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Sorj Chalandon, L’enragé

Jules a 5 ans lorsqu’il vole trois œufs parce qu’il avait faim ; son père ne s’occupe pas de lui et sa mère est partie avec un autre. Nous sommes dans les années 30, une époque brutale d’après-guerre où les gens sont devenus violents. À 12 ans, Jules est condamné au bagne pour avoir brûlé une grange. Lui, « l’enfant de la honte, caché par la justice aux yeux des braves gens, par lâcheté, par paresse, par bêtise », il est envoyé à Belle-Île où un centre de détention pour mineurs de 12 à 21 ans a été ouvert depuis 1880, prenant la suite de la prison des anarchistes de la commune.

C’est là qu’il va apprendre ce que c’est que la société, les coups, l’obéissance aveugle, les pipes aux caïds, les viols des matons, la bêtise de la chiourme, le petit pouvoir des directeurs. Il va se forger une conscience d’anarchiste, sans aucun ami, égoïste jusqu’au bout des ongles parce qu’on ne survit dans ce monde de brutes que quand on est soi-même une citadelle brute.

Un soir de ses 18 ans, dans la nuit du 22 août 1934, une révolte éclate dans le centre pénitencier. Lui sait que c’est inutile de se révolter et que les coups vont tomber encore plus fort, mais il suit le mouvement. Il s’évade avec 55 autres. C’est, dès lors, la chasse à l’enfant sur toute l’île de Belle-Île. Tous s’y mettent, surtout les honnêtes gens, et même les touristes en famille ! Ceux qui ont peur de ceux qui n’ont rien, ceux qui voient des racailles dans tous ceux qui ne leur ressemblent pas, ceux qui se croient bon fils, bon mari, bon père, bon chrétien, bon citoyen. Tous les évadés seront repris, sauf un : Jules.

Formé aux métiers de marine dans le pénitencier, bien que le bateau soit sur du béton et n’ait jamais vu la mer, il a décidé de voler une barque pour gagner Quiberon. Mais le patron de pêche lui saute dessus alors qu’il est mouillé, transi et fatigué. Il le maîtrise mais, au lieu de le vendre 20 francs, le prix d’un enfant, il l’adopte.

Ronan est un Breton droit. Radical-socialiste, ce qui signifie antibourgeois et contre les fascistes, il a dans son équipage un communiste syndiqué, Alain, et un Basque anarchiste qui va bientôt le quitter pour combattre Franco. Ronan a perdu un fils à 6 ans, Alexandre, d’une méningite, et Jules est pour lui un fils de substitution. Il en fait le mousse du bateau et lui apprend le métier de sardinier au large de Belle-Île. Curieuse coïncidence, sa femme Sophie est la Rousse qui sert d’infirmière à la colonie pénitentiaire. Elle l’avait remarqué, ce garçon étrange qui a passé son certificat d’études et est plus révolté que méchant. Elle l’adopte aussi. Passera au café du port un Parisien qui n’est pas flic, mais poète et qui a assisté, effaré, à la chasse à l’enfant. Jacques Prévert, car c’était lui, chantera dans une ballade l’évasion 1934 du bagne de Belle-Île :

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C’est la meute des honnêtes gens

qui fait la chasse à l’enfant.

Il avait dit j’en ai assez des maisons de redressement

les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents

et il avait laissé étendu sur le ciment. »

Dans son évasion, Jules était accompagné de Camille Loiseau, un jeune blond de 13 ans qui s’était fait prendre par les vieilles sœurs Damien chez qui il faisait du ménage gratuitement, selon la bonne politique de la colonie pénitentiaire qui s’autofinançait en exploitant les enfants. Camille, surnommé « Mademoiselle »avait été violé, battu et était une misérable petite chose qui faisait pitié à Jules. Mais Camille a été repris, battu, violé, et finira par se pendre trois ans plus tard. Ce qui mettra Jules en rage. Car la rage ne le quitte jamais, Jules Bonneau, un nom imbécile que ses parents lui ont donné sans savoir qu’il ressemblait un bandit dont la bande fut célèbre, « bien que cela ne s’écrive pas pareil » a-t-il habitude de dire.

Jules vit la vie de marin et découvre que Sophie, outre qu’elle est infirmière, est aussi avorteuse. Elle vient en aide aux filles qui ont fauté, la plupart du temps sans le vouloir, soumises au mâle et rendues ignares par les tabous de la religion : violées par un frère, un père, un beau-parleur. Le frère de Sophie, Francis, capitaine réchappé de la Grande guerre et devenu Croix de feu, découvre son trafic et veut la récupérer. Pour cela, il fait chanter Jules en lui mettant le marché en main : où tu compromets son mari Ronan (qu’il déteste) en cachant chez lui des tracts anarchistes et des armes, ou je te dénonce à la police qui t’enverra au bagne de Cayenne. Jules ne fait ni une ni deux, il le tue avec le couteau donné par Camille. Il ne sera jamais découvert. De même, lorsque Sophie lui apprend que Camille s’est pendu, il décide de se venger des sœurs Damien qui l’ont dénoncé et l’ont fait reprendre, au lieu de l’aider. Il va incendier leur maison en les ligotant dehors.

Après ces forfaits, il est obligé de quitter l’île. Ronan, qui l’aimait bien, en est fort marri, mais accepte que le garçon perdu soit devenu un homme et qu’il fasse sa vie. Il le quitte, le cœur gros, mais heureux d’avoir sauvé un colon et de l’avoir réhabilité à la vie sociale.

Durant la Seconde guerre mondiale, Jules fera de la résistance sans entrer dans aucun groupe et finira fusillé par les Allemands, à 28 ans. Il ne regrette rien, la France n’a jamais voulu de lui.

Un bon roman populaire, dans la lignée de Victor Hugo mais sans son misérabilisme, écrit sec comme écrivait Prévert. Sorj Chalandon, né Georges à Tunis, a été battu par son père et a fui à 17 ans sa violence. Il a été journaliste à Libération où il obtiendra le prix Albert-Londres en 1988, puis au Canard enchaîné avant de défouler dans ses romans ses pulsions anarchistes et humanistes, dont un Grand prix du roman de l’Académie française en 2011 et un prix Goncourt des lycéens en 2013.

Sorj Chalandon, L’enragé, 2023, Livre de poche 2025, 423 pages, €9,90, e-book Kindle €9,99

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Quartiers de Palerme

Nous repassons dans les ruelles étroites du quartier de la Kalsa, les restes de la Palerme arabe. L’endroit était hier sale et populaire, il est aujourd’hui de plus en plus rénové et bobo. Mais une rue au marché typique est devenue le lieu de la fripe et de la malbouffe, avinée et assourdissante le soir, comme le dit le guide. La voie des Latrines ? des laitiers ? des Lattarini ? La via Lattarini a sa plaque écrite en trois langues, comme au temps des Normands : en latin, hébreu et arabe.

Le café Stagnitta, près de la piazza Bellini, est le préféré du guide ; il vient y acheter son café en grains pour le moudre à la maison. Le Financial Times lui a consacré un article, vantant la maison ouverte en 1928.

Place de la Vergogna (de la honte), en réalité piazza Pretoria, trône une gigantesque fontaine de marbre aux nombreuses statues imitées de l’antique, œuvre de Camilliani et de Naccherino (1555-1575). La honte parce que le prince n’avait plus assez de fonds pour finir et à intrigué pour la faire financer par le Sénat de Palerme.

Juste après elle, la place des Quattro Canti, la rencontre des quatre quartiers historiques de la ville par le croisement des via Vittorio Emanuele et Maqueda. Elle fut tracée en 1620 sous le vice-roi espagnol. Pourquoi une fille porte-t-elle une robe moulante parme qui met en valeur ses seins en avant et ses fesses en arrière ? Son mec tatoué de partout en tee-shirt rouge vif, casquette rouge et baskets rouges, tatoué de partout, ne se rend pas plus compte qu’elle de l’apparence qu’il a. Une sorte d’affirmation de soi naïve, insolite, contente de soi. Il faut s’aimer fort pour se présenter ainsi au naturel, sans chercher à corriger ses défauts.

Nous terminons la journée par un retour au premier jour, à la cathédrale, fondée en 1170 mais lourdement corrigée aux XVIIIe et XIXe siècle. L’extérieur côté chœur est décoré d’incrustations de basalte noir aux motifs géométriques, de style arabo–normand. La cathédrale a été bâtie sous Guillaume II, mort sans héritier en 1189. La chapelle de Rosalie présente une châsse en argent et un portrait par un peintre qui aimait à se croire célèbre.

En passant, l’église du Gesu, élevée entre 1564 et 1633, à la coupole baroque du XVIIe et au décor de stuc et marqueterie de marbres sicilien du XVIIIe siècle baroque exubérant. Un mariage s’y tient. Les murs sont en mosaïque de marbres polychromes, les putti sont en stuc, des peintures ornent tous les endroits laissés libres. C’est un peu lourd, incite au fusionnel, à l’unisson du regard, sans aucun recul.

Je ne suis pas fâché d’en finir pour ce soir après avoir arpenté tant de rues et vu tant d’églises, admiré tant de décors.

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Valérie Gans, La question interdite

Un roman puissant, d’actualité, sur la vérité. Écrit au lance-pierre, avec des billes lancées à grande vitesse qui frappent juste et lourdement : sur l’effet de meute, l’anonymat lyncheur des réseaux sociaux, la dérive hystérique d’un certain féminisme. La « question interdite » ne devrait pas l’être : « et si ce n’était pas vrai ? »

Pas vrai qu’un homme de 40 ans ait abusé d’une adolescente de 13 ans (et demi) ? Pas vrai que la fille l’ait ouvertement accusé ? Pas vrai que la mère abusive ait « cru » le « non-dit » ? Pas vrai que l’inspectrice de la police (on dit plutôt lieutenant aujourd’hui, je crois) ait capté la vérité dans les propos décousus et incohérents de l’une et de l’autre ?

Une histoire simple, comme dirait Sautet au nom prédestiné : un vidéaste connu monte un projet sur la féminité. Adam, au nom d’homme premier, est soucieux du droit des femmes et milite depuis toujours contre le machisme, ayant montré dans ses vidéos les horreurs de la soumission dans les pays autour de la Méditerranée et en France. Il s’entiche – professionnellement – en 2017 d’une gourde un peu grosse rencontrée dans un café où elle s’essaie à devenir adulte en ingurgitant le breuvage amer qu’elle n’aime pas. Il voit en elle son potentiel, le développement de ses qualités physiques et mentales. Il lui propose de tourner d’elle des vidéos spontanées, qu’il montera avec des vidéos de femmes plus âgées, afin d’exposer l’épanouissement d’une adolescente à la féminité. En tout bien tout honneur, évidemment, avec autorisation de sa mère et contrat dûment signé. Lui est marié à Pauline, une psy qui enchaîne les gardes pour obtenir un poste.

La mère, Ukrainienne mariée à un Iranien décédé, ne vit plus sa vie de femme depuis le décès de son mari cinq ans auparavant ; elle se projette sur sa fille et fantasme. Elle la pousse dans le studio, sinon dans les bras du bel homme connu. Shirin la gamine se révèle ; elle devient femme, se libère de ses complexes face aux regards des autres, améliore ses notes, devient populaire. Les autres filles l’envient, les garçons de son âge sont un peu jaloux et voudraient en savoir plus sur les trucs qui se passent.

Mais il ne se passe rien.

Jusqu’au jour où Shirin, désormais 14 ans, rentre en larmes et claque la porte de sa chambre. Sa mère, biberonnée à l’environnement féministe, aux soupçons immédiats sur le sexe pédocriminel, à la différence d’âge qui ne s’admet plus, se fait un cinéma : sa fille vient d’être violée et, même si elle n’a rien dit, c’est normal, elle est « sidérée » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle la convainc d’aller « porter plainte », comme la mode le veut, pour que le (présumé) coupable soit « puni », autrement dit retiré de la société pour trente ans, comme s’il avait tué. La policière qui reçoit mère et fille entend surtout la mère, la fille est bouleversée, elle borborygme, elle n’avoue rien. Normal, pense la pandore formatée par l’époque, elle est « sous emprise » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien.

Le présumé innocent est convoqué, interrogé, soupçonné. Il nie évidemment qu’il se soit passé quoi que ce soit, mais la fille ne parle pas. Il est donc coupable. Aux yeux de la police, aux yeux de l’opinion, aux yeux de son avocat, un soi-disant « ami » qui ne le croit pas puisque personne n’y croit. Les réseaux sociaux se déchaînent, chacun dans sa bulle confortable : les hommes prêts à juger les autres pour les turpitudes qu’ils auraient bien voulu avoir ; les femmes (qui n’ont que ça à foutre, faute de mecs à leur convenance) dans l’hystérie anti-mâles, revanchardes des siècles de « domination » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Adam est boycotté par ses clients, jeté de sa galerie où il expose ses vidéos, une pétasse qui avait 15 ans et lui 19 vingt ans auparavant l’accuse (gratuitement) de « viol » – mot de la mode qui plaque un concept juridique qui n’explique rien des faits réels. Il entre en mort sociale. Pauline, sa femme, demande le divorce tant la pression des autres et de ses collègues lui font honte de rester avec un tel criminel (pas encore jugé, la justice est très très lente en ces matières). Désespéré, il se suicide.

Fin de l’histoire ?

Non. Shirin, vingt ans plus tard, a du remord. Elle sait ce qui s’est passé, c’est-à-dire rien, et elle voudrait réhabiliter Adam qui l’a révélée à elle-même contre les autres, sa mère possessive qui vivait ses fantasmes par procurations, ses petits copains boutonneux qui ne pensaient qu’à baiser sans aimer, ses copines jalouses et venimeuses qui ne songeaient qu’à se faire valoir aux dépens des autres. Tout le monde en prend pour son grade.

Nous sommes désormais en 2028 et la société a bien changé. Valérie Gans l’imagine sans peine comme un prolongement hystérisé des tendances actuelles, ce qui donne un chapitre savoureux (et inquiétant) d’anticipation. Plus aucune relation entre hommes et femmes sans le regard des autres, la « transparence » réelle des bureaux vitrés, des surveillances de tous contre tous. « Pour peu que Shirin s’offusque d’un compliment, d’un sourire, d’une invitation qu’elle jugerait déplacée, Stan se retrouverait condamné » p.116. « Un regard trop appuyé, s’il est surpris – voire photographié et instagramé – par quelqu’un de l’autre côté de la vitre peut entraîner sa perte » p.117. Admirable société où l’homme est un loup pour la femme et réciproquement. « Dans ce monde régi par la peur de se faire accuser de harcèlement, les hommes déjà pas très courageux avant se sont repliés sur eux-mêmes. Célibataires malgré eux, quand ils n’ont pas tout simplement viré gays, ils sortent entre eux, vivent entre eux… simplement parce qu’ils n’osent plus draguer. Triste » p.116. Mais vrai, déjà aujourd’hui.

Shirin, qui vit avec son amie Lalla sans être lesbienne, faute de mec à accrocher, décide de rétablir la vérité contre sa mère, contre la police qui n’a pas été jusqu’au bout, contre la société qui a hystérisé la cause sans chercher plus loin que « le symbole » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle poste donc un rectificatif sur l’ex-fesses-book des étudiants d’Harvard, devenu vitrine respectable des rombières de la cinquantaine ménopausées en quête de CAD (causes à défendre) : « Et si ce n’était pas vrai ? »

Mais raconter qu’on ne s’est pas fait violer – ça n’intéresse personne ! Pour son équilibre mental, Shirin veut « donner sa version des faits plutôt que, ce qu’il y a vingt ans, on lui a fait avouer » p.120. Elle déclenche une riposte… « atomique ». Les réseaux sociaux se déchaînent contre l’ex-violée qui refuse son statut symbolique (et socialement confortable) de « victime » – mot de la mode qui n’explique rien. La désormais « bonne » société des vagins éveillés (woke) ne veut pas entendre parler de la vérité car « la vérité » n’est pas le réel mais ce qu’elle croit et désigne comme telle. Comme des Trump en jupons (violeur condamné récemment pour avoir payé une actrice du porno afin qu’elle la ferme), les hystériques considèrent que la vérité est relative et que la leur est la bonne : il t’a regardé, il t’a donc violée. « Victime, on te croit », braille le slogan des bornées.

Shirin ne va pas s’en sortir car recommence – à l’envers – le même processus des réseaux, des accusations, de l’opprobre et de l’agression physique, jusqu’à la mort sociale. Et le suicide de Shirin, qui reproduit celui d’Adam. Sauf qu’elle est sauvée in extremis par elle-même sans le savoir, qui téléphone à sa mère pour qu’elle vienne la sauver – et réparer le mal qu’elle a fait, en toute bonne conscience. Un séjour en hôpital psychiatrique lui permettra de rencontrer une psy qui la fera révéler « la » vérité (la seule valable, l’unique qui rend compte des faits réels) et ainsi se préserver de « la honte » et de la horde. Je ne vous raconte pas ces faits réels, ils sont le sel de cette histoire d’imbéciles attisés par les mauvaises mœurs de l’impunité en réseau. La foule est bête, la foule féministe est vengeresse, la foule en réseaux fait justice elle-même en aveugle.

De quoi se poser des questions, si possibles les bonnes questions, avant qu’il ne soit trop tard et que les accusations gratuites n’aboutissent à des meurtres en série. Car, quitte à prendre trente ans de tôle, autant se venger réellement des accusatrices sans fondement !

Il faut noter pour l’ambiance d’époque – la nôtre – que le manuscrit de cette autrice ayant été refusé par les maisons d’éditions (avec le courage reconnu qu’on leur connaît!), bien qu’elles aient déjà publié d’elle une vingtaine de romans, Valérie Gans a créé sa propre maison pour contrer la Cancel « culture » : Une autre voix. Celle de la liberté de penser, de dire et d’écrire. Valérie Gans n’est pas n’importe qui : maîtrise de finance et d’économie de Paris-Dauphine en 1987, elle a travaillé dix ans dans la publicité et chronique depuis 2004 des livres pour Madame Figaro. Ce qu’elle dit doit nous interpeller. Son roman se lit d’une traite, bien qu’elle abuse des retours à la ligne.

Valérie Gans, La question interdite, 2023, éditions Une autre voix, 208 pages, €31,00, e-book €12,50 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Nietzsche contre la vertu des petites gens

En cette quatrième partie, Zarathoustra poursuit son périple sur sa montagne. Il rencontre toutes sortes de gens, symboles de ce qu’il abhorre en ce monde. Le voici pris à partie, dans la vallée de la Mort-aux-serpents, par « le plus laid des hommes ». Il est celui qui a tué Dieu et qui est persécuté pour cela : persécuté par la pitié !

Car déclarer que Dieu est mort (ce qu’a fait Nietzsche) n’est pas suffisant ; il faut aussi condamner toutes les idoles, toutes les illusions, toutes les fausses vertus. « Mais sache-le, c’est moi le plus laid des hommes, -celui qui a les pieds les plus grands et les plus lourds. Partout où je suis passé, le chemin est mauvais. Je défonce et j’abîme tous les chemins. » Mettre les pieds dans le plat n’est pas suffisant… C’est secouer le joug, pas devenir soi-même créateur. Le chameau se métamorphose en lion, il n’atteint pas encore l’état d’innocence de l’enfant.

La pitié est la pire des vertus car elle affaiblit ; la compassion rend misérable, autant que celui auquel elle s’adresse. Compatir avec le plus bas c’est s’abaisser soi-même et rester au bas niveau des autres, alors que ce qui importe est au contraire d’élever. « À grand peine j’ai échappé à la cohue des miséricordieux pour trouver le seul qui, entre tous, enseigne aujourd’hui que la pitié est importune – c’est toi, ô Zarathoustra ! – que ce soit la pitié d’un Dieu ou la pitié des hommes : la pitié est une offense à la pudeur. Et la volonté de ne pas aider peut être plus noble que certaines vertus trop empressées à secourir. » Faire l’aumône, ce n’est pas aimer, c’est mépriser. Mieux apprendre à pêcher le poisson que de donner un poisson.

« Or, c’est cette vertu que les petites gens tiennent aujourd’hui pour la vertu par excellence, la compassion : ils n’ont pas le respect de la grande infortune, de la grande laideur, de la grande difformité. » Ces moutons « sont de petits être gris, dociles et moutonniers. » On leur a appris à compatir, et ils le font, par habitude. Ce sont de petites âmes qui ne sentent pas la grandeur d’être maudit et laid, d’être le meurtrier de Dieu. Ils ronronnent par coutume enseignée depuis le plus jeune âge par la moraline sociale et religieuse. Ils ne pensent pas, il réagissent par réflexe vertueux.

« Trop longtemps on leur a donné raison, à ces petites gens : et c’est ainsi que l’on a fini par leur donner la puissance – maintenant ils enseignent : ‘rien n’est bon que ce que les petites gens appellent bon’. » Ce qui leur a donné raison est le christianisme, Jésus, « ce présomptueux qui depuis longtemps a fait enfler la crête des petites gens – lui qui, en enseignant : ‘je suis la vérité’, n’a pas enseigné une mince erreur. » Ce n’est pas aux petites gens de dire ce qu’est la vertu et la morale. C’est aux gens qui pensent par eux-mêmes, pas ceux qui suivent un gourou, fût-il appelé Fils de Dieu.

Zarathoustra met en garde contre la pitié, cette passion qui rabaisse, et il enseigne : « Tous les créateurs sont durs, tout grand amour est supérieur à sa pitié ». Même si la pitié est un sentiment humain, naturel, une faiblesse humaine, la pitié n’est pas la bonté ni la générosité. « Mais toi-même, garde toi de ta propre pitié ! Car il y en a beaucoup qui sont en route vers toi, beaucoup de ceux qui souffrent, qui doutent, qui désespèrent, qui se noient et qui gèlent. Je te mets aussi en garde contre toi-même », déclare le plus laid des hommes à Zarathoustra. Avoir pitié de la souffrance des autres n’évite pas la souffrance de ces mêmes autres : mieux vaut leur proposer du positif pour s’en sortir ! Douter, de même, est un affaiblissement : non pas douter par méthode, pour mieux penser positif, mais douter pour douter, pour mettre en doute tout, sans cesse critiquer et ne voir que le pire, imaginer des complots, des forces mauvaises contre lesquelles on ne peut (évidemment rien). Au lieu d’agir et de proposer. Compatir aux désespérés c’est se faire nihiliste, rien ne vaut, tout est foutu, no future : est-ce ainsi que l’on offre un but à la jeunesse, une façon de vivre ? Vivre, c’est le contraire de se noyer, de se droguer, de s’anéantir. C’est être positif, agissant, créateur.

La Vierge des Pietà, qui tient le cadavre de son fils nu, crucifié par les hommes, est passive, elle se soumet, elle n’agit pas. Comment d’ailleurs pourrait-elle agir, tant sa condition de femme, sur le pourtour de la Méditerranée, est cantonnée par les hommes et par la Torah, la Bible ou le Coran ? Elle attend tout de Dieu, rien d’elle-même, sinon d’accomplir les rites de l’inhumation. Vains rites, puisque le tombeau sera ouvert et le corps envolé.

Zarathoustra, qui déborde de force, de générosité, invite le plus laid des hommes, le meurtrier de Dieu, à venir dans sa caverne aux mille recoins, et dialoguer avec ses animaux – « l’animal le plus fier et l’animal le plus rusé », l’aigle et le serpent. « Ainsi tu apprendras aussi de moi ; seul celui qui agit apprend. »

Seul celui qui agit apprend : il ne faut pas tout attendre des autres, des parents, de l’État, du système. Il faut agir soi, penser par soi-même, se prendre en main. Les autres aident, mais si l’on veut d’abord s’aider soi-même – ‘aide-toi, le Ciel t’aidera’, dit l’adage populaire. La pitié ne résout rien, c’est une vertu de faible, elle fait l’aumône pour passer à autre chose, au lieu d’avoir « honte » de la misère et d’agir pour y remédier. Zarathoustra a honte devant le plus laid des hommes ; mais il surmonte sa pitié immédiate, par réflexe, et il agit : il propose au plus laid des hommes d’aller dans sa caverne et d’entreprendre de mépriser la pitié pour se reconstruire.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

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Nietzsche contre l’immaculée connaissance

Zarathoustra voit se lever la lune et se dit qu’elle se prend pour le soleil. Mais elle est trop pâle et timide : elle ment avec sa pseudo-grossesse. Elle se contente d’effleurer la terre plutôt que de l’engrosser comme le soleil le fait. Par cette parabole, Nietzsche se moque des la religiosité de ceux qui croient à « l’immaculée connaissance », en référence à l’immaculée conception de la Vierge Marie. Comment peut-on engendrer la chair à partir de rien ? Seuls les gogos se soumettent à cette fausse vérité qui est – chez les chrétiens – le signe même de la foi. Il s’agit d’abolir sa raison et sa volonté pour adhérer de tout son cœur, d’obéir au Père sans discuter, ni réfléchir, ni vouloir.

Mais l’être humain n’est pas que de foi ni de raison : il est en trois étages intimement mêlés, comme Nietzsche n’a cessé de le répéter depuis toujours, dans la lignée des Antiques : les instincts qui induisent les passions qui meuvent l’esprit. La « volonté vers la puissance » est ce mouvement même du bas vers le haut et qui revient du haut en bas pour faire agir. L’esprit neutre, objectif, la « connaissance immaculée », ne sont que de vastes blagues, des infox d’intellos qui se prennent pour des clercs de religion.

« Vous aussi aimez la terre et tout ce qui est terrestre : je vous ai bien devinés ! – mais il y a dans votre amour de la honte et de la mauvaise conscience – vous ressemblez à la lune. On a persuadé à votre esprit de mépriser tout ce qui est terrestre, mais on n’a pas persuadé vos entrailles : or ne sont elles pas ce qu’il y a de plus fort en vous ? » L’esprit a honte de dépendre des entrailles qui lui paraissent vulgaires, trop charnelles, matérielles, lui qui se voudrait éthéré et proche de « Dieu ». Mais l’être humain est fait de chair, et donc à trois étages, pas à un seul. C’est un fait : il a été créé ainsi. Avoir « honte » de cela est une ineptie, cela devrait l’être même aux croyants.

Car la morale d’église trompe et égare en corrompant la foi pour une question de pouvoir sur les âmes, donc sur les corps. « Ce serait pour moi la chose la plus haute – ainsi se parle à lui même votre esprit mensonger – de regarder la vie sans convoitise et non pas comme un chien, la langue pendante. Être heureux dans la contemplation, avec la volonté morte, sans rapacité et sans désir égoïste – froid et couleur de cendres sur tout le corps, mais les yeux enivrés de lune. (…) Ainsi s’égare celui qui a été égaré. (…) Et voici ce que j’appelle l’immaculée connaissance de toutes choses : ne rien demander aux choses que de pouvoir s’étendre devant elles, comme un miroir aux yeux innombrables. » L’université laïque réagit comme une église lorsqu’elle prône la connaissance « pure », détachée de tout, neutre en méthode. Tout est préjugé, chacun parle depuis quelque part, avec une langue particulière, selon un point de vue. C’est l’objet de la méthode scientifique que de chercher à minimiser ces préjugés et déterminants du chercheur, ce pourquoi la connaissance avance avec essais et erreurs, comparaisons et validations croisées, « falsification » dit Karl Popper. « Ne rien demander aux choses », ce n’est pas faire de la recherche mais rester coi, béat devant la Création, sans volonté ni désirs. Une larve prête à obéir à tout et à passer sa vie inutile à ne rien faire.

Au contraire, le désir est innocent. Il vient des entrailles et entraîne la volonté – et cela est bénéfique aux vivants : c’est ainsi qu’ils survivent et étendent leur pouvoir sur les choses pour durer. Les immaculés connaissant ne connaissent rien de ce qui est vivant, de ce qui fait la vie même. Ils n’aiment « pas la terre comme des créateurs, comme des générateurs, joyeux de créer ! » Ils préfèrent les objets – chosifiés, indifférents – aux êtres vivants et qui passionnent. D’où les dérives scientistes du calcul qui négligent l’humain et le méprisent, des délires de la finance spéculative aux drones à intelligence artificielle qui cherchent à tuer leurs opérateurs parce qu’il mettent des bâtons dans les roues de la mission définie.

« Où y a-t il de l’innocence ? Là où il y a la volonté d’engendrer. Et celui qui veut créer ce qui le dépasse, celui là possède à mes yeux la volonté la plus pure. Où y a-t-il de la beauté ? Là où il faut que je veuille de toute ma volonté : où je veux aimer et disparaître, pour qu’une image ne reste pas qu’une simple image. Aimer et disparaître : ceci s’accorde depuis des éternités. Vouloir aimer, c’est aussi être prêt à la mort. » Il faut oser croire en soi-même pour créer, que ce soit un enfant, un objet ou une œuvre d’art. Croire en soi n’est pas croire en un « dieu » qui meut, mais en les trois étages qui composent l’humain, chair, cœur et cerveau, tous unis par la volonté d’agir, de faire pour vivre.

« Vous avez mis devant vous le masque d’un dieu, vous, les purs : votre affreux ver rampant s’est caché sous le masque d’un dieu. » Vous prétendez, vous faites croire, vous façonnez une image de vous-mêmes – ô hypocrites ! Vous n’existez pas, vous n’êtes que fumée, illusion, esbroufe. Il en est tant et tant de ces « auteurs », « chercheurs », « philosophes » et missionnaires de toutes causes qui ne sont rien que le masque qu’ils se sont créés pour se faire regarder en miroir – pas pour engendrer des choses nouvelles.

Là, Zarathoustra/Nietzsche se fait sensuel, car la connaissance est désir, pas seul esprit froid :

« Car déjà l’aurore monte, ardente – son amour pour la terre approche ! Tout amour de soleil est innocence et désir de créateur.

Regardez donc comme l’aurore passe, impatiente, sur la mer ! Ne sentez-vous pas la soif et la chaude haleine de son amour ?

Elle veut aspirer la mer et boire ses profondeurs : et le désir de la mer s’élève avec ses mille mamelles.

Car la mer veut être baisée et aspirée par le soleil altéré ; elle veut devenir air et hauteur et sentier de lumière, et lumière elle même !

En vérité, pareil au soleil, j’aime la vie et toutes les mers profondes.

Et ceci est pour moi la connaissance : tout ce qui est profond doit monter à ma hauteur.

Ainsi parlait Zarathoustra. »

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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L’argent de Marcel L’Herbier

Chef d’œuvre du muet, ce pourquoi le film est long, allongé des tableaux de texte, Marcel L’Herbier revisite le roman de Zola (chroniqué sur ce blog) publié en 1891 dans les années 20. Le spectateur d’aujourd’hui peut voir s’animer le grouillement des traders de l’époque, petits spéculateurs, au palais Brongniart, le temple de la Bourse de Paris. La corbeille est au centre, réservée aux agents de change en charge (un office comme celui des notaires à l’époque), comme un vortex qui fascine et absorbe l’argent investi sur de petits papiers. Un travelling tourbillonnant et plongeant de caméra donne d’ailleurs cet effet étourdissant au spectateur.

L’histoire est modernisée et simplifiée, cinéma oblige. Jacques Hamelin (Henry Victor) est un pionnier de l’aviation plus intéressé par la technique et l’aventure que par l’argent. Ce n’est pas le cas de sa femme Line (Marie Glory), une dépensière qui a accumulé les dettes et les cache à son mari. Son ami journaliste, Huret (Jules Berry), propose à Jacques de rencontrer le financier Nicolas Saccard (Pierre Alcover), président de la Banque Universelle, qui adore investir dans des projets spéculatifs. Hamelin peut joindre la Guyane française dans le nouvel avion qu’il a conçu avec un nouveau carburant et assure que les terrains là-bas, sur lesquels il a pris une option, regorgent de pétrole et autres minerais. Saccard est gros et riche, il paraît opulent mais il est, comme d’habitude, au bord de la ruine. Il voit dans le projet Hamelin l’occasion de se refaire.

Un banquier concurrent lui en veut particulièrement, Alphonse Gunderman (Alfred Abel), dont le nom évoque chez L’Herbier la banque protestante, parée de vertu et opposée à la banque spéculative catholique (en France). Saccard rencontre Gunderman pour s’assurer de sa neutralité mais l’autre trouve immoral l’argent non fondé sur des actifs tangibles et refuse. Mais Saccard, finaud, fait du storytelling. Il laisse croire qu’il est au mieux avec Guderman et que celui-ci va le soutenir, juste pour que ses actions jusqu’ici en baisse sur des rumeurs de faillite, puissent remonter. Ce qui lui permet d’empocher un prêt supplémentaire d’une banque de Bordeaux qui l’avait refusé récemment.

L’annonce de l’opération exploitation pétrolière en Guyane avec un héros de l’aviation en tête de gondole comme vice-président est l’occasion d’une belle publicité – et l’augmentation de capital auprès des petits et gros actionnaires est un succès. Même Gunderman investit – non sans arrières-pensées : « il stocke des munitions », dit un courtier avisé. Il fait acheter par Londres, New York, Berlin, Amsterdam, Tokyo pour que cela se voie moins ; il fera vendre de même lorsque le moment sera venu de sonner l’hallali, ce qui fera croire que les analystes boursiers du monde entier sont d’accord pour évaluer la Banque Universelle. Saccard ne s’arrête pas là.

Il complote avec son secrétaire particulier Mazaud (Antonin Artaud lui-même) pour manipuler l’information. Le vol transatlantique de Hamelin est un succès, Radio Paris annonce son atterrissage en Guyane – hausse des actions Saccard, ventes partielles des courtiers Saccard. Puis Tokyo annonce que son avion a été vu à l’est de certaines îles proches, piquant en flamme dans l’océan – chute des actions Saccard, rachats partiels des courtiers Saccard sur la nouvelle, en-dessous d’un certain prix. Dans un télégramme codé, le secrétaire particulier annonce cependant à son patron que les colis sont bien livrés, donc que l’aviateur a pleinement réussi. Lorsque la nouvelle est officielle, confirmée par un télégramme de Jacques à sa femme Line, les actions Saccard remontent, engendrant une belle plus-value.

C’est évidemment faire peu de cas des sentiments de Line. Effrayée par l’aventure de son mari, elle le supplie de ne plus partir mettre sa vie en danger dans les airs, surtout qu’il est sujet à des pertes de vision. Saccard, pour obtenir qu’il devienne vice-président alors que Jacques le refuse, fait croire à sa femme que ce poste le maintiendra à Paris. Elle s’aperçoit que c’est faux parce que Jacques pose une seule condition : continuer à être aviateur et voler. Les adieux sont hystériques (et interminables, ce qui est lassant). A la nouvelle que l’avion s’est écrasé, Line est effondrée et va au grand bureau de Saccard pour se suicider au pistolet sous ses yeux. Le gros banquier jongle avec les téléphones, dans un fouillis de tableaux et de fils qui vont perdurer d’ailleurs à Paris jusque dans les années 1990 à la Bourse ! Il réussit à l’empêcher d’appuyer sur la détente et lui livre le télégramme du succès.

Il la désire depuis le premier jour mais les affaires avant tout. Ce n’est qu’ensuite, lorsque le succès est assuré, qu’il va manipuler la jeune femme écervelée et panier percé, en lui trouvent un grand appartement, un bracelet de 125 000 francs, un carnet de chèques – avec procuration de son mari, signée en Guyane sans le savoir par Jacques auprès du secrétaire parmi d’autres papiers, dont les bilans de la société. Saccard les tient. Line claque 300 000 francs en quelques semaines et si elle ne lui cède pas, il fera opposition à ses chèques, ce sera la ruine, la correctionnelle, la honte sociale et personnelle.

C’est la baronne Sandorf (Brigitte Helm), une femme cupide et stupide, adonnée au jeu, ancienne maîtresse de Saccard et qui veut se venger de lui en rapportant des rumeurs sur le précaire équilibre financier de la Banque Universelle et les malversations qu’y aurait commises Saccard, qui convainc Line de porter plainte en justice, ce qui est le droit de tout actionnaire. Elle évitera ainsi de céder au chantage sexuel que la baronne a perçu à la soirée organisée par le banquier. Line liquide les actions de la Banque Universelle, porte l’affaire en justice et Saccard est arrêté, de même que Jacques Hamelin en tant que vice-président de la société lorsqu’il revient toucher le sol français depuis un paquebot, puis un transport aérien de Bordeaux au Bourget. Sa santé s’est dégradée sous le climat tropical guyanais et il n’y voit plus guère. Au procès, il est cependant acquitté pour avoir été dupé et est acclamé en tant que héros national, tandis que Saccard écope de six mois de prison pour faux bilans. Ce n’est pas cher payé mais il est vrai qu’il n’a tué ni violé personne. Son affaire s’écroule et Gunderman, en banquier avisé, s’empresse de reprendre l’idée de Jacques et les terrains vendus à la faillite, tout en récupérant le héros dans sa propre affaire pour qu’il la développe sans spéculation.

Incorrigible joueur et bateleur de vent, Saccard emprisonné parle d’une prochaine affaire dont il a eu l’idée au gardien, lequel se demande s’il ne serait finalement pas intéressé… Tout le film est une charge contre l’ARGENT. Il achète tout, il rend goujat, il corrompt. L’argent est une malédiction diabolique qui métamorphose les gens en féroces prédateurs, égoïstes et cupides, avides d’assouvir leur pouvoir et leur sexualité, perdant toute raison. D’où l’association de l’argent (l’avarice, l’usure, la banque impitoyable, le capitalisme) aux Juifs par Zola en son temps. Marcel L’Herbier a peut-être voulu casser le code en faisant de Gunderman, dont le nom peut être protestant alsacien plutôt que juif (Zola en avait fait un Juif), un banquier non spéculatif, plus intéressé par l’investissement en actifs productifs que par des gains sur allers et retours boursiers. Saccard y succombe, ce qui le rend humain malgré son gros ventre content de lui et ses lèvres pulpeuses lorsqu’il lorgne les bas gainés de soie de la jeune Line. L’envoûtement du spectateur est là : l’argent fascine, il permet tout, est cause de tout, peut donner la gloire et la richesse comme la ruine et la honte. Quiconque se soumet à l’argent entre en tragédie.

Le noir et blanc 1928 et les expressions outrées des acteurs et actrices du muet accentuent ce côté théâtral. La Méchain (Yvette Guilbert) tout en noir, qui rachète au plus bas prix uniquement les actions en quasi faillite, est une Cassandre qui apparaît aux bons moments, telle un vautour. Même le petit groom de 12 ans en uniforme à boutons dorés (Jimmy Gaillard) qui porte les plis au gros banquier Saccard, a son rôle de messager du destin.

DVD L’argent, Marcel L’Herbier, 1928, avec Pierre Alcover, Brigitte Helm, Marie Glory, Yvette Guilbert, Alfred Abel, Carlotta Films 2088, 2h24, €13,26

ou Blu-ray Lobster Films 2019 €21,25

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Je n’aime pas les miséricordieux, dit Nietzsche

Donner est bon mais la pitié tue car, quand l’émotion submerge, elle fait perdre la raison. « Il faut retenir son cœur : car si on le laissait aller, on aurait vite fait de perdre la tête ! » s’exclame Zarathoustra. Les réseaux sociaux et les médias sont remplis de bons sentiments et d’élans pour « les aider ». Mais pour quoi faire ? Les sauver de leur État en faillite, qu’ils ont eux-mêmes contribué à ériger – comme au Liban ? Reconstruire pour qu’ils détruisent au nom de leur ressentiment religieux – comme en Afghanistan ? à Gaza ? Donner sans contrepartie pour que les gangs au pouvoir ou dans la rue accaparent l’aide – comme à Haïti ? en Syrie ? Ah, il est loin le Biafra où des enfants mourant de faim exprimaient l’évidence de l’intervention humanitaire ! Aujourd’hui, tout est plus complexe : faut-il « sauver » les migrants qui se mettent volontairement en danger sur des embarcations de fortune en comptant sur l’aide des bateaux humanitaires en Méditerranée ou des gardes-côtes en Manche ?

« Hélas ! Où a-t-on fait sur terre plus de folies que parmi les miséricordieux, et qu’est-ce qui a fait plus de mal sur terre que la folie des miséricordieux ? Malheur à tous ceux qui aiment sans avoir une hauteur qui est au-dessus de leur pitié ! » La pitié n’est pas un sentiment honorable, contrairement à ce qu’on croit, car elle met la compassion au même niveau que l’amour – et c’est abaisser l’amour que de le réduire ainsi au réflexe. « L’homme noble s’impose de ne pas humilier les autres hommes : il s’impose la pudeur devant tout ce qui souffre. » Homme est ici pris au sens générique d’humain, donc les femmes aussi, les trans, les bi, etc. (la liste est longue et sans limites connues). Et le « ce » de « ce qui souffre » est pris au sens général, il n’y a pas que les humains à souffrir mais aussi, les bêtes, les plantes, le paysage, la planète.

« En vérité, je ne les aime pas, les miséricordieux qui sont heureux de leur pitié : la pudeur leur manque. » Et c’est bien là le principal grief de Nietzsche. Si la compassion est un mouvement humain affectif qui ne se commande pas (et un réflexe de survie de l’espèce), la piété de pitié est une part de la religion doloriste qu’a répandu le christianisme. La vie est souffrance, le Christ a été torturé et est mort sur la Croix, imitons-le pour accéder aux félicités de l’Autre monde, souffrir est une vertu, ceux qui souffrent le plus sont des saints ! C’est tout ce misérabilisme qui révulse Nietzsche. Se glorifier de sa pitié, d’être un miséricordieux, lui est odieux. « En vérité, j’ai fais bien des dons pour ceux qui souffrent : mais il m’a toujours semblé faire mieux quand j’apprenais à mieux me réjouir. (…) Lorsque nous apprenons à mieux nous réjouir, nous désapprenons le mieux de faire du mal aux autres et d’inventer des douleurs. » Là est la grande leçon : la souffrance est une honte qui dit plus sur l’humanité que sa miséricorde. L’inverse de l’amour et de la joie.

« Car j’ai honte, à cause de sa honte, d’avoir vu souffrir celui qui souffre ; et lorsque je lui suis venu en aide, j’ai durement atteint sa fierté ». Celui qui souffre a honte parce que sa souffrance est souvent causée par lui-même : son impéritie, sa légèreté, sa lâcheté. Ce sont bien les Allemands qui ont élu puis réélu Hitler dans les années 1930, et les Russes qui ont élu et réélu Poutine le dictateur dans les années 2000. S’ils souffrent, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes – ils ont eu les politiciens qu’ils méritaient ; ils sont responsables de ce qui leur arrive. A l’inverse, la catastrophe imprévue, comme l’invasion de l’Ukraine par son voisin « frère » ou le tremblement de terre en Turquie et Syrie récemment, comme hier le tsunami en Indonésie, sont des souffrances dont les peuples ne sont pas responsables. Ou du moins partiellement : on pourrait objecter que la dérive de Poutine n’a pas voulue être vue, ses menaces ont été minimisées en Occident tout entier ; que les bâtiments écroulés en Turquie n’étaient pas aux normes antisismiques bien que dans une région sans cesse éprouvée par des séismes, que la corruption des entrepreneurs immobiliers proches du pouvoir d’Erdogan est elle aussi probante. Mais quand même : l’aide est ici justifiée, il s’agit de survie pour reconstruire, pas d’aider à fuir ce qu’on a laissé détruire.

« Il est difficile de vivre avec les hommes, parce qu’il est difficile de garder le silence », dit Nietzsche/Zarathoustra.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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Annie Ernaux : un non-prix Nobel

Le Nobel apparaît comme le plus mou des consensus du politiquement correct international. Une bonne conscience de salon sans aucun talent ni piment, un ronron sans avenir.

Il « fallait » donner le prix littéraire cette année à la France (pourquoi la France ?). Salman Rushdie aurait été nettement plus représentatif des « valeurs » de liberté et de fraternité que l’âne IR-no, le R2D2 de la Guerre des étoiles littéraires contemporaines. Car Annie Ernaux n’existe pas : elle n’est que le « on » qui se laisse aller de la doxa, dans son siècle déboussolé, dans son pays moyen, dans sa province assoupie, dans sa famille traditionnelle et petite-bourgeois. Le triomphe du « on », de l’impersonnel fait de tout et de rien. Une non-existence qui plaît au globish anglo-saxon, lui qui n’a plus aucune véritable culture. Si c’est ça l’avenir vanté par le Nobel…

« Venger ma race et venger mon sexe », voilà ce à quoi se résume le discours Nobel de l’Annie errante. Race ? Sexe ? Des mots identitaires. A quoi cela sert-il de récompenser la liberté et la « paix » en encensant trois associations de droits de l’Homme en Russie, Ukraine et Biélorussie, si c’est pour se vautrer dans l’insignifiant en littérature ? Pourquoi pas alors Emmanuel Carrère, fils de Russe (géorgienne), si l’on veut faire encore plus plat et « moderne » ?

Car il faut que le prix aille au progressisme d’ambiance, à « la gauche » (d’on ne sait quoi, tant le monde entier se « droitise »), au féminisme de plus en plus revanchard et aberrant, à l’éveil minoritaire des petits egos sexualisés, racialisés, identifiés. Le triomphe du petit, du particulier, du médiocre. Le triomphe du « on » anonyme dans sa platitude sans intérêt. Une définition par l’époque et par « les choses ».

J’ai écrit en 2011 déjà, bien avant le Nobel et les polémiques d’extrême-droite, tout ce que je pense de cet auteur (« on » dit autrice désormais pour faire genre) en 2011 et je n’ai pas changé d’avis.

Quelle déception que ce prix Nobel ! Le Nobel de « La Honte » – un titre de l’Annie, pas le titre de l’année.

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Folie contre vertu selon Nietzsche

Dans un étrange chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche évoque le « blême criminel » qui est jugé pour avoir assassiné puis volé. Le crime de tuer est une « folie », mais elle se comprend dans l’instant : « Il était égal à son acte lorsqu’il le commit : mais il ne supporta pas son image après l’avoir perpétré ». Voler, en revanche, est selon Nietzsche une « pauvre raison ». « Mais je vous dis : son âme voulait du sang et ne désirait point le vol : il avait soif du bonheur du couteau. » Il vola après avoir assassiné car « il ne voulait pas avoir honte de sa folie » devant sa raison.

Car sa raison lui dit : « faute ». La morale paralyse sa raison en édictant une norme impérieuse. C’est « un amas de maladies qui, par l’esprit, s’étendent sur le monde extérieur ». Or « le mal d’aujourd’hui » est qu’« il veut faire souffrir au moyen de ce qui le fait souffrir ». Par ses désirs, son plaisir, son envie criminelle.

« Mais il y a eu d’autres temps, un autre bien et un autre mal. » Car « la morale » est relative, même la morale religieuse : on tuait volontiers dans l’Ancien testament, on volait la femme de l’autre pour engendrer des petits pour la gloire de Dieu ; même avec le Nouveau testament on tuait avec enthousiasme les mécréants et autres hérétiques en croisade. « Autrefois le doute et l’ambition personnelle étaient des crimes. Alors le malade devenait hérétique et sorcier ; comme hérétique et comme sorcier, il souffrait et voulait faire souffrir. » Collez une étiquette et vous aurez un rebelle – c’est a méthode Coué : à force de qualifier quelqu’un, il se conforme cette image ; faites du doute une faute et vous aurez un hérétique. Et cet hérétique vous persécutera car il souffre de l’image que vous avez de lui et vous fera souffrir de ne pas le reconnaître comme un humain lui aussi.

Vous appelez cela de la « vertu », vous vous rengorgez de vous croire « bon » mais vous n’êtes que vaniteux et soumis à une morale qui vus dépasse. La « bonne conscience » est une eau tiède qui vous empêche de vivre. « Chez vos hommes bons, il y a bien des choses qui me répugnent. (…) En vérité, je voudrais que leur folie s’appelât vérité, ou fidélité, ou justice : mais ils n’ont rien que leur vertu pour vivre longtemps dans une misérable suffisance. » Folie comme écart à la norme, comme dépassement de « la » morale, comme excès par rapport à la petite et moyenne « vertu ».

Pour Nietzsche, il ne s’agit pas de justifier un crime. Il s’agit de distinguer l’acte du jugement que l’on porte sur lui, de ne pas faire un « criminel » d’un homme qui a eu un coup de folie mais de comprendre cette folie. « Votre homicide, ô juges, doit être pitié, mais non vengeance. Et en tuant, faites en sorte de justifier vous-mêmes la vie ! » Que la « folie » soit comprise et réorientée vers ce qui est positif à l’humain, comme la folie de vérité, la folie de fidélité, la folie de justice – par exemple – ou la folie de créer ou d’aimer. « Que votre tristesse soit l’amour du Surhomme : c’est ainsi que vous justifierez de survivre ». Le sur-homme est plus qu’un humain trop humain, c’est un homme à ses pleines capacités qui tente d’aller au-delà par sa passion de vivre.

Il ne s’agit donc pas de morale ni de vertu pour juger d’un crime, mais d’humanité et de folie. « Dites ‘ennemi’ et non pas ‘scélérat’ ; dites ‘malade’ et non pas ‘gredin’ ; dites ‘insensé’ et non pas ‘pécheur’ », conseille Nietzsche. Vous n’userez pas ainsi du vocabulaire de la morale, des étiquettes commodément collées sur un homme, mais tenterez d’analyser sa folie dans son acte précis : Système 1 et Système 2, disent nos psychologues contemporains. Le criminel n’est pas de toute éternité un gredin, mais passagèrement un malade, telle est la leçon. Ce n’est pas la vertu qui permet de comprendre, mais la folie – qui doit être analysée par passion de la vérité et de la justice.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

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Jules Vallès, Le Bachelier

Concilier la passion littéraire avec la passion sociale n’est pas une réussite. Après l’obsession de la mère dans L’Enfant, place à l’obsession de la dèche. Une fois bachelier, le jeune Jacques Vingtras est autorisé à résider à Paris pour quitter Nantes, son ennui, et le foyer familial, sa haine. Ses parents lui assurent 40 francs par mois, ce qui ne suffit qu’à grand peine pour se loger pauvrement et se nourrir un jour sur deux. Quant au reste… à lui de se prendre en main !

Mais Jacques, qui est largement Jules, préfère pérorer devant ses copains et imaginer « la révolution » en boute-en-train et foutraque qu’il est plutôt que de travailler un brin. Il donne certes quelques cours particuliers de grec ou de latin mais ne persévère jamais, toujours pris entre la honte sociale et l’ennui que cela lui cause. Il n’aime pas les collégiens. Il préfère carrément les petits à qui il faut « rentrer la chemise dans le pantalon », mais l’école où il le fait est en faillite et son directeur ne le paye pas au bout d’un mois.

Il cherche donc sans conviction d’autres métiers mais il n’est pas fait pour ça et les ouvriers comme les commerçants le lui signifient très vite. Il est toujours « trop » ou « pas assez » : trop diplômé pour être répétiteur privé ou pas assez pour les collèges ; trop mal sapé pour se présenter ou trop bien vêtu pour faire illusion devant les imprimeurs ou les débardeurs place de Grève ; trop féru de tournures latines et de préciosités littéraires pour répondre au courrier commercial ou pas assez soigneux pour faire des écritures… Les temps n’ont pas changé et quiconque est passé entre les griffes du fameux « Pôle » emploi le sait bien : pour les emplois offerts, on est toujours trop ou pas assez – sinon, on aurait déjà trouvé et pas besoin de « Pôle » d’emploi !

Le Bachelier est donc l’âge bête qui va de 1848 à 1860 environ, de 17 à 28 ans. Il n’est plus enfant contraint, ni encore insurgé par volonté, mais dans cet entre-deux incertain et inconfortable où il n’est pour le moment rien. « Ne voyant la vie que comme un combat ; espèce de déserteur à qui les camarades même hésitent à tendre la main, tant j’ai des théories violentes qui les insultent et les gênent ; ne trouvant nulle part un abri contre les préjugés et les traditions qui me cernent et me poursuivent comme des gendarmes, je ne pourrais être aimé que de quelque femme qui serait une révoltée comme moi » p.660 Pléiade. Une égale donc, pas une soumise. Vallès respecte les femmes malgré son temps.

L’œuvre est malheureuse, qui conte les années de misère entre échec de la révolution de 1848 et l’instauration de l’empire autoritaire : que des défaites, de l’illusion sociale à l’illusion de faire sa situation. Déjà le bac ne suffit plus, une licence est au moins requise ou alors rien – car si l’on est moins payé on paraît plus docile. La culture donnée par la société n’assure pas le pain – au contraire, elle apparaît comme inutile, une fioriture de nantis. Les « lumières » ne servent à rien pour travailler puisque la société devient industrielle et réclame des ingénieurs, ou commerçante et exige d’être pratique plutôt que poète ou lettré.

Pire, la culture isole du peuple d’où l’on vient, établissant dans les limbes sociaux un état ni paysan ni bourgeois ! Paris est toujours peuplé de nos jours de ces petits intellos déclassés qui croyaient à la vertu du « diplôme » et se retrouvent à gagner moins qu’à la chaîne en usine via des piges de hasard dans de « petites » revues ; on comprend qu’ils soient, comme Vallès, aigris et volontiers portés à renverser la table dans les manifs, les complots, les antis, les casseurs.

Rappelons cependant que la trilogie de Jacques Vingtras est un roman, pas une autobiographie. Vallès joue avec les dates, les lieux, les personnages ; si certains sont transparents, d’autres sont inventés ou décalés. Ainsi fait-il mourir son père à Lille alors qu’il meurt à Rouen, l’affuble d’une maîtresse qui le fait renvoyer alors qu’il est dans le réel muté dans un meilleur poste. Ainsi occulte-t-il son internement à Nantes à 19 ans, demandé à un médecin complaisant par son père qui a eu vent de ses débordements révolutionnaires parisiens (le complot de l’Opéra-Comique) et craint pour sa propre carrière. Ainsi fait-il l’impasse sur ses aventures érotiques, malgré sa vigueur de lutteur et son tempérament fougueux qu’il avoue, alors que les variantes gommées en révèlent de fort riches.

C’est qu’il écrit 1848 à la lumière de la Commune 1871 et l’adolescence à l’aune de l’âge adulte qu’il a fini par atteindre malgré lui. L’idéalisme romantique, qu’il a tant reproché à l’icône nationale Victor Hugo, a contaminé la jeunesse et a empêché la véritable révolution qui est pratique et sociale, non religieuse laïque (les Grands principes) et parlementaire. La bohème si chère à Murger et aux poètes maudits n’est que noire misère et fins de mois affamées. A chaque fois l’illusion a amené la force, le romantisme a suscité le bonapartisme : après 1789, après 1848. Nous pouvons même ajouter, pour notre temps, la Chambre introuvable gaulliste après mai 1968. L’idéalisme prépare au fascisme, si l’on caricature – et il n’y a qu’un pas de Hugo à Wagner : il s’agit toujours de « mythes » qui font mouvoir la masse, agitée par des fureurs et guidée par des gourous. Mélenchon ces dernières années a tenté de jouer cela, autant que les sbires intelligents que Marine Le Pen a viré successivement.

Vallès : « Mais tu nous le paieras, société bête ! qui affame les instruits et les courageux quand ils ne veulent pas être tes laquais ! » p.713. L’écrivain polémiste voulait faire l’histoire de sa génération ; il s’aperçoit au fond qu’elle n’existe pas, qu’elle est un trou noir de l’histoire sociale française. Ce n’est qu’à la fin de sa trentaine qu’il émergera… dans le volume suivant.

Jules Vallès, Le Bachelier, 1879-1881, Folio 2020, 512 pages, €5.70

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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Flaubert et les curés

L’Eglise catholique était à l’époque de Flaubert toute-puissante. Pleine de ressentiment pour avoir été bafouée à la Révolution, moins pour la perte de Dieu que pour celle de ses prébendes et de son pouvoir, elle a fait feu de tout bois jusqu’à la fin de l’Etat français instauré en 1940. La société moderne était anticléricale comme aujourd’hui les femmes sont anti-talibans, aussi naturellement. Flaubert avait été personnellement critiqué par les jésuites lors de la parution de son chef d’œuvre, Madame Bovary. Monseigneur Dupanloup, de l’Académie française, empêchait ses amis proches tels Renan, Taine et Littré entre autres, d’accéder à l’immortalité littéraire à ses côtés. Le « parti prêtre » sévissait en diable sous le Second empire puis la Troisième République. Résister était de salubrité morale.

Gustave Flaubert s’est donc moqué moins de Dieu (auquel il ne croyait que vaguement mais en respectait l’idée) que des pontifes imbus d’eux-mêmes de l’Eglise. Avec ses potes, il poursuit les farces de potaches du collège et croque des scénarios de théâtre et des textes de circonstances pour les fêtes entre garçons. Il se met alors dans le rôle convenu du Garçon, bourgeois épaissi dont on se gausse, ou du Cheick lors de son voyage en Orient, pacha à qui tout est dû. L’auteur de Madame Bovary n’est en effet pas un « ermite de Croisset » mais un bon vivant franchement rigolard qui aime la farce rabelaisienne et la vie bonne à la Montaigne.

Il signe parfois ses lettres R. P. Cruchard, révérend père du carafon, dont il finit par établir pour George Sand une biographie fictive dans Vie et travaux du R.P. Cruchard. Gamin, le futur révérend père gardait les bestiaux en chantant des cantiques et fut naturellement remarqué pour sa grâce angélique par Monseigneur Cuisse, évêque du diocèse de Lisieux, qui lui donna une bourse. A la fin de sa rhétorique, le jeune homme composa en hommage une tragédie intitulée La destruction de Sodome avant de s’intéresser à saint Thomas. Comme il en lisait toujours un ouvrage, « un de ses camarades disait spirituellement ‘qu’il couchait avec l’Ange de l’Ecole’ ». Quiconque a lu attentivement la Bible se souvient que les habitants de Sodome avaient abusés des anges de Dieu qui leurs avaient été envoyés, comme peut-être l’évêque de lui. Dans sa maturité, il prêcha aux Visitandines dont les Dames du Désespoir dépendent (nom inventé pour dire toute la mortification de chair que le christianisme impose à la gent femelle). Le R.P. Cruchard, en habile hypocrite d’Eglise qui sait manier la langue de bois cléricale, savait prendre les âmes : « Ne vous tourmentez pas du péché, disait-il, cette inquiétude est un levain d’orgueil. Les chutes ne sont pas toutes dangereuses et les vices deviennent quelquefois autant d’échelons pour monter jusqu’au ciel ».

Ce que Flaubert reproche au monde des curés est son hypocrisie : comment contourner « les jours maigres » imposés par la superstition destinée à assurer le pouvoir sur les âmes via leur estomac, alors qu’on est « Monseigneur » qui dit le vrai et le faux des Ecritures ? C’est simple : faites manger du poisson à un canard et il deviendra « viande maigre ». C’est ainsi qu’il le présente dans la comédie écrite avec Louis Bouilhet, intitulée d’un titre aussi ronflant qu’énigmatique La queue de la poire de la boule de Monseigneur. « M. le Grand vicaire est prêtre, il ne peut pas se tromper, nous sommes donc forcés de croire », dit une servante de Monseigneur.

La boule est un douillon de pâte qui cuit au four une poire dont la queue, avalée par le trop glouton Monseigneur, lui engendre une indigestion. Fort heureusement, ladite queue se retrouvera dans se selles que le fidèle zélé Onuphre, secrétaire de Monseigneur, touille d’une latte. Il faut dire que Monseigneur, archevêque in partibus, s’est tout d’abord goinfré de caviar, puis d’anguille, puis de canard « amaigri » par la velléité de manger le poisson avant que d’être tué, enfin des douillons. Dommage que son anniversaire tombe justement un vendredi maigre, quel festin aurait-il eu lieu un jour gras ! Monseigneur entraîne autour de lui le grand vicaire Cerpet (serre-pets), l’abbé Colard (qui colle), l’abbé Pruneau (indigeste) et l’abbé Bougon (râleur l’estomac vide), tous fort gourmands de chère à défaut de chair. Quoique Cerpet « traite comme son frère » Onuphre : « il a commencé avec lui »… lequel dévergonde sur cet exemple le jeune Zéphyrin encore adolescent, les yeux cernés, l’air bête : « voilà ce que c’est que de fréquenter Onuphre » sans compter en sus qu’il « prend sa leçon avec Monseigneur ». « D’ailleurs, ce n’est jamais décent de fréquenter si intimement les personnes de son sexe », ajoute Flaubert malicieusement pudibond. « Tout mon mal, comme dit Onuphre, est d’avoir avalée cette queue », rappelle Monseigneur. Une allusion grivoise dite comme on pense, sans y penser, tant c’est naturel aux curés de s’enfiler des queues. Onuphre, « le serpent qu’on a réchauffé dans son sein » en rajoute une couche dans le grivois ; il faut en effet prendre cette image au premier degré – physique.

Ce que reproche Flaubert à l’Eglise est d’avoir rendu le corps honteux et la pudibonderie obligatoire, dans la même ronde que la « punition des plaisirs sensuels » – tandis que les mœurs dans les alcôves demeuraient tout autres. Une hypocrisie physique reprise avec enthousiasme par la bourgeoisie qui, les aristos lanternés, s’est empressée de prendre leur place et d’imposer « les convenances » malgré la Révolution. Il en sera de même après mai 68, les pires gauchistes dévergondés se rangeront en bourgeois puritains, conservateurs en sexualité une fois la cinquantaine (et la méno ou andro pause) venue. C’est bête, les gens…

Gustave Flaubert, Vie et travaux du R.P. Cruchard, 1873

Gustave Flaubert, La queue de la poire de la boule de Monseigneur, 1867, avec la collaboration et les illustrations de Louis Bouilhet, Nizet Aubenas, imprimerie Habauzit 1958, occasion rare €150.00

Gustave Flaubert, Œuvres complètes IV 1863-1874 : Le château des cœurs, l’Education sentimentale 1869, le Sexe faible, le Candidat, La queue de la poire, Vie et travaux du RP Cruchard, Gallimard Pléiade, édition Gisèle Séginger, 2021, 1341 pages, €64.00

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Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable

Seize nouvelles contre le monde tel qu’il va, brossées parfois avec, d’autres fois en pastiche du pesant.

La première nouvelle donne le ton et le titre du recueil. Le narrateur se bat avec son portable – un ordinateur – qui fait au fond ce qu’il veut : se recycle tout seul en mises à jour, réclame à manger (de l’énergie), se met en sommeil quand il en a besoin, use subrepticement de « l’infrarouge » pour se recharger (jamais entendu parler !), fait évader sur le cloud tous les fichiers en cas de panne imminente… Il s’agit d’informatique à l’ancienne car le mien, de portable, ne fait pas tout ça si je ne l’ai pas formaté à le faire : mon Wifi est déconnectable, Firefox ne piste pas les recherches si on le paramètre, le moteur Qwant ne recueille aucune information, le cloud n’est absolument pas accessible malgré soi, et ainsi de suite. Mais le message est clair, les machines ont leur volonté obstinée et l’humain doit rester vigilant… sous peine de se transformer en cyborg (dans une autre nouvelle, ce que certains prendront pour une bonne nouvelle – moi pas).

Quant aux modes et lubies du siècle commençant, la course à pied, l’énergie « verte » des éoliennes, l’agriculture réglementée à Bruxelles tout comme la prostitution, les lobbies à la manœuvre (même pour le sexe !), la « domination » subtile des cercles raisonnables du nord européen, le besoin intello de « s’exprimer » par la littérature, le ressentiment victimaire des racisés du « woke » (j’y entends une inversion du chaudron où l’on faisait cuire les missionnaires dans certaines tribus – wok/woke) – ce sont bien des inepties de la comédie humaine. Des girouettes du temps, qui tourneront quand le vent tournera où quand les gens intelligents cesseront de leur prêter une quelconque attention. De quoi en attendant se réfugier dans la solitude sociale et le virtuel absolu, tels ces « hikikomoris » japonais, ou de prendre pour écrire des pseudonymes ou des hétéronymes. La tentation du désert… ou devenir ghostwriter – auteur fantôme, personnage créé, image de soi à distance, écrivant qui n’écrit pas vain.

Les racisés investissent les campus américains de leur vertu toute neuve, comme si le monde était né avec eux. Ils font resurgir le racisme, qui s’était éloigné durant des décennies avec « la croissance ». Car, de deux choses l’une :

  • ou le racisme est un fléau de l’humanité qui engendre la haine des autres et de soi, et il doit être combattu par l’éducation, la promotion sociale, la tolérance civique et la bienveillance envers les différences (c’est la voie que j’ai retenue durant ma courte vie) – et pas par l’invective, la honte et le retrait choqué ;
  • ou le racisme n’existe pas et il renait par les négro-américains, et il est alors inutile de s’en sentir coupable. Si le ressentiment de descendant d’esclaves s’intronise au présent, au lieu de chercher à briser les esclavages modernes – réseaux sociaux, smartphone addiction, travail minuté Amazon ou MacDo, règles juridiques absconses, novlangue sans aucun sens – alors il est inutile de polémiquer ni même d’y prêter attention. Chacun chez soi et basta !

Aucune honte à être mâle, blanc, de plus de 50 ans car c’est comme ça – efforcez-vous plutôt (comme les Chinois) d’être fiers de ce que vous réalisez. Mais ne venez pas me chercher noise, vous serez reçu. La nouvelle Equité et inclusion est d’une rare satire à cet égard, bien réjouissante.

Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable, 2021, PhB éditions, 144 pages, €12.00

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Les Innocentes d’Anne Fontaine

Mars 1945, les armées soviétiques envahissent la Pologne occupée par les nazis ; décembre 1945, des sœurs bénédictines violées par les soldats en rut accouchent dans la douleur. Certaines ne savent pas ce qui leur arrive, entrées vierges au couvent ; d’autres dénient leur grossesse et se retrouvent en sang  avec un bébé sorti du ventre ; le reste crie de douleur et prie le seigneur – qui s’en fout.

Car c’est bien de foi dont il s’agit, avant le viol communiste ou la femme objet de proie. A quoi cela sert-il de se retirer du monde pour se marier à Jésus dans la béatitude éternelle, si c’est pour finir brutalisée, pénétrée, engrossée et forcée de vivre la honte sociale le reste de son existence ? Dieu est absent, s’il a jamais été là. L’Eglise refuse les soins et même le toucher des femmes de Dieu, alors que des vies sont en jeu. La Mère supérieure (Agata Kulesza) confie les bébés nouveau-nés « à la Providence » – c’est-à-dire qu’elle les abandonne en rase campagne gelée de décembre au pied d’une croix dans un chemin désert. Le film montre que ce ne sont au contraire que par la torsion des règles et une morale humaine supérieure à la morale de la foi que des enfants peuvent être mis au monder, leurs mères sauvées ici-bas et les orphelins grandir en paix…

Bien-sûr il y a viols et machisme de soldats frustres prêts à tout et lâchés comme des fauves, mais ce film n’est pas féministe : il est humain car tous les hommes ne sont pas des salauds. L’officier soviétique (Mariusz Jakus), le capitaine médecin juif Samuel (Vincent Macaigne), le colonel croix-de-feu de la mission (Pascal Elso), sont des êtres compréhensifs envers les femmes et les enfants.

Mathilde Beaulieu (Lou de Laâge), médecin de la Croix-Rouge française, fille d’ouvriers, communiste et résistante, est appelée par la sœur Maria (Agata Buzek) qui ne supporte pas que la Mère supérieure exige le silence dans la douleur parce « Dieu nous envoie des épreuves ». Mathilde, dont la mission est de soigner les blessés français avant tout, renvoie la sœur à la Croix-Rouge polonaise – mais ce serait la honte sociale pour les sœurs et le couvent serait fermé si cela se savait… En priant dans la neige devant la fenêtre pour que Mathilde change d’avis, elle voit son vœu exaucé – mais par humanité, pas par la foi. La doctoresse, après sa journée chargée, se rend le soir incognito au couvent et pratique en urgence une césarienne avec les moyens du bord.

Ce n’est que le début d’une longue suite d’accouchements car les soldats sont restés deux jours et ont violé trois fois. Ils reviennent même lorsque Mathilde est présente et ce n’est que grâce à sa présence d’esprit (et non par l’inspiration de Dieu, car elle ne croit pas) que les sœurs vont être épargnées cette fois-ci : elle se contente de dire qu’il y a le typhus. Elle devra mettre dans la confidence Samuel, son collègue médecin et son chef direct, qui acceptera de faire son devoir médical malgré les Juifs exterminés dans le ghetto, de Varsovie et les dénonciations des Polonais durant l’occupation allemande. Lui aussi, juif, mettra sa foi, sa morale et son statut social entre parenthèses pour agir en toute humanité.

Car le film est inspiré d’une histoire vraie. Le neveu de Madeleine Poliac, Philippe Maynial, a trouvé les documents confidentiels que sa tante médecin en mission pour la Croix-Rouge française en Pologne a envoyés au Général de Gaulle en 1945. Les viols de guerre font partie du butin des vainqueurs et les communistes soviétiques qui se targuaient de morale populaire ont fait comme les pires brutes incultes des pays barbares ou comme les actuels croyants imbus de leur élection divine qui considèrent les autres humains comme des bêtes à violer et à réduire en esclavage.

Le film, tourné dans la semi-obscurité glacée de l’hiver continental polonais, montre combien la vie est précieusement gardée entre les murs épais parmi les forêts enneigées. Combien la maternité transfigure certaines femmes, même vouées à Dieu. Combien la simple charité, qui devrait être l’expression la plus terrestre de la foi chrétienne tournée vers l’au-delà, embellit l’existence de tous. Surtout des enfants innocents nés de mères innocentes, qui n’ont rien demandé et qui sont jetés seuls dans un monde hostile.

Sœur Maria aura une belle idée que je vous laisse découvrir pour joindre la foi en Dieu aux bienfaits humains ; le couvent sera désormais réconcilié avec la société, même communiste et athée, et les sœurs ne seront plus des tourmentées laissées dans leurs doutes mais des êtres rayonnant d’amour qui vivent leur foi simplement ici-bas. Un très beau film d’athée pour les athées et les croyants – ou le contraire -, un film de femmes pour les femmes, les hommes et les enfants – autrement dit pour tous.

Je l’ai beaucoup aimé.

DVD Les Innocentes, Anne Fontaine, 2016, avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne, Agata Buzek, Agata Kulesza, Joanna Kulig, Mars distribution 2016, 1h50, €22.00 blu-ray €11.50

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Il y a 20 ans la Chine…

Il y a 20 ans, je lisais ce livre majeur de Jacques Gravereau. Tout ce qui est écrit s’est réalisé. La Chine a pris son essor silencieusement, ne relevant la crête qu’avec l’éléphant yankee qui barrit de la trompe pour faire le clown devant ses partisans, petits blancs frustrés et chrétiens mystiques.

Dans ma jeunesse, le monde intellectuel voyait l’avenir à l’est, dans la Russie immense et rouge. Il s’agissait de s’adapter, au moins dans sa tête, à l’inéluctable prééminence de l’Etat-Léviathan, à son discours manipulateur à destination des masses et aux réseaux soigneusement entretenus de sa nomenklatura bureaucratique. Et l’on voit aujourd’hui les « révolutionnaires » hier les plus affichés s’être installés avec cynisme dans la société française des privilèges, en fonctionnariat confortable, en mandarinat professoral et dans les lieux de pouvoir médiatique. Certains, plus en retard ou plus provocateurs, avaient poussé l’avenir jusque dans la profondeur des masses chinoises, alors guidées à coup de pensée unique par un instituteur primaire. La simple démographie a donné raison à ces derniers, mais ce phénomène n’a rien d’idéologique. Il est resté « physique » : c’est le nombre qui impose ses idées et non les idées qui mènent le monde. L’URSS en déclin de population s’est effondrée, la Chine en plein essor démographique s’est imposée.

C’est ce que montre Jacques Gravereau, professeur à HEC, dans ce livre de 2001 où il dissèque cette révolution asiatique, non plus tonitruante sous les drapeaux rouges mais silencieuse par l’entreprise et l’intérêt des hommes – jusqu’au dernier empereur rouge qui, désormais, relève la crête. Mais, pas plus que l’idéologie marxiste, ce n’est l’idéologie libérale à l’américaine via la mondialisation qui l’a emporté. « La standardisation des normes techniques n’entraîne pas l’uniformisation des valeurs par la grâce des médias et du consumérisme (…) L’économie de marché n’entraîne pas un alignement sur des principes occidentaux d’égalité, d’individualisme et autres valeurs absolues » p.18. Il suffit d’observer le Japon depuis 1945 ou la Corée depuis 1950 : ils n’ont rien renié de leur civilisation tout en surfant à la pointe de la modernité.

Si la pensée occidentale est logique, causale, analytique, abstraite, la pensée chinoise enregistre des alternances d’aspects appariés tels l’endroit et l’envers, le yin et le yang. A la raison seule, elle préfère les sensations, les émotions, l’empathie pour les choses. L’Occidental se croit le maître d’une nature qu’il vise à expliquer par une science objective et neutre. Le Chinois suspend son jugement et laisse venir les choses pour se couler dans leur mouvement. Si la pensée logique aboutit à l’idéal d’objectivité scientifique, elle exige la liberté de recherche et de critique, donc des droits individuels au scepticisme et, in fine, une propension à un régime politique démocratique. La pensée chinoise, englobante et toute de mouvement, s’accommode de la hiérarchie collective, du respect aux anciens et des devoirs envers la tradition (fût-elle celle du parti), comme de la structure sociale. Les individus sont enserrés dans des familles, des quartiers, des clans, des groupes d’intérêt. Le rite social prime la critique et la honte est la punition. La valeur n’est pas à une « vérité » abstraite mais à la confiance, qui nait d’un dialogue évolutif avec le pouvoir. Ce qui est visé n’est pas la connaissance mais l’harmonie. Ce qui s’écrit en chinois « avoir des céréales plein la bouche », et qui rapproche cette conception de notre épicurisme.

Le « vide » n’est pas le silence à emplir de discours mais une « possibilité totale ». Les choses naissent du mouvement et des transformations, et non pas toutes armées de la cuisse d’un penseur. L’ordre est en perpétuelle altération et le pouvoir n’est que l’action d’accompagner le mouvement avec la même souplesse et obstination que l’eau qui coule et s’infiltre partout où elle peut. Il s’agit de se fondre dans les apparences pour vaincre sans bataille.

Cette conception du monde donne à la Chine une bonne capacité à gérer le long terme. L’ordre y est confortable car les situations y sont prévisibles. La tactique de la non-confrontation permet de s’adapter au mouvement constant tout en restant au pouvoir. L’horreur absolue est l’impatience – et Xi Jinping, dirigeant la Chine depuis 2013, devrait se rendre compte de cet écart à l’harmonie. Le langage n’a pas à être précis ou sincère mais « joli » et « acceptable ». C’est à cela que sert la langue de bois, une sorte de politiquement correct issu des choses mêmes.

Il ne s’agit pas de respecter un contrat politique ou juridique mais de maintenir la relation humaine entre le dirigeant et le peuple. « C’est particulièrement vrai au Japon où l’adhésion est fondée sur une émotion partagée en commun, presque d’ordre esthétique » p.114. Le chef n’est pas celui qui décide mais celui qui, par sa seule présence, permet au groupe hiérarchique de fonctionner et de s’épanouir. Les ralliements y sont féodaux et cette société apparaît peu capable de créativité. En revanche, l’imitation minutieuse et le perfectionnement technique y sont poussés à l’extrême. Le conformisme y est grand, bâti sur la relation personnelle, la parole donnée et un faisceau d’obligations réciproques construit au fil du temps.

« 1960 : L’Asie du sud-est est à parité exacte avec l’Afrique en termes de revenus par habitant » p.142. On voit ce qu’il en est aujourd’hui. « La volonté de s’en sortir puise aux mêmes sources que les Chinois de la diaspora. (…) Trois facteurs communs : le traumatisme de sociétés déplacées par l’exil (…), la guerre d’abord, les valeurs confucéennes de travail, de discipline, de respect de l’autorité et de passion pour l’éducation ensuite, enfin le pragmatisme et la vitalité des entrepreneurs » p.153. Nul « péché » ne s’attache à l’argent, l’éducation est un investissement, le réalisme d’expérience règne à tous niveaux, y compris au sommet de l’Etat. « En Asie, les relations humaines sont un enchaînement de compréhensions réciproques et non le résultat automatique de l’application de principes démocratiquement admis. Le pragmatisme importe plus que les grands concepts abstraits. La discipline est importante et la liberté individuelle est sévèrement limitée au bénéfice des intérêts de la communauté » p.250.

Le matérialisme qui règne changera peut-être cet état d’esprit ; il s’adaptera, mais cela demandera deux ou trois générations. Les Asiatiques ne deviendront pas Occidentaux pour cela ! Même après deux siècles de révolution industrielle, nous Européens restons régis par des conceptions qui remontent au christianisme de l’an mille, au droit romain et à l’éthique grecque. Ne rêvons donc pas de transformer les Chinois et autres Japonais en Américains bien tranquilles : observons-les, apprenons de leurs initiatives te de leurs erreurs, gardons-nous de leurs capitaux et de leurs promesses de coprospérité.

Jacques Gravereau, L’Asie majeure : l’incroyable révolution de l’Asie pacifique, 2001, Grasset, 280 pages, €22.40 e-book Kindle €5.99

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Christian de Moliner, Un monde repu

Dans un monde futur de science-fiction, les humains sont peu nombreux car ils ont tout : ils sont « repus ». L’auteur reprend ici une vieille antienne que seule la lutte pour la vie permet de « vivre », c’est-à-dire combattre, bâtir, créer. Certains vont plus loin en émettant l’idée que la rudesse des conditions climatiques incite à plus encore de vitalité. Plus c’est rude, plus on fait des petits.

Dans ce monde du 25ème siècle, aux Etats-Unis, les régions sont dépeuplées, l’Oregon empli de forêts ne comprend guère plus que cinq mille habitants. Ce pourquoi le gouvernement fédéral décide de supprimer le sénateur qui « représente » cet Etat – un casus belli pour le gouverneur, irascible et souhaitant avant tout garder son pouvoir.

L’un de ses amis est retrouvé mort chez lui, dans son bureau fermé, alors que nul n’est entré. Deux êtres seulement à proximité, potentiels suspects : son épouse et R-Elisabeth, son robot à tout faire. Qui l’a fait ? Le procureur honorifique Sirva, le seul de l’Etat, est tiré de sa transe virtuelle avec la femme de ses rêves pour enquêter. Il n’y connait rien, pas plus que le shérif, puisqu’aucun meurtre n’a eu lieu depuis 25 ans dans ce pays pacifié où chacun obtient tout ce qu’il lui plaît – même le droit de travailler plutôt que de ne rien faire.

R-Elisabeth est un robot perfectionné (faut-il dire robote ?) dont le capot présente toutes les caractéristiques physiques de la femelle désirable aux mâles blancs un brin machos. Sirva va d’ailleurs s’apercevoir qu’elle a été spécialement dotée d’un progiciel pour séduire, outre ses tâches de secrétariat efficace. Il va la faire monter en « niveau 3 » par l’entreprise de robotique qui l’a fabriquée pour l’aider dans son enquête en pratiquant toutes les analyses des scènes de crime. Car ce n’est que le premier, manifesté par un gigantesque 1 tagué au mur avec le sang de la victime.

Le procureur va nager, donc s’angoisser. Quoi alors de plus relaxant que le sexe ? La femelle désirable est là, toute proche, et il saute dessus. Elle est mécaniquement consentante et c’est l’orgie. Il la prend dans la voiture, dans un réduit, chez lui… Le lecteur retrouve ici les obsessions de l’auteur : l’addiction sexuelle mâle accompagné de « honte » et de « culpabilité ». Il devrait bannir ces mots de son dictionnaire tant ils réduisent au sordide une histoire qui n’en a pas besoin. L’acte sexuel est un exercice d’hygiène comme un autre, surtout avec un objet cybernétique. La « honte » ressort de la morale et du regard des autres, or Sirva n’est ni marié ni en couple et nul ne l’observe. Au 25ème siècle, malgré l’emprise de la Bible et de la Morale puritaine longtemps aux Etats-Unis, gageons que les attitudes de prohibition et de vierge effarouchée auront disparu ! Si tous les désirs sont satisfaits, en quoi la baise avec une machine plutôt qu’avec la main pourrait-elle être source de « culpabilité » ?

De crimes en complot le procureur, un brin veule mais asservi à la facilité avec laquelle son siècle le fait vivre, va découvrir que les robots ne sont pas ce qu’ils ont l’air. Ou plutôt la série limitée expérimentale dont R-Elisabeth fait partie, livrée en cinq exemplaires seulement. Une grande catastrophe, trois siècles avant, a fait limiter par la loi les capacités des androïdes pour ne pas submerger les humains. Mais la société US Robotics veut aller plus loin, poussée par l’orgueil technique et le goût du pouvoir plus que par l’argent : elle veut changer la loi pour que l’humanité puisse créer à nouveau et poursuivre le progrès technique.

Dès lors, pourquoi ne pas pousser à la sécession l’Oregon afin de disposer d’un territoire ami où la loi serait favorable ? Pourquoi ne pas proposer des faveurs sexuelles robotiques aux dirigeants aptes à parvenir à ce but ? Le mystère reste les crimes, trois en quelques jours, dont un spécialiste de l’Intelligence artificielle.

Aidé par un jeune agent du FBI et par R-Elisabeth, le procureur Sirva aura du mal à démêler les fils de cette histoire enchevêtrée où les passions se mêlent, dans un monde qui les a réduites pour la plupart au virtuel. Mais la nature humaine ne change guère, le sexe et le pouvoir règnent toujours en maîtres dans les esprits.

Ce court roman d’anticipation (qui demanderait à être relu pour les inversions de mots (p.42) et les omissions qu’il contient encore), part des réflexions d’Isaac Asimov, connu pour ses « lois de la robotique ». Il invente une intrigue originale qui met en scène les craintes que l’on peut avoir aujourd’hui sur le surgissement des androïdes dans l’univers des hommes.

Christian de Moliner, Un monde repu, 2017, éditions du Val, 154 pages, €9.00 e-book €4.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Christian de Moliner, Juste avant ma mort

D’un fantasme adolescent, le professeur de maths adulte au seuil de la mort se fait un cinéma. L’auteur dit que le personnage de Miroux n’est pas lui et que sa vie est un roman. Dont acte. Mais le lycée Carnot à Dijon est bien celui de l’auteur dans les années 1970, la fiche sur Copain d’avant comme les photos de classe sont jumelles, son cancer génétique rare identique, l’agrégation du personnage est bien la même que celle de son auteur et, s’il dit habiter Orléans, il fait enseigner son ami de lycée à Arras où lui-même enseignait. Cela fait beaucoup pour une coïncidence.

Souhaitons cependant que le misérable Augustin Miroux ne soit qu’un double maléfique qu’il fallait exorciser. Car le vocabulaire laisse sans espoir : ce ne sont que culpabilité, infamie, honte, faux-fuyant, sordide, expiation, angoisse, sanglots, mal, anxiété, rongé, pourriture, douloureux, faute, immondices, fardeau, vomir, las, épuisé, humilier, méprisable, déprimé, malheureux, angoisse, expiation… et j’en oublie. Excusez du peu !

Augustin Miroux a eu une vie normale, bon époux et père présent, agrégation et retraite, mené en tout par la morale en vigueur. Sur sa fin il s’est un peu lâché, mais non sans scrupules et sans demande. Dans un précédent roman, Thanatos et Eros, l’auteur était convié à Prague dans un congrès d’intellos de gauche pour représenter la voie droite – celle justement à l’inverse du courant. Son pamphlet intitulé Analyse de droite du monde a eu un beau succès et son escort, qu’il a baisée par tous les trous en la payant grassement – non sans se sentir coupable – est enthousiaste pour le traduire.

Mais la chimiothérapie le désespère et l’affaiblit. Il croit avoir raté sa vie puisqu’elle n’a pas été celle de ses rêves ado – elle n’est jamais celle des rêves ados. Il fuit donc l’hôpital où il devait avoir une séance pour prendre impromptu un train d’Orléans pour Dijon (pas simple dans le royaume centralisé jacobin où tout passe par Paris). Il veut revoir sa ville natale et expier, une fois encore, un péché de jeunesse immature : s’être fait sucer par celle qu’il idéalisait, une belle gauchiste qui le snobait au lycée mais qui s’est retrouvée en cloque à une époque où l’avortement était interdit et où la réprobation sociale était « islamique », c’est-à-dire à son comble. Les cathos petit-bourgeois n’étaient pas plus tendres pour leurs femelles que les rigoristes musulmans de nos jours, faut-il le rappeler aux bonnes consciences ? Sans argent, flanquée d’une fille bâtarde, la belle Hélène en était réduite au trottoir ; c’en était trop, juste après la pipe, elle s’est jetée du haut de la tour de Bar, célèbre monument de Dijon que l’auteur compare assez curieusement à un « phallus de pierre ». Vu la forme, il devait faire mal à entrer.

Grâce à sa carte bancaire Miroux peut acheter une tablette et un nouveau slip ; il surfe sur le net et explore le fesses-book des filles qui peuvent s’appeler Caroline Marchand, du nom de la petite que sa mère a laissée orpheline. Bingo ! Il crée un faux compte sous pseudo et la demande comme « amie ». La niaise l’accepte ; il a connu sa mère, il lui demande un rendez-vous, ils se rencontrent. Caroline le croit son père qu’elle n’a jamais connu. Or Miroux sait pertinemment que le vrai père est son ami Frédéric, qui est « sorti » une fois officiellement avec la fringante gauchiste qui voulait jeter sa virginité comme ses idées.

Mais il laisse faire, il ne dit rien, il joue le jeu quand sa fausse fille se prend à le croire. Pourquoi ? Pour expier une fois encore ce désir adolescent qui aboutit à la pipe qui aboutit au suicide ? Par jalousie envers son grand ami Frédéric qui potassait les maths avec lui et qu’il n’a pas revu depuis trente ans ? Par regret d’être resté indifférent à ses trois fils, qui l’ignorent ? Va-t-il baiser avec le double d’Hélène et assouvir son fantasme d’ado ou va-t-il agir en adulte, même affaibli par la maladie et désabusé par la morale ? Ce sont ces doutes qui font l’action de l’histoire.

Ce roman troublant a ses côtés glauques, notamment ce péché originel du désir sexuel, de la maladresse honteuse qu’il engendre et de la culpabilité qui pèse sa vie entière. Cela est très catholique, très religion du Livre. Cela a névrosé des millions de gens, avant même les attouchements sexuels des intermédiaires de Dieu sur les anges innocents avant la puberté. Mais ce roman in extremis, juste avant la mort du personnage, est surtout un aveu. Que la religion est un redoutable poison, même si Augustin Miroux était plutôt de famille prolo et peu catho. C’est que les convenances sociales s’imposent, même aux incroyants. Mai 68 déchirera tout ça et ira un peu loin dans la « libération » dont Houellebecq montre quel esclavage elle peut être aujourd’hui, lorsque l’on est moins jeune et plus moche que la moyenne.

Christian de Moliner, Juste avant ma mort, 2018, éditions Jean Picollec, 153 pages, €4.75 ou e-book Kindle

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Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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La honte jaune

Les gilets pouvaient avoir des choses à dire sur la fiscalité et l’organisation économique inégalitaire dans notre pays. Mais « les » gilets n’existent pas : ils se révèlent un agglomérat de pommes de terre mises dans le même sac par des médias en mal de chocs. Les premiers gilets jaunes ont obtenu qu’on les écoute et 10 milliards d’euros ont été consacrés à mettre du baume au cœur de leur malaise. Ce n’est pas suffisant car on ne règle pas une situation durable par un versement de circonstance. Mais changer de modèle prend du temps et le grand débat en est l’initiation qu’il faudra suivre dans la durée.

Débat démocratique que refusent les plus radicaux des gilets, la honte des jaunes : ceux qui aiment à casser ou à regarder autant excités qu’enamourés les plus violents casser pour eux. Ça fait du buzz, coco ! Les médias lassés autant que l’opinion après quatre mois et dix-huit baroufs de démolition systématique, ont besoin de chocs supplémentaires pour s’intéresser encore à ces gilets qui s’effilochent et dont le jaune se noircit.

Car le « mouvement » rassemblait au départ le ressentiment des classes très moyennes qui se sentaient glisser sur la pente du déclassement. Elles étaient sociologiquement les mêmes qu’en Italie dans les années 1920 et en Allemagne dans les années 1930 : une marge de manœuvre du fascisme et du nazisme. Pourquoi la France a-t-elle à cette époque résisté au « mouvement » ? Peut-être parce qu’elle était un Etat établi depuis plus longtemps, avec une identité plus forte que l’amalgame trop récent des royaumes italiens et des principautés allemandes sous la férule de la Prusse. Mais aujourd’hui ? Parce qu’il n’y a aucun projet équivalent à celui du fascisme dans l’offre politique, qu’aucun chef charismatique n’émerge (autre que la pâlotte Marine à la peine), et que les individualismes exacerbés de l’ultra-modernité sont allergiques à tout collectif, donc aux partis.

Reste le nihilisme : depuis le « ça ne changera jamais » des fatalistes qui rentrent lentement chez eux en préparant d’autres actions plus ciblées (sur l’écologie ou les salaires) aux extrémités de la violence aveugle, enivrée de son pouvoir sans limite lorsque la foule anonyme permet n’importe quel déchainement en toute impunité. Là est le fascisme : dans l’ultra-individualisme qui mandate Anders Breivic et Brenton Tarrant (suprêmes racistes blancs) et Mohammed Merah ou autres Kouachi (dévots de la lettre d’Allah au point de se croire sans aucune humilité Son bras armé) autant que les Black blocs anars qui se revêtent de noir – la couleur de la mort – pour commettre leurs méfaits. Ils sont nés en Allemagne de l’est, le pays vitrine du socialisme triomphant ; ils font des émules en Occident, pays des libertés mais du chacun pour soi.

Réclament-ils un niveau décent de revenus, d’éducation et de santé ? Pas même, ils réclament un idéal pour lequel se battre et pas un niveau de croissance. Hier d’extrême-droite poussés par Poutine pour déstabiliser la France, en pointe sur les sanctions après l’annexion de la Crimée (environ 40% des gilets jaunes au début), ils sont aujourd’hui plutôt anarchistes et d’extrême-gauche, du moins à Paris. Le grand remplacement des gilets jaunes a commencé et il menace la démocratie.

Les petits-fils de Mélenchon qui cassent du capitaliste ne savent pas qu’ils vivent en Etat de droit. Pour eux, c’est naturel ; ils ont le « droit » de manifester. Qu’en serait-il si leur chef chéri parvenait au pouvoir ? Autant Poutine que Chavez ou Castro (ces modèles politiques de Mélenchon) feraient très vite tirer dans le tas et enverraient les survivants en camp de rééducation par le travail. Cela apprendrait par la force à ces cervelles de piafs égoïstes incapables de servir le collectif, à respecter le travail des autres. Pour un kiosque à journaux brûlé sur les Champs-Elysées, cinq ans de travaux forcés à bâtir des kiosques dans toutes les villes du pays. Pour un meurtre évité in extrémis en foutant le feu à un bâtiment dont le rez-de-chaussée est une banque, vingt ans de goulag.

Est-ce à ce genre régime qu’ils aspirent ? Est-ce à ce genre de régime qu’ils poussent les citoyens modérés prêts à voter autoritaire pour endiguer l’intolérable ? Lorsqu’on les attrape, ces petites frappes, ils apparaissent tout aussi soumis que les autres à la Consommation mondialisée venue du modèle yankee : Smartphone Apple dernier cri, YouTube évidemment où ils se mirent, Facebook où ils commentent leurs exploits, Twitter pour dénigrer et injurier tous ceux qui ne sont pas de leur bande, chaussures Nike et jean Lewis, rock alternatif US dans la tête. Ils sont les frustrés de la marchandise, les laissés pour compte de la globalisation heureuse, les nuls de l’emploi – ce pourquoi, comme des gamins vexés, ils cassent les jouets. Que personne n’en jouisse puisque je n’y ai pas accès !

La démocratie, c’est autre chose : c’est participer au grand débat, apporter sa contribution, voter aux élections, se proposer pour agir à son niveau – dans les associations, les communes, les partis.

Le contraste est flagrant entre des gilets jaunes en capilotade, qui marchent en rond, et les marcheurs pour le climat de la génération d’après. Les nihilistes adultes destructeurs du monde sont dépassés par l’espoir plein de vie de la jeunesse en fleur. Malgré leurs naïvetés et l’emprise de la mode les adolescents, menés le plus souvent par les adolescentes, sont dans le positif – pas dans le négatif. Ils pensent au futur, pas au no future.

D’ici peu, on ne parlera plus des gilets jaunes, ces patates égoïstes du sac sociologique ; mais on continuera à parler des filles et jeunes, cet espoir collectif en un demain vivable.

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Dépendance affective et lien social

La société japonaise est pour nous étrange et familière, comme un à-côté auquel nous avons par miracle échappés. Décentrer notre regard trop français vers l’étranger est une façon de revenir à soi pour observer notre propre société d’un œil différent. Le psychothérapeute Takeo Doï a étudié la matrice culturelle et affective dans laquelle il a baigné et il en retire le concept de dépendance affective, « amae », qui engendre une attente d’indulgence en société.

Il s’agit d’un modèle de relations sociales fondé sur les relations mère-enfant, fusionnelles. Elles sont plus importantes au Japon qu’ailleurs étant donné que le mari et père part chaque matin à 7 h pour ne rentrer que vers 21 h, passant le reste du temps avec ses collègues et ses chefs dans l’entreprise où il travaille.

« A mon avis, c’est dans la mentalité d’amae que, depuis deux millénaires, les Japonais ont puisé les forces émotionnelles qui ont eu un rôle fondamental dans leur développement, qui leur ont donné l’élan nécessaire. Or, apparemment, il a fallu la défaite de la Seconde guerre mondiale pour qu’on s’avise du fait que cette mentalité est d’essence infantile » p.63.

Le Japon est une île, donc porté à l’isolement. Le pays est essentiellement montagneux, séparant les villages dans d’étroites vallées, donc porté à la communauté. La maison est le cocon de la famille, où règne la grand-mère, ce qui resserre les liens entre les jeunes et les matriarches. Le zen même engendre l’idée que sujet et objet ne font qu’un. Le respect fonde un statut sécurisant, l’individu se fond dans le groupe que mène le chef qui, lui-même, dépend de ses vassaux. Le chef ne décide pas, il est le porte-parole de l’unanimité du groupe.

« C’est celui qui incarne la dépendance infantile sous sa forme la plus pure qui est le plus qualifié pour se tenir au sommet de la société japonaise » p.46. Exemple l’empereur, les grands patrons de firmes – mais aussi les enfants et les vieillards qui ont droit à plus d’indulgence que les autres parce qu’ils sont plus dépendants.

La soumission affective aux réactions des autres engendre une attente d’indulgence qui fonde le giri : le devoir, les obligations parents-enfants, maîtres-élèves, chef-troupe, amis et voisins. Cette dépendance exalte le ninjo, le sentiment humain de compassion que vante le bouddhisme et que promeut le zen.

Le revers est la honte. « Le sens de la honte, qui porte avec soi une impression d’imperfection, d’inaptitude, d’insuffisance de sa propre personne, est plus fondamental. Celui qui éprouve de la honte doit nécessairement souffrir de son désir d’amae, exposé aux regards d’autrui » p.44. D’où le taux de suicides mâles élevé au Japon, plus qu’ailleurs. La honte est impardonnable à ses propres yeux.

A l’inverse, quiconque n’a aucun lien avec soi, ni de parenté ni d’obligations, est géré par le tanin : cette indifférente froideur qui frappe dès que l’on débarque au Japon. « Les autres » ne sont pas du cercle d’indulgence réciproque et l’on se conduit autrement avec eux.

La pathologie d’amae, selon l’auteur, est l’obsession et l’immaturité. On a besoin d’apparaître parfait aux yeux des autres parce que l’on dépend d’eux pour sa propre image. La figure de l’autre est crainte. D’où la perpétuelle insatisfaction qui, en contrepartie, motive le zèle au travail. D’où aussi la propension à se comparer, à admirer meilleur que soi, à s’égaler au miroir de l’autre. Ce qui engendre des sentiments homoérotiques vers ceux qui vous ressemblent. Il s’agit moins de pulsions sexuelles, encore que le sexe ne soit ni tabou ni péché, que de narcissisme. L’intimité entre hommes se traduit par la révérence envers le sensei, le maître, le désir étant jeune d’avoir l’air mignon, touchant, digne de protection par les autres (hommes ou femmes).

L’Eglise catholique avait quelque tendance à susciter ces mêmes comportements issus de la dépendance affective. La Vierge Marie étant la Mère à qui l’on son confiait et le curé un Protecteur qui avait une relation directe avec Dieu – et qui pouvait donc se « permettre » des comportements affectifs à la limite du sexe. Ce n’est plus admissible aujourd’hui que la société a évolué, mais peut-être faut-il chercher dans cette dépendance affective longtemps couvée en serre par la bourgeoisie conservatrice catholique ces enfermements affectifs du patronage, des scouts, des collèges et pensions ou couvents.

Un autre trait de ce sentiment d’amae est la mélancolie, l’apitoiement sur un héros défunt. Nous l’avons eu en Occident dans le romantisme comme dans la pratique religieuse où le Christ martyr suscitait des émois empathiques au point d’attraper les stigmates de ses plaies. Ce sentiment victimaire est proche du sentiment d’injustice, d’être en butte aux persécutions, surtout à l’adolescence (voir L’enfant de Jules Vallès, Poil de carotte de Jules Renard, et Vipère au poing d’Hervé Bazin).

Le moi n’est pas construit mais malléable au groupe ; au Japon il ne se construit pas. L’enfant parle de lui à la troisième personne, s’identifiant à un héros imaginaire ou à un être persécuté, se complaisant vers la puberté dans les tortures fantasmées et la mort théâtrale. Le moi n’émerge que par le groupe, sans le groupe l’individu est comme un escargot sans coquille, nu et fragile, croqué par le premier prédateur qui passe.

D’où la recherche éperdue de consensus, qui nous étonne dès que l’on s’immerge dans la société japonaise, mais qui arrive comme une vague dans nos contrées avec les réseaux sociaux, surtout à cette période immature de l’adolescence. « Être d’accord » est le mantra de tous ; la hantise de devoir penser par soi-même et s’affirmer, même gentiment, contre les autres apparaît insupportable.

L’amae ne permet jamais d’être adulte, mûr et responsable de soi et des autres. Les Japonais sont dépendants de leurs familles, connaissances et supérieurs ; les Français sont dépendant de l’Etat-providence qui les materne (trop) et a remplacé l’Eglise pour les empêcher une fois de plus de se prendre en main.

Takeo Doï, Le jeu de l’indulgence, 1973, L’Asiathèque 1991, €23.85

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Wauquiez le naufrage

Il ne suffit pas d’être bien né ni d’avoir fait les bonnes écoles. Encore faut-il savoir nager. Or, en politique, cela s’apprend sur le tas par l’exemple de ce qui réussit. Où donc Wauquiez veut-il aller ? Vers le clown Trump et ses gazouillis rentre-dedans ? Vers l’agit-prop Sarkozy ? Vers l’au-dessus de la mêlée gaullien ?

Nul ne sait… mais chaque semaine qui passe est comme un trou de plus dans la coque de droite qu’il affiche trop volontiers. Se faire « piéger » par des étudiants en école de commerce qui enregistrent (évidemment !) ses propos « sans langue de bois » est du dernier imbécile.

  • C’est mal connaître la jeunesse que de croire qu’elle obéit à l’autorité comme dans les années cinquante.
  • C’est agir stupidement en ne faisant pas collecter les téléphones portables à l’entrée de la salle, comme cela se fait par exemple en Norvège avant un conseil des ministres, et en faisant signer par chacun une déclaration de confidentialité – l’autocontrôle (très mai 68) est un leurre.
  • C’est aller carrément dans la bêtise que de colporter des propos complotistes et des méchancetés contre ceux de son camp. Tout se sait, tout finit par se savoir – et se faire mousser à bon compte n’est pas de la politique durable.

Pas la peine d’être fils de banquier si l’on vend la mèche aux premiers venus, pas la peine d’être descendant d’industriels si c’est pour livrer les secrets de fabrication à tout vent. On susurre qu’il sait ce qu’il fait. Ce n’est pas un jugement sur la personne, que je ne connais pas ; c’est un jugement de citoyen sur un homme politique qui se présente aux suffrages : soit il est bête, soit il est grossièrement cynique – il n’y a pas à sortir de là. Or qui voterait pour un imbécile ou pour un sale type ? Est-il est bien embêté de ne pas avoir anticipé les conséquences de ses paroles ? Si oui, il est inconséquent car gouverner c’est prévoir ; sinon, il montre à tous qu’il n’est pas capable de gouverner – ce qui veut dire rassembler.

Est-il sincère lorsqu’il déclare : « Nicolas Sarkozy, il en était arrivé au point où il contrôlait les téléphones portables de ceux qui rentraient en conseil des ministres. Il les mettait sur écoute pour pomper tous les mails, tous les textos, et vérifier ce que chacun de ses ministres disait au moment où on rentrait en conseil des ministres » ? Enonce-t-il un fait ou seulement une conviction ? A-t-il des preuves ou seulement une intuition ? Veut-il se poser contre ou veut-il suggérer qu’il ferait pire ? Souhaite-t-il flinguer définitivement l’ex ? Quand on veut s’afficher comme défiant l’extrême-droite, on peut tout craindre d’un tel histrion qui n’a pas la trempe d’un Trump pour bien tromper à son de trompe.

Est-ce comme cela qu’un leader politique « amène les étudiants à réfléchir sur les rumeurs et les fantasmes qui nourrissent la vie politique » comme il tente de se rattraper ? Ceux qui connaissent les étudiants disent immédiatement que c’est n’importe quoi ! Les jeunes hommes et femmes ne sont pas des niais à qui l’on peut faire gober des bobards sous prétexte que l’on est en politique – ou alors, c’est déconsidérer la politique et offrir la tentation de se venger aux urnes comme en 2017. S’il s’agissait d’hypothèses de discussion, pourquoi ne pas le dire clairement… puis laisser « la discussion » s’ouvrir ? Or le seul qui l’ouvre durant la séance c’est le « prof de politique », le politicien qui sait tout, le bon élève des grandes écoles de l’élite qui a tout réussi, l’arriviste indécent.

Une telle arrogance ne peut qu’être mal vue, et plus encore après les affaires Cahuzac et Fillon, entre autres. « Finesse d’esprit », comme l’affirme son biographe Fabrice Veysseyre-Redon ? On se moque de qui ? « Opération buzz », comme dit un spécialiste de la com’ ? – à la Goebbels peut-être : plus c’est gros, plus ça passe ; forcez le trait, il en restera toujours quelque-chose ; les mensonges les plus énormes sont ceux qui restent dans les esprits ? Si tel est le cas, ce Le Pen bis ne représente pas « la droite » mais sa frange la plus bête du monde – et il ne fait pas le poids en copie face à l’original. Le Pen Jean-Marie est autrement plus fin et plus communicant que Wauquiez Laurent encore à l’école du commerce.

Parler brut montre que Wauquiez est une brute, affecter la sincérité n’est pas être sincère. Tous les Français sont désormais édifiés par ce personnage qui se verrait bien remplacer un Macron autrement plus doué, bien qu’accusé d’appartenir « aux élites ». Pourquoi Wauquiez affecte-t-il d’être anti-élite lui qui en est pourtant issu jusqu’au bout des ongles ? Et sur quelle analyse politique caricaturale ? Quel populo pourrait le croire ? Parce qu’il parle lourdingue ? On croit rêver – et l’on constate surtout que Wauquiez prend les gens pour des cons. Or les cons votent plus volontiers pour un Le Pen que pour un successeur de Chirac et de Sarlozy. Les autres, les Français moyens, ont pu admirer longtemps Chirac et un temps Sarkozy ; ils ne peuvent absolument pas admirer Wauquiez. Or, sans admiration, pas de légitimité : c’est le chapitre un du cours de sociologie politique.

Les membres du parti Les républicains devraient s’en faire avec un tel « chef ». Ces écarts, ou bêtes ou volontaires, en disent long sur les moutons qui élisent un tel « chien » (le mot d’où est venu « cynique »). Comment peut-on désormais, sans avoir honte, rester militant du parti LR ?

Le verbatim des écarts Wauquiez qui « balance » sur tout le monde

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Tolstoï et l’amour

Dans ses Journaux et carnets, Léon Tolstoï écrit en 1851 (Pléiade p.105) : « Je n’ai jamais été épris de femmes ». Ou, plus exactement, il n’a jamais connu cet amour qui mêle sensualité et affection. Il n’a que 23 ans. Très religieux – son Journal est une quête perpétuelle de ses « défauts » à corriger, les affres de sa conscience coupable – il a assimilé dès l’enfance cette séparation radicale entre « l’âme » et « le corps ». La première vient de Dieu, le second est le domaine du diable.

De la seule émotion océanique qui pouvait s’apparenter à un amour complet, il a honte. « Le seul sentiment fort, semblable à de l’amour, que j’ai éprouvé, c’est quand j’avais treize ou quatorze ans, mais je répugne à croire que ce fut de l’amour ; car l’objet en était une grosse femme de chambre (un très joli minois à vrai dire) ». La répulsion pour la chair (ici « grosse ») se conjugue à la répugnance sociale (pour une « femme de chambre ») afin d’avilir le sentiment naïf du prime-adolescent. La morale chrétienne comme la morale sociale de sa caste l’empêchent d’aimer naturellement.

Il ajoute : « et de plus, de treize à quinze ans est l’époque la plus extravagante pour un garçonnet (l’adolescence) : il ne sait sur quoi se jeter, et la lubricité, à cet âge, agit avec une force extraordinaire. » Tolstoï invente l’amour pour tout sur le modèle de l’amour pour tous cher aux bobos, confondant l’assouvissement de la pulsion avec l’affect pour les êtres. La morale chrétienne contre la matière fait chez lui des ravages. Elle n’a plus le lien entre les beaux corps et les belles âmes, conduisant par degré, comme Platon l’a montré, vers le souverain Bien. Ne pouvant se dominer (« il ne sait sur quoi se jeter »…), il se méprise et se confit en dévotions. Les femmes sont le diable ; il doit attendre de pouvoir les dominer, intellectuellement et surtout socialement (il sera comte) avant de les « posséder », voire de leur conter mariage. Il se mariera à 35 ans.

Résolument hétérosexuel d’appétits, il réserve cependant dans sa jeunesse le sentiment à ceux de son sexe. « Les hommes, je m’en suis très souvent amouraché, mon premier amour ont été les deux Pouchkine [lointains parents], puis le deuxième Sabjourov, puis le troisième Zybine et Diakov, Obolenski le quatrième, Blosfeld, Islavine, et encore Gautier et beaucoup d’autres. » Beaucoup d’adultes, qu’il admirait comme des grands frères.

Il précise : « Pour moi, le principal signe de l’amour est la crainte de faire de la peine ou de déplaire à l’aimé, simplement la crainte. » Le besoin d’affection et l’envie de reconnaissance priment toute sensualité. « J’ai toujours aimé des hommes qui étaient indifférents à mon égard et ne faisaient que m’estimer ». Plus il avance en âge, dit-il à 23 ans, moins il tombe amoureux de tels hommes. « Si je l’éprouve, ce n’est plus aussi passionné, et c’est pour des hommes qui m’aiment, donc à l’inverse d’autrefois. » Mais il précise que cet amour amical a quelque chose à voir avec l’idéalisation : « La beauté a toujours eu beaucoup d’influence sur mon choix ». Au fond, il se méprise car il se voit comme lubrique, vaniteux, incapable de discipline. Il admire des « modèles » qu’il voudrait imiter, dont il voudrait le patronage bienveillant, sinon la protection filiale. Il confond cette émotion avec « l’amour ».

Quant à aimer, « je conçois l’idéal de l’amour comme un total sacrifice de soi à l’objet aimé ». Nous sommes dans la sublimation chrétienne du martyre pour le frère, à l’imitation du calvaire subi par le Christ. L’âme s’exalte au sacrifice pour l’être chéri, tout comme dans les romans scouts des éditions Signe de piste, dans les années 30. D’ailleurs, « jamais la pensée de la possibilité du commerce charnel ne m’est venue en tête ». Il écrit même un peu plus loin : « au contraire, cela me fait un terrible dégoût ». Écartelé entre la chair et l’âme, sans lien entre eux à cause de la Morale, il constate un sentiment est très fort, allant jusqu’aux symptômes de l’amour traditionnel. Gautier : « j’étais pris de fièvre lorsqu’il entrait dans une pièce (…) c’était inconscient, mais je n’avais d’autre souci que de lui plaire ». Il précise : « Pour mes frères, je n’ai jamais éprouvé d’amour de cette sorte ».

Ce que le jeune Tolstoï appelle donc « l’amour » a peu de chose à voir avec ce sentiment océanique d’être pleinement reconnu en même temps que dans le don total de soi. Les pulsions chez lui restent séparées de l’affect et la raison craint Dieu, éperdue d’obéir à la Morale de l’Eglise (qui est bien loin de celle du Cantique des cantiques). Pour connaître « l’amour », encore faut-il être harmonie, accordé à soi depuis le corps jusqu’à l’âme. L’exaltation éthérée que les curés appellent Amour, et dont l’adolescent Léon a fait une « passion », ressort plus d’une demande que d’un don.

C’est ainsi que Tolstoï ne parle jamais « d’amitié » dans ces pages de 1851, mais seulement de « fièvre » et de « sacrifice », excès malsains de cet « amour » dont il reste en quête, et qu’il ne trouvera pas même en Dieu. Ainsi écrit-il sur la prière la même année : « j’avais envie de me fondre dans l’Être universel (…) J’unissais dans un seul sentiment tout » p.83. Quand le sentiment passionnel s’exalte en fusionnel, où est l’amour ? Nulle part : soit l’on s’oublie (et ne donne rien à l’autre), soit on absorbe (et on le domine). Ni échange, ni complétude, ni satisfaction d’être désiré et de désirer.

En séparant l’âme et le corps, l’homme et la femme, les religions du Livre – judaïsme, christianisme, islam – ont tordu les sentiments naturels, ceux qui naissent de la beauté et de l’attachement et qui aboutissent à l’entraide et au don.

« L’amour » serait réservé à Dieu et les contingences de matière vile, comme se reproduire, accomplies dans la hâte et la honte ; d’où la femme comme bétail femelle qu’on ensemence, non pour faire naître des êtres en commun mais pour « obéir » au commandement divin de croître et de multiplier.

Tolstoï nous montre en son témoignage de jeunesse combien une vie entière peut être gâchée par une telle éducation morale.

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Marie Balmary, Le sacrifice interdit

Relire la Bible après Freud est le pari de Marie Balmary. Ancien et Nouveau testament sont de la même culture juive, restée différente au long des siècles, ancrée dans la Parole. Pour elle, le diabolique détruit le symbolique, c’est le premier acte du serpent. Or le symbolique nomme, il différencie, et seule la différence permet de dire « je », donc d’exister comme un être à part entière, de se défaire des liens fusionnels de soumission ou de placenta. « La parole n’a lieu qu’entre des sujets différenciés » p.94. Par exemple, « Sodome est la ville de la perversion, de la ‘sodomie’. Ville où les hommes sont tellement pris dans l’indifférencié et la violence qu’ils exigent de Lot, le neveu d’Abraham installé là, qu’il leur livre pour les violer ses hôtes, les trois visiteurs divins d’Abraham » p.202. Les lois religieuses sont des lois de relations (re-ligere).

Pour aimer, il faut être autre ; il faut se sentir coupable pour pardonner, il faut reprocher pour aimer car c’est en exprimant sa souffrance que l’on peut l’évacuer. Ainsi faut-il interpréter « tu aimeras ton prochain comme toi-même » : se libérer de sa fausse culpabilité pour ne pas commettre les mêmes actes, répétitifs. « Si je porte l’offense que tu m’as faite, je n’aimerai ni toi – le véritable fautif – ni moi sur qui la faute est transférée » p.74.

Comment faut-il interpréter un autre aphorisme célèbre des Evangiles : « si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tend-lui l’autre joue » ? Ce n’est ni masochisme, ni passivité, analyse Balmary, c’est « ne pas se placer en face de l’autre comme on le fait dans une bagarre » p.219. Eviter la symétrie qui tourne en rond. Le « pervers » est celui qui (étymologiquement) est dans la peine, tendre une « autre » joue n’est pas comme « œil pour œil » mais déplacer la relation vers autre chose, éviter le mimétisme pour aller de l’avant. « Je lui présente l’altérité » p.220.

« Si celui qui est appelé l’Eternel est bien le dieu des alliances, son travail doit préparer chaque cœur à être en présence de l’autre, sans dévoration ni possession ; pour que la relation ait vraiment lieu (…) grâce à la Parole qui fait loi, la frontière entre les êtres » p.251. Le « paradigme de toute différence : celle des sexes ; le paradigme de toute faute : la destruction d’une différence ; le paradigme de toute angoisse : l’angoisse de dédifférenciation » p.323.

Babel, c’est le fusionnel, l’idéal vers lequel tendent toutes les idéologies totalitaires – y compris la généreuse des Droits de l’Homme et de la République universelle. Au contraire, Dieu a brisé la tentative babélienne pour redifférencier tous les hommes : ils ne parlent plus la même langue pour exister comme sujets autonomes, pas comme ouvriers dominés d’une fourmilière. « Quand ‘tu’ n’est pas un autre, ‘nous’ n’est personne » p.91.

Les chapitres se succèdent, limpides, Marie Balmary a entrepris d’apprendre l’hébreu et le grec pour rester au plus près de la Parole – car les traductions sont des trahisons. Et si je me souviens bien de mes années de catéchisme, que d’approximations et de faux-sens nous a-t-on inculqués sur la Bible ! Par exemple qu’Abraham se soumettait à Dieu lorsqu’il lui ordonnait d’égorger son fils comme un vulgaire barbare élevé aux holocaustes. Or le mot « holocauste » ne figure pas dans les termes hébreux du texte ; il s’agit de « montée vers », d’élévation. Abraham part avec « son » enfant, il revient avec « un » adolescent ; c’est bien le même Isaac, mais reconnu pour lui-même, comme différent – grandi, affranchi. Le « sacrifice interdit » est celui d’Isaac. De même l’enfant prodigue des Evangiles doit-il consommer sa part de la fortune du père, la détruire, pour être enfin lui-même et exister de façon autonome.

Ce qui parle à Abraham, l’ancêtre : « Il ne s’agit pas là d’un ‘Dieu’ mais du divin qui a parlé à l’homme, qui parle en l’homme ; et de quoi parle-t-il ? De ce qu’il est nécessaire de changer ‘à’ la parole des humains et ‘par’ elle pour que leurs relations, que leur vie soient possibles » p.196.

L’étude de Marie Balmary prouve un peu plus combien la psychanalyse est de culture juive, qu’elle est une « science juive », ce pourquoi, si elle guérit, n’est-ce pas parce que nos arcanes culturels sont formatés par la Bible ? « La psychanalyse elle-même s’est crue grecque (les cendres de Freud reposent dans un vase grec). Je n’ai jamais été convaincue de cela et ma chance ici a été de rencontrer la parole de Lacan à laquelle je rends cet hommage : il a vu que le biblique était la véritable source. (…) En Grèce, chez Sophocle la parole éclaire, nettoie, détruit. Elle ne guérit pas. (…) Freud a tout de même bien reconnu dans la technique qu’il mettait au point du judaïsme (…) Il sait bien que la psychanalyse est un usage juif de la parole » p.179. Le fait est que la psychanalyse en Chine accroche peu… La parole n’y est pas toute-puissante car « ça » ne vaut pas la peine de dire, et parler fait écran puisque les problèmes surgissent.

Dans notre civilisation occidentale existent d’autres sources que la juive : la gréco-romaine, la celto-germanique. La nudité est une honte dès la Genèse, au paradis ; elle est une gloire en Grèce ancienne dans les stades, les gymnases, sur le forum, dans l’image des dieux. Notre culture n’est pas la leur, mais la Bible a pris en Occident une place immense qui définit, guide et impose à la fois ses mystères et ses méthodes – en bref sa façon de voir le monde. Notamment aux Etats-Unis, bien plus « ancien » Testament que nouveau. Pour comprendre, il faut faire avec cette histoire de civilisation. L’ouvrage de Mary Balmary est éclairant à cet égard, très salubre et fort intéressant à qui se préoccupe de savoir qui il est et d’où il vient.

Marie Balmary, Le sacrifice interdit – Freud et la Bible, 1986, Livre de poche essais 2002, 346 pages, €7.10

e-book format Kindle, €7.49 

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La politique comme roman-photo

Les médias sont populistes par construction : au lieu d’analyser, ils romancent. Parce que cela fait vendre, le scoop engendre du buzz, les news du business, le fake du like. Pourquoi vous étonnez-vous que tous ces mots soient anglais ? Parce qu’on ne sait pas les dire en français. Parce qu’il s’agit de fric et que seul le monde anglo-saxon, pragmatique et près de ses sous, sait compter. Pas de Grands principes pour la philosophie anglo-saxonne – mais du bon gros pragmatisme à ras de terre, accessible au temps réduit du petit cerveau disponible de la masse.

C’est le danger du « capitalisme » que de ne pas savoir ce qu’il est. Les médias français sont remplis de petits procureurs contre « le système », contre « le capitalisme ». Mais, comme ils ne savent pas le définir, y mettant toute la réprobation « morale » qu’ils ont pour TOUT ce qui ne va pas sur la planète, ils se vautrent dans le pire capitalisme qui soit : celui de la bauge, de l’ignorance, de l’égoïsme forcené, du gros tirage, du fric… Voilà les conséquences de ne pas désigner les choses correctement. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait fort justement Albert Camus… en 1944. Pléiade 1, p.908

Les médias ne sont pas politiques, ils sont bouffons. L’entertainment remplace l’entretien, le rejet le projet, la morale le national. Cet essentialisme du « tous pourris » ne fait pas avancer, il enfonce dans la fange. Ce faisant, il renvoie aux citoyens une image glauque de ceux qu’ils ont élus, il dégoûte de la chose publique et du débat politique, il marque la France à l’international d’une honte devant laquelle Trump et son trumpisme ferait presque pâle figure. Ah, qu’il était doux de donner des leçons au monde entier il y a quelques mois… quand il s’agissait des autres !

J’aime bien Mélenchon ou Fillon lorsqu’ils renvoient les médias dans les cordes, eux qui « posent des questions » souvent plus longues que les réponses très courtes qu’ils réclament, ou des questions qu’on aurait honte de poser tant elles sont ineptes, eux qui harcèlent l’interlocuteur quand sa réponse dépasse trente secondes (comme si le critère professionnel était de mitrailler les affirmations sans donner le temps de réponse), ou encore cet acharnement à « s’interroger » encore et encore sur l’écume immédiate par peur d’aborder les vrais problèmes du fond.

Le comportement de François Fillon, d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen (pour ne prendre que ceux qui sont pris) n’est plus supportable aujourd’hui – mais pour des pratiques pour une bonne part légales hier. Ou du moins dans les mœurs admises par l’ensemble de la classe politique depuis Mitterrand. On le sait, mais seuls les politiciens et les médias feignent de l’ignorer. Les gens en charge de la politique sont trop nombreux, cumulards, professionnels des partis de plus en plus loin du terrain, incontrôlés. Ils acquièrent avec le temps un sentiment d’impunité inadmissible.

La loi est dure ? Elle doit être la même pour tout le monde. Si elle est floue, elle exige d’être précisée ; si elle est mal rédigée par ceux-là mêmes qui répugnent à y être soumis, enlevons la loi aux députés pour la faire rédiger par des commissions indépendantes sans conflits d’intérêts. Mais comme ce serait quitter « la démocratie » pour la technocratie (ce qui n’est pas souhaitable), érigeons de véritables contrepouvoirs puissants – avec le moins de conflits d’intérêts possibles. Donc révisons les médias : leur financement par de gros capitalistes d’influence, leur rédaction trop monocolore politiquement, trop parisienne, leur droit d’enquête et la préservation des sources. Les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie – il suffit d’observer la Turquie ou la Russie…

Mais c’est au lecteur et au spectateur de se désabonner ou ne plus regarder les médias et émissions qui préfèrent le feuilleton politicien au programme politique. Les ingrédients habituels des romans d’amour à l’eau de rose, style Harlequin, mettent en scène le sexe, le pouvoir et l’argent. Voilà ce qui fait vendre. En politique, les ingrédients sont repris avec des délices coupables : abus de pouvoir et argent à tous les étages sont le lot des politiciens selon la presse  (même Le Monde, bien nommé L’Immonde par les potaches) et la télé (même Arte, qui se croit intello). Reste le sexe : à quand les révélations ? Pas de partouze à 12 ans chez Fillon ? Pas de gigolos sexy chez Macron ? Pas de beuveries libertines chez Marine ? Allons, la presse, un peu d’imagination ! L’affaire Markovic a pourtant donné le ton, sous le général…

Gardons plutôt notre « temps de cerveau disponible » pour réfléchir par soi-même au lieu de le confier aux pubards et autres histrions de l’amusement médiatique. Macron reste-t-il dans le vague ? Faisons-le préciser. Fillon est-il trop comptable dans la rigueur ? Demandons-lui des explications. Hamon verse-t-il dans le côté Père Noël ? Exigeons de lui qu’il résolve sa contradiction entre distribuer et produire, payer tout le monde malgré la fuite devant l’impôt renforcé, faire l’Europe sans l’Allemagne. C’est cela qui est citoyen, pas une embauche familiale de 1988 ou un costume trop beau pour le pékin moyen envieux.

La loi n’est pas la morale, faut-il sans cesse le rappeler ?

Le projet politique n’est pas le comportement. Il importe beaucoup plus à la France, aux Français, à l’avenir, que l’élection porte à la présidence un candidat capable de décider et de voir loin. Pas que l’on rappelle sans cesse la « faute » d’il y a 30 ans, 15 ans, 5 ans. Fillon n’est pas Cahuzac, que diable ! Encore moins Macron. Quant à Le Pen, elle s’assoit sur les accusations – ce qui est peut-être la méthode la plus efficace, à défaut d’être éthique : les Français jugeront d’ici deux mois.

Après cinq années de gauche gouvernante plutôt lamentable (indécise, velléitaire, contradictoire, effacée), les électeurs semblent aspirer à la droite. Si ce n’est pas Fillon, ce sera Le Pen. Quant à Macron, il tente pour l’instant la « synthèse » équilibriste chère à Hollande et à ses disciples – et il risque autant d’échouer ou de décevoir.

Macron a pour lui sa jeunesse, son optimisme réformateur, sa dynamique hors parti. Il a contre lui l’aspect trop communication de ses discours, un projet incertain, des « papiers » d’école de commerce ou d’oral à l’ENA sur plusieurs sujets cruciaux. Il est le candidat qui agglomère le plus d’indécis sur sa personne, ce pourquoi les sondages le concernant sont artificiels.

Fillon assume une politique de droite qui remet l’Etat où il devrait être. Avant tout assurer la défense et la sécurité, faire appliquer la loi, contrôler les migrations massives. Ensuite aider à la modernisation de l’économie en débloquant les initiatives, seules à même d’adapter à la modernité et de rebâtir une industrie qui s’effiloche. Enfin quitter la posture de honte d’être français, la repentance à répétition, affirmer les valeurs des Lumières, la coopération européenne et une politique étrangère où les intérêts français priment sur les postures idéologiques. Il a pour défaut son côté tranchant et opiniâtre, ses « affaires » qui ne reluisent pas plus que les pompes cirées à l’Elysée par le conseiller présidentiel Morelle, son peu de cas de l’argent public tout comme le coiffeur salarié de Hollande à 9000 € par mois ou le logement de ses maitresses à la Lanterne. Mais on a trop oublié l’insignifiant sortant, dans les médias, tant l’absence de toute perspective historique est la marque du journalisme aujourd’hui.

Or ce devrait être cela la politique : un projet comparé et débattu entre candidats. Pas le feuilleton people de médias ignares et flemmards en mal de notoriété narcissique. Je suis las des médias qui « sortent » un scoop tous les deux jours – et toujours sur le même. Nombre d’électeurs, écœurés par ce cirque sans lendemain, vont déclarer « ne pas savoir » ou « voter Macron » jusqu’au dernier moment – jusqu’à ce qu’un sursaut de dégoût pour les mœurs dévoyées du médiatique leur fasse mettre dans l’urne le bulletin d’un vilipendé – juste pour envoyer foutre les donneurs de leçons pas plus purs que ceux qu’ils accusent.

Bel exemple de « démocratie » que le monde va de nouveau nous envier !

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Gustave Flaubert, Madame Bovary

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Je ne vais pas écrire en 1500 mots une étude sur ce chef-d’œuvre de la littérature française, qui a introduit la modernité, mais seulement en livrer mes impressions de lecteur. C’est la troisième fois que je lis ce roman, profitant de sa réédition en œuvres complètes dans la collection la Pléiade. La première fois, j’étais au lycée et c’était au programme de seconde ; la seconde fois, c’était bien plus tard, par curiosité ; la troisième, c’est à l’âge mûr. A chaque fois mes lectures ont été différentes : jeune, j’ai surtout retenu l’histoire et suivi l’action ; plus mûr, je me suis délecté plutôt aux détails, aux descriptions, aux état psychologiques. Ne vous découragez pas si vous n’avez pas aimé ou si vous vous êtes ennuyés : attendez une dizaine d’années et reprenez, vous découvrirez des richesses insoupçonnées.

Car il s’agit d’un roman « total » : tout y est, la psychologie des personnages, une peinture de la société, un goût du siècle, les qualités et travers universels de l’humanité. Rien que les noms propres : Bovary, Tuvache, Leboeuf, montrent combien « la province », pour l’auteur, était assoupie à ruminer comme une vache. Flaubert s’est mis en entier dans cette œuvre et, s’il n’a probablement jamais prononcé « Madame Bovary, c’est moi » (« ici, je suis chez le voisin », écrit-il au contraire dans une lettre du 13 janvier 1852), nombre de traits de sa personnalité sont contenus en Emma (sa manière de sentir, sa maladie nerveuse, sa fêlure intime) comme en Charles (son obstination bovine, la vie de province), et nombre de ses personnages futurs : la servante Félicité (Catherine Leroux aux Comices), Bouvard et Pécuchet (le pharmacien Homais).

Si « total » que la bonne société de l’Empire ne s’y est pas trompé, qui a intenté dès janvier 1857 un procès à l’auteur et aux éditeurs pour « offense à la morale publique et à la morale religieuse » – en bref tout ce qui fait tenir une société ! Si le procès a été au final gagné par Flaubert, c’est non sans remontrances pour excès de réalisme descriptif dans les attendus. Alors, « histoire des adultères d’une femme de province » comme le dit l’avocat impérial ? ou « excitation à la vertu par horreur du vice », comme le prétend la défense ? Eh bien il y a de tout cela, ce qui confirme l’aspect « total » du roman.

En bref, c’est l’histoire d’une fille de fermiers élevée au couvent qui se marie avec un officier de santé (un sous-médecin sans bac ni doctorat) de la province de Rouen. Elle s’enterre à Yonville, village à l’écart des routes où il ne se passe rien. Son mari lui paraît vulgaire, sans ambitions, maladroit ; elle ne jouit pas et la fille qu’elle en a ne lui donne aucune joie. « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotions, de rires ou de rêverie » (I.7) Elle s’ennuie… Elle rêve au prince charmant, aux amours de luxe, à la danse avec un vicomte rencontré lors d’une invitation unique au château du coin. Idéaliste, elle se languit dans ce monde terne et sans passions. Il lui faudrait des drames, du théâtre, des amants : « Je déteste les héros communs et les sentiments tempérés, comme il y en a dans la nature », dit Emma à Léon (II.2). Le naturel ne la contente pas, elle veut le hors-nature, l’Idéal ! « Mais, s’il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d’exaltation et de raffinements, un cœur de poète sous une forme d’ange, lyre aux cordes d’airain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas ? » (III.6).

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Elle flirte avec Léon, mais il est trop jeune et trop inexpérimenté. C’est avec Rodolphe, jeune vieux-garçon viveur d’une certaine aisance, qu’elle « s’abandonne » un jour de promenade à cheval en forêt. Elle va dès lors s’imaginer qu’il va l’enlever et passer avec elle des années torrides de transports passionnels en Méditerranée. Mais Rodolphe, qui a pris son plaisir, ne veut pas s’encombrer d’une sangsue et, au lieu du voyage convenu, lui fait porter une lettre de rupture au fond d’an panier d’abricots mûrs. « Ce qu’il ne comprenait pas, c’était tout ce trouble dans une chose aussi simple que l’amour » (II.12).

Évanouissement, drame, maladie de langueur qui dure… Jusqu’à ce que le pauvre mari Charles, un benêt bêtement amoureux de sa femme, lui propose d’aller au spectacle à Rouen. Elle a la surprise d’y retrouver Léon, dessalé à Paris, qui achève son droit par un stage comme clerc. Elle le séduit, elle se donne, elle invente des leçons de musique pour le voir une fois par semaine à la ville, où ils baisent toute l’après-midi à l’hôtel. Elle s’enfonce dans l’adultère, donc le mensonge, donc l’illusion. N’y connaissant rien en affaires (élevée par les sœurs !), elle se fait escroquer par le père Lheureux, un commerçant qui l’appâte avec de belles étoffes et lui fait signer avec procuration de son mari des billets à ordre.

Lorsque survient l’inévitable faillite, il n’y a plus personne pour aider Emma Bovary. Elle doit retomber sur terre et assumer personnellement son échafaudage de songes, d’illusions et de dépenses sans compter. Il n’y a plus qu’une voie pour échapper à la honte, aux regards des autres et des siens : le suicide. Elle va profiter de l’égarement qu’elle a allumé chez le préparateur en pharmacie Justin pour se procurer et avaler de l’arsenic, périssant ensuite dans d’atroces souffrances décrites avec une précision clinique par Flaubert (ce qui horrifia Lamartine, pourtant admiratif du roman).

Il y a de multiples personnages, bien croqués, mais la figure centrale reste cette femme, symbole de la niaiserie de province, des mensonges de la religion, des songes creux de l’idéalisme. Bovaryser est devenu nom propre, donné à celles (et parfois ceux) qui ne peuvent accepter le monde qui leur est donné et rêvent d’un autre monde possible, usant pour cela de toute la panoplie du déni, de l’illusion, des mensonges qu’on se fait d’abord à soi-même, puis aux autres, puis à la destinée… jusqu’à ce qu’elle vous rattrape brutalement.

Et pourtant, il y avait un amoureux vrai dans l’entourage d’Emma. Tout à ses rêves d’idéal, elle n’a jamais su le voir : c’était Justin. La chronologie du roman est floue (d’où l’aspect magique de ce « réalisme » flaubertien), les adultères se déroulent sur dix à quinze ans. Justin, encore « enfant » au début, peut avoir dans les neuf ou dix ans pour aider à la pharmacie (l’instruction obligatoire ne date que de 1882 avec Jules Ferry) ; il a donc au moins 20 ans à la mort d’Emma, peut-être près de 25… Or Flaubert écrit dans un paragraphe magnifique, soigneusement balancé : « Sur la fosse, entre les sapins, un enfant pleurait agenouillé, et sa poitrine, brisée par les sanglots, haletait dans l’ombre, sous la pression d’un regret immense plus doux que la lune et plus insondable que la nuit » (III.10). Le terme « enfant » doit être pris au sens d’innocent ou de puceau, comme au moyen-âge la « croisade des enfants ». Emma avait caressé sa poitrine nue vers ses 14 ans alors qu’il avait eu un étourdissement et qu’elle lui délaçait sa chemise ; il humait ses vêtures de femme au repassage ; il regardait de tous ses yeux Emma se coiffer ou converser… A force d’être dans la lune de ses songes prétentieux, Emma ne voit pas l’être réel qui l’aime tout près d’elle.

Gustave Flaubert a pris cinq années de sa vie pour accoucher de son premier roman publié, à 35 ans : plus de 1800 pages de manuscrit pour ne donner au final que 308 pages en format Pléiade. Un scénario revu maintes fois ; des passages biffés et réécrits, d’autres supprimés ; le style testé sur ses amis et dans le « gueuloir » où le passage à l’oral permettait de gommer les dissonances et de donner une harmonie musicale à la phrase… Car Gustave est un exubérant qui se laisserait volontiers aller au romantisme – comme Emma. Sauf qu’il a mûri, grâce aux voyages et aux lectures, et qu’il est devenu comme son père médecin, méticuleux et précis. Il lui faut écrire dans la fièvre de l’imagination pour plonger ensuite le texte dans l’eau glacée de l’analyse. C’est par cette alternance qu’il parvient au réalisme magique, plus vrai que la réalité.

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Or, voir le réel dérange les sociétés qui se croient, les gens qui prétendent et se font des illusions sur eux-mêmes. D’où le procès : le réalisme de l’auteur est immoral parce qu’il choque « la bienséance », ce qu’on doit croire. Notre époque d’intellos contents de leur moralisme, étiqueté « de gauche » pour faire bien, sont dans le même cas que l’avocat impérial de la « bonne » société face à Flaubert : ils répugnent à voir la réalité en face ; ils lui préfèrent – comme Emma Bovary – le monde Bisounours de l’idéal. Ils se croient « démocratiques » et avancés, ces bourgeois bohêmes, alors que le réalisme de Flaubert a justement été jugé comme issu de l’égalitarisme de la Révolution qui ramenait tout au réel, à la volonté pratique de faire de son mieux, sans s’abandonner au rêve démobilisant de l’irréalisable idéal… « Si elle était comme tant d’autres, contrainte à gagner son pain, elle n’aurait pas de ces vapeurs-là », dit fort justement la mère de Bovary de sa bru évaporée (II.7).

Peut-on vivre en situation ? Est-on obligé de passer par les béquilles de l’idéalisme pour supporter le monde mêlé de bon et de mauvais dans lequel chacun est forcé de vivre ? « Le style est en lui-même comme une manière absolue de voir les choses », écrivait Flaubert à une admiratrice, le 16 janvier 1852. Qui bovaryse ne vit pas dans ce monde mais en-dehors – avec toutes les conséquences que Flaubert démontre et qui restent vraies de nos jours.

Flaubert règle d’ailleurs leur compte aux bobos dès son époque : « la foule bigarrée des gens de lettres et des actrices (…) Ils étaient (…) prodigues comme des rois, pleins d’ambitions idéales et de délires fantastiques. C’était une existence au-dessus des autres, entre ciel et terre, dans les orages, quelque chose de sublime. Quant au reste du monde, il était perdu, sans place précise, et comme n’existant pas » (I.9). Il fustigera par la suite « la bêtise » des bourgeois, bêtise « au front de taureau » (qui nous ramène aux bovins ruminants Bovary, Tuvache et Leboeuf). Dans ce roman, Homais le cuistre, qui adore écrire des articles et faire valoir son érudition pédante, « vient de recevoir la croix d’honneur ». C’est la dernière phrase du livre, tant la société bête récompense ce (ceux) qui lui ressemble…

Gustave Flaubert, Madame Bovary suivi des actes du procès, 1856, GF Flammarion 2014, 606 pages, €3.80

e-book format Kindle, €3.49

Gustave Flaubert, Œuvres complètes tome 3 – 1851-1862, Gallimard Pléiade 2013, 1360 pages, €67.00

Gustave Flaubert chroniqué sur ce blog

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Tahiti, le paradis retrouvé et reperdu

bougainville voyage autour du monde

Lorsque Louis-Antoine de Bougainville aborde les côtes de Tahiti, il découvre une humanité édénique : point de vêtements, point de propriété, point de morale névrotique ; tout le monde, jeunes et vieux, hommes et femmes, semble vivre à poil au jour le jour et de l’air du temps, dans la joie et les plaisirs. Cet hédonisme rappelle furieusement aux Occidentaux intoxiqués de Bible depuis un millénaire et demi le fameux Paradis terrestre, d’où Adam – le premier homme – fut chassé pour avoir cédé à sa côte seconde dont Dieu avait fait son épouse. Eve voulait « savoir » en mangeant les fruits de l’arbre de la Connaissance. C’est pourquoi son Voyage autour du monde, paru en 1771, a eu un tel retentissement sur les philosophes des Lumières.

L’île de Tahiti présente « de riches paysages couverts des plus riches productions de la nature. (…) Tout le plat pays, des bords de la mer jusqu’aux montagnes, est consacré aux arbres fruitiers, sous lesquels, je l’ai déjà dit, sont bâties les maisons de Tahitiens, dispersées sans aucun ordre et sans former jamais de village ; on croirait être dans les Champs Élysées. » Le climat est tempéré et « si sain que, malgré les travaux forcés que nous y avons faits, quoique nos gens y fussent continuellement dans l’eau et au grand soleil, qu’ils couchassent sur le sol nu et à la belle étoile, personne n’y est tombé malade ».

Polynésie 2016

« La santé et la force des insulaires qui habitent des maisons ouvertes à tous les vents et couvrent à peine de quelques feuillages la terre qui leur sert de lit, l’heureuse vieillesse à laquelle ils parviennent sans aucune incommodité, la finesse de tous leurs sens et la beauté singulière de leurs dents qu’ils conservent dans le plus grand âge, quelles meilleures preuves… ? » Le pays produit de beaux spécimens humains. « Je n’ai jamais rencontré d’hommes mieux faits ni mieux proportionnés ; pour peindre Hercule et Mars, on ne trouverait nulle part d’aussi beaux modèles. »

Les gens y vivent à peu près nus, sans aucune honte mais avec un naturel réjouissant. « On voit souvent les Tahitiens nus, sans aucun vêtement qu’une ceinture qui leur couvre les parties naturelles. Cependant les principaux [les chefs] s’enveloppent ordinairement dans une grande pièce d’étoffe qu’ils laissent tomber jusqu’aux genoux. C’est aussi là le seul habillement des femmes. » Mais, pour accueillir les vaisseaux, « la plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui les accompagnaient leur avaient ôté le pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. (…) Les hommes (…) nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoquent démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. »

vahine seins nus

Pas de propriété, pas de mariage exclusif, pas de honte sur le sexe. Au contraire, cet acte naturel en faveur du plaisir et de la vie est un bienfait s’il ajoute un enfant à la population. « Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystère et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; non mœurs ont proscrit cette publicité. »

La hiérarchie sociale existe, mais reste cantonnée, les seuls soumis sont les esclaves capturés à la guerre. Car la guerre existe, mais pas la guerre civile ni la jalousie entre particuliers. L’engagement n’a lieu qu’avec les tribus des autres îles. « Ils tuent les hommes et les enfants mâles pris dans les combats [donc pubères] ; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe, qu’ils portent comme un trophée de victoire ; ils conservent seulement les femmes et les filles, que les vainqueurs ne dédaignent pas de mettre dans leur lit ». Mais pour le reste, « il est probable que les Tahitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils ne doutent point. Qu’ils soient chez eux ou non, jour ou nuit, les maisons sont ouvertes. Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison où il entre. Il paraîtrait que, pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point de propriété et que tout est à tous ».

Même les femmes, quoique des inclinations particulières puissent durer un certain temps entre deux individus. Mais « la polygamie parait générale chez eux, du moins parmi les principaux. Comme leur seule passion est l’amour, le grand nombre des femmes est le seul luxe des riches. Les enfants partagent également les soins du père et de la mère. Ce n’est pas l’usage à Tahiti que les hommes, uniquement occupés de la pêche et de la guerre, laissent au sexe le plus faible les travaux pénibles du ménage et de la culture. »

Tout cet étonnement s’inscrit en miroir des Dix commandements du Décalogue, confirmés par le Sermon sur la montagne. Il semble que Bougainville, étant bien de son temps de Lumières et de Raison, ait trouvé à Tahiti le lieu des antipodes à la Morale chrétienne. Tout ce qui est interdit en Europe par l’Église et puni par ses clercs, est de l’autre côté de la terre permis et encouragé. Les relations charnelles sont l’inverse de l’amour éthéré du prochain voulu par le Dieu jaloux ; la loi naturelle entre personnes ici-bas est l’inverse de la loi divine qui exige d’obéir sans réfléchir pour gagner un monde au-delà. Tout ce qui fait du bien est licite, tout ce qui va pour la vie ici-bas est valorisé, tout ce qui est charnel est encensé. Diderot, en son Supplément au voyage de Bougainville fait de Tahiti la patrie du Bon sauvage, « innocent et doux partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité ».

diderot supplement au voyage de bougainville

Bougainville y découvre le peuple de la Morale naturelle qui se déduit des usages spontanés, vantée par le baron d’Holbach. Pas de Dieu jaloux qui commande n’avoir d’autre idole que lui, de ne pas invoquer son Nom, qui exige de se reposer le septième jour de par sa Loi. Il n’y a ni meurtre, ni adultère, ni vol, ni convoitise de la maison ou de la femme du prochain – puisqu’il n’y a pas de propriété et que les femmes sont encouragées dès la puberté à se donner aux hommes et aux garçons, qui se donnent en échange. « Nous suivons le pur instinct de la nature », fait dire Diderot au vieillard tahitien, « nous sommes innocents, nous sommes heureux ». Pas de honte chrétienne, antinaturelle ! Pas de névrose, ni de refoulement. « Cet homme noir, qui est près de toi, qui m’écoute, a parlé à nos garçons ; je ne sais ce qu’il a dit à nos filles ; mais nos garçons hésitent, mais nos filles rougissent ». Le christianisme, c’est la fin de l’âge d’or, la honte sur l’innocence, la chute du paradis… « Ces préceptes singuliers, je les trouve opposés à la nature et contraires à la raison », ajoute Diderot.

La religion, c’est la tyrannie, la meilleure façon de culpabiliser les âmes innocentes pour manipuler les corps et exiger la dîme et l’obéissance. Prenez un peuple, clame Diderot, « si vous vous proposez d’en être le tyran, civilisez-le, empoisonnez-le de votre mieux d’une morale contraire à la Nature ; faites-lui des entraves de toutes espèces ; embarrassez ses mouvements de mille obstacles ; attachez-lui des fantômes qui l’effraient ; éternisez la guerre dans la caverne, et que l’homme naturel y soit toujours enchaîné sous les pieds de l’homme moral. Le voulez-vous heureux et libre ? Ne vous mêlez pas de ses affaires ; assez d’incidents imprévus le conduiront à la lumière et à la dépravation ». L’homme tahitien est libéral et libertaire ; il est le sauvage des origines non perverti par la civilisation chrétienne. Lui seul connait la liberté, alors que nous ne connaissons chez nous que contrainte et tyrannie (l’une disciplinant à l’autre).

vahiné obese 2016

Denis Diderot n’est pas tendre en 1772 (date de rédaction de son Supplément) avec la société de son temps – dont il subsiste le principal de nos jours malgré la Révolution, les guerres de masse et mai 68 ! « C’est par la tyrannie de l’homme, qui a converti la possession de la femme en une propriété. Par les mœurs et les usages, qui ont surchargé de conditions l’union conjugale. Par les lois civiles, qui ont assujetti le mariage à une infinité de formalités. Par la nature de notre société, où la diversité des fortunes et des rangs a institué des convenances et des disconvenances. (…) Par les vues politiques des souverains, qui ont tout rapporté à leur intérêt et à leur sécurité. Par les institutions religieuses, qui ont attaché les noms de vices et de vertus à des actions qui n’étaient susceptibles d’aucune moralité. Combien nous sommes loin de la Nature… »

Bougainville avait découvert l’Ailleurs absolu, l’innocence édénique, l’humanité vraie délivrée des entraves. Il avait donné ses formes au mythe du bon sauvage, que Rousseau s’empressera de développer et que les voyageurs et les ethnologues tenteront d’aborder, avant le mouvement hippie de l’amour libre et de l’interdit d’interdire.

grosse vahine 2016

Las ! Quiconque aborde à Tahiti découvre très vite combien les vahinés ne ressemblent en rien au mythe mais qu’elles ont le profil américain de la malbouffe ; que les tanés sont trop souvent bourrés à la bière, camés au paka, violeurs incestueux ou meurtriers ; que la nudité édénique n’est plus, devenue une phobie apportée par les missionnaires ; que la religion de nature est infectée de sectes protestantes en tous genres qui régentent votre vie quotidienne jusqu’à vous dire quoi manger et à quelle heure du jour, quand travailler et quand obligatoirement ne rien faire ; que l’absence de propriété est gênée sans cesse par les clôtures, les routes barrées, la privatisation des plages…

Le vieillard de Diderot avait raison, l’Occidental a infecté Tahiti, la religion a fait perdre l’innocence. Au nom du Bien ? Les gens sont plus malheureux aujourd’hui qu’il y a deux siècles. L’enfer, Chrétiens coupables, est pavé de bonnes intentions ; je hais comme Diderot les bonnes intentions.

Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde, 1771, Folio classique 1982, 477 pages, €10.40

Denis Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, écrit en 1772 et paru en 1796, Folio classique 2002, 190 pages, €2.00 

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Henry de Montherlant, Brocéliande

Pas le prestige des costumes d’époque pour cette pièce en veston de 1956. Pas le souffle épique des grands moments d’histoire. ‘Brocéliande’ n’est ni ‘La reine morte’ ni ‘Le maître de Santiago’, ni ‘Malatesta’ ni ‘Port-Royal’. La condition humaine est cette fois montrée dans la banalité d’un petit intérieur parisien de notre époque. Il n’est pas besoin de paraître exceptionnel pour être grand.

montherlant jeune

La tragédie se joue à trois : un couple de petit-bourgeois et un bibliothécaire amateur de généalogie. Ce dernier apparaît comme le chœur et le destin. Il lance l’action, la soutient au long de la pièce, la commente pour lui-même et pour le public. Il est l’observateur, celui qui dit la destinée.

La logique dramatique va résulter de la tension entre les deux personnages principaux que sont le couple. La Bonnetière, bibliothécaire, apprend un jour à Monsieur Persilès qu’il est un descendant irréfutable de Saint-Louis – par les femmes. Persilès s’en fiche mais en parle à sa femme. Même dit sous la forme d’une boutade, Madame Persilès se moque.

Dès lors la machine s’enclenche. Par amour-propre, Persilès se pique au jeu. Il va se transformer du seul fait qu’il le croit. Sa femme a peur du changement ; par haine de la grandeur qu’elle sent naître chez son mari, elle va chercher à le rabaisser, à le déchoir pour qu’il lui revienne, pour qu’il retrouve son petit niveau à elle. Cette tension fait ressort dramatique de la pièce.

L’homme, Persilès, est un petit fonctionnaire proche de la retraite, timoré, indécis, qui craint la perte des habitudes et le regard des autres. Il joue la comédie pour qu’on lui fiche la paix. La femme, épouse Persilès, est une petite-bourgeoise qui aime tourner en dérision tout ce qui la dépasse, envieuse de l’ascension des autres, jalouse de perdre son mari. « Vous faites un drame de tout », lui dit-elle, « vous êtes un extraordinaire farceur ». Elle joue le gros bon sens de sa classe face à lui qui – servant l’État comme hier on servait le roi – prend volontiers des hardiesses d’aristocrate. Elle est secrètement contente de cet ascendant qu’elle garde sur lui.

Mais apprenant tout soudain qu’il descend de Saint-Louis, Persilès le médiocre se révèle à lui-même. Il a eu des rêves lui aussi, il se pique de grandeur, il dévore les livres d’histoire. Son imagination se mobilise et il se monte lui-même en neige le bourrichon. Existentialisme ou méthode Coué ? Le voilà qui se métamorphose simplement parce qu’il y croit. « Je suis touché par l’honnêteté comme les artistes le sont par la beauté. » (Honnêteté au sens d’honnête homme, d’homme honorable)

Car la généalogie, comme la religion, est la seule forme de poésie qui subsiste dans notre société. Une poésie qui transcende l’être ici et maintenant et lui donne le pouvoir de devenir autre. Ce pourquoi « les valeurs » et « l’identité » sont les idéaux qui tirent vers le haut car ils permettent d’ancrer sa personnalité dans un modèle qui élève. Dire à un enfant combien il est doué pour quelque chose le conforte et le transforme. Se croire noble, même si on ne l’est pas vraiment, modifie l’existence. Ce n’est ni discipline, ni carcan imposé de l’extérieur, mais matrice qui éclaire l’intérieur et fait devenir meilleur. « Élever » devrait être le but de l’éducation, en famille, à l’école comme dans la société. Mais il n’y a guère qu’aux États-Unis que l’on vous encourage ; en France, l’égalitarisme et la honte vous rabaissent, la hiérarchie établie vous fait sentir que vous n’êtes rien. Découvrir votre noblesse alors, sans conteste vous change.

Certes, « la généalogie est le triomphe de l’imposture » car elle ne prouve rien quant à la qualité du descendant, surtout lorsqu’il est très lointain. Combien de mélanges de gènes depuis Saint-Louis ? Combien restent-ils de ceux du roi sanctifié ? Mais il ne faut pas rire des impostures. Le fait est qu’elles réussissent. Que tant de gens s’intéressent à leurs ancêtres prouve une chose : que la généalogie « correspond à un besoin profond du cœur humain ». Elle est la forêt de Brocéliande d’où l’on ressort enchanté.

broceliande 1956

Le sens de l’œuvre est dans cet enchantement. Il fait sortir l’homme de sa carapace quotidienne pour lui donner un rêve. Se croire noble est un peu le devenir – car noblesse oblige. Persilès se voit en nouveau Saint-Louis, il parle de « son » royaume, de « sa » grandeur, des choses sérieuses qui arrivent à « son » peuple ; il prend « le ton royal ».

Ton qui a l’heur d’énerver périodiquement Madame Persilès, prise alors d’une furieuse envie de jouer du piano – façon bourgeoise et policée de passer ses nerfs. Madame n’admet pas la lubie de Monsieur, sa morgue neuve, ses discours sérieux, ses leçons. Tout cela la gêne et la rabaisse, elle qui ne descend que d’obscurs. En fait, c’est sa domination qui est ébranlée et cela la touche au cœur : « avant, je l’avais bien en main. Maintenant, il s’est émancipé ». La conversation est devenue dialogue de sourds : « notre royaume » dit Persilès, « notre logis », répond l’épouse ; « les choses sérieuses, le tête-à-tête avec soi-même », reprend Persilès, « rire et dormir, notre petite vie désœuvrée », répond Madame.

Elle ne peut comprendre ce qui transforme ainsi son mari. Le gène la gêne. Pour elle, il joue une nouvelle comédie, une de plus, comme celles qu’il inventait pour couper à une visite. Elle ne voit pas, ne veut pas voir, que le changement est plus profond. Elle craint d’ailleurs ce changement et l’aveuglement qu’elle montre est une volonté délibérée de déni plutôt qu’une incapacité native. « Je n’aime pas les anormaux, même quand ils agissent mieux que les normaux », dit-elle. Lui devient aristocrate, elle se veut plus que jamais démocrate, éperdue d’égalitarisme par crainte d’égalité.

Car Persilès, en effet, est devenu « anormal », hors des normes petite-bourgeoises et démocratiques qu’incarne sa femme. Il ne joue pas ces faux nobles qui s’inventent titres et armoiries pour paraître. Le théâtre social ne l’intéresse pas. C’est son âme même qui est changée, son intérieur : « il est sorti de moi un autre être, qui était aussi moi, mais qui était mon meilleur moi ». Le choc lui a permis de révéler ces qualités que la vie avait étouffées en lui. Ce que sa femme refuse de saisir est qu’il n’est pas un bourgeois qui joue au gentilhomme, mais un véritable gentilhomme que l’existence bourgeoise faisait s’ignorer. Elle va dès lors entreprendre de sucer cette âme comme une vile araignée qui veut garder la proie en sa toile.

La qualité ne réside pas dans la condition mais dans l’être ; elle peut émerger dans toutes les catégories sociales. « Ceux qui n’ont pas de noblesse dans l’âme ne savent imaginer la noblesse d’âme que tendue et hautaine. Alors qu’elle est extrêmement simple, et souvent modeste d’aspect », dit Persilès.

L’œuvre s’ouvre sur deux citations, l’une tirée de ‘Service inutile’ : « je n’ai que l’idée que je me fais de moi-même pour le soutenir sur les mers du néant », l’autre de ‘Malatesta’ : « un petit grain de folie, si on savait comme la vie s’en éclaire ! ». L’idée qu’on se fait de soi et le petit grain de folie sont en Persilès comme ils l’étaient en Don Quichotte : « Vous devez me voir en Don Quichotte quand il a cessé d’être fou. Oui, et c’est à ce moment-là qu’il meurt. »

Ayant appris, par une petite vengeance de sa femme, qu’il était loin d’être le seul descendant de Saint-Louis, Persilès se tue. Il n’avait plus rien de personnel pour le soutenir. Cela s’appelle l’honneur. Vertu aristocratique et non démocratique. La démocratie préfère toujours la soumission.

Henry de Montherlant, Brocéliande suivi de L’art de la vie, Gallimard 1956, €7.70
Henry de Montherlant, Théâtre, Gallimard Pléiade 1955, 1472 pages, €49.50
Montherlant sur ce blog (citations et chroniques)

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Takeo Doï, Le jeu de l’indulgence

takeo doi le jeu de l indulgence
Cette étude, parue en 1981 au Japon, a été rapidement traduite en France, l’engouement pour les japonais étant avéré dans notre pays vers cette époque.

Elle explique la dépendance affective du Japonais (amae) par l’emprise de la mère, hégémonique sur l’enfant et surtout le garçon. Comme le père est très souvent absent, gros travailleur obligé aux heures supplémentaires, aux vacances réduites et au bar avec ses collègues après bureau, c’est la mère (qui souvent ne travaille pas) qui s’occupe des enfants. Le garçon est surprotégé au Japon, comme dans toute l’Asie d’ailleurs, où il est censé assurer les vieux jours de ses géniteurs en l’absence d’un régime décent de retraite (même si les choses ont changé, les mœurs demeurent). D’où son anxiété de la séparation, son infantilisme chronique et son « machisme » qui est surtout une attente que la femme le serve comme l’a servi sa mère.

Toujours en « attente d’indulgence », le Japonais donne du respect en contrepartie d’un statut sécurisant. Les sentiments humains naturels (ninjo) se complètent par les devoirs appris par l’éducation (giri), tandis que « les autres » (les humains sans obligations réciproques) sont indifférents et font l’objet d’un comportement non réglementé (enryo).

aime moi japon

« Le sens de la honte, qui porte avec soi une impression d’imperfection, d’inaptitude, d’insuffisance de sa propre personne, est plus fondamental. Celui qui éprouve de la honte doit nécessairement souffrir de l’impression de se trouver frustré dans son désir d’amae, exposé aux regards d’autrui. » (p.46) Être reconnu, surtout par son groupe de pairs, est vital pour un Japonais. Être rejeté est la honte suprême, la dévalorisation de soi qui conduit soit au suicide, soit à l’exil, soit au repli otaku. Voir le beau roman de Haruki Murakami, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, chroniqué sur ce blog.

Les pathologies d’amae sont, selon Takeo Doï, l’obsession, l’hystérie, la crainte des autres (extérieurs au groupe), le perfectionnisme, les sentiments homo-affectifs (voir la nouvelle intitulée Kokoro de Natsume Soseki), l’apitoiement sur les héros défaits, le sentiment d’être une perpétuelle victime, l’absence du moi sans le groupe. Le perfectionnisme et l’obsession sont des comportements qui frappent tout visiteur étranger dès ses premiers jours au Japon : pour le meilleur (le sens du service et la qualité des objets manufacturés) et pour le pire (se déchausser, se rechausser parfois six à huit fois sur quelques mètres).

Bien que, depuis l’écriture de Takeo Doï, la société ait quelque peu changé… La responsabilité légale n’a-t-elle pas été abaissée à 14 ans en 2000, signe que l’individualité progresse dans la jeunesse même ? En revanche, s’il faut avoir 18 ans pour devenir militaire, il faut encore attendre 20 ans pour voter !

groupe de jeunes japonais

La perméabilité du sujet est manifeste dans la langue, où le « je » est remplacé par un présentatif qui varie suivant l’interlocuteur et la situation. Cette absence d’affirmation du soi serait le fondement du besoin d’harmonie et de consensus. L’individu japonais se veut compulsivement dans l’ambiance, ne pas dissoner de la note commune. D’où son conformisme, mais aussi son confort social. Être « mignon » ou « sportif » est, pour le garçon, ressembler à l’image valorisée par les filles et par les autres garçons. L’apparence a au Japon un autre ressort que le narcissisme, pathologie de l’individualisme des Peter Pan infantiles fabriqués chez nous en série par les parents névrosés et démissionnaires de la génération 68.

D’où aussi, au Japon, cet empire des signes et des rites, valeurs sûres car elles rendent les comportements prévisibles. Les Japonais vivent volontiers sous l’emprise des masques, reflets, ombres, surface, rôles, « face » – bien loin de la lourde (et parfois pesante) franchise américaine.

Les temples shinto contiennent, à l’intérieur, un miroir… où chacun contemple ce qu’il veut : soi-même, son moi idéal, le dieu. Dans un flou artistique et métaphysique soigneusement préservé.

Complémentaire de l’étude américaine Le chrysanthème et le sabre, deRuth Benedict, le livre de Takeo Doï offre une compréhension en profondeur du Japonais moyen.

Takeo Doi, Le jeu de l’indulgence – étude de psychologie sur le concept d’amae, L’Asiathèque 1991, 134 pages, €18.50

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Passerelle des arts sans cadenas

La Mairie l’avait promis, la Mairie a fini par le faire… en traînant les baskets : les cadenas d’amour ont été « remplacés » par… des tags.

paris pont des arts 2015

Un panneau pédago-démagogique « explique » que le poids de votre amour est dangereux pour la « sécurité » et dégrade « durablement le patrimoine » – sécurité, durable et patrimoine sont trois mots-clés du discours écolo-socialiste à la mode franco-française (pas sûr que les étrangers, asiatiques ou anglo-saxons comprennent ces « raisons »).

paris pont des arts 2015 poids de votre amour

Est réitérée (cela fait maintenant deux longues années) la « promesse » de remplacer les grilles cadenassées par des panneaux vitrés. Pour le moment – en pleine saison touristique commencée – ce sont d’immondes tags à la Jack Lang qui « illustrent » l’art de celle qui se voudrait la « plus belle ville du monde ». Jugez-en : du français écrit à l’envers en anglais – pour vanter l’amour inverti ?

paris pont des arts 2015 anti love

Des peintures dégoulinantes de cadenas virtuels sur contre-plaqué.

paris pont des arts 2015 art hidalgo

Et comme le tag appelle le tag, un malicieux demande sur ces « œuvres d’art uniques » « où sont les cadenas ?« 

paris pont des arts 2015 ou sont les cadenas

Enfin toute série d’illustrations du Paris-poubelle vu par le socialisme à la mode qui sévit dans le service Cul(ture ?) à la Mairie.

Paris-les-chiottes accueillant le touriste mondialisé.

paris pont des arts 2015 paris poubelle socialiste 1

Paris-ivrogne affalé sur un banc salopé.

paris pont des arts 2015 paris poubelle socialiste 2

La tour Eiffel qui retrousse ses échasses pour éviter la merde que répand le socialisme réalisé par la municipalité.

paris pont des arts 2015 paris poubelle socialiste 3

Toute une conception du monde… particulière, dépréciative et coupable.

Que dire aussi de l’amour à la socialiste ? une clé-bite de cadenas enfilant des fesses cadenassées, tout un symbole homo cher quelques-uns des quelques 3600 collabos-rateurs de la direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris dirigé aujourd’hui par l’outé Bruno Julliard sous Anne Hidalgo, après Christophe Girard sous Bertrand Delanoë. Je n’ai rien contre « la culture homo » de la fesse et du tag, mais enfin est-ce représentatif de la ville ? Est-ce l’image que la France donne au monde ? N’est-ce pas plutôt une « transgression » dans le vent par l’Hââârt primaire conceptuel, cher aux petits-bourgeois socialistes, dans des lieux consacrés par la Tradition, chère aux grands bourgeois républicains ?

paris pont des arts 2015 porno socialisme

La culture dans le vent, branchouille et démago, qui agite ces socialistes parisiens, eux qui n’ont plus grand chose d’utile à dire pour la cité et dont la belkacémite sévit au même moment à l’éducation, n’est-elle qu’imitation de la sous-culture newyorkaise ? Une imitation scolaire du spontanéisme d’ignares issus d’un pays dont l’histoire ne remonte qu’à deux siècles ? Une prosternation servile envers le grand modèle impérialiste américain qui impose l’abêtissement pour mieux faire circuler le fric ? J’ai honte au socialisme devant ce suivisme homo-potache, honte à la Ville devant ces tags élevés au rang de grandes œuvres d’art de l’inanité, honte à la lâcheté française devant la sous-culture contente d’elle-même.

« Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ? » planchaient il y a quelques jours les bacheliers S : – oh oui ! elle dit l’universel humain dans le particulier qui œuvre, ici le stade anal et la régression infantile de ceux qui se proclament artistes.

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Mythomanie sur l’enfant

Enfance : « Période de la vie humaine qui s’étend depuis la naissance jusque vers la septième année et, dans le langage général, un peu au-delà, jusqu’à treize ou quatorze ans » (Littré). On le voit, la langue française a suivi les mœurs, qui faisaient de « l’âge de raison » (7 ans) la fin de l’enfance jusqu’au XVIIIe siècle. Dès cet âge, les enfants pouvaient donc travailler : aux champs, puis au siècle suivant en usine ou dans les mines.

Le prolongement « un peu au-delà » est né vers la fin du XIXe siècle, lorsque les progrès de la médecine, le romantisme des sentiments puis les balbutiements de la psychanalyse (qui a commencé avant Freud), ont rendu précieux le petit d’homme. La baisse de la mortalité infantile a développé la pédiatrie, cette médecine spécifique aux enfants. La préoccupation des émotions a engendré la pédagogie, depuis l’Émile de Rousseau jusqu’aux collèges de Jésuites. Enfin la psychanalyse a démontré l’empreinte de l’enfance sur l’adulte. L’âge scolaire obligatoire a été repoussé jusqu’à 12, 14 puis 16 ans.

sexe et ennui gamin

Pour le système social, on est « enfant » jusque vers cet âge, en tirant bien le concept. C’est ainsi que les journalistes, toujours dans le vent, appellent « enfant » (mâle ou femelle) tout mineur qui a subi des abus sexuels, mais n’hésite pas à qualifier « d’adolescent » le gamin de 10 ans qui sauve sa petite sœur du feu… Même si l’après 68 a baissé l’âge de la majorité (pour raisons pénales et sexuelles), l’enfance dure longtemps au XXIe siècle.

gamins amoureux

Loin de considérer, comme Littré toujours, ce gardien de la langue, que l’enfance est aussi, au figuré, un « état de puérilité prolongé dans le reste de la vie », la société actuelle sacralise l’enfant jusqu’à en faire un mythe. « Ce qui tient de l’enfance dans le raisonnement ou l’action » (définition Littré de la puérilité) est valorisé au-delà de toute mesure. Non seulement le jeunisme sévit jusque dans l’âge chenu, mais l’esprit d’enfance représente une sorte de paradis perdu, d’accord avec soi au présent, d’idéal pour l’avenir. La foule sentimentale en devient bête.

paradis enfantin freres et soeur

Ni la maturité, ni la virilité, ni la responsabilité ne sont plus valorisées. Au contraire, la spontanéité, l’éternel présent, l’affection exigée, le plaisir tout de suite, la fausse innocence – sont des requis de la société puérile dans les pays développés. Peter Pan a fait des émules et le Petit Prince apparaît comme le plus grand des philosophes. Quant à ceux qui ne croient pas à l’innocence des enfants, ils sont chassés comme jadis les sorcières, comme vilains pédophiles.

innocence enfantine

Je suis le premier à m’attendrir sur les enfants, à aimer observer leurs jeux et à baigner dans leur joie. Mais je suis aussi attentif à ce qu’ils sont : des êtres immatures et pas finis dont les angoisses peuvent être profondes (angoisse d’abandon, angoisse de ne pas être aimé, angoisse de ne pas réussir, de ne pas avoir d’amis, de ne pas apparaître bogoss ou sexy, d’être persécuté ou racketté, de subir la honte…). Les parents gagas n’aident pas leurs enfants à grandir, s’ils les essentialisent en mythe éternel. L’enfance est un état qui est fait pour être surmonté. Pères trop protecteurs et mères castratrices sont, selon la psychanalyse, les principales causes des pathologies mentales adultes. La difficulté d’être de chaque enfant est réelle, malgré les apparences ; ce n’est que par un environnement stable, des rapports affectifs de confiance et des encouragements à toute entreprise qu’ils peuvent avancer dans la vie. Être béat devant eux et minimiser la moindre difficulté ne les aide pas. L’enfant est une personne, pas un objet : ni objet décoratif pour parents narcissiques, ni peluche de substitution pour carences affectives, ni objet sexuel pour adulte pervers immature. L’enfant est une personne, mais en devenir – pas un adulte en réduction.

besoin de papa

Pourquoi cette sacralisation récente de l’enfant ? Marcel Gauchet, philosophe qui s’est beaucoup penché sur l’éducation, a une théorie sur le sujet. Il l’expose dans la revue qu’il dirige, Le Débat n°183 de janvier 2015. Pour lui, l’enfant est aujourd’hui celui du désir, du privé, de l’égalité de l’idéal du moi, et même une utopie politique !

desir d enfant

  • Enfant du désir, il est vœu intime et projet parental, les géniteurs s’investissent (souvent à deux, parfois seuls) dans leurs petits ; ils les ont voulus, attendus, désirés. Au risque d’être déçus parce qu’ils sont eux-mêmes et pas le projet parental idéal.
  • Enfant du privé, car il fait famille aujourd’hui : la transformation des liens familiaux (concubinage, divorces, recomposition, compagnonnage de même sexe) fait que c’est l’enfant qui fait la famille et non plus la famille qui accueille l’enfant.

famille petits blonds

  • Enfant de l’égalité, car reconnu comme une personne, parfois au danger de l’écart de maturité ; certes, l’enfant est égal en dignité, mais il n’est pas mûr pour se débrouiller tout seul et a besoin des adultes et de la société pour devenir lui-même – il ne doit donc pas « faire la loi » ni être traité en enfant-roi. De cheptel voué à l’héritage sous l’autorité absolue du pater familias à la poupée égoïste post-68, il y a inversion des contraires. Un plus juste milieu serait de mise.
  • Enfant comme idéal du moi, dans la lignée du jeunisme et de la révérence envers tout ce qui est d’enfance (spontanéité, joie, faculté de s’émerveiller, curiosité sans limites, exigence de vérité…) ; chaque adulte se voudrait un enfant éternel, libre de soucis et de responsabilités, apte à être en accord immédiat avec le monde, sans état d’âme – au risque de se jeter dans les bras d’un Big Brother qui promet la société harmonieuse, ou du dirigeant (mâle ou femelle) qui se poserait en père du peuple ou en mère de la nation, les dispensant de penser et de prendre une quelconque part aux décisions de la cité.

couple ados 13 ans

  • Enfant comme utopie politique car l’enfance est l’avenir – sauf qu’il doit devenir adulte avant d’accoucher du futur ; la société des individus croit naïvement à l’autoconstruction, comme une fleur qui s’ouvre, alors que la vie est un combat qu’il faut mener : les petits d’hommes n’entrent pas tout armés comme des abeilles ou des fourmis, leur programme génétique les laisse plus libres, ils doivent apprendre et expérimenter pour faire surgir leur intelligence et autres qualités – seuls les adultes peuvent les y aider, cela ne se fait jamais tout seul.

L’enfance est un âge joli et émouvant ; l’infantilisme est cependant ce qui guette la société qui place l’enfant sur un piédestal. Les petits êtres doivent être aimés, protégés et éduqués pour qu’ils deviennent, à leur tour, adultes. Ce n’est pas en niant la différence entre enfance et maturité qu’ils pourront grandir.

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William Faulkner, Descends, Moïse

william faulkner descends moise
Formé (symboliquement ?) de sept récits qui traversent les années 1860-1940, c’est à une radiographie du Sud que se livre Faulkner. Il reprend et ressasse toutes ses œuvres et toutes ses généalogies pour composer un millefeuille de Blancs et de Noirs, en ligne directe et métissés, dont les existences se croisent et se heurtent. Le titre du livre est celui de la dernière nouvelle, également celui d’un negro spiritual qui assimile l’asservissement des Noirs à celui des Juifs sous Pharaon. La famille McCaslin transmet la honte et la culpabilité de génération en génération.

Honte d’avoir été aristocrate maître d’esclaves, culpabilité d’avoir ravi la terre aux Indiens et d’avoir détruit son équilibre pour planter le coton et élever des villes. Honte et culpabilité d’avoir fauté avec des négresses et d’avoir mêlé ce que Dieu avait séparé, jusqu’aux conséquences radicales du meurtre et de l’exécution. Blanc et Noir, civilisation et nature, s’entremêlent comme les eaux du delta.

Dans le premier récit, bien loin dans le temps, une chasse au renard se transforme en chasse à l’homme pour récupérer un esclave noir qui fugue régulièrement pour aller monter sa belle. Nous sommes dans le burlesque de la comédie, le bouffon seul à même de dire que le roi est nu. Le second récit met en scène Lucas, descendant mi-noir, mi-blanc, en rivalité avec son demi-frère blanc, et qui chasse le trésor imaginaire des confédérés avec une machine électrique venue de la ville. Le troisième récit quitte un instant la famille pour mettre en scène un Noir pur sang qui, ayant perdu sa femme, se révolte contre la condition humaine (et finit pendu) ; une vraie bête aux muscles puissants et aux instincts bruts, une sorte de rêve américain jusqu’à Rambo et XIII.

Mais c’est le quatrième récit qui est le plus beau, sauf sa section 4. Cette fois, c’est un vieil homme de 1940, Isaac dit Ike, qui raconte son enfance en forêt, durant les chasses annuelles des Blancs du comté. Il a dix ans, douze, ans, seize ans, et le vieux Sam, mélange d’Indien et de Noir, lui apprend à marcher sans bruit, à observer les traces, à s’orienter sous les arbres, à tirer ou à ne pas tirer selon les moments. A douze ans, le gamin tue son premier cerf et Sam le baptise du sang de la bête, cérémonie initiatique qui le met en communion avec la nature et avec la vie même. Ce sont les pages les plus belles de Faulkner, emplies d’émotion et de respect. « Sam Fathers ne l’avait-il pas déjà consacré, et délivré de la faiblesse et du remords ? – non pas de l’amour et de la pitié pour tout ce qui vivait et courait et, en une seconde, cessait de vivre en pleine splendeur et en pleine course, mais simplement de la faiblesse et du remords » Les Anciens, 2 p.789 Pléiade.

garcon chasseur

A seize ans, il rencontre un ours, le Vieux Ben rusé et inoxydable, que tous chassent depuis des années. Ce sera un autre qui le tuera, mais pas cette année-là. Il faudra dresser spécialement un chien, différent des autres, sans peur et sans reproche : Lion.

La section 4 de ce récit est en revanche une jérémiade illisible. Rupture de ton, phrases interminables, écriture expérimentale sans ponctuation – un vrai pensum qui dérive vers le prêche biblique. Faites comme moi, survolez ces pages chiantes, qui durent quand même un long moment. Tout ça pour se plaindre d’être Blanc, Américain, propriétaire, chasseur, mâle et ainsi de suite. Appel à la Bible, dissection des desseins de Dieu – en bref, réservé aux lecteurs purement américains avec de la patience ; je ne sais pas si beaucoup lisent encore ça aujourd’hui.

Le dernier récit est contemporain de l’écriture, 1940. La guerre menace en Europe ces bouffons de xénophobes tandis que les Américains racistes, ayant libéré les Noirs, ne peuvent envisager d’avoir des enfants avec eux. La vieille alliance (biblique ?) de l’homme et de la nature, durant la chasse, ne résiste pas à la ville et au regard social. Et cela se termine mal.

Un beau livre, sauf la centaine de pages de délire prêcheur. Il est peu connu mais fait pénétrer un peu plus l’Amérique, ses mythes et ses complexités sociales par un esprit européen du XXIe siècle.

William Faulkner, Descends, Moïse, 1940, Gallimard L’imaginaire 1991, 336 pages, €10.00
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 3, Gallimard Pléiade, 2000, 1212 pages, €66.00

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