lui qui n’a qu’une épée humaine à opposer. Heureusement qu’une chercheuse a découvert la poudre et a offert à la reine une arme chargée. En lui faisant promettre de garder pour elle cette technique létale, car la guerre ne cesse de ressurgir dans les esprits humains, et tous les moyens sont alors utilisés pour imposer le droit du plus fort.

C’est ce qui a détruit Mars et sa civilisation avancée, qui a détruit l’Atlantide qui avait recréé un royaume sur la Terre. Sans cesse, l’histoire va recommencer. Car « la démocratie » est bien fragile, qui reste un choc des egos et des partis, entretient la division et les oppositions. Pourtant, existe-t-il un système moins mauvais ?

Un scénario convenu et un dessin un peu flou, qui aime à exagérer les attributs mâles ou femelles des héros, chevelures et poitrines. Une leçon de sagesse aux affidés des jeux violents, vidéo ou BD. « Qu’est-ce que cette guerre a résolu ? Qu’est-ce que les précédentes ont résolu ? Et que résoudra la prochaine ? Rien. Nous sommes destinés à nous entretuer et à souffrir… et je n’en peu plus », déclare le roi Eoden après l’ultime bataille.

BD Stefano Martino, Les Chroniques d’Atlantide, tome 3 La rage du dieu serpent, Glénat 2025, 68 pages, €15,95, e-book Kindle €11,99

(Mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Bande dessinée | Étiquettes : , , , , , , , ,

Howard Buten, Quand j’avais cinq ans je m’ai tué

Howard Buten vient de mourir, le 3 janvier de cette année ; il avait 74 ans et vivait en France. Il était juif, clown et psychologue de l’autisme infantile. Il connaît bien les enfants en tant que clinicien, et compatit en tant que clown. Son premier roman met en scène un enfant de 8 ans qui se raconte depuis ses 5 ans. Il a été enfermé dans un hôpital psychiatrique pour avoir fait quelque chose à son amie du même âge Jessica, mais ne comprend pas ce qui est mal.

Il dit avec ses mots d’enfant ce qu’il a ressenti, ses délires entre la réalité et la fiction, son amour au fond pour la petite fille, semble-t-il partagé. Un jour qu’ils sèchent l’école, après la mort du père de Jessica, ils se promènent sous la pluie et, trempés, se réfugient chez elle. Tout le monde est parti, ils sont seuls. Jessica le fait monter dans sa chambre, sur son lit. C’est elle qui prend l’initiative, lui « remontant son élastique, serré, serré sous on ventre ». Et puis il s’est envolé.

Gilbert, dit Gil, est un petit garçon juif, nanti d’une sœur aînée, Sophie, avec qui il a peu de relations, et d’un frère aîné de probablement 10 ans, Jeffrey, avec qui il joue parfois. A 5 ans, il a vu à la télé une poupée qu’un présentateur montrait, disant qu’elle appartenait à une petite fille qui venait d’être tuée. Il a eu mal, est monté dans sa chambre, a pleuré. Puis il a « tordu le doigt avec lequel faut pas montrer » et l’a appuyé contre sa tête. « Et puis j’ai fais poum avec mon pouce et je m’ai tué » p.10. Il a trop d’empathie ; dans la société contemporaine, ça ne se fait pas.

Son meilleur copain est Schrubs, mais il est un peu bête et répond toujours « ch’ais pas » quand on lui pose une question. Gil se bagarre, se roule dans les flaques, déchire ses vêtements. Il est plein de vie car il joue au cow-boy ou à Zorro. Au zoo, quand il y va avec sa classe, il ôte sa chemise devant les singes pour jouer Tarzan dans la jungle. Il demande un costume de Spiderman pour son anniversaire car il est moulant et fait ressortir les muscles.

Mais il a déjà des sensations au zizi. Son adversaire dans la bagarre, islandais ou écossais, lui donne des coups de pied dans le zizi pour l’arrêter, et ça lui fait tout drôle. Sa mère a vu son zizi quand il enfilait son pantalon et il a eu honte – comme Titeuf, « j’ai oublié mon slip ! » Le psychiatre à l’hôpital lui serre une ceinture de contention autour du ventre et du zizi, et ça le calme. A 8 ans… Le zizi est-il plus sensible chez les « manches courtes » que chez les « manches longues » ? Ainsi s’interroge-t-il, avec humour souvent. Il aime se glisser par les fentes des caves à charbon, se faisant tout aplati. Son père lui demande pourquoi il ne se mettrait pas dans une enveloppe pour s’envoyer en Alaska. « – Mais c’est que je n’ai pas assez de timbres », lui répond Gil.

Il ne comprend pas qu’on le brime dans cet hôpital, il ne sait pas pourquoi on l’y a mis. C’est à cause de la mère de Jessica, et ses parents se sont soumis. Les rêves deviennent des symptômes cliniques et les psy remplacent le vivant par de la théorie. Rien de plus risible que ce document de psychiatre qui tente de réduire un enfant à ses cases préprogrammées, usant d’une logique formelle hors sol. Il n’écoute pas, il sait tout d’avance. Gil avait de l’amour, il a agi naturellement. Les adultes ne le comprennent pas, ne l’acceptent pas. « L’enfant refuse d’affronter la réalité du mal qu’il a fait à Jessica », écrit le psy p,43 – mais quel « mal » ? Qu’est-ce que « le mal » ? A-t-on expliqué au petit garçon ce qui est bien et mal ? A-t-on parlé de « ces choses » que les adultes taisent par honte et bêtise ?

Pour eux Gil est un monstre à rééduquer, pas un enfant à éduquer. « Ma manman m’avait dit qu’un jour quand je serais grand j’aimerais quelqu’un et ça voudrait dire que j’essayerais d’empêcher tout le monde de lui faire du mal » p.200. Eh bien c’est raté : la société ne veut pas qu’on aime les autres, elle veut qu’on s’en méfie. Surtout des garçons quand on est fille. Depuis la sortie du livre en 1981, c’est devenu encore pire.

Howard Buten, Quand j’avais cinq ans je m’ai tué (Burt), 1981, Points Seuil 2004, 224 pages, €7,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Incassable de M. Night Shyamalan

Un film bizarre d’un réalisateur décalé sur une Amérique hors des normes. A une extrémité, l’homme blanc musculeux, invincible, qui ne peut être blessé et n’a jamais été malade ; à l’autre extrémité, l’homme noir chétif, atteint de la maladie des os de cristal et qui est la plupart du temps en chaise roulante. L’écart absolu entre noir et blanc, le mal et le bien. Par haine du destin, le Noir cherche son alter ego à l’autre bout d’une évolution dont il est la victime – cassé, il veut trouver l’incassable. Par instinct du bien, le Blanc cherche à protéger les autres sans le vouloir, simplement parce qu’il est bâti ainsi – immunisé, il veut se croire fragile comme les autres.

Tout commence dans le bruit et la fureur d’une catastrophe ferroviaire. Cent-vingt morts dans le déraillement du train New York-Philadelphie, à quelques kilomètres de sa destination – un seul survivant, David Dunn (Bruce Willis), banal surveillant à la sécurité du stade de la ville. Il est indemne, pas même une égratignure. Certes, les trains des compagnies privées des États-Unis ne sont pas toujours contrôlés, révisés et entretenus comme il se doit, mais on apprendra vers la fin que le hasard n’y était pour rien. Ce n’était pas la première catastrophe des dernières années : un Boeing qui s’écrase, un paquebot qui coule…

David s’interroge, à la fois poussé par son fils qui l’admire et se demande s’il est pareil, aussi invincible comme un super-héros de comics, et par une énigmatique carte d’invitation d’une galerie d’art qui lui demande s’il a jamais été malade. Au fait, l’a-t-il un jour été ? Il ne s’en souvient pas, son épouse Audrey (Robin Wright) non plus. Oui, mais ils ont eu un accident de voiture étant étudiants, un tonneau. Lui a été éjecté de la voiture et a sorti celle qui allait devenir sa femme. Mais a-t-il été blessé ? Probablement, encore que ce ne soit pas sûr.

Le patron de la galerie d’art, spécialisée dans les dessins originaux de comics, est Elijah Price (Samuel L. Jackson), né avec la maladie génétique des os de verre (en termes techniques, une ostéogenèse imparfaite de type I). Souvent à l’hôpital durant son enfance pour des fractures répétées, solitaire parce qu’il ne pouvait jouer avec les autres, il est devenu misanthrope par force et sa mère lui a acheté des comics, dont il est dit au début qu’ils représentent un talent de l’Amérique. Price se dit que, s’il existe d’aussi débiles que lui nés sur la terre, il doit exister aussi l’autre extrême, le super-mâle au squelette d’acier. Intoxiqué par son imagination, il veut le trouver dans la réalité. Ce pourquoi il collectionne les récits de catastrophes dans les journaux avant de tomber sur la perle : un seul survivant dans une apocalypse de ferraille.

Elijah l’anti-Goliath rencontre David l’anti-adolescent (les références bibliques, même inconscientes, ne cessent d’irriguer la mentalité américaine). Il s’aperçoit que l’agent de sécurité est capable de percevoir le mal chez ceux qu’il croise, comme cet homme en chemise flottante qui pourrait bien cacher « un pistolet argent à crosse noire » (c’est très précis). Il demande alors à son collègue de fouiller chacun avant qu’il n’entre sur la stade… et l’homme en chemise quitte la file. En le suivant, Elijah tombe dans les escaliers du métro et se casse littéralement en morceaux, mais a le temps de voir les dessous de l’homme – et le gros pistolet effectivement argent à crosse noire.

Intrigué, David teste ses muscles devant son fils aux haltères. Le gamin charge les poids ; c’est trop lourd, le père demande d’en enlever. Le gamin en rajoute au contraire, et David soulève toujours. Il se rend compte ainsi qu’il est plus puissant qu’il ne le croyait. Au point que le fils est persuadé que son père est l’un de ces super-héros des comics. Il tente même de lui tirer dessus avec un revolver dans la cuisine… avant d’obéir quand même par respect filial quand son père le somme de poser cette arme sous peine de disparaître de sa vie. C’est que son couple ne va plus très fort, passage en creux habituel après une douzaine d’années de mariage et un seul enfant. Joseph (Spencer Treat Clark, 12 ans au tournage), teste à l’école sa propre force en se battant avec un copain qui le défie – il est flanqué par terre. La surveillante convoque non pas la mère comme d’habitude mais le père, comme demandé par le fils, et se rend compte qu’elle le connaît : elle l’a vu quasi se noyer jadis dans la piscine où des copains l’avaient poussé. Il est bien resté cinq minutes sous l’eau, mais est ressorti indemne. Cela, elle s’en souvient.

Elijah, placé dans le service de l’épouse de David, la fait parler. Dans l’accident de voiture, son futur mari n’a pas été blessé mais a peut-être provoqué l’accident lui-même pour écourter sa carrière de footeux pro et épouser la belle (le football américain est l’école d’une particulière violence). Au téléphone, David le reconnaît. Elijah lui demande alors de se tester en utilisant sa sensibilité particulière pour trouver un ennemi de l’humanité, dans un lieu où il y a du monde. En gare de Philadelphie, David repère un agent d’entretien en combinaison orange (la même que celle des prisonniers…).

Il le suit et le voit entrer le soir dans une maison d’un quartier bourgeois où il tue le père et la mère et attache les deux enfants dans la salle de bain. Silencieux, en cape de pluie intégrale car il a une phobie de l’eau depuis son enfance, David libère les kids (un garçon et une fille, comme il se doit dans la famille yankee). Le criminel, qui le découvre, le projette dans la piscine, où la bâche de protection s’écroule sous son poids. Mais les deux enfants déjà grands lui tendent une perche et il sort pour étrangler l’assassin d’une clé au cou. Le lendemain, David montre en cachette à Joseph l’article du journal qui relate « le sauvetage de deux enfants par un héros », un dessin le représentant en grande silhouette sous cape, ce que les kids ont retenu de leur sauveur. Il ne faut pas que son épouse le sache, elle en serait déstabilisée.

David va donc retrouver Elijah qui patronne une exposition de sa galerie et, lors du serrement de mains, il a un flash : Elijah est le Mal incarné, le Méchant des comics, un gibier d’hôpital psychiatrique. Voulant à toute force confirmer sa théorie des deux bouts de la chaîne, il a provoqué des catastrophes pour découvrir LE personnage qui est son inverse absolu. Il est dit en bandeau que David le dénonce pour qu’il finisse interné.

Au fond, Superman n’est-il pas un homme ordinaire qui fait bien son boulot ? Et le Méchant un être handicapé d’une tare qui se venge de l’humanité ? Le Bien et le Mal sont facile à distinguer chez les Yankees. De la Bible aux comics, ils sont clairement révélés.

Mais ici avec plus de psychologie que d’action, les tourments de tous les personnages étant au premier plan, y compris les seconds rôles comme la passagère du train avant le déraillement ou la surveillante de collège qui se souvient. Un bémol quand même : on ne rigole pas dans ce film. Le comics est trop sérieux pour qu’on s’en moque – autre trait typique de la culture trop jeune yankee.

DVD Incassable (Unbreakable), M. Night Shyamalan, avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Robin Wright, Charlayne Woodard, Spencer Treat Clark, Touchstone Home Video 2001, 1h42, 17,84, Blu-ray€14,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Parc des monstres

Nous sortons de Viterbe vers Orte pour joindre le Parc des monstres ou Sacro bosco – le bois sacré – à Bomarzo. Il a été créé en 1552 par Vicino Orsini dont on voit la forteresse dominer le site, dans une grande propriété. Son architecte napolitain Pirro Ligorio a dessiné un labyrinthe de symboles où dames et paladins pouvaient flâner et suivre leurs rêves de troubadours.

Ce jardin empli d’arbres de divers essences est peuplé de sculptures directement sur la roche native : une sphinge, un Protée, des cerbères, une tortue, Pégase le cheval ailé, un temple, un obélisque, des nymphes, une Vénus endormie, seins nus et sexe à peine couvert, des dragons, et une statue d’Hercule gigantesque terrassant Cacus. Ses muscles de roc sont impressionnants.

Sous l’éléphant d’Hannibal, un père fait poser sa jeune fille : elle enveloppe de la main gauche les burnes rebondies du pachyderme mâle comme pour apprécier sa virilité et opérer ainsi une invocation à la fertilité de son futur époux. Quand on voit qu’elle n’a guère que 14 ou 15 ans, on ne peut s’empêcher de constater que le papa la prostitue déjà aux conventions machos.

Le lieu appelle l’érotisme d’ailleurs, outre l’Hercule musculeux, une tritonne les jambes écartées sur un sexe enfoui dans les replis de sa queue bifide serpentiforme s’offre au spectateur.

Un bain romain, une grande bouche de la vérité dans laquelle chacun peut entrer sans avoir peur de se faire croquer (sauf tous les menteurs, trumpistes, poutiniens et autres zemmouriens), un temple funéraire, un portique à colonnes et une tour penchée comme à Pise agrémentent le décor.

Entrer dans la tour donne une impression étrange, comme dans la maison des fantômes à Disneyland : l’illusion d’optique fait que le cerveau prend le mal de mer à force de tenter de corriger la désorientation des surfaces et des murs. C’est une expérience à tenter ! Nous sommes au-delà du miroir, ce qui a fasciné les Surréalistes. Il s’agit d’un exemple de l’art du maniérisme qui a été restauré après des siècles d’abandon par le propriétaire actuel, la famille Bettini.

Ce parc curieux a inspiré Claude Lorrain, Wolfgang Goethe, Salvador Dali et d’autres artistes. Nous y passons près de deux heures.

c

c

c

c

c

c

c

c

c

c

c

c

c

Catégories : Italie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nager

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » s’exclamait Baudelaire dans un poème célèbre.

Les gamins en premier, qui adorent l’eau et se baigner, nager. Mais les ados aussi, mâles et femelles.

« Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur », dit encore le poète qui avait gardé une âme d’enfant.

Rien de tel que plonger nu, ou avec le slip minimum conseillé. La peau goûte de toute sa surface l’onde fraîche, les muscles se raidissent à sa gifle.

La mer est un cocon, un ventre maternel, un liquide amniotique. Nager permet de retrouver la paix initiale, celle des premiers instants de la vie.

Catégories : Mer et marins | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Vieste

Nous reprenons nos sacs et renfilons nos vêtements pour aller déambuler dans Vieste, 14 000 habitants avec les abords. Au bas de la falaise, le Pizzomunno est un monolithe de calcaire blanc haut de 25 m qui donne son cachet au paysage.

La vieille ville est tout en ruelles étroites contre le soleil et les pirates, dont le fameux Dragut, amiral ottoman issu de Grecs qui a commencé sa carrière à 12 ans, a massacré une partie de la population et réduit à l’esclavage l’autre partie, femmes et enfants compris. C’était le 15 juillet 1554 sur le rocher appelé Chianca amara. Rien de pire que les renégats à leur race.

Le château Svevo a été élevé en 1242 par Frédéric II avant d’être endommagé par les Sarrasins puis par un tremblement de terre. Sa forme actuelle date de l’intervention espagnole au XVIe siècle.

Des constructions en poutres de pin d’Alep dites trabucchi servent encore à pêcher le poisson depuis la côte, l’antenne permettant de descendre et de relever un filet. Ils sont désormais monuments historiques propres aux Abruzze et au Gargano.

Aujourd’hui, les ados ne travaillent pas mais s’amusent. Ils ne pêchent plus mais sautent d’un rocher dans l’eau, se défiant à grands cris, tout muscles dehors. Aucune fille à l’horizon pour les admirer ; ils restent entre eux mais ne s’entre-admirent pas moins.

La basilique Sante Maria Assunta est du XIe, de style roman des Pouilles, maintes fois saccagée par les invasions sarrasines, d’où le campanile plutôt baroque. Elle est dédiée à la « supposée » (assunta) Vierge, à saint Georges, patron de la cité et à saint Michel, patron de l’archidiocèse. Trois placettes belvédères au-dessus de la mer ouvrent au paysage et aux trabucchi comme au Pizzomunno vu de haut comme un chicot devant la plage.

Nous sommes à l’heure de la sieste et tout est fermé, y compris les bars. Malgré notre soif, nous devons attendre. Ce n’est qu’aux abords de la ville neuve que des glaciers-bars sont ouverts, nous permettant des rafraîchissements. Je bois un demi-litre d’eau frizzante plus un verre avec une rondelle de citron. Les filles engloutissent des glaces ou divers parfums, les autres garçons sont à la bière. Mais celle-ci donne soif et j’en ai moins envie qu’auparavant. Les goûts changent avec l’âge ; c’est la même chose pour la viande rouge ou la choucroute.

Sur la porte d’une maison, un chouchou rose est accroché : ici une petite fille est née. Ce serait bleu pour un garçon, selon les traditions toujours vives dans cet extrême-sud européen.

Catégories : Italie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Sports de plage

Que faire sur la plage quand on est jeune et plein d’énergie ?

Des acrobaties en bande sur les agrès, mais c’était le bon temps – en noir et blanc ; aujourd’hui le « principe de précaution » empêche tout équilibre non assuré…

La bonne vieille balançoire reste de mise, même si elle est préférée des filles parce qu’elle leur donne le tournis et des émois prépubertaires.

Pour les garçons, le ballon. On peut y jouer seul ou, mieux, avec des copains. Cela fait courir et se jeter dans le sable, en peau nue, c’est délicieux.

Pour les petits frères ou sœurs, l’aquaparc offre de belles glissades où l’eau aseptisée d’aujourd’hui remplace la boue bio (donc) remplie de bactéries d’hier.

De quoi affronter la prochaine rentrée avec des muscles affermis à faire bouillir les copains et un bronzage à faire pâlir les copines.

Catégories : Mer et marins | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

C’est la guerre !

Parano Poutine se sentait « menacé » par l’Ukraine, pourtant selon lui « un pays qui n’existe pas », une création monstrueuse du pourtant regretté par lui régime soviétique… Allez comprendre. Poutine n’est pas « fou », il est peut-être malade vu la tronche qu’il a désormais à la télé par rapport à l’année précédente. Un effet du Covid ? Un cancer ? Des médicaments ? Il est surtout enfermé dans un délire paranoïaque analogue à celui de Staline.

« La paranoïa est un trouble du fonctionnement mental qui se manifeste par une méfiance exagérée des autres, une sensation de menace permanente et un sentiment de persécution », résume clairement le site Doctissimo. Si le Petit père des peuples voyait des Juifs partout, évidemment « espions de la CIA », le chevaucheur d’ours voit des Américains partout, évidemment « nazis » de la CIA (les seuls « nazis » américains que l’on connaisse pourtant sont ceux de Trump, qui se réjouit ouvertement du coup de bâton poutinien sur l’Ukraine). Qu’une démocratie – imparfaite, mais certes plus proche de l’idéal que celle de la Russie… – puisse offrir une vitrine de libertés avec des médias libres et des réseaux sociaux actifs critiques et un essor économique aux portes de l’Oural, hérisse et effraie Poutine, lui qui n’a pas su, depuis vingt ans au pouvoir, développer l’industrie et assurer un meilleur niveau de vie à ses citoyens.

Il apparaît enfermé dans ses certitudes, contesté par personne sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à l’élimination pure et simple : la scène de lundi où il tance le chef du renseignement en lui faisant redire de façon scolaire qu’il soutient (au présent) et non pas qu’il soutiendrait (au conditionnel) l’invasion des républiques dissidentes du Donbass restera dans les mémoires. Il offre le spectacle du satrape en action, approuvé sans une ombre de critique, sous peine de décapitation comme jadis le Mongol. Il est pressé, il est brutal, réagissant dans le stress et selon lui l’urgence, comme le gamin des rues qu’il n’a jamais cessé d’être, petit délinquant de Saint Pet victime de blessures narcissiques avant d’être récupéré à 16 ans par un mentor qui lui voulait du bien et intégré dans les Organes pour servir la cause des silovikis.

Les sanctions après l’annexion de la Crimée l’ont isolé, le Covid l’a enfermé encore plus sur lui-même. Il ne rencontre plus personne sans des mètres de table entre lui et les autres. Il craint la contagion. Mais le physique influe sur le mental et cette paranoïa du virus, qui était celle de Staline vieillard, devient paranoïa de l’encerclement et de la menace. « Les réactions agressives contre autrui sont violentes et fréquentes. Le sujet, comme dans toutes les psychoses, adhère totalement à son délire », précise le site Doctissimo. Tout geste ou parole est interprété de façon négative : « on » lui en veut, au psychorigide.

Plutôt que de négocier en position de force « avec les Américains », qu’il déteste autant qu’il les jalouse, tant son désir d’être reconnu comme partenaire apparaît pour lui vital (comme un gamin de rue), il opère un coup de force. Il ne croit pas en un traité, même écrit, de sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Russie. C’est ce qu’il demandait pour donner le change aux diplomates, tout en préparant la guerre. Mais cette guerre, il la veut. Il veut blesser l’Ukraine comme un père d’Ancien testament veut punir un fils rebelle. Il envoie les hackers, les missiles, les avions, les chars et les soldats – dans cet ordre. Il espère faire s’effondrer les institutions et faire fuir le gouvernement pour en mettre un autre à sa botte, comme l’ancien pro-russe renversé par la révolution orange. Si les soldats ukrainiens ne « déposent pas les armes », les soldats russes devront tirer sur des frères, des familles russes ayant des parents en Ukraine et réciproquement. Dommages collatéraux ou bêtise de qui ne veut pas voir les conséquences ?

La paranoïa ne raisonne pas, elle délire. Même si le délire est logique, il se situe dans un autre univers. L’Ukraine envahie, dominée comme une vulgaire colonie par celui qui se croit nouveau tsar, les Ukrainiens vont se braquer, résister. Ouvertement tant qu’ils auront des armes, puis plus sourdement dans la durée ; dès qu’ils le pourront, ils rejoindront l’OTAN et l’UE, ce qui n’était pourtant pas écrit. Les rancœurs ne vont pas s’apaiser, comme si le retour dans le giron de la Mère était selon Poutine l’espoir des Ukrainiens. Ils ont goûté à la liberté, à la prospérité, aux échanges avec la civilisation européenne. Qu’a donc la Russie de Poutine à leur offrir de plus séduisant ? Un pays où la liberté est bafouée, les opposants empoisonnés, les journalistes massacrés, l’économie en berne fondée uniquement sur la rente des ressources fossiles, la joie mauvaise de « montrer ses muscles » militairement en se mettant à dos tous ceux qui refusent le règne du caïd ? La perspective chinoise, tout aussi brutale et liberticide ?

Poutine fait une fixette sur les muscles, comme s’il cachait de troubles désirs – se publiant torse nu enfant sur les genoux de sa mère sur Wikipedia (fiche évidemment surveillée et autorisée par lui), ou embrassant sans vergogne en 2006 le ventre nu d’un petit Russe en public.

C’est la guerre, et en Europe, la première depuis la défunte Yougoslavie 1991-1999, et la première de cette ampleur depuis l’Allemagne nazie en 1945. Des Blancs tuant des Blancs, quelle victoire des peuples méprisés par la Russie de Poutine, lui qui prône pourtant l’alliance blanche contre les allogènes ! Nous allons voir tous les politiciens candidats en France « se positionner » vis-à-vis de ce coup de force que certains admirent en secret : Mélenchon par haine (paranoïaque ?) des Américains, Zemmour par fascination (névrotique ?) pour les hommes forts (pas les femmes) tels Hitler sur les Champs-Élysées déserts en 1940 (analysé par Cécile Alduy), Trump et évidemment Poutine… Les Français vont-ils vraiment voter pour les collabos du régime de force ? Pour les putes à Poutine comme on le disait des putes à Boches tondues en 1945 ?

Le pays « de la liberté » et des « droits de l’Homme » (avec un grand H universel) tomberait vraiment bien bas !

Catégories : Géopolitique, Politique, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ne faites pas des enfants des ânes chargés de livres, dit Montaigne

Dans le chapitre 26 du livre 1erde ses Essais, Montaigne disserte sur « l’institution des enfants », autrement dit leur éducation. Elle est bien plus qu’un élevage car elle ne se contente pas de nourrir le corps mais aussi l’âme – nous dirions aujourd’hui le caractère et l’esprit. Le philosophe a longuement préparé son texte car il le destine à Diane de Foix, comtesse de Gurson de laquelle il est proche par lien féodal, et qui va bientôt être mère.

Après s’être excusé de n’être savant que de ce qu’il a appris dans sa vie, ce qui tient bien trois grandes pages que l’on peut passer sans dommage, il affirme tranquillement : « ce sont mes humeur et opinions ; je les donne pour ce qui est en ma croyance, non pour ce qui est à croire ». Autrement dit, prêtez-y attention, comme il se doit, puis faites ce qui vous semble bon.

Car élever un petit d’homme est plus difficile que le planter car les humains ne sont pas des bêtes. Tout ne leur vient pas du programme génétique comme les plantes, ni de leur instinct comme les animaux, mais surtout des exemples et imitations des autres, tant l’humain est un être social. Au rebours, on ne peut non plus forcer leur nature. Il faut plutôt avoir, pour qui enseigne, plus « envie d’en tirer un habile homme qu’un homme savant ». Pour cela, « lui faire goûter les choses », ne pas parler tout seul mais l’écouter aussi, « juger de son train (…) pour s’accommoder à sa force ». Il s’agit de guider plus que d’imposer, de donner envie plus que de contraindre. Rousseau reprendra cette philosophie dans son Émile.

« Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. » Le par-cœur abêtit, l’assimilation élève. Pour cela, il faut des exercices, « accommodés à autant de divers sujets ». Pas de dogmes, mais un jugement personnel. « Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa tête par simple autorité et à crédit ». Voilà qui est très Lumières et démocratie : ne rien tenir pour vrai que l’on en ait jugé par soi-même, ne suivre les autres que s’ils nous ont convaincus par des faits (ce qui est bien rare aujourd’hui). Pas plus la Bible qu’Aristote ou une autre doctrine ne doit être prise telle quelle pour vérité : de tout il y a à prendre et à laisser, selon son propre jugement. « Il n’y a que les fous certains et résolus ». Notons que la folie envahit notre époque. Les opinions des autres qui lui conviennent, qu’il les fasse sienne. « La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premièrement, qu’à qui les dit après ». Les abeilles font ainsi leur miel des divers pollens qu’elles pillent aux fleurs, mais ce miel n’est plus fleur, il est leur.

« Le gain de notre étude, c’est en être devenu meilleur et plus sage ». En faire un homme, pas un singe savant comme en sortent trop souvent de certaines de nos écoles. Car « savoir par cœur n’est pas savoir : c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire » – pire encore  lorsqu’on dispose du net ! La mémoire est désormais moins utile mais le jugement beaucoup plus que du temps de Montaigne. Pour juger sainement, préconise le philosophe, « le commerce des hommes » et « la visite des pays étrangers » pour « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui ». Curiosité entraîne humilité, soif de comprendre et – donc – intelligence. Seuls les ânes savent tout par seule croyance. L’actuel tropisme au repli sur soi, à l’entre-soi de la famille, de la bande et du milieu, à la régression nationale – ou même locale dans l’écologisme – n’est en faveur de l’intelligence…

Il ne faut surtout pas épargner la jeunesse, ce pour quoi les parents trop aimants sont nocifs. « Ils ne sont capables ni de châtier ses fautes, ni de le voir nourri grossièrement, comme il faut, et hasardeusement. Ils ne le sauraient souffrir revenir suant et poudreux de son exercice. » Si la philosophie roidit l’âme, l’exercice « roidit les muscles » et la douleur physique permet de devenir apte à supporter le travail et l’effort. « La course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes », telle sont les activités que préconise Montaigne pour son temps. Nous pouvons le traduire en judo, footing, danse, musique, jeux vidéo pour l’adresse et l’attention, s’occuper d’un chien ou monter à cheval pour l’interaction avec l’animal, s’occuper de plus jeunes à l’adolescence.

À l’enfant, il lui faudra apprendre la modestie et le parler franc à bon escient dans le commerce des hommes. « Qu’on le rende délicat au choix et triage de ces raisons, et aimant la pertinence, et par conséquent la brièveté. » Il ne faut pas chercher à jouer un rôle, mais à se présenter en vérité. La vérité, d’ailleurs, faut la chercher en tout discours, « soit qu’elle naisse dans les mains de son adversaire, soit qu’elle naisse en lui-même par quelque ravissement. » Se corriger en abandonnant un mauvais parti est de qualité. « La sottise même et faiblesse d’autrui lui sera instruction ». Tout sert, toute observation des autres pour se régler soi-même.

Les livres complètent la société. Nous pouvons ajouter pour notre époque les films et les podcasts. « Il pratiquera, par le moyen des histoires, ces grandes âmes des meilleurs siècles ». Mais qu’il se souvienne de tirer leçon plus qu’érudition car moins importe « la date de la ruine de Carthage que les mœurs d’Hannibal et de Scipion ». Il devra voir au-delà du bout de son nez, s’élever au global : « Qui se présente, comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté (…) une si générale et constante variété (…), celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur ». Car seule la variété permet de mesurer et de se situer.

« Tant d’humeurs, de sectes, de jugements, d’opinions, de lois et de coutumes nous apprennent à juger sainement des nôtres » – plus encore dans une époque de guerres de religions comme Montaigne l’a connu, et nous-mêmes aujourd’hui. À partir de ces exercices concrets, « assortir tous les plus profitables discours de la philosophie », ce « que c’est que savoir et ignorer (…) vaillance, tempérance et justice (…) ambition et avarice, la servitude et la sujétion, la licence et la liberté ». C’est en observant la comédie humaine que l’on augmente sa propre sagesse. Combien, de nos jours, l’ont-ils appris ?

L’art qui nous fait libre doit être le premier enseigné. Il s’agit de la philosophie. « Commence et ose être sage », dit Horace, cité, « différer l’heure de bien vivre c’est faire comme ce paysan qui attend, pour passer le fleuve, que l’eau ait fini de couler ». Or on nous apprend à vivre quand la vie est passée, la jeunesse, « on la rend débauchée, l’en punissant avant qu’elle le soit ». La morale doit suivre les exemples, pas l’inverse.

Après le savoir qui règle les mœurs et l’entendement « à se connaître, et à savoir bien mourir et bien vivre », les autres sciences sont utiles : « logique, physique, géométrie, rhétorique ». Car la philosophie « on a grand tort de la peindre inaccessible aux enfants ». Elle « doit par sa santé, rendre sain encore le corps », faire apparaître sa tranquillité d’esprit, montrer « une gracieuse fierté, d’un maintien actif et allègre » de qui est bien dans sa tête et son cœur, qui sait qui il est et ce qu’il fait là. « La plus expresse marque de la sagesse, c’est une jouissance constante », déclare Montaigne. Ce sont les cuistres, jaloux de leur jargon qui vaut pour eux profondeur et savoir, qui font de la philosophie aigreur et contraintes. « Il lui fera cette nouvelle leçon que le prix et hauteur de la vraie vertu est en la facilité, utilité et plaisir de son exercice, si éloigné de difficultés que les enfants y peuvent comme les hommes, les simples comme les subtils. » La philo n’est pas réservée aux profs ni à l’université, mais ouverte à tous dès le berceau, qu’on se le dise !

Car la vertu n’a rien à voir avec la pruderie offensée ni le sérieux angoissé des croyants en religions, celle du Livre mais aussi les communistes et socialistes. La vertu au contraire « aime la vie, elle aime la beauté, la gloire et la santé. Mais son office propre et particulier, c’est savoir user de ces biens-là réglement (modérément), et les savoirs perdre avec constance. »

L’éducation s’effectue par une sévère douceur, pas par la force ni par le châtiment. S’il faut endurcir l’enfant, c’est au froid, au soleil, au vent, au hasard du climat et de la nature, pas à la honte ni au fouet. « Que ce ne soit pas un beau garçon et dameret (affecté comme une femme), mais un garçon vert et vigoureux ». Nous pouvons le dire aujourd’hui autant des filles, qu’elles soient moins apprêtées que directes, saines et sportives. Le collège, où Montaigne fut de 6 à 13 ans, « c’est une vraie geôle de jeunesse captive ». La situation n’a que très peu changé de nos jours ou la contrainte règne. Surtout au lycée où l’on a pourtant passé 15 ans.

Il n’y a, selon Montaigne, qu’une règle en éducation : « pourvu qu’on puisse tenir l’appétit et la volonté sous boucle, qu’on rende hardiment un jeune homme commode à toute nation et compagnie, voire au dérèglement et aux accès, si besoin est (…), qu’il puisse faire toutes choses, et n’aime à faire que les bonnes. » C’est que l’exemple qu’on lui a donné aura été bon et qu’il sait juger par lui-même des écarts de ses pairs.

Car à la fin, « le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies ». Quoi qu’on pense, seul l’exemple qu’on donne est le vrai de notre personnalité. « Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche, un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brusque ». Nous dirions authentique. Il ne faut parler ou écrire ni en prof, ni en prêcheur, ni en avocat, « mais plutôt soldatesque » sur l’exemple du style de César.

Quant à apprendre les langues, mieux vaut s’y frotter tout petit qu’au collège. Chacun sait bien qu’après six ans d’anglais on ne le parle que très mal si l’on n’est pas allé dans le pays. À quoi servent donc le collège et le lycée ? Une formation de trois mois dans le bain suffirait à parler correctement, les entreprises le savent bien, pas les cuistres « inspecteurs » de l’éducation. Montaigne donne l’exemple de son père qui engagea un professeur ne lui parlant que latin. Il se reconnaît pourtant l’esprit lent, le corps paresseux, l’absence de mémoire, mais « ce que je voyais, je le voyais bien », ce qui signifie avec attention et sans illusion. Son premier livre fut les Métamorphoses d’Ovide. Au collège, il tint des rôles de théâtre qui lui ont donné « une assurance de visage, et souplesse de voix et de gestes ». Ce que les formations professionnelles aujourd’hui doivent apprendre à l’âge adulte parce que le secondaire ne se focalise que sur l’intellect. Le savoir-faire est déjà tangent, le savoir-être inexistant.

Montaigne nous a brossé l’homme complet de la Renaissance, telle qu’issu des philosophes antiques. Il s’agit d’une éducation naturelle vécue plus que de principes abstraits. L’homme est en effet un être d’imitation car très social, et la sociabilité compte avant tout pour lui faire apprendre quoi que ce soit. Les devoirs à la maison sont tout aussi inutiles que le bourrage de crâne, seuls les exemples humains et les exercices permettent de véritablement connaître. Ce que dit Montaigne il y a cinq siècles est applicable encore aujourd’hui car l’être humain ne change pas, malgré l’évolution des circonstances.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

Montaigne sur ce blog

Catégories : Livres, Montaigne, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Rentrée

Bientôt le retour de l’école et des colles, passage du slip à l’anorak. Certains se préparent déjà, d’autres résistent de tous leurs pores.

Même les plus petits montrent leur ventre – et pas pour faire comme les plus grands.

Ceux-ci préfèrent les selfies musclés pour envoyer à leur copine et à leurs copains. Faire envie, c’est se faire admirer, b. a. ba de la vente, esprit véhiculé par toute la sous-culture américaine.

Hier c’était le temps des parents, les pat d’éph et la coiffure hippie.

Aujourd’hui le gars se veut warrior, en français dans le texte car guerrier fait par trop antique.

Les filles se veulent bimbo, une fois rentrées sur leur balcon parisien.

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux

C’est la guerre de 14-18 que raconte l’auteur : l’adolescence. La guerre des élans, des mélancolies et des colères des mineurs juste sortis d’enfance que la société laisse en friche, surtout dans la France périphérique déclassée par la désindustrialisation et le chômage. Seules les classes aisées parviennent à socialiser les adolescents en associations, sports et autres engagements ; pour les classes populaires, hier il y avait les scouts (pas toujours très catholiques mais aussi laïques et mixtes comme les Eclaireurs) ; dès les années Mitterrand ils sont laissés à eux-mêmes. Ils passent de bébés à BBB, cette trilogie ado de bière, bite et baston. Sortis de l’œuf, les meufs et la teuf. Pour faire comme les autres, pour exister, pour apprendre à être un homme – ou une femme. Car les filles ne sont pas en reste pour l’alcool et la baise, loin de là. Elles sont même pires que les mecs comme langues de pute, se moquant des autres filles et comparant les attributs des mecs qu’elles ont testé, en se faisant baiser « dans tous les sens ».

Sur les frontières de l’est, dans l’ancien bassin minier de la métallurgie sinistrée des années 1980, « Heillange » et « Métalor » (ces noms inventés mais transparents) constituent l’univers borné des fils d’ouvriers licenciés. L’été, cette période de vacance d’école, est un vide passé dans la cité ou au bord du lac, à tenir les murs ou à glander. L’auteur saisit Anthony sur le grill du sable brûlant dans le plus simple appareil. Il a eu « tout juste 14 ans » (en mai). Il va, avec « le cousin » de deux ans plus âgé, emprunter un canoë pour aller mater sur « la plage des culs nus ». Que faire d’autre quand on ne part pas en congés et que l’orage des hormones vous pousse à tout ? « Anthony filait tout schuss, pris de frissons, jeune à crever » dit l’auteur d’une phrase ciselée par l’émotion p.39. L’émotion, d’ailleurs affleure durant toute la première partie ; Nicolas Mathieu manifeste une tendresse pour ce vilain petit canard de 14 ans tout empli de contradictions, un autre lui-même peut-être qui ôte son tee-shirt toutes les trois pages. A moins que ce soit pour « Oscar » à qui ce roman est dédié. Les autres parties prennent plus de distance, racontées à la façon d’un entomologiste sur ces drôles d’animaux ados.

Mais pour tomber les filles, il faut être sexy, « mignon » disent-elles. A 14 ans, on est laid, difforme, dégingandé, le torse étroit, les membres démesurés, une « démarche de racaille ». Anthony admire chez le cousin les muscles fins, dessinés, et l’assurance qu’il n’a pas encore. 1992 : 14 ans ; 1994 : 16 ans ; 1996 : 18 ans – et 1998 : 20 ans, une partie superfétatoire qui gâche l’ensemble. L’auteur a voulu à toute force faire entrer la coupe de foot à l’acmé de l’ère Chirac (sous gouvernement Jospin), pour illustrer une thèse : que le 14 juillet, les congés payés et le foot-spectacle sont les hauts fourneaux du métal républicain, fusionnant à fort degré les origines d’aloi divers. Rien de pire qu’un roman à thèse, heureusement cantonné dans cette dernière partie croupion, la plus courte et la plus amère, comme une retombée d’acide. Or les personnages doivent pouvoir s’épanouir sans les contraintes de la théorie, laissez-les vivre !

Ils vivent par bonheur durant 493 pages sur 559. Anthony grandit, évolue, se forme. Il embrasse à 14, baise avant 16, se muscle à la perfection à 18. Fils de chômeur reconverti dans l’autoentreprise de bricolage, jardinage et nettoyage – un brin porté sur l’alcool – et d’une mère comptable, il est unique. Couvé par sa mère car il ressemblait au Grégory de « l’affaire » étant petit, il a mis du temps à s’étoffer. Son rival est Hacine, fils d’immigré marocain qui occupait le poste voisin de son père à l’usine. Hacine est aigri d’origine car mal intégré, entre un père moralisateur et autoritaire à l’ancienne et les nouvelles normes de la France moderne. Il vit son adolescence de petits vols et trafics, fumant de la beuh et rêvant de monter son business de trafiquant de haut vol, go-fast et réseau exploité selon le marketing. Il terminera employé dans une entreprise de démolition ; Anthony s’engagera dans l’armée. Avant que la dernière partie, décidément malvenue, ne remette tout en question.

Quant aux filles, Vanessa, Clem, Steph, l’une deviendra mère pondeuse, l’autre commencera médecine, la troisième entrera à l’ESSEC par rage de quitter ce bled de pauvres et de bornés où, si l’on se laisse aller, on devient vite « cassos » (cas social). Dans ce monde qui meurt, il faut vivre ; dans ce monde qui change sans cesse, il faut éviter de reproduire l’identique. La jeunesse s’adapte. Encore faut-il se sortir des déterminismes de son milieu, de « l’effroyable douceur d’appartenir » comme termine l’auteur, adepte des fins de chapitre fignolées. Le titre du roman est tiré d’un poème de Jésus Ben Sira dit le Siracide, dans un livre non canonique du Talmud.

Mais qu’en est-il de cette jeunesse un brin hors sol, revisitée par le souvenir ? Anthony a exactement l’âge de son auteur, né dans les Vosges fils unique de parents ouvrier et comptable. Nicolas Mathieu en tire une image d’Epinal dans laquelle les filles ne sont pas violées, les garçons jamais pédés, où nul jeune ne va au cinéma pour se peloter ni ne connait d’accident ou la case redressement, où ne sévit ni le sida ni la grossesse à 15 ans. L’orage adolescent passe aussi vite que ceux d’été dans le climat continental ; les ados deviennent adultes naturellement.

« Ces gens-là », petits blancs ouvriers à manies, vivotent et leurs enfants après eux. « Leurs idées sur tout, simples, honnêtes, d’éternels cocus. Cette probité benoîte qui les laissait toujours interdits devant le cours du monde. Les trois ou quatre idées fortes qu’ils tenaient de l’école communale ne leur servaient à rien pour comprendre les événements, la politique, le marché du travail, les résultats truqués de l’Eurovision ou l’affaire du Crédit lyonnais. Avec ça, ils ne pouvaient que se scandaliser pauvrement, dire c’est pas normal, c’est pas possible, c’est pas humain. (…) Et pourtant, alors que la vie contredisait sans cesse leurs pronostics, décevait leurs espérances, les dupait mécaniquement, ils restaient vaillamment dressés sur leurs principes de toujours. Ils continuaient à respecter leurs chefs, à croire ce que racontait la télé, ils s’enthousiasmaient quand il faut et s’indignaient sur commande » p.510.

Ce deuxième roman publié est une vraie réussite dans le réalisme social, sans misérabilisme ni idéologie, ce qui n’est pas si courant pour un Goncourt. Ton qui déplaît à certaines lectrices qui ne se sentent pas prises, préférant le bon vieux bien et mal des séries télé yankees. Les dialogues sont en langage d’époque. Sauf la dernière partie, qui peut n’être pas lue, j’ai bien aimé ce roman d’une époque vécue, celle de la génération des fils.

Prix Goncourt 2018.

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, 2018, Babel poche 2020, 559 pages, €9.90 e-book Kindle €9.49

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jeunesse à dorer

La ville et le confinement ont donné un teint d’endive aux gamins. Il est temps que l’été redore leur derme en ôtant leur blouson. Un 12 ans rêve en chambre à la liberté de plage.

Une adolescente déjà avancée se mire en son miroir pour préparer ses seins au soleil et à l’eau.

Un 15 ans se dénude en sa banlieue pour faire comme si le béton n’était que sable sans la chaux ; il a chaud.

Le garçon rêve de torse nu tout l’été, la liberté du vent, la sensualité de la peau, l’aplomb des muscles qui s’affirment.

La fille rêve de seins moulés, raffermis, admirés.

Rares sont désormais les plages où les filles peuvent aller seins nus : bientôt tous en burkini ? Tous voilés comme en cette vaste plage du Sahara ? Nous avons gardé le bas malgré toutes les « révolutions » ; nous voici voilés du haut par la sourcilleuse maman Covid – le reste n’est qu’une question de pression rétrograde.

En attendant, les amis en prime adolescence se confortent, le corps sain et le cœur offert, tous les sens en éveil pour vibrer à l’unisson de la vie alentour. Une belle philosophie que cette aptitude spontanée au bonheur plutôt que les souffrances névrotiques des « religions » qui châtient le corps pour dominer l’âme.

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Corinne Hofmann, La Massaï blanche

Voici le récit d’une Suissesse de 27 ans aussi naïvement allemande qu’obstinément suisse. Cette écervelée tombe raide dingue en 1987 d’un guerrier Massaï qu’elle aperçoit à Mombasa en pagne, paré et torse nu. N’écoutant que sa vulve, elle n’a de cesse que de coucher avec lui. Après cela, de se l’attacher à la Suisse par les liens du mariage. Elle lâche tout, ses affaires, sa famille, son pays, pour s’immerger dans la brousse loin du monde. Ce qui lui importe est seulement d’être prise chaque soir et de passer la nuit entre les bras musclés à respirer l’odeur du mâle.

Moi, lecteur, forcément extérieur au coup de foudre féminin, je prends cet état de fait comme une donnée. Pour le reste, je ne peux qu’être partagé entre agacement et empathie. Agacement pour cette raideur calviniste qui veut que tout soit fait « dans les règles », même les plus manifestes dingueries. Agacement pour cette niaiserie du grand amour sous la case, ce romantisme godiche qui laisse de côté tout fonctionnement d’intelligence. Mais empathie pour cette attirance sexuelle brutale, pour cette puissance immédiate du désir qui sonne comme un destin. Que Corinne s’y abandonne, pourquoi pas ? La jobardise naît plutôt de toutes ses tentatives de justification idéalistes et profondément égoïstes dont elle enjolive le brut appel de la chair. Tous les mythes sont rameutés dans un brouet qui ne donne pas une haute idée de la Suissesse, ni de la femme : le bon sauvage, l’amour-qui-peut-tout, l’envoûtement de l’Afrique, la révolte hippie écologique, la rébellion anti-bourgeoise, le nivellement culturel de tout le monde il est beau tout le monde il est gentil… Le désir primaire ne suffisait-il pas ?

Pourquoi vouloir de force convertir l’Africain guerrier et volage à ses fantasmes de Blanche petite-bourgeoise mal baisée et rêvant au mariage fusionnel ? Les plus belles pages sont de la veine réaliste, les pires sont du rêve égocentrique de la midinette mondialiste. L’attraction virile des muscles Massaï est une évidence bien décrite : « Son visage est d’une beauté si harmonieuse qu’on dirait presque un visage de femme. Mais son attitude, son regard fier et sa musculature puissante ne laissent aucun doute quant à sa virilité. Assis devant le soleil couchant, il ressemble à un jeune dieu » p.9. Le portrait n’est-il pas bien troussé ? Et derechef, la donzelle le piste, le traque, le poursuit. Lui, guerrier de brousse étranger à la ville, en est tout désemparé. Il se laisse faire timidement, la volonté blanche ayant l’obstination d’un sortilège.

Les Massaïs, par coutume, n’embrassent pas, ne touchent pas les femmes sous la ceinture, ne baisent que par assauts brefs et répétés comme des lapins, ne mangent pas avec la gent féminine. Corinne nous énumère ces frustrations avec un souci horloger du détail. Aux femelles de s’occuper des enfants, les mâles passent le plus clair de leur temps avec des guerriers de leur condition. La vie d’une femme compte même moins que celle d’une chèvre. Naturellement Corinne se fait gruger, son capital fond parce que ce son mari ne comprend rien au commerce ni au bénéfice. A vivre en Massaï, Corinne s’anémie, son hygiène devient déplorable. Selon les mythes de la tribu à laquelle Corinne appartient désormais, toute femme est une goule et le fier Lketinga voit en tout autre homme, écoliers pubères compris, un amant potentiel. Il se saoule avec les stocks de bière et souhaite, à la Massaï, promettre la fille issue de leur union à un vieux dès ses 9 ans, après l’avoir fait exciser sans anesthésie… Le mariage « pour la vie » est un désastre.

Mais Lketinga, « avec son torse nu, son pagne rouge et ses longs cheveux roux, est d’une beauté éblouissante » p.32. « Savoir que sous le pagne se trouve directement la peau m’excite beaucoup » p.36. La voilà, l’évidence, et elle est humainement sympathique. Le désir surgit, brut et nu. Pourquoi, dès lors, Corinne veut-elle « se marier » ? Ce n’est pas devant Dieu, dont elle ne parle pas, mais devant la société et pour la bureaucratie. Le lecteur soupçonne, et cela lui est désagréable, une exigence égoïste de ferrer l’amant, d’enchaîner son nègre à son service exclusif. Elle transgresse pour cela les conventions sociales blanches et le revendique parce que cela fait « révolutionnaire » et tiers-mondiste. Mais elle accepte alors la polygamie, le rôle dominé de la femme et les mœurs Massaï d’excision, de baise avec les enfants, et là cela devient irrespectueux, aliénant, colonial. Elle veut garder pour elle « mon chéri » (ainsi écrit-elle sans cesse), l’obliger par contrat, l’enfermer dans une paperasserie irrévocable. Donc se soumettre à ce qui est à ses propres valeurs dégradant.

En Suisse allemande, Corinne ne peut vivre son désir librement, ni accepter la liberté de l’autre. Il faut que tout soit fait dans « ses » règles à elle, celles de la lourdeur précise de son pays : papiers, autorisations, tampons, robe blanche… Et tout cela pour se retrouver arroseuse arrosée, enchaînée à un mari qui a désormais des droits légaux sur elle et sur leur enfant comme sur son capital.

La passion morte, l’obstination l’ayant conduite droit dans le mur, Corinne se trouve obligée de fuir sa destinée comme dans une tragédie grecque, et de quitter le Kenya en usant de procédés illégaux. Une Blanche et un Massaï ne sont pas du même monde et c’est naïveté que de faire comme si, voulant en même temps tout régenter.

Si toutes les Suissesses sont comme cette Corinne, maris potentiels, fuyez !

Corinne Hofmann, La Massaï blanche, 1999, Pocket 2002, 399 pages, €7.60

DVD La Massaï Blanche – d’après le best-seller de Corinne Hofmann, 2005, Hermine Huntgeburth, avec Nina Hoss, Jacky Ido, Katja Flint, Lumière, 2h11

Catégories : Cinéma, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Maxime Chattam, Le signal

Ce gros roman pour confinement d’hiver, dans la maison bien close où chaque bruit est inquiétant, commence comme un thriller d’espionnage, se poursuit en fantastique adolescent à la Stephen King avant de se terminer, près de 800 pages plus loin, en scènes gore de tueur en série. C’est gros, horrible et délicieux.

Maxime Chattam décentre son histoire aux Etats-Unis d’aujourd’hui, pays mythique où « tout » est possible. La famille idéale des Spencer quitte la New York trépidante pour Mahingan Falls, une petite ville balnéaire (imaginaire) enserrée dans les montagnes non loin de Salem. Une antenne de télécommunication permet seule la liaison Internet et mobile. La vaste maison de bois rénovée, à l’extrémité d’une triple impasse, se trouve près des bois. La quiétude naturelle contraste avec les nuisances de la ville. Car chacun a besoin de calme pour se ressourcer et quoi de mieux que ce déménagement en plein été ?

Olivia a quitté un métier stressant de présentatrice TV célèbre pour envisager une émission de radio locale. Tom, lessivé par les mauvaises critiques de sa dernière mauvaise pièce de théâtre, désire retrouver l’inspiration. Des trois enfants, seule Baby Zoey, 2 ans, n’a rien à récupérer. Les deux autres ont été éprouvés par la mort des parents d’Owen. Il a été recueilli par les Spencer car Tom est son oncle et son parrain. Il devient le frère de Chadwick (dit Chad), du même âge que lui : 13 ans. C’est un âge soupçonné par les psys (yankees) d’être sensible et trouble, déclenchant, au pays des névroses bibliques, nombre de phénomènes paranormaux. Tel est l’accroche King de Chattam.

Sauf que Maxime est un auteur européen, plus rationnel et moins empoisonné d’idéologie Jéhovah que Stephen ; il va faire diverger l’anormal en nouvelle norme menaçante. C’est que la technologie s’invite au festin des horreurs dans la meilleure tradition (plus récente) des millénaristes et des théoriciens du Complot. Tout serait la faute du Gouvernement, comme il se doit, ou des capitalistes, comme de bien entendu. Avec cet arrière-plan qui reste bien chrétien que le Diable n’existe que parce qu’on y croit, très nombreux et depuis très longtemps. Donc le Mal, des énergies négatives qui nous dépassent et nous environnent, chevauche les courants telluriques ou artificiels pour se déplacer, se manifester et frapper.

Les Remerciements à la fin du livre l’avouent : Maxime Chattam a mis en scène sa famille, idéalisée pour l’occasion, un bel effort d’auteur pour intégrer sa « tribu » à son travail. Chad lui ressemble, peut-être son fils aîné : « Chad, malgré ses seulement 13 ans, commençait à développer un début de carrure, avec de fins muscles naissants » p.41. Owen, le cousin, « demeurait un peu poupon ». Mais progressivement le Chad élancé et dynamique va se faire supplanter par l’Owen moins physique mais plus réfléchi. C’en est émouvant. Les deux garçons sont flanqués de Connor, « presque 14 ans » et déjà « basculé du côté du mâle » avec le sexe en ligne de mire, musclé en débardeur et « un peu bourrin » mais prenant les choses comme elles viennent, ainsi que de Corey, 13 ans comme eux, frère cadet de la nounou engagée pour garder le bébé Zoey, Gemma, presque adulte avec ses 17 ans.

La maison idyllique inquiète de plus en plus la famille idéale. C’est le chien qui revient terrorisé de la forêt, puis le bébé qui hurle dans la nuit, répétant sans arrête « clignote ! clignote ! » comme s’il avait vu un fantôme, c’est Olivia qui perçoit une présence noire. Puis voilà les garçons, partis en exploration au-delà de la ravine qui sépare la ville du plateau, au pied du mont Wendy qui supporte l’antenne, en butte aux menaces coupantes d’un épouvantail planté dans les maïs ! Qui va les croire ? Même si l’éviscération en direct du fils du fermier peut en témoigner… et qu’ils s’aperçoivent que Wendy est l’abréviation Disney du Wendigo, le monstre indien des forêts. Mais ne seront-ils pas accusés du crime ? La lacération du bide semble un fantasme récurrent de l’auteur, toutes les griffes et les couteaux visent ce point précis du corps, peut-être le plus vulnérable. Pour le reste, les survivants ont le tee-shirt lacéré, les jambes griffées, le flanc blessé. Le sadisme ne se passe pas qu’en imagination !

Les teens enquêtent à la bibliothèque et s’aperçoivent que leur collège a été bâti juste au-dessus de l’intersection des deux rivières qui traversent la ville – juste à l’endroit où une trentaine d’Indiens a été massacrée par les colons puritains au XVIIe siècle. Owen se fait une peur bleue dans les toilettes du collège lorsqu’il perçoit une présence maléfique qui tente de l’agripper. Tom, de son côté, se rend compte avec trouble que sa nouvelle maison a une histoire – et pas des plus réjouissantes : elle a été la masure d’une sorcière brûlée à Salem tandis que ses deux fillettes étaient lynchées par les bigots en délire ; elle a connu ensuite un toqué d’ésotérisme venu de Californie avant un couple dont le mari et la fille se sont suicidés – il faut dire que le père violait la fille. La mère survivante est en hôpital psychiatrique. L’avocat new-yorkais qui avait acheté la maison a fait faillite, d’où la « bonne affaire » des Spencer.

En bref, le lieu est mauvais et l’arrivée de la famille a déclenché dans la maison une révolution de spectres tandis que la ville tout entière est, depuis quelque temps, en proie aux morts inexpliquées dues à une panique noire. Le shérif Warden est un gros « connard » macho et borné comme son président, et l’adjoint venu de Philadelphie Ethan Cobb ne peut y croire… avant de l’expérimenter sous la ville, avec les ados. Seul un lance-flammes bricolé avec un pistolet à eau rempli d’autre chose parvient à tenir à distance des entités maléfiques qui hurlent et griffent avant de mordre, d’aspirer et de broyer. L’horreur.

La suite sera dantesque, dans un Armageddon où l’au-delà prend le pouvoir pour quelques heures. Inutile d’en dire plus, sauf que tous les méchants ne sont pas éradiqués et que tous les bons ne sont pas sauvés. Dans l’indifférence de la nature (et de Dieu pour les croyants), seul le courage et l’initiative font la différence. La mère est une louve pour ses petits, le père entreprend ce qu’il faut, les aînés tempèrent l’imagination et les excès des plus jeunes qui, eux, résistent à tant de pression psychologique par des embrassades et des torrents de larmes. Le lecteur quitte ce livre lent au début et prenant sur la fin avec de quoi faire des cauchemars les nuits de nouvelle lune.

Un bon thriller – qui veut dire qui fait frémir – dont les pages sont bordées de noir comme les faire-part de deuil..

Maxime Chattam, Le signal, 2018, Pocket 2020, 908 pages, €9.95 e-book Kindle €9.49, CD audio €26.90

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un homme idéal de Yann Gozlan

Mathieu (Pierre Niney, 26 ans au tournage) est le Julien Sorel moderne. Comme le héros de Stendhal, il part de rien, au bas de la société, et veut arriver par les lettres. Il veut conquérir la femme et la fortune pour être enfin quelqu’un. Sauf qu’il n’a pas de talent véritable et que les romans qu’il écrit sont insipides et lassants ; ils sont tous refusés par les éditeurs. Machines à fric, ces derniers se contentent de la lettre administrative standard pour refuser les manuscrits (qui ne sont pas rendus). Or Mathieu voudrait bien savoir pourquoi ce qu’il écrit ne fonctionne pas. Sa femme plus tard lui livrera la clé : « La différence entre un bon auteur et un mauvais auteur c’est le discernement. Un bon auteur quand c’est mauvais il jette. »

Déménageur au noir chez son oncle, il survit de petits boulots qui lui font quelques muscles et lui assurent la matérielle, mais il voudrait émerger. Lors d’un enlèvement de colis dans un lycée, il entend quelques minutes la conférence d’une jeune bourgeoise lettrée, Alice (Ana Girardot), qui évoque les parfums comme réveillant la mémoire dans le roman. Il en est subjugué.

Lorsqu’un beau jour il découvre le cahier manuscrit d’un ancien appelé en Algérie entre 1956 et 1958, il tient là de quoi publier : un modèle. Son auteur est mort sans héritier et les déménageurs mettent tout à la benne. Mais, parce qu’il veut arriver vite, Mathieu fait ce que tous les jeunes de sa génération (10 ans en 2000) font avec leur CV ou leurs mémoires et thèses : il triche (les grandes écoles usent de logiciels anti-plagiat contre ça). Il aurait pu présenter le texte et le publier en l’absence d’héritiers ; il aurait pu s’en inspirer pour en faire un roman en modifiant les noms et les dates… Mais non : il s’approprie le texte brut et le signe de son nom ; il n’invente même pas le titre, Sable noir, qu’il trouve en marge du manuscrit.

Il croit seulement mettre un pied dans la porte pour publier ensuite ses propres romans, une fois son nom reconnu. Mais le succès surgit, imprévu, et cela le dépasse. Il doit gérer les interviews et les cocktails mondains qui ne sont pas de son monde. Il se documente à la bibliothèque et sur le net, va au plus facile (les livres illustrés pour enfants) et aux résumés wikipèdes. Il apprend par cœur quelques dates et événements pour faire croire. Ainsi que quelques citations sur l’écriture trouvées sur YouTube pour briller devant les critiques (dont une de Romain Gary).

Il obtient le prix Renaudot (comme Matzneff), un prix de journalistes et de copains. Voilà Mathieu Vasseur lancé comme jeune espoir de la littérature en France. Il écrit sec, direct, attentif aux petits détails. Du moins le cahier volé est-il ainsi rédigé – car lui ne parvient pas à imiter son modèle ; il n’essaie même pas, se contentant de retravailler son manuscrit refusé.

Il se marie avec Alice mais, trois ans plus tard, l’éditeur s’impatiente : le montant des à-valoir dépassent le budget et Mathieu n’a toujours pas livré de second roman. En vacances dans la villa sur la côte d’Azur des parents d’Alice, Mathieu s’acharne mais rien ne vient. C’est l’angoisse de l’écran bleu (version moderne de la page blanche). D’autant que le succès le poursuit, l’empêchant de se concentrer. Lors d’une dédicace en librairie de la ville, un homme, Vincent (Marc Barbé) se présente comme ayant connu le véritable auteur du cahier ; il a le matin même envoyé à la villa une photo de l’appelé en Algérie. Il fait chanter le juvénile et fragile Mathieu à peine de le dénoncer publiquement devant ses riches beaux-parents et devant la presse avide de scandale (et de trainer dans la boue ceux qu’elle vient d’adorer).

Mathieu perd prise ; il ne contrôle plus rien, tout part à vau-l’eau : il doit trouver 50 000 € pour contenter le maître chanteur, fournir un manuscrit terminé à son éditeur, couvrir ses dettes auprès de son banquier, penser à Alice qui se déclare enceinte !… Sauver les apparences en étouffant l’incendie là où il se déclare est la seule façon de rester ancré dans la réalité car le rêve est terminé. On ne devient adulte qu’à ce prix. Or Mathieu est entre-deux, encore adolescent par son corps fluet et nerveux, ses grands yeux expressifs, son émotion à fleur de peau et son long décolleté imberbe. Comme Alain Delon jadis dans Plein soleil, ou La piscine, Pierre Niney exprime une violence latente par tout son corps. Il est en pleine tension du désir : aimer, écrire, arriver. Mais, comme Julien Sorel, il est pris dans l’engrenage de la fatalité, chaque initiative entraînant son lot de conséquences.

Ainsi simule-t-il une agression pour justifier auprès de son éditeur la perte du nouveau manuscrit sur son ordinateur détruit.

Ainsi vole-t-il des pistolets de collection du beau-père pour l’équivalent des 50 000 € du chantage. Mais il les cache dans la maison en attendant le rendez-vous avec l’homme et Stanislas (Thibault Vinçon), le filleul du beau-père, le découvre. Il soupçonne Mathieu d’être un imposteur dès l’origine, probablement parce qu’il n’a pas les codes de son milieu bourgeois et qu’il est un brin jaloux de la préférence d’Alice et de l’admiration de son parrain. Dans la lutte, Mathieu le frappe d’un coup de crosse – et le tue. Cela non plus n’était pas prévu et il doit encore improviser, s’enfonçant un peu plus dans le mensonge au risque d’y perdre son âme. Il ficelle le corps dans une bâche comme un rôti et va le jeter en mer. Las ! des pêcheurs le prennent dans leurs filets car il n’est pas allé assez loin : il ne va jamais assez loin dans l’escroquerie mais pare au plus pressé, en naïf encore immature. Son ADN va parler mais il retarde le prélèvement.

Ainsi invite-t-il son maître chanteur qui lui demande encore de l’argent à venir avec lui dans la villa que les parents ont quitté pour Londres quelques jours. Il introduit une pièce de monnaie dans le mécanisme de la ceinture de sécurité pour qu’elle soit inutilisable puis fonce avec la BMW du beau-père dans une paroi de terre. Lui s’en sort, ceinture et airbag, pas son voisin. Il l’installe alors à sa place de conducteur, lui met son portable dans la poche et sa montre au poignet puis brûle le véhicule. La police, candide ou préoccupée d’autre chose, admet la thèse de sa mort. Le maître chanteur, bien que disparu, ne gêne personne : telles sont les invraisemblances de la fin, un brin acrobatique, de ce thriller pourtant bien mené.

Mathieu devient alors une non-personne : il retourne travailler au noir et se cache de ceux qui l’ont connu célèbre (pas son oncle ni ses ouvriers qui se moquent des livres comme de leur premier slip). Il aurait pourtant pu orienter autrement sa vie : Alice, en lui disant être enceinte, stimule en lui la maturité et lui permet d’accoucher d’un roman aussi de lui que son enfant. Sous le titre Faux-Semblant, il y conte directement son histoire de faussaire, dans le même style direct de l’appelé d’Algérie. Parler de ce qui vous arrive est plus facile que d’inventer des personnages. Ayant démêlé l’écheveau de son destin, il aurait pu être adulte, père, écrivain et bourgeois des lettres arrivé ; ce n’est passé qu’à un cheveu, comme dans Match point. Mais s’il ressurgit, son ADN parlera dans l’enquête sur la mort de Stanislas et, le corps calciné n’étant pas le sien, il sera accusé d’un second crime avec préméditation.

Il ne peut que se faire oublier. Mais pour combien de temps ? Est-il condamné à rester non-existant sans jamais se faire repérer, sans pouvoir officiellement travailler, sans jamais qu’on lui demande ses papiers ? Il voulait être quelqu’un et il n’est plus personne – ou plutôt il n’est que ce qu’il laisse derrière lui : une publication devenue célèbre sous son nom, un second roman de lui qui semble réussir et une petite fille. Comme Achille, comme Julien Sorel, il aura eu une vie courte et brillante plutôt que longue et terne. Deux ans plus tard… mais je vous laisse découvrir le choix qui sera fait. .

Pierre Niney porte le suspense de bout en bout, blanc-bec et décidé, ambitieux et amoral, mais pas complètement : il se sait imposteur et ne parvient pas à incarner le mal entièrement. Le spectateur le trouve alternativement sympathique et antipathique, sans talent mais inventif, inabouti et courageux. Au fond, tout est vanité sociale dans la comédie humaine : briller, c’est se brûler les ailes ; être soi-même, c’est être rejeté par la horde légère de celles et ceux qui font l’opinion – sauf si l’on a du talent. Mais le travail ne suffit pas à le créer, contrairement aux promesses de la méritocratie bourgeoise… Cette découverte du candide 2015 au mitan de sa vingtaine rend le personnage attachant.

DVD Un homme idéal, Yann Gozlan, avec Pierre Niney, Ana Girardot, André Marcon, Valeria Cavalli, Thibault Vinçon, Marc Barbé, TF1 studio 2015, 1h33, €7.16 blu-ray €4.49 

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jacques Martin dix ans après

Il y a tout juste dix ans disparaissait Jacques Martin, le père et créateur d’Alix, Enak, Héraklion, Malua et autres adolescents et adolescentes. Il a eu d’autres enfants : Guy Lefranc et Jeanjean à la fin du XXe siècle, Arno sous Napoléon, Loïs marin sous Louis XIV, Jhen au moyen-âge, Orion à l’époque grecque de Périclès, Kheos en Egypte antique  – mais ses fils imaginaires les plus forts restent Alix et Enak.

Alix est un autre lui-même, idéalisé ; Enak est l’enfant adopté, jeune basané d’Egypte où les mystères de la tradition se mêlent à la grâce physique. Martin fera d’Enak son petit prince. Alix est l’avenir, Enak le passé. Tous deux participent de la culture, ce pourquoi ce sont peut-être des héros si forts.

La dernière page de couverture des albums d’Alix est un symbole du destin. La colonne de calcaire qui s’élève en son milieu est l’arbre du monde. Comme Alix, de solide souche gauloise figurée par le calcaire blond, de culture gréco-romaine figurée par sa taille élancée et ses cannelures qui répondent à la musculature élégante du jeune homme. C’est la civilisation qui donne à Alix ce port fier et souple, solide et hardi, sans l’excès des gladiateurs ni la banalité sèche des travailleurs. Autour de la colonne grimpe un rosier sauvage comme plus tard sur les tombes d’Héloïse et d’Abélard (ou le lierre des frères Van Gogh). Rouge et frais comme la jeunesse vivace et l’attachement, il symbolise Enak, le petit ami, sa fidélité naïve malgré sa faiblesse, son amour pudique et jaloux, sa ténacité. Autour s’étend la mer, Mare nostrum, lac civilisé, cœur du monde romain et centre du monde connu. Dès qu’on s’en éloigne, la barbarie surgit : le désert, les sauvages, les cruels, les tyrans. Le navire est là, à voiles et à rames, symbole de l’humanité industrieuse. Même lorsque les éléments sont défavorables, l’esquif avance, mû par l’ingéniosité des hommes.

Tous les pères successifs d’Alix meurent : Astorix de chagrin, Toraya au combat, Graccus du cœur – puis César qui sera bientôt assassiné… Comme Jacques Martin, Alix est orphelin. L’auteur a été délaissé par un père lieutenant, brillant aviateur de l’escadrille des Cigognes durant la Première guerre mondiale mais tué en autogyre quand le jeune Jacques avait 11 ans. L’enfant fut mis en pension. L’esclavage parthe d’Alix est analogue à la pension Sainte-Euverte, près d’Orléans, où Jacques a été placé. Il y a été « éduqué » sous la férule des pères en religion, quêtant sans cesse un modèle paternel.

Alix adoptera comme père spirituel César, le consul républicain qui incarne la valeur et la vertu romaine. Le jeune homme n’aura de cesse de se vouloir une figure paternelle lui aussi, cherchant sans cesse à défendre d’autres orphelins plus jeunes des deux sexes. Enak, Héraklion, Kora, Sabina, Herkios, Zozinos sont tous des chiens perdus sans collier, solitaires, abandonnés, avides de reconnaissance et d’amour. Il leur couvre les épaules de son bras protecteur. Toraya, sauveur d’Alix dès le premier album, vend la mèche : « comment ne pas éprouver une grande pitié pour un enfant perdu ? » (Alix l’intrépide p.17). Le dessin des enfants souffrants se fait romantique, tel Enak gisant assommé au pied de ses bourreaux, à 10 ans.

Alix est le prénom Alice au masculin, d’origine germanique. Le garçon pourrait être alsacien, comme son créateur Jacques, né à Strasbourg. Il ne vient pas de Gaule centrale puisque le Vercingétorix empli de démesure n’est pas son modèle (Vercingétorix), même s’il lui reconnaît de la bravoure (Alix l’intrépide). Le tempérament national gaulois divise ; il est anarchique, archaïque, paysan. Il a produit, selon Jacques Martin, la honteuse défaite française de 1940 qui va l’obliger aux chantiers de jeunesse puis l’emporter au STO, dessiner pour Messerschmitt.

Si l’éducation d’Alix enfant s’est faite en Gaule comme fils de chef, pareil au petit Jacques, il ne devient adulte qu’à Rome, pays urbain, civilisé, discipliné. Alix n’évoque ni ne recherche son vrai père, peut-être parce que les chefs sont trop pris pour élever leurs enfants ? Le propre père de Jacques Martin l’a abandonné pour ses avions avant de le laisser échouer en pension puis se construire lui-même.

La civilisation, au sortir de la guerre de 1939-45, est américaine. Roosevelt en est le héros. La menace raciale a été vaincue (l’Allemagne nazie) mais pas la menace totalitaire du despotisme asiatique (l’URSS de Staline). C’est pourquoi Jacques-Alix combattra sans relâche les tyrans : les cléricaux adeptes de la pureté du sang dans Le prince du Nil, l’empire absolutiste dans L’empereur de Chine, les dictateurs et autres conducators dans Les proies du volcan, Iorix le grand ou Vercingétorix, les religieux sectaires dans Le tombeau étrusque et La tiare d’Oribal. Il y a même une case prémonitoire contre la burqa dès 1956 dans Le sphinx d’or ! L’honnêteté de l’âme, la vertu morale et la liberté de chacun exigent un visage découvert. C’est cela la démocratie – tout ce qui est haï et rejeté par les théocrates de tous dieux.

Jacques Martin dessine avec détails et minutie les corps et les paysages, mais surtout les villes. Il reflète un ordre du monde voulu par les dieux : de riches plaines ensoleillées, des cités organisées, rationnellement aménagées. Apollon le véridique, dieu d’Alix, règne sur la raison lucide et la morale généreuse ; il cantonne Artémis la chasseresse à l’arc, déesse d’Enak, aux domaines vierges, extérieurs à la civilisation urbaine. César le républicain, aidé d’Athéna, déesse de la loi raisonnable et de la cité, pacifie l’univers barbare et réprime les passions débridées. Discipline et justice civilisent, tel est le message de ces années pré-68 aux adolescents lecteurs du Journal de Tintin.

Vanik le dit, cousin d’Alix à qui César a attribué un gouvernement en Gaule : « Des maisons confortables ont remplacé nos pauvres huttes et la prospérité succède à la misère. Non, je ne veux pas que la barbarie revienne en Gaule. » On a reproché à Jacques Martin ce dessin trop académique, qui comporte des erreurs ou des inventions archéologiques – mais peu importe, ce qui compte est le symbole.

La beauté morale se révèle dans les corps maîtrisés : Alix, Enak, Héraklion, Herkion, Zozinos ; la laideur morale s’illustre par l’excès : Iorix, Qââ, Vercingétorix, Maia, Archeloüs, Sulcius – le double d’Alix en plus narcissique, plus musclé et plus cruel dans Roma, Roma.

Souvent le rajout, le baroque du dessin, sont une façon d’illustrer la démesure, celle de la nature, des États ou des hommes. Comparez la vêture d’Héraklion à celle d’Herkios : le premier est simple et droit, le second paré et apprêté. Leur destin divergera…

Les excès de parures de la forêt vierge, des forteresses cachées ou des villes nouvelles, des costumes ou de la musculature, sont une preuve physique de l’exubérance non maîtrisée qui peut déboucher sur des cataclysmes (invasion de serpents, tremblements de terre, foudre), industriels (rupture de barrage, effet de pile dans Le dieu sauvage, explosion de L’île maudite et du Spectre de Carthage) ou moraux (Arbacès, Iorix, Vercingétorix, Sulcius…). A l’inverse, les héros sont sereins, équilibrés, harmonieux. Leurs corps sains témoignent d’esprits sains où la générosité, l’amitié et la sociabilité se révèlent.

Atteint de dégénérescence maculaire aux yeux, Jacques Martin n’a pas pu dessiner Alix et Enak jusqu’au bout. Ses collaborateurs nécessaires ont été inégaux : Rafael Morales est maladroit avec les corps, Ferry est meilleur mais Christophe Simon surtout garde la pureté du trait et la grâce des jeunes corps mieux que les autres.

Jacques Martin s’est éteint à 88 ans d’un œdème pulmonaire le 21 janvier 2010.

Marié, deux enfants, il laisse plusieurs petits-enfants mais ses vrais fils sont Alix, son double (qui deviendra sénateur de Rome sous le crayon de Thierry Démarez), et Enak, son fils d’adoption.

Prix et honneurs :

  • 1978 France Prix de la meilleure œuvre réaliste française au Festival d’Angoulême pour Le Spectre de Carthage
  • 1979 Prix Saint-Michel du meilleur scénario réaliste pour l’ensemble de son œuvre
  • 1989 France BD d’Or 1er salon européen de la BD de Grenoble pour Le Cheval de Troie
  • 2003 Grand Prix Saint-Michel, pour l’ensemble de son œuvre
  • 2005 Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres
  • 2008 Crayon d’or au 22ème festival de bande dessinée de Middelkerk

Les albums BD dAlix sur ce blog

Catégories : Alix, Bande dessinée | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Michèle Makki, Pompéi : Le sang et la cendre

La Belle et la Bête dans le décor mythique de Pompéi enseveli sous le Vésuve, tel est le (premier) roman de Michèle Makki, prof férue d’histoire. Avec les qualités – et les défauts – du genre. Une histoire romanesque mais au rythme mal maîtrisé ; des personnages typés mais peu fouillés ; une longueur de page mais pas de longueur en bouche. Au total, vous ne vous ennuierez pas vraiment mais vous oublierez aussi vite. Aucun personnage ne vous fascinera, comme si l’écrivain avait tissé un scénario de série télé, laissant aux acteurs le soin d’incarner la psychologie de chaque caractère.

Vera est une jeune fille de 15 ans, fille d’un propriétaire veuf de la campagne pompéienne nanti d’une certaine aisance. Il veut marier sa fille pour lui assurer un avenir matériel, prérogative du pater familias dans une société mâle où – si la femme hérite et peut divorcer – seul l’homme de la famille commande et la femme reste sous sa tutelle juridique. Le prétendant choisi, Quintus, est un bel homme musclé à l’aube de la maturité mais, Vera le découvrira très vite, il n’aime que les garçons. Ce qui était rare à Rome, les hommes goûtaient souvent à la fois aux garçons pour le plaisir et aux femmes pour la descendance ; les garçons jeunes suscitaient le désir par leur côté féminin, leur « vénusté ». A noter que l’âge du mariage à Rome était à 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons… ce qui incitait à allier patrimoine et plaisir. Toujours est-il que, bizarrement, Quintus a la décence de mourir brutalement d’on ne sait quoi. Vera se retrouve veuve à 16 ans. Peut-être est-ce parce que l’auteur est femme qu’elle pénètre mal la psychologie de l’homme ?

Elle campe bien mieux le désir vénal du commerçant parvenu Mercilius, qui veut réaliser une bonne affaire en gestion de patrimoine en mariant Vera à ses domaines. Sauf que la jeune fille ne veut pas du vieux barbon barbant et vulgaire. Elle préfère la jeunesse musculeuse – et quoi de mieux qu’un gladiateur pour ce faire ? Même si cela est socialement mal vu, le gladiateur étant à peine au-dessus de l’esclave, elle choisit Albanus, aperçu sur une charrette lorsqu’il est amené à Pompéi pour combattre au cirque. Il est grand, blond, musclé – tout ce qui convient à l’adolescente (le concept n’existait pas chez les Romains où l’on était enfant puis initié adulte d’un coup, à 16 ans).

Vera va visiter les cellules des gladiateurs et apporte des mets à Albanus qui ne voit pas pourquoi cette jeunette s’intéresse à lui. Il a été accouplé esclave et a eu trois petits, dispersés lors d’une vente, et il en garde la nostalgie. Baiser avec une pute ou une patricienne est dans ses cordes, mais d’amour, point. La relation va se poursuivre, ambiguë et mal décrite, des passages ardents succédant aux passages étales sans qu’une progression soit montrée. Vera est passive et sans idée, particulièrement inconsistante malgré ce qui nous est présenté comme son amour passion. Albanus tient-il à Vera autant qu’elle à lui ? Sans doute pas, et pourtant il éprouve un certain attachement pour elle. Il faut dire qu’il lui a ravi brutalement sa virginité à la troisième visite, croyant que c’était ce qu’elle voulait pour insister autant.

Quelques péripéties plus tard, dont un « enlèvement » grotesque sur quiproquo qui aboutira à un mariage de veufs ; quelques personnages plus tard dont un adolescent beau et infatué qui consume le magot confié pour acheter un âne pour se payer une pute – le Vésuve entre en éruption. Exit le jeune et tendre Métellus (17 ans ?), abattu d’une pierre ponce en pleine tête ; nous aurions aimé le voir devenir un homme. Nous sommes en 79 et la ville va être entièrement brûlée, ensevelie, éradiquée. Vera et ses amis se trouvent heureusement vers Misène et ils peuvent fuir, mais ils ont tout perdu. Ils sont ruinés, obligés de monter à Rome se faire inviter par des cousins ou relations. La tante Sexta (rien à voir avec le sexe) a emporté un sac d’or, beau caractère de matrone avisée, et se refait dans le commerce. Vera s’y consume d’ennui. Albanus, qui a sauvé le patricien Marcus, a été acheté et affranchi, engagé comme garde du corps mais Marcus a perdu sa femme et ses enfants et reste apathique (bien que ?) chrétien. Albanus va donc combattre en gladiateur libre pour se constituer un magot. Il ne rêve que d’aller retrouver sa femme et ses enfants, les racheter. Que peut Vera contre ce désir ?

L’homme est libre et la femme attachée. A lui l’aventure et le combat, à elle la maison et l’enfant. Une fois Albanus embarqué sur un bateau pour le sud, Vera se découvrira enceinte – de lui. Elle accouchera d’une petite fille et oubliera (trop vite ?) son père. La fin du roman apparaît d’autant plus précipitée que le début est lent.

L’introduction cachée du christianisme est évoquée mais sans en faire un quelconque ressort de l’histoire, alors que l’égalité homme-femme du message chrétien aurait pu favoriser la vie en commun de Vera et d’Albanus, une forme de renaissance à une société nouvelle après les drames du temps : explosion du Vésuve, incendie de Rome, peste, mort de l’empereur. J’ai cependant un doute historique sur le Notre père, récité par Faustina, l’épouse de Marcus. Le roman est censé se passer en 79, or la prière du Notre père ne figure pour la première fois que dans les évangiles de Matthieu (VI) et de Luc (XI), écrits après 70 et avant 85, plus probablement sur la fin de la période – et diffusés surtout au Proche-Orient. Faustina paraît bien en avance sur la théologie pour réciter une prière chrétienne avant même qu’elle ne se répande ; une invocation juive aurait été plus proche de la réalité, le christianisme étant resté une secte juive assez longtemps sous l’égide de Jacques, frère de Jésus, à Jérusalem, avant de diverger notamment avec Paul.

Petit détail qui fait désordre : pourquoi écrire « singesse » pour la femelle du singe p.196, alors qu’il existe le très français « guenon » ? [Note : il en existe une occurrence chez Huysmans (En rade), amateur de mots rares et précieux. C’est un dépréciatif très peu usité]. Quant à la déesse Vénus, pourquoi toujours publier son nom sans accent sur le é comme on écrit « venus » ?

Des trois ingrédients du roman, l’histoire, les caractères, le style, la première prime ici sans conteste. Pour l’ensemble, Steven Saylor, sur la période romaine, a mieux réussi. Mais c’est un premier roman documenté qu’il convient d’encourager, il en apprendra beaucoup aux non-historiens sur le monde romain du 1er siècle.

Michèle Makki, Pompéi : Le sang et la cendre, 2019, éditions Baudelaire, 598 pages, 22€

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jeux interdits de René Clément

L’enfance, la guerre, la mort ; la France, l’exode, la défaite – ce sont ces trois thèmes qui reviennent en boucle dans cette histoire de l’an 40, dont les Français « se fichent » selon leur proverbiale bêtise.

Une petite fille de 5 ans, Paulette (Brigitte Fossey, 6 ans) voit ses parents mitraillés par un stuka allemand sur la route de l’exode où l’auto de Parisien parentale a rendu l’âme. Ce sont le papa et la maman de Brigitte qui ont joué les victimes dans le film. Elle court après son petit chien, forçant ses parents à la suivre – et à mourir. Tout comme le chien. Car l’enfant blonde porte la mort en elle : ses parents, son chien, le cheval affolé qu’elle suit qui tue le fils aîné des paysans… Une réminiscence inconsciente peut-être des brutes blondes qui envahissaient le pays livré à l’impéritie contente d’elle-même des vieilles badernes et à la lâcheté de sa bourgeoisie. Il aurait fallu poser la question à l’auteur du scénario, François Boyer qui en fit un roman, Les Jeux inconnus, réédité sous le titre du film au vu de son succès.

Il n’y a rien « d’interdit » à vivre son enfance, à récuser la mort, à aimer par résilience quiconque se présente et s’intéresse à vous. Et pourtant si : la fin en témoigne, poignante d’abandon dans une France en proie au chaos et à l’égoïsme. Car ils ne sont pas beaux, les Français de 40 : des fuyards pressés qui marchent sur les retardataires aux pécores bornés par leur petite existence et par la haine du voisin, jusqu’à l’indifférence des « sœurs » de la Croix rouge qui collent une étiquette sur une enfant comme on tamponne un dossier.

Paulette rencontre Michel (Georges Poujouly, 11 ans) quelque part en Auvergne (le père lit La Montagne). C’est un garçon de 10 ans déluré mais gentil, petit dernier d’une portée fermière aux trois garçons et deux filles. Le gamin garde les vaches, court partout pieds nus dans ses godasses et débraillé, ébouriffé et les mains sales. Mais ce gavroche populaire est pleinement dans la vie, le cœur débordant de générosité. Il adopte la blondeur et les yeux clairs de la fillette tombée du ciel par les stukas ; il la console, l’écoute, joue avec elle.

La première chose est d’enterrer son chien, jeté au ruisseau par une matrone frustre, juchée sur sa charrette en fuite tandis que son homme la tire. Elle n’en veut pas, de cette bouche à nourrir, confite en égoïsme frileux, mais le mari l’a prise, attendri, et elle doit faire avec. Sauf qu’une auto trop pressée coince la carriole au bord d’un pont et que Paulette, qui ne se sent pas accueillie, s’enfuit entre les jambes des fuyards pour atteindre son chien qui dérive au fil du courant. C’est avec la bête morte dans les bras que Michel la découvre, poursuivant une vache folle. Il la ramène à la maison et entre avec elle dans le monde imaginaire de l’enterrement.

En ces années d’ignorance et de dressage, la France éduque ses enfants par la trique et le par-cœur (cela n’avait guère changé encore dans les années soixante). Michel est bon élève au catéchisme, sans croire vraiment qu’il y ait un Dieu tel qu’on le décrit, et il récite son par-cœur sans en penser un seul mot. Comme ses parents et ses frères ou sœurs sont encore plus ignares et indifférents que lui, il se venge de l’autoritarisme paternel en mélangeant exprès les prières. Il n’y a que lorsque son frère aîné (Jacques Marin) est au plus mal et crache le sang dernier qu’il remet à l’endroit les paroles, par superstition, comme si elles avaient un pouvoir. Pour lui comme pour les adultes et pour le curé, la croix, « qu’est-ce que c’est ? – Ben, c’est l’bon Dieu ! ».

Pour Paulette, il faut donc une croix pour son chien et, afin qu’il ne reste pas seul dans son trou comme les humains enterrés à la va-vite « hop, comme des chiens ! », il faut enterrer d’autres animaux morts : un cafard qui passait par là « ça pue ! », un poussin que Michel est allé voler chez les voisins Gouard et a ramené à même sa peau sous la chemise, un « verre de terre », un hérisson, un loir et ainsi de suite. Pour cela il faut des croix et encore des croix.

Comme son père (Lucien Hubert) l’a taloché pour avoir usé du marteau dans la maison alors que son frère agonisait et qu’il a entrepris de clouer une croix « dans la maison d’un mourant, ça porte malheur ! », il faut les voler. Au-dessus du corbillard, dans le cimetière, dans l’église même – au risque de se faire prendre par le curé (Louis Saintève), ce qui ne manque pas d’arriver. Nouvelles taloches – on battait beaucoup les enfants dans la France autoritaire et mesquine jusque dans les années 1980. Mais le comble est la croix du frère, à peine enterré, que Michel a transporté avec la brouette. Le père accuse les Gouard, les voisins haïs par jalousie parce que le vieux a été médaillé de sauvetage et que le fils est parti à la guerre alors que les siens ne sont pas assez bons et réformés. Les deux pater familias (Lucien Hubert et André Wasley) se battent en plein cimetière, roulant jusque dans une tombe ouverte jusqu’à ce que le curé vienne les séparer.

Lorsque les gendarmes arrivent à leur ferme, la famille croit que c’est sur plainte des Gouard, mais c’est seulement parce qu’ils ont entendu parler de Paulette et qu’ils viennent la chercher pour la confier à la Croix rouge. Au grand désespoir de Michel, naïvement amoureux de la petite ; elle ne veut pas le quitter, comme tous les enfants petits qui s’attachent à la première figure qui s’intéresse à eux quand les parents ne sont plus là. Le père promet de la garder mais c’est une promesse en l’air, comme les Français autoritaires et mesquins en faisaient aux enfants jusque dans les années 1980. Paulette est enlevée et Michel, au désespoir, jette toutes les croix volées dans la rivière qui passe sous le moulin. Les deux enfants ne se reverront jamais et le monde imaginaire qu’ils ont créé avec leur jeu sera désormais « interdit ». Les Français, autoritaires et mesquins, adorent « interdire » encore aujourd’hui, des gens de gauche aux gens de droite, des religions aux réseaux sociaux, jusque dans l’université où avoir « dit » un mot tabou ou commis ce qui est devenu « un crime » un demi-siècle plus tard vous « interdit » à jamais de parler.

Ce film simple et cru arrachait des larmes aux adolescents des années 1960 et 1970, je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui (avec le cynisme narcissique ambiant, j’en doute un  peu). L’arrangement à la guitare de Narciso Yepes devenu une scie des premiers pas en guitare, un instrument fort à la mode dans ces mêmes années, jouait pour beaucoup. Il reste la perte de l’innocence et une belle histoire d’amour plus fort que la mort dans une France en loques à la moitié du siècle précédent. La lumineuse Brigitte Fossey a commencé à 6 ans sa carrière, étant même présentée à la reine Elisabeth, tandis que son compère Georges Poujouly a grandi en muscles mais guère en notoriété, son principal film ayant été à 17 ans Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle.

Lion de Saint-Marc à la Biennale de Venise 1952

DVD Jeux interdits, René Clément, 1952, avec Georges Poujouly, Brigitte Fossey, Lucien Hubert, Laurence Badie, Suzanne Courtal, Jacques Marin, Marcel Mérovée, Louis Saintève, André Wasley, StudioCanal 2009, 1h21, €8.61

François Boyer, Jeux interdits (Les jeux inconnus), 1947, Folio 1973, 149 pages, €6.80

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un justicier dans la ville 2 de Michael Winner

Juste avant le tournant moral et rigide opéré sous Reagan, Hollywood n’en finissait plus de vilipender le laxisme post-68. New York, Los Angeles, étaient gangrenées par la violence des jeunes marginaux, dealers, violeurs, voleurs. L’architecte Paul Kersey (Charles Bronson) avait dans un premier film (plus soft en 1974) vu sa femme tuée et sa fille violée à New York. Malgré sa description précise des agresseurs, la police n’avait rien foutu et les juges avaient laissé tomber ; il avait dû régler lui-même cette affaire. Cette fois, lorsque la même chose lui arrive à Los Angeles, il ne fait plus ni confiance à la police ni à la justice : il se fait justice lui-même.

Chacun sait que le christianisme version protestante ne reprend les livres de l’Ancien testament que dans leur version en hébreu, alors que le catholicisme les reprend dans leur version traduite en grec par les Septante. Il y a quelques divergences d’interprétation. Pas plus l’une que l’autre n’est « authentique » car les versions ont été copiées et recopiées durant des centaines d’années, non sans quelques modifications, mais la Bible en hébreu est plus radicale que la Bible en grec, et les protestants sont plus rigoristes (et les producteurs du film, Menahem Golan et Yoram Globus, sont juifs). Si le Christ leur dit qu’il faut aimer ses ennemis, eux préfèrent le diction ancien : œil pour œil, dent pour dent. Ce pourquoi la peine de mort subsiste dans de nombreux états américains.

La République américaine est née de la résistance au colonialisme anglais et s’est voulue fédérale pour diviser les pouvoirs. Chaque citoyen est comptable de la patrie, il ne délègue à « l’Etat » le monopole de la violence légitime que sous vigilance. Ce pourquoi il garde le droit de porter des armes. Lorsque l’Etat et les institutions sont défaillants, il prend lui-même son destin en main. Ces films du début des années 1980 ne font que préfigurer ce qui sera la « réaction » américaine après le 11-Septembre 2001, puis le Wikileaks de Julian Assange ou le film XIII : la résistance personnelle soit à l’anarchie laxiste, soit au contrôle centralisé.

A Los Angeles, les jeunes populaires, Blancs et Noirs mêlés, sont gonflés d’hormones et égarés de cocaïne. Ils se baladent en groupe, torse nu sous des gilets ouverts ou arborant un tee-shirt filet qui laisse voir leurs muscles. Ils bousculent, insultent, prennent. La société bourgeoise libérale de gauche les laisse faire, idéologiquement impuissante et physiquement indigente. Son inverse, Rambo, naît à cette date, revivifiant le mythe du Batman athlétique qui bat les méchants sur leur propre terrain. Kersey se voit dépouillé de son dollar mais aussi de son portefeuille par cinq gars en allant acheter une glace pour sa fille Carol (Robin Sherwood), restée muette après son viol à New York. Il poursuit l’un des agresseurs, un Noir armé d’un couteau au tee-shirt filet – mais ce n’est pas lui qui a le portefeuille.

Il passerait donc la chose par pertes et profits si son permis de conduire avec son adresse ne figurait dans le portefeuille. La bande des cinq va repérer sa maison, une demeure cossue dans un quartier vert. Et elle décide d’entrer. La cuisinière femme de chambre Rosaria (Silvana Gallardo) est brutalement violée, ses vêtements déchirés. Elle est prise dans le couloir, sur le lit, par chacun des jeunes hommes bien membrés. Le film la montre entièrement nue et s’étend complaisamment sur la scène du viol avec violence suivie de meurtre, dans les cris de la victime et les halètements d’excitation des agresseurs. Kersey rentre à ce moment avec sa fille et il est vite assommé. La femme de chambre nue tente d’attraper le téléphone mais maladroitement, ce qui fait du bruit ; le chef blond qui porte un pied de biche lui en balance un coup qui lui fend le crâne aussi sec.

Le gang doit fuir et Carol est emmenée dans leur squat, un sous-sol de parking miteux. Comme elle est belle et pubère, l’un des Noirs la viole consciencieusement, doucement mais profond, après lui avoir ôté soutien-gorge et culotte. Carol reste frigide comme une poupée gonflable malgré les caresses sur les seins, les suçons de téton et l’ardeur du mâle. Comme quoi le « faites l’amour, pas la guerre » des hippies pacifistes ne suffit pas au bonheur. Une fois l’affaire faite, elle se relève et profite d’un moment de flottement pour fuir. Poursuivie, elle se jette dans une fenêtre et tombe sur une grille hérissée de piques où elle s’empale et meurt. Est-ce un suicide ? Est-ce une réaction normale de fuite ? Est-ce une « leçon morale » pour dire que la loi du plus fort aboutit à la volonté de ne plus vivre du reste de la société ?

Devant ce désastre, Kersey ne décrit pas les agresseurs à la police qui, de toutes façons, sera inefficace ; s’ils arrêtent l’un ou l’autre, les juges décréteront des circonstances atténuantes ou un égarement psychiatrique au moment des faits. Lui préfère faire justice à sa manière : au revolver, comme un cow-boy de l’ancien temps.

Il va dès lors acheter des vêtements de pauvre, louer une chambre miteuse pour 50 $ par mois à un Chinois dans le quartier miteux, et passer ses soirées à rechercher la bande. Il s’y reprendra à deux fois avant de les abattre un à un, profitant de nouvelles agressions de leur part ou d’un deal d’armes contre drogue. Un flic de New York (Vincent Gardenia) a été appelé en renfort par la police de Los Angeles parce que le mode opératoire des exécutions rappelle celui qui avait eu lieu. Rusé, le flic suit Kersey en taxi lors de son périple nocturne mais se trouve embringué dans la fusillade avec les trafiquants et prend une balle mortelle. Kersey peut donc continuer sa traque car il lui en manque un au palmarès (Thomas F. Duffy).

Las ! Les flics mettent la main sur lui in extremis et il passe en jugement. Comme de bien entendu, le juge prononce un internement psychiatrique car sa raison était altérée au moment des faits. Le violeur fait un signe de victoire à sa mère. Kersey va s’introduire dans l’hôpital psychiatrique et finir par le tuer, non sans mal car la bête est puissante et réactive.

Pour lier la sauce, une amourette sans grand intérêt avec une journaliste de radio (Jill Ireland, épouse de Charles Bronson) s’entremêle à la vengeance. La belle a des idées libérales, milite contre la peine de mort et se trouve convaincue par « l’antipsychiatrie » (très à la mode dans les décennies 1960 et 70) qui traite en douceur les malades, ce qui leur permet le plus souvent de mieux simuler et d’échapper au pénitencier. La belle âme s’offusque de la loi du talion et ne conçoit pas « l’amour » à l’état de nature. Elle fait donc ses valises et fuit dans sa coûteuse voiture de sport racée, la Chevrolet Corvette Sting Ray convertible. L’intello-bourgeoisie refuse de regarder le réel en face, ce pourquoi un ancien acteur cow-boy réactionnaire remporte la présidence en janvier 1981.

Car si la vengeance personnelle n’est pas socialement acceptable (auquel cas, à quoi sert l’Etat ?), les carences de la police, de la justice et le laxisme moral ambiant des couches intellectuelles n’est pas plus socialement acceptable. Un juste milieu humain est à tenir entre la punition (indispensable) et la faute sociale équitablement pesée (qui entraînera réinsertion). Seul l’un des garçons a tué ; les autres ont violé. Quand Kersey donne la mort à chacun, est-ce proportionné ? Est-ce « justice » ? La froideur de Kersey face aux bourreaux, son absence de souffrance exprimée lors de l’enterrement de sa fille, l’absence d’empathie envers sa compagne journaliste, en font une sorte de machine implacable peu crédible. Est-ce voulu ? Tout citoyen ne peut s’improviser vengeur impunément.

DVD Un justicier dans la ville 2 (Death Wash 2), Michael Winner, 1982, avec Charles Bronson, Robin Sherwood, Jill Ireland, Vincent Gardenia, Ben Frank, Silvana Gallardo, Thomas F. Duffy, Laurence Fishburne, VERSION LONGUE Sidonis Calysta 2019, 1h31, standard €16.99 blu-ray €19.99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Misère sexuelle début de siècle

Michel Houellebecq avait raison, il y a plus de vingt ans, de dénoncer la fausse « libération » sexuelle post-68. L’exigence de la mode était de baiser à tout va, n’importe où, et avec n’importe qui. « On aime s’envoyer en l’air » décrétait un vieux couple – jeune en 1968 – dans une récente publicité pour un comparateur de vols aériens. Mais être dans le vent ne signifie pas que le vent vous porte : il peut aussi vous souffler.

Pire est la sexualité adolescente d’aujourd’hui, avant tout numérique. Le réel fait peur, la faute aux parents timorés qui enjoignent à leurs petits de ne pas faire confiance, à personne, jamais. Ni sourire dans la rue, à peine un salut (et seulement aux gens déjà connus), ne pas suivre. L’hystérie télé est passée par là avec les « affaires » médiatiques de pédophilie. Même si elles sont statistiquement rarissimes (et à 75% en famille…), pas plus fréquentes hors domicile que les homicides, et moins que les morts par accident de voiture, elles contraignent le comportement de tous, tous les jours. A force de s’enfermer, la société crée des autistes : pourquoi cette pathologie se développe-t-elle autant ces dernières décennies ?

Certains rigoristes, en général esclaves de morales religieuses jamais pensées, mettent en cause la capote, la pilule et l’avortement comme un lâcher de freins. Les femmes, désormais libérées d’une grossesse non désirée, se débonderaient. Goules hystériques, elles sauteraient sur le premier venu pour se faire jouir, allant d’amants romantiques (mais bien membrés) aux sex-boys et aux tendres sex-toys éphèbes des cougars. Mais le fantasme mâle patriarcal des religions du Livre ne fait pas une réalité. Les filles sont tout aussi tendres et affectives que les garçons et, si leur jouissance est plus lente à venir, exigeant tout un environnement physique, affectif et moral, elles n’en sont pas plus animales.

Contrairement à ce que voudrait faire croire la doxa machiste – et le commerce bien pensé. L’industrie du porno fleurit en effet d’autant plus que les outils du net sont désormais à sa disposition depuis une génération. Des acteurs et actrices payés pour cela « jouent » un rôle en exhibant leur sexe, soigneusement maquillé  (épilation, lustrage rose des petites lèvres pour les filles, huilage des muscles et viagra pour les garçons). Ils caricaturent « l’acte » en le multipliant, prenant des poses de cascadeurs, émettant des sons de jouissance comme les rires mécaniques des émissions drôles. Tout cela vise à divertir, à exciter, à vendre – tout cela n’est pas la réalité.

LA BOUM, Alexandre Sterling, Sophie Marceau, 1980

On ne fait pas des bébés dans l’outrance pornographique mais dans l’amour partagé. Et c’est cela qu’il faut expliquer aux enfants. Les tabous iniques des religions du Livre (toujours elles) empêchent les parents de jouer leur rôle de guide. « On ne parle pas de sexe, c’est grossier ; ce n’est pas de ton âge ; on verra ça plus tard ; le docteur t’expliquera ; tu n’as pas de cours d’éducation sexuelle à l’école ? » ; « pas de torse nu à table » ; « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; « ferme ta chemise ; met un tee-shirt ; met tes chaussures ! » Ces injonctions du rigorisme puritain effrayé par le qu’en dira-t-on, que n’en avons-nous entendu ! Or ne pas dire, c’est cacher. Induisant donc la tentation de l’interdit et son revers : la solitude devant l’émotion.

Les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés aux images pornographiques. Non seulement dans la rue parfois, mais surtout sur le net. Vousentube diffuse des vidéos sans filtre ou presque ; d’autres sites en accès libre sur Gogol permettent d’observer des corps nus s’affronter dans des halètements ou sous des coups violents, les pénis érigés comme des masses et pénétrant comme des couteaux terroristes le corps des victimes esclaves – qui ont l’air d’en profiter et de jouir, comme les mémères appelées à la consommation par les magazines à la mode lus chez le coiffeur.

Que font les parents ? Ils chialent lorsqu’on leur met le nez dedans, comme des toutous peureux la queue entre les jambes. « Je ne savais pas ; ma petite puce ! » ou « mon cher ange ! Comment penser qu’à cet âge innocent… » Ils ne voient pas parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils se cantonnent dans leurs soucis et leurs problèmes de couple, indifférents au reste, sauf à Noël et aux anniversaires peut-être. Ils n’écoutent pas, ils ne répondent pas aux questions.

Pourtant légitimes : comment fait-on les bébés ? c’est quoi l’amour ? mes petites lèvres sont-elles trop grandes ? mon zizi est-il trop petit ? comment on met une capote ? sucer, c’est mal ? Si les parents répondaient avec naturel à ces questions intimes, sans fard mais avec raison, les enfants et les adolescents ne seraient ni intrigués par l’interdit, ni traumatisés par l’expérience. Mais voilà, les tabous ont la vie dure – sauf sur le net, où tout se trouve comme au supermarché.

Vaste hypocrisie des sociétés « morales » qui ont pour paravent la religion mais laissent faire et laissent passer sans filtre tout et n’importe quoi. Les Commandements sont affichés et revendiqués, mais nullement pratiqués. Tout comme ces « règlements et procédures », en France, qui ne durent que le temps médiatique : on fait une loi – et on l’oublie : tels l’interdiction des attroupements d’élèves devant les écoles, le voile en public, l’expulsion des imams salafistes, l’enquête sur les habilités au secret Défense, et ainsi de suite. La loi, pour les Latins, est toujours à contourner, par facilité, laxisme, lâcheté.

Dès lors, comment ne pas voir la misère sexuelle de la génération qui vient ? Regardez successivement deux films et vous en serez édifiés. La Boum sorti en 1980 et Connexion intime, sorti en 2017. Ils ont 37 ans d’écart – une génération. Ils sont le jour et la nuit. Ils se passent tous deux en lycées parisiens, à la pointe des tendances sociologiques. Les parents des deux films sont toujours occupés et ne prennent pas le temps de parler à leurs adolescents, garçon ou fille – qui cherchent ailleurs communication et affection. Mais autant La Boum est romantique et pudique, autant Connexion intime est égoïste et mécanique. La sensualité n’existe plus, les cols sont fermés, les torses enveloppés de tee-shirts larges et de sweaters informes, les manteaux boutonnés – seules les filles s’exhibent, mais dans leur chambre et à distance, en sous-vêtements coquins, se prenant en selfies pour poster sur les réseaux.

« L’amour » s’y réduit au sexe et les caresses n’ont plus leur place : on ne se touche plus le visage, les épaules ou la poitrine, on ne se caresse pas les seins ni les tétons. Seules la bouche et la bite sont sollicitées avec pour summum « d’Acte »… la pipe. On suce dans les toilettes, on se branle devant un film – mais on ne parvient à rien sur un lit avec un ou une partenaire réelle. D’où Félix accro au porno et Luna qui se met en scène comme une star sur un site de rencontres. Chloé, 15 ans, provinciale parachutée à Paris, cherche l’amour et ne le trouve pas ; ni son amitié avec Luna (qui la manœuvre), ni son inclination pour Félix (qui l’utilise) ne sont de l’amour. Ce n’est que du sexe, égoïste, mécanique. Les ados de La Boum étaient tendres, mignons ; ceux de Connexion intime sont froids, répugnants.

Entre les deux films, le net. Outil qui est la meilleure et la pire des choses, comme tous les outils. Mais surtout la démission égoïste des parents, portée par cet individualisme du « ils n’ont qu’à se démerder » ou du « que fait l’Etat ? », déjà pointé par Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires en 1999.

Catégories : Cinéma, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

American History X de Tony Kaye

Le melting pot américain n’est en fait qu’une salad bowl : les ingrédients ne s’y mélangent pas et chaque communauté reste entre soi, haineuse à l’égard des autres. Ce pourquoi un pompier blanc parti éteindre un incendie dans le ghetto noir se fait descendre par un dealer noir : par simple haine. Ce pompier, incarnation du citoyen américain moyen, bon époux et bon père de famille, était le père de Derek (Edward Norton), alors bon élève en Terminale.

Celui-ci, dès lors, pète les plombs : à quoi cela sert-il d’obéir à la loi si l’ambiance sociale est à l’indulgence pour les délinquants ? Si le libéralisme féminin de gauche trouve toujours des circonstances atténuantes à une minorité noire qui n’est plus esclave depuis déjà 150 ans ? Si les aides sociales et la discrimination positive profitent toujours aux mêmes, qui ne font rien pour se prendre en main ? Si les Blancs démissionnent et se soumettent à la loi des Noirs qui occupent les terrains de sport près de la plage de Venice et font de leur quartier une zone de non-droit ? L’exemple récent de Rodney King (en 1992), tabassé par les flics de Los Angeles parce qu’il les agressait après avoir été arrêté pour rouler bourré à 190 km/h est exemplaire : le coupable ce n’est pas lui mais les flics qui défendent la loi et les citoyens ! Ce que Derek ne veut pas voir est que faire respecter la loi est une chose, abuser de sa force une autre. Ni les délits, ni les inégalités, ni les injustices économiques ne justifient de transgresser la loi ou de se séparer de la nation. Même si certains se sentent plus « frères » que les autres, les états sont unis et le patriotisme doit être plus fort. C’est ce que se dit l’intelligent Derek, à qui son père a pourtant appris l’esprit critique : tout ce qu’on lit ou apprend à l’école n’est pas à prendre au pied de la lettre ; la Case de l’oncle Tom, c’était il y a plus d’un siècle et demi.

Derak s’est sculpté un corps aryen sainement musclé mais sa jeunesse le rend vulnérable aux passions et la haine est la première, équivalente en intensité à l’amour. Il aimait son père, il aime son petit frère Danny (Edward Furlong), 14 ans, qui le voit comme un dieu et s’est rasé le crâne sans acquérir une carrure comme la sienne ; il aime sa mère cancéreuse et ses sœurs vulnérables. Cet amour centré sur la cellule familiale engendre en réaction la haine des Noirs qui l’ont écornée. Il cherche un coupable pour expulser sa hargne et le mécanisme du bouc émissaire agit à plein sur son âge influençable. Il suit les conseils insidieux d’un Blanc mûr qui révère le Troisième Reich et vit de la vente de vidéos pronazies. Cameron (Stacy Keach) a fondé un gang de jeunes Blancs musclés au crâne rasé avec pas grand-chose dedans qu’il a nommé Disciples du Christ ; il joue au führer mais reste dans l’ombre, se délectant de voir la pègre défiée.

Sur le fond, pourquoi pas ? A toute communauté qui se ferme répond une autre communauté qui revendique autant de droits. Les territoires se gagnent, le respect aussi. Lorsqu’il organise un match de basket sur le terrain en bord de plage, Derek fait gagner son équipe, ce qui expulse les Noirs de la zone. Jusque-là, rien que de légitime.

Tout dérape lorsque la haine en retour de certains Noirs de l’équipe vaincue aboutit à tenter de voler la voiture du père de Derek, garée devant la maison. Alerté par son frère Danny alors qu’il est trop occupé à baiser à grands ahans sa copine gothique Staecy (Fairuza Balk), il sort en caleçon, svastika noire glorieusement affichée au-dessus du cœur et défouraille, menacé par l’un des agresseurs qui tient un pistolet. Jusque-là, c’est de la légitime défense, rien à dire dans les mœurs américaines – même si les armes en vente libre constituent selon nous, Européens, un net danger social. Mais lorsqu’il achève volontairement le second Noir blessé, un membre de l’équipe adverse qui l’avait défié les yeux dans les yeux après l’avoir frappé en plein match au mépris des règles, il va trop loin. Il lui place la mâchoire sur le rebord du trottoir et, d’un coup de talon, lui éclate la tête devant les yeux horrifiés du jeune Danny. Est-ce un rite nazi ? Une pratique esclavagiste ? Il semble que le Noir sait de quoi il retourne avant de crever.

Les flics arrivent aussitôt, alertés par les voisins des coups de feu. Derek est inculpé d’homicide volontaire et écope de trois ans à la prison pour hommes de Chino. Trois ans seulement parce qu’il est Blanc et en état de semi-légitime défense ; son codétenu Lamont (Guy Torry), un Noir à la lingerie qui le fait rire et le prend en amitié, a écopé de six ans pour avoir seulement laissé tomber un téléviseur volé sur le pied du flic qui lui attrapait le bras. Deux poids, deux mesures ? C’est ce que comprend Derek en prison.

Il n’est pas au bout de ses surprises : son idéalisme suprémaciste blanc est mis à mal par l’un des durs de la Fraternité aryenne incarcérée. Derek le voit ostensiblement trafiquer avec des Hispanos, violant le code racial idéal. Dès lors, le jeune homme comprend que c’est l’égoïsme qui mène les gens, pas les principes, et que « la race » n’est qu’un prétexte pour gagner et réussir. On ne joue pas collectif comme dans l’équipe de basket, on en profite perso pour ses trafics. Renouant alors avec « les nègres », Derek est violé sous la douche par le plus macho des Frères aryens. Après cette mésaventure et six points de suture à l’anus, il reçoit la visite du docteur Sweeney (Avery Brooks), son ancien prof d’histoire en prison, le même que celui de Danny. Il fait partie du comité ayant à juger de sa libération conditionnelle. Derek lui expose ses doutes et sa désorientation. Et celui-ci lui demande s’il s’est posé les vraies questions. Par exemple : « Est-ce que ce que tu as fait a amélioré ta vie ? »

Tout est là. La haine engendre la haine en retour, comme une vendetta sans fin ; elle aveugle sur les qualités des autres, les différents – ce dont Derek se rend compte en prison, forcé de travailler face à Lamont ; elle ne permet pas de constater avant la sortie que Lamont le protège sans en avoir l’air des viols et des blessures mortelles des Noirs, bien plus efficacement que les soi-disant « frères » blancs. Le docteur Sweeney avoue avoir eu la haine lui aussi quand il était jeune, contre les Blancs qui avaient asservi sa race et maintenaient sa communauté dans le sous-développement social, contre la société et même contre Dieu ! Mais il s’en est sorti par les études, et la culture lui a montré que le racisme était une castration de l’être, inefficace en société. C’est une réaction primaire, qu’il faut surmonter si l’on veut avancer. L’identité oui, la haine des autres pour se la constituer, non.

Lorsqu’il sort de prison après trois ans, son petit frère Danny vient de remettre par provocation un devoir d’histoire sur Mein Kampf : le sujet était de commenter un livre, ce qui choque son prof, juif et ex-amant de sa mère. Le principal est le docteur Sweeny qui connait bien les deux frères ; il décide alors de prendre en main Danny et lui offre le choix : l’expulsion ou un cours d’histoire qu’il intitule American History X. En référence à Malcolm X qui reprenait le sigle appliqué sur le bras des esclaves ; en référence au Christ qui était désigné par cette abréviation (le « vrai » Christ opposé au « faux » de Cameron ?). Mais X est aussi la valeur inconnue en mathématique, ce qu’il faut trouver. Son premier devoir sera donc de relater l’itinéraire de son frère aîné et de l’analyser.

Derek est accueilli comme un dieu par le gang de skinheads et Cameron lui fait miroiter la direction de tous les gangs qui se sont développés sur la côte ouest et qui se rassemblent. Mais il n’en veut pas ; il veut rompre avec tout ce folklore pour demeurés, avec ce ressentiment sans avenir, avec cette haine qui n’aboutit qu’à reconduire la haine – tout en profitant aux affaires commerciales de Cameron. Il le frappe, maîtrise le gros Seth (Ethan Suplee qui déclare « je ne suis pas gros, je suis costaud ! »), rejette sa copine Stacey qui ne pense qu’à briller dans le gang, jouissant quasi sexuellement de la violence et des gros muscles. Elle ne l’aime pas puisqu’elle ne veut pas lui faire confiance et le suivre. Danny, 17 ans, ne comprend pas et le violente mais Derek le calme, lui explique son itinéraire en prison et pourquoi il en est venu à penser que tout doit être différent. Son petit frère, au contraire de Stacey, lui fait confiance parce qu’il l’aime. Il le suit. Edward Furlong est très bon acteur dans les rôles de petit frère soumis.

Il rédige donc dans ce sens le devoir que le docteur Sweeney lui a demandé pour le lendemain et sa conclusion, après que Derek lui ait raconté, est celle du discours d’investiture d’Abraham Lincoln : « Nous ne sommes pas ennemis, mais amis. Nous ne devons pas être ennemis. Même si la passion nous déchire, elle ne doit pas briser l’affection qui nous lie. Les cordes sensibles de la mémoire vibreront dès qu’on les touchera, elles résonneront au contact de ce qu’il y a de meilleur en nous. » Hélas ! Alors qu’il va pisser au collège, un Noir le descend d’un coup de pistolet, celui-là même qu’il avait défié d’un regard quelques jours auparavant. La haine demeure – la vendetta va-t-elle se poursuivre ? Le film reste sur ce suspens.

Mais l’on voit avec Trump, vingt ans après, qu’elle est sans fin parce que le ressentiment ne meurt jamais et que, plus courtes sont les idées, plus elles marquent les esprits obtus et faibles. Les Yankees ne forment pas un peuple mais une mosaïque, le patriotisme n’existe que s’ils sont attaqués sur leur sol. Entre temps, c’est chacun pour soi, le Colt dans une main pour expédier et la Bible dans l’autre pour justifier ; les financiers et le lobby de l’armement et du pétrole commandent, les riches se préservent de la racaille, les flics tuent plus de Noirs que de Blancs, l’école se délite dans le politiquement correct et la niaiserie sentimentale.

Qu’avons-nous encore de commun avec ces gens-là ?

DVD American History X, Tony Kaye, 1998, avec Edward Norton, Edward Furlong, Beverly D’Angelo, Avery Brooks, Jennifer Lien, Ethan Suplee, Stacy Keach, Fairuza Balk, Metropolitan video 2001, 2h03, standard €6.99 blu-ray €8.70

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Plage des émois adolescents

L’été en son plein annonce la fin des vacances, cet état où l’on vaque sans contraintes. Les adolescents déjà mûrs y sont particulièrement sensibles et, avec les semaines déjà passées, ont pris des usages décontractés.

Ils se frottent l’épiderme dans le sable mouillé pour exister plus intensément, surtout quand les copains et copines jouent à vous ensabler pour exacerber un peu plus le contact.

Les sensations s’y révèlent plus crues, les corps ont pris l’habitude d’être regardés et les physiques se détendent.

Ils sont tels qu’ils sont et se montrent.

Les filles sont fières de leurs seins, qu’elles moulent en bikini.

Ou les dévoilent sous le tee-shirt mouillé, plus excitants que s’ils étaient nus.

Les nymphettes mêmes captent cette exaspération du désir et imitent les grandes pour mouler leur poitrine encore imparfaite au-dessus de leur ventre plat et de leurs cuisses de sauterelle.

Les prime adolescents mâles jouent aux presque adultes, la peau fine et translucide remplaçant pour qui les regarde les muscles qui tardent à se galber.

Mais ils sont fièrement exhibés dès qu’ils ont poussé – ce qui est programmé par la génétique.

Si possible à deux pour accentuer l’effet.

Catégories : Mer et marins, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

George Mosse, L’image de l’homme

Les stéréotypes sont des cubes de la pensée moyenne. Ils objectivent, rendent visible et jugeable. La nature humaine n’échappe pas à leur rage classificatoire et normalisatrice. George Mosse retrace l’histoire du stéréotype masculin qui nous régit encore aujourd’hui, depuis son émergence à la fin du XVIIIe siècle. Il montre que les valeurs de volonté de puissance, d’honneur et de courage, ont été imposées par la classe moyenne, en empruntant et déformant celles de l’aristocratie. Ces normes ont envahi tout le corps social, de l’ancienne noblesse à la classe ouvrière, au fur et à mesure de l’ascension bourgeoise. Formés à l’époque moderne, les stéréotypes masculins sont les symboles médiateurs d’une société désorientée par les bouleversements historiques.

L’auteur observe successivement la formation, la cristallisation, puis la crise du stéréotype masculin. Il s’interroge enfin sur les prémices d’un autre modèle de virilité.

La norme masculine moderne se forme à la rencontre du duel noble et du modèle grec. Les idéaux de l’aristocratie étaient ceux d’une caste guerrière. L’honneur était lié à la puissance du sang, à la noblesse du lignage. La lâcheté étant la pire des insultes, l’aspect physique était de peu d’importance. Ces idéaux se sont peu à peu abâtardis en « code chevaleresque » de simple appartenance sociale, au fur et à mesure que la société se pacifiait. L’apogée est vécu à la Cour avec ses rituels purement mondains et ses intrigues en coulisses. La sensibilité bourgeoise moralise les valeurs des guerriers, l’apparence l’emporte sur le comportement, la vertu est préférée à l’honneur, l’individu à la lignée. Le duel, des rencontres de salon au rite de passage des étudiants allemands, sont le symbole de cette émergence. L’idéal masculin, dans sa force et sa prestance, devient le symbole même de la société et de la nation dès la Révolution française.

Plus profondément, alors que le Moyen Âge croit qu’une âme vivante habite un corps inerte, les Lumières considèrent l’unité du corps et de l’esprit. La Renaissance a fait retrouver les principes antiques d’esprit sain dans un corps sain, la beauté physique devenant alors le reflet de la beauté morale. À la fin du XVIIIe siècle, ce modèle rencontre l’individualisme bourgeois en plein essor. La physiognomonie de Johann Lavater (1781), l’éducation d’Emile de Jean-Jacques Rousseau (1762) et l’histoire de l’art de l’Antiquité de Johann Winckelmann (1764), reflètent l’aspiration à la jeunesse, à la vigueur, à l’harmonie des athlètes grecs. La virilité devient puissance et maîtrise de son corps et de ses passions. Les édifices publics sont décorés à l’antique et les musées font entrer l’art académique dans la sensibilité bourgeoise.

La société avait besoin d’ordre et d’énergie : le modèle grec, revisité, est un accomplissement de la nature et de ses lois, il donne un fondement solide à un monde en rapide transformation industrielle et sociale. Pour se différencier et s’établir, la virilité s’oppose à la féminité, perçue comme un négatif. Le peintre David crée le Serment des Horaces (1784) pour dresser les vertus du mâle romain face aux faiblesses des passions féminines. L’enseignement des humanités n’aura dès lors de cesse, dans les collèges de la bourgeoisie, de faire de même jusque dans les années 1960.

Ce modèle bourgeois normatif n’était pas le seul possible pour l’époque. Le romantisme préférait plus de sentimentalité, de concret incarné au détriment de l’idéal abstrait, le prochain plus que la nation ou l’universel. Son modèle était plus androgyne, moins outré, Apollon plutôt qu’Héraclès. Il ressurgira périodiquement dans les utopies anarchistes, chez les « décadents » fin de siècle comme chez nos modernes hippies et routards des années 1970.

La cristallisation du stéréotype bourgeois s’est opérée différemment selon les pays : la gymnastique germanique, le fair-play anglais, la chrétienté musclée des calvinistes, le patriote français. La gymnastique alliait l’hygiène aux vertus éducatives ; il s’agissait de retrouver l’homme à l’état de nature, Apollon du belvédère ou guerrier indien, avant d’établir un équilibre bourgeois à la maturité entre témérité et couardise. La jeunesse devait être réunie en vraie communauté germanique sans distinction de religion, de région ou de caste. En France, la gymnastique a été liée au service militaire dès la Révolution. La bourgeoisie voulait éduquer de « vrais » hommes – pas efféminés – disciplinés, travailleurs, modestes et persévérants. Tel était l’idéal de la hiérarchie militaire et industrielle qui connaîtra son acmé en 1914.

Le Royaume-Uni fait figure d’exception en Europe en promouvant les sports d’équipe plutôt que la gymnastique des individus. Dans les collèges privés, réformés en 1830, la force morale du sport vient renforcer les enseignements de piété et de vertu. Ces comportements normatifs de chrétienté musclée remontent à Calvin : maîtrise des passions, tempérance, pureté sexuelle et morale. S’impose alors la vision victorienne de piété et de virilité, où la vertu chrétienne complète et tempère la virilité esthétique grecque. Cet idéal est adapté aux soldats modernes à qui l’on demande discipline, sacrifice, héroïsme. Les idéaux militaires pénètrent toute la société par l’idée de patrie et l’essor du nationalisme.

L’image de la femme en émerge en négatif. Le corps féminin est connoté d’une beauté sensuelle et sexuelle qui l’oppose au corps du héros viril. Les raisons de cette division entre les sexes trouvent leur fondement dans les mouvements de la société : établissement de la famille nucléaire, exclusion de la femme dans la société industrielle, besoin bourgeois d’ordre et de dynamisme.

Une fois cristallisé, le stéréotype établit son contretype : les parias de la société symbolisent le désordre physique et moral. On en crédite les juifs, les bohémiens, les vagabonds, les homosexuels, les dépravés, les classes dangereuses. La laideur est perçue comme un désordre : rien n’a d’harmonie, tout bouge, le dessin physique n’est pas clair et net, l’attitude « pas très catholique ». La sensibilité est assimilée à un désordre nerveux et sexuel (masturbation, luxure, vice). Le médecin remplace le curé comme arbitre de la morale. Le Juif devient le « sous-homme » concret d’Europe, son nez « crochu » s’oppose au nez droit grec, sa vieillesse rabougrie à l’idéal de jeunesse virile. Les nègres sont forts mais barbares (désordonnés) ; on les crédite d’une vie sexuelle débridée et d’un goût pour l’agitation violente (la « musique nègre »). Les homosexuels franchissent la barrière tranchée établie entre les sexes, et cette transgression angoisse profondément la société qui perd ses repères « naturels » ; ils sont persécutés surtout en période d’insécurité. Les femmes dangereuses sont celles que l’on appelle les « femmes fatales », insatiables, qui dévirilisent et pompent l’énergie du mâle, le détournant de ses devoirs (conjugaux, familiaux, professionnels, civiques et patriotiques).

« L’idéal de l’homme moderne fut vulgarisé par les textes et les images : pour l’atteindre, il fallait affermir son corps, faire la guerre, défendre son honneur et endurcir son caractère. Ce stéréotype est resté étonnamment constant depuis sa naissance jusqu’à récemment » p.81.

La crise de ce modèle allait engendrer l’idée de « décadence » et précipiter une réaction militariste. La médecine définit la santé et la beauté comme des valeurs morales, et le débat porte sur les déviances sexuelles et autres « dégénérescences » sentimentales et sensitives, volontiers qualifiées d’hystériques. Dès 1890, les homosexuels revendiqués, les efféminés, les garces, garçonnes et autres femmes masculines, suscitent les avant-gardes, les mouvements de jeunesse, le naturisme. Les Expressionnistes sont des révoltés actifs qui veulent renverser les mœurs, exagérant la virilité pour instaurer le règne des émotions. Les mouvements de la jeunesse allemande des Wandervögel parcourent la campagne, campant, chantant, exaltant pureté et endurance, exhibant de virils torses nus, symboles d’un authentique corporel et d’une sincérité morale. La force n’a rien à cacher et la santé s’impose d’elle-même.

La société tout entière se durcit : les ligues de pureté chrétienne, l’influence des médecins, la discipline des collèges et du service militaire visent à mettre au pas les déviances. « La volonté de puissance, le courage, la force face à la douleur, faisaient rempart contre la décadence » p.106. Le modèle encouragé est la virilité chaste des scouts. La première guerre mondiale va promouvoir le sens du sacrifice, la camaraderie, le courage. La virilité sera durablement associée au militarisme avec une nouvelle dimension : la brutalité. Montherlant (guerre, sport, tauromachie), Drieu (guerre égale vitalité), Jünger (guerre égale aventure virile), T.E. Lawrence (le courage guerrier des vrais hommes) mythifient l’aventurier, tandis que le pilote de guerre (Mermoz, Saint-Exupéry) joint l’aventure à la chevalerie. George Mosse note un écart révélateur entre les représentations des soldats sur les monuments aux morts : chez les Anglais, les expressions sont vives et radieuses ; chez les Allemands, elles sont sérieuses, dévouées, disciplinées. Ces derniers donneront les modèles jumeaux du nazisme et du stalinisme.

L’homme nouveau du socialisme est un impératif moral. Le mâle prolétaire, avant-garde de l’histoire, doit s’accomplir en servant une cause qui est de créer une société « plus humaine » ; il doit donc travailler à devenir plus libre et plus moral. La compétition est une valeur capitaliste et il faut lui préférer la solidarité. Mais le socialisme respecte la respectabilité : il a le goût du travail, de la sobriété, de l’ordre, de la moralité et du soin. Le communiste modèle est la virilité militante, en guerre contre la dégénérescence bourgeoise. Le militant est un combattant discipliné d’une URSS victorienne ; l’ouvrier est un soldat d’usine, magnifié dépoitraillé pour montrer ses muscles ou héroïquement à moitié nu sur les statues en bronze qui peuplent les places des villes socialistes.

Nazisme et fascisme ne procéderont pas autrement : regard droit, pose inspirée et port de tête altier dans l’iconographie des militants. Le nouvel homme fasciste est la virilité extrême. Le fasciste est un guerrier, en croisade pour sa foi nationaliste. L’énergie conduit à la violence, à la barbarie, au combat jusqu’au sacrifice. La culture va aux machines, pas aux livres, car la machine demande d’être actif alors que le livre laisse passif. La famille est un lieu de domination où l’on asservit plutôt que l’on aime : il s’agit de dresser plutôt que d’épanouir, de raidir le bras et la verge en guise de courage plutôt que de laisser la sensiblerie l’emporter. Le soldat de la première guerre mondiale est magnifié par Hitler et opposé au bourgeois, sa discipline portée au pinacle, à l’inverse des traîtres de l’arrière qui ne pensent qu’à l’argent et aux plaisirs. Le nu fasciste de la statuaire est musclé, discipliné et solidaire. Si l’homme nouveau du fascisme italien est flou (il devra se créer avec le temps), celui du nazisme est la froide exécution d’un projet national, hygiéniste et racial.

Mais, comme les communistes, fascistes et nazis restent englués dans le modèle de la respectabilité bourgeoise. Le corps doit rester abstrait, sa représentation cantonnée dans un rôle de symbole social héroïque. La nudité affichée est toujours préparée (peau lisse, imberbe, bronzée), dépourvue de toute charge sexuelle. La virilité pousse à l’extrême sa logique d’exclusion dans le fascisme : la femme nordique a des canons de beauté à l’exact opposé du beau masculin (hanches larges, épaules étroites, poitrine pleine). Quant au Juif, il est l’antithèse caricaturale de l’Aryen : courbé, poitrine creuse, teint blafard, toujours trop habillé par honte de montrer son corps.

Bourgeois, communistes et fascistes conservent le même idéal de virilité. « Si un monde semble séparer l’élégant gentleman britannique et le brave garçon américain du SS idéal, ils sont au fond façonnés dans le même moule réunissant en lui les qualités de force et de séduction esthétique, de réserve et de violence, de dispositions à la générosité et à la compassion ou au combat acharné et impitoyable. Le fascisme et le national-socialisme ont démontré les effrayantes possibilités de la virilité moderne, une fois celle-ci réduite à ses fonctions guerrières » p.179.

Une autre virilité est-elle possible ? L’auteur s’interroge. Même si elle risque d’être infléchie, il y a peu de chances que la vision traditionnelle s’évanouisse. La publicité contemporaine montre des hommes normatifs sur le modèle américain : grands, souples, athlétiques, aux traits ciselés. Ce sont des « durs », ex-joueur de rugby ou ex-commando des marines.

« C’est par érosion et non par confrontation que l’idéal masculin s’est modifié à la fin du XXe siècle » p.184. La « culture jeune » de masse à réhabilité l’androgyne : les Beatles, James Dean, la Beat generation, Jane Birkin. A côté, les punks allemands font plutôt kitsch. Mais, en opposition avec le stéréotype masculin traditionnel, la modernité exalte le joyeux déchaînement physique, valorise les décharges affectives indisciplinées, accepte les cheveux longs et les vêtements unisexes. David Bowie, Boy George, Michael Jackson, contestent la masculinité et la féminité traditionnelle ; le stéréotype masculin s’érotise. « Malgré une plus grande égalité entre hommes et femmes, au sein de la famille en particulier, l’idéal masculin a jusqu’ici tenu bon. Sans être purement dépendant des relations de pouvoir, il se nourrit de tout un réseau de valeurs morales, sociales et comportementales. En tant que ciment de la société moderne, il sera difficile à vaincre. L’histoire pèse de tout son poids » p.194.

Il est utile de comprendre ainsi les ressorts de nos comportements. Comprendre ne veut pas dire forcément accepter ni modifier. L’histoire pèse en effet de tout son poids et les inerties de société ne se changent pas par décret. Nous ne sommes que des êtres partiellement libres, ayant été élevés et éduqués dans une société et une époque données, avec des modèles mâles et femelles particuliers véhiculés par le cinéma, les arts et la littérature. Nous devons surtout y vivre en bonne entente avec nos contemporains.

Ce modèle masculin de virilité je ne peux faire autrement qu’il me convienne, sous peine d’être inadapté et asocial. Tout au plus puis-je préciser ici ma conception relative de la beauté. Pour moi, l’idéal esthétique de l’homme et de la femme résulte de leur vitalité. La beauté est avant tout le résultat de la santé. En cela, je rejoins en tous points les Grecs antiques. Leur idéal est celui de la jeunesse où la santé est la plus vigoureuse, et ils font les dieux sur le modèle de l’éphèbe. Ce modèle rejoint la beauté utilitaire des sociétés traditionnelles où est qualifié de « beau » celui qui accomplit pleinement son être : prestance sociale issue de ses qualités de chasseur et de guerrier. La générosité – le fair-play – résulte de la puissance. Est généreux celui qui est au-dessus de tout cela, le grand pour le petit, le riche envers le pauvre, le sage envers le commun.

La femme est pour l’homme une compagne qui a ses qualités propres. Elle peut être guerrière ou sportive, ce n’en est que mieux pour devenir compagne d’égal intérêt qu’un compagnon ; les films d’action américains en sont désormais remplis, loin du stéréotype de la femme hystérique, pauvre petite chose aux appâts sexuels hypertrophiés et qu’il faut protéger. Que sa physiologie et sa psychologie soit différentes, c’est un fait, mais la société ne doit en faire ni une antithèse, ni une ennemie du masculin. Laissons être chacun dans son essence et que mille fleurs s’épanouissent.

L’équilibre auquel j’aspire ressemble fort à celui de l’Antiquité, avec deux millénaires et demi d’écart. Je suis surtout très loin des enflures disciplinaires de la bourgeoisie industrielle comme de la barbarie des militarismes bottés. Pour moi, est beau qui s’accomplit pleinement comme la fleur s’ouvre au soleil.

George Mosse, L’image de l’homme – L’invention de la virilité moderne, 1996, Pocket 1999, 250 pages, occasion

Catégories : Livres, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

The Impossible de Juan Antonio Bayona

L’impossible (qu’on aurait pu traduire en français) est ce gigantesque tsunami de décembre 2004, en pleine période de Noël, qui dévaste notamment la Thaïlande. L’impossible est aussi cette famille avec trois jeunes garçons qui en réchappe en entier. Entre les deux l’épreuve et, en héros solaire, un prime adolescent : Lucas (Tom Holland). C’est un film, mais aussi une histoire vraie, celle de Maria Belón, 38 ans, médecin, et de sa famille aux trois garçons dont les prénoms ont été repris dans le film : Lucas, 10 ans, Tomas, 8 ans, et Simon, 5 ans. Pour les besoins de l’action, le fils aîné a été vieilli de deux ou trois ans et Tom a 14 et 15 ans au tournage en 2010 et 2011. Garçon anglais petit pour son âge mais musclé par la danse, Tom Holland est plus âgé que son rôle mais assez fluet aux normes internationales (c’est-à-dire américaines) pour figurer 12 ans.

Un couple « européen » (sans indication de nationalité dans le film mais avec un nom anglo-saxon pour plaire à Hollywood) est venu du Japon où le père peine à garder son poste. Ils ont emmené les enfants passer les vacances de Noël en Thaïlande. Le 26 décembre, au lendemain de leur arrivée dans l’Orchid Resort magnifique au bord de la mer d’Andaman, la famille se repose. La mère, Maria, lit sur un transat et le père joue au ballon dans la piscine avec les deux plus petits. Le fils aîné est au bord du bassin et regarde vers la mer, cachée par un rideau de palmiers. Un bruit sourd – soudain une gigantesque vague surgit au-dessus des arbres. Panique. Chacun crie : Lucas ! Papa ! Le gamin plonge dans la piscine in extremis, il sera plus protégé dans l’eau et dans le bassin qu’à l’extérieur avec les branches et les objets ramassés par le flot. Le père qui tient les deux enfants est submergé, la mère éclatée contre une vitre. C’est le chaos.

Le film est centré sur la famille et ne montre quasiment pas les autres. Maria émerge, elle suffoque. Elle hurle, accroché à un tronc d’arbre, mais comme le font les loups à la lune : pour rien car personne ne peut venir à son secours dans la confusion universelle. Elle aperçoit dans le flot une tête qui émerge, c’est Lucas ! Agile et souple, le garçon se coule dans les remous comme il peut. Les deux se rejoignent, manquent de s’accrocher puis se perdent dans les vagues successives.

La mère, épuisée, ne plonge pas comme son fils et se fait heurter par des branches pointues ; elle est blessée, anéantie, démoralisée. Lorsqu’il la rejoint, Lucas est à la fois abattu et en colère : « Je veux rentrer à la maison, plus jamais ça, plus jamais ce pays ! » Sa mère tente de le réconforter en le serrant contre elle, tous deux accrochés à un tronc flottant. Lucas, d’une petite voix, avoue : « Je suis courageux mais j’ai peur ». Il découvre ce qu’est la peur, ce qu’il n’avait pas voulu savoir lorsque son frère de 8 ans, Tomas, lui disait craindre l’atterrissage.

La mer peu à peu se calme et l’eau redescend. Mère et fils reprennent pied et sortent de l’eau. Ils sont en maillot de bain, fatigués et trempés mais il fait chaud. Ils marchent pieds nus dans les champs inondés et Lucas voit les blessures de sa mère, ce qui lui donne une forte émotion car le sang coule. Avec l’adrénaline et le support de l’eau, elle n’a pas encore senti la douleur mais la marche sur la terre ferme puis l’arbre sur lequel elle doit grimper au cas où une autre vague surviendrait l’épuise. Malgré son interdiction formelle pour ne pas qu’il prenne de risque, son fils descend l’aider et lui fait la courte échelle, les muscles bandés par l’effort. Lucas, à peine adolescent, joue les hommes, et c’est touchant. Il sauve littéralement sa mère qui, sans sa présence, se serait laissé aller. Mais elle aussi le conforte, lui donne un rôle et le convainc surtout de répondre aux appels d’un garçonnet emporté par la vague. Lucas trouve Daniel (Johan Sundberg) un petit blond de trois ou quatre ans pas plus effrayés que cela dans le film. Lucas a récupéré une canette de Coca, ce qui leur permet de tenir un peu sur les branches.

Ce sont des villageois venus inspecter les épaves qui les trouvent et les emmènent au village, où ils leurs donnent des vêtements. Lucas, jusqu’ici torse nu, est affublé d’un débardeur verdâtre dont le rôle est de mettre en valeur ses deltoïdes et ses muscles subclaviers, et de le rendre plus mûr que son âge. Les villageois sont frustes, traînant Maria sur les herbes malgré sa jambe blessée, mais compatissants puisqu’ils les réconfortent et les nourrissent. Ils les emmènent en pick-up à l’hôpital de la ville. Pendant ce temps, le petit Daniel a été oublié ; Lucas le retrouvera plus tard dans les bras de son papa, pleinement heureux.

L’hôpital est bondé car nombreux sont les blessés et chacun attend son tour pour être soigné ou opéré. María est très faible et crache du sang. Médecin, elle s’inquiète de sa jambe infectée : si elle passait du rouge au noir, ce serait mauvais signe. Lucas n’a que des égratignures et elle invite son fils à aider les autres pour l’occuper. Pieds nus et maculé de boue et de sang du début à la fin mais apparemment jamais affamé, ce qui est peu plausible, Lucas prend les noms de ceux que l’on cherche et parcourt les rangées de lits pour tenter de les retrouver. Il a le bonheur de voir un père revoir son fils, ce qui lui tire un sourire bouleversé, son père à lui étant probablement mort.

Tout est centré sur l’émotion et les petits détails de la vie réelle sont volontiers gommés par le film. L’émotion suscitée par les images est contagieuse et cette histoire est servie par des acteurs vrais dans leur rôle. Le père (Ewan McGregor ») est très tactile, mettant volontiers la main sur les épaules et serrant dans ses bras ses enfants comme son épouse. Les deux parents tentent de donner à chacun des garçons de l’attention, ce qui n’est pas si courant, et le grand frère, dans l’épreuve, se montre très épris de ses petits frères. Tous font l’œuf lorsqu’ils se retrouvent. Mais le père a échappé au tsunami avec les deux petits qui se sont accrochés miraculeusement aux arbres. Toujours dans l’hôtel dévasté, il doit « prendre la plus grave décision de sa vie » lorsqu’il laisse ses deux benjamins aller dans la montagne avec les évacués, pour rester chercher jour et nuit sa femme et son aîné. « Tu vas encore nous abandonner ? » est le cri du cœur murmuré de Tomas, 8 ans (Samuel Joslin), 10 ans au tournage. Vulnérable dans son débardeur de deux tailles trop grand, il se voit confier malgré son inexpérience la garde de son petit frère Simon (Oaklee Pendergast). Aurais-je laissé les enfants qui me restent ? Probablement non, mais chacun réagit à sa manière.

Tout se terminera bien, après le cache-cache un brin comédie de qui cherche qui dans l’hôpital bondé. Et c’est « l’assureur » (ce démiurge américain de qui peut payer) qui les prend en charge pour hospitaliser Maria à Singapour. L’avion privé emmène toute la famille encore sale et dans les mêmes débardeurs lâches. Ils n’ont ni argent, ni papiers, mais l’ambassade n’apparaît pas une seule fois dans le film. Cela aurait nui au crescendo des émotions, mais affaiblit à mon sens le spectacle. Heureusement que Tom Holland joue un ton en-dessous, évitant l’hystérie même dans les pires moments, et qu’il manifeste seulement par un sourire qui lui illumine le visage sa très grande émotion. Naomi Watts a obtenu pléthore de prix d’interprétation alors qu’elle passe les trois quarts du film couchée sur un lit. C’est plus Maria Belón et son rôle de mère courage que Naomi Watts qui a été récompensée. Tom Holland me semble le meilleur acteur de l’histoire réécrite et certainement le point focal du scénario.

Il reste que, si vous avez plus de 12 ans, vous vivrez des moments d’intense émotion et de remuement familial en regardant contée et embellie par le grand spectacle cette histoire vraie dont le cinéma a fait un scénario vendable.

DVD The Impossible, Juan Antonio Bayona, 2012, avec Naomi Watts, Ewan McGregor, Tom Holland, Samuel Joslin, Oaklee Pendergast, M6 video 2013, standard €8.17 blu-ray €17.32

Catégories : Cinéma, Thaïlande | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Sur l’Orénoque

Nous prenons la pirogue sur la rivière dont le nom est Manamo, pour aller au village le plus près, Santo Domingo, acheter du rhum pour les cocktails et quelques sacs de farine « à offrir aux indigènes » – Javier dixit. Des petits tout nu ou quasi selon leur âge jouent près du bord de l’eau et nous font de grands signes.

Les plus jeunes, encore bébés, sont timides. Les plus grands sont délurés mais parlent peu l’espagnol qui n’est pas leur langue maternelle et qu’ils doivent ingurgiter comme première langue à l’école primaire.

Les petites filles ont l’air plus sage et elles sont de fait plus belles avec leurs longs cheveux et leur attention aux tout-petits. Cela m’émeut toujours qu’un petit encore vulnérable protège un plus petit encore.

Au village, dans la boutique ou Javier négocie les bouteilles de rhum, Deux garçons vêtus de seuls shorts chahutent et se battent. Il s’agit de Jon, 10 ans et de Joël, son frère, 8 ans. Jon est étonnamment beau : le visage rond, des grands yeux francs, le corps robuste où les muscles commencent à saillir, bien campé sur ses jambes, voilà un gamin plein de santé. Les deux frères se poursuivent puis, tout uniment, se jettent à l’eau à corps perdu, directement au travers des plantes aquatiques dans la boue de la rive. Ils en ressortent ornés et gluants, mais heureux, s’étreignant les épaules. Je comprends cette joie du corps en mouvement, de la peau libre, de l’eau, de l’air, des éléments bruts de la nature. Profusion végétale, exubérance de la vie, des plantes, des animaux, des enfants. Tout pousse et croît, dévorant d’un bel appétit les joies de l’existence. La moiteur du delta n’est qu’à peine tempérée par une brise venue de l’amont.

Nous reprenons la pirogue, moteurs à fond, pour trouver des canaux moins fréquentés. Sur les bords du « grand canal » sont érigées des habitations traditionnelles indiennes, de simples toits de palmes ouverts à tous les vents, sous lesquels des hommes et des femmes, en hamacs, se balancent. Les petits courent partout, cuivrés, les garçons au plus près de l’eau, là où ça se passe.

Un adolescent se lève avec prestance, il est en jean et bottes et exhibe un torse brun, souple et musclé. Il nous sourit et nous fait un signe de salut. Dans un canal secondaire, la pirogue d’acier bute contre un radeau de jacinthes d’eau coincées là. Les hélices risquent de se prendre dans les herbes et il faut relever les moteurs et forcer le passage à la pagaie. Les feuilles sont vertes et gorgées d’eau comme de la laitue.

Un peu plus loin, sur la branche en arceau au-dessus du canal, un serpent se prélasse. Il cherche à se confondre avec la forme des branchages mais il ne réussit pas très bien les angles aigus avec son corps trop souple. Il n’échappe pas à l’œil aiguisé de Yannick et il faut faire demi-tour à grands coups de pétarades pour que chacun le voie.

Ce n’est guère plus tard, après avoir passé une barcasse de touristes américains presque aussi étonnés que nous, que nous tentons de pêcher le piranha. « J’en tiens un ! », s’écrire Jean-Claude : ce n’est qu’une tige de jacinthe qui dérivait sous la surface. Les appâts appétissants de poulet cru encore frais n’ont pas de succès, même en agitant la canne pour stimuler les affres de l’agonie. On leur a déjà fait le coup et les piranhas se sont passé le mot. Rien d’étonnant à ce que le programme de Terre d’Aventures ne note pour la journée : « tentative de pêche des piranhas… » Il faut noter les trois petits points ironiques !

 

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ascension du Roraïma

La nuit sous la tente est un peu en pente mais plus fraîche que les précédentes, ce qui me permet de mieux dormir. La falaise d’un rose éteint, maculée de traînées blanches et vertes du Roraïma se dresse, dominante, sur la moitié de notre horizon. La forêt grimpe à l’assaut de la roche mais le chemin vers le plateau passe par une faille en diagonale sur la gauche. Nous l’avons aperçue de loin, hier, en dessous d’une forme rocheuse au sommet de la falaise qui a la forme d’une automobile de profil. Ce repère est le point le plus élevé du tepuy, les références hésitent, certaines déclarent 2810 m, d’autres 2772 m. On l’appelle ici Maverick (qui signifie « franc-tireur » ou « non-conformiste », en tout cas « veau non marqué » en anglais), un mot proche du mot indien qui le désigne. Le plateau se dresse 1000 m au-dessus de la gran savana et du camp de base dans lequel nous nous trouvons ce matin.

Sir Arthur Conan Doyle a fait de ce massif le théâtre de son roman de remontée dans le temps, Le monde perdu. Mais les « dinosaures » qu’il imagine préservés là-haut ne sont que de petits lézards d’un pouce de long, appelés oreophrynelia quelchii en latin. On dit qu’il s’est inspiré du récit que firent de leur première exploration les découvreurs anglais Everard Thum et Harry Perkins en 1884, mais un Allemand, le botaniste Richard Schomburg, l’aurait déjà grimpé en 1842. Formé il y a un milliard et huit cent millions d’années, ce massif de roches éruptives du Précambrien, de grès tabulaire et quartz, a été sculpté profondément par le soleil, la pluie et le vent. D’après les spécialistes, ce sont les algues et les champignons qui sont les principaux responsables de l’érosion. Un article d’Uwe George, dans The National Geographic de mai 1989, apprend que « Roraïma » signifierait « chant des cascades » en langage Pémon.

Nous entamons la montée par un sentier étroit qui passe entre les arbres, sous la forêt. La première partie est rude, elle monte très fort. Dans la moiteur de savane, nous coulons vite de transpiration. Mais la première heure est la plus dure parce que la plus pentue, voici qu’à mesure que l’on monte, il fait plus frais. L’ombre de la falaise et l’humidité retenue allègent la température. La roche s’élève verticalement au-dessus de nos têtes et les fait tourner lorsqu’on la regarde d’en bas. Nous nous demandons bien où est le passage, d’ailleurs le sentier redescend. Ce n’est qu’une fausse piste, car il remonte bientôt. Nous croisons des touristes allemands, américains, vénézuéliens, qui redescendent.

Un nuage monte. Il nous cache le soleil et nous engloutit dans une sorte de brume de montagne, presque une pluie. Nous passons sous une sorte de cascade et l’eau qui tombe fait comme s’il pleuvait, mouillant le haut du sac et le tee-shirt. Il fait froid, désormais, d’autant que nous sommes mouillés. Nous grimpons les hautes marches composées des blocs erratiques du chemin, en nous arrêtant de temps à autre « pour attendre les autres » et aussi pour nous reposer. Un petit moineau local, gorge rousse, tête et dos beige rayé de noir comme un chat de gouttière, nous tient compagnie. Il attend sans doute les inévitables miettes que tout randonneur se doit de laisser tomber à chaque pause. L’oiseau n’est pas sauvage et reste à sautiller autour de nous. Le sommet du plateau n’est pas loin. Nous entendons déjà les jeunes Américains, partis avant nous ce matin, qui rient et gueulent en jouant aux cartes à l’arrivée comme de vrais collégiens.

José, Laurent, Arnaud et moi sommes les premiers au sommet. Nous nous installons sur un rocher au débouché du sentier qui monte pour sécher et pour attendre le reste du groupe. Le plateau est creusé, tourmenté, les roches découpées en plaques érodées de lichens, de pluie et de vent. Certaines, taillées par les siècles, présentent des profils de bêtes ou d’humains, c’est très étrange.

L’auteur du National Geographic dit qu’il avait l’impression de « marcher dans une ville bombardée ». C’est assez vrai, la couleur gris sombre de la roche, l’atmosphère fumeuse, le silence de mort, rappellent que ce lieu reste préservé de la vie de la plaine depuis des millions d’années. Quelques dix mille espèces de plantes seraient originales et l’on n’en a pas encore fait le tour.

Des droseras, des bromelias, des heliampheras insectivores, des orchidées… Nous prenons un en-cas quand les autres arrivent, pas si longtemps après nous en fait. Nous goûtons même le bas charnu des feuilles de plantes grasses qui poussent ici. Elles sont fades, vaguement sucrées comme l’herbe au printemps, mais gorgées d’eau. Ce sont des stegolepsis qui se croquent comme les feuilles d’un artichaut. Les Indiens Pémon disent qu’elles sont très nutritives.

Nous poursuivons la route durant une heure sur le plateau, jusqu’à un abri sous roche assez vaste pour contenir les tentes, les porteurs et la cuisine. La végétation est presque alpine malgré orchidées et plantes carnivores qui tentent de piéger les rares insectes qui s’aventurent à si haute altitude. Le climat est terre-neuvas et l’atmosphère brumeuse, quasi-pluvieuse, me rappelle les landes de Norvège. Les porteurs arrivent un à un et, après cette rude montée, ôtent leurs tee-shirts et exhibent avec un plaisir évident leur musculature à la fraîcheur humide du lieu. Adelino et Gabrielo ne s’en privent pas, arrachant cette exclamation au vieux Christian : « tu as vu ces muscles, non d’un chien ! » Une soupe consistante aux lentilles, pâtes et viande nous reconstitue.

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier

Un homme amoureux, Raoul (Gérard Depardieu à 30 ans), désespère de voir sa jeune femme Solange (Carole Laure) déprimer et dépérir. Il la sort, elle se laisse guider ; il lui parle, elle ne répond rien ; il la distrait, elle ne rit pas. Que faire ? Il est prêt à tout pour qu’elle sourie enfin, pour qu’elle reprenne goût à la vie. Lui faire l’amour ne lui fait rien ; ils ont essayé d’avoir un enfant, elle ne peut pas : « c’est psychologique » dit le psy. Elle a des malaises mais elle n’a rien : « c’est dans la tête » dit le médecin.

Moniteur d’auto-école costaud mais pas futé, Raoul décide un grand truc surréaliste et parisien : il va « donner » sa femme à n’importe qui, tiens, comme cet autre qui la regarde dans la brasserie de la place Clichy, un dimanche où il attend ses moules en feignant de lire une revue musicale. C’est Stéphane, barbu et à lunettes (Patrick Dewaere à 31 ans), prof de gym dans le civil et interloqué par la proposition inouïe. Mais Raoul insiste : qu’il sorte avec elle, couche avec elle, lui fasse un enfant – lui ne peut pas, ne peut plus. La seule chose qu’il peut est de lui lâcher la grappe pour qu’elle retrouve la liberté de respirer et peut-être de vivre.

Stéphane s’insurge, Raoul insiste, une passante est prise à témoin (Sylvie Joly), on demande son avis à Solange – qui s’en fout. Mais après tout, les deux gars deviennent potes et cela leur va ainsi. Chacun besogne Solange à son tour, Stéphane lui présente sa collection complète des Livres de poche (plus de 5000 volumes, le nec plus ultra de la culture petite-bourgeoise des années soixante et soixante-dix), et sa collection de 33 tours de Mozart (le seul musicien qu’il connaisse, aspirant culturel comme aurait diagnostiqué Bourdieu). Mais ni le musclé ni l’intello ne parviennent à défrigidifier Solange, même si elle a chaud aux fesses, tricote seins nus dans l’appartement et qu’elle est obsédée du ménage.

Le petit commerçant fruits et légumes du dessus (Michel Serrault), qui ne peut pas dormir à cause du raffut que fait Mozart à trois heures du matin, est mis dans le coup après quelques pastis. Le trio emmène Madame à l’Opéra, mais elle s’ennuie et « fait un malaise » pour qu’on s’occupe d’elle. Qui est-elle ? Une potiche ? Une Bovary perpétuellement insatisfaite ? Une frigide barjot post-68 qui ne sait pas choisir entre jeter définitivement sa gourme avec n’importe qui ou popoter avec l’époux qui ramène les sous ? De l’impasse de la vie bourgeoise dans le machisme installé.

Elle pleure – pour rien ; se trouve mal – sans rien avoir. Diagnostic des loustics : il faut changer d’air, partir en vacances. Stéphane entraîne Raoul comme moniteur de colonie de vacances et Solange suit. Les gosses en puberté – que des garçons entre eux selon les coutumes du temps – chahutent et bizutent le plus bêcheur. Il s’agit de Christian, un fils d’industriel intello au « quotient intellectuel de 158 » et au cocasse accent belge. Ce qui donne une scène hilarante de fin de cantine où les petits suisses du dessert volent dans la gueule du Beloeil (c’est son nom) et coulent jusque sous son tee-shirt. Solange s’insurge, son instinct maternel (de convention) prend le dessus et elle décide de protéger et materner le garçon qui se réfugie dans une cabane (fœtale) dans les arbres au lieu de jouer avec les autres.

Elle a enfin « son enfant » et peut agir selon le rôle social de mère que l’on attend d’elle. Sauf qu’elle ne sait pas faire et cueille un « bébé » de 13 ans déjà, qui commence à avoir des désirs d’homme. Les garçons du dortoir, qui couchent en slip ou torse nu, veulent faire « la bite au cirage » au Beloeil, boutonné dans son pyjama de soie bleue, comme c’était la coutume en ces temps aujourd’hui regrettés. Solange exfiltre Christian et lui permet de dormir dans sa chambre – où il n’y a qu’un lit, le sien. Christian explore en scientifique le corps endormi de sa protectrice, écarte les bretelles pour voir le sein, soulève la chemise de nuit pour dégager la chatte, remonte une jambe pour écarter les cuisses… Pas sûr que les vierges effarouchées des ligues de vertu qui sévissent comme des harpies sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui ne permettent de faire encore un tel film, pourtant pudique et amusé. Rien de vicieux mais le désir de connaître, une négociation raisonnable entre quotients intellectuels à maturité, et le reste est suggéré.

Séduite par le désir naturel du jeune garçon, par son bagout d’adulte autant que par sa peau veloutée qu’elle caresse sur sa joue, Solange s’ouvre enfin. Bras, cœur et cuisses, elle accueille l’autre comme elle n’a jamais réussi à le faire jusqu’à présent. Elle rencontre un mâle qui demande et non qui prend, qui hésite et non qui viole. Christian est physiquement l’anti-Raoul et intellectuellement l’anti-Stéphane. Entre ses bras Solange n’est pas une chose mais une partenaire ; il a besoin d’elle comme elle a besoin de son affection. Critique acerbe du machisme inconscient d’époque mais aussi, par contraste, du jeunisme porté par la vague post-68 au point de cueillir « la jeunesse » dès la première puberté ; critique de la vie bourgeoise conventionnelle qui enferme en prison. Le développement de l’histoire donne à voir autrement l’époque que nous avons vécue sans le savoir.

Solange tricote – activité réservée aux femmes inactives de la bourgeoisie rangée ; elle trame des pulls à col roulé – vraies prisons de grosse laine pour les mâles qu’elle rend ainsi physiquement captifs et sur lesquels elle pose sa marque d’appartenance. Trait d’humour : Raoul, Stéphane, Christian, le père de Christian (Jean Rougerie) et le futur bébé auront chacun un pull à col roulé avec côtes tissés de deux laines – tel une armure.

Le retour de la colo est, comme toujours, difficile. Quitter ses copains et la liberté des vacances pour retrouver les parents et la vie scolaire sont une épreuve. Christian veut, moins que les autres, retrouver ses vieux en DS, « des cons » dit-il, et il s’enfuit dans Béthune à l’arrêt du car. Après une course poursuite dans les rues désertes et sur les terrils alentour, Christian se résigne et admet qu’il doit retourner chez les Beloeil. Outrés, et portés à punir selon la coutume du temps, ceux-ci le flanquent en pension. Mais Christian a cette fois quelque chose à apporter à ses condisciples : il narre comment il a séduit une femme et les garçons le soir en redemandent. Ils veulent savoir comment ça se passe, comment on entreprend, comment on est « dans » une femme. Le croient-ils ? Pas vraiment… mais ils rêvent.

Jusqu’à ce que Solange débarque à la pension en pleine nuit, déboule dans le dortoir où tous les gosses de riches sont en pyjama, et embrasse à pleine bouche le garçon devant ses copains médusés. C’est que le fruits et légumes s’est fait passer pour un sondeur de l’IFOP et a pu obtenir de sa bourgeoise envolée de mère (Éléonore Hirt) le nom et le lieu de la pension où le fils a été placé. Que Raoul et Stéphane, cagoulés, ont surpris et neutralisé le gardien qui faisait sa ronde. Christian est enlevé, consentant, jusqu’au lundi matin. Mais les gendarmes ne l’entendent pas de cette oreille. Comme une épouse, un fils est une « propriété » et seul le « chef » de famille peut en disposer. Les deux trentenaires sont condamnés à la prison – exit le duo Depardieu-Dewaere, ces crétins magnifiques – tandis que le petit-commerçant enlève bobonne qui a versé dans un virage et ne se souvient plus de rien.

Les mois passent, Christian est revenu au château avec son père après la disparition de sa mère ; Solange s’est fait engager comme bonne. Le père a assez de travail à gérer son entreprise et le fils fait l’amour à la bonne tous les soirs, comme dans les romans conventionnels bourgeois (y compris le premier de Philippe Sollers). Inévitablement, elle tombe enceinte, sa frigidité s’est évaporée avec le machisme. Les emprisonneurs sont emprisonnés et elle est libérée. Christian s’installe dans les fonctions du père, lui versant régulièrement le whisky qu’il aime mais qui est mauvais pour sa santé, jouant au billard comme un futur chef d’entreprise. La France giscardienne a grincé à la sortie du film, dont la fin est moins réussie que le début, mais qui excelle dans la provocation des cons.

DVD Préparez vos mouchoirs, Bertrand Blier, 1978, avec Gérard Depardieu, Carole Laure, Patrick Dewaere, Michel Serrault, Riton Liebman, Eléonore Hirt, Jean Rougerie, Sylvie Joly, StudioCanal 2008, 1h45, €50.02

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,