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Vote obligatoire et socialisme autoritaire

On connaissait le socialisme des imbéciles, on sait l’échec du socialisme « réel », on croyait arrivé le normal-socialisme, on déplorait la moraline socialiste, on se moquait facilement de la gauche bobo, on savait pourtant que la gauche avait lâché le peuple, on comparait la régression socialiste en Chine et en France, on remettait en perspective dans l’histoire le social-individualisme, on pointait clairement l’ignorance socialiste du droit, on remarquait que la gauche morale se raccrochait aux branches – mais on avait oublié le socialisme autoritaire !

Car le socialisme à la française déteste la liberté.

Laisser aux gens le droit ou – pire ! – la « possibilité » de faire comme bon leur semble est inadmissible pour les missionnaires de la Vérité révélée du Progrès en marche vers l’Égalité pure et parfaite de l’Avenir radieux. Ne riez pas, telle est la croyance des socialistes, une véritable religion si vous creusez un peu.

Ainsi à la Mairie de Paris où l’ineffable Christophe Girard sous la houlette Hidalgo force les noms de rues politiquement corrects – par seule croyance idéologique – dans l’ignorance de la réalité des gens et de l’histoire.

Ainsi chez Renault : l’État entreprend de monter sa participation pour « forcer » (démocratiquement…) les actionnaires à consentir au droit de vote double pour ceux qui restent 2 ans. Y aurait-il en socialisme de « plus égaux » que les autres ?

Ainsi avec la loi sur le Renseignement où, sous prétexte de « terrorisme » (sur lequel tout le monde est d’accord), on va offrir la possibilité aux fonctionnaires de capter les informations de tout le monde, en tous lieux, pour toutes raisons de soupçons – et cela sans le contrôle du pouvoir judiciaire. Seuls des fonctionnaires « contrôleront » les fonctionnaires ! La dérive en « police politique » sera aisée – même si (pour l’instant) nous ne créditons pas ce gouvernement d’y viser. Mais est-ce prudent de laisser une grenade dégoupillée dans les mains de n’importe qui ? Surtout dans le futur.

Mais ne voilà-t-il pas surtout que, sur ordre de l’Olympe socialiste (qui vit aux Champs-Élysées pour ceux qui connaissent encore un peu ce grec que Belkacem veut éradiquer), Claude Bartolone vient de pondre un rapport (vite sorti et pensé légèrement) pour forcer les Français à aller voter à chaque élection ?

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Votez sous peine d’amende !

Le « vote obligatoire » serait-il la panacée aux inepties de doctrine, au ministères du discours opposés aux ministères de gouvernement, aux lâchetés politiques, aux démissions de l’Éducation nationale confite en syndicats « réactionnaires » de gauche pour qui il ne faut surtout RIEN changer, aux mensonges les yeux dans les yeux des électeurs, à la médiocrité des candidats aux élections… On croit rêver : la fraternité socialiste « réalisée » serait décrétée d’État par l’usage d’un « droit » dont on ferait une obligation légale par la contrainte de la force publique. Comme sous feu le maréchal Staline.

En démocratie, la liberté prime l’État. Si c’est l’inverse, nous sommes dans un État totalitaire, absolument pas en démocratie, se décrétât-elle « populaire ». Le rêve du socialisme est le vieux rêve léniniste (qui n’était pas marxiste, l’ayant tordu à sa sauce activiste) : que tout fonctionne « à la manière de la Poste », du haut en bas, jugulaire-jugulaire. Un vrai fantasme administratif de fils d’ouvrier agricole autoritaire, formé aux épures matheuses niveau basique.

La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, grand mythe fondateur de la gauche croit-on, proclame pourtant clairement en son article 2 : « Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » Ou encore, en son article 5 : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. » Conçoit-on que « le vote » soit une nuisance à la Société s’il n’est pas exercé ? Il n’est pas écrit que tous les citoyens ont l’obligation, ni même le devoir, mais que « Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants » (article 6). Vous avez bien lu « droit » ! Rien de plus. Rien de l’obligation soviétique d’aller voter, par exemple…

C’était l’exigence des Lumières de convaincre les gens par la Raison. Ce devoir est bien mal rempli par un parti qui se proclame « de gauche » sans le prouver, qui promet monts et merveilles mais gouverne comme la droite précédente, qui se veut « normal » c’est-à-dire aussi mou et paresseux que sous Chirac, le charme personnel en moins mais le mensonge sur les « promesses » en pire. Le socialisme ne parvient pas à convaincre ? Changez de socialisme ! Les autres peuples européens l’ont fait et s’en portent très bien.

Non, en France on veut plutôt changer le peuple. Le socialiste ne se remet jamais en question, vieux tropisme catholique-romain mâtiné de machisme latin qui veut que le plus sage et le plus avisé soit le plus vieux et le plus puissant – comme si nous étions encore dans un groupe de singes. Or « la démocratie » implique la participation. Et l’on ne fait pas « participer » le peuple simplement en lui demandant d’approuver, ni en le forçant à élire les candidats socialistes.

Mais ni la religion d’État (ce laïcard-socialisme issu tout droit du catholicisme social), ni l’éducation « nationale » du tous-pareils notés sur vingt, ne préparent le peuple à participer, faute de savoir s’exprimer autrement qu’en gueulant avec 300 mots ou en cassant lors des manifs et, pour les plus évolués, en boudant lors de « grèves » aussi interminables que floues. Quand on n’apprend pas à développer cet élément de base des droits de l’Homme qu’est « l’expression » (sans laquelle le « droit d’expression » se résume à des coups, des borborygmes ou des balles de kalachnikov), comment oser exiger des citoyens qu’ils viennent « participer » ?

Plutôt que de rendre le vote obligatoire, proposez de rendre l’expression orale et écrite obligatoire dans les écoles, Monsieur le président de l’Assemblée nationale !

Ouvrez les débats citoyens, les référendums d’initiative populaire, abaissez le droit de vote à 16 ans avec éducation au droit à l’école, forcez au non-cumul des mandats pour que les élus soient vraiment au service des électeurs, développez le contrôle des élus par les citoyens.

C’est ce que demandaient Los Indignados en Espagne : « Ce que nous réclamons, c’est que le Gouvernement établisse des mécanismes pour que les gens puissent contrôler ce que font les hommes politiques. Actuellement, en dehors du vote, il n’y a pas de moyen de le faire et les élus ont carte blanche toute la durée de leur mandat. »

C’est aussi, plus simplement, ce que préconise Pierre Rosanvallon dans un livre de 2008 déjà, ancien syndicaliste de gauche proche du socialisme. Mais c’est probablement trop fort pour Monsieur Bartolone, qui n’a peut-être jamais eu le temps de le lire, ni de le penser par lui-même.

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Certes, des arguments sensés existent, et le vote obligatoire est pratiqué sous des régimes tels que la Belgique, la Grèce, le Costa Rica, le Brésil et la Turquie… mais constate-t-on que la politique se porte mieux dans ces pays ?… Au contraire, l’Australie et les Pays-Bas sont revenus sur une telle obligation : cela ne voudrait-il rien dire ? Un socialiste français se croit-il plus intelligent ou plus avisé que les autres ? Ou se défausse-t-il de ses carences sur le commode bouc émissaire de l’abstention – sans s’interroger sur son pourquoi ?

Disons-le tout net : le vote obligatoire n’est pas démocratique. C’est la subversion d’un droit en contrainte. C’est le recul de la liberté au profit de quelques-uns, ceux qui se croient investis d’une mission de sauver les électeurs malgré eux, les considérant comme des immatures, ouvriers, infantiles. Ce sont en effet parmi ces catégories que l’on trouve le plus d’abstention, dit-on.

Il s’agit donc bien d’éducation et de formation, d’intérêt pour les candidats, de conviction que son vote peut influer sur le cours des choses : pas de paresse ni de refus d’être un citoyen. D’ailleurs, l’abstention est-elle grande aux élections présidentielles ou au municipales ? Non, bien sûr, parce que les électeurs voient directement leur intérêt personnel direct dans de telles élections. À l’inverse des dernières « départementales » où personne ne savait plus à quoi va servir un département, censé disparaître en 2021 selon Valls – quand même Premier ministre. Il s’agit donc de séduire, pas de punir ! Et de proposer des urnes désirables – où les promesses se réalisent ou ne sont pas proférées à la légère.

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Si la proposition de loi est votée par une Assemblée à la botte, l’inévitable va se produire :

  • la « résistance » d’une grande partie de la population qui préférera payer l’amende (à condition qu’il y ait assez de flics pour les y forcer) – se défaussant par l’argent du devoir civique (bel exemple de « socialisme » !)
  • le « tant pis pour vous ! » d’une autre partie de la population qui fera exprès de voter populiste ou extrémiste – ou qui systématiquement va sortir les sortants
  • la manifestation plus grande qu’auparavant du vote blanc (enveloppe vide ou papier vierge) ou du vote nul (injures gribouillées sur le bulletin du candidat) – en ce cas : pourra-t-on encore « ignorer » le vote blanc ?

Il faudrait la voir la tête du Bartolone lorsqu’il se verra « élu » par seulement 13 ou 15% des électeurs inscrits… Son « mandat » sera-t-il légitime ? Pourra-t-il toujours prétendre agir pour le bien de tous, si ces tous se réduisent à presque rien ? Il y a décidément de vraies têtes de linotte dans le socialisme à la française. Et un vieux tropisme autoritaire qui ferait bien préférer l’original à la copie.

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Dans deux ans 2017

Deux ans est court en économie et long en politique. Les tendances à l’œuvre aujourd’hui en économie ne se redresseront pas d’ici deux ans tant la machine productive est comme un tanker, lente à virer. Mais la politique réserve toujours des surprises et tout dépendra d’ici là des candidats en lice à la prochaine présidentielle. Pour le moment, nul n’en sait rien : François Hollande peut renoncer officieusement en raison du chômage (comme il l’a dit un jour – peut-être pour faire diversion), ou être débarqué par la primaire socialiste… Nicolas Sarkozy peut être rattrapé par les affaires, ou être convaincu de laisser la place lors des primaires UMP.

Il est donc trop tôt pour faire des pronostics, les sondages d’intention récents CSA/RTL et Odoxa/Le Parisien ne montrent que des « intentions » virtuelles, pas des raisons impératives. Les électeurs s’adaptent aux sondeurs, ils manifestent plus facilement leur colère ou leur désir lorsque la réponse qu’ils font ne les engage pas. Mettre un bulletin dans l’urne, c’est autre chose !

Mais les tendances sont à observer dès maintenant car les tendances demeurent; elles ont leur inertie. Ce que disent les sondés est qu’ils veulent « changer » : de politique, d’immobilisme réglementaire qui inhibe l’économie, d’égoïsmes corporatistes. En bref changer de méthode, donc de personnel politique. Avec les partisans de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan, ce sont près d’un tiers des électeurs qui veulent donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Un vrai coup de barre à droite qui contamine tous les partis.

La victoire de Syriza en Grèce et les espoirs de Podemos en Espagne ne se traduisent pas en France par un engouement vers Mélenchon ou Duflot, loin de là ! C’est au contraire tout le corps social français qui glisse un peu plus vers la droite, à l’image des pays du nord plus que des pays du sud. D’autant que Syriza s’est allié à un petit parti, mais d’extrême droite, les Grecs indépendants… La simple comparaison des intentions de vote en France pour François Bayrou (8 à 11%) ou pour Jean-Luc Mélenchon (9 à 11%), comparés à ceux pour Marine Le Pen (29 à 33%) le prouve : le droitisme est populaire, vient du peuple. Duflot apparaît trop ado immature, intello petite-bourgeoise arriviste, pour compter comme alternative dans le débat national, ou même comme « alliée » utile d’une gauche crédible (2 à 3%).

intentions de vote presidentielles 2017 1er tour csa 2015 01

Les effets des attentats contre Charlie-Hebdo recentrent le débat public sur la sécurité, la discipline scolaire et le communautarisme : tout ce qui – par laisser-aller « cool et sympa » – a sapé lentement les valeurs communes au peuple français. Si 4 millions de personnes ont marché pour « la liberté », elles ont aussi marché pour « l’égalité » – laissant la « fraternité » en dernière étape – à ceux seuls qui s’assimilent et veulent vivre comme des Français en France. Semblent désormais passés de mode l’irénisme bobo (tout va bien et tout le monde il est beau… dans nos beaux quartiers), la doxa Bisounours des journaux de centre-gauche qui tortillent du cul et cherchent tous les échappatoires possibles dès qu’il s’agit de faire respecter la loi (considérée comme « anti-hédoniste » voire « colonialiste »), le déni de la plus grande part de la gauche qu’il existe de vrais problèmes avec la seule immigration musulmane (1% de la population en plus à chaque décennie depuis 1990), l’islam comme religion laissée à l’anarchie des capitaux étrangers, les banlieues ghetto où l’école publique constamment démissionne. Le Premier ministre a même parlé « d’apartheid » (trop grand mot mais qui fait prendre conscience par son choc à gauche) pour désigner ces zones où le consensus social veut parquer l’illettrisme des sans-qualifications, les familles trop nombreuses qui ne vivent que d’aides, le chômage qui conduit aux trafics.

Tous les chiffres de la moyenne nationale doivent être multipliés par deux dès que l’on observe les banlieues : deux fois plus de sans-diplômes (dans les 40%), deux fois plus de chômeurs adultes (autour de 25%), deux fois plus de jeunes sans travail ni stage (près de 45%), deux fois plus de condamnations pénales… Dès qu’un jeune veut s’en sortir, il faut qu’il sorte de ces ghettos où est encouragé le non-travail, l’affiliation à une bande, la mise au pas des filles et l’enrichissement délinquant. Gilles Kepel, coordinateur d’une étude sociologique publiée dans Passion française – les voix des cités, s’est vu refuser un compte-rendu du livre par Le Monde, quotidien du politiquement correct : ce que montrait l’étude ne cadrait pas avec le tout-va-bien de la ligne bobo. Gilles Kepel le dénonce lui-même publiquement sur France Culture. Ce temps-là du déni serait-il enfin derrière nous ? S’il ne l’est pas encore dans les têtes intellos, le populo fera irruption violemment dans la réalité politique en votant pour « les méchants ».

integration des etrangers en france 2015 01 odoxa

Le Premier ministre Manuel Valls, conscient de cette tendance, a pris en remorque le Président Hollande pour assurer la fermeté durant la crise. Mais le regain de popularité récemment induit n’est pas durable : outre le chômage, déterminant majeur des votes en général, l’encouragement au communautarisme féministe, gai, lesbien, bi, trans et autres, l’allégeance à la repentance coloniale et pétainiste, la culture scolaire de l’excuse et la victimisation sociale de celles et ceux qui ne manifestent pas un respect particulier pour les codes communs – laissent une trace profonde dans l’esprit des électeurs. Surtout ceux qui ont peu fait d’études – mais qui votent à voix égales. François Hollande est un élève de Mitterrand, en moins habile : il pratique une économie de droite et un affichage de gauche, les mœurs ne coûtant rien au budget – et tant pis si le consensus social s’en trouve fracturé et la société française un peu plus clivée.

Si les Lumières ont rendu libre des appartenances déterminées (génétiques, familiales, éducatives, sociales, tribales, nationales), la gauche bobo réaliène en enfermant chacun dans d’étroites catégories, objet de « droits » particuliers. L’égalité n’est pas respectée, certains sont « plus égaux que les autres » comme le raillait Coluche. Ne saurait-il par exemple y avoir de « racisme » mais tout au plus « un mauvais usage du vocabulaire » lorsque c’est une personne de couleur qui insulte ? Et si cette phrase vous « choque », c’est que vous n’avez pas encore compris que le respect de la loi exige qu’elle soit appliquée également à tout le monde ; seul le juge peut nuancer l’égalité en équité en fonction de circonstances atténuantes. Faut-il reconnaître implicitement le blasphème, bien qu’il ne soit plus dans la loi depuis la Révolution, ni dans les mœurs depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905, si cela choque certaines catégories de victimes du passé ? En ce cas, pourquoi faire la distinction entre le souvenir douloureux de la Shoah et celui de la colonisation ? Y aurait-il des « martyrs » plus égaux que les autres ? Si la moquerie est une référence culturelle bien française, pourquoi ne pas se moquer également du malheur des uns comme de celui des autres ? Y aurait-il des tabous inavoués ? De même, la « liberté d’expression » tant vantée par le pouvoir s’arrête très vite lorsqu’il s’agit du pouvoir… Certains politiciens en vue échappent « naturellement » à la fiscalité commune, ou au respect de la législation électorale ; certains footeux ou mannequins célèbres échappent « évidemment » à l’impôt en vivant fictivement hors sol 6 mois + 1 jour par an (il suffit de composter des billets de TGV sans prendre les trains).

Je sais bien que ces questions ne sont ni politiquement correctes, ni peut-être fondées en droit lorsque l’on examine les cas particuliers – mais j’observe que ce sont celles qui travaillent les moins éduqués et que les intellos comme les politiciens doivent y répondre, avec pédagogie, sous peine d’être disqualifiés dans les urnes. Une partie éclairée de la gauche, emmenée par Manuel Valls, a pris le virage sécuritaire de la fermeté républicaine : n’est-ce pas une prise de conscience brutale de ce que réclament les lepénistes (et la classe populaire) depuis des années ? Alors que Mélenchon et Duflot veulent ouvrir tout grand les frontières, on voit très bien que les électeurs ne veulent pas les suivre.

L’avantage de François Hollande en 2017 sera qu’il aura effectué un mandat et pourra (peut-être) plaider pour la réalisation de son programme initial, qui prend plus de temps que prévu : après l’austérité (nécessaire), les progrès sociaux (en second mandat). Son handicap est qu’il utilise le mensonge trop souvent pour être cru encore (+ 572 500 chômeurs depuis son arrivée au pouvoir en mai 2012…), que sa vie privée est plus chaotique que celle qu’il reprochait à son prédécesseur, que nombre de femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir largué Trierweiler par un simple « communiqué de l’Élysée », et que sa personnalité offre une image inconsistante, entre hésitations permanentes et synthèse par dépit, ce qui mécontente tout le monde. En témoigne son « score » virtuel CSA/Le Parisien : 51% contre Marine Le Pen… soit l’épaisseur du trait (ou deux fois la marge d’erreur).

L’inconvénient de Nicolas Sarkozy est qu’il a été président et qu’il n’a pas convaincu, faute de réaliser les réformes indispensables ou promises, et que sa personnalité touche-à-tout et agitée agace encore deux ans après – sans parler de quelques « affaires » toujours en cours… Son avantage est qu’il a été déjà président et qu’il peut aisément convaincre qu’il avait raison, en 2012, d’avoir droitisé son discours, et qu’il ne refera pas l’erreur de temporiser sur les réformes de fond. Grand débateur et apte à rallier derrière lui (ce qu’il doit encore prouver), il peut tailler des croupières à la gauche… mais peut-être pas aux lepénistes. Dans le Doubs, abstient-toi ! pourrait être la redoutable leçon des tendances à l’œuvre. Surtout que son parti vient de désavouer sa ligne non-peut-être par la ligne traditionnelle ni-ni : ne fait pas « la synthèse » qui veut…

Alain Juppé commence à prendre de l’âge et, s’il est rassurant, il est aussi perçu comme rigide – sans vrai programme pour le moment et un peu du passé. C’est le cas aussi pour Martine Aubry, qui irait si Hollande n’y va pas, mais qui est bien « rigide » et bien « de gauche ancienne mode » pour un électorat qui se pousse progressivement vers la droite.

François Fillon a été fusillé par le machiavélisme hollandais qui a laissé « fuiter » une conversation privée avec l’ineffable Jouyet (toujours entre deux chaises). Mais François Fillon a-t-il vraiment envie d’être président ? Ses prises de bec avec Copé, ses prises de positions floues, tardives ou inexistantes sur les grands sujets qui intéressent les Français, l’ont déjà plus ou moins disqualifié pour le poste.

Manuel Valls et Bruno Le Maire sont encore jeunes pour briguer le mandat suprême. Le premier ne peut se présenter contre son président si celui-ci est candidat – à moins que les primaires n’en décident autrement, ce qui paraît peu probable tant les Français révèrent l’autorité légitime (à l’inverse des Européens du nord). Le second garde une image trop technocrate encore, avec trop peu d’expérience et trop peu d’alliés de poids, même s’il avance dans l’opinion.

Mais d’ici deux ans peuvent se passer beaucoup de choses. L’euro, notamment, n’est plus intangible. Je ne crois guère à un éclatement de la monnaie unique (si la Grèce sort, serait-ce si grave ?). Si l’euro devait chuter encore, contre dollar surtout, il y aurait probablement une reprise de la croissance – mais qui profiterait aux entreprises, les exportatrices d’abord, pas aux ménages. Au contraire, ceux-ci verraient leur facture énergétique augmenter largement (essence et gaz), de même que les entreprises lourdement consommatrices d’énergie (automobile, chimie). L’Allemagne profiterait plus que la France d’un euro faible… D’autant que les prêteurs exigeraient des taux de rémunération plus élevés pour compenser la perte sur l’euro : l’État français, entre autre, ne pourrait plus emprunter à si bon compte et serait obligé de remettre le pied sur le frein des dépenses publiques – ce qui n’arrangerait pas la croissance. La bourse monterait, ce qui accentuerait les inégalités entre les 3.7 millions de Français qui ont quelques actions (contre 8 millions en 2007) et ceux qui restent scotchés au fameux Livret A ou aux contrats d’assurance-vie en euro. Nul doute que ces effets accentueraient les tropismes des votants : anti-Hollande, dubitatifs envers l’UMP, ignorant le centre, et portés aux extrémismes… surtout de droite.

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Madeline Miller, Le chant d’Achille

madeline miller le chant d achille
Le roman historique est une gageure, d’autant plus qu’il est loin dans le temps. La seule œuvre qui donne une idée des mœurs et des coutumes de l’âge du bronze achéen est l’Iliade, récit hanté de divinités qui se battent autour des hommes, assurant leur gloire ou leur chute en même temps que leur destin. Si chaque héros se veut supermâle, chaque individualité est sujette à caution puisque ce sont les puissances invisibles qui les guident.

Ce pourquoi cette « biographie » romancée d’Achille est un portrait en creux. Le personnage principal est Patrocle, bien plus sensible, plus humain, laissé à sa vile condition et qui n’aime pas se battre. Il a plutôt la curiosité élargie d’un médecin, bienveillant à tous et préférant réparer que pourfendre. Madeline Miller enseigne aux États-Unis le grec ancien et Shakespeare, ce qui lui donne la profondeur épique et la nuance vocale des mots antiques. Elle prend des libertés avec les traditions littéraires sur Achille et n’évite pas certains anachronismes : « cette porte se referma derrière lui avec un petit clic » p.166. Est-on sûr que dans ces âges farouches les portes aient eues des « serrures » susceptibles de cliquer ? Des loquets de bois, à la limite de bronze, seraient plus réalistes à l’époque mycénienne… Elle évoque un « puma » alors qu’on parle de « lion » à Némée (qui serait plus probablement un lynx), et même de la ponte des tortues d’eau… en Grèce. Question de traduction ? Lorsqu’Achille caresse le corps de Patrocle, sa main glisse de la joue avant de descendre par le V de la gorge jusqu’à « toucher son pouls » – ne serait-ce pas plutôt son cœur, qui bat sous le sein ?

Ce qui n’est pas dû à la traduction en revanche est qu’avant les interdits des religions du Livre les garçons assouvissent leurs désirs dès la puberté, entre eux ou avec les filles à disposition. Or l’auteur choisit de ne laisser jouir Achille et Patrocle l’un de l’autre qu’à l’âge de 16 ans. Est-ce pruderie puritaine ou respect dévoyé des lois contemporaines aux États-Unis au détriment de la réalité ?

Malgré ces préjugés lourdement yankees, son roman reste une réussite.

L’auteur prend le ton égal des chroniqueurs pour faire conter à Patrocle sa propre histoire. Lui, enfant malingre et pas bien beau, à la mère demeurée et au père déçu, castrateur. Il a atteint la gloire immortelle qu’il n’a jamais cherchée en étant l’ami du plus beau et du plus illustres des Grecs, ravi avant ses 30 ans au combat, selon la prophétie. A dix ans, Patrocle tue sans le vouloir un gros de son âge avide de lui piquer ses osselets : en le repoussant, son crâne va s’ouvrir sur une roche. Fils de prince, il n’est pas mis à mort mais exilé, renié par son père qui le confie avec une forte somme au roi Pélée en Thessalie pour qu’il le serve. C’est dans ce palais important que, parmi les dizaines d’autres garçons réunis comme lui en vassaux, il va se faire remarquer par le fils du roi, Achille à la chevelure éclatante et à l’agilité légendaire. Pourquoi ?

Par étapes qui sont autant de gradations à l’amour :

  • Le sentiment qui unit les deux garçons commence dès l’âge de 5 ans par l’admiration de Patrocle pour la course légère d’Achille, qui gagne aux jeux la couronne de laurier ; Patrocle est né la même année que lui mais quelques mois plus tard, choisit l’auteur (les textes sont contradictoires).
  • L’attachement se confirme par leur reconnaissance réciproque : il est « surprenant », dit Achille à son père ; « tu n’es pas comme les autres », dit Patrocle à son ami.
  • L’affection se creuse avec la vie en commun, les jeux, les bagarres, la protection mutuelle : la force et le prestige d’Achille, la gratitude en miroir de Patrocle.
  • La tendresse nait et l’auteur décrit avec sensibilité le Patrocle de 11 ans : « Et durant toutes ces activités [en commun seul avec Achille], un sentiment s’imposait à moi. Sa façon d’enfler dans ma poitrine d’un coup évoquait presque la peur, et il arrivait très vite, un peu comme les larmes. Pourtant, ce n’était ni l’un ni l’autre, car il appelait gaieté et lumière… » p.59.
  • La passion se confirme avec l’exil d’Achille, à 13 ans, auprès du centaure Chiron : Patrocle s’enfuit du palais pour le rejoindre, et cela touche Achille autant que cela le flatte : sa gloire grandit à ses propres yeux lorsqu’il la voit dans l’admiration sans condition de son ami.
  • Il s’approfondit par la sensualité des exercices à deux, dans la solitude de la montagne, la nudité sur les fougères, les jeux érotiques dans l’eau fraîche, les étreintes tendres sur la couche de roseaux – jusqu’au plaisir sexuel découvert en commun et à égalité à l’aube des 16 ans. Dès lors, le compagnonnage est pour la vie. Après le premier plaisir conjoint, nus sur la couche : « Il me regardait résolument de ses iris verts pailletés d’or. Une certitude s’épanouit en moi et vint se loger dans la gorge. Je ne le quitterai jamais. Je serai à lui pour toujours, autant qu’il voudra de moi » p.112.

Achilles chez Lycomedes sarcophage athenien v240 Louvre

Thétis, déesse néréide mère d’Achille, a beau mépriser le vermisseau humain qui accapare la gloire et la substance de son fils, elle a beau comploter pour l’arracher de ses bras et le forcer à engrosser Deidamie, fille de Lycomède roi de Skyros, elle ne peut empêcher le destin de s’accomplir : Achille aime Patrocle, Patrocle aime Achille, bien au-delà du sexe, sans que l’un soit actif et l’autre passif mais comme deux frères jumeaux attachés l’un à l’autre. Ce que le film de Wolfgang Petersen a mal rendu, gêné par l’omnisexualité imposée en Occident par la psychologie de Freud.

L’amour était plus vaste et plus naturel que l’obsession « homo » sexuelle du militantisme gai. Dans un monde mâle de guerriers mycéniens, l’attachement de deux garçons dès leur enfance produisait une fraternité pour la vie, sans que les femmes en soient forcément exclues. L’égalité par l’adresse, la culture et les passions était le fait des hommes parce que la société était martiale, centrée sur la force. Ce qui n’empêchait pas l’amour d’un homme pour une femme, mais d’un ordre différent.

achille et patrocle amourmadeline miller the song of achilles new york times bestsellers

A 17 ans, forcé par une ruse d’Ulysse de sortir de la cachette où sa mère l’avait placé (déguisé en fille) pour dévier la prophétie, « Achille avait choisi de devenir une légende » p.195. Il sera Aristos Achaion – le meilleur des Grecs – devant Troie.

Il y laissera la vie avant d’avoir trente ans, par la vanité autoritaire d’Agamemnon, par la Passion de Patrocle et par son propre orgueil de demi-dieu, entretenu par sa glaçante néréide de mère. Patrocle suivra son destin, refusant gentiment et avec émotion que la captive Briséis ait un enfant de lui, alors qu’Achille en a un de Déidamie, Néoptolème. L’auteur en donne une scène très délicate au chapitre 24.

Le fils d’Achille, 12 ans, viendra à Troie car, dit la prophétie, sans lui la ville ne pourra être prise : impitoyable, il tuera Priam, cassera la tête d’Astyanax et violera Andromaque, sans amour pour quiconque ni amitié pour personne, façonné par sa seule grand-mère, froide comme un poisson. En creux, Achille est plus humain, réchauffé à l’amour de Patrocle.

Les dernières pages sont d’une émouvante beauté. La néréide impitoyable qui pardonne… Reste chrétien de l’auteur peut-être, mais qui atteint ici à la grandeur. J’en ai été saisi et, dans les dernières phrases, emporté.

Madeline Miller, Le chant d’Achille, 2012, traduit de l’américain par Christine Auché, édition Rue Fromentin 2014, 388 pages, €23.00 Format Kindle €9.99

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Jean-Pierre Vernant, La mort dans les yeux

jean pierre vernant la mort dans les yeux

Professeur au Collège de France, anthropologue et helléniste, Jean-Pierre Vernant né en 1914 est mort en 2007 ; il était un grand homme de la culture, un professeur pour mes jeunes années d’archéologue. J’aimais en lui son souci de la précision et l’adéquation des mots, ce pourquoi il récusait les interprétations freudiennes, trop simplistes selon lui. L’anthropologue, contrairement au psychanalyste freudien, ne fait pas une idéologie de son savoir, il tient compte du contexte social et de la dimension historique des faits dont il forme système. « Je ne crois pas que la psychanalyse puisse proposer un modèle d’interprétation à valeur générale et qu’il s’agirait seulement d’appliquer ici ou là. C’est cette façon de penser et de vivre la psychanalyse que j’appellerai ‘illusion’, comme il y a un mode illusoire de vivre et de penser le marxisme » (entretien avec Pierre Kahn, 1996).

Dans ce long article édité en petit livre, il étudie ces trois puissances divines grecques au masque : la Gorgone, Dionysos et Artémis. Toutes trois concernent des expériences de l’Autre. L’homme grec antique, contrairement à nous, était exclusivement extraverti. Il ne cherchait pas son identité en lui-même, mais dans le regard des autres. Sa personnalité était une suite d’actes qui le définissait dans la famille, la cité, la civilisation. Artémis situe chacun dans l’horizon, Dionysos et la Gorgone dans la verticalité. Artémis montre l’homme autre, Dionysos l’autre en soi, la Gorgone l’autre de l’homme.

Artémis est la déesse du monde sauvage et des confins, elle hante tous les lieux non cultivés et guide les personnalités non encore civilisées – notamment les jeunes filles et les adolescents. Patronne de la chasse, elle conduit par la sauvagerie vers la civilisation en disciplinant les jeunes hommes à respecter les règles qui les distinguent de l’animalité. « Pendant le temps de leur croissance, avant qu’ils n’aient sauté le pas, les jeunes occupent, comme la déesse, une position liminale, incertaine et équivoque, où les frontières qui séparent les garçons des filles, les jeunes des adultes, les bêtes des hommes, ne sont pas encore nettement fixées. Elles flottent, elles glissent d’un statut à l’autre… » Chez Atalante, par exemple, la virginité volontairement prolongée fait que tout se brouille, l’enfant ne se distingue plus de la femme mûre, la féminité se virilise, l’humain se fait ours. Les jeunes, à Sparte, sont appelés Pôlos – poulains et pouliches – pour dire leur statut non entièrement acquis à la civilisation. Artémis préside aussi à l’accouchement, moment où la femme est la plus naturellement animale, et à la guerre, qui fait du guerrier une bête saisie de fureur.

Artémis est donc la déesse qui permet à la culture d’intégrer ce qui lui est étranger. Fondatrice de la cité (poliade), elle institue une vie commune pour tous ceux au départ différents. « En faisant de la déesse des marges une puissance d’intégration et d’assimilation, comme en installant Dionysos, qui incarne dans le panthéon grec la figure de l’Autre, au centre du dispositif social, en plein théâtre, les Grecs nous donnent une grande leçon. Ils ne nous incitent pas à devenir polythéistes, à croire en Artémis et Dionysos, mais à donner toute sa place, dans l’idée de civilisation, à une attitude d’esprit qui n’a pas seulement valeur morale et politique, mais proprement intellectuelle et qui s’appelle la tolérance ».

Dionysos dépayse de l’existence quotidienne par le déguisement, le jeu, le théâtre, l’ivresse, la danse et la transe. Il permet de devenir soi-même autre. Il tire vers le haut, vers le dieu.

La Gorgone (ou Méduse), à l’inverse, tire l’homme vers le bas, vers les enfers (Hadès) et la mort. Elle pétrifie, son extrême altérité terrifie, elle glace en mettant face à soi le miroir de soi figé, immobile dans le néant. Puissance de mort, elle est représentée sur les boucliers des Achéens qui attaquent Troie. Les guerriers renvoient en miroir ce qu’ils promettent à leurs ennemis, tout en poussant des cris gutturaux pareils aux sons proférés par les serpents, les chiens et les chevaux en fureur, qu’on dit être ceux poussés aussi par les morts dans l’Hadès. Les éphèbes sont incités à laisser pousser une longue chevelure qui les rendra plus terrifiants au combat, comme les serpents autour de la tête de Méduse. Cette crinière ajoute à leur aspect sauvage et contribue à les posséder d’une fureur de carnage.

Artémis, Dionysos, la Gorgone, sont les trois dieux au masque qui ponctuent le rapport à l’Autre en Grèce ancienne. L’humanité se trouve définie par l’appartenance à la vie politique, à la vie citoyenne, privilège qui distingue des barbares, des étrangers, des esclaves, des femmes et des jeunes. Seules les pratiques institutionnelles permettent d’intégrer ces êtres aux marges de la cité pour avoir contact et commerce, ou les assimiler. Cette attitude rationnelle, bien loin de la haine passionnée des sauvages pour tout ce qui n’est pas eux, est une distance critique par rapport à soi – un grand pas de l’humanité.

Attitude que l’on se doit de rappeler aujourd’hui, où les « racines » de notre civilisation occidentale sont bien malmenées par des groupes extrémistes qui se réclament pourtant d’elles !

Jean-Pierre Vernant, La mort dans les yeux, 1998, Fayard Pluriel 2011, 128 pages, €17.00

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Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité

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L’helléniste archéologue, longtemps fouilleur grec de l’École française d’Athènes, étudie en ce petit livre érudit et joyeux l’animal le plus humble mais présent partout : la grenouille. Pourquoi s’intéresser à ce pullulant bavard ? Parce qu’il est présent partout, pas seulement en Europe, et ceci depuis des millénaires !

La déesse Artémis elle-même est parfois qualifiée de Grenouille la Juste. Plutarque, Aristophane et d’autres évoquent ces démons des eaux abondants et croassants, des monnaies la représentent, tandis que le petit peuple offre en ex-voto des grenouilles aux temples et dans les tombes. La grenouille est attestée en Grèce au Ve siècle avant au moins. Elle est toujours associée aux déesses mères (Léto, Héra) ou aux divinités de la jeunesse féconde (Artémis, Apollon, Dionysos).

Les Égyptiens, dès 4500 ans avant notre ère, célébraient déjà les grenouilles à l’origine de la création du monde et Héquet, la déesse-grenouille des naissances. « Terre bénie des batraciens » en raison des marais du Nil, l’animal est le symbole de ce qui naît du limon et renaît sans cesse, il gouverne l’éternité des morts. « Les frétillantes et pétulantes bêtes cernent de toutes parts l’univers mental : genèse du monde, génération spontanée, crue vivifiante, fécondité des femmes et des femelles, espoirs d’éternité, elles sont partout présentes » p.59.

En Mésopotamie elles sont amulettes, en Chine associées aux rites de l’eau – un fonctionnaire est même chargé de l’expulsion des grenouilles à chaque nouvelle année -, en Inde elles font l’objet d’un hymne du Rig Veda et sont citées dans l’Atharva Veda, elles sont maîtresses de la pluie et donneuses de nourriture chez les Aztèques et associées à la fertilité chez les Amérindiens. Au Japon et en Grèce, la grenouille fait rire les déesses Amaterasu et Déméter, ce qui apaise leur colère. La Bible les cite peu, pour s’en méfier, comme Seconde plaie d’Égypte dans l’Ancien testament et comme sortant de la bouche du dragon de l’Apocalypse. La grenouille réapparaît devant la Vierge Marie et dans la légende orthodoxe de saint Tryphon.

C’est que la grenouille est célébrée depuis le néolithique en Europe, associée à la déesse de la fécondité dès le 7ème millénaire avant, peut-être par identification à l’embryon dans un ventre. Associée à l’eau, à la pluie, à la lune, à la reproduction, au sexe féminin (son apparence est celle d’une vulve), à la joie exubérante et pullulante, elle est indispensable à l’ordre primordial du temps qui passe et à la nature vivante qui se renouvelle. « Ces coasseuses [… sont] des démons familiers, expression la plus pure de la musique de l’univers » p.92. Le monde est construit de petites forces distinctes et de pulsions intimes : c’est ce que les grenouilles représentent dans la mythologie humaine depuis le Néolithique ancien.

Insolite, plaisant, éclairant, cette étude anthropologique de la grenouille mérite l’attention.

Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité – cultes et mythes de grenouilles en Grèce et ailleurs, 1999, éditions de Fallois, 139 pages, €17.38

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Christian Meier, La politique et la grâce

christian meier la politique et la grace

D’un exposé présenté au 35ème Congrès des historiens allemands dans la Berlin soviétique en 1984 est né ce petit livre. Ce n’est pas par hasard qu’il a retenu l’attention de Michel Foucault, Jean-Claude Milner, Paul Veyne et François Wahl pour leur collection Des travaux au Seuil. L’époque était au tout politique et les intellectuels cherchaient désespérément à sortir de l’ornière marxiste pour laquelle tout était écrit de tout temps. L’historien allemand aborde ici l’anthropologie grecque et les rapports inattendus de la vie de la cité avec la grâce de la personne.

Il prend pour témoignage principal l’Orestie d’Eschyle, jouée en 460 avant notre ère, dans une période où les Athéniens quittaient l’ordre ancien oligarchique pour la démocratie. Athéna ne parvient à convaincre des Érinyes de ne pas menacer la cité grâce à Persuasion, l’une des formes de la grâce. « La leçon principale en était claire : l’ordre nouveau, avec l’abaissement de l’Aréopage, devait être tenu pour légitime, mais le parti vainqueur devait se montrer conciliant. On ne pouvait se passer de la noblesse. Les dieux voyaient les choses ainsi » p.21. Et il est vrai que l’URSS et ses satellites n’ont jamais pu se passer du capitalisme, moteur de la science, de la technologie et de l’innovation, ce qui était particulièrement visible dans les années 1980…

La grâce ne dépend pas de l’apparence (des gènes) ni de la noblesse (de la naissance) , mais du charme (de l’éducation). « Les auditeurs ne sont pas convaincus par les seuls arguments, mais par quelque chose qui vient s’y ajouter : la manière de les formuler, de les exprimer, la façon de se présenter en public ; la grâce en somme, où s’unissent l’esprit et le corps, le naturel et la réflexion, la réserve et l’aisance. Homère a raison d’associer la grâce aux égards, à la retenue, au respect » p.18. Entre les citoyens, la politique n’est plus rapport de force, mais fondée sur le droit et l’équité.

Christian Meier va donc chercher dans la culture grecque les racines de cette grâce en politique. Il la situe dans l’aristocratie, seule classe disposant d’assez d’aisance pour développer les arts civils et civiques. La danse et la musique étaient le noyau de l’éducation. Dans la plupart des cultes religieux et quel que fut l’enthousiasme, l’idéal était (alors) la mesure. La beauté corporelle était valorisée, mais plus comme acquise que comme native, « de cette grâce qu’on peut développer, qu’on peut pour ainsi dire apprendre, afin de réparer ce dont le défaut réside dans la personne physique de chacun » p.32. La forme humaine des dieux, sculptée sur les temples et érigée en place publique, se confond avec un développement complet de l’homme, les dieux poussant un peu plus loin les qualités humaines.

Mais les conditions historiques et matérielles n’en sont pas moins présentes. « Le puissant mouvement qui commence vers le milieu du VIIIe siècle et qui entraîne tout le monde grec dans une vaste transformation est parti d’une foule d’entrepreneurs nobles qui étaient plus ou moins indépendants : navigateurs, marchands, aventuriers et surtout fondateurs de colonies » p.39. L’initiative individuelle et les capacités personnelles d’organisation et d’entraînement des autres sont valorisées. Ulysse n’est pas très beau, mais charmeur.

Les poètes ont chanté les dieux et les déesses, les façonnant peu à peu sur l’idéal de la grâce. « Les Charites, qui personnifient plus particulièrement la grâce, étaient primitivement des déesses de la Fertilité, et aussi de l’Amour, du Mariage et de la Naissance. (…) Puis la poésie en fit les filles de Zeus. Elles chantaient et dansaient pour réjouir les dieux, mais procuraient aussi aux hommes la solennité, la beauté, la victoire dans les concours, l’inspiration poétique, le charme. (…) Avec les Muses, les Saisons et Peitho, les Charites personnifient encore la grâce de la conciliation, de la parole efficace sans violence, toutes conditions d’une vie en commun lorsque les circonstances en deviennent difficiles » p.45. Avec la grâce, la faiblesse apparente qui ne prétend rien s’arroger, devient force. D’où les vertus politiques de respect, de conciliation, de mesure, de style, de maîtrise de soi, de sagesse, qui vont se développer sur l’exemple de l’éducation des jeunes nobles.

« En face d’une double lacune institutionnelle (la rupture avec les vieilles évidences paisibles et l’absence d’une autorité monarchique qui aurait pu établir des institutions nouvelles), on avait besoin d’une pensée politique autonome, laquelle, de son côté, réclamait pour s’étayer une méditation sur l’ensemble du cosmos » p.61. La grâce a donc un rôle chez l’individu, dans la cité et dans l’ordre du monde. Les trois se répondent, formant un schéma anthropologique original. Ce qui était une manière de se comporter devint l’objet d’une politique.

Mais cette grâce, qui a poussé au plus haut peut-être l’épanouissement humain dans l’histoire, connait de cruelles limites dans le rôle secondaire accordé aux femmes et aux esclaves, comme dans le refoulement des démons intérieurs et des dilemmes moraux que mettent en scène les tragédies. La grâce est la vertu d’une minorité de mâles citoyens restant entre eux dans la cité et imbus de leur civilisation. Même si les barbares étaient considérés : « Ils étudiaient les barbares avec beaucoup d’attention, ils les respectaient et, même s’ils étaient leurs ennemis, ils ne leur déniaient pas toute valeur, ne les méprisaient pas » p.87.

Pourquoi cette grâce est-elle hors de notre portée ? Parce que le monde a cessé d’être à la mesure de l’homme.

  • Nous ne vivons pas dans d’étroites cités où tout le monde peut se connaître mais dans des États Léviathan dans lesquels chacun est spécialisé, sans prise sur l’ensemble.
  • Nous ne vivons pas dans un cosmos ordonné mais dans un chaos soumis au hasard, malgré les utopies abstraites comme le progrès ou la maîtrise de la nature.

Déjà les Romains ont voulu conquérir et organiser le monde connu ; pas les Grecs. « Tout se passe comme si les Grecs n’avaient pas pu ou voulu compter les uns sur les autres ; comme s’ils avaient eu un sens si aigu de leur personnalité qu’ils en étaient fermés de tout côté à autrui (à de rares exceptions près, telles que l’institution de la phalange) » p.103. Ils n’ont été ni monarques, ni impériaux, n’établissant que des comptoirs. Tout se passe comme si « les rapports de domination, hors de la seule sphère domestique, avaient parus aux Grecs être trop exigeants et de nature à les empêcher d’être eux-mêmes » p.104.

C’est peut-être vers cette attitude que nous devrions retourner, délaissant les grandes causes inaccessibles, afin que notre monde perdure. Exploiter la nature, exploiter les peuples, exploiter les individus au nom d’idéologies ou du Progrès, n’est sans doute pas viable à long terme puisque le monde est fini et que les rivalités mimétiques épuisent très vite les ressources. Rester « sire de soi » est peut-être la bonne mesure, celle qu’il faudrait retrouver, vieil idéal humaniste au fond, tiré de l’exemple grec antique.

L’utopie écologique actuelle, dans ses bons côtés, est-elle autre chose que cette grâce des Grecs fondée sur l’autarcie domestique, le travail de ses propres terres, une vie à l’abri de la nécessité laissant des loisirs, le tout dans la liberté de cette aisance assurée, faisant apparaître des vertus de magnanimité ? (p.114).

Les intuitions des intellectuels français des années 1980, valorisant ce petit livre, méritent qu’on s’y arrête. Surtout en ces temps-ci où la grâce est absente, dévalorisée au profit de l’intolérance de la force brute – qui favorise la bêtise.

Christian Meier, La politique et la grâce, 1984, traduit de l’allemand par Paul Veyne, collection Des travaux, Seuil 1987, 127 pages, €32.99

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Luciano Canfora, La démocratie comme violence

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L’historien philologue italien de l’université de Bari édite en ce petit opuscule la première critique antique, probablement la plus ancienne, de la démocratie. Le texte de cette Constitution des Athéniens est attribué à Xénophon, qui n’en est sans doute pas l’auteur. Écrite vers 429-424 avant notre ère par un oligarque athénien en exil qui avait fait de la politique sa vie, cette œuvre sous forme de dialogue entre lui et un démocrate orthodoxe, nous apprend beaucoup sur notre démocratie d’aujourd’hui.

Nous avons hérité de la tradition du droit établi, supérieur aux lois de circonstances votées par l’Assemblée. La Constitution, les Droits de l’homme, les Principes généraux du droit, les Chartes des libertés et les Conventions internationales protègent les individus de l’arbitraire. Même si « la loi » se veut souveraine, « les principes » peuvent s’opposer à elle pour garantir un minimum de libertés.

Rien de tel dans l’antiquité. Le demos ne voit que son propre intérêt et impose à tous ses décisions légales. Il s’agit bien de la suprématie d’une partie du corps social (même majoritaire) sur l’ensemble, et pas d’une égalité formelle de tous. Le droit des minoritaires est de se taire, comme le disait si bien Laignel, député socialiste en 1981 : « il a juridiquement tort car il est politiquement minoritaire ». Le droit c’est moi, dit la majorité jacobine, se prenant pour le tout. Mélenchon ne dit pas autre chose, Marine Le Pen probablement non plus.

Rien d’étonnant à ce que pour Aristote comme pour Platon, « la démocratie » en ce sens soit la tyrannie des médiocres. « Partout sur terre, les meilleurs sont les ennemis de la démocratie – dit le Pseudo-Xénophon – Car c’est chez les meilleurs qu’il y a le moins de licence et d’injustice et le plus d’inclination au bien ; mais c’est chez le peuple que l’on trouve le plus d’ignorance, de désordre, de méchanceté : la pauvreté les pousse à l’ignominie, ainsi que le manque d’éducation et l’ignorance qui, chez certains, naît de l’indigence » p.22. Le peuple n’est pas inconscient pour cela, la démocratie est cohérente, dit l’auteur. « Le ‘peuple athénien’ sait bien distinguer, parmi les citoyens, les honnêtes gens des méchants. Mais, tout en le sachant, il préfère ceux qui lui sont favorables et utiles, même si ce sont des méchants, et il hait les honnêtes gens, justement parce qu’ils sont honnêtes » p.35. Plutôt le grand Méchant con que l’austère équitable, « pas assez à gauche, ma chère » comme disent les bobos qui se croient peuple.

Ce système démocratique, totalitaire et jacobin, aboutit dans l’histoire à ce que l’on sait : la Terreur de 1793, le coup de force léniniste en 1917, l’appel au peuple mussolinien puis hitlérien (tous deux élus « démocratiquement »), la monopolisation du pouvoir des Castro, Mao, Pol Pot et autres tyranneaux. La démocratie comme violence de tous sur tous, menée par quelques-uns dans une guerre civile où les opposants sont des ennemis à abattre ou (plus gentiment) des malades à rééduquer. Athénagoras, chef des démocrates de Syracuse vers 415 avant JC, prônait de frapper d’avance les adversaires politiques, de les punir « déjà pour ce qu’ils veulent, sans en avoir encore les moyens » p.65. Délit d’intention, délit d’opinion, délit de pensée : la pente est rapide de la réprobation politique à la condamnation morale – et à l’interdiction juridique, appliquée par la force.

Je n’ai aucun goût pour les histrions comme Dieudonné, Noir anti-impérialiste qui accuse les Juifs d’être à la source de tous les maux, mais sa récente interdiction par le fait du Prince montre que le droit, en France, reste mal admis par une partie (un parti ?) de la société. Si le militant humoriste enfreint la loi, le condamner pour des faits établis et contrôler l’application de l’amende ou de la peine, aurait mieux valu que l’interdiction préalable. Jamais l’antisémitisme n’a été aussi fort qu’après ce coup de force – assimilant volontiers et sans nuance antisionisme (opposition à la politique d’Israël en tant qu’État envers les Palestiniens) et antisémitisme (condamnation de gens en raison de leur appartenance raciale ou religieuse).

Luciano Canfora – inscrit sur les listes du Parti communiste italien comme candidat européen – n’hésite pas à critiquer ce genre de démocratie (en 1982…) : « la prévention est souhaitée non seulement à l’encontre des délits d’opinion, mais encore assurément à l’encontre des simples opinions, en fonction du présupposé qu’il est difficile de surprendre un complot antidémocratique en acte et sous-entendu que, de toute façon, s’en apercevoir quand le complot existe déjà signifie intervenir trop tard » p.65. On aimerait que le ministre de l’Intérieur ait la même force pour interdire les sites juifs qui dénoncent nommément avec photos, téléphone et adresse à l’appui les démonstrateurs de « quenelles ». Je trouve choquante cette façon de « loi du talion » qui rappelle les dénonciations de Vichy et le lynchage sans jugement des Noirs par le Ku Klux Klan. Je connais la vraie quenelle, je ne sais d’où vient le mot dieudonnesque, mais ce geste potache antisystème s’apparente plus à un salut à l’arabe main sur le cœur qu’à un geste « nazi » anti-juif. Nul ne pourra-t-il plus « faire un geste » sans être aussitôt accusé d’arrière-pensées mauvaises ? Définies arbitrairement par une infime minorité paranoïaque qui y voit on ne sait quoi ? Ce sont les actes qu’il faut punir, pas les intentions. Est-ce la guerre civile que l’on veut ?

La justice doit passer en silence, mais implacablement – et la justice civile, pas la justice administrative qui est juge et partie. L’antisémitisme est un délit : que fait la ministre ? Où en est l’exécutoire des décisions jugées ? Pourquoi ne saisit-on pas les recettes des spectacles, comme le fisc sait si bien le faire sur les salaires lorsque les impôts ou amendes fiscales ne sont pas payées ? Doit-on toujours, en France, passer par l’autoritarisme et les mouvements de menton faute de décision des responsables à faire appliquer la loi qui existe et l’autorité de la chose jugée ?

L’étude de Luciano Canfora, il y a plus de vingt ans déjà, a le mérite de pointer d’où vient l’erreur : dans la démocratie comme tyrannie de masse. Et dans son antidote : édicter le droit, faire respecter le droit, appliquer le droit. Or le droit, chacun sait, est n’est pas en France un pouvoir indépendant : il reste à la botte.

Luciano Canfora La démocratie comme violence, 1982, traduit de l’italien par Denise Fourgous, éditions Desjonquères 1989, 79 pages, €9.03

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Anatole France, La révolte des anges

anatole france la revolte des anges

Il y en a qui aiment, pas moi. Certes, ce roman est paru durant la Première guerre mondiale, époque de stupidité sans nom du patriarcat hiérarchique catholique et napoléonien qui agita le nationalisme et l’animalisation du boche pour mieux encadrer et envoyer au casse-pipe des millions d’illettrés paysans. Certes, Anatole France s’y montre quasiment libertaire, incitant à la révolte des anges contre Iahvé, qui aurait usurpé le rôle de démiurge dans la création du monde. Incitant lesdits anges rebelles à fomenter la révolution anarchiste en posant des bombes un peu partout dans Paris. Incitant aussi à la révolte de la vie passionnelle contre la raison morte des bibliothèques, nouveaux temples du savoir bourgeois. Mais quel ennui…

Ces pages sans nombre qui répètent une fois de plus toute la geste humaine depuis les cavernes jusqu’à Dreyfus ; ces pages qui racolent la cocotte dans les garçonnières bourgeoises ; ces pages qui étalent l’érudition jusqu’au pédantisme… Que de fois ai-je passé des pages entières de ce livre décidément bien vieilli ! Qui va s’intéresser encore, après 1968, aux hiérarchies célestes ? Aux états d’âmes des jeunes riches forts marris de voir leur ange gardien les quitter ? Aux convenances des putains de salon devant un jeune homme tout nu qui les regarde baiser – fût-il un ange tombé du ciel ?

Anatole France écrit une langue admirable, souple et riche. Mais quand il n’a rien à dire, quel délayage ! Après les pingouins, les anges, pour dire tout le mal qu’il pense de ses contemporains ! Les seules pages encore lisibles sont celles d’action : le ravage dans la bibliothèque, le désordre amoureux maté par l’impalpable bien visible, le combat de l’ange contre deux mitrons « torse nu » le soir dans une ruelle ; l’anarchie de Léon, 7 ans, qui poursuit la bonne pour lui mettre la main à la culotte, tandis que sa sœur, un peu plus âgée, écrit des lettres anonymes de dénonciation sexuelle à sa mère… C’est trop rare pour captiver.

Et plus la Banquart, éditrice Pléiade de la grande œuvre du Maître, écrit de pages pour dire combien c’est beau, utile, historique, et inciter à lire (92 pages écrites tout petit dans l’édition), plus je fuis !

caresse nu

Retenez un Satan hédoniste, rédempteur de la chair et de la vie bonne comme il était dans la Grèce antique ; un ange déchu égal du roi du Ciel, qui quitte la forteresse cachée du Dieu tonnant pour donner le feu et le savoir aux humains ; un ange-chef parmi des millions qui ont chu sur la terre et se sont déguisés en humains pauvres et philosophes. Des sortes de Diogène qui distillent la sagesse hédoniste et matérialiste, tels un Michel Onfray attisant le populo pour mieux se venger de la vie hautement sociale qu’il n’a pas pu avoir. Et vous aurez ce pensum – que certains aiment. Pas moi.

Anatole France, La révolte des anges, 1914, dans Œuvres IV, édition Marie-Claire Banquart, Gallimard Pléiade 1994, 1684 pages, €65.08

Anatole France, La révolte des anges, 1914, Rivages poche 2010, 299 pages, €8.22

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Sexe et sensualité antique

Guilia Sissa Sexe et sensualite

Un titre séduisant pour un vaste programme qui parcourt un millénaire d’amours antiques. Ce qui est intéressant est que Giulia Sissa, tête chercheuse au CNRS soit aussi professeur de théorie politique et de civilisations de l’Antiquité à UCLA (University of California Los Angeles). Sans entrer dans la querelle de dictionnaire pour savoir qui est homo ou hétéro, sans entrer dans les chapelles de genre pour définir homme ou femme, elle revisite les discours « depuis la médecine jusqu’à la philosophie, la rhétorique, le théâtre, la poésie ou le roman » p.273 – et le droit comme les institutions.

Elle n’hésite pas à critiquer les hypothèses hasardeuses de Michel Foucault et son « discours anesthésique », en se fondant sur les textes. Il s’agit du penser, parler et vivre des Grecs et des Romains et les interrogations sont cinq : « il y a deux sexes et deux genres ; les corps sont sexués, les corps sont exemplaires ; le désir, par sa nature insatiable, est ce qui met la pensée éthique au défi ; le désir désire le désir de l’autre. C’est le jeu de la séduction qui aboutit au plaisir des sens ; c’est l’échec de la réciprocité qui fait l’amour tragique » p.275.

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Nous sommes avant la haine du corps terrestre, hérité de saint Paul (1ère Épitre aux Corinthiens). Dans la cité antique, les corps sexués s’affichent partout, fièrement, corps féminins et masculins nus, rappel constant de la différence des sexes et de leur complémentarité. Car ni les Grecs ni les Romains ne sont « tous pédés », comme la vulgate voudrait le croire. Ils sont indifférents à ce genre de distinction mais emplis de la sensualité des corps dans leur vénusté. « Seins ronds, ventres légèrement bombés, gestes langoureux ou pudiques d’une part ; muscles définis, maintien fier et allure martiale, de l’autre » p.281. La nudité chante le corps joyeux, la virilité et la féminité officiels. L’éducation physique était une façon de souligner l’anatomie en amplifiant le dimorphisme sexuel.

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On ne naît pas homme, on le devient : par le climat, l’éducation, l’éveil à la puberté. « Or, parce que la féminité infantile fait partie de la mémoire du corps, ce n’est pas une inversion ni une perversion, mais la prolongation artificielle d’un état qui, par nature, doit évoluer – de même qu’il faut que jeunesse se passe. Ce n’est pas un drame non plus » p.286. Un homme fait est légitime à désirer un éphèbe, il lui faut seulement faire attention, par morale exigeante, à ne pas le déformer et à l’élever au niveau viril exigé de la société. La consommation sexuelle n’est admise que pour les esclaves, pas pour les futurs citoyens.

Se donner aux autres hommes peut être faute politique, tolérée si elle reste discrète, mais refusée si l’efféminé prétend aux charges de la cité. Le discours d’Eschine contre Timarque est un exemple ici largement analysé. Si les aristocrates sont réputés vertueux par naissance et éducation, les démocrates ne sont jugés adultes responsables que par le regard de tous. Actes et mœurs sont les seuls critères pour leur faire confiance dans les affaires publiques. Platon contre Eschine, Le Banquet vs Contre Timarque, la convivialité cultivée contre l’agora des travailleurs pères de famille – c’est tout l’écart des mœurs entre l’aristocratie de l’esprit et de la fortune (portés aux jeunes garçons) et les Athéniens ordinaires (plutôt hétéros conservateurs).

ephebe nus cybele de corinthe

« Dans une relation pédérastique de qualité (…) l’homme qui, du fait de son âge et de son expérience, prend l’initiative d’une liaison doit vouloir du bien à son partenaire, et lui faire du bien. L’intérêt érotique pour une jeune personne, et non pas pour une chair fraîche, doit se prolonger longtemps, ce qui projette l’amour bien au-delà de l’adolescence (…) Se fixer sur des garçons pubescents parce qu’ils sont tendres et duveteux, pour enfin les quitter l’un après l’autre, dès que leur virilité se confirme : voici un comportement ignoble » p.123. Dans la culture populaire d’Athènes, la féminisation du garçon est une obsession et un cauchemar. Car la femme a la luxure gourmande, sans limites.

« Ce que j’espère avoir ajouté », dit l’auteur, « ce sont d’abord les arguments sur la priorité du désir, sur la transformation de la puberté, qui est à la fois transsexuelle et sensuelle, sur le jeu de miroirs entre discours différents, d’éloge ou de blâme, sur l’inexistence d’un rapport à sens unique entre pénétration et pouvoir et, surtout, sur la véritable absurdité de la dichotomie entre actif et passif, alors que les textes célèbrent, ou dénigrent les couples » p.293. Impact de la beauté, contagion du désir, durée dans l’attachement amoureux, c’est tout cela qui mène du mécanique (qui fascine nos contemporains) à la sensualité (réhabilitée des Antiques). « Je définis la sensualité comme tout ce qui exprime l’intensité intentionnelle de l’érotisme ; comme son irradiation esthétique, c’est-à-dire sensible d’un corps à l’autre » p.295. Quel que soit son genre, la sensualité est toujours un peu féminine. D’où la balance entre l’hommage à la virilité et la crainte de la mollesse, qui perd les cités (Sparte) et les empires (Rome).

seins nu et foot nu ado

Mais tout commence par le désir insatiable des femmes : on serait tellement bien, entre hommes, à converser agréablement lors d’un banquet – dit le philosophe – s’il ne fallait assurer enfants, richesses et attentions à l’épouse pour perpétuer la société… « Il y a une Antiquité fluide et femelle, toute à redécouvrir, dans ses accents propres qui n’ont rien à voir avec le pouvoir, indûment surestimé, d’une virilité violeuse et conquérante sur une féminité triste, inerte et chosifiée » p.18.

En Grèce, au commencement était Éros, l’entremetteur des contraires, capricieux et volage comme un petit garçon. Mais il faut distinguer les siècles : au VIIème (avant), dans le monde homérique, le désir est le passé du plaisir (désir-besoin, plaisir-soulagement) ; au Vème siècle des tragédies, l’amour est chimérique et désespéré d’absence, d’indifférence ou d’infidélité de l’être aimé ; au IVème siècle, chez les philosophes, le désir est insatiable, le plaisir dérisoire, mais le marchepied pour l’élévation de l’âme (et du disciple).

Rome est née de Vénus qui a fécondé Anchise, Romulus et Rémus sont nés d’une esclave qui s’est enfilée seule sur un phallus dressé dans l’âtre du roi Alba. Les rustres Romains ont dû enlever des Sabines pour les violer et assurer leur descendance. Tout l’art érotique de Rome sera de civiliser ces soldats-laboureurs. Ovide invente donc l’Art d’aimer, où toutes les femmes ne demandent qu’à être séduites, mais où l’homme doit ruser, amadouer, faire le siège avant de pousser la capitulation. C’est le jeu du désir, l’exacerbation de la sensualité plutôt que le sexe brut. Magnifier la femme (ou l’éphèbe) est mensonge, mais les deux finissent par y croire un peu. Magie de l’amour qui transfigure. Mais attention à la mollesse, elle prépare la décadence.

« Le phallus est une obsession romaine » p.250. L’idéal masculin est une fermeté du corps entier, érigé comme le pénis, image du caractère droit et de l’austérité ferme. A Rome, « il n’y a rien de mal pour un adulte à faire la cour à des garçons, dans la mesure où ces actes accomplis sur ces membres encore proches du féminin – et sexuellement malléables – n’en compromettent pas le développement naturel et la future masculinité » p.253. Dès 12 ans le garçon découvre les premières pulsions érotiques et commence à désirer ; il séduit et les poèmes de Catulle le célèbrent. Mais si le désir est spontané, l’amour s’apprend, y compris entre sexes opposés, c’est tout le message du roman Daphnis et Chloé.

Nous avons gardé du latin cette obsession de la virilité affichée, si nette dans les banlieues ou dans les engueulades entre automobilistes. Les Grecs étaient moins machos, autrement plus subtils. Les figures complexes d’Ulysse et Pénélope, d’Achille et Patrocle, d’Agamemnon-Iphigénie-Clytemnestre, d’Antigone, d’Agathon et de Phèdre nous parlent toujours.

Un beau livre fort instructif, facile à lire, d’une écriture un peu bavarde, mais disons lyrique et sensuelle, qui renouvelle le sujet avec érudition.

Giulia Sissa, Sexe et sensualité – la culture érotique des anciens, 2011, Odile Jacob, 329 pages, €23.99

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Pourquoi la France a perdu ses industries

Que la France perde ses industries, le fait est connu. Qu’ont fait nos hommes politiques pour réagir ? Pas grand chose. A quoi servent donc ces innombrables rapports, commandés à d’innombrables fonctionnaires qui ont le temps et le talent, si c’est pour ne rien faire ?

Un document de travail publié par la Direction générale du Trésor et de la politique économique sous la plume de Lilas Demmou, a donné l’état des lieux de la désindustrialisation en France de 1980 à 2007. L’industrie française – surtout manufacturière – a perdu 36% de ses effectifs depuis 1980, 1,9 millions d’emplois ou 71 000 par an (de 5,3 millions en 1980 à 3,4 millions en 2007). L’industrie a décliné dans le PIB de 24 à 14% au profit des services marchands (commerce, transports, finance, immobilier, services aux entreprises et aux particuliers) dont le poids dans le PIB est passé de 45 à 56% et dont l’emploi a cru de 53%.

Pour la chargée de mission, la perte d’emplois industriels touche tous les pays développés avec trois causes principales :

  1. L’externalisation de tâches des entreprises vers des sociétés de services
  2. Les gains de productivité et les modifications de la demande
  3. La concurrence des pays émergents

Les entreprises sont, depuis 20 ans, à la recherche d’une plus grande efficacité, c’est le propre du capitalisme. Une partie des activités des industries ont donc été confiées à des sociétés de services afin de se concentrer sur le cœur du métier, ce qu’on sait le mieux faire. Ces transferts d’emplois peuvent êtres estimés à 25% des pertes d’emplois industriels. Mais les emplois n’ont pas disparu, ils restent sur le territoire. Simplement, ils ne sont plus dans l’industrie mais dans les services. Ce mouvement a été particulièrement fort de 1980 à 2000, époque de grande restructuration ; il est beaucoup plus faible depuis, de l’ordre de 5% des emplois industriels en 7 ans, l’essentiel de l’externalisation ayant été fait.

Le progrès technique a pris le relais depuis 2000, via les gains de productivité dus à l’informatisation et à la réorganisation des tâches. Près de 30% des pertes d’emplois industriels sont imputables à la plus grande efficacité de la technique. Les industries ont moins besoin de main d’œuvre pour produire les mêmes biens. La baisse de prix de ces biens induit une demande plus forte, mais qui ne compense pas. Cette baisse de prix entraîne une hausse de revenus des ménages mais ils n’achètent pas plus de biens industriels mais plutôt des services, notamment de loisirs. 65% des pertes d’emplois industriels pour cette raison ont eu lieu de 2000 à 2007.

La concurrence étrangère est réelle et s’accentue. Sa mesure dépend des méthodes de calcul utilisées pour ce phénomène complexe. Les biens intermédiaires sont les plus touchés (41% des pertes d’emplois industriels), mais jusqu’en 2007 beaucoup moins l’automobile (-7%), l’énergie (-4%) ou l’agroalimentaire (-0,3%). C’est dire s’il est important de surveiller et d’aider ces trois secteurs en France ! Les échanges avec l’extérieur ont augmenté, les exportations passant de 12 à 17% du PIB entre 1980 et 2007, les importations de 11 à 18%. La tendance est que tout pouvoir d’achat des ménages encourage les importations, tandis que tout gain d’efficacité encourage les exportations. Ce qui est utile à savoir pour les plans de relance (mais qui est le contraire de ce qui est pratiqué par le gouvernement Ayrault). La part des pays émergents dans la concurrence est cependant à relativiser, passant de 0,2 à 0,7% du PIB pour les importations depuis 1980 et de 0,7 à 0,9% pour les exportations.

Les destructions d’emplois industriels dues aux échanges expliqueraient 13% des pertes d’emplois selon une approche comptable, les échanges agroalimentaires touchant moins l’emploi que ceux des biens d’équipement et de l’auto. Mais cette méthode prend pour hypothèse une substitution parfaite entre biens importés et biens produits localement, ce qui est contestable.

Une autre approche, économétrique, chiffre ces pertes d’emplois dues aux échanges à 45% du total. Elles seraient dues pour 17% aux pays émergents qui produisent les biens moyens moins chers mais, pour le reste, à la perte de compétitivité de la France sur les marchés mondiaux surtout depuis 2000.

La concurrence des pays à bas salaires est donc une part mais pas l’essentiel, contrairement aux simplifications politiques. Comparons avec l’Allemagne, notre principal partenaire dans la même zone d’échanges et avec le même euro « fort » !

Au contraire, nous pouvons supposer que ce qui a dégradé en relatif l’efficacité industrielle de la France est :

  • le moindre investissement
  • la répugnance à l’innovation et au service
  • le coût du travail (moins le niveau du salaire que les charges sociales)
  • la haine de l’entreprise (les 35 heures, les grèves, la désorganisation du transport, les errements de la fiscalité, les intello-médiatiques, le socialisme radical)
  • la méfiance salariés-patrons (et la faible représentativité des syndicats, portés à la surenchère)
  • l’ignorance de la formation continue
  • la peur de l’exportation
  • les erreurs de management, etc…

C’est toute une société qui a envie de se battre ou, au contraire de se laisser vivre : voyez la Grèce. Depuis 2000 en effet, selon l’étude, 63% des pertes d’emplois industriels sont dus à la concurrence étrangère (mais seulement 23% dus aux pays émergents). Les efforts de l’Allemagne, notre principal partenaire commercial, ont payé ; la France, répugnant à s’adapter, a reculé. Tous les décideurs le savaient, ceux alors dans l’opposition aussi. S’y sont-ils préparé ?

Lilas Demmou, La désindustrialisation en France, Les Cahiers de la DGTPE n°2010-01, février 2010

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Se faire avoir chez les Grecs

Christine Lagarde aurait-elle dit officiellement tout haut ce que chacun pense in petto tout bas ? Scandale dans la gauche moraliste ! Les Joffrin, Mélenchon et autres manipulateurs d’opinion, qui n’hésitent jamais à couper la parole à leurs interlocuteurs même « chers collègues » pour asséner leur conviction « politique », entonnent la grosse caisse de la honte envers Christine Lagarde. Pourtant, qu’a-t-elle dit de si honteux ?

Selon ses propos au ‘Guardian’, rapportés par ‘La Tribune’ : « Je pense qu’ils devraient s’aider mutuellement (…) en payant tous leurs impôts », en évoquant « tous ces gens qui tentent en permanence d’échapper à l’impôt ».

Vraiment, quel scandale ! Quand un vulgum sinistrus déclare que « les riches » doivent faire preuve de solidarité en payant tous leurs impôts en France, en évoquant tous ces gens qui tentent en permanence de s’exiler fiscalement, la gauche morale applaudit des deux mains et des deux pieds. Quand c’est Christine Lagarde, voilà qu’elle aurait tout faux ?

Aussitôt, les spécieux experts en manipulation d’éléments de langage de « préciser » : certes, elle a raison de dire que ceux qui ne payent pas d’impôts devraient en payer, mais elle a « stigmatisé » tous les Grecs, or de nombreux Grecs payent leurs impôts, à commencer par les fonctionnaires. On dit même que certains payent la TVA… quand il y a une facture. Raisonnement à courte vue, comme d’habitude dans la dialectique gauchiste. Car les moralistes confondent volontiers la science sociale (qui se doit d’être neutre et objective) et l’argumentation politique (qui est un combat d’arguments citoyens).

Certes, en puriste, ce ne sont pas « tous les Grecs » ou « les Grecs en général » qui évitent volontairement l’impôt. Mais ce sont les plus aisés, les plus lourds dans le PIB, les plus influents en termes politiques : les armateurs, les professions libérales, les gros propriétaires, l’Église. Ces « dominants » (pour reprendre la distinction de gauche à la mode), maîtrisent l’opinion en jouant sur l’idéologie pour préserver leurs petits intérêts clientélistes. Ce sont donc quasi « tous » les Grecs citoyens qui acceptent le système tel qu’il est et ne veulent surtout ne rien y changer ! Tiens, nous sommes passés de la science sociale d’observation à la politique en action…

Les Grecs, notamment le socialiste M. Venizelos et le mélenchonien M. Tsipras, ont parlé « d’humiliation du peuple grec ». Or ne s’est-il pas humilié lui-même ? Qui a voté avec constance pour les partis clientélistes qui ont fait disparaître dans le tonneau des danaïdes les subventions européennes destinées à aider la Grèce à se mettre au niveau européen depuis des décennies ? ‘Le Monde diplomatique’ – repaire de capitalistes ultralibéraux, comme chacun sait – : « depuis son adhésion en 1981, le pays a perçu plus de 100 milliards d’euros de fonds communautaires ».

Nous sommes là dans la politique qui exige un débat citoyen, aujourd’hui européen et mondial puisque ce sont nos impôts qui renflouent sans cesse la Grèce inapte à régler elle-même ses problèmes. Christine Lagarde, qui tient les cordons de la bourse au FMI, est donc fondée à participer au débat. Nous ne sommes pas dans l’observation sociologique abstraite : la majorité des Grecs a toléré, perpétré et encouragé la fraude fiscale. N’importe quel touriste, même de gauche, a pu le constater depuis des décennies. Il le constate encore s’il est de bonne foi, puisque la plupart des commerçants exigent le paiement en liquide ! Et il suffit d’observer que l’exonération « dépludémuni » est le double de la française, 12 000 euros de revenus par an, pour relativiser l’accusation d’affamer les Grecs des Mélenchon et consorts.

Quand aux fonctionnaires… citons ‘Libération’ – quotidien très à droite et réactionnaire conservateur, comme chacun sait – « le gouvernement est incapable de chiffrer exactement les effectifs de la fonction publique – entre 500 000 et 800 000 si l’on y intègre aussi les employés territoriaux et ceux des entreprises publiques, c’est-à-dire un actif sur cinq. Leur situation financière est aussi floue : près de 50 primes diverses, allant des cadeaux de Pâques et de Noël aux missions de déplacement, en passant par la prime de frontières – pour la plupart des îles, villages et villes frontaliers du pays, ce qui fait beaucoup -, qui doublent et parfois triplent les salaires, sans compter les à-côtés légaux. » Oh, petite précision à l’attention des puristes : l’article date d’avant « la polémique », de février 2010…

Nous voyons là à l’œuvre la dialectique du déni : quand la gauche parle, elle dit forcément le Bien, la vérité, la marche « scientifique » de l’histoire (en 2010, la gauche trouvait les Grecs laxistes) ; quand la droite parle, elle a forcément des arrière-pensées pour le Mal, le mensonge politique, la perpétuation du pouvoir des dominants sur la société (en 2012, la gauche trouve des excuses puisque c’est la droite qui trouve les Grecs laxistes).

Sur les Grecs et les impôts, la gauche est prise en flagrant délire de mensonge politique avec effet pervers de… perpétuer le pouvoir des dominants grecs sur leur société ! Je cite encore ‘Le Monde diplomatique’ : « Côté recettes, la fraude fiscale, largement répandue, prive chaque année l’État de 20 milliards d’euros. Côté dépenses, le poste principal est le budget inflationniste d’un service public inefficace et gonflé à outrance. »

Malheureux, les Grecs ? Ils ont les salariés les mieux payés du pays… en relatif : « En 2008, les membres des professions libérales (médecins, avocats, architectes) déclaraient un revenu annuel de 10 493 euros, les hommes d’affaires et les traders de 13 236 euros en moyenne, tandis que celui des salariés et des retraités se montait à 16 123 euros. Pour le fisc, les plus riches sont les ouvriers, les employés et les retraités. » Eh oui, les traders sont plus pauvres que les salariés… pourquoi Mélenchon ne les montre-t-il pas en exemple ?

Évidemment, cet article d’un journaliste de gauche à Athènes a été publié bien avant « la polémique » : en mars 2010. Quand je dis que la politique rend con… Si Christine Lagarde avait été « de gauche », elle aurait dit une triste vérité ; mais comme elle a été nommée par l’illégitime Sarkozy, elle ne peut qu’être gaffeuse et haïssable.

Il faut bien sûr compatir avec les changements drastiques nécessaires en Grèce : toute habitude modifiée ne fait pas que des gagnants à court terme et il y a de vrais pauvres, tels certains retraités, les chômeurs, les jeunes à la recherche d’un petit boulot. Mais le système de mendicité et de redistribution clientéliste peut-il durer avec l’argent des autres ? « En Grèce, payer ses impôts, c’est être un con », confirme Pedros, patron d’une PME de cosmétiques, cité sur le blog Bruxelles de ‘Libération’. La gauche radicale crierait-elle au loup parce que la taxation et la redistribution clientéliste sont justement son idéal politique ? Serait-elle pour « un système féodal, une magouillocratie », comme le dénonce dans le même article le journaliste Athanase Papandropoulos ?

On peut donc soupçonner – déjà – un divorce à gauche, entre ceux qui sont en charge des affaires et ceux qui s’y refusent absolument.

La ministre porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Blekacem, invitée de ‘Dimanche+’, déclare « qu’aujourd’hui, il n’y a pas de leçon à donner » et « qu’il faut toujours avoir un esprit constructif ». Voilà qui est plus raisonnable que les grandes orgues des moralistes multiculturels assis le multicul toujours entre deux chaises et qui se déconsidèrent chaque jour davantage.

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Le normal-socialisme

La fin du népotisme et des oukases présidentiels, le retour aux corps intermédiaires, à l’indépendance de la justice : le règne commençant de François Hollande et de son Premier ministre Jean-Marc Ayrault, fils d’ouvrier du textile et méritocrate républicain, ressemble fort au radical-socialisme relouqué, une sorte de « normal-socialisme » pour président « normal », un bruit de fond politique dans la société française.

Mais prendre le pouvoir est une chose, l’exercer une autre. L’anti-sarkozysme primaire n’a jamais fait un projet, « revenir » sur les réformes de l’hyperprésident ne dessine aucun avenir… mais la fin de laborieuses économies budgétaires qu’il va falloir compenser par ailleurs. L’économie va mal dans la réalité et le déni va sans souci dans l’opinion de gauche. La mauvaise Grèce vient justement de se rappeler aux membres de l’Union. Elle refuse à la fois l’austérité et la sortie de l’euro, rejette son élite aux commandes et la discipline collective, ne veut pas payer d’impôts ni de tutelle budgétaire… D’où la montée des extrêmes, dits « populistes » pour dire leur immaturité violente : les gauchistes et les nazis, le Mélenchon et la Marine à la grecque. Avis de dérive possible à la gauche au pouvoir.

Contrer l’extrémisme veut dire donner des voix aux courants populaires. Cela passe par une dose de proportionnelle, peut-être, mais surtout par un rôle réévalué du Parlement où doivent être débattus dans la sérénité et la durée les grandes questions de société et d’économie. La « normalité » de la Vème République est que le président règne et que le Premier ministre gouverne, chef de la majorité parlementaire mais pas dispensé de ses avis. La normalité des institutions exige que les contrepouvoirs remplissent leur tâche sans interférence du politique, ni des partis, ni des ego des puissants. Cela passe aussi à la base par les associations, les syndicats, les débats publics, les référendums locaux, la presse locale, les blogs, les réseaux sociaux… Être citoyen, c’est participer, pas se retirer dans l’entre-soi en remâchant ses rancœurs sur le « tous pourris » ou « l’État PS ».

Le socialisme Hollande n’est pas le socialisme Mitterrand et 2012 n’a rien à voir avec 1981, n’en déplaise aux histrions médiatiques qui adorent les rétrospectives (ce qui leur évite de réfléchir et d’inventer). L’étatisme jacobin des nationalisateurs taxeurs n’est plus d’actualité. Nous vivons dans le monde ouvert du XXIème siècle, pas dans la nostalgie du marxisme bismarckien début XXème. L’industrie lourde fond à vue d’œil et peut-être faut-il s’en préoccuper, mais il faut surtout encourager l’innovation, l’image de marque et le service !

Ce ne sont pas les subventions d’État qu’il faut aux Français, mais moins de paperasserie pour créer une entreprise, moins d’obstacles à toute réduction d’effectifs en cas de crise – ce qui rend l’embauche malthusienne – moins de mépris pour « le profit » s’il est réinvesti pour créer de l’activité, donc de l’emploi et des exportations, moins de mathématisation du cursus scolaire, la réévaluation des relations humaines et des réalisations en équipe. Vaste programme pour le normal-socialisme !

Mais n’est-ce pas cela avant tout, « changer la vie » ? Bien plus que rêver d’une utopie (qui n’a jamais que des bons côtés) ou régresser à un âge d’or (qui n’a jamais existé) ? On a vu ce qu’a donné l’utopie communiste en URSS, en Chine, à Cuba, au Cambodge… On a oublié que l’âge d’or des Trente glorieuses de la reconstruction et l’État-providence créé en 1945, ont généré les guerres coloniales, les rapatriés d’Algérie, la révolte fiscale des artisans-commerçants, les manifs d’agriculteurs excédés de « Paris et du désert français », les attentats OAS, le travail en miettes, l’homme unidimensionnel aboutissant à la révolte de mai 68 et l’effondrement des houillères et de la sidérurgie…

Le capitalisme actuel est moins industriel et familial (rhénan) que financier et anonyme (anglo-saxon). L’Allemagne, le Japon, la Chine, l’Inde, montrent que le capitalisme industriel est le seul qui donne la puissance aux États, alors que le capitalisme financier reste hors sol, cosmopolite, égoïste, évanoui dans les paradis fiscaux. La question est alors moins de savoir gérer l’existant (la finance) que d’encourager l’intérêt stratégique national et européen (l’industrie). « Dompter » la finance ne devrait donc pas suffire au normal-socialisme.

Le contraste allemand montre combien la France est loin de l’état d’esprit nécessaire ! En France : une éducation vouée à l’abstraction, le tabou sur l’apprentissage, le mépris de l’argent au profit des « honneurs », la lutte des classes permanente entre syndicats (très peu représentatifs et surtout du public) et les patrons (pas tous profiteurs), la propension des jeunes à vouloir « devenir fonctionnaires » à 70%, les 35h et la retraite à 60 ans, les quatre mois de vacances des enfeignants et les journées chargées des enfants, les « devoirs » à la maison et le jugement ultime sur les seuls maths pour « classer » les bons et les nuls, l’ouverture sans filtre de l’université où 70% des premières années n’atteignent jamais la troisième, générant un gaspillage de moyens et des rancœurs d’orientation…

L’apaisement normal-socialiste de la France passe par l’examen de ce qu’a réussi l’Allemagne. Il ne s’agit pas de copier un « modèle » (vieux tropisme scolaire des abstracteurs français mal éduqués par le système), mais de voir comment nous pourrions changer en mieux : des jours de classe moins chargés, des vacances plus courtes, des enseignants moins nombreux par élève mais mieux payés, des activités collectives, l’apprentissage en alternance, des syndicats bien plus représentatifs, la cogestion de crise syndicat-patronat, l’implication des collectivités publiques dans les entreprises d’intérêt stratégique, une paperasserie bien moindre et moins de taxes sur l’emploi et les revenus du travail. Rien que cela !

Mais l’égalité, dit Pierre Rosanvallon (La société des égaux), est la capacité à se comporter en égaux : ce qui signifie être autonome, responsable et indépendant. Tel est le normal-socialisme : l’’inverse de la victimisation Royal ou du care Aubry où un État-maman distribue la becquée et les soins aux milliers de pauvres assistés réputés incapables et maintenus sous tutelle. Le normal-socialiste se constitue en égal des autres par l’éducation, les liens sociaux et l’intelligence des situations – au contraire de la gauche tradi qui croit encore à l’État niveleur rendant tout le monde pareil.

La société devient plus complexe parce que l’individualisme s’approfondit avec la démocratie, Tocqueville l’avait déjà montré. La représentation politique ne peut dès lors plus passer seulement par les grandes machines de masse que sont les partis, ni la politique consister à imposer d’en haut des décisions technocratiques ou partisanes. Il faut plutôt écouter, faire remonter, expliquer, débattre, négocier. Associer la population et les qualifiés aux décisions, montrer qu’il y aura toujours des perdants à tout changement d’une quelconque situation, mais que l’intérêt national et européen doit primer. Que la dépense publique ne va pas sans rigueur budgétaire et que trop d’impôts tue l’impôt. Fini le « toujours plus ! », place au réalisme.

Non, 2012 ne ressemble en rien à 1981. Le socialisme à la française serait-il devenu « normal » ? Semblable aux autres socialismes européens ?

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Moi, président de la République

Depuis 20 h, ce dimanche soir, nous avons pour cinq ans un nouveau président de la République en France. Vertu des élections libres, précédées de débats démocratiques, que peu de pays au monde permettent (regardez en Syrie, en Russie, en Chine…). 2012 apparaît comme la chronique d’une défaite annoncée, celle de Nicolas Sarkozy, mais c’est maintenant que tout commence pour François Hollande. Car rien n’est fait, le programme du parti Socialiste et des Verts est à mettre à la poubelle de l’histoire tant il rêve – alors que le présent presse : les 18% d’électeurs Le Pen, la dette, les menaces sur l’euro.

Chronique d’une défaite annoncée

Pardon de me citer, je l’avais écrit il y a deux ans en septembre 2010  et même en 2008 avec une comparaison prémonitoire avec le tempérament de Churchill. Au fond, « s’il sait présider, Nicolas Sarkozy ne sait pas gouverner. Il n’a pas compris qu’un président de quinquennat est plus chef d’équipe qu’arbitre gaullien au-dessus des partis ». Le pire ennemi de Nicolas Sarkozy, c’est lui-même. « On le sait bien, Nicolas Sarkozy n’est pas un libéral – pas même une de ces caricatures de gauche pour effrayer les enfants. Nicolas Sarkozy est bonapartiste, interventionniste, oscillant entre néo-conservatisme et néo-colbertisme, entre Guaino et Guéant, ses deux éminences grises. Et, au fond, c’est bien cela le problème : l’image que donne le président Sarkozy ». Rien de bien neuf, cela se voyait déjà durant ses premiers mois de président.

Nicolas Sarkozy a fait une mauvaise campagne. Content de lui, avide qu’on l’aime, il s’est montré sur la défensive, donc agressif. Plutôt que de mettre en avant les points positifs de son bilan (il y en a), il est passé dessus comme s’ils ne comptaient pas. Il a préféré attaquer son adversaire comme en combat de rue, plutôt que d’exercer sa faculté critique et pédagogique. Les poings plus que les mots, il est tout dans l’action, rien dans l’explication. Voyant la France à droite, comme dans les années 30, il a couru derrière Marine et a laissé tomber le centre. Marine va voter blanc (il est vrai qu’il lui serait difficile de voter noir…) et le centre se venge en laissant tomber l’agité.

Ce comportement suicidaire immature a quelque chose de la ‘Fureur de vivre’ : foncer pour compenser l’absence de père, se mesurer au couteau pour prouver sa virilité, tout au présent, sans histoire (déniée parce qu’elle fait mal) et sans avenir (par infantilisme). Nous avions cru aux réformes après l’immobilisme Chirac, au dynamisme du travail après le prurit dépensier Jospin. Échec. Au débat du 2 mai, le score est sans appel : Hollande 1, Sarkozy 0. A l’élection du 6 mai : Hollande 51.6%, Sarkozy 48.3% (chiffres définitifs). Moins que l’écart abyssal annoncé par les sondages, mais large.

Sarkozy a détruit l’image du président, il a détruit la droite rassemblée, il a été sanctionné. Peut-être le désirait-il ? Le comportement suicidaire est toujours un appel.

A l’inverse, François Hollande a joué la force tranquille. Par imitation de son grand modèle François 1, mais il a été efficace, droit dans ses convictions (peut-être droit dans ses bottes, mais durant le débat on ne les voyait pas) et surtout rationnel, cohérent. Faisant apparaître agités et incohérents les mouvements d’épaules et les redressements de veste de son concurrent.

Mais c’est maintenant que tout commence

Gagner une élection ne fait pas une politique, tout au plus séduit-on mieux. Mais pour quoi faire ? Le paysage français est celui d’un cinquième d’abstentionnistes, un dixième de révolutionnaires et d’un cinquième de déclassés tentés par l’autorité droitière – comme en Grèce. Le ressentiment des laissés pour compte de la mondialisation économique, culturelle et migratoire se font entendre, haut et fort. Au premier tour, 30% des ouvriers, 28% des artisans et commerçants, 26% des employés et 21% des 18-24 ans ont voté Le Pen. Que va dire le nouveau président à ces électeurs ? Va-t-il encourager les 12 ou 13% de radicaux mélenchon-gauchistes ? Ce serait suicidaire.

Car l’État-providence à la française est épuisé. Trop de dettes dues à trop de laxisme dans la gestion de l’administration, à l’empilement des niveaux de décision, à cette répugnance à réorganiser et informatiser, à évaluer les réformes. Que faire ? Changer radicalement la fonction publique et adapter l’État à ses missions essentielles ? Difficile quand on a été élu principalement par les fonctionnaires et les ayants droits des zavantages sociaux. Augmenter les impôts ? Facile à court terme, surtout lorsqu’on jure qu’il s’agit de ceux des « riches » – mais peu rémunérateur, tant les « riches » sont peu nombreux. Faudra-t-il ponctionner un peu plus la classe moyenne ? Le tropisme fiscal est-il compatible avec la lutte des entreprises pour se faire une place dans le monde ?

C’est un chapitre classique des manuels d’économie de montrer qu’il n’y a que deux moyens d’assainir un budget d’État : d’une part augmenter les recettes et diminuer les dépenses, d’autre part encourager la production et rationaliser l’administration. La gauche sait faire sur les impôts – mais elle ne promet aucunement de diminuer les dépenses… Saura-t-elle favoriser l’entrepreneuriat et augmenter la productivité publique ? A trop rigidifier le cadre de l’économie, fiscaliser le profit, empêcher les licenciements, taxer la production, on fait fuir l’investissement des grands groupes et les talents, et l’on empêche la création de ces PME et TPE qui sont le ressort de l’Allemagne. On permet donc le marasme des petits salaires, de la précarité, du chômage. Ce qui augmente l’assistanat et fait baisser les rentrées fiscales…

L’incantation magique à « la croissance » ne sert à rien si l’on n’encourage pas le tempérament d’entreprendre et le profit légitime. Pourquoi créer en France une entreprise si la paperasserie et le fisc multiplient les obstacles ? Si l’opinion commune vous jalouse et vous méprise ? Autant être fonctionnaire, bien tranquille, sûr d’être payé (quoique…). La relance « keynésienne » de la gauche est une magie aujourd’hui peu efficace parce que le monde est ouvert et que des pays immenses émergent au développement, donc aux exportations à bas coûts. La récente expérience américaine montre que baisser le coût du travail est plus efficace que favoriser la consommation : car celle-ci est excessive, gaspilleuse, favorisant les importations, donc la dépendance du pays…

Mais baisser le coût du travail ne signifie pas baisser les salaires ! Un patron qui paye la même chose en Suisse qu’en France verse 60% au salarié, pas 40% comme aux Français… Cherchez l’erreur : dans l’empilement des cotisations sociales mal ciblées, à l’utilisation mal contrôlées, générant des fromages syndicaux sans nombre (y compris des syndicats patronaux). C’est l’interventionnisme d’État qui coûte cher en France, pas « le travail ».

Désigner des boucs émissaires est facile, cela ressoude la bande, mais qu’en est-il de l’antisarkozysme quand il n’y a plus de Sarkozy ? L’immigration et l’islamisme sont-ils moins un problème sous la gauche ? La finance, le libre-échange et l’Union européenne sont-ils sans influence parce que la gauche est au pouvoir ? On ne change pas la vie, on l’adapte. C’est moins rose mais bien plus efficace. « Justice » dit François Hollande : ce qui signifie juste milieu et juste répartition, balance des avantages et inconvénients pour chaque mesure, évaluation juste à temps de ce qui se tente. Les électeurs jugeront.

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Nos politiciens ont-ils compris quelque chose ?

Le mouvement du monde nous berce sans que l’on prenne conscience des changements. La vertu des crises est de précipiter les choses et de montrer quelles sont nos fragilités dans cette histoire qui avance. Bien que beaucoup le dénient, nostalgiques du passé ou volontaristes de leur pré carré politicien, la France a son destin indissolublement lié à celui de l’Europe. Celle-ci fonctionne cahin-caha, mal organisée, mal comprise, mal gérée. On ne reviendra pas sur les erreurs politiques de l’élargissement trop précipité sans institutions fiables ; de la création d’une monnaie unique sans mécanismes de convergence réelle par étapes ; du refus de la démocratie par l’élection du Parlement unique le même jour et selon les mêmes modalités dans tous les pays.

Oui, les politiciens de droite comme de gauche, ont leurs responsabilités. Il est risible d’entendre les yakas socialistes aujourd’hui, alors que la méthode Delors a été largement piétinée et que les cinq ans Jospin n’ont vraiment pas faits la preuve d’une volonté d’aller plus loin.

Aujourd’hui, la crise financière est devenue économique, puis politique. Les États, surtout latins, ont pris des habitudes d’endettement systématique et de laxisme budgétaire clientéliste, fondées sur la politique de demande (soutien à la consommation plutôt qu’à la production). Les boucs émissaires commodes du déni sont naturellement « les autres » – surtout pas les politiciens !

C’est particulièrement vrai en Grèce où l’augmentation du nombre et du salaire des fonctionnaires a été bien supérieur aux capacités du pays, sans que ni la croissance, ni la fiscalité, ne permettent de financer. L’argent de l’Europe était une manne bénie, la force de l’euro permettait des importations hors zone à bas prix. La « descente » de l’héroïnomane est toujours vertigineuse, d’où le sentiment d’abandon et de désespoir des Grecs aujourd’hui.

Mais que font-ils, les Grecs, pour forcer leurs politiciens à faire rentrer les impôts fonciers ? A établir ne serait-ce qu’un cadastre ? A condamner le paiement des commerçants et des professions libérales au noir ? Pour supprimer les rentes de monopole ? Pas grand-chose en dehors de brailler dans la rue… Contrairement à la Suède, où la crise des finances publiques a été réglée dans le débat et avec les années, la Grèce manque de démocratie concrète. Trop longtemps asservie par les Turcs, elle en a pris les habitudes du clientélisme et du bakchich. L’exemple actuel de l’Irlande montre qu’un pays européen, démocratique, effondré par la même crise, peut se redresser avec les mêmes aides de l’Europe.

Graphique de la confiance dans la zone euro :

Ce qui compte est la confiance. Celle des ménages, des entreprises, des investisseurs. Parmi les investisseurs il y a évidemment les marchés (qui achètent les obligations d’État), mais aussi les banques. Les États-Unis financent leur économie surtout par les marchés, d’où le soutien qui leur est apporté par la Fed plus qu’aux banques. En Europe, c’est l’inverse : les banques financent près de 80% des entreprises – il est donc logique que les gouvernements et la BCE se soient préoccupés avant tout d’assurer la liquidité aux banques. Celles-ci restent fragiles, puisque plombées encore quelques années avec les produits toxiques (subprimes et CDS) comme avec les emprunts des États incapables de rembourser. Surveiller le système bancaire demeure donc crucial.

Mais il y a plus : sans confiance, pas de système. Les États doivent restaurer cette confiance générale par une double action de rigueur et de croissance. C’est politiquement difficile dans les pays où la démocratie est peu mûre – et la France en fait partie, État centralisé, à mentalité autoritaire, sans guère de contrepouvoirs institutionnels. Le citoyen considère que l’État est responsable de tout, donc yaka. Pêle-mêle : violer les banquiers, nationaliser les banques, dompter les marchés financiers, faire rendre gorge aux « riches » (au-dessus de 4000€ par mois pour un couple selon Hollande, « je prends tout » éructe Mélenchon qui a piqué le terme à Jean-Marie Le Pen… dans son « je prends tout » de l’histoire de France).

Suffirait-il de décider d’en haut pour que tout suive et s’organise ? Conception héritée tout droit du catholicisme romain que de considérer la Raison comme souveraine en soi, volonté de Dieu pour ses élus : il suffit qu’elle paraisse pour que tout le monde s’incline. Vieille légèreté française datant du culte à Robespierre que de croire en la Vertu, évidemment incarnée par un seul homme qui dit le bien et le mal et s’impose par la terreur – sans débat. Recopiage scolaire de la pensée allemande sous Hegel, pour qui  Dieu s’incarne dans l’Histoire, et que les histrions font accoucher en gueulant très fort comme des femmes en gésine.

  • Je m’interroge sur la contradiction à gauche de prôner le « développement durable » lorsqu’il s’agit de l’énergie et de la planète – mais de refuser ce même « développement durable » lorsqu’il s’agit de la dépense publique…
  • Je m’interroge sur le riche sénateur Mélenchon se faisant défenseur des « pauvres », comme si la fortune venue du public était plus « morale » que l’enrichissement issu de ses mérites, par la création ou l’entreprise. Peu d’ouvriers font confiance à Mélenchon, mais un maximum de profs.
  • Je m’interroge sur cette propension à redistribuer plus… tout en voulant rester « dans » l’euro, comme si la Grèce n’était pas le contre-exemple parfait de gabegie politicienne.

Le « pic » du pétrole est atteint, celui de l’endettement d’État aussi. Il faut donc organiser la « décroissance » de l’État obèse, celui qui se mêle de tout, qui régente tout, avec ses strates multiples de décision sans concertation. Maigrir, réorganiser, simplifier. Les écolos sont d’accord, mais pas Mélenchon. François Hollande a maigri lui-même avant d’être candidat, fera-t-il maigrir la France s’il est élu ? Où laissera-t-il ses petits copains, entrés dans la pâtisserie après être restés longtemps cantonnés derrière la vitre, mettre les deux mains dans les pots de bonbons, aiguillonnée par la gauche de la gauche ?

L’économie n’est pas mécanique, mais politique. Il ne suffit pas de verser d’un vase dans un autre, de prendre aux riches pour redistribuer aux pauvres, pour que tout se rééquilibre tout seul. Cela, c’est la Cité de Dieu catholique c’est le « laisser-faire » dont une certaine gauche ignare croit le libéralisme coupable. L’équilibre s’effectue dans le mouvement et, en économie, il s’agit de la confiance. Ériger la guerre civile en principe, droite contre gauche, riches contre peuple (stratégie d’évitement des élites…), national-socialisme contre libéral-Europe, dénigrer systématiquement tout ce qui a été fait par le précédent gouvernement, « détricoter » loi par loi pour rétablir cet âge d’or qui était avant, faire « comme si » ni le monde, ni l’Europe, ni les Français n’avaient changés – rien de cela n’est fait pour établir la confiance.

  • Ni celle des ménages (qui ne vont pas dépenser s’ils pensent être plus imposés) ;
  • Ni celle des entreprises (interdites de licenciements – donc soucieuses de ne pas embaucher – taxées plus, soumises aux banques par découragement des actionnaires, tentées de délocaliser, voire d’installer ailleurs leur siège social pour les plus grandes – comme Schneider) ;
  • Ni celle des investisseurs (taxés sur les transactions, taxés sur les gains, taxés sur le patrimoine, taxés sur les successions).

La démocratie, c’est le débat, pas le populisme des sondages plébiscitant des décisions idéologiques venues d’une secte : dénoncez tout et fermez les frontières ! dépensez tout et mendiez pour rester dans l’euro ! écoutez le complot Cheminade ! donnez tout le pouvoir aux seuls travailleurs d’usines !

L’Europe du nord sait faire, l’Europe du sud a beaucoup de réticence. Encore que l’Italie ne s’en sorte pas si mal : il y a une vraie souplesse politique sous des dehors partisans – contrairement aux rigidités françaises.

Peut-être est-ce parce que l’Italie exporte plus que la France via ses PME ? L’ouverture à l’extérieur, par les exportations des entreprises régionales, ouvre l’esprit au monde. Elle donne du bons sens à la souplesse et à l’inventivité. Chacun voit alors que s’il ne travaille pas assez, s’il produit trop cher, s’il bloque l’efficacité de l’organisation, si le service après vente est par-dessus la jambe, son salaire va en pâtir, son emploi être compromis.

La France est à l’inverse le pays du fonctionnariat. Près de la moitié de la population active est concernée par l’emploi public, soit directement, soit par le conjoint ou les enfants. De bonne foi, un fonctionnaire ne comprend rien à la compétitivité du pays. Il ne connaît rien à la pression économique (en témoignent les suicides par désespoir des salariés des ex-entreprises publiques à qui l’on demande de changer de mentalité…). Un fonctionnaire ne peut fonctionner mieux que s’il a « plus de moyens », c’est dans l’esprit même de l’administration des choses. Il ne faut pas lui en vouloir, il a été formé ainsi et est de toute bonne foi. Mais pour que la France aille mieux il ne s’agit pas d’administrer les choses : il s’agit de les produire. Qui parle de production, à gauche ? Qui ?

C’est aux politiciens d’expliquer et de convaincre, de prendre les mesures pour encourager à créer et à entreprendre, d’établir la confiance pour ne pas changer les règles à chaque élection, allant pour le produit du travail du laxisme à la confiscation. Mais nos politiciens ont-ils compris quelque chose ?

Les indices de confiance :

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Lawrence Durrell, L’esprit des lieux

Il est né le né le 27 février 1912 et l’on fêterait son centenaire s’il n’était mort il y a douze ans déjà, le 7 novembre 1990 à Sommières dans le sud de la France. Cette célébration virtuelle permet cependant d’évoquer un auteur injustement oublié car trop hédoniste dans une époque qui ne pense qu’à la thune et la frime.

Lawrence Durrell savait vivre. Anglo-irlandais né aux Indes, il n’aimait pas l’Angleterre, découverte à la prime adolescence, sa brume et son puritanisme frileux. Il a choisi d’habiter ailleurs et autrement, choisissant le métier de diplomate. Il se sentait plus proche des méditerranéens et sa terre d’élection fut successivement Corfou, Le Caire, Chypre, la Yougoslavie, l’Argentine puis le Gard. Lumière crue, lignes dures, odeur forte des plantes et fade de l’eau qui coule toujours. Pays de l’huile, du vin, des légumes et de la convivialité. Il lui fallait tout cela pour se sentir heureux de vivre.

Son roman le plus connu est ‘Le Quatuor d’Alexandrie’ mais ‘L’esprit des lieux’ est le livre qui le montre en entier, celui que je préfère encore aux romans. Recueil de lettres et d’articles qui montrent le bonheur de vivre. Lorsqu’il évoque les Grecs, il se décrit lui-même. Leurs deux qualités primordiales sont, selon lui, « curiosité infinie et sensualité ». Ce sont ces qualités qu’on retrouve dans ses livres, perdus aujourd’hui dans le matérialisme de crise. Sa prose fluide est riche d’évocation. Il décrit minutieusement sa sensation et injecte son impression dans les phrases. Rien de froidement photographique mais le regard chargé d’affect. Derrière les mots se profile une sensibilité, un auteur chaud et vivant, un être de passion. Il captive parce qu’il veut faire partager ce feu qui couve sous la cendre. Paysages et personnes, jamais les uns ne vont sans les autres : le pays est façonné de mains d’hommes avec les siècles, chargé de mythes et d’histoire. Les gens sont façonnés par le paysage dans lequel ils évoluent, au point de se demander même qui est premier de la symbiose entre une terre et un peuple.

Durrell traverse les pays comme un élément rapporté, mais jamais étranger. Il a la vertu du voyageur, ce qu’il appelle « l’identification ». Il assure qu’une dizaine de minutes, assis sur l’omphalos de Delphes, l’esprit silencieux, font plus que vingt années d’études des textes grecs antiques pour comprendre la Grèce. Contempler le paysage alentour en imposant silence au moi, pour s’en laisser pénétrer, donne une empathie avec l’âme du pays. Cette attention compréhensive, respectueuse, est ouverture à ce qui est autre, accueil de l’étrange, seule façon efficace de connaître et de comprendre. Ainsi disait Heidegger.

D’un battement de paupières, laver l’œil de toute image antérieure. Rendre son esprit vierge d’échos pour accueillir ce qui vient. Recueillement de la conscience qui fait taire ces idées surgissant toujours comme des bulles. Il ne faut rien de plus pour « être » dans un paysage, en accord avec la terre et au diapason des bêtes, des enfants, des gens. Il faut faire silence en soi pour dompter ces mots toujours prêts à surgir, impérieux, tranchants et catégoriques, des mots qui nomment et déforment sans laisser être la chose ou la personne. Ce que Durrell voit n’est jamais confirmation d’a priori. Cela ne le fait pas penser à une lecture ou à une opinion. Ce qu’il voit « est » tout simplement, tel qu’en soi-même le présent l’offre, tout nu dans sa vérité première.

Ce pourquoi la Méditerranée a inventé la vérité et la démocratie avec la lumière, ce pourquoi toute compétition s’effectuait nu, tout débat avait lieu au grand jour, devant tout le monde, sur l’agora.

Cette capacité rare de saisir l’être des choses est celle du regard. Effacer son ego pour laisser venir à soi la réalité qui s’offre. Tel est la vigilance, œil libre, vierge de toute référence, de toute habitude comme de tout jugement. Les poètes, les guerriers et les maîtres ès arts martiaux ont ce regard qui « voit ». Pour un artiste, ce sont les mots qui se trouvent difficiles à manier. Transmettre un peu de cette expérience unique est ardu tant les expressions dérivent vers le tout fait, vers le convenu, vers la connotation qui tord le sens. C’est en parlant de lui, de ce qu’il, a fait, de ce qu’il a vu, de ce qu’ils ont dit, les autres, que Lawrence Durrell réussit le mieux à donner au lecteur une part de la vérité des paysages et des gens qu’il rencontre. Cela se nomme empathie.

Sa disponibilité lui permet des rencontres uniques, celles d’initiateurs. Il voit le palais du Facteur Cheval avec le directeur d’un journal de province. Son propre plombier Recul lui fait découvrir Avignon. L’ineffable Pepe l’initie à la Provence profonde, lui qui s’est fait tatouer une carte du pays sur l’abdomen. Les vignes sont le mystère du vieux Mathieu. Grenoble, la patrie de Stendhal, ne se trouve vraie qu’avec Martine et ses copains étudiants. La Gascogne serait bien fade sans Prosper, voyageur de commerce et spécialiste des bons restaurants, amateur du vin de pays…

Réceptif, Lawrence Durrell s’enrichit de tout ce que la vie lui offre : les paysages et les gens, les expériences uniques et les amitiés sans nombre.

Voyager, connaître, c’est laisser venir à soi.

Lawrence Durrell, L’esprit des lieux, 1969, Gallimard 1976, 489 pages, €17,38 

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Alexandre et la Macédoine au Louvre

L’exposition Au royaume d’Alexandre le Grand, la Macédoine antique au Louvre, s’est achevée le 16 Janvier 2012. J’y suis allé, il n’y avait aucune jeunesse et très peu d’hommes. Le public qui se pressait (470 visiteurs en moyenne très serrés, filtrés par les vigiles) était composé surtout de vieilles bourgeoises parisiennes papotantes qui encombraient les vitrines et « consommaient » avec délectation de « la culture » pour en parler entre elles dans les salons.

Comme d’habitude resserrée dans les sous-sols du musée, l’exposition s’efforçait de mettre en valeur dans les salles obscures quelques 500 objets de Macédoine antique, du 15ème siècle avant (très peu) jusqu’à l’époque romaine (mônumenthââle). L’intérêt, outre l’érudit plaisir universitaire, était l’évocation d’Alexandre le Grand.

Étaient montrés des ensembles funéraires complets ainsi que des objets de civilisation. Des fresques, des statues, des céramiques, des bijoux évoquaient l’éducation, la vie quotidienne, la religion et la mort. Alexandre et sa légende étaient en bonne place, sur la fin. Notamment des marbres montrant son visage à diverses époques, et la couronne de feuilles de chêne en or de son fils Héraclès, assassiné adolescent par Cassandre et enseveli dans une tombe princière.

Comme d’habitude, les objets étaient exposés à hauteur des yeux d’enfants et nantis d’une étiquette écrite en tout petit placée encore plus bas. Autant dire le ridicule de ce canon muséal : les enfants ne lisent jamais les étiquettes et les adultes sont obligés de se presser, de se pencher et de plisser les yeux pour lire le gris clair sur gris foncé des mots dans la pénombre. Cette myopie exigée n’arrange pas la circulation devant les œuvres et masque les objets sous le discours pointilliste.

Quel intérêt de savoir les dimensions ou la collection, plutôt que de savoir ce que c’est et à quoi ça sert ? Comme d’habitude, le baratin des panneaux muséaux « explicatifs » comprenaient un tas de mots inutiles et de tournures cuistres pour « montrer » que l’Hâârt exige respect et que les clercs de musée sont les grands-prêtres du culte. Ils n’ont pas fait sept ans d’études pour rien, ayant passé souvent le concours de conservateur deux ou trois fois.

C’est dire combien le snobisme de caste règne dans ces « manifestations » subventionnées d’État et que la culture « ouverte à tous » est un mythe bourgeois dont la réalisation exigerait de voir cantonner les érudits de musée au simple rôle de conseillers scientifiques. Seul l’éclairage, très filmique, ne semble pas faire d’ombre à la chasse gardée des fonctionnaires de l’art, sans doute parce qu’ils n’y comprennent rien et que le nom des obscurs qui réalisent la mise en scène ne figure pas au catalogue (vendu 49€). C’est pourtant l’éclairage qui réussit ce que les étiquettes et les textes au vocabulaire affecté ne réussissent pas : vous intéresser aux « choses ».

Si je persiffle, je n’en ai pas moins apprécié l’exposition et son thème. Mais je ne supporte ni le snobisme catégoriel, ni la prétention « démocratique » des musées parisiens dont les textes « explicatifs » n’expliquent rien, écrits en langue universitaire avec plein de mots savants et de périphrases superflues, alors qu’on pourrait dire les choses simplement sans violer le savoir. J’ai été quelques années archéologue et ai participé à l’élaboration d’expositions ; je suis même diplômé en master d’archéologie – ce n’est donc pas un béotien qui parle.

Reste la Macédoine, région peu connue de Grèce, les fouilles françaises qui datent de Napoléon III, et les découvertes qui éclairent Alexandre un peu mieux. Un numéro de la revue L’Histoire fait bien le point sur le sujet. L’exposition est fermée, vous n’en aurez ici, comme les dieux, que le fumet.

Photographies © RMN et revue L’Histoire : Alexandre Le Grand, 15 ans qui ont bouleversé le monde, Les Collections de L’Histoire n°53, novembre 2011, €6.90

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Quelles solutions à la crise de la zone euro ?

Article repris par Medium4You et par AuxerreTV.

La situation des pays européens est paradoxale : zone de richesse la plus forte de la planète, ils se trouvent empêtrés par la crise bancaire et économique dans un endettement public non prévu, non pensé et difficile à réduire. Les économistes – dont la majorité n’avait rien vu – s’empressent de donner des leçons de « gouvernance » à grands coups de yakas médiatiques. C’est que les élections présidentielles prochaines en France pourraient bien conduire l’opposition au pouvoir et qu’il est bon de se placer au cas où…

Que faudrait-il faire en Europe ? Un grand chambardement politique avec référendum, démocratie à tous les étages, protectionnisme économique et solidarité-providence partout ? Ce serait sain, mais qui le veut parmi les peuples européens ? Même pas les Grecs… Or on ne fait pas l’Europe tout seul. Reste donc à faire avec ce qu’on a, une construction européenne tiraillée entre grand marché et fédéralisme, dont aucune nation ne veut absolument l’un comme l’autre. Nous sommes dans l’entre-deux et y resterons probablement un long moment. Mais nous pouvons y faire face.

Solution 1 : Efforts et volonté politique

Conjugués, ils permettent une trajectoire de redressement des comptes extérieurs et une réduction progressive des déficits publics. C’est ce qu’ont fait l’Irlande et l’Espagne et ces deux pays vont mieux. Reste à fixer un cap consensuel entre les partis et assurer l’intérêt national au-delà des idéologies. Ce n’est pas encore le cas en Italie, ni franchement en Grèce, cela reste peu probable en France où règne l’illusion du yaka imposer plus « les riches » pour que tout aille pour le mieux dans la meilleure des Europe possibles… Comme si l’Europe de la zone euro n’était pas avant tout l’Allemagne qui a supprimé il y a des années son impôt sur la fortune et qu’on pouvait, comme ça, s’affranchir de la convergence avec l’économie allemande sans divorcer peu à peu de l’euro.

La politique irlandaise et espagnole est donc possible, mais douloureuse en temps de démagogie électorale : le candidat socialiste ne doit-il pas laisser tomber l’intégralité du programme de mai, que l’évolution de la crise rend complètement anachronique ?

Solution 2 : la planche à billets.

Il existe une autre politique que l’effort et le projet politique, sauf qu’elle est américaine… Il est amusant de constater que nombre d’économistes « de gauche » se précipitent dans les recettes libérales venues de la Fed pour résoudre l’impossible équation social-étatiste. Yaka financer à guichets ouverts, en dernier ressort.

Ce qu’ils demandent à la Banque centrale européenne est ce que fait la Federal Reserve américaine. Or les chiffres publiés du troisième trimestre aux États-Unis semblent montrer que cette politique entre rigueur budgétaire et souplesse monétaire fonctionne. L’investissement privé hors logement monte de 16,3%. L’investissement logement monte même de 2,4%. Le déstockage se poursuit, mais permet d’espérer un certain rattrapage par la suite. La consommation croît de 2,4% et le commerce extérieur est positif, les exportations ayant progressé plus que les importations, à 4% contre 1,9%. Les dépenses publiques sont restées nulles, mais les bénéfices des entreprises sont bons, à 14% du PIB.

Comment réussir aussi bien ? Le réglage conjoncturel a mixé vigilance budgétaire et souplesse monétaire. La dépense publique est contenue. La Fed prête en dernier ressort pour acheter de la dette publique sans limite. Les marchés financiers des États-Unis, bien plus mûrs que les traders de la City ou de Zurich, montrent une aversion au risque maîtrisée, ce qui permet à l’indice actions américain d’être en hausse depuis le début d’année.

Est-ce possible en Europe ?

Ce que peuvent les États-Unis est difficile en Europe parce que justement faite d’États non unis. L’Union monétaire reste empêtrée dans les souverainetés nationales non coordonnées, les petits calculs politiciens nationaux et le tabou qui vient de la période pré-hitlérienne que la dette est l’ennemi, l’inflation un désastre social et la déstabilisation du système bancaire la voie ouverte vers le nazisme. Les États font de la rigueur budgétaire et la Banque centrale garde une vigilance monétaire excessive, refusant le statut de prêteur en dernier ressort. Il faudrait qu’un pied continue d’actionner le frein (les États), tandis qu’un autre pied relance l’investissement en Europe (la BCE).

L’Allemagne change, mais très lentement, poussée par le développement de la crise plus que par conviction profonde. Donc cela coûte de plus en plus cher et l’Allemagne paie – mais bien plus qu’elle ne devrait. Jusqu’à quand ? Probablement jusqu’à ce qu’un grand pays de la zone euro dise non et se replie sur son petit nationalisme sous prétexte de « démocratie ».

Il est facile de faire des incantations à la « démocratie » quand on fait peur aux gens : le vote est-il libre et non faussé ? La Grèce a lancé l’idée mais elle compte peu en termes économiques dans l’ensemble de la zone. Si d’aventure l’Italie, l’Espagne ou la France devaient dire « non » (comme en 2005) à un plan européen, c’en serait fait de l’euro. Certains politiciens nationaux en rêvent, car le chaos leur profite. Plus c’est le bordel, plus leur grande gueule domine les autres et a des chances de se faire entendre. Ce n’est pas du « populisme » mais de la grasse démagogie, dont Aristote (un Grec déjà…) avait fort bien décrit les mécanismes. La suite de la démagogie est bien connue : c’est la tyrannie (toujours décrite avec logique par le précepteur d’Alexandre).

La Banque centrale européenne peut-elle changer ?

Certain le croient avec le passage de témoin entre Jean-Claude Trichet, haut fonctionnaire étatiste, et Mario Draghi, homme de marché italien passé par Goldman Sachs. Sa première conférence de presse du 3 novembre a pointé qu’une récession arrivait en Europe, justifiant la baisse de 0.25% du taux directeur (désormais à 1.25%, taux auquel se refinancent les banques de la zone euro). Il devrait aller plus loin, comme en témoigne l’action de la BCE la seconde semaine de novembre : elle rachète des emprunts d’État italien tandis que les banques s’en désengagent peu à peu. Il s’agit de planche à billet non officielle, à l’image de la Fed, avec cette différence que cette dernière assume. Mais ne brusquons pas trop vite la vertu et les tabous allemands…

Les économistes de gauche vont donc devoir applaudir l’homme de Goldman Sachs, qui agit comme les Américains. N’est-ce pas d’une superbe schizophrénie politique ?

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Que veulent donc les Grecs ?

Coup de tonnerre dans le ciel européen : le Premier ministre socialiste Papandréou décrète un référendum sur le plan de sauvetage européen à son pays. Deux réactions possibles :

  1. Irresponsabilité démagogique
  2. Sursaut démocratique

Le Président Sarkozy et l’UMP ont aussitôt crié à l’irresponsabilité.

Eux avaient pourtant eu l’impression d’avoir « tout fait » pour sauver la Grèce de sa déchéance financière. Ils n’ont pas tort mais c’est une « réaction », un sursaut épidermique, un ressentiment envers ceux que l’on veut sauver et qui vous crachent à la gueule.

Il est vrai que l’organisation d’un référendum prend du temps – trois mois au moins – et que, d’ici là, on ne voit pas comment la Grèce peut faire face à ses échéances financières sans faire défaut. A moins que, comme en octobre, il n’y ait des ressources cachées ? C’est ce même Premier ministre socialiste Papandréou qui avait déclaré que son pays pouvait attendre deux mois de plus…

La question que l’on se pose inévitablement est : y a-t-il une administration dans ce pays ? Il y a des fonctionnaires, certes, mais pour quelle inorganisation ? Les comptes sont-ils seulement tenus ou est-ce au doigt mouillé ? Car un Premier ministre, même démagogue et socialiste, donc prêts à caresser « le peuple » dans le sens du poil, ne peut pas ignorer que tout est désormais gelé : le prêt de 8 md€ du FMI, les aides européennes, la remise des 50% de dette d’État… Avec un déficit budgétaire annuel « estimé » à 16% du PIB, cela signifie qu’il faut supprimer aussitôt 16% de dépenses publiques pour survivre. Puisque personne ne voudra prêter à de tels bordéliques, il faut donc baisser les salaires des fonctionnaires, les pensions des retraités de 16% de plus…

La situation apparaît donc un peu curieuse. Surtout qu’il s’agir d’un camouflet à l’Union européenne, dont les peuples pourraient être lassés d’une « solidarité » aussi peu reconnaissante.

Ne s’agirait-il pas plutôt d’un sursaut démocratique ?

La Grèce, pays des citoyens sur l’agora, a fondé le système démocratique occidental. Veut-elle donner une leçon de démocratie à ses voisins, empêtrés dans la technocratie ? Comme dans l’Islande de la faillite financière ou l’Espagne des Indignados, la Grèce redonnerait la parole au peuple pour qu’il dise à la classe politique ce qu’elle doit faire.

Mais quelle sera la question posée au peuple grec ? L’acceptation du plan de rigueur ? Le La sortie de l’Union européenne ou au moins de la zone euro ? Le refus de la mise sous tutelle du pays ? Mais la souveraineté n’est-elle pas en premier lieu d’être soi-même autonome plutôt que de se laisser aller à la dépense pour se mettre sous dépendance ?

Ce serait beau, si le référendum aboutissait à l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante, comme en Islande (qui n’y est pas encore parvenue). Mais la classe politique grecque, et surtout les socialistes du Pasok au pouvoir, n’ont pas l’intention de laisser la place. Ils semblent au contraire s’accrocher à leurs sièges comme s’ils leur appartenaient. D’où cet « appel au peuple » pour un grand tout ou rien, moi ou le chaos, qui ressemble plus à de la bonne vieille démagogie qu’à une saine expérience démocratique…

Car la Grèce est loin d’être l’Islande. Ce petit pays du nord, indigné bien avant Monsieur Hessel, a certes obtenu un moratoire sur sa dette financière monstrueuse. En octobre 2008, les trois banques du pays ont implosé par excès de dettes, huit à dix fois le PIB annuel du pays, elles ont été nationalisées. La dette de l’État est montée à 105% du PIB fin 2009, avant de redescendre à 40% du PIB selon l’OCDE en juin 2010… bien loin des sommets grecs à plus de 150% du PIB !

C’est que l’Islande est un pays vertueux. Certes, le plan de désendettement a été rejeté par référendum en 2010, induisant un autre référendum pour une Assemblée constituante et la chasse aux anciennes élites politiciennes défaillantes. Mais le gouvernement nouvellement élu de centre gauche a mis en œuvre des réformes que le gouvernement grec est incapable de mener, tenu par le corporatisme, le clientélisme, les rentes de situation. Faire appel au peuple, c’est démocratique… quand on a les moyens de proposer des choix clairs. La Grèce en a-t-elle ? Le déficit islandais rejoindra les 3% du PIB fin 2012, la croissance existe, autour de 3%, des dépenses publiques orientées vers l’emploi sont mises en œuvre. Le pays négocie un programme de remise à niveau avec le FMI et avec l’Union européenne pour la rejoindre. Tout le contraire de ce que font les politiciens grecs.

Or la démocratie n’est pas qu’un appel au peuple ni une suite de coups de théâtre : c’est une vertu quotidienne. Balayer devant sa porte, remettre de l’ordre dans la maison avant d’aller négocier une entente avec ses partenaires. Mais veut-on encore des partenaires ? Si le Premier ministre grec avait prévenu les Européens qu’il devait poser la question de la tutelle à son peuple, cela aurait été démocratique. Ce coup médiatique inattendu a au contraire tout d’une manipulation de sérail.

Malgré la tentation positive de croire à un sursaut démocratique du gouvernement grec, le réalisme nous conduit à voir dans cette annonce de référendum une manœuvre de politiciens au bord du gouffre.

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La vraie question des présidentielles 2012

La campagne à l’élection présidentielle est partie. Moins avec les « universités » d’été qu’avec la primaire socialiste qui vise à faire élire un « président de gauche » avant de se présenter devant l’ensemble des Français. C’est alimenter l’usine à spectacle, faire agir le buzz des médias, focaliser en rose l’attention des gens. Au risque qu’ils se rendent compte de l’indigence fondamentale du projet politique… Certes, une présidentielle française est l’élection d’un personnage à la tête de l’État – pas celle d’un parti comme au Royaume-Uni ou d’une coalition comme en Allemagne ou en Scandinavie. La France se rapproche moins du modèle américain puisqu’elle n’a ni son fédéralisme ni ses contrepouvoirs, que du modèle russe où le parti ne sert qu’à rassembler les godillots autour du chef. Mais ce ne sont ni les minois altiers ni les petites phrases qui font une présidence. C’est le projet d’avenir, rassembleur des Français.

Où en est-il, ce projet ?

A droite il reste flou car les perspectives tracées en 2007 se sont diluées avec la crise financière mondiale et systémique. Le discours de Toulon était un bon discours, n’en déplaise à ceux qui considèrent que tout ce que fait Sarkozy ne peut qu’être entaché du péché originel. Toulon pointait bien que la France ne pouvait agir seule, qu’il fallait négocier pied à pied et dans la durée avec nos partenaires européens, occidentaux et internationaux pour imposer des règles communes à la finance, aux marchés, aux agences de notation. Il y a toujours un État qui a intérêt à conserver des paradis fiscaux, trous noirs où tout est possible et où les fortunes disparaissent. C’était avant-hier le Royaume-Uni, hier les États-Unis et la Russie, c’est aujourd’hui la Chine, le Brésil, le Mexique, les pays arabes… Sans transparence, pas de marché libre ; sans règles communes de sécurité, pas de libéralisme économique ; sans connaissance de qui investit dans quoi, pas de produits financiers sûrs. Or les trous noirs financiers continuent d’exister et les hedge funds de rester incontrôlés. La négociation Bâle III visant à renforcer les fonds propres des banques est un petit pas, mais pas avant 2019 et probablement insuffisant. Les contraintes des parlements de chaque pays de la zone euro font qu’avance très lentement le fédéralisme budgétaire indispensable à une monnaie unique. La Grèce fait ce qu’elle veut, sollicitant des fonds pour rester dans l’euro, menaçant en cas de faillite d’entraîner la faillite des banques allemandes qui lui ont beaucoup prêté, mais répugnant à toucher aux zacquis des richissimes, de l’église, des commerçants sans factures, des particuliers à piscine non déclarée, des cheminots payés 5000€ par mois pour faire rouler les rares trains.

Quelle « solidarité » y aurait-il à faire financer les fraudeurs grecs par les smicards français et allemands ? Sur le sujet, la droite en appelle au contrôle européen et la gauche se tait, le « grand principe » de solidarité suffirait…

A gauche, le projet reste dans les limbes car ce qui est publié date trop et reste trop partisan. Le futur président élu ne pourra que s’asseoir dessus. Car la dépense publique c’est bien… tant qu’on a les moyens. En situation de pénurie, il faut gérer ce qui reste. Les socialistes devraient en avoir l’expérience, puisque les systèmes du socialisme « réel » avaient cette gestion : par les queues, les privilèges catégoriels, la récompense du bon petit militant répétant la voix d’en haut. Las ! les socialistes capitalistes ont pris goût à l’expansion ; ils sont passés experts de la redistribution du toujours plus ; ils ne savent que faire lorsqu’il y a chaque année moins. Il ne savent surtout pas comment on produit plus et mieux ! D’où cette incantation rituelle au yaka : yaka faire payer les riches, yaka faire une grrrââânde réforme fiscale, yaka réinstaller des frontières, yaka forcer Merkel, yaka nationaliser les banques, yaka créer que des emplois publics…

La fin des grandes espérances

Les Grandes espérances est un roman de Charles Dickens qui date de 1860 ; il a été repris brillamment en film par David Lean en 1946 (extrait vidéo sur Allociné). Le jeune Pip se trouve pris par des événements qui le dépassent ; il voit ses illusions s’évanouir en même temps que ses espérances financières et de statut lorsqu’il devient adulte. Tel est le cas de la France et, avec elle, de nombreux pays européens. 2012 verra des élections sans espérance. Ni changer la vie, ni travailler plus pour gagner plus ne résistent à la crise. On ne change pas la vie, on l’adapte ; on ne peut ni travailler plus en raison du chômage ou, si c’est le cas, on gagnera moins parce que les impôts augmentent et les retraites diminuent. La quinzaine Mitterrand a dépensé à tout va et la décennie Chirac n’a rien foutu. Conséquence : la France a pris une génération de retard dans les réformes nécessaires. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer mais d’adapter notre État providence (jamais en reste de dépenses) à notre démographie (pourtant moins mauvaise que d’autres). Les Suédois ont mis 15 ans à réviser leurs retraites ; nous n’avons pas encore commencé hors les mesurettes à la serpe (donc injustes) qui ne font que gagner du temps et augmentent la grogne sociale comme l’incertitude sur l’avenir.

Enterré papa protecteur et maman consolatrice dans le film de David Lean. Le jeune Pip est orphelin, mais courageux, et ce n’est pas sans quelque humour qu’il oppose à la poigne du forçat un résolu « si vous me remettiez droit, peut-être que j’aurais moins mal au cœur et peut-être serais-je plus attentif ». Exit le gaullisme de la reconstruction que Villepin rêve de voir revenir, anachronique ; les Français refusent la victimisation à la Royal et le care d’Aubry, mot incompréhensible fait pour les balader. Le problème est qu’ils sont tourneboulés et qu’ils devront voter en étant pris à la gorge par les marchés et avec mal au cœur. Ce n’est pas « la faute à » ce grand méchant marché : si les traders s’amusent, c’est bien parce que le terrain de jeu leur reste ouvert (où est la régulation ?) et que les acteurs sont minables (que foutent les politiques pour réduire les déficits indécents qui durent en France depuis… 1974 ? et pour contrôler les fonds européens alloués à la Grèce ?). Sans les marchés, les salaires des fonctionnaires et des retraités sont automatiquement amputés de 10% par an. Est-il normal d’emprunter non pas pour investir mais pour payer le déficit courant ?

Conséquences politiques

Le prochain quinquennat aura à gérer l’austérité et non les espérances. Dans ce contexte, la légitimité du sortant se trouve renforcée : lui connaît mieux que les autres les arcanes et les partenaires ; lui a réagi à temps et comme il fallait pour réunir les Européens et les instances internationales. On peut lui reprocher son entêtement à ne pas revenir sur les cadeaux fiscaux faits au CAC 40 et aux bistrotiers-restaurateurs, mais peut-on lui reprocher les abattements sur succession et assurance-vie plafonnés, destinés avant tout aux classes moyennes ? Ces oubliés des redistributions socialistes et pressurés favoris du fisc durant des décennies n’ont-elles pas droit à un geste même si l’effort doit être réparti sur tous ?

Mais son caractère, ses haines et son histrionisme médiatique ont lassé. Peut-être les Français choisiront-ils à gauche. Pour gérer l’austérité, François Hollande apparaît le mieux placé par son ton raisonnable, sa réforme fiscale déjà pensée, les ralliements des partisans DSK. Hollande incarne la fonction présidentielle dès avant l’élection alors que Royal reste opposante à tout prix et Aubry chef de parti. Martine Aubry est plus l’incarnation des valeurs de gauche, mais cette élection se jouera moins sur les valeurs cette fois (contrairement à 2007), et plus sur la capacité à gérer l’incertain. La propension dépensière, l’accent mis sur les bobos-intellos avec « la culture », une certaine rigidité de mère autoritaire, font que Martine Aubry apparaît plus comme la présidente de la fonction publique que comme celle de tous les Français. Car ce qui manque à gauche est bien là : où sont les encouragements à la production ? Est-ce un État exsangue qui va créer les 3 millions d’emplois pour les 4.5 millions de chômeurs ou travailleurs à éclipse ?

A droite comme à gauche, pas question de toucher aux filets sociaux, seuls à même de conserver une relative unité aux égoïsmes de caste dans une France restée très Ancien régime. L’Éducation nationale les produit dès le collège avec l’élitisme matheux et les redoublements méprisants. Les principales dépenses sociales concernent la santé et le chômage. Difficile de réformer en profondeur la santé car le vieillissement de la population en font un secteur très sensible. Pour le chômage, la seule façon d’améliorer les choses est d’encourager les emplois. Moins de chômeurs, cela fait moins de prestations sociales, plus de taxes qui rentrent et moins d’assistanat santé avec les cotisations prélevées sur les salaires et les mutuelles abondées par les employeurs.

La vraie question 2012 est donc l’emploi

Un emploi de croissance et pas ces palliatifs temporaires qui consistent à créer des services tant et plus là où ils ne sont pas indispensables. Un emploi d’entreprise donc et pas des précaires d’État ni des auto-entrepreneurs provisoires. Sur l’emploi, on attend Nicolas Sarkozy, mais il se réserve pour la campagne. On attend François Hollande, mais il attend d’avoir gagné les primaires. Elles ne se gagnent, probablement, qu’en caressant les militants archaïques et la fonction publique dans le sens du poil. Souhaitons que le sens des réalités et le sens de l’État l’emportent ensuite sur le sens du poil…

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Les risques boursiers de mars

Quels sont les risques boursiers en ce mois de mars 2011 ? Il y en a deux principaux et deux secondaires. Les principaux sont le pétrole et le système financier, les secondaires les dettes souveraines d’Europe et les tensions sociales chinoises.

Le pétrole est le sang de l’économie mondiale. Qu’il vienne à manquer en partie ou que les routes d’acheminement soient menacées et le prix du baril flambe, remettant en cause la fragile reprise économique de ces derniers mois. La Tunisie et l’Égypte, passe encore, le Yémen, pourquoi pas, mais déjà la Lybie inquiète, 1.8% de la production mondiale. Rien d’insurmontable, mais si l’Algérie et surtout l’Arabie Saoudite sont touchés, là les choses se compliquent ! L’Algérie a déjà connu deux guerres civiles en deux générations et la société civile n’existe quasiment pas contre les militaires, on ne voit donc guère la rue agir comme en Tunisie, mais si c’était prévisible, cela se saurait…

L’Arabie Saoudite est plus compliquée, le monarque est âgé, sa succession mal assurée et une minorité chiite (autour de 10% de la population d’origine) est activée par l’Iran juste en face du Golfe persique. C’est une menace sérieuse, d’autant que le principal des champs pétrolifères est sur les frontières Irak/Koweït et que près de 40% des ouvriers pétroliers sont chiites ! Au sud le Yémen, à l’ouest le Soudan, au nord-ouest l’Égypte, au nord la Jordanie et l’Irak, à l’est l’Iran… Le royaume est entouré de pays en effervescence. La « révolution » va-t-elle le gagner ? Pays archaïque et rigoriste, où la famille royale entretient une autorité clanique, les prébendes du pétrole permettent de distribuer de l’argent, ce qui peut permettre d’éviter les « errements » démocratiques des classes moyennes modernistes voisines. Mais qui sait ?

Si l’Arabie Saoudite devait être déstabilisée, c’est le principal de la production mondiale de pétrole qui serait touchée. Le baril flamberait à 200, 300$ ! Les économies européennes, américaines et japonaise retomberaient en récession tandis que l’économie chinoise subirait une forte contraction qui pourrait remettre en cause le rôle d’autorité du parti communiste. Où l’on retrouve, conséquence actualisée d’une crise principale, l’une des crises secondaires possibles.

Le système financier américain et international n’est guère assaini. La réglementation a peu changé, les pratiques douteuses restent aussi mal contrôlées et les réserves exigées par Bâle III ne sont pas attendues avant 2019 ! Les produits toxiques sont toujours dans les bilans des banques, la différence avec fin 2007 est qu’en mars 2008 ces dernières ont « le droit » de ne plus les évaluer au bilan à leur prix de marché (qui ne vaut rien), mais par modèle d’actualisation jusqu’à l’échéance (ainsi les banques les comptabilisent comme elles veulent). Résultat : les ratios de Bâle sont en apparence respectés, le crédit circule entre banque et tout va comme avant.

Sauf que la solution ne réside QUE dans le provisionnement sur des années de ces produits dont les derniers ont été émis en 2007, avant la crise. Compte tenu de leur échéance, en général entre 4 et 10 ans, ce n’est pas avant quelques années que l’on saura quelles banques auront résisté ou non. Les grands argentiers font le pari d’une reprise progressive qui permettrait de lisser les provisions bancaires, donc d’éviter la faillite. Pari précaire : et si les révoltes arabes venaient à faire flamber le pétrole ?

Ces éléments concernent surtout les banques anglo-saxonnes, principalement américaines mais aussi anglaises, irlandaises, islandaises et néerlandaises. Mais croyez-vous que les banques d’Europe continentale soient à l’abri ? Si elles ont moins de produits toxiques au bilan, leur fragilité réside dans leur détention de dettes souveraines. Or les États sont menacés, notamment la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal. L’agence Moody’s ne croit manifestement pas à la capacité politique de la Grèce à imposer une fiscalité « normale » – elle vient de dégrader sa note de trois crans. Si le pétrole devait flamber, il précipiterait la récession d’économies fragiles et repousserait le remboursement de la dette à plus tard, voir la mise en défaut d’états. Où l’on trouve l’actualisation du second risque secondaire dont nous avons parlé.

En conclusion, tout dépend du pétrole, et surtout de la stabilité de l’Arabie Saoudite. Si elle devait vaciller, seul l’or, la terre et l’immobilier pas trop cher pourraient sauver les investisseurs… Ce qui vient d’arriver au Japon accentue les risques pour ce pays : moins d’énergie disponible, renforcement de l’influence du pétrole, désorganisation des flux tendus des entreprises.

Pourquoi donc les marchés restent-ils si hauts ?

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Platon, Le Banquet

Il faut relire, l’âge mûr venu, l’un des maîtres de sagesse : Platon. Non pour se mesurer à Agathon, jeune auteur de pièce, ni à Aristophane, comique universellement connu, ni à Alcibiade, bel adolescent devenu grand politique, ni à Socrate, de laide apparence mais de haute vertu. Il s’agit plutôt d’aller contre le courant de notre époque pressée et machinale, où l’on sait de moins en moins parler, où les mots-étiquettes prennent la place des mots-qui-expriment.

En notre temps, le jargon et le slogan supplantent le dialogue, ce qui fait que nul n’écoute plus guère personne. Les mots deviennent du vent, les phrases de l’air chaud émis, comme disent joliment les Anglais qui sont observateurs aigus des travers latins. « On » se pose, « on » manifeste, « on » braille : où est la parole dans cet histrionisme ? Où est la personne dans cet anonymat du « on » ? Où est le dialogue qui fait avancer la vérité ? Où est le débat démocratique, pourtant né en Grèce il y a deux millénaires et demi ? Où est l’intérêt pour l’autre, tout simplement, que manifeste l’écoute dans la parole alternée ? Qu’a donc à nous « dire » le narcissisme des grèves corporatistes ? Le sempiternel « moi-je » télévisuel et les rodomontades politiciennes en miroir ? L’autisme des « yakas » militants ? Les beuglements hormonaux des geeks à réaction, dans les commentaires de blog ?

La vertu des Grecs antiques est de nous le rappeler : l’être humain est doué de raison, donc « animal politique ». La vertu du ‘Banquet’ de Platon est de nous faire souvenir (près de 2400 ans après avoir été écrit) qu’un bon repas et du vin en abondance ouvrent la bienveillance du cœur comme l’agilité de l’esprit aux discours. La parole, sur le thème de l’éros, permet d’approcher la sagesse. L’« éros » et non pas « l’amour », comme le tropisme chrétien fait trop souvent traduire. Éros dépasse la simple liaison physique et affective entre deux êtres animés pour se présenter comme un lien fondamental de la nature. Éros est un intermédiaire entre les hommes et les dieux, une énergie qui pousse à sortir de soi pour aller vers les autres. Energie du ventre, du cœur et de l’esprit qui fait sortir de l’instinctif, extirpe de la bêtise animale pour s’élever à la connaissance extrahumaine. Cela va bien au-delà du sexe comme du sentimentalisme rose !

Le banquet est un rite social où les convives apaisent leur faim par des mets et spiritualisent l’aliment par le vin. Le thème choisi de « l’éros » remue les passions, les fait s’entrechoquer dans les relations personnelles, tout en médiatisant le désir par la parole. La logique du langage aboutit à la connaissance, rapport individuel à la vérité, ouverture de l’esprit. Du rite social de masse est née la relation personnelle entre amis choisis. De la parole naît le rapport de chacun avec la philosophie. Aliments, passions, sagesse : du rassasiement des sens à l’affectif amical puis à la joie spirituelle – telle est l’économie du bien-vivre que nous propose Platon.

Il nous emmène chez Agathon par un prologue où un convive raconte, des années après, ce que lui a rapporté un autre. Humour platonicien de ce « jeu du téléphone ». Mais la vérité en surgira, toute nue et toute crue, belle comme un diamant ou comme Éros, l’éternel enfant vif entièrement nu. Seule la vertu, la beauté, le bien peuvent ainsi perdurer, sans fard ni voiles, inaltérés malgré les intermédiaires.

Une introduction campe le décor et les personnages. Platon ne décrit pas les hommes par ce qu’ils sont mais parce qu’ils disent et font. L’apparence ne compte pas, ni la Situâââtionn (comme écrivait Céline qui se moquait des vaniteux franchouilles). Seules les actions et les œuvres sont à considérer. Leçon que devraient méditer nos Guignols qui paradent dans l’info alors qu’ils ne « produisent »… que du divertissement de cirque. Suivent au Banquet sept discours tout en gradation, allant du plus évident au plus subtil, du partiel au général.

1. Phèdre, le premier à parler, décrit Éros comme le dieu le plus ancien, né après Chaos et Terre.

2. Pausanias distingue deux fils d’Aphrodites différentes, la Vulgaire vouée à l’attraction des corps, et la Céleste orientée vers la vertu.

3. Éryximaque, médecin, élargit l’éros à la recherche d’harmonie entre toutes choses, à ce qui fait du bien, de la santé du corps à la vertu de l’âme.

4. Aristophane conte la parabole de l’androgyne séparé par Zeus en deux êtres sexués qui ne cessent désormais de rechercher avec passion leur moitié perdue pour fusionner.

5. Agathon, l’amphitryon, décrit Éros comme beau, délicat et tempérant, qui encourage les relations.

6. Socrate souligne que l’éloge n’est pas vérité et que lui ne parlera d’éros que comme élément de sa recherche. Éros n’est pas un dieu mais un intermédiaire (daimon), il n’est pas un état mais une recherche, pas un destin (le coup de foudre) mais un mouvement (l’apprivoisement érotique). Il aiguillonne tous les êtres à établir leur immortalité. Le plus courant est par la procréation d’enfants, de façon plus élevée par la production d’œuvres. Les plus belles seront les fils spirituels formés par l’enseignement de la vertu.

7. Arrive enfin Alcibiade ivre (il dit donc la vérité) qui se lance dans l’éloge mesuré de Socrate, son maître, dont il était amoureux jeune garçon. Tempérant, courageux, maître de ses passions, le vieux Silène a pris le bel éphèbe par les sens, à quinze ans, pour l’attacher au cœur et lui élever l’âme – et le conduire à l’âge adulte, bientôt père et citoyen. La philosophie est enchantement de la raison, passion spirituelle, bien-vivre par exercice de la mesure en toutes choses. Telle est la vertu de l’amour, l’éros.

L’épilogue, comique, fait interrompre le banquet par de nouveaux buveurs et par la fatigue.

Le livresque Phèdre, le procédural Pausanias, le doctoral Éryximaque, l’imaginatif Aristophane, le sophistiqué Agathon apparaissent comme autant de prologues au grand Socrate. Ils représentent des façons partielles d’user de la raison. Le seul qui soit ondoyant, familier, logique et élevé « à la fois » est Socrate. Il allie plaisirs, passions et raison en un tout maîtrisé : il est pleinement homme. Alcibiade, dans son panégyrique truculent et énergique, avec sa fougue de jeune homme, en trace le portrait en creux. Après le discours même du philosophe (qui s’efface derrière Diotime, prêtresse), l’image restée de son enseignement chez un adolescent ouvert à tout complète et éclipse les apprentis raisonneurs, mais gentiment.
Socrate est un « maître » de sagesse, comme on dit un maître ès arts martiaux. Il ne fait pas un exposé doctoral, il écoute et dialogue ; il ne présente pas une thèse, il se présente lui-même – homme accompli – dans l’exercice de sa faculté de raisonner. Il interroge un interlocuteur, il lui répond, il choisit les termes les plus exacts. Il fait préciser si nécessaire et procède par étape. Ainsi accouche-t-il de l’argumentation. Il ne la présente pas tout armée aux convives, ses partenaires. Comme l’amour, la parole relie ; les mots s’emboitent les uns dans les autres en rythme, leur logique séduit et attache. Comme l’amour, c’est par l’exemple que s’élève l’animal politique à l’humanité, elle qui aspire aux dieux.

Les discours successifs sont chacun un progrès car tous écoutent et adaptent leur propre parole à ce qui s’est déjà dit. Nous sommes loin de l’autisme des « réactions » épidermiques, émotionnelles et superficielles de tant de commentaires de blogs. Loin du désir infantile d’être « d’accord », en fusion, dans la même bande, au chaud dans un cocon qui dispense de penser. Loin aussi de la dérisoire « motion de synthèse » de certains partis que dénonce d’un trait la parole d’Érixymaque : « encore une fois, ce qui s’oppose et n’est point concilié ne peut constituer un accord. » (§187).

L’ensemble des discours du Banquet est un et multiple, tout comme éros, tout comme l’amour humain. Éros élève de la matière à l’être, il la chante, l’enchante et la fait exploser ; il pousse à procréer, à affectionner et à créer. Il part de la satisfaction des besoins animaux pour animer les grandes actions puis inspirer inventeurs, politiques et poètes. Son énergie est la vie, donc éternellement jeune, éternellement renouvelée, éternellement rayonnante. Tel est le « beau » puisqu’il est le « bien » – ce qui satisfait les instincts, la volonté et l’esprit, ces trois strates de l’homme que reprendront Pascal, Nietzsche et Freud. Comme le Bouddhisme, chacun peut l’exercer au degré d’initiation qu’il a atteint.

Socrate décrit les quatre étapes de l’ascension vers la connaissance :

1. dès le plus jeune âge, l’attirance vers un beau corps permet d’enfanter de beaux discours

2. il est ensuite inévitable de reconnaître que la beauté réside en plusieurs corps

3. ce qui aboutit à préférer la beauté des âmes à celles des apparences physiques

4. mais seule la Beauté en soi, mathématique de la nature et harmonie de la musique, ouvre à la mesure, à la vertu, à la sagesse.

Platon se consacrait à la formation de bons politiciens en charge du gouvernement des hommes. Il s’agissait de mettre sa raison (logos) au travail (poien) pour ordonner (cosmos) la cité (polis). Le vrai bien est un équilibre harmonieux entre les pulsions, les passions et les intérêts. Il s’agit d’une logique du ET, non pas du OU (encore moins du stupide ‘et/ou’, logiquement fausse et tellement à la mode chez les ignares !). Mais avec tempérance dans l’usage des contraires – et dialectique (c’est-à-dire mouvement) pour surmonter les contradictions. Les passions remuent des sentiments, la volonté engendre des conflits et nécessite des choix, seule la raison rend les choses intelligibles et fait surgir la vérité du moment. Mais la raison pure délire, elle n’est rien sans son socle instinctif et passionnel.

Socrate : « Toutes les fois qu’il arrive à l’être fécond de s’approcher d’un bel objet, il en ressent du bien-être, dans sa joie il s’épanche, il enfante, il procrée. Mais quand c’est d’une laideur alors, d’un air sombre et chagrin, il se pelotonne, il se détourne, il se replie sur lui-même et, au lieu de procréer, il garde sa fécondité, il en porte douloureusement le poids » (§206).

Ce pourquoi il est indispensable à chacun de pratiquer l’hygiène de l’esprit :

• aller voir, mais ne pas se polluer longtemps avec la laideur morale, l’intempérance, la passion débridée.

• ne pas lire certaine presse, ne pas regarder la télé-poubelle, ne pas écouter les discours des faux-jetons,

• laisser beugler les manifestants,

• sélectionner ses blogs et éradiquer les commentaires haineux.

Socrate reste toujours lucide, malgré le vin, Alcibiade atteste que personne ne l’a jamais vu ivre. La vérité ne lui monte pas à la tête parce qu’il sait se garder. A nous de faire de même. Quant aux autres, « les ignorants ne s’emploient pas à philosopher et ils n’ont pas envie de devenir sages » (§203). Tant pis pour eux.

Platon, Le Banquet (suivi de Phèdre), Garnier-Flammarion poche GF, 217 pages

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Jacqueline de Romilly, La Grèce antique à la découverte de la liberté

Article repris par Medium4You.

La réflexion humaine commence en Grèce et l’auteur, qui vient de disparaître, réfléchit sur l’universel à partir de l’histoire. Pour elle, la pensée d’Athènes vit encore en Occident.

L’expérience première, qui a ému et terrifié les Grecs, était la possibilité, par la guerre et la défaite, de devenir esclaves. Les clameurs aujourd’hui contre le voile intégral ou la prière dans la rue sont de cet ordre. Le premier trait de la liberté athénienne s’obtient donc par la cité. On « nait » libre avant de l’être. On ne le devient vraiment que par l’instruction et le penser par soi-même que donne l’enseignement philosophique. On ne reste libre que par le droit et le service militaire décidés en commun sur l’agora – en bref par la cité. Quiconque perd la liberté perd l’essentiel. L’helléniste Jacqueline rappelle que le mot ‘libre’ en grec s’apparente à la souche de naissance.

Ce sont les guerres médiques qui ont permis de mesurer la différence entre Grecs et Perses. Ce pourquoi l’Iran d’aujourd’hui, où vivent les descendants des Perses, est autant repoussoir. Les barbares obéissent à un maître (aujourd’hui Allah et son dictateur temporel ayatollah, avec son bras armé Ahmadinedjad) – les Grecs sont tous libres, ce qui signifie que leur seul maître est la loi. Celle-ci est collective, non venue d’en haut mais décidée en commun. Elle n’est pas éternelle ni arbitraire, mais négociée sur l’agora par les citoyens libres. La liberté politique est une ardeur morale. Peiner pour un maître, fût-il dans l’au-delà, rend moins valeureux que si l’on peine pour son propre intérêt et sa propre cité.

Athènes, en ce sens, va plus loin que Sparte. La démocratie y naît grâce à la loi. Selon Euripide, « quand les lois se trouvent écrites, pauvres et riches ont les mêmes droits. (…) Alors, à son gré, chacun peut briller ou se taire » (Prométhée, 433-441). La loi surplombe les intérêts particuliers pour dire la règle de tous. Mais sa fabrication exige la liberté de penser et de dire. Seul l’esclave doit dissimuler, les citoyens sont les « véridiques », forme de noblesse de ceux qui disent ce qu’ils pensent. A Athènes chacun peut, s’il observe les lois, vivre à sa guise. Cette liberté personnelle permet l’épanouissement humain et les qualités qui y sont associées :

  • Le courage : qui n’est habitué ni à craindre ni à plier n’a pas l’habitude de la peur ;
  • L’intelligence : l’homme habitué à la liberté prend confiance en son propre jugement ;
  • La tolérance : l’usage de discuter et la confiance en soi permettent d’examiner lucidement et sans passions les idées d’autrui ;
  • La noblesse : cette liberté d’allure et d’esprit qui engendre générosité et désintéressement, qui rapproche l’homme des dieux en exaltant ce qu’il a de meilleur en lui.

En bref, les Grecs du Vème siècle athénien ont développé en chacun son humanité par les humanités.

Certes, la liberté était réservée aux citoyens, ceux qui sont « nés » athéniens. Mais elle pouvait être conférée par l’Assemblée pour hauts faits rendus à la cité. C’est la loi qui rend citoyen aussi bien que la naissance. La véritable liberté de faire ce qui plaît nécessite une fortune que tout le monde n’a pas. Mais l’esprit d’entreprise est encouragé et chacun peut se bâtir son destin. C’est aussi cela, la liberté, elle a deux faces : la licence et la responsabilité. Que tout soit possible ne signifie pas qu’on ait l’énergie ou le goût d’explorer les possibles. La liberté offre des chances égales au départ, à chacun de semer son grain comme il l’entend.

Outre les lois débattues entre citoyens sur l’agora, existe aussi une culture grecque qui forme les lois non écrites. Ce sont les règles communes à tous venues de la tradition et de la conscience morale. Antigone s’oppose aux dispositions légales de Créon en vertu de ces lois non écrites. Ce sont elles qui constituent, par sédimentation historique, l’humain opposé au barbare, la « civilisation » opposée à la sauvagerie. Sont ainsi non écrites les dispositions de respect des dieux, des parents, des amis et des bêtes. Épargner un suppliant était reconnaître non pas ses droits, mais ceux des dieux. La liberté individuelle était donc encadrée à la fois par les lois librement débattues dans la cité, mais aussi par les traditions non écrites de la culture.

Oh, certes, les difficultés ont surgi. Les Grecs antiques ne vivaient pas dans un monde de dieux. Les maux politiques sont nombreux et toujours actuels :

  • La démagogie, qui flatte les désirs de la masse au détriment de l’intérêt général ;
  • Le despotisme populacier, qui voit la foule grégaire et excessive abandonner l’écoute et le débat contradictoire pour imposer sa force aveugle ;
  • L’anarchie, où les sophistes en profitent pour désorienter les citoyens et manipuler leurs croyances en jouant sur la logique formelle et la connotation des mots, trouvant toujours une argutie pour se mettre au-dessus des lois ;
  • La licence ou l’individualisme égoïste qui ne cherche que son plaisir et son intérêt, que rien ne retient, ni les scrupules de la morale, ni l’ordre légal, ni son statut social.

Les remèdes grecs étaient dans :

l’exemple que devaient donner les dirigeants,

• l’importance accordée à l’éducation de la jeunesse.

On le voit, rien n’a changé sous le soleil ! C’est une fois de plus l’organisation des pouvoirs publics et l’explication politique du projet de la cité qui permettent la pression sociale nécessaire à réaliser et contrôler la loi. Pas de liberté sans collectif qui en assure les cadres. Mais pas un collectif arbitraire ni oppresseur. Les Grecs antiques nous le disent, la liberté réside dans la loi librement négociée par les citoyens et dans la culture commune.

Jacqueline de Romilly, La Grèce antique à la découverte de la liberté, 1989, Livre de poche, occasion.

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Véritable histoire d’Alcibiade

L’éditeur traditionnel des traductions de textes gréco-romains ‘Les Belles Lettres’ a eu la judicieuse idée de créer une collection de poche pour présenter les grands personnages de l’antiquité. Recyclant les traductions du grec et du latin, les auteurs font une compilation des textes qui parlent des hommes illustres avec quelques phrases de lien, à la manière des moralistes latins. Sont déjà parus Caligula, Périclès, Alexandre et Marc Aurèle, suivront Constantin, Julien, Hannibal, César et d’autres. Voici Alcibiade. Il est célèbre surtout grâce à Platon, qui l’évoque dans ‘Le Banquet’ car Socrate en était amoureux.

Alcibiade était Athénien, descendant du fameux Clisthène et cousin du non moins fameux Périclès. Clisthène a fondé la démocratie athénienne en 510 avant, quant à Périclès, il devint chef du parti démocratique en 459 et fit orner la cité de monuments après avoir établi la puissance navale et soumis l’Eubée et Samos. Cousin germain de sa mère, il adopte Alcibiade lorsqu’il a cinq ans, à la mort du père tué à Coronée contre les Béotiens.

Le gamin, parmi ses cousins, n’a de cesse de briller et de se faire reconnaître comme le plus aimé. Il est d’une particulière beauté et le restera à tous les âges. Les femmes comme les hommes se pâment devant lui. Tout petit, il séduit déjà et gardera volontairement les cheveux longs, en crinière. Encore enfant, rapporte Plutarque, « Alcibiade s’enfuit de la maison chez Démocratès, un de ses amants ». L’éphébophilie n’avait pas ce caractère hystérique de notre siècle américano puritain. Les jeunes Grecs étaient volontiers admirés, caressés et embrassés depuis la puberté jusqu’à la première barbe. La différence avec notre époque est qu’il ne s’agissait ni d’exploitation sexuelle ni de marchandisation de la chair, mais d’un hommage à la fertilité et d’une initiation à la citoyenneté par les relations sociales prestigieuses. Le plaisir n’était pas tabou en cette ère préchrétienne, mais selon la maturité et en respectant l’honneur du mâle libre, sous l’œil public de la société. Être aimé flattait l’éphèbe et l’amant s’efforçait d’en être digne en l’élevant aux belles vertus de la cité. Elles étaient militaires et civiques. Il s’agissait d’être fort et souple, habile aux armes de jet et de traits, et fidèle à ses compagnons au combat. Il s’agissait aussi d’être intelligent et diplomate, habile à l’argumentation et aux discours pour convaincre l’assemblée et entraîner les hommes.

Faute de père, Alcibiade est prêt à tout pour qu’on parle de lui, mais il a une bonne nature. C’est elle que reconnaît Socrate, sous les apparences trop brillantes de jeune dieu. Riche, Alcibiade se débauche et se pare, s’enivre et fait la fête, entraînant autour de lui une couche d’oisifs de son âge qui l’admirent. Ce qui ne l’empêche pas d’être courageux, entraîneur d’hommes à la guerre, négociateur retors et apte à s’adapter à tous les milieux. Le luxe n’est pas pour lui une nécessité de dandy, mais une façon d’être aimé. Il recherchera toute sa vie cet amour qui lui a manqué, père mort et mère effacée. Il couchera adolescent avec des hommes, ce qui ne l’empêchera nullement d’avoir le goût des femmes une fois adulte. Il se mariera avec le parti le plus riche d’Athènes, aura un fils qu’il prénommera comme lui Alcibiade, et engrossera même la reine de Sparte, au grand dam du roi parti en guerre qui le fera tuer, à 47 ans.

Sa relation avec Socrate est restée « platonique », dit-on. Le philosophe, laid et volontiers adepte du renoncement et de la sublimation, vénérait la beauté morale plus que la physique, ce qui ne l’empêchait pas d’admirer l’éphèbe. Alcibiade, vers quinze ans, a voulu le séduire en couchant nu contre lui, l’enlaçant sous leurs manteaux, dans le même lit. Mais « je me levai après avoir dormi aux côtés de Socrate, sans que rien de plus extraordinaire ce fut passé que si j’avais dormi près de mon père ou de mon frère aîné », dit-il au Banquet (219 b-e). « Il est le seul homme devant qui j’ai honte » (216 a-c), son père de substitution, en quelque sorte. Plutarque note qu’il était encore adolescent à l’expédition de Potidée. Il appartenait à la tente de Socrate. Durant la bataille, blessé, Alcibiade était tombé à terre et Socrate se plaça devant lui pour le protéger. C’est ce que rappelle Alcibiade dans ‘Le Banquet’ en rendant hommage à son vieux maître. A 19 ans, il y gagne le prix de la valeur au combat. Huit ans plus tard, il rendra la pareille à la défaite du Délion, protégeant physiquement la retraite de Socrate. Le vieux philosophe l’a sans doute rendu meilleur en rabaissant son orgueil et lui donnant exemple des vertus qu’il pouvait receler.

Poussé par sa popularité et la réputation de sa famille, Alcibiade entre en politique à 26 ans pour renforcer les moyens financiers d’Athènes. Ses ennemis l’ont accusé de s’être empli les poches, mais Alcibiade, s’il était flambeur, n’était pas avare ; il préférait sa réputation à la richesse. A 31 ans, il est élu stratège, il conclut avec Argos une alliance contre Sparte. Ce qui le conduit, à 36 ans, à encourager l’expédition de Sicile contre Syracuse, alliée de Sparte, en faveur des Léontins.

Ses ennemis, jaloux de sa beauté et de son succès, l’accusent alors de blasphème, d’avoir martelé les bornes d’Hermès et mimé en parodie les Mystères d’Éleusis. L’appel aux convenances religieuses est toujours le dernier recours des envieux emplis de ressentiment, sous toutes les latitudes et en toutes les époques. Le peuple, volage et entrepris par des démagogues, va rappeler Alcibiade et celui-ci jugeant que la lutte est biaisée, s’enfuit à Sparte. Il aide la cité à combattre ces Athéniens qui l’ont rejeté sur des accusations fantaisistes et saisi ses biens. Mais, lorsqu’Athènes se trouve en difficulté, Alcibiade se fait des alliés et gagne des batailles pour la cité. Il y fait son retour avec succès, adulé par ce peuple à la tête de linotte. Peuple tellement arrogant et sûr de lui que son déclin historique commence…

L’habileté d’Alcibiade, et son caractère résolument moderne, est son relativisme. Formé à la dialectique par Socrate, il sait que le discours peut faire dire tout et son contraire. Sa pensée, dès lors, est toute pratique. « La démocratie, nous savions, nous les gens sensés, ce qu’elle vaut », rapporte de lui Thucydide. Mais être aimé de tous est l’ambition d’Alcibiade, ce pourquoi il préfère la gloire de sa cité à ses intérêts matériels. Il n’a jamais tenté un coup d’état et ce fut même lorsqu’il était en exil que les Athéniens ont choisi les oligarques. Mais il se méfie de l’exemplarité des « lois » car celles-ci, disait-il à son père adoptif Périclès, sont la règle définie par le pouvoir – pas toujours par la conviction du plus grand nombre. C’est donc la loi de la nature qui s’impose, pas celle de la raison.

Voilà l’ambigüité de la démocratie athénienne, pas encore moderne : elle confond les deux. Platon le dit admirablement dans le Gorgias (cité p.156) : « Nous formons les meilleurs et les plus forts d’entre nous, que nous prenons en bas âge, comme des lionceaux, pour les asservir par des enchantements et des prestiges, en leur disant qu’il faut respecter l’égalité et que c’est en cela que consiste le beau et le juste. Mais qu’il paraisse un homme d’une nature assez forte pour secouer et briser ces entraves et s’en échapper, je suis sûr que, foulant aux pieds nos écrits, nos prestiges, nos incantations et toutes les lois contraires à la nature, il se révoltera, et que nous verrons apparaître notre maître dans cet homme… »

Claude Dupont, La véritable histoire d’Alcibiade, 2009, Les Belles Lettres poche, 176 pages, €12.35

Voir aussi Jacqueline de Romilly, Alcibiade, 2008, Texto Tallandier, 275 pages, €7.60

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