
Un titre en anglais pour la « traduction » française… Miroir de la colonisation mentale des intellos par l’univers yankee. Il est vrai que le titre américain The Hangover (gueule de bois) ne dit pas grand-chose de l’histoire au public. En fait, des amis veulent enterrer la vie de garçon de l’un des leurs par une virée in extremis pour deux jours à Las Vegas, la ville de tous les vices. D’où le « très mauvais voyage » (ou très mauvais « trip ») en français.
Doug (Justin Bartha) le futur marié, se voit confier par son beau-père une Mercedes ancien modèle, rutilante et puissante. Il doit en prendre soin, une sorte d’initiation pour prendre soin de la fille. Les voilà donc partis sur l’autoroute, lui seul au volant, il l’a promis. Ses amis sont Phil Wenneck (Bradley Cooper), professeur en collège, Stu Price (Ed Helms), qui se dit constamment « médecin » alors qu’il n’est que dentiste, et qui veut se marier avec sa compagne autoritaire et inquisitoriale Melissa. Plus le futur beau-frère Alan (Zach Galifianakis), gros et maladroit. Tous choisissent de prendre une suite au Caesars Palace, juste pour une nuit.


Dès le premier soir, transgression : la montée (interdite sauf au personnel) sur le toit. Il s’agit de contempler la ville illuminée, d’avoir le monde à ses pieds. Alan, qui n’en rate jamais une, leur offre une liqueur allemande, la Jägermeister à base de plantes médicinales, afin de ne jamais oublier la nuit qu’ils vont passer. Il a mis subrepticement une drogue dans la liqueur, qu’il croit de l’ecstasy et qui se révélera du rohypnol qui inhibe la mémoire à court terme, aussi appelé la drogue du viol. Il vont donc tout oublier de cette fameuse nuit. Il paraît que c’est une histoire vraie, un producteur au matin qui s’éveille avec une note de bar à putes pharamineuse. Bof ! Pas une idée de génie.
Dans la suite en bordel le lendemain de cuite, tous sont nauséeux, ils ne se souviennent de rien : le trou noir, une nuit blanche – comme on dit d’une zone blanche qui ne capte rien. Le dentiste a perdu une dent, un vrai tigre rugit dans la salle de bain et Doug à disparu. En le cherchant, Alan trouve un bébé dans le placard. A qui est-il ? Ils ne peuvent l’abandonner tout seul mais, au lieu de le confier à l’hôtel, Alan s’en empare et le trimballe, mimant même une branlette avec le bras du bébé. Pas très fin… Phil s’aperçoit qu’il porte un bracelet d’hôpital et ils y vont pour en savoir plus sur leur nuit et la disparition de Doug, mais le voiturier leur amène une voiture de police. Gag à gros sabots.



Le médecin leur dit que Phil avait une « légère commotion cérébrale », qu’ils revenaient d’un mariage express, spécialité de Las Vegas où « tout est possible », dans une chapelle tout en rose – et payante : chez les Yankees, tout se paye. Stu s’y est marié volontiers avec Jade, une jeune pute des hôtels ; il lui a même donné l’alliance de sa grand-mère juive, rescapée de l’Holocauste. Dérision lourdingue. Il paye pour se démarier, mais doit retrouver la fille qui doit consentir. Survient alors un SUV noir d’un gang chinois qui veut les braquer. Fuite dans la voiture de police, direction l’adresse de la récente mariée. Toujours avec le bébé – qui est en fait le sien. Irruption des flics, qui arrêtent les trois amis. Méli-mélo de menottes, gag avec les écoliers qui testent sur eux le teaser, libération par intérêt mutuel. Les flics en gros cons, ça fait toujours rire, surtout s’il y a sur les deux un Blanc niais et une Noire énorme qui joue l’autorité (inversion des rôles).


Leur Mercedes est à la fourrière ; ils la récupèrent mais entendent des coups dans le coffre. C’est Doug ? Non, c’est un Chinois tout nu qui jaillit et les agresse avant de s’enfuir. Dans leur suite les attendent deux gros Noirs dont Mike Tyson, à qui appartient le tigre. Il descend – à la Tyson – d’un coup de poing Alan avant de discuter : les autres doivent rapporter la bête à la vaste propriété, sous peine de pire. Pas simple d’amadouer un tigre. Alan, réveillé, use des petites pilules pour en fourrer une entrecôte que le tigre avale en quelques coups de dents ; une fois endormi (pas très bien), il est transporté dans la Mercedes, mais se réveille avant l’arrivée et donne des coups de patte ; ils doivent pousser la bagnole et sont en retard. Un gag de cirque. Les caméras de surveillance montrent comment ils ont emmené le tigre en laisse, trop bourrés pour en avoir peur – le tigre donc en confiance, car il n’est agressif que devant quelqu’un qui a peur (du moins on le suppose).
Au retour, la belle Mercedes dont ils devaient prendre soin est enfoncée par le gros 4×4 noir du gang chinois, dont le tout nu jailli du coffre. Il leur apprend qu’il est Monsieur Chow et qu’il veut récupérer sa sacoche avec 80 000 $ gagné par lui lors d‘un jeu au casino la nuit précédente avec la bande des quatre. Doug était donc avec eux à ce moment-là. Mais ils n’ont pas le fric ; Chow leur donne 24 h pour leur rendre Doug contre les dollars (deal). Alan retrouve le livre qu’il a apporté et étudié pour gagner au black jack : c’est « simple », il faut compter les cartes. Il gagne les dollars, ils retrouvent Chow dans le désert de Mojave, il leur livre Doug sous cagoule… qui se révèle être un autre Doug, le dealer noir qui a vendu le rohypnol au lieu d’ecstasy. Rebondissement et retour à la case départ. Où est Doug ? Le vrai.


Phil, le moins con des trois qui restent, pense à un jeu d’ado qu’ils ont fait à Doug en colo : l’emmener endormi se réveiller sur la jetée du lac. Peut-être ont-ils agi de même cette nuit-là ? De fait, ils le retrouvent sur le toit de l’hôtel, incapable de descendre car la porte se referme automatiquement si elle n’est pas bloquée. Il a des coups de soleil, ayant dormi comme une brute en plein air, assommé par la drogue et l’alcool durant une partie de la matinée. Juste le temps de rentrer à Los Angeles pour le mariage, qui a lieu trois heures plus tard.
La Mercedes cabossée fonce, la bande commande par téléphone une livraison sur autoroute des costumes de pingouin nécessaires pour la cérémonie, qu’ils enfilent devant tout le monde au bord de la route, et ils arrivent à temps. Mariage de Doug, rupture de Stu avec son cerbère femelle, retrouvaille de son petit garçon par Phil. Alan, toujours lui, a trouvé un appareil photo numérique dans une poche. Il révèle les clichés de la nuit blanche. Une horreur sexuelle et alcoolisée, tous les péchés prohibés par le puritanisme yankee. « On les regarde une fois, et on efface tout » ! Comme une confession catholique (non pratiquée en pays protestant – gag pour intello).
Un film pour mecs, un humour américain de chambrée, lourdingue avec ses équivoques sexuels et ses stéréotypes racistes. Alan est pédé, slip ouvert sur l’arrière, demandant à Doug de ne jamais parler de ce qu’ils ont fait entre eux jeunes ados, interdit d’approcher une école ou un parc de jeux pour enfants à moins de 50 m, s’ébattant avec le mafieux chinois tout nu durant la nuit blanche. Stu est le dentiste juif de caricature, porté toujours à en faire trop, jusqu’à s’arracher soi-même une dent de devant, soumis à la Mère juive, ici sa compagne Melissa depuis trois ans qui le régente et le surveille. Le dealer est évidemment noir, tout comme l’excessivement riche et violent Mike Tyson (qui joue son propre rôle). Le mafieux ne peut être que chinois – cruel et tapette. Doug est le plus beau de la bande, donc le plus bizuté par ses copains depuis l’âge tendre. Il va entrer dans la norme (mariage et belle-famille), et ses copains en profitent une dernière fois. Phil, le prof de collège, est déjà marié et a un fils qu’il aime beaucoup ; il est le plus raisonnable, et le fil conducteur de l’histoire – équilibrant Alan le perturbateur. Des enfants gâtés se vautrant dans « le péché » au « paradis » de Las Vegas. Vraiment pas tentant !
A prendre au premier degré, filles s’abstenir tant elles sont quantités négligeables dans l’histoire, soit pute, soit avide d’être reine de la fête sociale et mondaine du « mariage », soit voulant tout régenter.
Gros succès, donc deux suites. Guère d’intérêt, sauf après une soirée foot alcoolisée entre potes. Mais il paraît que c’est couru…
DVD Very Bad Trip (The Hangover), ou Lendemain de veille, Todd Phillips, 2009, avec Bradley Cooper, Ed Helms, Zach Galifianakis, Justin Bartha, Heather Graham, Mike Tyson, Warner Bros. Entertainment France 2009, 1h36, €2,90
DVD Very Bad Trip – La Trilogie, Warner Bros. Entertainment France 2013, doublé Français, Espagnol, Italien, Anglais, Allemand, €33,40
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)




























































































Édouard Tétreau, Analyste
La vraie vie vécue des années folles, celles de la bulle Internet 1998-2000, par un analyste en charge du secteur médias au Crédit lyonnais Securities Europe à Paris. Écrit clair, il y a de l’action à l’américaine et des exemples précis (sous pseudos pour éviter le judiciaire). Tout est vrai – j’y étais.
Mais, mieux que les anecdotes navrantes (la lâcheté Messier) ou croustillantes (le Puritain maître de la finance américaine et ses putes à Paris), une interrogation sur le snobisme social, les sursalaires indus et la course à la cupidité court-terme. La finance anglo-saxonne est une nuisance de l’économie globale, une guerre économique où « le droit », brandi par les puritains yankees, sert surtout à ligoter les autres, Européens et Japonais – alors que des hordes de lawyers et d’opportuns centres offshore à quelques dizaines de minutes de côtes américaines permettent d’y échapper.
Ce livre est écrit après l’éclatement des prémisses de la grande bulle (les valeurs technologiques en 2000 ont précédé la paranoïa du 11-Septembre en 2001 puis la comptabilité frauduleuse et l’audit mafieux en 2002) – mais avant le délire des dérivés en 2007 et la faillite de Lehman Brothers en 2008 – avec les conséquences systémiques, donc économiques, donc sociales, donc politiques dont on n’a pas encore vu tous les effets. Il décrit « comment ce théâtre de gens si savants au-dehors est en fait construit sur du sable. Le sable mouvant des fantasmes et des incohérences humaines » p.273.
Car vous pensiez que les analystes, après 5 ans minimum d’études supérieures en macroéconomie, audit, évaluation des entreprises et mathématiques financières, sont des experts capables de diagnostiquer la santé ou la maladie des sociétés cotées, de proposer des remèdes et de conseiller utilement les investisseurs ? Vous n’y êtes pas ! « Dans la formulation de son message comme dans sa conception, l’analyste doit aller au plus vite. Ce qui signifie : lire le communiqué de presse de la société, ou l’interview, ou le tableau de chiffres et, dans un minimum de temps, sortir le commentaire qui va faire vendre » p.39. Il ne s’agit pas de mesurer mais d’agiter. La bourse exige de la volatilité, des écarts de cours pour générer du business, donc de juteuses commissions. Ce pourquoi l’analyste passe plus de temps à commenter l’immédiat, appeler les clients, organiser des roadshows, qu’à analyser les entreprises. Il n’a plus « dans l’année que deux ou trois douzaines d’heures pour travailler activement sur chacune des entreprises suivies » p.174.
A son époque (2004) c’étaient les conseils d’achat et de vente aux gestionnaires de portefeuille pour faire tourner plus vite leurs actifs ; aujourd’hui (2014) plus besoin des gérants, le trading à haute fréquence, par algorithmes informatisés, s’en charge tout seul : plus besoin non plus d’analystes, ni de vendeurs, ni même de clients… Seul le marché pur et abstrait est le terrain de jeu pour les spéculateurs, entièrement déconnecté des entreprises réelles, de ce qu’elles produisent et des gens qui y travaillent.
Mais ce n’est pas que le commerce ou la bougeotte qui tord le métier d’analyste. C’est aussi la chaîne d’organisation, depuis l’entreprise jusqu’aux portefeuilles, qui incite à la stupidité. « Le processus d’investissement sur les marchés est simple : il suffit de suivre, ou de se raccrocher à la recommandation déjà émise par quelqu’un d’autre » p.49.
L’auteur l’a vécu, analyste médias dans les années flambeuses de J6M chez Vivendi (Jean-Marie Messier moi-même maître du monde, disait-il de lui-même…). « Le 6 mai [2002], deux jours après un changement de notation de l’agence Moody’s sur la dette de Vivendi, j’envoyais une note, alertant les clients investisseurs du Crédit lyonnais Securities d’un risque de faillite (bankruptcy) de ce groupe. Le lendemain, tous mes travaux furent placés sous embargo, en prélude à diverses sanctions disciplinaires. Le 3 juillet, Jean-Marie Messier quittait la présidence d’un groupe à quelques heures de la quasi-cessation de paiement » p.15.
Édouard Tétreau s’est reconverti en créant Mediafin, conseil en communication pour les entreprises. Il a publié fin 2010 ’20 000 milliards de dollars’ témoignage de trois années aux États-Unis après 2007 pour développer une filiale du groupe Axa, qui lui a fait comprendre combien la religion de la finance restait prégnante, laissant présager une bulle de la dette américaine vers 2020. L’ouvrage a été traduit en chinois, montrant combien la Chine est vigilante sur ses investissements en bons du Trésor des États-Unis…
Il y a pire que la vente à tout prix et la mauvaise organisation : l’emprise de toute une idéologie de la finance qui s’apparente à une véritable religion venue des États-Unis. Les croyants usent de mots magiques comme « création de valeur », « benchmark », EBITDA (bénéfices avant toute autre dépense), WACC (coûts du capital) et autre jargon en anglais. Lorsqu’il n’existe aucun mot dans votre langue pour traduire des concepts étrangers, vous les utilisez comme des boites noires sans savoir trop ce qu’elles contiennent. Mettant les habits d’une autre culture, vous avancez patauds, incertains, servilement scolaires. Ne comprenant pas le fond, vous singez. Non seulement vous vous abêtissez, mais vous agissez comme tout le monde pour donner le change et l’illusion sociale d’avoir compris. C’est bien ce qui se passe en analyse financière comme en gestion de portefeuille, j’en ai eu l’expérience directe personnellement (voir Les outils de la stratégie boursière, 2007).
Le « benchmark » est par exemple considéré par les directeurs de gestion français comme un garde-fou à surtout ne jamais franchir au-delà d’une étroite fourchette. La simple lecture d’un dictionnaire vous apprend que benchmark signifie en anglais utile le niveau du maçon : il est donc une mesure, pas un carcan ! Un maçon qui pave un trottoir parfaitement horizontal, selon le niveau à bulle, est un mauvais ouvrier doublé d’un imbécile : l’eau va stagner dans les creux. Le trottoir doit être en légère pente vers le caniveau pour remplir sa fonction de trottoir, le benchmark sert de référence pour marquer cette pente. Pas en France – où l’on doit obéir : à la hiérarchie qui n’y connais rien, à l’abstraction scolaire du mot anglais mal compris ! Quand on ne comprend pas on imite, quand on n’est pas pénétré de l’esprit on régurgite la leçon mot à mot. « Je mets d’ailleurs au défi n’importe lequel des dirigeants des vingt premières banques européennes d’être capable de comprendre, et accessoirement de faire comprendre à ses administrateurs et actionnaires, ce qui se passe exactement dans ces boites noires de l’industrie financière que sont les départements d’ingénierie financière et de produits dérivés… » p.75. M. Bouton, PDG de la Société générale, l’a illustré à merveille lors de l’affaire Kerviel.
Édouard Tétreau prend le même exemple en analyse avec la « shareholder’s value », maladroitement conçue en français comme « créer de la valeur pour l’actionnaire ». Or on ne « crée » pas de valeur, on en a ou on en hérite, l’entrepreneur ne crée que de la richesse (du flux), pas de la valeur (du stock). L’analyste français, par ce concept mal compris, ne va donc s’intéresser qu’à l’actionnaire, à la distribution de dividendes, au retour sur investissement du portefeuille. Alors que la base de la richesse de l’entreprise, celle qui va permettre qu’elle soit durable et puisse investir pour générer du bénéfice (à répartir ensuite en partie aux actionnaires apporteur de capital), est mesurée par la rentabilité : le retour sur fonds propres en fonction du risque assumé. C’est cela qu’il faut analyser, pas la distribution.
Plus qu’un simple témoignage de ces années stupides, ce livre est une sociologie de l’entre-soi parisien où les gens d’un même milieu, sortis des mêmes écoles avec les mêmes concepts abstraits, baignant dans le même jargon anglo-saxon qu’ils comprennent mal, font du fric en toute bonne conscience en enfumant les clients – qui sont, au total, vous et moi, les assurés comme les retraités. Mais ce qui est vrai de l’analyse financière l’est aussi en d’autres domaines : les médias, l’engouement web, les capteurs solaires, en bref tout ce qui est trop à la mode et qui fait délirer comme, il y a 4 siècles, les bulbes de tulipes !
Édouard Tétreau, Analyste – Au cœur de la folie financière, 2005, Prix des lecteurs du livre d’économie 2005, Grasset, 283 pages, €4.96 (occasion) à 18.34 (neuf)
Son site personnel
L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009).