Religions

Jean-Pierre Chabrol, Les fous de Dieu

jean-pierre chabrol les fous de dieu

Un manuscrit est retrouvé caché parmi les pierres d’une très ancienne ferme des Cévennes. Il décrit d’une langue savoureuse et passionnée la lutte du petit peuple hérétique contre les dragons du roi de France après cette révocation malvenue de l’Édit de Nantes. La lutte idéologique est aussi lutte régionaliste et lutte de classes. Est-ce cette torsade de luttes, inextricablement mêlées, qui a séduit ce Cévenol écrivain ?

Toujours est-il qu’en cette chronique imaginaire, où alternent les violences et les amitiés, court le nerf d’une foi intense en la vie. En ce petit coin reculé des provinces, la richesse a pour nom : terre, bétail, femme, enfants, fraternité des hommes et fidélité à Dieu. Le bonheur est simple, par contraste avec les malheurs qui s’abattent sur les Cévennes. Il a un goût de pierre et de vin chantant, un goût de lèvres frémissantes.

A l’indigence des besoins quotidiens correspond parfaitement l’ascétisme et l’austérité de la Religion prétendue réformée. Foin des splendeurs et du faste catholique, foin de l’hypocrisie jésuite et de la corruption ecclésiastique ! Rien de cela ne parle à ces paysans des montagnes pierreuses, eux qui connaissent le dur labeur de la récolte arrachée à la garrigue et les devoirs que réclame le bétail. La fidélité au protestantisme est aussi la fidélité aux valeurs de sa terre, la fidélité au prêtre villageois qui prêche et qui soutient. Les Catholiques, le catholicisme, viennent toujours du dehors, de la ville, de la province capitale. L’administration, la police et la justice apparaissent comme plaquées artificiellement, imposées par le pouvoir d’État pour surveiller et punir.

C’est pourquoi la révolte des Camisards dépasse-t-elle la simple querelle religieuse pour atteindre au radical. Qu’importerait au Cévenol de se dire catholique, si ce reniement n’était à la fois acceptation de son esclavage et soumission tacite aux agents du roi ? Eux veulent forcer la liberté du paysan jusque dans les replis de sa conscience et le paysan dit « non ».

La liberté ne peut être à demi, l’exploitation non plus. Celui qui désire cultiver librement sa terre doit aussi consentir aux impôts, reconnaître la justice et pratiquer devant le monde la religion. Qui veut contraindre l’un de ces points contraindra fatalement tous les autres. En Cévennes, du temps de Louis le Quatorzième, la lutte pour le droit de pratiquer sa religion équivalait à la lutte pour la survie.

Un tel combat, à l’enjeu aussi fondamental, ne peut être qu’impitoyable. La répression engendre le terrorisme, qui accentue et justifie la répression. La Bête catholique a fait des Cévenols des bêtes traquées, sauvages et sans merci. Les femmes violées, les enfants égorgés, les amis pendus, les récoltes saccagées, les villages incendiés, rien de cela ne pourra extirper l’hérésie. Elle ne périra qu’avec les derniers hérétiques – avis aux politiques !

Malgré les Écritures, le troupeau des fidèles ne pratique pas le pardon des offenses. On ne peut pardonner lorsque la survie de tout un peuple, de tout un pays, en dépend. Les Camisards, par la faute des Catholiques, ont régressé au temps de Moïse et pratiquent l’œil pour œil, dent pour dent. Nombre d’entre eux, tel ce vieux berger isolé dans la montagne, écoute avec émotion le récit des Sept plaies d’Égypte, lu par une voix d’enfant comme une voix du ciel. L’abîme appelle l’abîme ; le Christ est oublié pour n’écouter que le Père, le Dieu jaloux tonnant, dont on interprète les Desseins impénétrables pour mettre à sac couvent et presbytères, et brûler les églises, du moment qu’elles sont catholiques.

Mot terrible : « La Loi veut que, pour le bien, il faut le mal. » Ce précepte justifie toutes les terreurs, il est aussi vain que vieux, et faux depuis l’origine des temps.

Dans leurs épreuves, les Camisards réinventaient la Bible plutôt que de la lire, selon le mot de Michelet cité à la fin du livre. En leur sein se réactualisait vivement la querelle des deux Testaments, l’ancien et le nouveau, par la bouche de deux vieillards. Reboul voulait qu’on ne résistât point au méchant, comme le Christ l’avait dit ; Espérandieu prônait l’œil pour œil, comme avait dit auparavant le Père. Ce fut Jéhovah qui fut écouté et non point Jésus. Tant qu’il le fut, le pays fut brûlé et la vie traquée.

Tout Dieu rend fou celui qui le croit trop fort.

Jean-Pierre Chabrol, Les fous de Dieu, 1961, Folio 1972, 438 pages, €9.20

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Musulmans ou islamistes

Comme beaucoup de ceux qui réfléchissent avant d’énoncer, je fais une claire distinction entre ceux qui croient simplement et ceux qui veulent imposer leur foi. Ainsi entre catholiques et intégristes, ou musulmans et islamistes. Notons ce fait particulier qu’aucun juif ne veut convertir les autres, et que les bouddhistes ne proposent que leur exemple de vie bonne pour attirer les adeptes.

N’oublions pas qu’Arthur Rimbaud, Henri de Monfreid et Isabelle Eberhart se sont convertis à l’islam. Mais cela restait de la foi intime, pas du prosélytisme intolérant, une manière aussi de pénétrer les sociétés étrangères de l’intérieur pour mieux les comprendre. La foi est du domaine individuel, intime, et Sadiq Khan élu en mai 2016 Maire de Londres a laissé le djihad au vestiaire.

Certes, les croyants peuvent tenter de convertir « de bonne foi », étant sûrs non seulement de détenir la Vérité absolue révélée par le seul Dieu suprême, mais surtout de « sauver » les âmes des mécréants. Ce fut le cas des Jésuites du Paraguay et des missions en terres étrangères. Mais nul besoin de religion pour cela : aider les autres est un mouvement généreux universel. La médecine et l’école furent les vertus d’une certaine colonisation faite pour de « grandes idées » – en général républicaines puis humanistes.

Ce qui n’est pas allé sans dérives. Le positivisme scientiste et la foi républicaine, socialiste voire communiste, ont été aussi des autoritarismes visant à dominer les peuples-enfants et à discipliner l’anarchie sexuelle africaine et polynésienne. Pour mieux exploiter le travail, faire « suer le burnous » et « éradiquer la paresse congénitale » (hum !).

ibn khaldun le livre des exemples tome 1

Mais la vertu des pays occidentaux est de s’être rendu compte de ces dérives, qu’elles soient celles des missions évangélisatrices dont les Jésuites sont revenus, de la « volonté générale » de 1789 que la révolution voulait étendre à toute l’Europe avant tout le genre humain, du communisme soi-disant « scientifique » qui devait libérer le monde entier des chaînes de l’exploitation – au service d’une étroite élite soumise au grand Parti unique…, ou du socialisme jacobin dont les technocrates savent mieux que vous ce qu’il vous faut. Tous se méfient de « la démocratie », le peuple leur paraissant ignare, manipulé ou beauf réactionnaire. Les discours sur le Brexit, après celui sur la montée du Front national aux européennes, en témoigne.

Ces croyances religieuses ou séculières, qui sont légitimes car elles font avancer l’humanité, sont désormais cantonnées dans la sphère privée pour ce qui est de Dieu, et dans la sphère politique pour ce qui est du débat sur les valeurs. La guérilla catholique contre la révolution a cessé ses effets après 1945 – non sans avoir sali les idéaux humanistes puis étriqué la pensée durant un siècle et demi – jusqu’au pétainisme de soumission (la « manif pour tous » est restée sans lendemain). L’agitation permanente marxiste depuis 1945 n’a jamais cessé (avec la CGT, Besancenot et Mélenchon) – mais elle se maintient dans les normes démocratiques, même si « la rue » exige plus de démocratie directe et moins de démocratie représentative. Le Parlement, en France, étant réduit à voter selon l’appartenance partisane sans discuter – ce qui est pourtant son rôle.

Mais aujourd’hui, seul l’islam renaît comme religion conquérante, intolérante, terroriste.

Pourquoi ? Parce qu’il veut en revenir aux origines et que ces origines sont la guerre tribale mêlée à la guerre idéologique au nom de la Révélation. S’il n’est de dieu que Dieu, il commande en tout et les minables humains doivent s’humilier devant Lui et obéir en tout aux Paroles qu’il a distillées via l’archange Djibril à l’oreille de l’illettré Mahomet, puis aux paroles du Prophète en son vivant, puis des gloses des érudits après le Prophète, puis des fatwas de savants autoproclamés qui se veulent détenteurs de l’unique interprétation de la vraie Vérité…

Les Musulmans sont des croyants légitimes s’ils pratiquent leur foi en privé, acceptant le compromis de la vie en commun. Mais les islamistes sont des croyants guerriers qui veulent imposer leur foi particulière au monde entier, surtout dans les pays qui les acceptent mal. C’est leur vengeance – que ce « surmusulman » (Fethi Benslama, psychiatre) : le renversement de l’humilité en arrogance analogue au Superman inventé en 1933 par un Juif américain sur le modèle de l’Übermensch de Nietzsche – déformé par l’aryanisme nazi. Le ressentiment intime projette une image boursoufflée de soi, déformée par la haine et dominatrice, qui conforte le moi blessé. Surtout de ceux qui ne sont pas encore des hommes, entre 15 et 25 ans, eux qui cherchent leur virilité dans la fraternité garçonnière d’où les femelles sont bannies, et qui justifient la raideur du sexe interdit par la kalachnikov rigide qui crache son jus puissant.

Cette quête de la Pureté, qui est l’un des ressorts du radicalisme adolescent confronté à la « souillure » du désir sexuel, trouve dans le corpus islamique de quoi se justifier.

Car les textes sacrés sont loin d’être innocents… Ils sont considérés par les oulémas comme véritablement authentiques. L’islam doit être étendu par les armes ; le djihad n’est pas qu’intérieur mais se manifeste dans la société et contre les ennemis ; les Juifs de Médine ont été exterminés par Mahomet lui-même – par calcul politique ; les minorités non-musulmanes des autres religions du Livre doivent être « soumises » et reléguées avec des droits inférieurs, payer un impôt communautaire.

fesses mediavores

L’islam, dans sa pureté croyante originelle, est dans ses effets analogue au nazisme – sauf que la foi remplace la race et que quiconque peut toujours se convertir. Ceux qui ne le font pas sont des sous-hommes, ceux qui résistent des cafards à exterminer. Toute la littérature militante de Daech – proclamé État islamique – le répète à l’envi.

De l’administration de la sauvagerie’ (édité en français sous le titre ‘Gestion de la barbarie’ et un temps disponible sur Amazon, à la Fnac et à la Librairie catho…), rédigé vers 2003 par Abou Bakr al-Baghdadi, explique en détail comment s’emparer d’un territoire, le soumettre brutalement par la terreur et l’application stricte de la charia wahhabite, puis porter la guerre au cœur de l’ennemi occidental et juif par les techniques mêmes du trafic financier, de la communication et de l’information occidentales. Mentir, voler, violer, vendre des œuvres d’art ou des êtres humains, crucifier, torturer, tuer – sont des pratiques permises et même légitimes « au nom d’Allah ». Comme si Dieu avait créé les bas instincts pour qu’ils servent sa Gloire.

L’historien de l’islam Ibn Khaldun (1332-1406) démontre clairement combien la religion est ce qui donne corps et forme au peuple arabe. « L’islam – la religion musulmane – est le seul monothéisme qui implique les devoirs de la guerre dans ceux de la religion », selon le professeur d’histoire médiévale de Nanterre Gabriel Martinez-Gros dans un numéro de la revue L’Histoire (423, mai 2016, p.56). C’est la progressive instauration de l’État, avec sa division des tâches entre guerriers, experts et lettrés, qui pacifie la violence originelle de la croyance. Pour Ibn Khaldun, les Turcs, les Mongols et les Berbères dans l’Oumma ont affaibli les Arabes – puisque la religion n’avait plus d’utilité politique pour l’empire. Or, rappelle Ibn Khaldun : « Dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux parce que l’islam a une mission universelle et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force » (Muqaddima – Le Livre des Exemples, p.532).

C’est cet écart entre l’origine et aujourd’hui qui fait que des musulmans deviennent islamistes. Le retour aux sources est un danger, aussi bien pour les racistes que pour les croyants. Mais c’est bien ce qui guette notre monde, déçu de la tournure des choses.

Fethi Benslama, Un furieux désir de sacrifice : le Surmusulman, 2016, Seuil, €15.00

e-book format Kindle, €10.99

Ibn Khaldun, Muqaddima – Le Livre des Exemples tome 1, Gallimard Pléiade, 2002, 1555 pages, €76.50

Jean Lafontaine, Pourquoi l’aveuglement occidental est la plus grande force de l’islam : illustration avec la « Déclaration de Marrakech », 2016, Atlantico

 

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Mormons, mormone à Tahiti

La « Mormone » est la chienne abandonnée, pleine, sur la route de ceinture. Elle a été attirée par les nouveaux locataires d’une maison voisine, de jeunes missionnaires mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers Jours dite des Mormons.

Cette église se développe activement dans les îles du Pacifique Sud. Née aux USA, elle se fonde sur un livre « merveilleux » qui donne à l’Amérique une histoire ancienne remontant à la Tour de Babel. A la suite de la révélation de Joseph Smith, né dans le Vermont en 1805, qui vit apparaître un ange, Moroni en 1823, qui lui révéla sa mission de prophète et l’existence d’un mystérieux livre écrit sur des feuilles d’or en écriture égyptienne « réformée ».

papeete temple mormon

L’Église est chrétienne, reconnait Jésus-Christ, s’appuie sur un livre sacré aussi important que la Bible qu’elle est seule à reconnaître, sa morale est puritaine. Les Mormons n’admettent pas la prédestination ni la notion de pêché originel. Ils ont renoncé à la polygamie en 1890. Chaque fidèle peut faire baptiser rétroactivement ses ascendants, il suffit de fournir l’état-civil à l’église. Ce pourquoi les chercheurs mormons partent dans le vieux monde à la recherche d’ancêtres ; ils sont les meilleurs généalogistes internationaux. Les noms collectés sont enregistrés dans un ordinateur central.

L’organisation de l’Église est stricte, dirigée par un « président prophète et voyant ». L’Église a un poids considérable, 3 millions de fidèles en 1970, aujourd’hui 6 millions. Elle dispose d’évêques, grands prêtres, prêtres et missionnaires, missionnaires présents dans 150 pays du monde. [Mitt Romney est par exemple mormon.] Plus de 30 000 jeunes font un service volontaire de 2 ans. En France, elle est présente depuis 1866 et aurait plus de 20 000 membres. La richesse de cette église provient d’un impôt de 10% que chacun verse sur ses revenus (idem pour les Adventistes). L’effort missionnaire de l’Église est fructueux dans le Pacifique où les Mormons sont aussi nombreux que les catholiques avec 25% de la population.

Les articles de foi de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours sont au nombre de 13, je me dispense de vous en parler, ne les connaissant pas moi-même. Ils me sont connus à mesure des « vacations » des Missionnaires. Ce sont de grands discours pour tenter de vous présenter les missionnaires étrangers qui viennent successivement dans cette « location » particulière de Tahiti et qui « héritent » de la chienne citée plus haut. Ce sont souvent des anglophones : Américains, Australiens, Néozélandais. Bardés de français et parfois de tahitien, ils viennent servir le Dieu des Mormons en pays Ma’ohi. Ils sont reconnaissables, à vélo, casqués, pantalon et chemise blanche, cravate pour les hommes ; pour les jeunes femmes, à vélo et casquées, robe ou jupe longue, haut à manche. Ils vont toujours par deux, saluant, proposant leurs services s’ils voient les gens jardiner.

Et la chienne « mormone » ? Elle change de responsable au fur et à mesure des « vacations » des Missionnaires. Si elle n’a pas encore réussi à faire des adeptes parmi les chiens du quartier (ou leurs propriétaires), elle fait respecter sa foi – la gamelle – et se déclare propriétaire des lieux et des âmes. Elle n’hésite pas à ramener moult amants dans le quartier (elle pratique la polyandrie mormone des origines), quitte à se servir dans les garde-manger, d’’avaler la ma ’a de Grisette, de tuer chats et malheureusement Jeannot Lapin. Serait-ce cela, l’évangélisation « à la mormone » ?

Hiata de Tahiti

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Et c’est reparti pour le foot…

Le foot est à l’origine un jeu, il est devenu une passion voire un substitut de la guerre. Car ce sont bien des « nations » qui s’affrontent sous le terme d’équipes, même si ce sont le plus souvent des mercenaires qui y servent. Il va sans dire que je préfère le jeu, qui est libre exercice enfant et discipline collective adolescent. Mais j’observe la passion française, proche d’une religion, même si je ne suis ni supporter, ni croyant.

foot modele anglais

Le football – ou balle au pied – est un jeu de garçons. Il y a certes des clubs de filles, mais ce sont en Europe principalement les garçons qui s’y collent. D’où le nom de match de foutre que l’on affuble parfois à ces affrontements entre jeunes mâles en rut pour taper la rondeur. Le football est vu comme peu viril en revanche dans le nord de l’Amérique, où les gros musclés des « colleges » (universitaires) lui préfèrent le football américain. Il faut être harnaché, casqué, rembourré, pour parer les coups car tout est permis.

ballon brad pitt 14 ans

La Gaule préromaine connaissait un jeu de balle qui portait le nom de « seault » ou « soule ». Il voulait signifier le soleil et n’était pratiqué que pour raisons religieuses. Le jeu perdure sous les Gallo-romains et est attesté au XIIe siècle surtout dans le nord-ouest de la France. Il est pratiqué aussi en Angleterre sous divers noms, dont celui de « foeth ball ». La balle était selon les endroits faite de diverses matières, en bois, en vessie de cochon remplie d’air ou de son de blé. Les buts étaient des limites arbitraires comme un quartier ou une place. La soule pouvait être frappée avec toutes les parties du corps et la main n’était pas interdite.

foot gosses plage

Les désordres qu’engendre (déjà) le jeu de balle incite le maire de Londres à l’interdire le 13 avril 1314, puis Philippe V le Long fait de même en France en 1319 ; l’interdiction est réitérée par Edouard III en 1365, puis en 1458 par James II. Mais Henri II en France joue à la soule avec ses mignons, dont le poète Ronsard. Rappelons que les « mignons » n’étaient pas pédés mais favoris du roi, donc jeunes et mieux vêtus que les autres ; ils faisaient des jaloux, d’où cette accusation bassement sexuelle. Où l’on voit que la passion du jeu, entre garçons, a toujours quelque chose à voir avec la virilité. Les supportrices le savent d’instinct puisqu’elles manifestent leur enthousiasme seins nus, tandis que les jeunes adolescents adorent jouer sans maillot.

foot supportrice

Le calcio s’introduit en Italie en 1569, le ballon propulsé à coups de pied doit passer au-dessus de poteaux qui délimitent les buts. En 1660, les partisans de Charles II qui s’étaient exilés en Italie ramènent en Angleterre la variante du calcio pour le jeu de balle au pied. Les domestiques du roi, en 1681, jouent contre ceux du comte d’Albemarle.

Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que le jeu de balle devient au Royaume-Uni un sport pour éduquer les adolescents aux règles et à la discipline d’équipe. Mais une dizaine de jeux différents existent alors. Se distinguent peu à peu le rugby, version moderne de la virile soule gasconne qui a pris le nom du collège où il est inventé en 1823, et le football appelé dribbling game, codifié au collège d’Eton en 1849 – l’usage des mains est interdit.

Le premier club de foot est fondé à Sheffield en 1862 et a Football Association est fondée le 26 octobre 1863 à la taverne londonienne Free-Mason’s (francs-maçons). La dimension actuelle des buts date de 1875, l’arbitre apparaît en 1890 et le nombre de 11 joueurs est fixé en 1899. Le poids du ballon ne sera déterminé qu’en 1935.

foot equipe 1948

La première coupe d’Angleterre se joue en 1872, tandis que le premier club français se crée au Havre. Le comité français « interfédéral » créé en 1906 devient la fédération française de foot le 7 mai 1919. Ci-dessus une équipe française de 1948.

Nombre de stars du cinéma, de la pub ou du ballon ont passionnément joué au ballon enfant (foot ou autres heux), comme David Beckham à dix ans (ci-dessous) ou Brad Pitt à 14 ans (plus haut). Ils sont devenus des demi-dieux adorés des groupies – parfois pour un autre talent.

foot david beckam 10 ans

Le souvenir de Zinedine Zidane hante encore les plages du Cap Vert en 2006, même si le gamin n’a pas l’argent pour s’acheter le maillot, même si le fric et la frime ont submergé le jeu et surtout le fair-play.

Foot souvenir de zidane cap vert 2006

Car le foot est désormais une industrie qui va recruter des mercenaires très jeunes en Afrique où il fait rêver aux millions. Le préjugé des marchands de ‘viande à dresser aux sports‘ veut que les gamins noirs soient plus « physiques ». Ces mêmes esclavagistes encouragent une sauvage compétition entre clubs pour vendre leurs « poussins » à coups de millions d’euros. Seuls les jambes comptent, pas la tête ; les demi-dieux sont réduits aux titans. Depuis l’Olympie antique, vous avez dit progrès ?

foot dylan michael patton 13 ans

Les retombées publicitaires et la vente des droits télé des rares qui émergent alimentent une corruption mondialisée et une évasion fiscale massive. Est-ce cela la récompense méritée du talent ?

foot et hollande comptes en suisse

C’est donc cette passion immorale qui est proposée à la jeunesse d’aujourd’hui, en plus du nationalisme, du racisme et autres violences bassement tripales ?

foot opium du peuple

Hier du pain et des jeux, aujourd’hui l’opium du peuple… Décidément, je préfère les jeux des enfants.

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Histoire du Christianisme, des temps modernes à nos jours

alain corbin histoire du christianisme

Les temps modernes, du 16ème au 18ème siècle, l’apprentissage du pluralisme ?

La Réforme fait creuser le dogme : Érasme et Luther, liberté ou servitude de l’être humain ? « Luther et Calvin rompirent avec l’Église catholique parce qu’ils l’accusaient d’être pélagienne. Pour eux, l’homme ne pouvait être justifié devant Dieu que par la grâce et la foi, non par ses œuvres, car il était dépourvu de mérites à cause de sa nature corrompue. Le protestantisme a donc été, au départ, un retour résolu à un strict augustinisme, y compris chez Calvin, à la doctrine de la prédestination » p.126.

La doctrine du moine anglais Pélage était que la grâce de Dieu n’est pas accordée pour chaque acte isolément, mais consiste dans le don du libre arbitre, dans la connaissance de la loi divine et de la doctrine chrétienne. Le libre arbitre ne saurait exister s’il a besoin du secours de Dieu, donc chacun possède dans sa volonté le pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose. La grâce divine nous est attribuée selon nos mérites. Le pardon est accordé aux repentants, non en vertu de la miséricorde de Dieu, mais selon leurs mérites et leurs efforts, quand, par leur pénitence, ils se sont rendus dignes de pardon.

Les radicaux des réformes veulent aller jusqu’au bout de l’Écriture. Calvin, évêque d’Amiens avant de s’exiler à Genève, prône élection, vocation et travail. La voie moyenne anglicane est une lente construction. Rivalités et combats marquent l’époque : Ignace de Loyola et l’aventure jésuite, les Inquisitions, les liturgies nouvelles, la mystique du cœur, du feu et de la montagne, la mystique de l’Incarnation et de la servitude, le jansénisme entre séduction rigoriste et mentalité d’opposition.

Il s’agit aussi d’évangéliser et d’encadrer le monde. « Ignace (de Loyola) demande aussi aux Jésuites de « s’adapter aux sociétés indigènes et de comprendre leurs mœurs. Il demande enfin que des lettres lui soient envoyées régulièrement. Celles-ci, dont le but premier est « d’édifier » la Compagnie, bouleversent aussi les acquis de l’Antiquité. Opposant à l’autorité des livres les certitudes de l’expérience elles ouvrent, au-delà de l’ancien monde, d’immenses horizons d’où naît le sentiment de l’illimité de l’espace. Mais ce qui, dans la découverte des autres, frappe le plus ces hommes du 17ème puis du 18ème siècle, c’est leur ressemblance avec eux-mêmes. La pensée moderne procède dans une large mesure de cette rencontre de l’humanisme et de cet espace nouveau » p.333.

Christianisme les 3 églises carte

L’image tridentine se veut ordre et beauté. Rome et Genève deviennent les nouvelles Jérusalem de la communication. « Le grand élan éducatif qui soulève la chrétienté à partir du 16ème siècle, est inspiré par deux idées directrices : les hommes et les femmes pèchent et se perdent par ignorance et le remède doit commencer par les enfants (…) le catéchisme et l’école. Il y a des choses qu’il faut savoir pour être sauvé. Cette idée n’a cessé de s’imposer depuis la fin du Moyen-Âge. On ne peut plus se contenter de la foi « implicite » par laquelle les fidèles adhèrent à « ce que croit l’Église », sans trop savoir l’énoncer et encore moins le comprendre. Il est nécessaire qu’ils sachent ce qu’ils doivent croire, et même qu’ils sachent en rendre compte » p.341. Notons que le combat contre l’ignorance qui passe par l’école est la foi des Lumières et du socialisme – successeurs inavoués du christianisme… « On ne naît pas homme, on le devient », écrit vers 1500 Érasme, le prince des humanistes (bien avant Simone de Beauvoir, dont tout le monde reprend le propos sur les femmes).

Des horizons nouveaux de sensibilité apparaissent : Bach et sa musique sans frontières, la critique biblique, le renouveau protestant du piétisme au pentecôtisme en passant par les réveils. Les saints investissent leur nation du 14ème au 20ème siècle. « Avec près de 60 500 saints, dénombrés par André Du Saussay en 1626, la France ne doute pas de mériter son titre de fille aînée de l’Église » p.369. L’Orthodoxie russe va du monolithisme aux déchirures durant les 16ème 18ème siècles.

« C’est dans le monde musulman qu’on trouve aujourd’hui la fidélité la plus explicite à des principes qui furent augustiniens avant d’être islamiques : l’affirmation sans concession de l’absolue transcendance divine, l’acceptation paisible de la volonté de Dieu et l’attente du salut par sa seule miséricorde » p.128.

Rembrandt Christ en croix 1631

Le temps de l’adaptation au monde contemporain du 19ème au 21ème siècle

L’exégèse biblique et les formes de la piété évoluent. La Bible se soumet à l’histoire mais émergent de nouveaux bienheureux comme Jean-Marie Baptiste Vianney, curé d’Ars (1786-1859). La théologie et le culte marial se renouvellent avec Thérèse Martin, dite de l’Enfant-Jésus ou de Lisieux, (1872-1897). Elle doit son succès à « la crise moderniste : Rome favorise, contre l’intelligence suspecte et condamnée, la révélation de l’intime, la voie du cœur, le recours à la communion fréquente, voire quotidienne » p.397. Pie X, soucieux de l’enfance spirituelle, instaure la communion privée.

La doctrine chrétienne, face au monde moderne, se crispe avant de s’adapter en renouvelant le Message. « L’intransigeance touche au plus profond du dispositif intellectuel, mental et affectif des catholiques du 19ème siècle. Essentiellement, elle se définit par le refus de toute transaction, c’est-à-dire de tout recul, de toute concession, de tout accommodement, de tout compromis, de toute compromission, qui mettrait en péril la conservation et la transmission de la foi, des dogmes et de la discipline catholique ; l’intransigeance est aussi, tout à la fois, défensive et offensive, affirmation et condamnation, parfois aussi provocation ou agression » p.410. Le catholicisme intransigeant de Pie IX (1846-1878) édite le Syllabus des Erreurs Modernes. Il s’agit de conserver et de transmettre intact « le dépôt de la foi » : l’élan missionnaire est régulé par la congrégation de la Propagande de la Foi ; la personne même du pape est exaltée à travers la presse et l’imagerie catholique ; le Dogme de l’infaillibilité pontificale est proclamé en juillet 1870.

L’Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII (1891) « affirme la légitimité de l’intervention de l’Église en matière sociale « dans toute la plénitude de Notre droit ». L’Église doit réconcilier les riches et les pauvres « en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels et, avant tous les autres, ceux qui dérivent de la justice. » Aux ouvriers d’honorer le contrat de travail et de refuser la violence, aux patrons de ne point « traiter l’ouvrier en esclave », de respecter en lui la « dignité de la personne », de « donner à chacun le salaire qui lui convient ». L’État est fondé à intervenir au nom de sa mission, qui est de « protéger la communauté et ses parties » » p.417.

« L’Église de Rome (…) continue de voir en (le libéralisme politique de la Révolution) la source de toutes les erreurs modernes, la mère de toutes les hérésies. Elle le tient pour responsable et de la déchristianisation et des maux qui affligent la société. Elle lui reproche essentiellement le rationalisme qui oppose la démarche de l’esprit critique à l’enseignement dogmatique, et l’individualisme qui érige en règle la volonté de l’individu. Cette dénonciation du libéralisme restera longtemps encore la référence pour l’appréciation des autres systèmes. Elle explique certaines sympathies pour des idéologies qui exaltaient l’autorité ou assujettissaient l’individu aux exigences collectives, comme elle été responsable de complaisances prolongées pour des régimes qui se définissaient par opposition au libéralisme » p.420. Le mariage gai, puis la crispation rétrograde des cathos français reprend aujourd’hui ces vieilles antiennes qu’on croyait enterrées depuis l’ère Pétain…

Le concile Vatican II (1962-1965) rassemble par convocation du pape Jean XXIII la totalité des archevêques, évêques et supérieurs d’ordres religieux du monde entier en tant que successeurs des Apôtres disposant de la capacité de discuter les matières d’Église touchant la foi et les mœurs. Le christianisme est désormais aux dimensions de la planète. Il a subsisté à l’époque ottomane (15ème 19ème siècle), a connu l’action missionnaire des 19ème et 20ème siècles, l’extension du protestantisme en Amérique du Nord. Il erre désormais entre œcuménisme et interreligieux.

anges paille

L’histoire et la croyance, la sensibilité et la culture s’entremêlent. Nul ne peut se permettre d’ignorer l’histoire du Christianisme s’il veut comprendre quoi que ce soit aux débats contemporains en France. De l’hérétique franciscain Besancenot au nouveau saint François Hulot, en passant par la Madone Royal ou par le Cardinal activiste devenu roi – tous anti-libéraux obstinés tel que le définit l’Église ! – chacun trouvera sans aucun doute des échos contemporains à cette longue durée…

Alain Corbin (sous la direction), Histoire du christianisme, 2007, Points 2013, 468 pages, €10.00

e-book format Kindle, €10.99

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Histoire du Christianisme, des origines au moyen-âge

alain corbin histoire du christianisme

Sous la direction d’Alain Corbin, l’Histoire du christianisme publiée au Seuil courant 2007 aborde avec 4 auteurs, 52 contributeurs, 6 cartes, 459 pages et en 4 parties cette religion. Il détaille ses diverses espèces (catholique, protestante, orthodoxe), dans ses espaces particuliers (Méditerranée, Europe, Amérique…), avec ses formes de piété (culte marial, culte des reliques, Purgatoire, hérésies). Il évoque quelques grandes figures (François d’Assise, le curé d’Ars, saint Thérèse), et ses conséquences culturelles ou artistiques (cathédrale, image tridentine, missions outremer). De quoi acquérir une base de culture religieuse en un seul livre – et compléter les notes précédentes.

L’émergence, du 1er au 5ème siècle

Jésus est-il prophète juif ou Fils de Dieu ? Quel est ce milieu hébraïque, quelles sont les communautés chrétiennes d’origine juive en Palestine ? Les sources indirectes sur Jésus sont : la correspondance de Paul de 50 à 58 de notre ère, les Évangiles de Marc en 65 (d’après la tradition des années 40), Matthieu et Luc vers 70-80, Jean en 90-95, les Évangiles apocryphes après 120. Ce sont des mémoires, pas de l’histoire : les faits sont mêlés à une lecture théologique. Pour les auteurs historiens, Jésus n’avait pour ambition que de réformer la foi d’Israël, ce que symbolisent les 12 intimes qui l’accompagnent comme les 12 tribus. Il visait à simplifier l’obéissance à la Loi, la focalisant sur l’amour et la justice, prêchant un Dieu proche et accueillant. Il s’agit d’une mystique de l’urgence, pour la venue imminente de Dieu. Jésus se voulait solidaire de toutes les catégories sociales que marginalisait la société juive du temps, ce qui fut scandale pour une société cloisonnée. Il ne s’est dit que Fils de l’Homme (Livre de Daniel), descendant d’un David idéalisé ; ce sont les chrétiens qui l’ont appelé Messie. « Jésus n’a pas dit qui il était, il a fait qui il était » p.20.

Le christianisme atteint Rome sous Claude vers 49, la Gaule en 177, l’Afrique en 180. Paul est le passeur de culture : juif de la Diaspora en pays hellène, polyglotte d’une famille commerçante, il associait une éducation grecque reçue à Tarse à une formation de pharisien reçue à Jérusalem. « La mission paulinienne, la seule que nous puissions réellement étudier, a été organisée comme une pénétration par capillarité, qui utilise tous les réseaux de la cité antique, celle-ci fonctionnant comme une imbrication de communautés, de la plus petite – qui est la famille – à la plus grande – qui est la cité. La cellule-souche de la mission, c’est la « maisonnée », l’oikos, tout à la fois communauté familiale et communauté d’activité, exploitation agricole, atelier ou magasin (…) L’oikos antique rassemble des gens de statut différent, incluant femmes et enfants, esclaves et affranchis (…) Sa composition transcende les clivages de la société antique entre Grecs et Barbares, hommes et femmes, libres et non-libres » p.37.

La première expansion chrétienne conduit à s’interroger sur comment vivre en chrétien dans le monde sans être du monde. Comment être persécuté mais soumis à l’Empire romain jusqu’en 311. La conversion de l’empereur fait se convertir l’Empire et désormais, comment le penser en Empire chrétien ? « Les chrétiens de l’Antiquité ont usé des modes de la pensée juive, des catégories philosophiques de la pensée grecque, des techniques de discours de la rhétorique grecque et latine, pour formuler une théologie qui s’est affirmée au fil du temps » p.12. Reste à définir la foi – entre hérésie et orthodoxie, gnose et manichéisme. « Au cours du 2ème siècle, on assiste à la marginalisation des communautés chrétiennes d’origine juive (le judéo-christianisme) au profit des communautés chrétiennes d’origine païenne (le pagano-christianisme) : ce seront ces dernières qui s’érigeront progressivement en « Grande Église » p.30. Et c’est bien là où la foi rencontre le siècle, où la croyance entre en société.

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La doctrine de l’Église s’élabore au 4ème et 5ème siècle. Puis il faut édifier les structures chrétiennes, organiser les églises, établir le culte et la liturgie, christianiser l’espace et le temps, reconnaître la dignité des pauvres et pratiquer l’assistance. Partir enfin en quête de perfection par l’ascétisme et le monachisme.

« Quatre conciles œcuméniques ont fondé la doctrine chrétienne :

  1. Nicée en 325 : le Fils n’est pas subordonné et inférieur au Père mais de même substance ;
  2. Constantinople en 381 : l’Esprit-Saint est adoré et glorifié à l’égal du Père et du Fils, l’église est « catholique » ;
  3. Éphèse en 431 : affirme l’unique nature du Verbe incarné ;
  4. Chalcédoine en 451 : union des deux natures parfaites dans le Christ incarné » p.80.

Des intellectuels chrétiens vont confirmer la foi, ils sont les Pères de l’Église : Basile, Grégoire de Naziance, Jean Chrysostome, Jérôme et la Vulgate, saint Augustin. « Pour Augustin, la nature humaine est immédiatement marquée par le péché, et nous ne pouvons accéder au salut par nos mérites personnels ou nos bonnes œuvres : seule la grâce divine peut nous sauver. (Son adversaire, qui soutient le contraire, est le britannique Pélage). En accomplissant strictement la loi divine, chacun pouvait parvenir à la perfection, et Dieu devait le récompenser de ses mérites (ou le punir de ses fautes) dans la vie future » p.123.

Il est alors loisible d’annoncer l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre, au 5ème siècle dans l’Empire romain, ensuite aux marges et aux barbares.

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Le Moyen-Âge, du 5ème au 15ème siècle, n’est ni légende noire ni légende dorée

En cette période, le christianisme se consolide et s’étend. Saint Benoît, mort en 547, est le père des moines d’Occident. Grégoire le Grand est un passeur à ses dimensions. Autour de l’an mil naissent les chrétientés nouvelles : Rome, tête de l’Église latine à partir du 11ème siècle et Byzance devenue Constantinople qui se différencie. Saint Bernard de Clairvaux, mort en 1153, fonde la communauté des moines cisterciens, la cathédrale naît.

Affirmations et contestations induisent des réponses pastorales. La première croisade est lancée en 1095. « Un seul point réunit en effet les trois poussées de l’Europe latine : elles répondent toutes trois à l’appel des Chrétiens soumis à l’islam et opprimés, Mozarabes d’Andalousie, Grecs de Sicile et Chrétiens de Palestine » p.190.

ainsi soient ils cardinaux

Les hérésies fleurissent et, en 1231, le pape Grégoire IX instaure l’Inquisition pontificale, juridiction d’exception dérogatoire à tout droit, qui enquête d’office de façon totalement secrète et qui vise l’aveu. François le pauvre d’Assise, mort en 1226, crée un ordre mendiant. Thomas d’Aquin, mort en 1274, écrit sa Somme. Car il s’agit d’œuvrer à son salut, de réfléchir au Purgatoire et à l’au-delà, de réguler le culte des saints, des reliques et des pèlerinages.

« Au lendemain du 4ème concile de Latran (1215) la Vierge, modèle d’obéissance au Père, est proposée comme modèle de normalisation de l’Église. A elle de montrer l’exemple aux ordres religieux, de guider les âmes à la découverte du mystère de Dieu, d’inviter les fidèles à devenir des chrétiens exemplaires » p.243. Notre-Dame de Paris s’élève tandis qu’explosent les œuvres de charité aux 12ème et 13ème siècle et que naît le culte du Saint-Sacrement.

Jean Hus, mort en 1415, est l’hérétique majeur dans cette quête de Dieu qui saisit les mystiques d’Orient et d’Occident, soucieux d’imiter Jésus-Christ. La sainte Inquisition sévit. Elle nous choque aujourd’hui, dans la suite du film « l’Aveu » et des procès staliniens, si proche d’elle dans l’imaginaire. Mais « ces actes de foi, qui choquent au 21ème siècle, n’ont pas au 13ème l’impact que l’on pourrait imaginer. Pour la majorité de la population, il s’agit de cérémonies pénitentielles et purificatrices qui réduisent une fracture et marquent un retour à l’unité et à l’harmonie. Le châtiment des hérétiques – qui ont offensé Dieu – est, pour les fidèles demeurés dans l’orthodoxie, promesse d’éternité, motif de liesse et non de deuil. La solidarité spirituelle et sociale ne se noue pas autour des hérétiques, mais contre eux. En effet, l’enjeu profondément éprouvé, tant pas les inquisiteurs que par l’énorme majorité de la population, est le salut de tous » p.202. Cette remarque sur l’Inquisition ne s’applique-t-elle pas telle quelle à la mise en scène des procès réguliers, sous Staline ? Comme aux meurtres et autres « martyres » des islamistes en Europe ? Comme quoi le monde contemporain reste imbibé de l’empreinte chrétienne, même chez les athées communistes les plus militants, même chez les musulmans intégristes…

Alain Corbin (sous la direction), Histoire du christianisme, 2007, Points 2013, 468 pages, €10.00

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Laïcité

Tout le monde en parle et personne ne sait vraiment ce que c’est… notamment les textes officiels français !

Tous ignorent le terme « laïcité » et, quand ils emploient le mot « laïc », c’est dans des sens différents. « La République est laïque », affirme la Constitution de 1958, mais la définition de ce que cela signifie n’est écrite nulle part. Si l’on remonte aux débats parlementaires de la Constitution de 1946, on observe deux conceptions alors affrontées :

  1. La séparation militante des églises et de l’État, sur le modèle de la loi de 1905 ;
  2. La neutralité de l’État à l’égard de toute religion, issue de la liberté de conscience définie par la Déclaration des Droits de l’homme de 1789 (art.10) et de la liberté de culte admise par la Constitution de 1791.

Le mot « laïcité » n’apparaît dans le dictionnaire du français qu’en 1871 – lorsque le Pape est enfermé au Vatican par les armées. Il n’est pas un concept universel, l’anglais ne retient par exemple que « secularism » qui signifie avant tout attachement au monde, au temporel, libre-pensée, doctrine des partisans de la laïcité, voire matérialisme. « Laical » et « laicize » ont été empruntés au français pour figurer ce terme abstrait du Grand Principe, qui n’a guère de signification pour les anglophones. L’école « laïque » est ainsi pragmatiquement appelée « non-clerical » ou « undenominational » (sans appartenance revendiquée).

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La Convention Européenne des Droits de l’homme ne reconnaît que la liberté de conscience (art.9) et la non-discrimination (art.14) – pas « la laïcité ». Nombre d’Églises sont officielles ou établies en Europe : au Royaume-Uni, au Danemark, en Finlande, en Suède jusqu’en 2000, en Grèce. La croyance y a-t-elle pour cela plus de poids en politique ? Il est permis d’en douter. Au contraire, même : les gens de gauche n’ont pas à masquer leurs convictions tranquilles, élaborées en deux millénaires, sous des rodomontades en –isme et des appels aux barricades. La liberté, l’égalité, la fraternité, sont des valeurs issues des Évangiles ; elles ne sont pas nées toutes armées dans les cerveaux pages blanches des Révolutionnaires, même français…

Le dictionnaire Robert (éd. 1973) définit la laïcité comme « principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique. » Force est donc de constater que la laïcité reste un concept négatif : on ne reconnaît pas, on ne finance pas (loi de 1905), on exclut de la sphère publique d’État (Constitution de 1958).

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Cet aspect négatif a été transformé en argument de combat par les militants anticléricaux.

L’histoire française a en effet été marquée – bien plus que d’autres ! – par la lutte entre les pouvoirs spirituels et temporels. Il faut dire que l’Église, aveuglée d’orgueil, a exagéré : les pouvoirs de l’Inquisition se voulaient absolus, le Pape en ses États se voulait souverain et ayant le pas sur les rois, l’orthodoxie catholique condamnait tout écart aux textes (Galilée, Voltaire, Diderot, La Mettrie…). Nombre de monarques ont pris du champ et secoué la tutelle : l’Angleterre où le roi s’est fait proclamer chef de l’Église par ses évêques, Philippe le Bel et le gallicanisme début 13ème siècle. Sous Louis XIV, monarque absolu adepte de « l’État c’est moi », l’évêque Bossuet défendra l’idée que le Pape et l’Église n’ont de pouvoir « que » spirituel.

Les Lumières affirment avec raison le mouvement des idées et du libre-arbitre contre l’obscurantisme des croyances. L’éducation doit mettre en garde les petits d’hommes contre l’obéissance sans examen et contre le fanatisme. Mirabeau et Condorcet veulent arracher l’éducation aux prêtres pour former des citoyens. Rien d’étonnant à ce que le Pape ait condamné la Révolution et sa volonté de remplacer l’homme pécheur que seule la Grâce divine peut racheter (par l’intermédiaire de l’Église) en individu émancipé, fort de ses droits et de sa raison. La Restauration de 1814 va d’ailleurs faire de l’Église le soutien naturel aux forces conservatrices et ‘réactionnaires’ (ce qui veut dire ‘désirant un retour de fait à l’Ancien Régime’). Le Pape Grégoire XVI condamnera même le catholicisme « libéral ».

Le conflit se focalisera sur l’enjeu scolaire : qui maîtrise l’enseignement maîtrise l’idéologie de l’avenir. L’État en France se veut interventionniste, porteur d’une idée du bien commun. Tout le militantisme ‘de gauche’ depuis deux siècles s’est investi pour garder la forteresse, ce pourquoi les « affaires » de voile restent si sensibles. La loi Falloux libère l’enseignement scolaire en 1850, Jules Ferry expulse les Jésuites en 1880, l’enseignement primaire devient gratuit en 1881, les programmes non-confessionnels en 1882, le personnel doit être laïc en 1886. Le respect des différences et l’autonomie communautaire ne doivent pas être poussés jusqu’à nier l’instance supérieure : la citoyenneté. Garantir à tous l’égalité devant la loi signifie contenir la guerre des tribus politiques, religieuses ou ethniques par la « volonté générale » – supérieure. Clermont-Tonnerre en 1791 : « il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus. » Deux siècles plus tard, la République tente de dire la même chose aux Musulmans (dont les plus sectaires n’écoutent pas).

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Mais la neutralité républicaine n’est pas la séparation radicale.

Trois départements de l’Est, retournés à la France après la victoire de 1918, conservent leur régime de cultes reconnus à financement public… C’est donc que ce régime n’est pas contraire à la Constitution, puisque les deux Constitutions de 1946 et 1958 ne l’ont nullement remis en cause ! En conséquence, la loi Debré de 1959 subventionne certains établissements confessionnels, sous condition contractuelle. Il s’agit donc d’impartialité plus que de séparation. La Décision du Conseil Constitutionnel du 19 novembre 2004 précise cette position moderne et de bon sens :

  • Elle interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes.
  • Cette interdiction s’adresse aux individus dans leurs relations avec les collectivités publiques.
  • Elle ne limite la liberté religieuse que lorsqu’elle vise à nier l’État. Elle porte non sur la croyance (qui reste libre) mais sur son utilisation.
  • Elle rappelle que tout citoyen comme tout individu autorisé à demeurer sur le sol national doit respecter les règles communes définies par la loi.

Point d’ethnocentrisme jacobin visant à transformer l’homme – mais point non plus de laxisme laïc, ce qui favoriserait les radicaux intolérants. Le contrat social français sépare la justice du Bien. La première est du ressort de la loi, votée par les citoyens en société, et révisable. La seconde est du ressort des convictions de chacun, qui peuvent être religieuses et croire en une Vérité révélée, ou ressortir de l’usage humain de la raison.

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Une société sûre d’elle-même sait « jouer », elle sait prendre ses distances face aux valeurs, en évitant le pire : cet « esprit de sérieux » (Sartre) des militants de tous bords.

Les Français aiment les guerres de religion pour un peu tout. Cela se traduit aujourd’hui par « des polémiques », et les média en raffolent car elles font vendre. Mais le chiffre des ventes est-il le seul critère de la vérité ? À chacun de savoir raison garder et de privilégier toujours les procédures aux anathèmes : les règles et le droit sont des contraintes nécessaires de la vie en commun. Elles permettent de modérer et de socialiser.

La liberté de conscience est intérieure, la liberté d’exprimer et de manifester doit demeurer soumise à la loi. Encore plus la liberté d’agir selon ses seules convictions intimes !

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Religion et foi

Pour moi, toute croyance métaphysique est du ressort de l’intime.

Nul ne peut se mettre à la place d’un autre à cet égard. Il s’agit en effet des fins de l’existence et de l’éventuel au-delà. Aucune « preuves » n’en peuvent être données autres que la Présence, ou l’envie de suivre un être exemplaire. La conviction naît en chacun, par conversion profonde ou par abandon au Guide, modèle de perfection ou maître de vie. Paul est renversé sur le chemin de Damas, Claudel bouleversé derrière le pilier droit du chœur de Notre-Dame. À l’inverse, Pascal fait le pari raisonné de croire, avant d’être saisi de « feu ». Je respecte ces convictions, puisqu’elles sont de l’ordre de l’intime. Mais je ne tiens pas à ce qu’un prosélytisme quelconque envahisse mon existence. En cela, je suis « laïc ».

religions dans le monde carte

Je distingue en effet la foi et l’église, la croyance et la tradition religieuse.

Pour ma part, je ne suis pas un « croyant ». Sur le fond métaphysique, je reste à la porte. Les spéculations sur ce qu’on ne peut pas connaître me paraissent stériles, elles n’ont pour moi pas de sens, pas de signification. Ou plutôt, ce qu’elles signifient n’est pas ce qui rationnellement me touche, ni ne me passionne, ni sort du ventre. Le sens est hors de toute raison, dans l’angoisse profonde et l’espérance – pas dans l’entendement mais dans l’émotion et l’instinct. Le sens humain n’est donc pas complet, inabouti. Il n’y a « pas de sens » parce que ni l’instinct, ni l’émotion ne sont « penser ».

Toutes les religions universelles se ramènent au fond à deux dispositions :

  1. Un abandon face à l’adversité (croire, tout simplement, sans raison)
  2. Le refus de la réalité et l’espérance qu’un autre monde est possible (sans que l’on fasse quoi que ce soit pour qu’il advienne)

Autrement dit la trilogie catholique : la foi, l’espérance et la charité.

Il s’agit bien de propensions intimes, irraisonnées, qui ressortent d’un déficit du vital, d’une déprime intérieure, de l’émotionnel exacerbé et de l’affolement face à tout ce qui change, qui bouge, qui surprend, d’un désir d’abdication et de refuge, d’être à nouveau petit enfant irresponsable que papa ou maman prend en charge. Avez-vous noté que les périodes de foi mystique naissent lors des grands bouleversements des peuples, dans l’Exil à Babylone, durant la migration hors d’Égypte, lors de la colonisation romaine, à la fin de l’Empire lézardé par les jeunes et vigoureuses invasions barbares, lorsque la Renaissance incite à la Réforme, après la chute de la dernière monarchie française et la défaite face aux Prussiens, à la suite de la boucherie de 1914, depuis la crainte sur le pétrole ou le nucléaire et les angoisses sur le climat, à la suite de l’échec des « printemps » arabes et du chaos qu’y a mis la liberté dans des pays encore archaïques ?…

Et pourtant, « l’autre monde » possible existe : il est celui d’à côté – pas celui d’hier ni celui d’au-delà.

Il est ce monde des autres qu’il nous faudrait découvrir, explorer et penser : Babylone pour les Hébreux, Rome pour les Juifs, les dits ‘barbares’ pour les Romains, les Protestants pour les Catholiques, l’Allemagne pour les Français après Sedan et avant 14, l’imagination, la recherche et l’inventivité industrieuse pour le climat et la gestion des ressources, l’islam même pour les ignorants qui n’ont jamais lu le Coran ni abordé la culture ni l’histoire…

Mais, plutôt que se colleter aux réalités, il est tellement plus facile de s’évader dans les fumées de l’Ailleurs, n’est-ce pas ? L’avenir radieux est sans cesse remis à demain car “le diable” (ou les Méchants) l’empêchent de se réaliser ici et maintenant. Il faut donc “prier”, se ressourcer dans “la foi”, la doctrine pure et sans tache, le littéral des Livres saints (Bible, Coran ou Das Kapital) et faire confiance aux clercs, ayatollahs, imams, rabbins, gourous, commissaires politiques gardiens de “la ligne” ou intermédiaires autorisés par l’Église entre Dieu et les pécheurs. Ne pas penser soi, s’abandonner entre les mains du Père, se soumettre (sens du mot islam).

Judaïsme Johann Sfar Le chat du rabbin

Est-il étonnant que ceux qui s’abandonnent le plus à l’au-delà soient ceux à qui la réalité de leur présent ne fait aucun cadeau ?

Les post-Romains se réfugient en monastères, hors du temps, dans un espace clos. La France féodale est angoissée de l’an mil, inquiète du Diable et des sorcières, aspirant à pèleriner pour chasser l’hérétique en Languedoc, sur le chemin de Jacques, et demain à Jérusalem. La mystique rhénane naît dans l’Allemagne des Grands Féodaux. Les pauvres Espagnols partent se tailler des empires en Amérique. Les Puritains anglais, persécutés, partent défricher la terre promise outre-Atlantique. Il n’est pas jusqu’aux hippies des années 60 sur les chemins de Katmandou, de Goa et de Bali qui n’aient été voir ailleurs, tenter de vivre autrement, s’évader dans la fumée et élever pour un temps des chèvres en tissant leurs vêtements. Ou Daech et son culte de la violence et du martyre, qui attire les âmes faibles éprises de discipline et d’absolu.

Dans tout cet exemplaire dépressif et auto-répressif, même les soi-disant laïcs, écolos mystiques qui se croient à gauche aujourd’hui puisent à l’envi : prêches enflammés contre le « luxe » et la luxure, contre la vanité et la dépense, militantisme pour une morale de l’austérité, de l’économe et de la rétention ; croisade des « enfants » ; conversions « naïves » ; récits rêvés d’apocalypses ; « miracles » édifiants…

christianisme mediavores

Max Gallo, historien populaire et essayiste sur l’État, a conté la geste chrétienne de la Fille aînée de l’église en trois volumes parus au début du second millénaire : saint Martin ou le manteau du soldat, Clovis ou le baptême du roi, Bernard de Clairvaux ou la croisade du moine. Il déroule, sans guère d’esprit critique, les images d’Épinal de « notre histoire de France » largement écrite par l’Église officielle sous la forme d’une Légende Dorée. Elle se décline en mystique (Martin), en politique (Clovis ou Louis 1er) puis en impérialisme (Bernard fondateur d’Ordre et prêcheur de croisade). Le premier volume est le plus mièvre, opposant comme Bien et Mal un Romain antique et son fils christo-hippie. Le premier est féru de lettres et de morale, amateur de vin et de jeunes femmes, le second est dépeint sentimental hystérique, ignorant et refusant d’utiliser son esprit pour se réfugier dans l’offrande passive de « la prière », frappé d’exemples martyrs, aspirant à s’humilier dans la boue, se châtiant sous la pluie glacée et refusant tous les plaisirs venus des autres et de la nature. L’humain n’a-t-il donc le choix qu’entre l’ange et la bête ? Ne sommes-nous point debout mais faillibles, vaillants mais aveugles ? C’est en tâtonnant que l’existence se révèle, il faut de la force pour aller de l’avant. Max Gallo le reconverti, lors du baptême du bébé Antoine en 2001 ainsi qu’il le raconte, a le zèle du néophyte pour croire en cette histoire sainte avec la foi du charbonnier.

J’avoue comprendre mieux le Bouddhisme sur ce sujet.

Lucide sur l’Illusion (ce voile de Maya) et tenté un temps par le renoncement (Bouddha fut ascète), il a résolu bien mieux que le Christianisme cette panne d’énergie, ce déficit vital et psychologique qui frappe ici ou là les hommes lorsque les temps déstabilisent les sociétés. Contrer l’Illusion consiste pour le bouddhisme non à rêver d’un autre monde, d’une Cité de Dieu ailleurs que sur cette terre, ou d’un combat paranoïaque contre tous ceux qui ne croient pas exactement comme vous, mais à démonter signe à signe ce que l’on croit être vrai pour pénétrer le cœur des choses. Il s’agit de discipline qui passe par :

  1. la maîtrise du corps (le yoga, les arts du zen),
  2. la domination des passions (selon des exercices respiratoires et spirituels)
  3. la méditation intellectuelle la plus poussée (sous la direction d’un maître).

Point d’abandon alors, entre les mains d’un Père ni dans un néant quelconque – mais une énergie canalisée en soi, prête à rejoindre les énergies du monde. Pour certains Chrétiens eux-mêmes, la « prière » n’est pas s’abîmer en Dieu mais l’instant d’un retour sur soi pour un ressourcement intime.

Reste la tradition

Elle est culture et j’y participe, étant tombé dedans petit avec le baptême, les cérémonies, la messe, le patronage, les scouts, l’aumônerie du lycée. A noter, pour l’histoire, que si j’ai rencontré en catholicisme beaucoup de sentimentalité, de névroses, une phobie hystérique de la nudité, une angoisse viscérale du sexe et les affres permanents de la conscience coupable – je n’ai pas rencontré de pédophiles ni d’homosexuels déclarés. Il y a une hystérisation probable de cette infime minorité dans les faux (ou très exagérés) souvenirs d’aujourd’hui. Axel Kahn n’a-t-il pas déclaré lui-même au Club de la presse d’Europe 1 qu’un curé qui le regardait nager nu était un « pédophile » ? Entre le regard et l’acte, il y a me semble-t-il une différence… Mais rien de tel que la confusion pour obtenir son quart d’heure de gloire médiatique.

Je n’ai pour ma part échappé qu’aux collèges et aux pèlerinages… Peut-être est-ce surtout là que se situaient ces pratiques réprouvées ? Il va de soi que la peur de la femme, l’idéalisation de la Vierge, la frilosité envers le corps, incitent comme l’interdiction de la sexualité « normale » aux prêtres, à la déviance de pulsions de toutes façons irrésistibles ? Peut-être ces pratiques pédo ou homo – que nous réunissions par commodité sous le terme « pédé » – ont-elles été encouragées après ma période de prime adolescence, dans les suites de mai 68 que les gauchistes réprobateurs d’aujourd’hui, qui adorent faire à leçon au monde – ont encouragées et pratiquées sans vergogne pour être à la pointe de la mode rebelle ?

croix dylan michael patton 13 ans

Je ne renie pas les racines majoritairement chrétiennes de l’Europe, même si le soubassement gréco-romain et celtique, viking, est important (dans la langue, le droit, le parlement, les moeurs, et même l’architecture des églises et des cathédrales). Viennent ensuite des influences juives, notamment sur la Méditerranée, qui ont duré plusieurs siècles, l’islam un peu, même pas un demi-siècle cependant vers Narbonne et Toulouse. L’orientalisme – qui va du Maroc au Japon en passant par l’Égypte, la Perse, l’Inde et la Chine – a eu plus d’influence sur notre culture que l’islam lui-même, n’en déplaise aux soumis.

L’Europe, la France, se sont façonnées de tout cela.

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Michel Tournier, Gaspar, Melchior et Balthazar

michel tournier gaspar melchior et balthazar

Voici un conte initiatique dans le style de Voltaire qu’il n’est pas besoin d’être croyant pour apprécier. Nul ne connait rien sur les « rois » mages car seul Matthieu en parle dans son évangile et encore, en creux, selon les bons plaisirs et les colères qu’il relate du roi des Juifs Hérode. Nul ne sait même s’ils furent trois, supputation tirée des trois présents cités (mais symboliques…) que sont l’or, l’encens et la myrrhe.

Puisque l’on ne sait rien de ce mythe fondateur du christianisme, Michel Tournier invente. Un Gaspar nègre, roi de Méroé, tombé amoureux d’un couple de jeunes blancs phéniciens tombés en esclavage, elle fascinante, lui très jeune et musclé, tous deux aux cheveux d’or. Mais son amour ne lui est pas rendu et il part en voyage ; son mage ne lui a-t-il pas annoncé le passage d’une comète aux cheveux d’or qui file vers le nord ?

Balthazar, roi de Nippur, est sage et amoureux de la beauté. Il s’est entouré d’une troupe de jeunes pages qui forment une société d’élite, les Narcisses. Mais son clergé obtus a la phobie des images et détruit, en son absence, tous les trésors ramenés de Grèce et d’ailleurs.

Melchior est un tout jeune prince que son oncle veut tuer pour hériter du trône. Il s’enfuit avec un seul serviteur, vers l’ouest pour tromper l’ennemi, et échoue à Jérusalem où il se fond dans les ambassades de Gaspar et Melchior pour rencontrer le roi Hérode.

Ce dernier est bien connu des historiens et le Juif Flavius Josèphe, mort en 100 après le Christ, relate en détail son histoire de pouvoir et de sang. Michel Tournier en fait un exemplaire de grand fauve politique et il n’a pas de mots assez durs pour décrire la corruption de l’âme que procure tout pouvoir, le pouvoir absolu corrompant absolument. « La terrible loi du pouvoir (…) frapper le premier au moindre doute » p.130. Ce qui explique la solitude personnelle sans remède, l’absence totale de confiance donc d’amour, la vie desséchée sans cesse sur le qui-vive et dans l’action permanente. Une négation même de l’humain… que nos politiciens illustrent à satiété, tout comme les traders, les Tycoon et les bêtes médiatiques.

L’écrivain invente le prince Taor, 20 ans, venu de Mangalore à la recherche futile de la recette du rahat-loukoum à la pistache, et qui va manquer l’Enfant né dans la crèche de quelques jours. Il manquera de même le dernier repas du soir lors de la Cène, 33 ans plus tard. Mais il est le seul (hors les apôtres) à avoir cru sans voir, et à avoir communié sans intercesseur. La quête du sucre l’a conduit au purgatoire des mines de sel avant que sa soif soit désormais étanchée dans l’éternel.

Allègre et ironique, léger mais profond, Tournier conte la geste de la modernité sans aucune lourdeur. Il fait parler le bœuf, qui n’a pas grand-chose à dire mais reste à ruminer, et l’âne, beaucoup plus bavard mais qui ne sera plus méprisé lors de l’entrée à Jérusalem le dimanche des Rameaux. Le conteur se laisse aller parfois à son imagination, qui déborde. Ainsi du « thé vert » bu en Arabie heureuse au début du 1er siècle de notre ère (p.194) – il n’a été introduit que bien plus tard -, ou encore cette forêt de baobabs géants servant de tombeaux au nord d’Eilat (p.203). Nous sommes plus dans la Légende dorée que dans l’histoire, mais ces écarts de fantaisie donnent couleur au mythe ainsi revivifié.

Il décrit les habitants de Sodome – les Sodomites – comme « ces maudits, ces réprouvés, unis par un esprit acéré de négation et de dérision, un scepticisme invétéré, une arrogance savamment cultivée. Ils étaient trop évidemment prisonniers d’un parti pris de dénigrement et de corrosion qu’ils respectaient scrupuleusement, comme la seule loi tribale » p.259. On peut reconnaître, à peine déguisée, la critique du petit milieu homosexuel des lettres françaises des années 1970. L’auteur pousse ce retournement maléfique à la conversion de toutes les valeurs, à l’inversion des mœurs, au dépit des échanges, à la fuite du soleil, à la haine de la vie.

Michel Tournier est tout au rebours. Il invente comme il est, en gourmand des choses et des êtres. « Flâner, me mêler à la foule, regarder, cueillir des visages, des gestes, des regards, rêve délicieux », fait-il dire à Gaspar p.14. Il se pâme de regret devant la pureté : « c’est Satan qui pleure devant la beauté du monde », lui dit un sage vieillard p.18. L’écrivain est artiste qui capte le diamant d’énergie sous la banale apparence et l’éclat vital sous les traits communs. Il cherche inlassablement l’immortelle beauté pure au-delà des ravages du temps. Il fait avouer au roi Balthazar : « c’est l’éternité que j’ai trouvé en Grèce, incarnée par une tribu divine, immobile et pleine de grâce, sous le soleil, lui-même statue du dieu Apollon » p.76. Le roi Hérode le confirme : « Avoir seize ans, le ventre plat et les cuisses longues, et pour seul souci le lancer du disque ou la course de fond… Nul doute pour moi : si le paradis existe, il est grec, et affecte la forme ovale d’un stade olympique » p.139.

Bien loin du Dieu jaloux et tonnant qui exclut les images et bannit le Veau d’or, le dieu Enfant né dans la paille de Bethléem est l’annonce de temps nouveaux. Michel Tournier, en philosophe volontiers théologien, en fait la réconciliation de l’image et de la ressemblance. L’homme fut créé par Dieu « à son image », dit la Bible, mais c’était avant la Chute. Depuis l’expulsion du paradis, l’homme continue à être « à l’image » de Dieu mais a perdu sa ressemblance. Jésus vient, par son sacrifice, lui redonner. Les iconoclastes, fanatiques juifs obéissant à la deuxième loi du Décalogue, proscrivent toute image, selon eux un blasphème à la face de Dieu, montrant combien est grand l’orgueil humain de vouloir créer comme Lui des « images » et les adorer comme des idoles alors qu’il n’est de Dieu que Dieu ! Bien que clairement juive, cette croyance est reprise avec enthousiasme par les fanatiques musulmans aujourd’hui – qui pourtant considèrent les Juifs comme des chiens. Allez savoir…

Cette réconciliation de l’image et de la ressemblance, c’est l’amour chrétien. « Cette image exemplaire nous recommande de nous faire semblable à ceux que nous aimons, de voir avec leurs yeux, de parler leur langue maternelle, de les ‘respecter’, mot qui signifie originellement ‘regarder deux fois’. C’est ainsi qu’a lieu l’élévation du plaisir, de la joie et du bonheur à cette puissance supérieure qui a nom : amour » p.220.

Un bonheur littéraire et une joyeuse conception du monde.

Michel Tournier, Gaspar, Melchior et Balthazar, 1980, Folio, 284 pages, €8.20 

e-book format Kindle, €7.99

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Jusqu’où faut-il accepter la différence ?

Le voile intégral, étendard islamique affirmé (à l’inverse du voile de mode islamique), est interdit par la loi dans l’espace public en France depuis 2011 : environ 1600 verbalisations ont eu lieu en 5 ans selon Metronews… mais 78% de moins en 2015, année pourtant où des attentats inouïs ont eu lieu ! Non seulement le terrorisme musulman frappe, mais la loi est ouvertement bafouée comme si la société se couchait devant la menace. Le militantisme religieux, dans un entourage agressif, décourage les policiers et inhibe la hiérarchie. Le Mouvement pour la jeunesse et le changement de l’Algérien Rachid Nekkaz se vante de faire payer les amendes par son parti : ce qui a été pénalisé pour Dieudonné serait-il permis à Nekkaz ? cette « ingérence intérieure dans les affaires d’un pays souverain » serait-elle autorisée à l’Algérie en France et pas à la France en Algérie ? La publication par Le Monde de la corruption Bouteflika a engendré une réaction unilatérale des autorités qui n’a pas sa réciproque avec l’activisme Nekkaz.

Pendant ce temps, l’islam de France se tait, ou parle à bas bruit. Les intellos grimpent au rideau de l’islamophobie ou évitent le sujet (comme les études) de peur de se faire mal voir du politiquement correct qui règne à l’université. « Beaucoup de Musulmans ont du mal à dire ‘je’ », à s’affirmer comme individu en-dehors de la communauté, explique Soufiane Zitouni, auteur des Confessions d’un fils de Marianne et de Mahomet sur Europe 1 (Club de la presse 7/4/2016). Pour lui, l’UOIF, émanation des Frères musulmans égyptiens, crée écoles et lycées où l’antisémitisme est enseigné par des barbus, où certains profs font la ségrégation des filles et des garçons dans leurs classes et où Averroès n’est même pas dans la bibliothèque du lycée qui en porte le nom. Même si le programme de l’Éducation nationale est « globalement » enseigné, les valeurs républicaines et les mœurs françaises sont bafouées ouvertement – sans que personne (notamment « à gauche » s’en émeuve).

coeur de chair

La « diversité » signifierait-elle qu’il existe de « plus égaux que les autres » au regard de la loi ? Ou que la loi est imbécile, élaborée par des ignorants qui ne savent pas ce qu’ils préparent ? Le multiculturalisme va bien quand il s’agit de la marge : on s’enrichit de la culture des autres. A condition que la nôtre n’en soit pas déboulonnée par une discrimination positive qui dévalorise tout ce qui est occidental pour survaloriser tout ce qui est musulman. Au nom de quoi ? de la repentance ? Faut-il ignorer l’esclavage islamique dans l’histoire pour ne parler que de la traite atlantique ? Faut-il ignorer les razzias d’enfants sur les rives nord de la Méditerranée pour fournir les harems des sultans, le corps des Janissaires et les esclaves des Barbaresques ?

L’islam a à voir avec la violence et le terrorisme, dans la mesure où cette religion exige la théocratie et qu’elle s’appuie sur un corpus de textes sacrés qui ne sont pas critiqués. Il suffit de lire le Coran pour voir appeler au meurtre de tous les mécréants, ce qui n’existe dans aucune autre grande religion. La férocité religieuse en terre d’islam n’est pas exceptionnelle, loin de là. Il est même fait obligation du djihad, et si certaines interprétations cantonnent ce combat au spirituel, elles sont loin d’être majoritaires. L’islam appliqué par des pays tels l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Pakistan, l’Iran montrent combien les femmes sont des choses, les mineurs présumés « gais » pendus en Iran, les fillettes mariées et consommées dès 9 ans, la main des voleurs coupée…

Résister à ces manifestations étrangères à nos mœurs, à notre culture et à notre histoire est une décence élémentaire. Va-t-on s’exhiber seins nus sur les plages d’Alger ? Boire de l’alcool en public à Djeddah ? S’embrasser dans la rue à Islamabad ? Pourquoi ce qui est légitimement interdit ailleurs pour ne pas choquer les mœurs et la culture locale serait-il permis ici par les gens qui se revendiquent d’ailleurs ? D’autant qu’ils le font par provocation, pour manifester leur rejet, leur haine de l’Occident des « perversions et des abominations », comme il est dit dans les messages des plus intégristes. Absolument pas par « universalisme », comme ce fut le cas lors de l’affaire Dreyfus. « Lutter contre le racisme, c’est défendre l’universalité de nos valeurs, l’unité du genre humain. A l’exact opposé de l’offensive antirépublicaine actuellement à l’œuvre », rappelle Alain Jakubowicz, Président de la Licra dans Libération.

La question de qui nous sommes et de qui nous acceptons, selon quelles conditions universalisables, est la prise de conscience – bien tardive – qu’une société n’est pas un contrat de pure forme mais une existence en commun.

couple haine Mad Season

Quand le commun s’efface au profit de communautés qui se ferment, nous avons le droit de ne pas l’admettre et de l’exprimer haut et fort, y compris dans les urnes si les élites ne le comprennent pas. L’ouverture à l’autre dépend de l’autre – et de sa réciprocité : nulle ouverture ne dure bien longtemps si elle reste à sens unique ! Il faut vouloir vivre ensemble, y avoir un intérêt mutuel – ou être rejeté légitimement si l’on manifeste son refus. L’immigration massive, les ghettos des quartiers, les trafics qui font régner l’omerta, transforment les individus en blocs identitaires. Pourquoi persister à le nier ?

Les musulmans ne sont pas « par essence » différents et fermés, ceux qui se revendiquent salafistes (intégristes des textes d’origine) choisissent de le devenir, souvent à la deuxième ou troisième génération ; les convertis garçons et filles s’enferment dans la bande et la croyance, c’est leur choix. Toutes les cultures sont d’égale dignité. Mais nous vivons dans un pays où nous devons demeurer ensemble. Chacun doit donc y mettre du sien, même si l’économie va mal, le chômage touche plus les jeunes et encore plus les minorités visibles, que l’Éducation nationale a démissionné dans les « quartiers ». Bien sûr qu’il faut du social et de l’investissement. Mais si la croyance compense dans l’au-delà les frustrations par le martyre, elle ne saurait s’imposer à tous, ni par la provocation, ni par les armes. La loi est la règle commune, elle sépare les églises et l’État, et assure l’égale condition des hommes et des femmes, tout en protégeant l’enfant jusqu’à sa majorité. Pourquoi devrions-nous admettre la revendication théocratique, le rejet des lois non admises par la religion, la ségrégation des sexes et la consommation sexuelle dès 9 ans ?

L’idéologie libertaire où chaque désir doit être comblé et chaque caprice assouvi n’est plus acceptée (si d’ailleurs elle l’a jamais été) – surtout si elle va à l’encontre des désirs des autres. Les lois et les mœurs ne sont pas intangibles, elles évoluent, mais pas de force. L’exhibitionnisme identitaire n’est pas plus tolérable à l’extrême-droite qu’à l’extrême-islam. Ces jusqu’au-boutismes rejettent tous deux les Droits de l’homme et les Lumières. A trop tolérer les frasques salafistes, on risque de se retrouver avec une réaction fasciste – ce ne serait pas la première fois que les élites auraient failli.

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Jacques Berlioz, Le pays cathare

jacques berlioz le pays cathare

Les historiens le savent, « le » pays cathare n’existe pas. Il existe des régions d’hérésie, déviantes de la foi catholique romaine, mais la notion de province colonisée par le nord, en butte à la répression politique des évêques de Rome et résistante en ses châteaux, est une construction mythologique. Les châteaux dits « cathares » ne sont PAS cathares mais édifiés par les seigneurs inféodés au roi de France pour défendre le comté des incursions catalanes, sarrasines et des vicomtes rebelles aux comtes reconnus par le roi.

Mais le catharisme a existé, comme croyance. Elle se voulait plus « pure », fondée sur une interprétation plus littérale des Évangiles, avec certaines superstitions concernant la guérison par imposition des mains et la migration des âmes (métempsychose). La Maison des religions médiévales et de leurs expressions méridionales, installée à Fanjeaux dans l’Aude, a mandaté une équipe internationale d’historiens qui a livré en 1998 un rapport d’étude sur le sujet. C’est ce rapport – technique – métamorphosé en livre lisible pour le grand public, qui est publié en poche.

Il fait le point utilement sur « le phénomène cathare », replacé dans son contexte plus général des « contestations évangéliques » (Vaudois, Franciscains spirituels, Béguins du Midi) et en cohabitation avec la présence un temps de l’islam, des juifs et des superstitions païennes. L’étude des réseaux monastiques et de l’encadrement paroissial, des rites et dévotions dont les pèlerinages, vient compléter cet aspect « cathare ».

Celui-ci est lié au mouvement de la société, plus urbaine, lettrée et commerçante, et se développe par la contestation politique entre puissants voisins : Prince noir d’Aquitaine, comte de Toulouse, vicomte de Trencavel, papauté d’Avignon, roi de France.

« Il paraît clair que le catharisme a pris naissance en milieu urbain, d’autant qu’il valorise les activités de transformation et d’échange et que, en opposition avec la doctrine de l’Église, il élimine toute contradiction entre le négoce, le commerce de l’argent et le salut. Il propose également une sociabilité religieuse bien adaptée à la demande des élites urbaines, qui savent désormais lire, écrire, compter et raisonner » p.24. L’Église ne parle que d’autorité et d’allégeance, les Parfaits cathares ne parlent que d’Esprit qui circule : cherchez l’écart. Le jour où les clercs d’Église seront pauvres et investis dans la vie communautaire des villages, et où le Purgatoire sera instauré comme antichambre du Rachat (p.258), la légitimité catholique sera retrouvée. Ce sera le rôle des ordres mendiants qui fleuriront après le bûcher de Montségur (p.47).

Mais la dérive de l’Église catholique n’a jamais cessé : après les Cathares ce furent les sorcières, les Sarrasins, puis les Protestants, la Révolution, le communisme… Le pape François, tout sympa qu’il soit, pourrait éviter d’appeler à l’austérité et à la redistribution des richesses tant qu’il continue à vivre dans des palais somptueux et à conserver des richesses immenses qu’il ne produit en rien. En ce sens, le catharisme n’a jamais cessé, appelant à l’esprit plutôt qu’à la matière, à l’aide aux gens plutôt qu’aux points de doctrine.

sorciere seins nus brulee

L’hérésie sous toutes ses formes sera combattue avec opiniâtreté et rigorisme, et il est bon de noter que Staline s’inspirera du manuel des inquisiteurs pour fomenter ses procès aux dissidents. Qui n’abjure pas des faits souvent imaginaires ou des façons de penser non orthodoxes, est torturé, condamné à faire pénitence par pèlerinage, ou au bûcher s’il est relaps (retombé dans le péché d’hérésie). « Il s’agit très clairement d’un contrôle social – étendu dans les campagnes les plus reculées – plus que d’un contrôle religieux, et ses incidences politiques semblent évidentes (…) la réduction de tous les éléments locaux susceptibles de nuire à la puissance monarchique » p.62. Il n’y a d’hérétique que celui désigné comme tel – façon d’asseoir sa puissance par le fait d’énoncer « sa » vérité en Vérité divine, absolue. Après les communistes, les islamistes ne proclament pas autre chose.

Les musulmans en Languedoc font justement l’objet d’un chapitre dû à Philippe Sénac (historien du Moyen-Âge à l’université de Poitiers). Les incursions musulmanes sont très exagérées, au nord des Pyrénées, « les sources arabes n’y font guère allusion » p.163. Trois expéditions principales ont laissé des traces, celle d’Al-Samh sur Narbonne et Toulouse en 721, celle d’Anbasa en 725 vers Lyon et peut-être Autun et Sens, celle Abd al-Rahman al-Gheliq en 732 via Bordeaux, arrêtée à Poitiers par Charles Martel. Les raids se poursuivirent, mais plus coups de main et enlèvement de richesses et d’êtres humains que d’occupation réelle. « À l’exception de quelques objets (…) les traces de cette présence musulmane restent peu nombreuses » p.169. En bref et contrairement à l’idéologie militante qui voudrait nous faire croire autrement, des contacts, mais une présence de moins d’une génération… Bien moindre que la présence juive, attestée dès l’époque romaine et jusqu’à l’excommunication de 1305, puis l’expulsion de 1394 (p.182).

Voici un recueil d’études récentes qui fait utilement le point sur l’état de la recherche scientifique sur les Cathares et autres « hérésies » au dogme catholique dans ce haut Moyen-Âge récupéré par le tourisme.

Jacques Berlioz (CNRS direction de recherches), Le pays cathare – Les religions médiévales et leurs expressions méridionales, 2000, Points Histoire, 319 pages, €7.60

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Utopie ou projection pour Nuit debout ?

La mentalité utopiste est un fait psychologique proche de la schizophrénie. L’utopie est fixiste alors que tout ne cesse de changer et que chacun le sait. Elle est antihistorique alors que l’histoire ne cesse de se faire malgré tout et malgré la réticence de tous. Ce pourquoi qui rêve d’un « autre monde » parfait, ici-bas ou au-delà, se situe en-dehors de la réalité. D’où la schizophrénie, perceptible lors des Nuits debout, « un désir de fusion aussitôt remplacé par une envie de séparation définitive » selon le site Doctissimo.

Certains ne le voient pas, qui se contentent de rêver en poètes, certains autres en sont conscients, qui organisent leur utopie rationnellement comme on prévoit le tableau de financement d’une entreprise. Ceux-là savent que le réel va modifier les données et que leur épure ne sera jamais réalisée telle qu’elle a été pensée – mais elle est un guide pour l’action.

Laissons les rêveurs à leurs rêves, leur cas est désespéré. Perpétuellement insatisfaits de ce qu’ils sont et où ils sont, ils n’ont que ressentiment pour ce monde qui ne les a pas récompensés comme ils le voudraient, pour cette société dure qui les ignore comme perdants. Ils ne se posent pas la question de savoir quelle est leur part de liberté qu’ils n’ont pas utilisée, leur part de responsabilité qu’ils n’ont pas prise, leur part d’infantilisme qu’ils n’ont pas surmontée. Ressentiment, paranoïa et complot est leur lot. Soit ils sont niais, soit ils ont « l’intelligence d’un cendrier vide », selon la formule belge à qui l’on doit les Molenbeek et autres lâchetés du laisser-faire et du renoncement.

vierge a l enfant dans le metro alexey kondakov

Gardons le cas de ceux qui anticipent, leur utopie étant la projection dans le futur des choses telles qu’ils voudraient qu’elles soient. Cette tendance-là de l’utopie est un phénomène socio-historique plus qu’une tendance psychologique de fond. Les choses vont mal, et de mal en pis : donc que pouvons-nous penser pour qu’elles aillent mieux, ou dans un meilleur sens ?

Nul ne devient révolutionnaire par savoir, mais par indignation. Le savoir ne vient qu’ensuite remplir et préciser la protestation initiale. Bien sûr, il y a les professionnels du choqué qui se content de gueuler et sont pour cela très contents d’eux. Ils ne veulent surtout pas sortir de cette posture, car il s’agirait de s’engager, de proposer du positif, du concret ; il s’agirait de faire – de s’investir. Ceux-là restent sur « l’Indignez-vous ! » du papy de la résistance, ils discutent à perdre haleine durant les nuits debout (sagement assis devant ceux qui « s’expriment »). Ceux-là « posent des questions », « cherchent à comprendre ». Ils ne feront jamais rien, jamais sûr d’eux ni des autres, surtout pas prêts à aliéner leur individualisme à un projet collectif avec lequel ils seraient – forcément – « pas tout à fait d’accord », puisque telle est l’essence de la démocratie que le débat suivi du compromis. Vous avez là ce qui explique l’échec permanent de la fausse révolution permanente du parti écolo hé hé el Vé (écho à hé ho la gauche) !

La dernière grande utopie laïque fut celle du communisme, dégénérée en socialisme, lui-même crevé par perte de sens. Les intellectuels qui ont adhéré au communisme, tout comme les dirigeants d’origine ouvrière, ont été influencés à la fois par les Lumières et par le catholicisme – les grandes utopies qui ont précédé. L’instituteur et le curé ont inspiré les gamins qui, devenus adultes, ont adhéré aux idées généreuses du paradis futur. Thorez, Duclos, Vassart (secrétaire à l’organisation et représentant du parti communiste français au Komintern) ont eu une très forte éducation religieuse, Benoît Frachon avait un frère curé, Vaillant-Couturier avait été avant 1914 l’auteur de poèmes mystiques. Dostoïevski lui-même, dans son Journal d’un écrivain (Pour 1873, Pléiade) écrivait : « Il est de fait, à la vérité, que le socialisme naissant était alors comparé, même par certains de ses meneurs, au christianisme : il était pris en somme pour une correction et une amélioration du christianisme en fonction du siècle et de la civilisation ». Raymond Aron dira, dans L’opium des intellectuels (1955) que « le communisme me semble la première religion d’intellectuel qui ait réussi ».

C’est ainsi qu’il faut comprendre Nuit debout, du moins la fraction qui discute et veut changer le monde – pas celle qui vient pour jouir, se faire voir et casser du bourge. Fraction qui « cherche à comprendre » et qui est nuit après nuit récupérée par les seuls un tant soit peu organisés, Lordon et son Fakir, par exemple.

Le débat démocratique sur l’agora, mouvement spontané sympathique, dégénère en réunion informelle de toutes les sectes utopistes pour qui le yaka compte plus que la proposition politique pour la cité. S’y manifeste volontiers une pensée alimentée de surenchère révolutionnaire, d’idées courtes et de slogans simplistes « pour les nuls ». Car toutes ces réflexions tournent autour d’une même obsession : la pureté – de la représentation, des votes, des élus, du droit, du travail, des salaires. Rien de plus dangereux que ce fantasme de pureté ! Que ce soit la race, la classe ou l’idée, le pur exclut tous ceux qui lui paraissent contaminés ou carrément impurs. C’est que ce font les islamistes (qu’on ne saurait confondre avec les musulmans), c’est ce que font les gauchistes, les écologistes, hier les communistes, les catholiques – en bref tous ceux qui croient détenir LA vérité unique et éternelle…

me myself and i mediavores

Rien de positif dans cette utopie de « pureté », rien que du négatif au contraire : « ne pas » ci ou ça, empêcher la casse, résister. L’exemple du concept de socialisme nous éclaire à ce sujet. Inventé vers 1840 pour désigner le contraire de ce qui faisait mal, « le capitalisme ». Personne ne savait trop ce qu’était en réalité le capitalisme (système d’efficacité plutôt qu’idéologie) mais cette poupée-vaudou était un repoussoir commode pour tout ce qui n’allait pas. Quant au « socialisme », cette chimère (à qui Marx ne donnera que plus tard une caution « scientifique »), il était un peu en 1840 comme la licorne : une bête fabuleuse qui n’a jamais existé, composée d’éléments disparates pris dans les bêtes réelles. L’utopie de Nuit debout ressemble fort au socialisme infantile d’il y a quasi deux siècles…

Il est vrai que le peuple a besoin d’illusion car la vérité lui parait trop effrayante. Les manipulateurs ont toujours joué sur ce besoin « religieux » de donner du sens là où il n’y a que l’histoire en train de se faire, sans dessein ni volonté. Les Bolcheviks ont ainsi offert la paix, la terre, le pain et le pouvoir aux soviets locaux – leur réalité au pouvoir fut la guerre civile, la collectivisation, la confiscation du grain et la famine, la dissolution de l’Assemblée constituante et le pourvoir absolu du Parti unique et de la Tcheka, son bras armé. Alors que la société occidentale s’appauvrit, économiquement et intellectuellement, que le travail est perçu comme exploitation (sauf aux États-Unis où l’on « crée » des entreprises), que le jouir est élevé au rang de philosophie (après les attentats du 13 novembre), que le terrorisme incite au repli et à l’intolérance, que le matérialisme le plus ras de terre occupe les cœurs et les esprits – l’utopie de la nuit debout semble apporter la lumière.

  • Oui si cette utopie est projection dans l’avenir, consciente des négociations exigées avec les autres citoyens et des adaptations nécessaires avec le réel.
  • Non si elle se contente d’être ce rêve béat du niais qui croit au grand « yaka », aussi intelligent qu’un cendrier vide prêt à s’emplir de n’importe quel mégot capté sur Internet ou auprès des sectes manipulatrices.

Le phénomène religieux, au sens étymologique d’être relié, est un élément permanent du rapport au monde – même si religion ne signifie pas forcément croyance en un quelconque dieu. Mais ce phénomène n’est utile à l’être humain que comme élément dialectique pour le faire avancer, entre transcendance et finitude, entre collectif citoyen et personne individuelle. Pas sûr que la Nuit connaisse jamais son Aube…

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Premier avril

Une note un 1er avril ? Ce ne serait pas sérieux, aussi nous en abstiendrions-nous si nous étions sujet à la croyance. Mais ce n’est pas le cas, donc publions !

D’où vient donc cette blague du 1er avril ? De l’adoption du calendrier grégorien, pardi !

avril premier

Jusqu’à Henri III, le nouvel an se fêtait le 25 mars, au moment où le printemps faisait renaître la terre. Mais l’Église, comme tous les pouvoirs à prétention totalitaire, voyait d’un mauvais œil cette référence charnelle et trop matérielle. La date anniversaire de la naissance du Christ valait bien mieux !

Et comme les astronomes avaient trouvé une dérive calendaire dans le décompte astral des ans, le prétexte fut tout trouvé. Le pape Grégoire XIII décida du calendrier grégorien qui porte son nom. Il n’y a que la Russie – orthodoxe – qui refusa le nouveau calendrier jusqu’en 1917 : ce pourquoi plusieurs dates manquent à l’histoire soviétique…

La France, en bonne Fille aînée de l’Église toujours zélée, l’appliqua en 1582 : le 9 décembre fut suivi dès le lendemain par le 20 décembre ! Il y a donc des jours qui manquent aussi à l’histoire de France, mais cela nous paraît moins grave car trop loin.

Évidemment, routiniers et conservateurs comme ils le sont encore, les Français répugnèrent à changer. Ils ont célébré durant des décennies le « nouvel an » à l’ancienne mode, qui commençait le 1er avril.

Et c’est pour se moquer de ces archaïques que les facétieux du temps leur envoyaient des cadeaux illusoires et des invitations fictives, ce jour du 1er avril, ex-premier jour du premier mois d’une année.

Le terme « poisson » vient de la constellation, que le soleil quittait à ce moment-là, mais aussi de la proximité de Pâques et de la référence au christianisme dont il était le signe romain. Une allusion à la bulle papale aussi comminatoire qu’un oukase stalinien ou qu’une fatwa islamique. Ce n’est pas pour rien que le 1er avril est surnommé aux États-Unis « le jour des fous ».

Il est vrai que les Anglais vénéraient déjà le lièvre de mars, dont Alice s’éberlue dans son pays des merveilles. À moins que le lièvre n’ait, comme en Grèce ancienne, une connotation freudienne : lui la destinait aux petites filles… mais les Grecs en faisaient offrande aux jeunes garçons. Tous célébraient le sexe, qui reprend vigueur avec le printemps ! Comme quoi, au 1er avril, tout recommence.

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Esclavage islamique

Le sectarisme dans l’islam, promu par l’idéologie médiévale des princes saoudiens et les capitaux florissants qu’ils tirent encore du pétrole, doit être connu, dénoncé et combattu. Il subsiste encore trop de bénévolence chez les intellos « de gauche », trop de soupçon « d’islamophobie » qui inhibe toute raison, trop de déni.

Être « de gauche » signifiait (jusqu’à présent) être pour les libertés dans l’égalité progressive, la liberté individuelle ne pouvant être accomplie sans celle des autres, le processus étant un long chemin, mais obstiné. Être « de gauche » veut donc dire se méfier des races, des genres, des religions et des milieux sociaux qui enserrent les personnes et emprisonnent les identités dans une « essence » immuable.

Être blanc, breton, corse ou rifain est de naissance, mais cet état de fait ne doit pas enfermer dans une clôture qui exclut les non-blancs, bretons, corses ou rifains, ni se couper du reste du monde. Même chose si l’on est femme ou homme, lorsque l’on croit à Jéhovah, à Dieu ou à Allah, ou à rien – ou que l’on appartient à la grande bourgeoisie ou au petit peuple. Cela s’appelle xénophobie lorsque l’on se méfie jusqu’à la haine, ou racisme lorsqu’on se croit supérieur.

Ainsi les salafistes peuvent-ils être qualifiés de « racistes » et de « xénophobes » parce qu’ils considèrent non seulement tous les non-croyants à l’islam comme des chiens, mais aussi ceux qui ne sont pas de leur secte particulière comme des mécréants à capturer, violer ou décapiter à merci. On peut dire la même chose des intellos « de gauche » qui refusent tout dialogue avec ceux qui contestent leur irénisme ou leur naïveté.

Daesh Questions reponses sur les femmes captives

Lorsque les injures prennent la place des arguments, on peut être sûr que la raison n’est pas partagée et que les passions de haine et de rejet l’emportent. Être « de gauche » a toujours voulu dire (jusqu’à présent) choisir la voie de la raison, seule apte à tempérer les passions et à dompter les pulsions. Même au prix des excès bureaucratiques, techniciens et étatistes, je vous l’accorde – ce pourquoi je préfère cette variante « libérale » de la gauche, qui maintient la prééminence de l’humain dans la politique comme dans l’économie.

Mais lorsque la raison démissionne, par faiblesse personnelle ou parce que l’on préfère le nid de la communauté, le pire de l’animal humain peut se révéler. L’État islamique a des dirigeants intelligents et rationnels ; ils savent manipuler les bas instincts du tout-venant et les passions de la masse musulmane, frustrée par son retard à la modernité et par la domination militaire des Américains, Israéliens, Russes et autres Occidentaux.

Si l’État islamique se dit islamique, ce n’est pas par hasard, il reprend dans l’islam ce qui figure en toutes lettres dans les écrits théologiques accumulés depuis l’époque bédouine à l’époque de Mahomet. Sauf que l’islam a su évoluer et que le salafisme, très proche du wahhabisme saoudien, n’est qu’une secte rigoriste qui ne représente pas tout l’islam. Il réinterprète et remet au goût du jour des interprétations tombées en désuétude ou carrément faussée pour servir son dessein politique de restaurer un Califat (Allah n’est qu’un prétexte secondaire).

mathieu guidere sexe et charia

Ainsi de l’esclavage. Si tous les hommes sont des frères en théorie coranique… la pratique n’a cessé de justifier diverses formes d’esclavage. Naître en servitude vous asservit par essence, être capturé à la guerre fait de vous des choses dont votre vainqueur peut user et abuser (presque) à sa guise (l’usus, fructus et abusus du droit romain).

« Toutes les dynasties musulmanes ont été esclavagistes à des degrés divers. Malgré la stabilisation des frontières de l’Islam, les razzias sur les territoires frontaliers, puis la piraterie et la guerre de course ont permis la perpétuation et l’enracinement de l’esclavage ». Est-ce un militant du Front national qui écrit ces lignes ? Un raciste xénophobe et islamophobe selon les critères « de gauche » de certains intello-médiatiques ? Pas le moins du monde : il s’agit du professeur d’islamologie Mathieu Guidère à l’université de Toulouse 2. Il publie un article fort documenté sur Les femmes esclaves de l’État islamique dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat, publiée chez Gallimard.

En historien, il précise : « Dans la première moitié du XXe siècle ne reste donc que l’Arabie saoudite et le Yémen (…) comme contrées esclavagistes. En 1936 pourtant, le roi Abdelaziz promulgue un règlement interdisant l’importation d’esclaves par voie maritime au motif que la charia interdit de capturer et de réduire en esclavage les sujets des nations avec lesquelles il existe un traité. Les souverains du Yémen et du Koweït font de même peu de temps après. Mais le statut légal d’esclave n’est pas aboli ». Le statut d’esclave subsiste donc dans le droit saoudien…

Dans cet article fort intéressant, Mathieu Guidère traduit pour les non-arabisants (dont 95% des intello-médiatiques) une brochure explicative de l’État islamique intitulée Questions-Réponses sur les femmes captives, à destination des combattants et des nouvelles recrues. Ce qu’on y lit est édifiant : les femmes sont des objets, qu’on peut prendre et user à volonté parce qu’elles sont mécréantes, donc des choses. Il est permis d’avoir des rapports sexuels avec les femmes captives, soit immédiatement lorsqu’elles sont vierges, soit au bout de trois mois si elles peuvent être enceintes. D’où l’attrait pour les fillettes à peine pubère – dès 9 ans – car le combattant peut être sûr qu’elles sont vierges ! Même avant cet âge, « il est permis d’avoir des relations sexuelles avec l’esclave non pubère si elle est apte à l’accouplement. En revanche, si elle n’y est pas apte, il faut se limiter à en jouir sans rapport sexuel ». En jouir… vous avez bien lu.

sexe avec fillette Daesh Questions reponses sur les femmes captivesEst-ce être « islamophobe », selon l’injure à la mode des intello-médiatiques « de gauche » que de s’insurger contre cette pédophilie autorisée ? Contre cette réduction à la chose des femmes de tous âges ? Contre cet asservissement des gens qui ne croient pas comme vous ? « La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté », écrivait Kamel Daoud avant d’être stigmatisé par des intello-médiatiques qui se disent « de gauche ». Signé évident que « la gauche » est bel et bien morte ! Faut-il conseiller aux prêtres amateurs d’extrême-jeunesse sous le cardinal Barbarin de se convertir à l’islam salafiste pour que les gens « de gauche » trouvent « normal » leur mauvais penchant – autorisé par leur légitime « différence »? Est-ce ce déni de réalité, ce refus de débattre, ce refuge dans la bien-pensance morale, qui signifie être « de gauche » ? La dite « gauche » crève de ces ambiguïtés de horde, son cadavre délétère bouge encore. Il sera probablement enterré dès la prochaine présidentielle.

Comme il existe des esprits stupides, lourds et pesants, qui ne VEULENT pas voir et qui refusent de croire ce qu’on leur dit, je publie quelques fac-similés de l’article – que j’incite chacun à lire.

Mathieu Guidère, Les femmes esclaves de l’Etat islamique, 2016, revue Le Débat n°188, Gallimard, pp.106-119, €20.00

Mathieu Guidère, Sexe et charia, 2014, édition du Rocher, 199 pages, €16.90

ebook format Kindle, €11.99

Islam sur ce blog

La police « de gauche » de la pensée à propos de Kamel Daoud

 

 

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Dans la caboche des djihadistes

David Thomson est journaliste, il travaille à RFI. La mention « internationale » de sa radio l’incite à écrire en franglais « jihadiste » au lieu de « djihadiste ». Comme c’est transcrit de l’arabe, la lettre d permet seule la bonne prononciation, mais le snobisme n’a pas de prix. Faut-il écrire comme un Américain pour avoir l’air d’un « pro » ? Les attentats de 2015 et 2016 remettent au goût du jour une enquête qu’il a publiée en 2014, fondée sur une vingtaine d’entretiens avec des Français partis combattre en Syrie. La réédition a été augmentée. De quoi en apprendre un peu plus, malgré le faible nombre d’interviewés, sur ce qui se passe dans la tête d’un tueur au nom de Dieu.

djihadistes attentats Paris Bruxelles

Les profils des djihadistes sont très divers : immigrés de la troisième génération majoritaires, mais aussi catholiques blancs convertis ; majorité de garçons mais aussi des filles – et pas si soumises ; quartiers populaires, mais aussi monde rural ; désocialisés mal dans leur peau, mais aussi installés dans la vie active avec bon emploi de classe moyenne et famille.

Il y a les délinquants en rupture qui trouvent dans « la religion » une justification, une « excuse théologique » à leurs plaisirs violents.

Il y a les frustrés sexuels qui subliment leurs pulsions dans le viol de fillettes de neuf ans avant l’apothéose : se faire sauter en public.

Il y a les croyants qui cherchent désespérément une logique à leur foi et qui trouvent dans l’islam, la dernière mouture des trois religions du Livre, un monothéisme clair et simple qui résout les mystères catholiques de la trinité. « J’ai même rencontré des djihadistes issus de familles juives », déclare paradoxalement l’auteur !

Il y a les ados de 15-30 ans tourmentés de puberté et de problèmes d’identité, de place dans la société, tourments qui sont le propre des ados. Ils se font mousser à publier des photos d’eux virils, kalachnikov en main, et les filles les plus connes les adulent parce qu’ils ont l’air macho et sûrs d’eux-mêmes, un substitut de papa autoritaire en place de la majorité efféminée molle des jeunes mâles occidentaux – tentés par le féminisme de devenir pédés (toutes « perversions et abominations » pour l’islam rigoriste !).

djihad ado

Il y a des humanitaires lassés de la misère du monde et qui se lancent dans une quête spirituelle, leur opposition à la guerre occidentale, aux séquelles de la colonisation maghrébine et à l’occupation israélienne les conduisant, étape par étape, à épouser les thèses de l’islam le plus radical.

Il y a les criminels repentis qui, tels des Jean Valjean, se sentent touchés par la grâce et se font désormais très soumis à Allah.

Il y a ceux qui ne supportent ni la liberté personnelle ni la responsabilité qui va avec et cherchent désespérément à remplir le vide spirituel qu’ils ressentent autour d’eux.

Il y a ceux qui croient au Complot judéo-maçonnique des financiers juifs américains et à la fin de l’histoire apocalyptique racontée à titre symbolique dans le Coran. Auquel cas, foin de la démocratie, il faut « obéir » à Dieu (donc au texte intégral) pour être sauvé !

cerveau djihadiste

Il y a les immigrés de deuxième, troisième ou quatrième génération qui, bien que Français, se sentent mal vus ou discriminés par leur patronyme ou leur faciès. Ils croient être les seuls à atteindre un plafond de verre et renvoient à la société leur sentiment d’échec (qui est pourtant le même que celui de la majorité des Français, puisque l’élite au pouvoir dans l’État, les entreprises et les médias est très restreinte, soigneusement entre-soi et cooptée…)

Il y a les indignés qui rétablissent leur dignité en optant pour ce qui révulse a priori la société française, blanche, républicaine et laïque : la communauté tribale des basanés maghrébins clanique et croyante. Ils sont passés de la laïcité scolaire à l’islam de leur père, puis de la version commune à la secte salafiste, puis de la pratique rigoriste à la violence terroriste. Pas à pas, sans que personne ne s’aperçoivent de rien ni ne fasse rien, surtout pas la famille – démissionnaire. Jusqu’à tuer au nom de Dieu les membres au hasard de la société qui les avait recueillis, enfants compris – tous des mécréants, donc des « choses ».

tuer courageusement pour allah

Ils se sentent tous mal dans leur être, « sales » de péchés imaginaires, stigmatisés dans le regard des autres. Ils veulent se venger, appliquer implacablement leur foi pour « se purifier ». Ils croient au paradis dans l’au-delà (s’ils savaient…). Le code de conduite islamique de la vie quotidienne, aussi contraignant qu’un règlement de caserne selon Lévi-Strauss, les rassure, leur donne un guide, les font se sentir supérieurs, « élus ».

Le déclencheur a été la Syrie. « Pour moi, la diffusion ouverte de l’idéologie djihadiste dans l’internet public émerge ensuite véritablement en 2012 : c’est à partir de ce moment-là que des Français commencent à poster des photos d’eux en armes sur leur page Facebook ». Cela commence par le retour identitaire à la tradition, continue par les prêches de la mosquée, se poursuit enfin sur Internet où la rupture a lieu avec le quiétisme des adultes. Il suffit d’un frère, d’un copain – ou d’une fille sur Internet – pour que s’opère le saut vers la Syrie ou le Yémen.

L’irénisme de la gauche au pouvoir dans les médias, le tabou de l’islamophobie, le déni de trop d’universitaires reconnus (qui ne parlent pas arabe et qui préfèrent édicter une fatwa contre Kamel Daoud), le laxisme de la police et des services de renseignements désorientés, mal organisés et en sous-effectifs, l’absence de lien fait entre filières de la drogue et du banditisme et communautarisme islamique, ont fait que le danger a été sous-estimé. Merah était connu des services, il a été laissé sans surveillance ; l’un des frères belges qui s’est fait sauter à l’aéroport avait été signalé aux services bruxellois par les Turcs mais le foutoir entre Flamands et Wallons dans un État fédéral aux trois langues officielles avec des services et sous-services qui ne se parlent pas pour cause de bisbilles linguistiques a fait ignorer le renseignement. L’absence de coopération européenne offre en plus un terrain de jeu sans frontières ni contrôle à tous ceux qui reviennent faire le djihad jusque dans leur nid.

david thomson les francais jihadistes

Tous, « même lorsqu’ils tuent, ils sont convaincus de faire le bien ». Ils ne sont pas fous, simplement délirants car la religion, comme toute croyance totalitaire, abuse ceux qui s’y soumettent. Les « civils » ne sont pour eux que des mécréants et des soldats passifs, puisqu’ayant voté pour les gouvernements qui bombardent l’Irak, la Syrie et le Mali musulman. Porter la guerre au cœur des attaquants est la meilleure défense, croient-ils. La loi du talion – bien que juive – ne pose aucun problème aux croyants d’Allah.

« Ceux qui rentrent sont souvent déçus par ce qu’ils ont vécu, ou fatigués, mais peu se repentent : la plupart restent fidèles à l’idéologie djihadiste dans laquelle ils sont ancrés ».

Il faut dès lors analyser pour comprendre (l’exact inverse d’un Manuel Valls porté à user plus du menton que du cerveau). Cette analyse faite, prendre des mesures : diplomatiques envers l’Arabie saoudite et les Émirats, foyers d’intégrisme qui exportent leurs prêcheurs radicaux ; militaires en Syrie, Libye, Yémen et ailleurs ; policières et de renseignements en interne ; agir sur l’Europe, voire par un coup de force à la Thatcher/Cameron (qu’avait utilisé de Gaulle en son temps…) ; surveiller les trafiquants et le banditisme apte à basculer dans la croyance ; isoler et condamner lourdement les terroristes attrapés. Cesser de croire en la bonté naturelle de l’Homme, surtout lorsqu’il devient aveuglément croyant.

Il y a ceux qui pensent que seule une contre-croyance peut éradiquer le terrorisme : donner du sens à la vie. Les Identitaires exaltent alors le nationalisme et la communauté ethnique blanche. Ils tombent dans le même fanatisme borné et leur système de narration est mimétique : pas la peine de revenir au nazisme pour éradiquer ceux qui agissent en nazis. Nous valons mieux que cela !

David Thomson, Les Français jihadistes – qui sont ces citoyens en rupture avec la République, pour la première fois ils témoignent, 2014, Les Arènes, 256 pages, €18.00
e-book format Kindle, €12.99
Entretien sur Slate

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Mystique écologiste

Europe-écologie-les-verts se cherche, comme d’habitude. Leur nom à rallonge ne les incite pas à se simplifier ; leurs leaders multiples, aux ego affirmés, bataillent comme des chiffonniers sans la noblesse de ce métier qui est de récupérer pour recycler ; d’aucuns ne pensent qu’aux ministères, ne faisant rien une fois nommés, ou démissionnant avec fracas pour oser le coup médiatique. Si les Roses ont encore à dépasser leur Surmoi gauchiste, les Verts ont encore à éradiquer chez eux leurs écolos mystiques.

Car aujourd’hui, leur opinion est faite : nous allons vers la catastrophe, politique, économique, sociale, climatique, écologique.

Pourquoi pas ? Encore faut-il savoir de quoi on parle et en débattre avec des arguments. Les convictions intimes ne suffisent en rien. Surtout quand l’ignorance est reine, permettant tous les fantasmes, poussant à tous les millénarismes les avides de pouvoir exploitant la crédulité des foules. C’est le rôle premier des intellectuels – ceux qui ont acquis un bagage de méthodes et de savoirs – que de remettre en cause la doxa, cette opinion commune chaude et confortable parce que grégaire, mais le plus souvent fondée sur des on-dit et des rumeurs glanées ici ou là sur la toile ou entre complotistes plutôt que sur des faits établis, et fondée sur des instincts et sur des sentiments plutôt que sur des arguments rationnels.

Il en est ainsi de la « biodiversité ». Le constat est clair : des espèces disparaissent, d’autres migrent, certaines apparaissent. Les causes ? Les modifications du climat, les catastrophes naturelles, les autres espèces. Et en premier lieu l’homme qui, depuis 10 000 ans, a entrepris non plus d’être un prédateur nomade parmi d’autres mais de maîtriser en sédentaire la nature. De ce constat factuel (que l’on est loin d’avoir exploré complètement), nous sommes tous d’accord. Mais les écolos mystiques induisent un jugement de valeur : « c’est mal ».

Et c’est sur cela qu’il nous faut réfléchir. Nous, Occidentaux, sommes imbibés de Bible, même si certains se disent laïcs :

  • Nos instincts sont formatés selon le mythe du Paradis terrestre duquel nous aurions été chassés pour avoir (ô scandale !) voulu user de nos capacités intelligentes pour connaître par nous-mêmes. Ne plus simplement subir, ni « obéir » : l’intelligence, voilà le péché originel de l’homme ! D’où l’instinct de « bêtise » qui ne cesse de titiller tous ceux qui se sentent mal à l’aise dans cette liberté humaine. D’où le refuge en l’État, ce fromage protecteur, ou le social-grégaire de l’entre-soi en clubs, mafias, grandes écoles et ghettos urbains des quartiers chics.
  • Nos sentiments tiennent à la gentillette illusion édénique que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Les ours sont par exemple d’aimables peluches, la mer un liquide amniotique bordé d’un terrain de jeu sablé et les plantes un suc originel qui soigne mieux que les pharmaciens et qu’il ne faut surtout pas « modifier ».
  • Et la raison, dans tout ça ? Elle prend les miettes, ce qui reste après les convictions intimes. Ou plutôt, elle tente de rationaliser des fantasmes et des préjugés, comme souvent.

Par exemple que « la nature » est en-dehors de l’homme. Puisque lui-même est « image de Dieu », on ne saurait confondre le limon vil avec la chair glorieuse… L’homme, exilé sur terre pour éprouver son obéissance (ou son amour fusionnel) avec Dieu, se verra peut-être récompensé (s’il est obéissant) par un retour au Paradis, d’où il fut chassé pour avoir voulu s’égaler au Créateur en voulant connaître (notamment le sexe, qui permet de « reproduire » l’œuvre de Dieu en faisant naître d’autres hommes – quelle horreur !). Qu’est-ce que cette religion vient faire dans un discours écologiste qui se veut appuyé sur “la science” ?

Par exemple que toute action humaine est « mauvaise » par définition, puisque rompant un « équilibre » que “la nature” avait sans lui. Comme si l’être humain était en-dehors de toute “nature”…

Par exemple qu’il faut « conserver » en l’état tout ce qui est « naturel », puisque toute disparition est un appauvrissement du donné paradisiaque originel, toute mutation un danger, toute migration une erreur, cause de conséquences en chaîne. Comme si la création des planètes et l’évolution biologique n’avait pas été une suite de “catastrophes” radicales…

Ces trois exemples de raisonnement faussé constituent bel et bien une « mystique ». Aucun argument rationnel ne parviendra jamais à la percer, car c’est le propre de toute mystique d’être inspirée par l’ailleurs et en butte au rejet du grand nombre. Se sentir initié et entre-soi est une satisfaction bien plus grande qu’avoir raison.

cuir femme nature

Or, cette opinion commune, parce qu’elle gueule plus fort que les autres et qu’elle impressionne les gogos, court les media – toujours avides de sensationnel. Elle contamine les politiques – toujours avides de se trouver « dans le vent » pour capter des voix. L’écologie est une science, respectable et fort utile pour étudier les interactions des espèces dans leur environnement (homme compris). L’écologie est aussi un savoir-vivre humaniste de l’homme dans son milieu, ce que l’historien Braudel appelle tout simplement une « civilisation ». Elle parle du monde qui est occupé par l’homme, et de la terre où l’homme concurrence les autres espèces.

En revanche, l’écologie mystique est une pathologie, un discours délirant à base de fantasmes et de peurs millénaires. C’est contre lui que nous élevons cette critique :

  • contre ceux qui font du paysan l’avatar du clerc au moyen-âge, intermédiaire obligé entre Dieu et les hommes, entre Mère Nature et ses enfants ;
  • contre ceux qui se prennent pour de nouveaux saint Georges, terrassant les dragons de la modernité au nom d’une Inquisition d’ordre religieux : pas touche au « naturel » ! Retour à l’original !

Comme si « la nature » était un donné immanent et pas un éternel changement naturel pour la terre, doublé d’une construction culturelle et historique du monde ! L’écolo illuminé a pour livre de chevet l’Apocalypse de Jean. Il n’en démord pas : l’homme est intrinsèquement « mauvais » et ne peut être « sauvé » que s’il se retire du monde. Concrètement, cela se traduit par :

  • la « résistance » à toute recherche scientifique (au nom du principe de précaution), à toute expérimentation en plein champ (au nom de la terreur de l’apprenti sorcier), à toute industrialisation d’une transformation du vivant (cet orgueil de vouloir créer comme Dieu – ou « la Nature »), et ainsi de suite. Certains vont même jusqu’à refuser les vaccinations et à ne se soigner que par les plantes. On se demande pourquoi ils n’ont pas fait comme ces Américains (toujours pragmatiques) qui (aussi délirants mais pour une autre cause) se sont retirés dans les Rocheuses dès le 15 décembre 1999, avec armes, provisions et manuels de survie, pour y attendre « l’an 2000 ». Les « terreurs » millénaristes renaissaient avec, pour vernis technologique, le Bug. Comme il ne s’est point produit, les apocalyptiques se rabattent sur les OGM (des aliens !), la fin programmée du pétrole (la punition de Sodome et Gomorrhe) et le réchauffement du climat (annonce des feux de l’Enfer).
  • la continence, vieille revendication morale chrétienne, que Malthus a appliqué à l’économie jadis. Pas assez de pétrole ! Pas assez de métaux ! Il faut économiser, se mortifier, ne plus jouir sans entraves (des gadgets, jouets, emballages, moteurs trop puissants, piles électriques, claviers d’ordinateurs, etc.), battre sa coulpe et se réfugier à la campagne (« au désert » disaient les mystiques chrétiens, jadis).
  • l’austérité morale, illustrée par les discours d’un José Bové, selon lesquels « la terre ne ment pas ». Juste ce qu’avait dit un Maréchal de triste mémoire. Avec les références identiques au « fixisme » naturel, au climat qui ne change jamais dans l’histoire de la terre, au « luxe » que serait une humanité vivant dans le confort moderne. Et une méfiance viscérale envers tout ce qui vient de “l’étranger” (mondialisation, OGM, produits bio chinois, bœuf anglais, poulet américain…)

Notez-vous combien tout cela est instinctivement régressif, psychologiquement rigide et mentalement réactionnaire ? Refouler, se contenir, s’arrêter : comme si l’on regrettait un quelconque Paradis avant la Chute, comme si l’on avait la nostalgie des interdits cléricaux, comme si « tout était mieux avant »…

biodiversite pas forcement menacee

Les scientifiques sont bien loin d’avoir cette mystique à la bouche, lorsqu’ils évoquent leurs sujets d’études, car :

  • tout change sans cesse : le climat, les feux de forêt, les équilibres entre espèces – « conserver » ne veut pas dire grand-chose. L’historien Leroy Ladurie a écrit toute une « Histoire du climat depuis l’an mil » qui montre combien alternent les phases de réchauffement et de refroidissement dans les cycles courts de la terre.
  • les perturbations sont utiles aux espèces, à leur diversité, à leur vigueur, par exemple les incendies aux forêts – « protéger » n’a pas cette valeur absolue qui court les médias.
  • l’homme est une espèce comme une autre, dangereuse elle aussi – et il faudrait plutôt apprendre à mieux vivre « avec » l’espace naturel plutôt que « contre », « en dehors » ou fusionné « au dedans ».

Donc, si l’on veut tenir un discours rationnel qui permette de débattre – donc de décider d’une « politique » à mettre en œuvre, il est nécessaire de considérer quatre choses :

  1. première chose, il faut savoir – et l’on sait encore très peu.
  2. deuxième chose, il faut impliquer les gens – et ce n’est pas le discours apocalyptique qui y réussira mais bien plutôt des projets concrets de recyclage, d’économie d’énergie, d’agriculture autrement, de développement durable, et l’éducation.
  3. troisième chose, l’analyse se doit d’être mondiale – et les organismes internationaux restent encore dispersés, soumis aux divers lobbies avides de financement, de bénéfices ou d’audience médiatique.
  4. quatrième chose, l’information doit être transparente ET rationnelle – ce que les médias grand public sont en général loin de livrer ! Et que les lobbies en quête de bénéfices (les industriels) ou de financement (les ONG et les organismes publics de recherche) répugnent à livrer.

Ce n’est qu’avec tout cela qu’on pourra tous débattre – en connaissance de cause. C’est cela, la démocratie…

C’est-à-dire l’exact inverse de la sommation à la Croyance et du chantage à l’Apocalypse que les illuminés utilisent, avec cet art consommé de la manipulation qui fut celui des prêtres catholiques jusqu’après la Révolution et les experts communistes avec Staline. Le chanoine de Nevers s’en désole en 1824 : « La défiance a remplacé la simplicité chrétienne ; sans être plus savants, ils sont devenus plus raisonneurs, plus présomptueux, moins confiants en leurs pasteurs, moins disposés à les croire sur parole. Il ne suffit plus de leur exposer les vérités de la foi ; il faut les leur prouver » (Georges Minois, Histoire de l’enfer, 1994 Que sais-je ? p.114). Eh oui, les Lumières étaient passées par là.

L’obscurantisme, se parût-il d’« écologie », est d’essence « réactionnaire » – au sens de l’Ancien Régime.

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Régression fondamentaliste

Réchauffement du climat, manger bio comme « avant », se soigner par les plantes de grand-mère, des tests ADN pour savoir qui descend de qui, principe de précaution sanctuarisé dans la Constitution, théories du Complot florissantes, retour aux valeurs « morales », renaissance du religieux, islamisme conquérant du VIIe siècle, quête de l’authentique, repli sur la famille, mariage « pour tous » (c’est la nature ?) – il me semble que, dans l’air du temps, tout cela soit apparenté. J’appellerai ce mouvement la recherche du fondamental. Le socle fantasmé comme un refuge, une plaque solide dans ces sables mouvants du global qui va trop vite. J’y vois en réalité une régression due à la peur, l’enfermement dans l’entre-soi, le cocon fœtal.

Tout se passe comme si, sur une mer qui se creuse, les passagers préféraient s’arrimer au bateau plutôt qu’utiliser leur savoir-faire marin pour tenir la barre, sentir le vent et régler les voiles. Ils restent passifs, ancrés dans leur identité mythique et leurs façons de faire ancestrales au lieu d’être actifs, de prendre leur destin en main avec ce qu’ils sont et ce qu’ils savent, les outils d’aujourd’hui. L’époque est au repli, à la méfiance, aux repentirs. Aux retours à…

Les sociétés jeunes sont emplies d’énergie, elles vivent le présent avec indulgence et regardent l’avenir avec optimisme ; le passé n’est pour elles qu’un acquis sur lequel bâtir du neuf, la transmission est tout : aux jeunes d’adapter le passé. A l’inverse, les sociétés vieilles sont fatiguées, elles subissent le présent avec aigreur et tout changement comme une agression, regardant l’avenir avec noirceur ; le passé est pour elles un asile, un « âge d’or » regretté (et fantasmé). Si les années post-68 ont eu leur lot d’infantilisme et de dérives anarchiques, elles avaient au moins le mérite d’un optimisme à tout crin, même pendant l’horrible guerre du Vietnam, même après les deux crises du pétrole. Qu’est-ce qui a cassé ?

hokusai la vague

Probablement l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 qui a cassé le rêve avec la rigueur dès 1982, le SIDA qui a douché les ardeurs polysexuelles dès 1984, plus largement le vieillissement démographique et, depuis 2005 environ, le réveil agressif des sectes de l’islam. N’évacuons pas quand même la politique : quand les politiciens sont incolores et abouliques, les citoyens ne se sentent plus gouvernés (Chirac, Hollande…).

Si le mouvement de moindre optimisme est général dans les sociétés occidentales, plus que les autres la France est touchée. Certes, l’ouverture du monde après la chute du mur de Berlin, la conversion chinoise au capitalisme et la réémergence des États-Unis comme puissance mondiale, ont relativisé la place d’un pays moyen comme la France. Puissance militaire faible faute de crédits, en croissance molle faute de réformes, au budget en déficit systématique pour cause de vieillissement, avec un État de plus en plus impuissant par inertie bureaucratique et empilement de petits pouvoirs, la France a été touchée en pire.

Les Français ne se font pas confiance entre eux comme le montrent Yann Algan en économie, Pierre Rosanvallon en politique, Anne Chanon pour les partenaires sociaux, Michela Marziano pour la société et Capet-Delavallade pour l’information (voir références en fin de note). Ils n’ont pas confiance en leurs hommes politiques, ni en leurs journalistes, ni en leur justice ; ils n’ont confiance ni dans l’économie, ni dans la pharmacie, ni même en la science. « On » leur cache des choses, « on » veut les arnaquer, les dominer, les empoisonner. Ont-ils confiance en eux-mêmes ? Même pas, montrent les sondages. Donc ils régressent. Ils se réfugient dans les bras de maman au passé, les remèdes de grand-mère, l’autorité du grand-père, le souvenir (glorieux ?) de la guerre de 14 ou de l’indignation de 40 (malgré le TRÈS faible nombre de résistants…)

De quand date ce divorce croissant entre les citoyens et l’État, les salariés et les patrons, le secteur privé et les fonctionnaires ? Des années 1980 selon Yann Algan, mais déjà après 1945, précise-t-il. Il y voit la trace de la lâcheté des élites en 1940 et des dénonciations de clochers durant l’Occupation – où l’égoïsme s’appelait « marché noir ». Mais l’après 1945 voit aussi cette socialisation corporatiste de la société française qui dresse « ayant droits » contre « exclus » pour un peu tout : sécurité sociale, chômage, accès syndical à certains métiers (ex. le Livre, les dockers), niches fiscales, statuts protégés, privilèges. La France « classes contre classes » est le pays occidental où la fraude est considérée comme moins « immorale » qu’ailleurs – où le gauchisme, « cette maladie infantile », fait le plus recette, où l’écologie politique est la plus immature, la plus courte-vue, la plus arriviste. Le Français est celui qui se méfie le plus des autres.

Dans une société de défiance, le pays est une jungle et l’homme un loup pour l’homme. D’où ces comportements de clans, cette société de cour autour des « célèbres » (qu’ils soient politiciens, footeux, histrions de média ou acteurs-chanteurs-fêtards) ; d’où surtout ce repli sur la cellule familiale et ces ‘Tanguy’ attardés. La crainte envers tout ce qui change, tout ce qui vient d’ailleurs, tout ce qui est dit par un quelconque pouvoir, tout ce qui n’est pas reconnaissable, engendre angoisse et comportement de fuite. On réclame des lois, du flic, du contrôle.

On exige que le maïs soit racialement pur et pas manipulé et que le porc soit bio (mais en gardant les prix les plus bas), que les sans-papiers soient analysés ADN parce que les faux-papiers circulent trop facilement (mais en glorifiant les Droits de l’homme), que les radicalisés soient exclus de la nationalité et fusillés en Syrie  et en Libye par les forces spéciales (mais qu’on « respecte » les différences), que l’économie soit contrôlée parce qu’elle va « dans le mur » ou « de crise en crise » (mais sans toucher au SMIC, ni aux 35h, ni à l’âge de la retraite, et sans baisse des salaires ni impôts en plus)… Comme si l’avenir n’était jamais autre chose qu’un « pari », comme si tout pari n’exigeait pas un minimum de confiance en soi, donc d’oser être responsable. Après tout, mettre au monde un enfant, accueillir un hôte, planter de quoi se nourrir, investir des capitaux : qu’est-ce donc d’autre qu’un défi à l’avenir ? Il faut avoir la foi en sa propre énergie pour supporter de voir croître et s’épanouir un être, une plante, une idée.

liberte fenetre ouverte

Il semble que les Français n’aient plus cette foi en eux-mêmes, plus de ressort. Leur énergie vitale disparaît, leurs comportements sont ceux de vieux, avec ces remugles des années 30 qui remontent même à gauche : chez Bové l’antimoderne, adepte de la pureté génétique des maïs ; chez Le Foll et les lefollistes qui crient aux chambres à gaz quand on prononce le mot « détail » ; chez les agités de l’extrême Mélenchon qui font de Che Guevara le néo-Christ pur et sans tache d’une révolution sans cesse à venir – alors qu’elle est bel et bien venue cette révolution à Cuba, et qu’on voit très bien ce qu’elle a donné ; chez les sectaires religieux pour qui il faut revenir à la Lettre et se garder de tout, réfugiés en ghettos haineux poussés à la violence ou au suicide camouflé en « martyre » ; chez les parents déboussolés qui en reviennent aux bonnes vieilles méthodes et réclament le b-a ba pour la lecture et la pension disciplinaire pour les ados. A quand le retour du fouet ? de la peine de mort ? des frontières sûres et surveillées ? du petit franc manipulable à merci ? des gazogènes ? de la miss France 1960 dépucelée à l’arrière d’une Dauphine ?

miss france 1960 en 2014

Repentez-vous d’avoir colonisé il y a trois générations ; repentez-vous d’appartenir à une civilisation qui valorise la liberté et l’égalité des sexes alors que d’autres ont « le droit » d’être différents (et de nous l’imposer) ; repentez-vous d’avoir « exploité la nature » depuis le néolithique ; repentez-vous d’être vous – Français minables intoxiqués d’État – dans un monde qui valorise l’initiative, l’originalité, l’individu ! Dans la confusion ambiante, les fondamentalismes de tous bords semblent avoir de beaux jours devant eux : le religieux, l’idéologique, l’écologique.

Alors que l’identité n’est pas honteuse, elle doit « servir » plutôt qu’être un ghetto. Rejeter l’identité, c’est se rejeter soi, se haïr au profit du vide que n’importe quoi pourra remplir. La défiance envers les semblables ne serait-il pas manque de confiance en soi ? Le repentir une fin de vie ?

Les syndicats ne sont pas représentatifs, les partis ne reflètent que les ego surdimensionnés de leur leader, les élus promettent tout ce qu’ils n’ont aucune intention de tenir, l’Union européenne avance sans que nul ne la contrôle, l’islamisme convertit à tour de bras les faiblards tandis que les Juifs sont laissés à « leurs responsabilités » et les Chrétiens moqués comme ringards. On ne peut faire confiance ni à l’idéalisme de gauche, ni aux intérêts trop bien compris de droite, ni même à “la pensée gros bras” des agriculteurs-taxis-zadistes écolos-No Borders.

La base est la confiance, or qui sont les politiciens aptes à donner confiance ? Sans confiance, impossible de décorporatiser la société française, ni de faire la pédagogie de nos atout réels dans la globalisation.

Tout fondamentalisme est un obscurantisme, une attitude réactionnaire qui vise à revenir à la lettre, aux origines, au fondamental, à l’essence. Le contraire absolu de l’émancipation des Lumières qui vise à libérer l’individu de ses déterminismes biologiques, familiaux, sociaux, claniques, raciaux, religieux et j’en passe. Chacun dans sa case, décrète le fondamentaliste, convertissez-vous ou l’on vous anéantit ! A la religion, au socialisme, à l’ultra-libéralisme, à la vision allemande de la dette, aux zones humides et autres paradis à bestioles. Autisme agressif, refus d’écouter l’autre, la force comme seule valeur.

TOUS les idéologues agissent de même, les frondeurs, la gauche morale, la droite vertueuse, le retour de l’ex-président, les gestatrices pour autrui, les casseurs anti-droit, les sans-frontières, les élèves qui refusent l’histoire, les niqab qui refusent le visage, « la direction » d’Air-France et les « salariés en colère » – tous sont aussi bornés, aussi abêtis par leur « bon-droit » ou leur « mission ». Toute critique à leur encontre est assimilée à une maladie mentale ou à un complot.

Comment voulez-vous avancer dans ce cas ? Analyser, négocier, proposer ? Si le dilemme est le tout ou rien, le résultat est le plus souvent rien.

Faute de confiance, faute de culture, faute de raison.

Yann Algan, La société de défiance, Livre de poche 2013, €5.60
Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, e-book format Kindle, €14.99
Anne Chanon, L’entreprise à l’ère de la défiance : de l’intérêt du dialogue sociétal, 2012, L’Harmattan, 372 pages, €38.00
Michela Marzano, Le contrat de défiance, 2010 Grasset, 320 pages, €19.30
Philippe Capet et Thomas Delavallade, L’évaluation de l’information : confiance et défiance, 2013, Hermès Science Publication, €79.00

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Chinois de Polynésie

Gaston Tong-Sang, un temps maire de Bora-Bora, a été Président de Polynésie, « pays d’outre-mer » français. Il est d’origine chinoise. Tout comme en Guyane, les Chinois tiennent le commerce entre leurs mains. A Papeete, mais aussi dans les bourgs, à Tahiti comme dans les îles, le magasin qui alimente, qui chausse et qui habille, c’est « le Chinois ». Il ouvre son magasin dès 5 heures, à l’aube, et le ferme vers 19 heures, une fois la nuit tombée.

Les Chinois sont arrivés en 1856 pour travailler dans une plantation de coton sur Tahiti. Mais c’est en 1865 que l’immigration chinoise devient importante, quand les Cantonais débarquent en nombre pour le coton et le café. En 1873, conséquence de la fin de la guerre de Sécession, la plantation de coton tahitienne fait faillite mais les Chinois sont restés. D’autres immigrants arriveront dans les années 20 et deviendront les premiers négociants et commerçants. Ce n’est qu’à la fin des années 60 que la Métropole accordera progressivement leur naturalisation aux Chinois installés en Polynésie. Ils se sont depuis intégrés à la population locale par des mariages.

chinois des plantations polynesie

Cette minorité d’origine chinoise devient un enjeu géopolitique. L’allégeance des petits États polynésiens à Taïwan est battue en brèche par la Chine populaire. Pour étendre son influence dans le Pacifique, celle-ci n’hésite pas à annuler les dettes de ces micro-états en échange d’un vote à l’ONU contre Taïwan. La Chine propose d’envoyer ses touristes si ces pays répondent à ses critères : hôtels chinois, personnel chinois, nourriture chinoise. Cette diplomatie « de carnet de chèque » irrite l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’argent taïwanais tend à être remplacé par l’argent chinois. Les États en faillite de la région tendent à devenir le terreau d’une nouvelle idéologie et de toutes sortes d’attitudes nouvelles. Les Maoris arrivés en Polynésie venaient de Taïwan, dit-on… Et si la Chine, « propriétaire de Taïwan », venait à réclamer ces îles où ont abordés les valeureux piroguiers, comme faisant partie intégrante de sa zone d’influence ?

La culture chinoise contamine les croyances des îles. Ma Chinoise me prévient : « attention aux 1er et 2 novembre. – Pourquoi ? – Le 1er novembre, ça va encore, c’est la fête de tous les saints. Mais si tu veux aller au cimetière de l’Uranie voir les illuminations des tombes, attention à toi ! – Pourquoi, ça se passe vers 18 h et ce n’est pas loin de chez toi ? – Une enfant de 10 ans a été violée sur une tombe lors de ces cérémonies. – J’ai beaucoup plus que 10 ans et je ne suis pas peureuse. – Je t’aurai prévenue. – D’accord, je tiendrai compte de ton avertissement. Mais le 2 novembre, que se passe-t-il ? – Nous, les Chinois, nous ne sortons pas de chez nous car il y a des esprits partout. Je n’irai pas me baigner à la mer ! – Ah, bon ? Notre fête de Ka-san, nous la faisons dans le cimetière à midi car les esprits sortent le soir et la nuit ; mais ils demeurent présents tout le temps : ma belle-mère, qui était catholique, faisait son lit le matin et n’y touchait plus de la journée, surtout elle ne s’y asseyait pas ! – Mince alors, moi qui n’ai qu’un canapé-lit, vais-je devoir rester debout toute la journée ? Et mon genou droit qui ne me porte pas trop, que vais-je faire ? – Cela, c’est ton problème, mais je t’aurai prévenue… »

Dimanche 5 novembre, lever à 5 h, comme tous les dimanches, marché, retour chez moi pour la douche et le café. Puis ma Chinoise vient me chercher pour filer au cimetière chinois de Arue, pour fêter Ka-san avec ses trois frères. Les Chinois fêtent Ka-san deux fois dans l’année, une fois aux alentours de la Toussaint et la seconde vers avril, suivant le calendrier lunaire. Nous avons rendez-vous à 8h au cimetière. Les trois frères et leur famille arrivent, les bras remplis de paquets. Les tombes des parents sont déjà couvertes de fleurs. Ces tombes chinoises sont toutes construites avec un toit plat qui en protège deux ou trois à la fois. Les plus riches font installer un toit pentu recouvert de tuiles vernissées vertes ou orange. Leurs tombes sont recouvertes de marbre. Les autres les laissent carrelées de blanc. La femme est enterrée à gauche, l’homme à droite. Tous regardent la mer, adossés à la montagne. Si l’on ne voit pas la mer, il faut un plan d’eau. Ce cimetière est une colline donnée aux Chinois par le roi Pomaré.

chinois cimetiere polynesie

Pour Ka-san, il faut égorger un poulet, en recueillir le sang et laisser tomber plusieurs gouttes sur un papier blanc que l’on posera sur le dosseret de la tombe. Cela prévient le mort qu’on vient lui rendre visite. Le poulet est ensuite cuit entier, le foie sorti de l’abdomen et cuit en même temps. Il est dressé sur un plat avec les ailes collées aux flancs, le cou tordu et cuit de manière à ce que la tête regarde le ciel. Le sang du poulet a été cuit comme pour faire un boudin, et conditionné en un disque rond d’environ 5 cm de diamètre. On dispose trois verres de vin rouge (et du bon !), trois bols de riz et trois paires de baguettes, puis le plat où repose le poulet, avec un morceau de porc, de préférence du cochon de lait pour faire bonne mesure. Tout cela afin que les morts puissent se restaurer. Certains amènent le cochon de lait entier et des pommes rouges, tout est rouge. Chacun fait selon sa richesse. Un paquet de biscuits fourrés de confiture rouge, des fruits rouges, du thé « noir » (appelé « thé rouge » en Asie) complètent les libations.

Une jardinière remplie de sable sert à planter les bâtons d’encens allumés que chacun des participants aura, dans ses mains jointes, agité plusieurs fois en direction des tombes tout en murmurant une prière. On allume des bougies rouges que l’on plante dans la jardinière aux côtés des bâtons d’encens. La fumée se répand dans l’air comme après une manif à Paris, quand les flics ont balancé leurs gaz lacrymogènes.

Pendant que les hommes s’affairent à préparer ce « repas », les femmes et les enfants ouvrent des paquets de billets, les tournant en grosses fleurs. Ils ouvrent d’autres sachets enveloppés dans des journaux sur lesquels figurent les mots « femme » ou « homme ». De ces paquets sortent des habits de papier, des pantalons, des vestes pour les hommes que l’on reconnaît à ce qu’elles sont boutonnées devant, des vestes pour les femmes boutonnées sur le côté, des petits chaussons chinois noirs, des chapeaux noirs pour les hommes. Les vêtements femme seront posés, puis brûlés dans le chemin bordant la tombe sur le côté gauche, ceux des hommes posés puis brûlés sur le côté droit. Sur les habits, on pose tous les billets de banque et on met le feu à tout cela. L’un des frères avait amené deux bâtons au cimetière, je me demandais à quoi ils allaient servir : eh bien, ils ont servi d’instrument pour faire en sorte que tout brûle entièrement. Il ne doit rester que des cendres que les vivants laisseront sur place et que le vent emportera à son gré. Vu le nombre de billets de banque partis en fumée, les ancêtres devaient être satisfaits. Eux partis, la prospérité demeure !

Comme les familles chinoises sont étendues, nous sommes allés sur d’autres tombes après celle des parents. Le même cérémonial a été accompli pour la grand-mère. Les autres parents ont reçu des fleurs, des bâtonnets d’encens et des prières. Mais, sur la tombe de la grand-mère une fois tout brûlé, frères et sœurs lui ont annoncé qu’elle devrait dorénavant se joindre aux parents directs pour le cérémonial de l’an prochain ; il n’y aura plus qu’une cérémonie commune pour les ancêtres. Tout est dit en hakka, mais on m’a traduit.

L’un des frères m’a confirmé qu’avant, les Chinois laissaient toutes les victuailles sur les tombes et s’en retournaient à la maison. Mais les Polynésiens guettaient et venaient voler la nourriture des morts une fois les vivants partis. Désormais, les Chinois remportent toute la nourriture chez eux pour la consommer en famille.

Hiata de Tahiti

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Antoine Sfeir, L’islam contre l’islam

antoine sfeir l islam contre l islam
Politologue libanais d’origine, journaliste notamment pour La Croix, le Pèlerin, le Point, Politique internationale ou Esprit, Antoine Sfeir dirige Les Cahiers de l’Orient. Il préside le Centre d’études et de réflexion sur le Proche-Orient (Cerpo) et l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI). Dans ce petit livre, il allie la compétence du politologue et la connaissance intime de sa région d’origine avec la pédagogie du journaliste – de quoi rendre simple cet Orient compliqué.

Probablement issu d’une compilation d’articles et de conférences données au fil des ans (en témoignent les quelques répétitions), l’auteur a le don de nous emmener des origines du chiisme dès la mort du Prophète aux divergences doctrinales, jusqu’à la géopolitique actuelle du chiisme incarnée surtout par l’Iran et ses satellites (Alaouites de Syrie, Hezbollah libanais, Azéris d’Azerbaïdjan, chiites d’Irak, Hazaras d’Afghanistan, Zaydites du Yémen). En annexes bienvenues figurent une chronologie du VIIe siècle à fin 2012, l’arbre de l’islam, une courte bibliographie dans la foison des livres – et deux cartes passionnantes de source Ralph Peters : comment les Américains en 2003 envisageaient de restructurer le Moyen-Orient, avant et après.

Le chiisme est une scission dès l’origine du courant principal de l’islam qu’est aujourd’hui le sunnisme. Chaque branche a son « Vatican » (l’Arabie Saoudite pour le sunnisme, l’Iran pour le chiisme) et ses propres sectes, plus ou moins littérales ou intégristes. L’écart entre les religions d’islam semble être analogue à celui entre l’Ancien et le Nouveau Testament, les chiites attendent toujours leur Mahdi de la fin des temps, alors que les sunnites voient en Mahomet le dernier Prophète.

Mais la guerre millénaire de religion entre ces deux aspects du Livre n’empêche nullement le clanisme ou le nationalisme de se manifester : les 20% de chiites d’Irak se sont battus contre les chiites d’Iran lors de la guerre enclenchée par Saddam Hussein entre 1980 et 1988. C’est pourquoi cet Orient est si compliqué, qui emmêle ethnies (Arabes, Perses, Turcomans), croyances, richesses du sous-sol et égos démesurés.

L’Arabie Saoudite est une théocratie, l’Iran aussi. Rien de « démocratique » dans ces régimes, même si l’Iran connait des élections. « Le véritable chef de l’État est le Guide [pas le Président]. Nommé à vie, celui-ci ne peut être démis de ses fonctions qu’exceptionnellement. Il domine l’ensemble de l’appareil politique, pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire inclus. Mais, bien que religieux, il n’est pas l’autorité suprême du chiisme » [répartie entre les grands ayatollahs] p.115.

Ce pourquoi l’Occident ne doit pas se réjouir naïvement de la « négociation » acceptée sur le nucléaire : l’Iran n’est pas devenu humaniste, il mesure les rapports de force. Avec une Arabie Saoudite moins indispensable à la consommation de pétrole par les Américains depuis que ceux-ci ont découvert des gisements dans le schiste, le rééquilibrage géopolitique était inévitable. Surtout pour contenir le soi-disant État islamique qui menace tout le monde, sunnites quiétistes étant mis dans le même sac que « l’hérésie » chiite. Jusqu’alors, « l’islam rest[ait] le meilleur rempart contre les idées de gauche » p.121.

Antoine Sfeir est très critique envers la diplomatie française, seul grand pays non aligné qui pourrait jouer le rôle de médiateur au Levant, plus que les Américains (tenus par Israël), les Anglais (qui ont promis et n’ont jamais tenu), les Allemands (puissance exclusivement marchande), les Russes (qui ont voulu dépouiller le nord de l’Iran lors du Grand Jeu) ou les Chinois (en butte à leur minorité musulmane Ouïgoure). Mais les Français sont aux abonnés absents depuis Chirac.

Très utile pour se cultiver sur les facettes de l’islam, sur les intérêts sous-jacents aux prétextes religieux, et sur le développement de logiques inéluctables qui ne devraient pas être une surprise, ce petit livre se lit rapidement et avec aisance.

L’ouvrage a reçu le Prix Livre et droits de l’homme en 2012.

Antoine Sfeir, L’islam contre l’islam – l’interminable guerre des sunnites et des chiites, 2013, Livre de poche biblio essais, 191 pages, €6.10
Le blog d’Antoine Sfeir
Un point de vue critique sur l’auteur

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Joyeux Noël !

Non au politiquement correct qui a honte d’user de ces termes chrétiens, qui a peur d’afficher sa tradition en souhaitant frileusement « bonnes fêtes » sans précision – même si je suis résolument moderne et ne suis plus croyant. Pourquoi se soumettre ? Pourquoi avoir honte de soi ?

Donc Joyeux Noël ! ou Joyeux Jul, cette fête païenne avant le Christ.

Le christianisme célèbre la naissance de l’Enfant.

Jul chez les Vikings et les Celtes (sous un autre nom) célébrait le renouveau du soleil sur l’horizon, donc la renaissance de la nature au cœur de l’hiver.

C’est bien la même tradition culturelle, le premier ayant repris à l’autre le flambeau.

Je dédie ces petites lumières par centaines en hommage aux victimes de la guerre de religion.

J’offre cette jeunesse chaude qui s’accroche à la vie, pour que l’humanité avance, bien loin de la barbarie du septième siècle.

Car dans quelques jours, en Europe, contrairement aux obscurantistes, nous seront en 2016 !

my boy in christmas

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Des temples, monastères et pension du Népal

Nous partons au soleil, les nuages ont filé pendant la nuit. Le temps change très vite. Nous apercevons en rose la chaîne des Himalaya et les terrasses se drapent à nouveau d’écharpes de brume. Quelques photos sont tentées car nous avons envie de capturer dans nos boites un peu de la magie de cet instant, pour nous le remémorer sur nos murs ou dans nos albums, plus tard, des années plus tard (comme aujourd’hui), nostalgiques de la jeunesse et de la sensation.

nepal trek

Nous passons dans Cipangau, moins animé qu’hier soir. Lily et Christine ont avoué avoir fait des rêves mystiques. Est-ce la proximité du bois magique ? Le spectre effrayant ? La sensualité des danseurs ? Le froid pénétrant de cette nuit ? « La mer s’ouvrait jusqu’à une grotte » et Christine y a entendu « la voix de Dieu ». Hum ! La psychanalyste n’en dit rien…

ado nepal bairajogini

Les paysages sont plus riants sous le soleil. Les fermes et les villages, aux gosses innombrables, nous font signe. Les enfants nous examinent avec curiosité, cette attention qui flatte et donne envie de communiquer, par le geste ou le sourire. Ils restent en groupe autour de nous, trouvant assurance dans leur nombre et dans la chaleur des frères. J’opère une saisissante photo d’une petite bande sur la crête. Christine est fatiguée, Lily définitive, Michel calmé, Christophe pressé, et Elle émerveillée. Moi, ça va. Le pays est rempli de beauté, le soleil brille en ce début de matinée, rendant plus vaste le paysage, la lumière plus transparente à cette altitude, les corps plus déliés, les peaux des enfants plus rayonnantes, comme les sourires des femmes.

gamins nepal

Nous traversons la Bagmati deux fois sur des ponts suspendus, au grand dam des filles qui n’aiment pas que le chemin bouge sous leurs pieds. Pharphaing : c’est une ville sale où l’on déjeune sur le « terrain de foot » entre les merdes humaines ou canines et les gosses loqueteux qui se démènent pieds nus avec une boule de chiffon. Nous visitons ensuite le monastère Ninchapa aux couleurs vives tout frais repeintes. Des moines en robe bordeaux, assis derrière leurs bancs le long des murs, psalmodient les feuillets du rituel. Le ton monocorde des voix est très prenant mais finit par assoupir. Aussi, tous les deux feuillets environ, l’un d’eux saisit la clochette, un autre les cymbales, un troisième la trompe, et l’ensemble réveille brutalement l’assistance par un bruit discordant (c’est du moins l’impression que nous en avons). Puis la psalmodie reprend, rythmée par le tambour lancinant.

nepal pharpaing

Tara consulte près de là un vieux baba dans sa cage vermillon. Il porte cheveux longs et barbe blanche comme l’idée qu’on s’en fait. Puis nous visitons trois monastères et deux temples dans la foulée. Les moinillons sont rigolards et curieux. Au temple de Vishnou Seshnarayan sont dessinés les pieds de Vishnou et là s’élève la vache sacrée Dhinu. Le temple contient un bassin avec des statues du dieu soleil du 12ème siècle. Au temple de Shiva erre un sâdhu et s’élève une statue de Shiva tout nu, sexe apparent, contre lequel les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfant viennent se frotter selon la tradition. Les nôtres s’en gardent bien !

nepal temple pharpaing

La Royal Boarding Secondary School s’élève un peu plus loin. Elle est entourée d’un beau jardin où Tara négocie de pouvoir camper, au lieu du terrain vague et merdeux d’en face. Le directeur très posé, très british dans son intonation comme dans sa componction, nous accueille et parle en anglais. À notre surprise, il nous demande de traduire en anglais les cartes de vœux qu’il a reçu de François Mitterrand, alors Président de la République française, et nous montre sa photo dédicacée. Il nous laisse ensuite sa carte à chacun, Dhruba Bahadur Shrestha, « Head Master », Secondary Boarding School, Tribhuvan Adarsha M. Vidyalaya, Phurping, Kathmandu, Nepal.

carte school headmaster nepal

À l’heure de la prière nous entendons les monastères bouddhistes tibétains : bom ! bom ! bom !bom ! poing ! poing ! tooooon ! Et reprend la psalmodie automatique. « Cela » prie. Puis la grotte de Gurakhnat : Padmasambhava – le moine qui a introduit le bouddhisme au Tibet – y aurait médité. Puis le temple de Bajrajogini avec un nœud en poils de yack sur la tête de Bouddha, et « l’astamandal », le nœud des huit déesses mères qui ressemble à une suite de neutrons entourés d’électrons. Puis un temple aux 21 Tara, 21 poupées dorées en vitrine. La religion y est naïve, populaire, les rites répétitifs et simples, les objets de culte criards. Tout le précieux est sous vitrine. On ne touche pas avec ses pattes sales ! Certes, la philosophie bouddhiste est autre chose, une grande pensée humaine. Mais il faut de tout pour faire une religion, de la superstition pour gens simples aux plus hauts concepts philosophiques. Chacun doit y trouver à croire, selon ses capacités et selon ses besoins. Le rite simpliste va au paysan, la réflexion aux sages. Ainsi peut-on interpréter ce que nous voyons, qui est un peu décevant pour les idées que l’on s’en faisait. Leçon du pays : ne jamais se faire d’illusions mais vivre ce qui vient. Je soumets ce raisonnement à « Dominique », mais il me regarde d’un air bovin.

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Français terroristes : que faire ?

Les massacreurs du Bataclan et des cafés bobos, les terroristes qui se sont fait sauter au stade de France et à Saint-Denis (plus celui qui est encore en vie pour n’avoir pas osé) étaient Français. D’origine immigrée arabe, mais nés et élevés en France, « sous la mère » si l’on ose accoler cette mention de qualité bio.

Ils ont connu ségrégation sociale, difficultés scolaires, petite délinquance, radicalisation religieuse de quartier et dans les prisons, emprise du financement saoudien et qatari donc de la version littérale salafiste de l’islam, rigidification laïque sur le voile, le halal, la piscine, les prières dans la rue, les minarets des mosquées, la question palestinienne et les conflits en Afghanistan, en Irak, en Syrie, la chienlit des printemps arabes « démocratiques ». Cela n’excuse rien ; cela permet d’analyser leur cheminement.

Comme le dit depuis des décennies Marcel Gauchet, toute religion se fond peu à peu dans la modernité, les réactions intégristes étant justement le symptôme qu’elles se diluent. Cependant, comme le monde est désormais global, Internet livrant opinions, slogans et vidéos de tout, en temps réel, ce qui demeurait friction culturelle ou adaptation malaisée devient aujourd’hui conflit identitaire, voire choc moral des civilisations. Ce pourquoi cette troisième ou quatrième génération issue d’immigrés s’intègre moins bien que les précédentes. Tout est plus dur pour la jeunesse, mais encore plus pour la leur, car leur visage et leur patronyme sont connotés.

musulmans exclus

Mais leur violence ne peut plus être vue seulement comme conséquence des discriminations sociales ainsi que le logiciel de gauche tend à le mouliner en boucle :

  • il y a violence du monde et de ses conflits au Moyen-Orient
  • il y a la violence de l’islam des premiers temps, réavivée par la lecture littérale du Coran
  • il y a la violence mimétique de l’adolescence et des fratries qui se monte volontiers la tête et se pose par la posture virile vengeresse pour exister dans une société qui valorise plutôt le savoir et l’intelligence.

Dans la sous-culture des banlieues françaises, les désaffiliés sont parfois victimes (ce n’est pas la majorité) – mais s’enferment dans la haine. Ces « exclus » ne sont pas de nouveaux Christs rédempteurs du genre humain, pas plus que des néo « prolétaires » dont la classe serait porteuse d’avenir radieux. Ils sont plutôt solitaires, dépressifs, recherchant la gloire et la fraternité comme compensation. Le pèlerinage en Syrie a fonction de voyage initiatique, dont ils reviennent soit hantés parce qu’ils étaient partis pour apporter de l’aide et qu’ils n’ont trouvé que les horreurs de la guerre – soit décérébrés, enveloppant de « sacré » leur violence ultime, tout esprit annihilé par le suicide programmé au nom d’Allah par d’habiles manipulateurs d’ex-services secrets de Saddam Hussein.

se faire sauter en slip

Être un héros n’est pas facile, et la religion semble offrir une voie rapide :

  • Elle permet d’assimiler un savoir déjà écrit et contenu tout entier dans le Coran – plutôt que des années scolaires prolongées aux perspectives sans cesse repoussées.
  • Elle permet de se voir assigner une place, garçon ou fille, avec des rites de discipline et une communauté d’entraide.
  • Elle permet d’inverser les rôles, d’insignifiants rasant les murs à juges impérieux de cette société qui les a oubliés, méprisés ou rejetés – société qualifiée facilement « d’impie » ou d’hérétique. Faites la guerre, pas l’amour : la kalachnikov est plus facile à manier pour tisser des relations de domination avec les autres que la bite pour se faire accepter des filles ; se faire sauter une seule fois pour toutes assouvit la frustration de ne pas être autorisée à se faire sauter maintes fois – c’est parfois aussi trivial que ça.

Le rêve de toute-puissance permet de se voir comme Exécuteur de Dieu, bras armé du divin. Ce pourquoi on se met en images, contrairement aux préceptes de l’islam mais selon le narcissisme de la jeunesse moderne.

se faire sauter ados

Dans l’ordre inverse de cet engrenage individuel, social et culturel, il serait donc nécessaire de :

  1. Désendoctriner les néo-convertis, plus royalistes que le roi dans leur ignorance des textes et de l’histoire
  2. Ventiler les prisons, pour que les radicaux ne subvertissent pas les tièdes
  3. Soigner la délinquance par d’autres mesures que la prison
  4. Offrir d’autres perspectives que le trafic, le racket ou le vol à la jeunesse des banlieues
  5. Former des imams français en France et contrôler étroitement les contreparties exigées des financements étrangers
  6. Réformer l’école (éducation au statut de citoyen libre) en n’y envoyant pas les profs débutants, mal formés et laissés pour compte par la sacro-sainte Administration (dont le seul but est de s’en laver les mains)
  7. Réhabiliter l’esprit français, universaliste mais ancré dans l’histoire (finie la repentance), les grands exemples des classiques (finie la démagogie des chansons de rap en cours de littérature), l’usage du grec ancien remettant tout le monde à égalité et décentrant la culture (alphabet à réapprendre pour tous, période hors des conflits actuels, matrice de la civilisation occidentale mais surtout de la laïcité et de la démocratie universelle)
  8. Faire montre de plus de tolérance (une fois l’identité de culture réaffirmée comme ci-dessus), croire en Allah ne faisant pas de vous ipso facto un terroriste en puissance, être religieux ne voulant pas dire rejeter la république ni la vie en commun. Liberté de croire, égalité de toutes les croyances pour l’espace public, fraternité de la vie commune par la tolérance mutuelle : la notion de « blasphème » est abandonnée depuis 1789. Pas de différentialisme à la Terra Nova ou à la Wievorka, pas de laïcité soupçonneuse et interventionniste à la jacobin-socialiste aimant tout régenter – mais une laïcité libérale : celle de ne pas intervenir dans la sphère privée.

Il y a un long travail à accomplir pour changer les mentalités…

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Islam historique

Ibn Khaldoun, historien arabe andalou de l’islam médiéval, est né en 1332 et est mort en 1406, à 74 ans. Il est issu d’une tribu yéménite qui a émigré en Espagne dès les débuts de la conquête, au 8ème siècle. Il connait bien sûr enfant le Coran et les hadiths, apprend le droit et la jurisprudence islamique. Adolescent, il poursuit ses études à l’université Zitouna de Tunis où il s’initie aux mathématiques, à la logique et à la philosophie auprès d’Al-Abuli, une célébrité d’époque. Il étudie également l’astronomie et la médecine. Ibn Khaldoun lit Platon, Aristote et d’autres penseurs grecs traduits en arabe.

Adulte, il obtient quelques fonctions auprès des divers sultans qui se renversent les uns les autres, ce qui lui permet de voyager. Il rencontre même Tamerlan. Mais c’est dans le Livre des exemples qu’il médite sur l’histoire universelle… précédée d’une introduction en trois volumes.

ibn khaldoun le livre des exemples

L’historien se fait alors sociologue pour conter l’essor d’une civilisation. Pour lui, le pouvoir d’un groupe tient à la cohésion sociale, souvent d’origine ethnique (les clans de parenté). Ce sont ensuite les intérêts et les comportements qui fondent une communauté, laquelle impose sa souveraineté et crée un ordre de civilisation. La religion est l’un des éléments de la civilisation, superstructure soumise (comme chez Marx) à des déterminismes matériels et aux intérêts qui en découlent. À chaque phase de l’évolution sociale correspond un type de comportement religieux. La religion n’est pas le dessein de Dieu car le sentiment religieux se dénature en même temps que se délitent les liens de de solidarité du groupe.

La dynamique du violent et du productif est à l’origine de l’histoire arabe. Ibn Khaldoun explique la conquête fulgurante par quelques milliers de bédouins d’environ 35 millions de sujets perses et byzantins jusqu’en Espagne, de 634 à 720, par l’écart entre des guerriers résolus et des peuples désarmés. Les producteurs sont riches, donc mous et pacifiques ; ils se soumettent à qui les protègent, la liberté ne les intéressent pas, seule la prospérité est pour eux essentielle. Ils font soumission donc volontiers aux loups faméliques ultra violents, qui les exploitent mais sans jamais tuer la poule aux œufs d’or. Les sédentaires sont conquis avant même que les conquérants ne se manifestent… Ainsi la France en 40.

Telle est bien cette geste mythique que « l’état islamique » tente de reproduire. Quelques milliers de djihadistes sans pitié asserviraient à « la foi » (mais surtout aux intérêts matériels des nouveaux maîtres), quelques dizaines de millions de pacifistes productifs proche-orientaux et européens, nombreux et grassement imposables. Le moyen-âge a montré combien 2% de la population pouvait s’imposer aux 98% restants si sa volonté de puissance était sans faille. Lénine a réitéré l’expérience sur l’immense territoire russe, non sans mal mais avec un certain succès. Il suffit donc d’en revenir « aux origines » de la dynamique musulmane pour retrouver la puissance et la gloire.

Mais les daechistes n’ont pas lu jusqu’au bout Ibn Khaldoun. Celui-ci note aussitôt que les conquêtes ne durent pas. Dès que l’État prédateur est installé par les guerriers pour ponctionner l’impôt, ces mêmes guerriers deviennent de peu d’utilité. Jouent alors les fameuses bases matérielles des intérêts bien compris, et c’est le système d’État qui assure la protection, plus les guerriers personnellement, qui voient s’effriter peu à peu toutes leurs solidarités claniques. Le sultan veut se dégager de sa tribu pour assurer son pouvoir personnel et appelle, pour ce faire, des sédentaires vaincus aux fonctions civiles. La violence ne peut que s’éroder avec la puissance pacificatrice de la bureaucratie d’État…

empire islam carte

L’effondrement les tribus arabes en Perse, au profit des Turcs seldjoukides, puis des Mongols avec la prise de Bagdad en 1258, a altéré la puissance des guerriers, donc la religion musulmane. C’est l’islam, dit Ibn Khaldoun, qui a créé « le peuple » arabe : leur empire historique est dû à leur foi intransigeante et exclusive. La religion s’est liée à l’État par le djihad. Mais la victoire des Turcs a brisé le lien et a rendu l’islam religion comme les autres, où la guerre sacrée est absente et où la force réside dans l’économie sédentaire. Dès le 11ème siècle, la division est consommée entre sédentaires et bédouins, productifs ou savants et tribaux violents. L’islam « modéré » est issu des marges de l’empire, des Turcs, des Berbères, des Mongols – pas des Arabes. Ainsi se crée le soufisme – tandis que le djihad reste bien l’islam originel.

Depuis 1979, l’islam radical sent donc son heure venue pour ressusciter l’élan des premiers temps, aussi apocalyptique qu’un nouveau cycle. Il s’agit de terrasser la Bête des « perversions et abominations » en obéissant à la lettre à la voix même d’Allah, sans réfléchir, car Allah sait mieux que tous ce qui est bon pour tous. L’Égypte de Sadate a trahi la cause arabe en reconnaissant Israël ; l’URSS athée a envahi l’Afghanistan, ce qui discrédite tout « progressisme » socialiste ; la révolution chiite de Khomeiny en Iran montre que le Grand Satan est un tigre de papier et qu’un État théocratique est possible ; le terrorisme de la Kaaba à La Mecque montre la naissance d’un radicalisme de pureté, attirant la jeunesse déboussolée. Tout cela durant la seule année 1979… Qui a dit que nous n’étions pas prévenus ?

L’objectif est de fanatiser les croyants par l’islam littéral, le seul « vrai islam » historique, pour en faire des guerriers aiguisés dont la violence sans borne permettra d’asservir les populations pacifiques amollies par la consommation et les loisirs, vite « choquées » par toute manifestation de pure virilité machiste. C’est ce romantisme identitaire qui rassemble la « communauté » des croyants dans le dar al-islam, tandis que tout le reste de la planète est décrétée zone de guerre : à piller et à réduire à volonté. Il s’agit bel et bien d’un projet « politique », dont l’idéologie est l’islam du seul Coran et dont l’instrument est cette fraternité utopique des « frères » unis en vol, viol et violence – allant jusqu’à forcer des petites filles de 9 ans, puisque le Prophète l’a fait.

Qui a dit que nous n’avions pas tous les éléments pour le comprendre ? Oui, l’islam historique, celui des premiers temps, encourage la violence et la haine – il faut le dire. Donc pousser les musulmans qui ne s’y reconnaissent pas (la religion est toujours dans l’histoire, elle peut donc évoluer) à dire combien ils ne sont pas d’accord. Certains le font, pas sûr que, du côté « gauche » (dont l’autre sens est « maladresse ») on ait vraiment compris. A court terme, François Hollande cause, il cause bien, mais ce ne sont encore que des mots.

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Pashupatinath

La nuit est bonne, mais pas le petit-déjeuner. Il comprend une omelette grasse, des crispies au lait d’un goût douteux, un café transparent… Brume et froid. Que ce paysage est humide ! Nous prenons le bus jusqu’à Pashupatinath, un complexe de temples au bord de la rivière Bagmati. Le soleil se lève et fait des effets de gloire avec la brume. Le complexe est construit partout, sculpté de dieux et de déesses sur toutes les faces.

pasupaninath singe au nepal

Le culte a lieu dans la rue. On se salue, on fait tourner inlassablement les moulins à prières, on sonne la cloche pour appeler le dieu ou éloigner les démons, peut-être les deux successivement, d’ailleurs. On touche la statue en trois endroits avec de la poudre vermillon. Enfin on se plaque un point rouge au milieu du front avec l’index, le tika. Fin de la cérémonie.

ados pasupanitah nepal

Ici, tout est mélangé, la prière, les ablutions, la restauration. On se lave rituellement dans la rivière aux eaux paresseuses, sales de limon et de détritus divers – mais sacrée. Un sâdhu crasseux médite au soleil ; des enfants jouent ; des vieilles vendent des légumes assises par terre.

pasupatinath ghat sur bagmati nepal

Sur le ghât crématoire, devant le temple réservé aux hindous, une famille fête un petit garçon de six mois. Il s’agit de la cérémonie du « premier riz », l’âge où il est sevré et quitte le sein pour commencer à se nourrir de bouillies. On lui a fardé les yeux comme Cléopâtre, on l’a enveloppé dans un châle safran aux paillettes brillantes. Il est tenu dans les bras. Le père réalise une photo de famille. Les touristes que nous sommes en profitent pour attraper quelques images touchantes aussi.

pasupatinath mere et babou bapteme nepal

Sur les toits des temples et des petits stupas, des singes bondissent en bandes jacassantes. Avides et sans mémoires, ils sont la parfaite illustration de ces « foules démocratiques » selon Rudyard Kipling dans Le livre de la jungle. Je comprends ici pourquoi. Certains temples sont peints. Une sorte de yéti poilu, tout noir, exhibe son sexe et sa langue, tous deux roses. Un squelette lui fait face, tracé à la peinture rouge, un symbole en point d’interrogation inversé sur le bas ventre, comme une énergie qui se relève. Ganesh, statue de pierre, un peu plus loin, reluit de sang frais ; il paraît gras et satisfait.

pasupatinath squelette sexue nepal

Pashupatinath est serré, crasseux, grouillant. Je ressens peu de sacré en ce lieu.

pasupatinath stupas nepal

Nous reprenons le bus sur la route défoncée. La voirie est en si bon état que le véhicule passe à côté des ponts ! Ils ne doivent pas être assez solides pour supporter son poids. Dans les virages, de grands coups de klaxon préviennent de l’arrivée du monstre : femmes, vaches et gosses, rangez-vous ! On traverse des villages typiques dont la vie se passe dans les rues, même un 30 décembre, comme aujourd’hui, dans le froid et l’humidité. Tara nous parle de temples. Elle a des expressions fleuries en français, comme « elle avait trouvé tous les moyens de faire sa crise », avouant d’ailleurs « je parle de mal en mal ».

pasupatinath au matin nepal

Au temple de Bairajogini, elle nous montre une sculpture de « marin monstre ». Ce personnage fantastique qui a arpenté toutes les mers du monde s’avère un gros cétacé, un monstre marin bien traditionnel. Pour accéder au temple, il faut monter à pied un interminable escalier. Une bande de gamins s’est mise à danser autour du bus. Un jeune nous accompagne quand nous sortons. Il parle anglais et s’appelle Rassendrar. Il a 16 ans, me dit-il. Il est gentil, bien vêtu, les traits réguliers, l’air d’un gamin grandi trop vite, pas très mûr pour l’âge qu’il donne, et je ne sais pas trop ce qu’il fait dans la vie. Des singes sautent partout de murs en murs, nourris le samedi par les fidèles. Le temple est leur demeure.

pasupatinath tire langue gamin nepal

Nous essayons le « trou des péchés », un rocher percé d’une lucarne où, si l’on parvient à passer le corps, on est purifié. Annie manque de rester coincée, mais Lily passe. Seuls les gamins n’ont aucun problèmes, ils sont purs d’office ! Un moine nous ouvre un petit sanctuaire dédié à un sage récent qui a reçu la foudre. L’autel est garni de gadgets en vitrine, une photo, des lampes à huiles devant elle, des fleurs, un plateau à offrandes rempli de grains de riz flanqués de quelques billets. Les cercopithèques, copains de Christine qui en a disséqué d’autres, s’épouillent et se chamaillent parmi les sculptures en bois des toits. Un peu plus bas, des fidèles accomplissent encore des sacrifices d’animaux à Kali. La déesse aime le sang. On peut apercevoir son rocher d’offrande, rouge et nauséabond et des restes de plumes sanglantes par terre.

pasupatinath nepal

Nous reprenons le bus, puis marchons un peu à pied, vers le village de Sakhu. Les boutiques sont ouvertes sur la rue, des enfants grouillent partout, des légumes sèchent à terre, des temples s’élèvent dans tous les coins. Ici, il y a des couleurs. Christine a une théorie sur notre déception à propos des couleurs du Népal, qui ne sont plus ce qu’elles étaient. Muriel Cerf a écrit son livre dans les années soixante-dix, au moment où l’occident ne s’habillait que de couleurs ternes, bien austères et bien bourgeoises (qui sont revenues dès le milieu des années 1990, d’ailleurs). D’où son étonnement de se trouver plonger dans cet appendice de l’Inde où les vêtements sont vifs et bigarrés. Aujourd’hui (1988), la mode d’Occident a adopté les mauves et les roses vifs rapportés par les ex-routards reconvertis dans la pub. Le contraste apparaît donc moins grand. Et les gens importent des jeans et des tee-shirts de l’Inde au lieu de s’habiller de tissus traditionnels, ce qui renforce la fadeur que nous percevons. Le raisonnement est séduisant.

pasupatinath garuda nepal

Nous montons au temple de Cangunarayan et pique-niquons juste avant de l’aborder, dans la montée. Le temple est superbe, en carré avec un sanctuaire central très sculpté. Des adolescents font de ce temple un but de promenade. Le site est beau, on y rencontre les autres. Nous descendons ensuite vers Jhankel, parmi les rues non pavées où s’affairent les locaux. En stop, nous empruntons la benne d’un camion qui passe, puis le bus nous rejoint et nous conduit à Bhaktapur.

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Au nom d’Allah le très haut, le tout miséricordieux

Eh oui, au-delà des huit terroristes dont cinq Français arabes mal dans leur peau issus de la délinquance, c’est bien d’islam qu’il s’agit… Plus de 130 morts et plus du double de blessés, malgré le raté du stade de France. Paris touché au cœur de son métissage bobo dans les quartiers mélangés du nord-est, Paris « la capitale des abominations et de la perversion », où « des centaines d’idolâtres » étaient réunis « dans une fête de perversité » selon le communiqué de Daech : ne voilà-t-il pas une conception de la religion comme quelque chose qui exclut plutôt qu’elle n’unit ?

Religion ou secte ? Si la religion unit les peuples et vise à l’universel, cette religion-là, l’islamique intégriste, salafiste issue du wahhabisme saoudien, est réservée aux seuls croyants, à ceux qui lui font allégeance. Miséricordieux, Allah ? Pour ceux qui se font sauter, ils le souhaitent ardemment, mais seulement pour eux – car ils imaginent aller direct au paradis peuplé de houris et d’éphèbes, où tout ce qui est « interdit » ici-bas est permis en-haut. Pour cela, il faut quitter ce monde mais, comme le suicide est trivial et mal vu, il faut le parer les palmes du martyre, entraîner avec soi des dizaines de mécréants comme hier les tribus ramenaient leurs lots de captifs voués à l’esclavage. Mais oui, c’est toujours bien de l’islam qu’il s’agit.

paris attentats du vendredi 13 novembre 2015 carte

Certes pas la version policée par les siècles de réflexions des érudits, mais celle des origines, toute à feu et à sang, où tous les autres, ceux qui ne croient pas comme vous, sont à zigouiller sans merci. Du temps où la gauche pensait (temps aussi lointain que celui où les bêtes parlaient), Cornélius Castoriadis le disait du communisme, cette autre religion dévoyée dans les massacres de masse. Pour sa démonstration contre, il prenait en exemple le christianisme, aux Évangiles pourtant nettement moins vengeurs que le Coran. Lui l’économiste de l’OCDE, psychanalyste et philosophe né Grec à Constantinople, devenu communiste pour résister aux nazis dans la Grèce de 1941, puis émigré à Paris où il rejoint les rangs trotskistes (comme Jospin) devant le cynisme antidémocratique du Staline après-guerre – lui n’avait pas de leçons à recevoir des » pseudo-intellos » (comme dit la ministre de gauche) qui ne lui arrivent pas à la cheville. « Pas d’amalgame » ? Nous attendons toujours la réforme de l’islam, comme fut celle du christianisme.  Castoriadis :

« Il faut aussi parler du destin historique du marxisme. Il est étrange de voir des gens qui se proclament marxistes ou veulent ‘défendre Marx’ et ignorent avec acharnement cette question. Pourrais-je discuter du christianisme en disant : ‘l’Inquisition, je m’en fous ; le pape, c’est un accident ; la participation de l’Église catholique à la guerre civile espagnole aux côté de Franco, ce sont des prêtres empiriques. Tout cela est secondaire par rapport à l’essence du christianisme, laquelle se manifeste dans telles phrases des Évangiles’. Le christianisme est une réalité sociale et historique instituée depuis deux mille ans : cette réalité, certes infiniment complexe et ambiguë, a quand même une signification que je ne peux à aucun moment ignorer ». Substituez islam à christianisme et vous aurez « la réalité sociale et historique » de l’islam – n’en déplaise aux bobos de gauche qui veulent tout minimiser au nom d’on ne sait quelle synthèse politiquement correcte.

Castoriadis poursuit : « Je ne peux pas faire autrement quand il s’agit du marxisme. Certes, il n’a pas deux mille ans, il n’en a que cent vingt (à la date d’écriture, en 1974), mais dont les soixante derniers sont historiquement très lourds. La réalité du marxisme est d’abord, à un degré écrasant et qui prime tout le reste, qu’il est l’idéologie dont se réclament les régimes d’exploitation et d’oppression totalitaire qui exercent leur pouvoir sur un milliard d’hommes et de femmes » p.55. Même chose pour l’islam : quelques dernières années « très lourdes » historiquement, « réalité d’oppression et de totalitarisme » sur les jeunes et sur les femmes principalement. Il n’y a de religion qu’incarnée, qu’elle soit chrétienne, musulmane ou communiste. On ne juge les arbres qu’à leurs fruits. Et c’est bien de l’islam qu’il s’agit.

Toute croyance est comme une drogue pour oublier sa faiblesse et son mal-être, toute croyance offre le refuge imaginaire où abdiquer sa liberté, dont on a peur. La croyance, qu’elle soit juive, chrétienne, musulmane, communiste ou autre, euphorise à petite dose, elle aide à supporter sa vie lorsqu’elle apparaît trop minable. À forte dose, elle conduit au délire, à quitter la réalité ici-bas pour le rêve en-haut, à mépriser la vie humaine et à désirer mort et destruction, souvent par compensation : ce qu’on n’ose désirer, il faut le détruire. Le Paris bobo du mariage homo ? La mixité festive ? Le sport qui unit blacks-blancs-beurs ? Il faut faire sauter toutes ces « perversions » dans des déluges de feu, comme Sodome et Gomorrhe.

Pour la secte islamique de Daech, la stratégie est d’utiliser les ressortissants d’un pays « impie » pour susciter une guerre civile dans ce « ventre mou » occidental qu’est l’Europe. Où l’islam est inféodé aux conservateurs algériens ou financés par des imams (parfois) fanatiques des Émirats et d’Arabie saoudite. Les États-Unis savent se défendre, on l’a vu en Afghanistan, en Irak, avec l’éradication de Ben Laden. Mais l’Europe ? Trop peu, trop tard, trop gênée par la culpabilité ex-coloniale et par la naïveté chrétienne (belge) ou de gauche (française). Utiliser les néo-musulmans des banlieues et des campagnes, pour près de 40% d’ex-cathos en manque de repères et d’obéissance, comme une cinquième colonne pour susciter lynchages, pogroms et montée du Front national, pour dresser basanés contre blancs, laïcs contre croyants – voilà ce qu’ils veulent. Sans parler de punir « au nom d’Allah le miséricordieux » tous ceux qui s’opposent à leur état islamique autoproclamé : Russie, Turquie, Liban, France. L’internationale de la terreur est l’autre nom du Komintern islamique. Car c’est bien toujours d’islam qu’il s’agit.

Le choix d’un vendredi 13, est-ce un hasard ? Il est curieux que personne, à ma connaissance, ne l’ait mentionné : le vendredi est le jour de la mort du Christ, où Adam et Ève furent chassés (dit-on) du paradis, où Caïn tua Abel, où Hérode fit massacrer les Innocents… Vendredi est le jour où débute le Sabbat et où surgissent démons et spectres. Selon la coutume arabe, il faut commencer les labours le vendredi : ce qui laisse augurer une suite aux attentats de Paris… Le 13 est le chiffre de la Cène où le treizième convive, Judas, trahit le Christ pour trente deniers. C’est aussi dans le treizième chapitre de l’Apocalypse que sont évoqués l’Antéchrist et la Bête. Est-ce vraiment un hasard pour ces « croyants » pénétrés de l’eschatologie du Livre ?

cornelius castoriadis une societe a la derive

Dans un autre texte, datant de 1992, Castoriadis parle de l’islam. « Que faut-il dire des autres ? Ceux qui, par exemple, sont prêts à tuer ceux qui ne pensent pas comme eux ? À tuer Salman Rushdie ? Est-ce qu’ils sont ‘inférieurs’ ? On dira aujourd’hui qu’ils sont différents. Mais nous ne pouvons pas tenir ce que nous pensons de la liberté, de la justice, de l’autonomie, de l’égalité, en nous contentant de parler de ‘différence’. C’est ce que fait pourtant l’immonde salmigondis pseudo-gauchiste, ou pseudo-démocratique contemporain, qui se limite justement là-dessus à des bavardages sur cette «’différence’. Il y a des gens qui croient à la liberté et à la démocratie, et puis il y a des gens qui croient qu’il faut couper les mains des voleurs. Les Aztèques faisaient des sacrifices humains. Est-ce une simple différence ? (…) Nous voulons instaurer une société autonome, et si nous le voulons, c’est évidemment que nous la jugeons préférable à toute autre forme de société actuelle ou envisageable, donc (…) supérieure. Mais sachant ce qu’est l’autonomie, et ce qu’elle présuppose, il ne nous passerait pas par la tête de vouloir l’imposer par la force aux autres. Il y a une fine crête sur laquelle aussi bien dans le présent que dans un avenir moins déplorable (…) nous devons marcher » p.123.

Nous devons être plus durs en ce qui concerne nos libertés, dont la première est la liberté d’expression.
Plus durs sur les valeurs qui sont les nôtres, laïcité et place des femmes.
Plus durs envers les iréniques, les cépaleurfôte, les protecteurs des pôvres ex-colonisés (le dernier il y a deux générations) qui ont bien « le droit » à la « compréhension » s’ils se vengent.
Plus durs contre toutes les croyances et leurs dérives sectaires.
Plus durs envers les imams qui prêchent la haine, l’islam qui ne se réforme pas et pour les voyous qui entassent des armes pour venger leur inaptitude.
Plus durs et plus clairs dans notre politique étrangère, parfois menée un peu trop légèrement, sans souci des moyens nécessaires ni des conséquences.

Pour le reste, François Hollande fait le boulot, il a enfin compris : consulter, décider, exposer – et agir vite – enfin !

Cornélius Castoriadis, Une société à la dérive – entretiens, 2005, Points essais 2011, 390 pages, €10.30

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Stupa de Bodnath

Un minibus nous attend ensuite pour nous conduire à Bodnath, que nous évoquions ce midi. Les porteurs ont fait déposer nos bagages à l’hôtel Tara Gaon.

grand stupas de bodnat nepal

Nous visitons alors le grand stupa. C’est une coupole couleur d’œuf d’autruche qui évoque une pièce montée munie de deux yeux bridés qui nous regardent. Le nez en forme de point d’interrogation nous questionne. Les tissus à prières attachés aux mâts alentour claquent à la brise. L’énormité du monument, ces yeux peints, ces symboles, sont fascinants. Comme la vie qui continue à son ombre. Des gamins jouent en bandes sur les terrasses.

troisieme oeil de bodnat

Autour du monument s’ouvrent des boutiques de souvenirs où l’on fait le plus prosaïque commerce. Des scènes de rue pittoresques témoignent que l’on n’est pas ici dans un équivalent de Lourdes ou de Saint-Pierre de Rome. Le sacré participe de la vie quotidienne. C’est ainsi que s’ouvre, en face d’un temple, une boutique à l’enseigne de « Bouddha Provision Store », un bazar empli de caisses de bières et de boites de conserve. Il est envahi de petits enfants qui jacassent et qui jouent sur ses marches ouvertes sur la rue.

bouddha provision store bodnat nepal

Nous assistons en spectateurs à la cérémonie du soir d’un petit temple bouddhiste qui s’ouvre sur la place du stupa. Les prières chantées sont répétitives, rythmées par le tambour, que viennent supplanter parfois les sons discordants des trompes tibétaines et des cymbales. Les moines regardent ailleurs tout en psalmodiant, et même rient, l’esprit ailleurs.

temple sculpte a bodnat nepal

La cérémonie est un rite qui doit être accompli, pas une prière personnelle. Répéter vaut, l’attention n’est pas requise. Nous laissons quelques billets en offrande, dans la fumée d’encens et l’odeur du beurre qui grésille autour des mèches.

monastere tibetain bodnat nepal

Nous visitons un peu plus loin un monastère tout neuf en béton. Dans l’oratoire fraîchement repeint, les couleurs explosent dans des scènes naïves et criardes. Dieux et démons sont emmêlés (comme dans la vie ?), un grand Bouddha au visage de terre est vêtu d’or et de pierres précieuses, lui qui a tout quitté pour aller méditer nu. Il trône maintenant vêtu en prince derrière une vitre.

bouddha de bodnat nepal

Le moine en robe grenat qui nous explique le temple ne parle pas népali mais tibétain et anglais. Il est à Bodnath depuis trois ans seulement et fait partie de ces réfugiés tibétains qui se sont installés au Népal pour exercer librement leur culte, sévèrement contrôlé par les envahisseurs chinois du Tibet. Un moinillon de 14 ans le rejoint, glissant silencieusement sur ses pieds nus. Lorsque l’adulte s’aperçoit de la présence de l’enfant, il lui presse discrètement les mains. Geste de tendresse pour un filleul exilé comme lui en terre étrangère ; geste de maître pour son disciple.

moine tibetain bodnat

On assiste souvent à des gestes d’affection de ce genre en public, entre adultes et enfants ou entre pairs, les mains sur les épaules, la prise des deux mains, la pression d’une main sur le bras, la caresse de la nuque ou des cheveux. Tous ces gestes de gentillesse et d’abandon que nous n’osons plus faire dans nos pays coincés par la morale judéo-chrétienne. Cela « pourrait » être mal interprété par les pisse-froid qui ont la hantise de leurs propres pulsions et s’empressent de les voir chez les autres, complaisamment. Un « toucher » peut-être trop animal pour nos conceptions binaires du Bien et du Mal, de l’Esprit et du Corps, du Pur et du Sale – toutes ces inepties sorties de la Bible ?

gamin demi nu bodnat nepal

Le soleil se couche. Il fait tout de suite froid, bien que nous soyons largement redescendus en altitude. Des gamins, pauvrement vêtus, ne portent parfois qu’une veste sur leur poitrine nue. L’hôtel est confortable et nous change de la tente, mais il n’a pas de douches chaudes.

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René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde

rene girard des choses cachees depuis la fondation du monde
René Girard est mort à 91 ans. Grand, impérieux, magnétique, il a marqué son époque. C’est le jour de Pâques, 1987 ans après la naissance supposée du supposé Christ, que j’ai lu cet ouvrage. Il ouvre un horizon nouveau au christianisme. Il expose en effet une anthropologie fondamentale où… il découvre que la religion chrétienne apporte la réponse nécessaire. Toute la théorie mimétique, inventée par René Girard, serait contenue dans les Évangiles.

Pour René Girard, et c’est un fait d’expérience, l’homme est un être d’apprentissage ; mais il est aussi, et conjointement, un être social. Son désir a besoin du désir des autres pour exister. Sans concurrence, pas de désir précis, seulement des désirs vagues, informulées. L’émulation permet de désirer ce que les autres désirent. Ce mimétisme du désir est volonté de se fondre dans l’autre, son double pour s’emparer de ce qu’il veut.

Telle est, selon l’auteur, la source de la violence entre les hommes.

La fonction des interdits sociaux est de « prohiber le mimétisme » en mettant un tabou sur certains objets et certains êtres les plus proches car appartenant au groupe de cohabitation, enjeux les plus évidents de relations rivales. Le rôle des rituels religieux est justement de désamorcer la violence en la mimant. Le meurtre d’une victime émissaire change l’opposition de chacun contre chacun en opposition de tous contre un seul.

Ce « sacrifice » fonde les règles sociales et établit la culture. Le transfert d’agressivité sur la victime rend celle-ci « sacrée », et la paix que ce meurtre apporte par catharsis fait l’objet d’un transfert de réconciliation sur la communauté.

Voilà qui est bel et bien dit malgré un freudisme un peu lourd qui demanderait à être nuancé. Mais une telle clarté est salutaire après les cafouillages folkloriques de nos manuels d’ethnologie.

Donc le sacré, c’est la violence. Celle qui vient de soi sans qu’on sache pourquoi, celle qui fait que l’on désire toujours ce que l’autre désire – parce que l’on est ainsi fait. Violence involontaire, irrationnelle, brutale. Ce que l’on ne comprend ni ne maîtrise, on l’appelle volontiers « Dieu ». L’esprit humain se reconnait dépassé et transcendé par une force qui lui paraît extérieure à lui-même et qui semble mener la communauté où elle veut. La religion, la philosophie, l’ethnologie, la psychologie ne seraient pas des tentatives pour comprendre mais des masques pour oublier la violence fondamentale. Celle qui est inconnaissable parce qu’effrayante autant que hors de toute maîtrise. Une sorte de vouloir être sauvage qui submerge toute rationalité.

lutte gamins izabela urbaniak

Pour René Girard, « Satan » est l’image incarnée des mécanismes circulaires de la violence qui emprisonne les hommes dans des systèmes culturels et philosophiques assurant un modus vivendi avec elle. « Le Christ », à l’inverse, révèle le meurtre fondateur à la base de toute religion et fait comprendre par la Crucifixion qu’il ne pourra plus désormais y avoir de victime expiatoire car sa persécution sera comprise, à son exemple, comme injuste. La communauté ne pourra plus se réconcilier sur le dos d’un bouc émissaire. C’est l’effacement du christianisme qui a engendré la Shoah – ou le génocide cambodgien.

Les Évangiles seraient donc une mutation de la pensée par rapport aux textes de l’Ancien testament et des autres religions. Ces Évangiles empêchent désormais – par leur révélation – le mécanisme fondateur de fonctionner. Contrairement à la lecture médiévale du christianisme, contre laquelle Nietzsche avait raison de s’élever, jamais dans les textes évangéliques retenus par l’Église, la mort de Jésus n’est définie comme « un sacrifice ». Aucun dieu ne l’a voulu, pas plus qu’il ne « veut » les maladies, les catastrophes ni la mort qui tous affectent les humains. La violence apocalyptique prédite par les textes n’est pas divine, mais est le fait des hommes – eux dont le conflit mimétique ne connaît pas de fin.

Les Évangiles seraient une explication du monde et de la place de l’homme. L’être humain est libre : ce qui lui arrive est de son seul fait, de par sa violence essentielle. Dieu – s’il existe, et cela est du domaine de la foi, pas du fait – est extérieur à tout cela. Le Christ, homme plus qu’humain mais avant tout homme, révèle les moyens de sortir de la crise mimétique. Son Royaume est celui où les humains, par un effort de raison et de volonté, auront su mettre un terme à la violence mimétique. En dehors de l’expulsion réconciliatrice, seul ce renoncement inconditionnel peut mettre fin aux rapports de vengeance. Du moins il faut y croire…

Selon René Girard, aucune autre possibilité ne subsiste, une fois les ressources sacrificielles épuisées par la révélation du Christ. C’est l’attitude d’Antigone qui refuse la version officielle du sacrifice de ses frères, que l’un aurait été juste et l’autre rebelle. Pour elle, les deux sont morts pour rien, dans une rivalité aussi absurde que l’hypocrisie politique de la cité. Antigone aurait dit la même chose que le Christ : « je ne suis pas venu pour partager la haine, mais l’amour ».

Notre univers contemporain illustre étrangement cette théorie. La paix nucléaire repose sur une appréciation froidement scientifique des conséquences fatales qu’auraient pour tous les adversaires l’utilisation massive des armes accumulées. Le renoncement à toute représaille est la seule condition de survie de l’humanité : ce que dit l’Évangile. D’autant que ce conflit impossible permet de libérer des forces pour la création et pour la vie. « L’amour », la paix, sont bien révélateurs, ils échappent à tout esprit de revanche. Tout ce qui fit de notre univers occidental, depuis 1945, le plus énergique et le plus créateur qui fut jamais en savoir scientifique, en technologie, en pensée et en art, est due à cette guerre impossible, à cette paix forcée, lentement conquise. Même si elle est relative – des guerres conventionnelles ne manquant pas d’éclater.

Aurions-nous enfin su dépasser le simple désir mimétique pour lui faire servir moins la guerre que l’émulation ? Ne serait-ce pas plutôt le fait qu’une seule puissance soit restée hégémonique jusqu’à la seconde guerre d’Irak, sous George W. Bush, qui a produit le désir de l’imiter elle seule, plutôt que de la défier ? La Chine qui émerge et la Russie nostalgique de son ex-puissance, le salafisme qui veut dominer les femmes et tous les incroyants, défient désormais, depuis la parution du livre, cet irénisme candide.

La paix, qui surpasse l’entendement humain, ne peut surgir qu’au-delà de la passion chicanière du jugement. Différencier le coupable et l’innocent, c’est perpétuer la violence – alors qu’il faudrait selon le Christ « pardonner », car tous sont coupables et tous sont innocents. Il n’empêche qu’en face d’un fanatique brandissant son couteau, tout cet échafaudage de bons sentiments et de pensées élevées s’effondre, se réduisant au dilemme simple : lui ou moi. Lorsqu’il s’agit de politique, la chose se conçoit, lorsqu’il s’agit d’humains déshumanisés par leur religion ou leur idéologie, le « pardon » ne tient pas. Il faut d’abord les maîtriser et de les empêcher de nuire avant – le temps qu’ils se reprennent – de leur donner une chance de réintégrer l’humanité.

Le bouc émissaire ne fait qu’assouvir la violence collective sur un faible qui ne peut se justifier. « L’amour » que le Christ demande aux hommes de pratiquer ne serait, selon René Girard, pas bêlant de faiblesse mais de force et de volonté. La paix doit se construire et elle demande de hautes vertus, plus sans doute que la guerre, qui n’est qu’un laisser-aller à ses instincts de violence.

Sauf que la guerre est parfois nécessaire, qu’il faut parfois être violent pour ne serait-ce que se faire entendre de ceux que leur croyance rend aveugles et sourds. C’est probablement toute la différence entre les époques, 1978 et 2015…

René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978, Livre de poche Biblio essais 1983, 640 pages, €7.60

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Géopolitique de l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite est un petit pays, à la population autochtone réduite. Mais sa grandeur tient à ce qu’il recèle les premiers lieux de pèlerinage des Musulmans dans le monde, La Mecque et Médine, et son importance tient à ce qu’il recèle en son sous-sol les premières réserves de pétrole facilement exploitables de la planète. L’Arabie saoudite, nain démographique, est un géant du début XXIe siècle avec la religion et l’énergie. En sera-t-il de même dans quelques dizaines d’années ? D’autant qu’il se trouve pris dans les convulsions de l’aspiration démocratique du « printemps arabe » et dans les soubresauts stratégiques de l’ennemi régional, l’Iran, plus ou moins soutenu par la puissance russe.

arabie saoudite drapeau

Référence religieuse

L’Arabie saoudite se veut une sorte de Vatican de l’islam, même s’il n’existe aucun équivalent du pape dans le sunnisme (au contraire du chiisme avec les grands ayatollahs). Si nous poursuivons la comparaison avec la chrétienté (ce qu’Allah ne plaise), le sunnisme est l’équivalent du catholicisme tandis que le chiisme apparaît comme une dissidence « protestante » des origines.

Fidèle à la tradition, le prince Ibn Saoud (alors simple chef de village) conclut une alliance avec le religieux Wahhab en 1744, qui prônait une interprétation littérale du Coran, la Voix même de Dieu. L’islam vu par le wahhabisme doit progresser par la conversion, et celle-ci s’obtient par la conquête. Les fidèles doivent obéissance absolue au souverain qui, en contrepartie, a le devoir d’appliquer la loi divine révélée à Mahomet. La rente pétrolière – cadeau d’Allah – sert donc à une diplomatie du financement des imams et au prosélytisme partout dans le monde, notamment en Europe, où l’islam n’est pas organisé. Ce financement ne va pas sans exigences wahhabites : prôner un islam radical et rigoriste, au détriment des autres interprétations de la religion. Quarante ans de financement produisent leurs fruits : l’islam de France, par exemple, est de plus en plus noyauté par les wahhabites, constituant une « cinquième colonne » faisant pression pour imposer les mœurs littérales de l’islam bédouin à la république laïque.

Le salafisme est proche du wahhabisme, sans être confondu : il est né dans les pays ouverts, Égypte, Irak, Syrie, Inde et non dans l’univers fermé bédouin saoudien ; il ne s’inféode pas à la famille régnante saoudienne ; il a une lecture encore plus littérale du Coran que le wahhabisme. Il reste qu’en pratique, ce sont deux fondamentalismes puritains idéologiquement très proches et adeptes du petit djihad, celui de l’épée (variante pour incultes du grand djihad, celui de l’esprit).

Nous avons donc un royaume d’Arabie saoudite féodal, théocratique, qui n’utilise l’Occident que pour se moderniser et se protéger de façon tactique contre ses ennemis proches, mais qui récuse tout universalisme autre que celui d’Allah – imposé par la force du djihad. Nous voilà clairement prévenus : si l’on va déjeuner avec le diable, il faut une longue cuillère. Pas sûr que les Yankees l’aient compris, malgré le retour de bâton de l’attentat contre le World Trade Center (15 Saoudiens sur les 19 pirates de l’air) et le financement à guichets ouverts par « certains princes saoudiens » d’Al-Qaïda et de Daech…

Il n’y a pas que l’Occident à devoir se méfier de Riyad : il y a aussi tous les pays chiites, frères encore plus ennemis car considérés comme « renégats » de l’islam. La corruption des princes saoudiens qui vont à Londres ou sur la côte d’Azur jouir d’orgies interdites dans le royaume, l’organisation déficiente du pèlerinage de La Mecque qui vient de faire plus de 950 morts dans une « bousculade », la présence d’étrangers à demeure – par exemple une base américaine – sont autant de critiques qui sont faites au nom de l’islam contre le noyau de l’islam. Les djihadistes ex-afghans puis daechistes sont un danger intérieur saoudien dont ne faut pas négliger le pouvoir révolutionnaire (au nom même du wahhabisme).

Fanatisme saoudien

Référence pétrolière

Le royaume d’Arabie saoudite recèle en son sol à peu près 10% des réserves mondiales de pétrole connues et se trouve le 11ème producteur mondial de gaz naturel. C’est dire combien il pèse dans l’OPEP, l’Organisation des pays producteurs de pétrole, cet oligopole qui fixe le prix de référence du baril.

Les activités tournant autour du pétrole et du gaz sont vitales pour le royaume, elles représentent à peu près 80% des revenus. Avec une double menace : le pétrole de schiste américain et l’implantation trop proches de l’Iran des exploitations pétrolière en Arabie même.

Le gaz et le pétrole de schiste ont hissé en quelques années les États-Unis au rang de premier producteur mondial, malgré un coût d’extraction plus élevé. Le pays s’est donc affranchi des prix OPEP et produit sa propre énergie sans plus dépendre du golfe Persique. Cet état de fait explique pourquoi l’Arabie saoudite ne veut pas réduire sa production pour, dans le cartel OPEP, faire remonter les prix en asséchant l’offre. Elle veut au contraire maintenir des prix du pétrole très bas pour fragiliser les exploitations de pétrole de schiste américain. De fait, certaines sociétés aux États-Unis font faillite, ce qui peut permettre à l’Arabie saoudite de garder son rôle leader dans la production, donc continuer de fixer les prix mondiaux. Et lui conserver ce rôle stratégique que le pacte Roosevelt-Ibn Séoud du croiseur USS Quincy, scellé en 1945, avait fructueusement établi.

Mais les sites d’extraction du pétrole en Arabie saoudite sont mal répartis : très peu autour de la capitale Riyad, la majorité sur la façade du golfe arabo-persique… qui fait face à l’Iran chiite (à 200 km à vol de bombardier) – et dans la province même où les chiites saoudiens (10 à 15% de la population du royaume) sont le plus présents ! Le port de Jubail y exporte le pétrole du gigantesque gisement de Ghawar et les produits de la raffinerie géante de Ras Tanura. La construction d’un oléoduc d’est en ouest permettrait de compenser un peu ce risque iranien en permettant d’établir des aires de stockage du pétrole et raffineries dans des lieux moins exposés, à l’ouest du royaume.

Chites et sunnites autour du Golfe

Faiblesse de la société

La société saoudienne apparaît peu armée pour faire face aux défis du XXIe siècle. Une population d’environ 28 millions de Saoudiens, dont 70% de natifs riches, est entourée de centaines de millions d’Arabes pauvres (en Égypte, Palestine, Irak, Iran, Yémen, Soudan) – ce qui ne va pas sans jalousie. L’idéologie religieuse rigoriste offre de bons arguments pour renverser cet ordre des choses. L’ennemi héréditaire iranien oppose en outre Arabes et Persans, l’Iran étant doté de 82 millions d’habitants (allié à la Syrie de Bachar et au Hezbollah, eux aussi chiites). La querelle géopolitique est – là aussi – justifiée par les idéologies respectives du sunnisme et du chiisme. Dieu est toujours un prétexte aux intérêts bien matériels et au prurit identitaire…

La place réduite des femmes (contrairement au chiisme) handicape l’Arabie saoudite, empêchant la moitié de la population de se montrer utile à la société autrement qu’en faisant des enfants – 2.2 enfants par femme – (gamins vite confiés aux bonnes à tout faire philippines, népalaises ou indiennes, véritables esclaves modernes peu ou non payées et vivant quasi recluses – leur passeport confisqué).

Le royaume n’est autosuffisant en rien, sauf pétrole et céréales, et consomme la majorité de son eau douce via une nappe fossile non renouvelable. Il doit presque tout importer et la transition énergétique menace clairement sa richesse relative dans les décennies à venir. Le niveau de vie des Saoudiens n’a cessé de baisser depuis l’acmé des prix du pétrole au début des années 1980 et le niveau du chômage est élevé (21% pour les mâles, 55% pour les femmes) dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans. Les 5000 princes accaparent la majeure partie de la rente, bien qu’une redistribution paternaliste assure à tout sujet du royaume un revenu minimum. Les tensions sociales internes pourraient éclater si la rente pétrolière s’effondrait, faute d’alternative à offrir.

D’où les inquiétudes de Riyad lors du « printemps arabe ». La monarchie saoudienne a assisté avec amertume au lâchage américain du président égyptien Moubarak, pourtant fidèle allié des États-Unis. Elle a mal vécu l’aboutissement des négociations avec l’Iran sur le nucléaire, qui prélude à un rapprochement stratégique régional contre Daech. Ce pourquoi elle a renforcé sa fourniture de pétrole à la Chine, a ostensiblement acheté des avions Rafale à la France et financé le rachat par l’Égypte des deux navires de classe Mistral non livrés aux Russes. Craignant le terrorisme à ses frontières, elle est intervenue sans les Américains contre le Yémen anarchique à ses portes, où le terrorisme prolifère.

L’Arabie saoudite va-t-elle devenir un Vatican réduit au seul pouvoir spirituel ? Pas tant que la rente pétrolière assure la puissance de l’argent – mais rien n’est éternel. D’ici là, le moralisme islamiste risque fort de faire un sort à la monarchie saoudienne, menacée de toutes parts…

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Michel Onfray, Traité d’athéologie

michel onfray traite d atheologie
Comme d’habitude, Michel Onfray est polémique donc brillant – et excessif donc partial. Il « traite » les religions comme un gamin « traite » un autre en cour d’école : ce n’est pas faux, ce n’est pas vrai. Mais parfois plein d’humour, telles ces « volailles béates » pour désigner les anges (p.138). Ce livre est donc intéressant à lire, mais un peu court pour un Traité qui vise à faire le tour de la question.

Il structure son propos en 4 parties :

La première montre comment être athée, ce qui ne signifie pas nihiliste.

La seconde traite des trois monothéismes issus du Livre : le juif, le chrétien, le musulman.

La troisième insiste sur le christianisme, depuis la cristallisation du mythe Jésus (a-t-il vraiment existé, celui dont le nom Jésus signifie Destin et qui a été enseveli par d’Arimatie qui signifie Passeur vers l’au-delà ?) jusqu’à la haine du sexe, des femmes et de la vie par impuissance sexuelle de « l’Avorton de Dieu » (c’est ainsi que saint Paul se nomme lui-même).

La quatrième partie dissèque les théocraties, alliance du sabre et du goupillon, depuis Constantin de Byzance jusqu’à Khomeiny et George Bush.

« La notion de ‘Dieu’ a été inventée comme antithèse de la vie », déclare Nietzsche en exergue du livre. Dieu est en effet tout ce que l’homme n’est pas : beau, bon, bien, immortel, universel, omniscient… Le Coran lui attribue même cent noms dont seuls 99 sont connus ici-bas. L’antithèse de Dieu est le Diable, qui est bien de ce monde, donc mélangé de beau et de laid, de bon et de mauvais, d’immortel et de mortel, d’universel et de particulier, d’omniscience et d’ignorance…

En fait, ‘Dieu’ est le fétiche positif du dualisme qui sépare la chair et l’âme, la matière et l’esprit. Une antique division aussi vague et aussi tranchée que gauche et droite de nos jours. Onfray poursuit ici sa « contre-histoire » de la philosophie, Héraclite et Épicure contre Platon et sa suite jusqu’à Badiou, en passant par Hegel, Marx et les structuralistes. Si Dieu n’existe pas, les dieux existent, comme le communisme, le socialisme, l’écologisme, le droitdelhommisme… Toujours le Blanc contre le Noir dans cette mentalité formatée en noir et blanc. Qui n’est pas avec nous est contre nous, qui n’est pas de gauche est forcément (d’extrême) droite ou (ultra) libéral : on ne peut rien être à demi chez les petits esprits.

Car toute croyance est hors raison. L’être raisonnable ne peut rien argumenter contre la foi : elle est, se ressent dans l’intime, ne se discute pas. Michel Onfray n’a rien contre les croyants, il montre la beauté de la prière d’un musulman simple face à la lune au désert, en direction de La Mecque. La foi a permis de belles choses, comme les cathédrales et le chant grégorien. Mais il y a un fossé entre la croyance, personnelle, intime, et la religion, collective, institutionnelle, totalisante.

La religion s’impose, impose, crée l’impôt, punit. Surtout alliée au pouvoir politique ! Constantin l’empereur byzantin fait brûler les païens et leurs bibliothèques – au nom de Dieu – tout comme l’État islamique détruit Palmyre et les manuscrits non conformes au canon figé de leur Allah islamiste. Hitler admire l’église catholique et la foi combattante d’un Jésus chassant au fouet les marchands (juifs) du temple; Staline a pris modèle sur l’organisation hiérarchique de l’Église pour bâtir son parti de croyants « d’avant-garde » dont il était le pape.

Michel Onfray reprend les critiques des (juifs) Saul Friedlander et Daniel Goldhagen sur Pie XII et les complaisances catholiques envers les dictatures fascistes, nazies et conservatrices. Peut-être sans recul, tout au goût de la polémique : n’est-il pas compréhensible qu’un historien juif soit partial sur le nazisme ? Faut-il pour cela le croire sans critique ?

Combien de catholiques (et de protestants) ont – malgré Pie XII – sauvé des Juifs, enfants, adultes et familles entières ? Combien d’évêques se sont insurgés, au point de faire reculer Hitler sur certains points (hélas pas sur sa haine hystérique des Juifs, qui rencontrait le mythe du Peuple déicide) ? Pourquoi tant de familles nombreuses chez les catholiques, si ce monde-ci trop matériel est haï ? Faire des enfants, en pays riche, est-ce montrer une particulière horreur de la vie ? Combien de juifs adeptes de l’intelligence ici-bas, critiques aigus des dérives de la modernité et chercheurs scientifiques aussi, s’ils n’aspirent qu’à quitter ce monde pour l’au-delà ? Combien de musulmans qui prennent l’islam comme une foi, certes, mais surtout comme une discipline de vie qui les préserve de l’esclavage du consumérisme mené par la frivolité, la mode et la dépense dans l’excès : alcool, drogue et sexe à tout va ?

Il y a les intégristes de chaque religion, qu’il faut combattre et dont l’auteur détruit fort l’image de son ironie acide. Il y a les « pouvoirs » archaïques qui font pression sur les gouvernements et les opinions pour moraliser les mœurs : contre l’avortement, contre le préservatif, contre le mariage gai, contre les torses nus… Il y a aussi les curés pédophiles dont, curieusement, Michel Onfray n’a pas encore fait (à la date de publication du livre en 2005) son dada. Sans parler des viols psychopathes et des « mariages » forcés de fillettes de 9 ans « pour faire comme le prophète » – sous Daech.

Les Français, peuple laïque depuis deux ou trois siècles, sait faire la part des choses entre Dieu et César, entre le bon vivre et la discipline. Il est utile de rappeler combien « Dieu » peut n’être qu’une névrose collective, comme le montrait Freud. Mais ce livre de combat ne peut être qu’une étape négative vers d’autres ouvrages positifs. Mieux vaut dire comment s’extirper de l’obscurantisme et de la moraline que de dénoncer, une fois de plus, les ravages du trône et de l’autel.

Contre la religion, mieux vaut lire et méditer Nietzsche : lui, au fond, a bien tout dit – et plus brillamment à mon avis.

Michel Onfray, Traité d’athéologie – Physique de la métaphysique, 2005, Livre de poche 2006, 315 pages, €6.90
Les autres livres de Michel Onfray chroniqués sur ce blog

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Communisme et crise de foi

Comme Thierry Wolton publie bientôt le troisième tome de sa monumentale Histoire mondiale du communisme en pointant cette fois les complices, après les bourreaux et les victimes, la revue L’Histoire se fend d’un numéro consacré presque exclusivement aux communistes.

Il faut en effet distinguer le système – totalitaire, policier, exécrable – et ses croyants – idéalistes, naïfs et généreux. C’est du moins le message subliminal de ce dossier, les historiens aujourd’hui arrivés ayant flirté dangereusement avec la doctrine totalitaire dans leurs années de jeunesse. Rares sont les François Furet à avoir analysé ce pourquoi. Mais ne boudons pas notre plaisir : comprendre vaut bien quelques reniements.

Ce qui ressort de ces multiples portraits de ceux qui se firent capter par l’étoile communiste est la foi.

Foi chrétienne ou juive, vite transférée vers l’Avenir radieux. C’est Edgar Morin qui évoque une « espérance de salut dans la rédemption collective » p.54 ; c’est André Gide qui dit sa fascination, « ce qui m’amène au communisme, ce n’est pas Marx, c’est l’Évangile » p.34 ; c’est Pierre Pascal, catholique bourgeois sorti de Normale Sup qui s’est converti à l’URSS : « il est heureux, il a vu Dieu : Karl Marx lui a parlé », le décrit Albert Londres en 1920 p.36 ; c’est Raymond Lefebvre, bourgeois protestant, qui adhère au communisme par la souffrance de la Grande guerre et l’idéal du pacifisme p.38 ; c’est Manès Sperber, juif de Galice, pour qui l’attente de la Révolution est la suite naturelle de celle du Messie ; ce sont Louis Althusser et Roger Garaudy, militants chrétiens, qui voient dans le Parti une moderne Église.

Il y a d’autres voies de conversion : celle d’Aragon, intellectuel bourgeois surréaliste (ce qui fait beaucoup de défauts pour les prolétaires à la tête du PCF…) – mais surtout bâtard du Préfet de police de Paris, avide de retrouver une famille, une fraternité, la reconnaissance du Père – d’où cette ode à Staline dans Hourra l’Oural en 1934 ; celle de Georges Friedmann, scientifique qui percevait l’URSS comme un État savant, vecteur du progrès contre l’obscurantisme bourgeois (« bourgeois » était l’injure suprême de l’époque, on ne disait pas encore « ultralibéral »), celle de Paul Langevin et Henri Wallon ; celle de Maurice Thorez, « Fils du peuple » (titre de son « auto » biographie écrite par Jean Fréville en 1937), à qui le Parti a permis l’ascenseur social ; celle de la Résistance, comme Edgar Morin, Lise Ricol-London, Annie Besse épouse Kriegel, Pierre George ; celle des anticolonialistes Aimé Césaire, Ho Chi Minh, Jean Dresch ; celle des intellos, passés par les khâgnes où la rébellion en serre de cet âge étudiant se focalisait sur la religion communiste – tellement antibourgeoise – ce fut le cas pour Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet, Michel Foucault, Mona Ozouf, Paul Veyne, Maurice Agulhon…

Tous regardaient au-delà du présent vers l’avenir, au-delà du réel vers l’utopie, au-delà de la complexité vers le simplisme. Marx avait prophétisé l’Histoire en marche, le progrès inéluctable de l’Homme engendré par la lutte des classes, dont la finale serait prolétaire. Le Parti (avec majuscule) était l’Église (avec majuscule), voulu ainsi par Staline (ex-séminariste), qui révérait l’organisation hiérarchique et pyramidale catholique et l’avait prise pour modèle. L’URSS était la Terre promise, le paradis en marche, l’endroit où le catéchisme devenait réalité – ce fameux « socialisme réel » dont on a mesuré, depuis, tous les travers.

communisme 2015 10 revue l histoire 417

Il faut comprendre cette foi pour comprendre combien notre époque – depuis Mitterrand – apparaît grise et triste.

Le socialisme rose n’a rien à voir avec le feu immense et rouge. Le socialisme non « réel » se veut réformiste, tout en gardant une phraséologie révolutionnaire. Sans cesse dans le grand écart : il ne peut que décevoir ceux qui aimeraient croire, qui ont BESOIN de croire. D’où la conversion de certains à l’écologisme, cette nouvelle foi dont le credo commence par l’Apocalypse.

Contrairement à la prophétie de l’intellectuel barbu, le communisme n’était pas l’avenir de l’humanité : trop de rigidité, d’inquisition, d’exclusion. Une doctrine figée comme un Coran, une politique soupçonneuse sans cesse à épier « la ligne », les pogroms successifs de « bourgeois », « d’intellectuels », de « traîtres », de « juifs », de « déviants »… Où sont l’émancipation tant vantée, la liberté retrouvée, l’harmonie de l’homme avec SA nature et avec LA nature, la fraternité universelle ? Le « socialisme réel » de l’ex-URSS, de la Chine de Mao, du Cambodge de Pol Pot, du Cuba des frères Castro, de la Corée nordiste des dictateurs paranoïaques qui y sévissent depuis plus d’un demi-siècle sont des repoussoirs, des repaires de Satan – pas des jardins de délices où coulent le lait et le miel (et où attendent, soumis, les vierges et les éphèbes).

L’avenir est à inventer – mais bien loin de la foi !

Toute croyance venue d’en-haut ou de l’intérieur, d’une révélation divine ou de l’esprit humain enfiévré, est une illusion qui enferme. Pour libérer l’humanité de ses chaînes, pour libérer chacun de ses déterminismes subis, ni Bible, ni Évangile, ni Coran, ni Manifeste, ni Livre rouge – mais le patient et humble travail de chaque jour : prendre les choses à la base, une à une, en fonction du possible.

Toute foi est un poison qui empêche de penser, qui fait agir en masse sans réfléchir, qui juge et exclut – voire massacre – sans état d’âme parce que la foule le fait et que le parti l’a dit. Le communisme a été une leçon de plus, après le christianisme et le judaïsme, des méfaits de la religion – quelle qu’elle soit. L’islamisme, cet islam dévoyé, prend à son tour le chemin de la rigidité, de l’inquisition, de l’exclusion. L’humain est-il capable d’apprendre un jour ?

Revue L’Histoire, n°417, novembre 2015, €6.40 en kiosque ou sur Amazon
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