Auteur de blog, vous recevez des courriels parfois farfelus, parfois intéressés, rarement utiles. Mais il en arrive. La question du référencement est de ceux-là.
C’est tout récent, voici la proposition reçue (les références sont occultées par moi ; quiconque voudrait la véritable adresse arnaqueuse peut m’écrire) :
« De : Agnes …[mailto:a…@……] Envoyé : mercredi 24 décembre 2014 14:38 À : argoul2005@yahoo.fr
Objet : Proposition d’échange de liens gratuits
Bonjour,
J’aimerai me présenter. Mon nom est Agnes …, Étant donné que je dispose d’un nombre important de sites, j’aimerais vous proposer un échange gratuit de liens avec argoul.com ou avec l’un des divers sites que vous possédez. Vous serez sûrement heureux de savoir que j’ai beaucoup d’idées pour des échanges de liens, qui, j’en suis sûr, nous seront à la fois profitables et parfaitement appropriés pour notre classement dans Google.
Merci de me faire savoir si vous êtes intéressé par plus de détails ou si vous avez d’autres questions à ce sujet. Dans cette attente je reste à votre entière disposition,
Agnès … http://www…….com/ »
Le site existe, il assure qu’ « Avec une expérience de 5 ans dans le référencement, nous pouvons dire avec certitude que l’échange de liens est la meilleure méthode pour monter dans la page de résultats des moteurs de recherche. » C’est la vérité : pourquoi ne pas en savoir plus ? Réponse :
« De : agnes…@……com [mailto:agnes…..@…]
Envoyé : jeudi 25 décembre 2014 09:32 À : argoul2005
Objet : Re: Proposition d’échange de liens gratuits
Bonjour,
Merci pour revenir à moi .. 🙂
Je vais ajouter votre lien dans un de mes sites suivants:
http://www.gogohotel.com/
http://www.systemeradio.com/
http://www.annufrance.com/
http://www.fwbooks.com/
http://www.barbizon-france.com/
http://www.franceartist.com/
http://www.teamradical.com/
En retour, je veux un lien à partir https://argoul.com/
Se il vous plaît laissez-moi savoir dans quel site que vous voulez le lien de moi.
Je attends votre réponse…
Cordialement,
Agnes »
Un français un peu curieux sur ce second message, mais les sites proposés en échanges de liens sont honorables. Je choisi l’un d’eux, proche de mes publications. La procédure à suivre ? Pas compliqué, le robot-traducteur nommé « Agnes » (probablement de maître parlant anglais au vu de la ponctuation et des fautes habituelles) répond automatiquement :
« De : agnes…@…….com [mailto:agnes ….@…..]
Envoyé : jeudi 25 décembre 2014 10:59 À : argoul2005
Objet : Re: Proposition d’échange de liens gratuits
Bonjour,
Merci pour revenir à moi si vite … 🙂
Je peux ajouter votre lien dans un de mes sites suivants:
http://www.fwbooks.com/ OU
http://www.franceartist.com/ OU
http://www.barbizon-france.com/
Vous pouvez choisir site de ne importe qui.
Je vais ajouter votre lien bientôt.
Se il vous plaît ajouter mon lien dans le contenu ou à la fin du contenu de votre page suivante : https://argoul.com/2014/06/20/stefan-zweig-nouvelle-du-jeu-dechecs/
Veuillez me informer quand mon lien est direct sur votre site.
Je attends votre réponse ….
Cordialement,
Agnes »
Une fois la chose faite, j’attends. La réponse ne tarde pas :
« De : agnes….@…………com [mailto:agnes…..@………..com]
Envoyé : jeudi 25 décembre 2014 11:11 À : argoul2005
Objet : Re: RE Proposition d’échange de lien s gratuits
Bonjour,
Se il vous plaît ajouter mon lien suivant dans votre page:
<a href= »http :// … blabla… >play million casino en ligne</a>
Et supprimer le lien pour http://www.fwbooks.com/
Je vais ajouter votre lien à la page d’accueil dans ce http://www.fwbooks.com/
Cordialement,
Agnes »
Jeux et addictions ! Voilà où était le « loup », l’intérêt caché du soi-disant « gratuit ».
Je ne paye pas pour ma part un « référencement » supplémentaire par une pub pour les casinos en ligne. Ce blog est non lucratif et personnel. Pas de pub pour n’importe quoi au nom du Fric. C’est non.
Réponse indignée du robot-Agnes :
« De: agnes…@……..com
Envoyé: jeudi 25 décembre 2014 12:27
À: argoul2005
Objet: Re: RE Proposition d’échange de lien s gratuits
Bonjour,
Je ne comprends vraiment pas pourquoi http://…blabla… play million. com/ ne peut pas être placé sur votre page Web.
Ce site dispose d’une excellente conception, d’une interface extrêmement conviviale, de bonnes illustrations et par-dessus tout, c’est un site purement informatif. Il s’agit d’une page Web en forme de guide destinée à offrir le meilleur de l’information en ligne.
Merci de bien vouloir reconsidérer mon offre après avoir visité mon site.
Merci beaucoup,
Agnes »
Vu le français brusquement amélioré, la réponse a dû être rédigée à l’avance et envoyée en standard à tous ceux qui se sont aperçus de cet hameçonnage (le lien inséré peut-il être une porte d’entrée dans le blog ?).
Mais admirez l’arnaque soigneusement préparée, une proposition générale utile dégénérant, de message en message, en tentative de manipulation. « On » me référence « si » je fais de la pub mercantile. Version numérique de l’arnaque au cadeau bien connue : « vous avez gagné ! » Pour recevoir votre chèque, veuillez renvoyer le bulletin ci-joint en cochant la case portant votre numéro gagnant (et envoyez un chèque de 4.50E pour frais de dossier)…


















































Édouard Tétreau, Analyste
La vraie vie vécue des années folles, celles de la bulle Internet 1998-2000, par un analyste en charge du secteur médias au Crédit lyonnais Securities Europe à Paris. Écrit clair, il y a de l’action à l’américaine et des exemples précis (sous pseudos pour éviter le judiciaire). Tout est vrai – j’y étais.
Mais, mieux que les anecdotes navrantes (la lâcheté Messier) ou croustillantes (le Puritain maître de la finance américaine et ses putes à Paris), une interrogation sur le snobisme social, les sursalaires indus et la course à la cupidité court-terme. La finance anglo-saxonne est une nuisance de l’économie globale, une guerre économique où « le droit », brandi par les puritains yankees, sert surtout à ligoter les autres, Européens et Japonais – alors que des hordes de lawyers et d’opportuns centres offshore à quelques dizaines de minutes de côtes américaines permettent d’y échapper.
Ce livre est écrit après l’éclatement des prémisses de la grande bulle (les valeurs technologiques en 2000 ont précédé la paranoïa du 11-Septembre en 2001 puis la comptabilité frauduleuse et l’audit mafieux en 2002) – mais avant le délire des dérivés en 2007 et la faillite de Lehman Brothers en 2008 – avec les conséquences systémiques, donc économiques, donc sociales, donc politiques dont on n’a pas encore vu tous les effets. Il décrit « comment ce théâtre de gens si savants au-dehors est en fait construit sur du sable. Le sable mouvant des fantasmes et des incohérences humaines » p.273.
Car vous pensiez que les analystes, après 5 ans minimum d’études supérieures en macroéconomie, audit, évaluation des entreprises et mathématiques financières, sont des experts capables de diagnostiquer la santé ou la maladie des sociétés cotées, de proposer des remèdes et de conseiller utilement les investisseurs ? Vous n’y êtes pas ! « Dans la formulation de son message comme dans sa conception, l’analyste doit aller au plus vite. Ce qui signifie : lire le communiqué de presse de la société, ou l’interview, ou le tableau de chiffres et, dans un minimum de temps, sortir le commentaire qui va faire vendre » p.39. Il ne s’agit pas de mesurer mais d’agiter. La bourse exige de la volatilité, des écarts de cours pour générer du business, donc de juteuses commissions. Ce pourquoi l’analyste passe plus de temps à commenter l’immédiat, appeler les clients, organiser des roadshows, qu’à analyser les entreprises. Il n’a plus « dans l’année que deux ou trois douzaines d’heures pour travailler activement sur chacune des entreprises suivies » p.174.
A son époque (2004) c’étaient les conseils d’achat et de vente aux gestionnaires de portefeuille pour faire tourner plus vite leurs actifs ; aujourd’hui (2014) plus besoin des gérants, le trading à haute fréquence, par algorithmes informatisés, s’en charge tout seul : plus besoin non plus d’analystes, ni de vendeurs, ni même de clients… Seul le marché pur et abstrait est le terrain de jeu pour les spéculateurs, entièrement déconnecté des entreprises réelles, de ce qu’elles produisent et des gens qui y travaillent.
Mais ce n’est pas que le commerce ou la bougeotte qui tord le métier d’analyste. C’est aussi la chaîne d’organisation, depuis l’entreprise jusqu’aux portefeuilles, qui incite à la stupidité. « Le processus d’investissement sur les marchés est simple : il suffit de suivre, ou de se raccrocher à la recommandation déjà émise par quelqu’un d’autre » p.49.
L’auteur l’a vécu, analyste médias dans les années flambeuses de J6M chez Vivendi (Jean-Marie Messier moi-même maître du monde, disait-il de lui-même…). « Le 6 mai [2002], deux jours après un changement de notation de l’agence Moody’s sur la dette de Vivendi, j’envoyais une note, alertant les clients investisseurs du Crédit lyonnais Securities d’un risque de faillite (bankruptcy) de ce groupe. Le lendemain, tous mes travaux furent placés sous embargo, en prélude à diverses sanctions disciplinaires. Le 3 juillet, Jean-Marie Messier quittait la présidence d’un groupe à quelques heures de la quasi-cessation de paiement » p.15.
Édouard Tétreau s’est reconverti en créant Mediafin, conseil en communication pour les entreprises. Il a publié fin 2010 ’20 000 milliards de dollars’ témoignage de trois années aux États-Unis après 2007 pour développer une filiale du groupe Axa, qui lui a fait comprendre combien la religion de la finance restait prégnante, laissant présager une bulle de la dette américaine vers 2020. L’ouvrage a été traduit en chinois, montrant combien la Chine est vigilante sur ses investissements en bons du Trésor des États-Unis…
Il y a pire que la vente à tout prix et la mauvaise organisation : l’emprise de toute une idéologie de la finance qui s’apparente à une véritable religion venue des États-Unis. Les croyants usent de mots magiques comme « création de valeur », « benchmark », EBITDA (bénéfices avant toute autre dépense), WACC (coûts du capital) et autre jargon en anglais. Lorsqu’il n’existe aucun mot dans votre langue pour traduire des concepts étrangers, vous les utilisez comme des boites noires sans savoir trop ce qu’elles contiennent. Mettant les habits d’une autre culture, vous avancez patauds, incertains, servilement scolaires. Ne comprenant pas le fond, vous singez. Non seulement vous vous abêtissez, mais vous agissez comme tout le monde pour donner le change et l’illusion sociale d’avoir compris. C’est bien ce qui se passe en analyse financière comme en gestion de portefeuille, j’en ai eu l’expérience directe personnellement (voir Les outils de la stratégie boursière, 2007).
Le « benchmark » est par exemple considéré par les directeurs de gestion français comme un garde-fou à surtout ne jamais franchir au-delà d’une étroite fourchette. La simple lecture d’un dictionnaire vous apprend que benchmark signifie en anglais utile le niveau du maçon : il est donc une mesure, pas un carcan ! Un maçon qui pave un trottoir parfaitement horizontal, selon le niveau à bulle, est un mauvais ouvrier doublé d’un imbécile : l’eau va stagner dans les creux. Le trottoir doit être en légère pente vers le caniveau pour remplir sa fonction de trottoir, le benchmark sert de référence pour marquer cette pente. Pas en France – où l’on doit obéir : à la hiérarchie qui n’y connais rien, à l’abstraction scolaire du mot anglais mal compris ! Quand on ne comprend pas on imite, quand on n’est pas pénétré de l’esprit on régurgite la leçon mot à mot. « Je mets d’ailleurs au défi n’importe lequel des dirigeants des vingt premières banques européennes d’être capable de comprendre, et accessoirement de faire comprendre à ses administrateurs et actionnaires, ce qui se passe exactement dans ces boites noires de l’industrie financière que sont les départements d’ingénierie financière et de produits dérivés… » p.75. M. Bouton, PDG de la Société générale, l’a illustré à merveille lors de l’affaire Kerviel.
Édouard Tétreau prend le même exemple en analyse avec la « shareholder’s value », maladroitement conçue en français comme « créer de la valeur pour l’actionnaire ». Or on ne « crée » pas de valeur, on en a ou on en hérite, l’entrepreneur ne crée que de la richesse (du flux), pas de la valeur (du stock). L’analyste français, par ce concept mal compris, ne va donc s’intéresser qu’à l’actionnaire, à la distribution de dividendes, au retour sur investissement du portefeuille. Alors que la base de la richesse de l’entreprise, celle qui va permettre qu’elle soit durable et puisse investir pour générer du bénéfice (à répartir ensuite en partie aux actionnaires apporteur de capital), est mesurée par la rentabilité : le retour sur fonds propres en fonction du risque assumé. C’est cela qu’il faut analyser, pas la distribution.
Plus qu’un simple témoignage de ces années stupides, ce livre est une sociologie de l’entre-soi parisien où les gens d’un même milieu, sortis des mêmes écoles avec les mêmes concepts abstraits, baignant dans le même jargon anglo-saxon qu’ils comprennent mal, font du fric en toute bonne conscience en enfumant les clients – qui sont, au total, vous et moi, les assurés comme les retraités. Mais ce qui est vrai de l’analyse financière l’est aussi en d’autres domaines : les médias, l’engouement web, les capteurs solaires, en bref tout ce qui est trop à la mode et qui fait délirer comme, il y a 4 siècles, les bulbes de tulipes !
Édouard Tétreau, Analyste – Au cœur de la folie financière, 2005, Prix des lecteurs du livre d’économie 2005, Grasset, 283 pages, €4.96 (occasion) à 18.34 (neuf)
Son site personnel
L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009).