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Arsène Lupin, Le dernier des romains BD

arsene lupin les origines le dernier des romains
Le Robin-des-bois Belle-Époque a eu une enfance et une adolescence. Ces trois tomes en bande dessinée s’y attachent. Dans le tome 2, nous sommes en 1893 et Arsène a 17 ans. Il se fait nommer Arsène de La Marche et est flanqué de deux amis, Arès del Sarto et Bérenger de La Motte. Tous trois étudient à l’école chic de la Croix des Whals, après s’être juré une amitié éternelle au sommet d’une montagne, puis de s’être jetés nus dans l’eau glacée d’un lac depuis le haut d’une falaise. En bref tout ce que font les ados pour se montrer entre eux les plus forts.

Hélas, ce beau serment fraternel ne résistera pas aux avances d’une belle jeune fille. Arsène et Béranger vont s’affronter lors des épreuves de l’école pour remporter le prix : la femme. Ce qui est un peu macho – mais d’époque – bien que soigneusement traduit à la sauce correcte de notre époque : la fille choisit et l’épreuve et le garçon.

Arsène est montré double-face : un côté aristocrate de par ses origines, un côté plèbe de par son existence familiale mouvementée. Il représente cette nouvelle élite française des esprits à la fin XIXe, un méritocrate dont l’honneur ne le cède en rien aux ex-Grands (raccourcis à la Révolution), mais qui le justifie par son honneur populaire (la décence commune) et son savoir-faire. La noblesse ne réside plus dans le sang bleu mais dans l’attitude chevaleresque, non plus du fait de la naissance et de la génétique, mais par le courage et l’astuce réellement manifestés.

arsene lupin les origines les disparus

Mais comme l’histoire personnelle ne saurait se détacher des malheurs de famille ni des complots de l’argent, l’album est découpé en séquences successives comme un film : les ados en bande, d’ex-forçats baleiniers de retour à Marseille, le château d’Ô en Normandie. Ce n’est pas forcément aisé à suivre mais alimente le suspense et prend tout son sens dans la durée des trois albums. Car nul ne sait ce qui va arriver dans le tome 3 et dernier…

Le dessin, un peu à la serpe pour les personnages (toujours le plus difficile en BD…), est bien servi par la coloriste Marie Galopin. Ses couleurs bistre et violentes arrangent une atmosphère sombre dès qu’il le faut, en contraste avec l’éclatant paysage montagnard du début. La jeunesse montre sa vigueur entre les pages, ce qui laisse présager des aventures palpitantes pour la suite !

Arsène Lupin – les origines tome 2, Le dernier des romains, scénario Abtey et Deschodt, dessin Gaultier, 2015, éditions Rue de Sèvres, 96 pages, €13.50,
format Kindle €5.99
Arsène Lupin – les origines tome 1, Les disparus, €13.99
format Kindle €5.99
Un tome 3 est en préparation.
Le vrai roman : Maurice Leblanc, Arsène Lupin gentlemen cambrioleur, 1907, Livre de poche 1973, €4.10

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Michel Houellebecq, Soumission

michel houellebecq soumission
S’il était besoin de le prouver une fois encore, il ne faut jamais croire les critiques de la mafia littéraire qui sévit dans les magazines de l’entre-soi engagé. Ce nouveau cru Houellebecq est un roman (c’est écrit dessus), il est houellebecquien en diable et très agréable à lire. Contrairement à la doxa des envieux aigris qui sévissent dans « les médias », Soumission est une belle fable qui appelle la réflexion. Car « seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain » p.13.

Le narrateur s’appelle François comme le pape, comme le président actuel (qui fera deux mandats) et comme le futur Premier ministre que l’auteur imagine être Bayrou. Tous ces François sont insignifiants, délavés par le cours de l’histoire, sans plus rien à dire au monde ni à eux-mêmes. Nous sommes, comme d’habitude chez Houellebecq, dans le grand vide intérieur. Le catholicisme s’est perdu au tournant du XXe siècle (comme en témoignent Joris Karl Huysmans et Léon Bloy), Hollande s’est perdu entre centre-gauche et centre-droit (autrement dit nulle part), quand à l’antihéros qui raconte, il a fait de vagues études littéraires qui lui ont permis une sinécure de fonctionnaire à l’université où il forme de futurs chômeurs à des auteurs oubliés (et sans grand intérêt) ; il est solitaire, vieillissant, adonné à l’alcool et au tabac, de moins en moins séduisant pour baiser.

Contre ce tropisme qui mène à une impasse, la fable imaginée par l’auteur est habile et pourquoi pas possible (bien qu’à mon avis improbable). Mais le propre des fables n’est pas de se réaliser ; il est de faire cogiter. Celle de Bernard Mandeville offre à penser les bases du libéralisme économique, celle de George Orwell expose la tentation totalitaire des États, celle de Michel Houellebecq montre combien l’esprit de soumission est au cœur de nos sociétés repues et mal à l’aise, sans foi par laïcité intransigeante, donc sans vitalité. On peut contester cette vision, elle a le mérite de la cohérence.

Mais Soumission est bien autre chose que le pétainisme larvé de la collaboration avec le plus fort, accompagnée de la dénonciation jalouse (et anonyme) de ses voisins. Il faut attendre la page 260 pour comprendre (page que rares sont les critiques à avoir atteinte, semble-t-il, pressés de livrer leur fiel). Encore une fois, Houellebecq plonge dans l’érotisme pour penser la société : « L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. (…) Il y a pour moi un rapport entre l’absolue soumission de la femme à l’homme, telle que la décrit Histoire d’O, et la soumission de l’homme à Dieu, telle que l’envisage l’islam. Voyez-vous (…) l’islam accepte le monde, et il l’accepte dans son intégralité, il accepte le monde tel quel (…) la création divine est parfaite, c’est un chef-d’œuvre absolu. Qu’est-ce que le Coran au fond, sinon un immense poème mystique de louange ? De louange au Créateur, et de soumission à ses lois ». Les intellectuels de gauche qui reniflent dans ce roman des relents d’islamophobie ont le pif faussé par leur rhume idéologique, figés dans l’entre-soi confortable où tous ceux qui ne pensent pas comme eux sont « fascistes ».

D’ailleurs, qu’y a-t-il de plus ringard aujourd’hui qu’un « intellectuel de gauche », ce fossile laissé sur la grève par le flot de l’histoire ? « Il semblait bien, à voir les faits, que les journalistes de centre-gauche ne fassent que répéter l’aveuglement des Troyens. (…) Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière » p.56.

L’auteur, par la voix de son narrateur, reste neutre, observateur ; il ne s’engage pas, il constate. Et tant pis si cela remue les professionnels du choqué, tant mieux même, puisque Houellebecq a gardé de ses années anarchistes le sens de la provocation. Sa fable a peut-être le tort d’être trop proche de nous pour être vraiment crédible. Il la situe en 2022, après les deux mandats de François Hollande réélu en 2017 contre Marine Le Pen, après le délitement de la droite UMP encombrée de politiciens médiocres selon Houellebecq : Copé, Sarkozy. La France en a marre du marasme, du no future, de la dilution dans le reste du monde par technocratie interposée et de la guerre civile larvée entre djihadistes et identitaires à coups de pistolets automatiques et de voitures brûlées. Les extrêmes montent, d’un côté les identitaires (que Houellebecq a le bon sens contre la gauche de distinguer des fascistes), de l’autre les traditionnalistes (catholiques, humanistes moraux, écologistes de terrain… et musulmans plus ou moins pratiquants). Les présidentielles de 2022 voient donc la conjonction imprévue de l’UMPS et de la Fraternité musulmane, nouveau parti qui a pris son essor aussi vite que celui de Grillo en Italie il y a peu – contre le Front national. FM contre FN, il fallait y penser. Et quoi de plus consensuel que de laisser gouverner Bayrou, catholique laïc, gauchiste du centre, expert en retournement de veste et prêt à tous les compromis pour arriver au pouvoir (p.152) ?

Mohammed ben Abbes est arabe polytechnicien énarque, il en existe déjà, issus de la méritocratie républicaine, tels Nacer Meddah ou Aïssa Dermouche. Ben Abbes est élu président par consensus des centres et des traditionnalistes, il a pour modèle l’empereur Auguste et pour ambition de reconstituer l’empire romain autour de la Méditerranée afin de compter enfin dans le monde. Il est aidé des capitaux saoudiens et qataris, ce qui lui permet d’imposer l’islamisation « modérée » de la société. Le cercle vertueux s’enchaîne : baisse immédiate de la délinquance et disparition visuelle des racailles ; effondrement du chômage par hausse des allocations familiales pour les mères qui renoncent à travailler ; décence dans les rues et les médias ; baisse drastique des dépenses d’éducation nationale, l’enseignement n’étant gratuit que pour le primaire, privé confessionnel pour le secondaire et le supérieur, l’enseignement technique encouragé ; baisse des dépenses sociales, le principe de subsidiarité voulant que ce soient les familles (cellule sociale de base) qui soutiennent leurs membres, chacun étant vivement encouragé à créer son autoentreprise ou à devenir artisan ; les exportations de luxe s’envolent avec les capitaux du Golfe et l’immobilier de prestige se porte bien, tous les Arabes riches voulant un pied à terre à Paris ou dans les villes du terroir français. Et lorsque l’économie va, tout va, les Français sont contents – les grands principes, l’universalisme et la morale laïque, ils s’en foutent au fond (d’après l’auteur).

Quelques affirmations gratuites, comme le fait de piller des thèses universitaires pour composer la sienne : or, depuis des années, existent des logiciels de vérification plutôt efficaces. Pourquoi écrire plusieurs fois « hallal » avec deux l alors qu’un seul suffit ? Par ignorance ou pour qu’il ressemble à Allah ? Pourquoi écrire p.153 « entreprenariaux » et pas entrepreneuriaux, mot correct ? Robert Rediger est-il un avatar de Robert Redeker connu pour sa dénonciation des aspects totalitaires de l’islam mais aussi pour la soumission du sport à la marchandise ?

D’autres choses me gênent ou me paraissent invraisemblables :

  • l’abdication des femmes qui retournent aux 3K des nazis : Kinder, Küche, Kirche ;
  • l’insignifiance de Manuels Valls pourtant porté en 2015 par le national-sécuritaire, et de Nicolas Sarkozy, évacué d’un mot par l’auteur alors qu’on l’a connu roquet pugnace ;
  • l’affirmation (fausse et gratuite par ignorance) que Jean-Marie Le Pen est « un abruti, à peu près complètement inculte » – alors qu’il est diplômé d’études supérieures de sciences politiques avec une thèse sur les courants anarchistes ;
  • la passivité des Français face à l’islamisation (« une acceptation tacite et languide » p.204), alors que l’islam reste associé sans recul au cléricalisme et au terrorisme par le peuple votant (que les élites trahissent, cela s’est déjà vu, avec la meilleure rhétorique du monde, mais elles ne forment qu’un quart des votants) ;
  • l’absence de réactions américaines et européennes (les Juifs français font leur Alya en masse sans protester, les Belges passent à l’islam parce qu’incapables de s’unir entre Flamands et Wallons – seule la religion transcende les particularités ethniques, mais les Allemands se laisseraient faire comme si de rien n’était ?).

L’hypothèse de l’auteur est l’implosion mentale d’une population française vieillissante, ayant épuisé l’élan de mai 68 et face à l’impasse de l’individualisme matérialiste. Sur l’exemple de René Guénon, les catholiques peuvent intégrer l’islam. La nouvelle génération née avec le siècle (atteignant l’âge de voter dès 2018) serait plus pragmatique, plus réaliste, mieux encline à accepter « la mondialisation » et la multiculture – donc l’islam s’il apporte des compensations. Or c’est le cas : mariages arrangés sans avoir à faire l’effort de séduire, jusqu’à quatre épouses selon le statut social (ce qui veut dire une de plus tous les dix ans pour les fonctionnaires aisés), la copulation dès 14 ans (une quatrième épouse jeunette lorsqu’on est barbon, cela mérite-t-il de brailler encore pour la laïcité ?), l’absence de solitude grâce à la famille, des emplois pour tous les mâles et des enfants pour toutes les femmes – chacun sa place bien définie -, l’apaisement des désirs par une vêture décente en public (mais affriolante en privé). Finie la provocation sexuelle, obsession de Houellebecq, « la détection des cuisses de femmes, la projection mentale reconstruisant la chatte à leur intersection, processus dont le pouvoir d’excitation est directement proportionnel à la longueur des jambes dénudées » p.177.

Mais bien contestable est le constat démographique : « L’humaniste athée, sur lequel repose le ‘vivre ensemble’ laïc, est donc condamné à brève échéance, le pourcentage de la population monothéiste est appelé à augmenter rapidement, et c’est en particulier le cas de la population musulmane – sans même tenir compte de l’immigration, qui accentuera encore le phénomène » p.70. C’est faire de la religion une quasi-essence, or on constate que si les musulmans de la seconde génération gardent peut-être un peu de la culture de leurs parents, ils sont attachés aux libertés laïques ; seuls les rejetés du système « retournent » à la religion à titre de compensation pour leur ressentiment. « La sous-population qui dispose du meilleur taux de reproduction, et qui parvient à transmettre ses valeurs, triomphe » (p.82) : c’est ainsi que s’opèrerait l’adhésion indolore au parti de la Fraternité musulmane selon Houellebecq. Mais les secondes et troisièmes générations ne font pas autant d’enfants que la première et tendent à suivre le modèle dominant, les démographes le constatent.

Malgré ces critiques, le roman est fluide, bien écrit, musical en quatre mouvements. Il allonge des phrases longues à la Proust, balancées de virgules, il place ces italiques qui soulignent avec bonheur les expressions toutes faites et les idées reçues contemporaines. Bien que subsistent quelques préciosités comme « terminaison » pour dire fin, ce roman se lit d’un trait égal. Vous ne vous ennuierez pas, même si vous n’aimez par le personnage ni l’auteur, plutôt ravagés de sexe et d’alcool. Soumission vous fera réfléchir sur la France aujourd’hui, sur les élites prêtes à trahir par égoïsme et esprit de caste, sur l’islam – meilleure et pire des choses selon le point de vue -, sur la politique – peut-être moins choisie qu’on le dit… Laissez vos préjugés au vestiaire et pensez par vous-même, telle est la grave leçon de cette fable. Surtout après les attentats contre Charlie et contre des Juifs, et après la marche des bobos accompagnés pour une fois par une grande part du peuple de France.

Michel Houellebecq, Soumission, 2015, Flammarion, 303 pages, €21.00 ou format Kindle €14.99

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Stefan Zweig et l’école

Dans Le monde d’hier, Stefan Zweig à la fin de sa vie (le manuscrit est terminé juste avant son suicide en 1942) jette un regard rétrospectif sur son passé. Il n’aime pas et n’a jamais aimé l’école – comme tous les êtres devenus célèbres (Rabelais, Flaubert, Rimbaud et tant d’autres). L’école formate et sélectionne – elle n’est donc pas faite pour les déviants, qu’ils soient plus doués que la grosse moyenne ou plus rétifs au formatage. Jamais un « bon élève » n’a été un génie : Einstein a eu beaucoup de mal à passer le bac.

A l’inverse, tous les bons élèves, trop bien adaptés au monde scolaire, soumis, bûcheurs et obéissants, ne font que des fonctionnaires zélés et sans imagination dont nos écoles dites « grandes » sont pleines. On mesure combien un énarque, formaté Éducation nationale depuis tout petit, fait un mauvais entrepreneur (Haberer, Messier, Bouton), voire un médiocre gestionnaire d’entreprise (Bompard, Richard).

collegien torse nu devoirs

L’école devrait former, elle déforme ; l’école devrait émanciper, elle enferme ; l’école devrait exciter l’imagination et stimuler l’intelligence, elle réduit l’esprit et éteint l’élan. L’école devrait surtout rendre adulte et libre, elle formate et sélectionne selon des critères sociaux étroits de reproduction des élites. Ni cœur, ni esprit, dit Stefan Zweig, tout ce qui est rendu scolaire devient sans intérêt…

« Car, pour être honnête, toute ma période scolaire ne suscita chez moi qu’un ennui et un dégoût permanents, exaspérés d’année en année par l’impatience d’échapper enfin à cette galère. Je ne me rappelle pas avoir été jamais ‘joyeux’ ou ‘heureux’ dans cette machine scolaire au fonctionnement monotone, sans cœur et sans esprit, qui nous a complètement empoisonné l’époque la plus belle et la plus libre de notre existence (…)

« Nous, à peine franchi le seuil de l’établissement détesté, nous devions en quelque sorte nous recroqueviller en nous-mêmes pour ne pas nous cogner le front contre le joug invisible. L’école était pour nous une contrainte, un désert, un ennui, un endroit où l’on devait ingurgiter en portions exactement découpées la ‘science de ce qui ne mérite pas d’être su’, matières scolaires ou rendues scolaires dont nous sentions qu’elles ne pouvaient avoir le moindre rapport avec le réel ou nos centres d’intérêt personnels. Ce que nous enseignait la vieille pédagogie, c’était un enseignement aride et morne, se désintéressant de la vie et ne s’intéressant qu’à lui-même. Le seul moment de bonheur et de véritable allégresse dont je suis redevable à l’école fut le jour où je claquais pour toujours sa porte derrière moi. »

Est-ce que l’école a vraiment changé ?

Stefan Zweig, Romans, nouvelles et récits tome 2, Gallimard Pléiade 2013, 1584 pages, €61.75

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La France, ce malade de l’Europe

Les élections européennes, techniques et sans enjeux concrets perçus par les citoyens, suscitent en général une abstention assez forte. Elle a été moyenne en Europe, égale à 2009 en France. Plus les pays ont connu récemment la dictature, plus ils sont poussés à exercer ce « droit » – rare sur la planète – de pouvoir aller voter. La Thaïlande comme l’Égypte sont sous coup d’État, l’Ukraine voit des milices rouge-brun empêcher les citoyens d’aller s’exprimer à l’est du pays, la Russie et la Turquie ont « élu » sous pressions et fraudes un genre de dictateur qui réprime toute forme de démocratie autre que le plébiscite campagnard.

2014 05 europennes carte participation

Voter est un luxe de nanti. C’est pourquoi les bobos français (bourgeois bohème) devraient être appelés plutôt égoédos (égoïstes hédonistes), tant ils marquent du mépris snobinard pour cette façon vulgaire d’aller « donner leur voix » comme le bas peuple : 58% des votants Hollande en 2012 ne sont pas allés voter, 52% des Parisiens ! En dehors de leurs petits intérêts de caste comme le mariage gai (et lesbien) ou le vélo à contresens dans les rues, les bobos se foutent de la gauche et de ses « idées », c’est manifeste. L’effondrement du parti socialiste est confirmé et au-delà, le seul socialisme qui subsiste aujourd’hui est national.

Car le problème aujourd’hui n’est pas européen, il est français.

Certes, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Autriche ont donné plus de 15% des voix à des partis extrémistes anti-union – mais c’est en France que le Front national a réussi à passer largement en tête, avec un apparent 25%. La réalité est moins flamboyante car, du fait que 43.5% des votants seulement se sont exprimés et que les gens convaincus sont plus allés voter que les autres, le FN ne compte les voix que de 11% des 46 millions de citoyens français ce dimanche. C’est certes nettement mieux que les 6.3% qui ont voté PS ou le ridicule 2.8% du Front de gauche, habituel favori des bobos (calcul sur 100% des électeurs), mais ce n’est pas un raz de marée, tout au plus un « rat de Marine ». A une élection importante, présidentielle ou législative, le FN ne ferait pas ces scores là, noyé sous la participation utile. Il ne réussit que dans l’indifférence. Et c’est là où les bobos « de gauche ma chère, évidemment de gauche » ont toute leur responsabilité. Le « séisme » 2002 ne leur a rien appris et les mots graves de Manuel Valls hier vont leur passer par-dessus la tête, comme d’habitude.

Il ne leur restera plus que le ridicule d’aller « manifester contre le fascisme » comme en 2002, dans un refus trop tardif d’une démocratie qu’ils n’ont pas exercée par flemme. Au niveau européen, le vote français ne changera pas grand-chose, la coalition sortante reste majoritaire. En France, les seuls partis européens, les centristes et écologistes, se sont bien maintenus. Mais les écologistes en Europe ont fait bien mieux que les idéologues intellos de gauche de l’Hexagone : en cause le gauchisme catastrophiste mâtiné d’arrivisme du parti Duflot.

2014 05 nouveau parlement européen

La gauche française de gouvernement s’obstine à ne pas comprendre que les élites économiques éduquées (diplômés, cadres, hauts revenus, citadins, voyageurs) ne vivent pas dans le même monde que le populaire (peu diplômés, ouvriers, bas revenus ou chômeurs, suburbain ou rural qui n’ont rien vu du monde). Ce pourquoi le socialisme « internationaliste » ne passe plus, ni son tropisme multiculturel, ni ses attendrissements pour les « victimes » à aider en priorité qui sont toujours les autres (homos, étrangers, colorés, immigrés). Quoi d’étonnant à ce que le FN réalise ses meilleurs scores au sein des couches populaires : ouvriers (43%), employés (38%), chômeurs (37%), personnes à faible niveau de diplôme (37%), foyers à bas revenus (30%) et parmi les jeunes (30% des moins de 35 ans), touchés par le chômage ou la galère des stages et CDD à répétition ? (Sondage Ipsos/Steria 25 mai 2014)

Le socialisme à la française tout comme le pseudo-gaullisme à la Copé-Guéant-Sarkozy apparaît comme un ramassis d’impuissants qui envoient leurs déchets à Bruxelles, clament haut et fort en France l’inverse de ce qu’ils signent en sous-main au Conseil européen, agitent des yakas impossibles puisque pas prévus dans le Traité (comme le social, dont le Smic, qui est du ressort de chaque État). Quoi d’étonnant à ce qu’il y ait défiance envers ces hypocrites professionnels ? Quant à Mélenchon, il a clairement échoué : ses outrances ont fait fuir. Il était pathétique et presque sympathique lors de sa conférence de presse, mais toujours dans l’émotionnel alors que cela ne compte dans un vote qu’en plus du fond ; sans le fond, cela fait démago…

Si 62% des votants disent avoir privilégié les questions européennes sur le rejet du gouvernement, l’opacité du fonctionnement européen et la culture nécessaire du compromis empêchent les électeurs français peu éduqués de comprendre. L’Éducation nationale ne fout rien pour habituer les élèves à travailler ensemble et à échanger des idées, les médias perroquettent les mensonges des partis, les populistes trouvent un bouc émissaire commode dans « l’euro, Bruxelles, les 28, le libéralisme » et ainsi de suite.

Les Français, formatés à l’autoritarisme et au plébiscite du chef, sont à l’opposé de presque tous les autres pays européens, formés au parlementarisme et aux alliances de compromis. La France semble avoir une mentalité plus proche de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdogan que de l’Allemagne de Merkel ou du Royaume-Uni de Cameron. Le marasme économique n’arrange rien, la politique stupide du gouvernement Hollande 1 (qui a insulté les patrons, insultés les investisseurs, insulté « la finance » – et taxé à tour de bras tout le monde, y compris en-dessous du Smic) a accentué la récession. Ce clown pathétique de Montebourg a plus fait à lui tout seul pour faire fuir l’investissement que les ministres de Mitterrand – et on le garde au gouvernement !

Les électeurs ne sont pas contre l’Europe, ils ne comprennent pas trop comment elle fonctionne ; ils sentent bien l’avantage de la monnaie unique, puisque 72% (sondage Ipsos ci-dessus) sont CONTRE la sortie de la France de la zone. Mais ils voudraient une Europe plus protectrice en termes économiques, moins accueillante à l’immigration sauvage, mieux unifiée socialement. Encore faut-il envoyer – comme les Anglais – des pointures politiques à Bruxelles, pas des recalés en échec de la politique nationale : des Fabius par exemple, comme hier Delors, pas des Désir. Jamais la « synthèse » molle du tempérament Hollande n’a montré aussi clairement son inaptitude à gouverner.

La France apparaît aujourd’hui comme

  • ce malade de l’Europe qui, faute de mieux, élit des politiciens minables qui promettent tout et en font le moins possible, se défaussant sur « Bruxelles » de leurs fautes ou impuissance,
  • ce malade de la boboterie, toujours en première ligne pour réclamer « des droits », mais qui reste douillettement chez elle dès qu’il s’agir d’agir,
  • ce malade des réformes sans cesse promises, sans cesse repoussées, car elles remettent en cause trop d’intérêts « acquis » sans que personne n’ose prendre le taureau par les cornes.

Puisse l’aiguillon Le Pen donner des hémorroïdes à cette caste de gauche aujourd’hui au pouvoir, à ces petits marquis inaudibles de droite qui aspirent à y revenir, pour qu’enfin – comme dans les autres pays européens – ils soignent la France :

  • inadaptée à intégrer sa jeunesse par l’éducation,
  • inadaptée à la mentalité parlementaire de l’Union,
  • inadaptée à la concurrence économique mondiale.
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Être un bon Européen ?

Chacun peut l’être par conviction politique, foi humaniste ou simple intérêt bien compris dans un monde globalisé où seuls comptent désormais les grands ensembles. Mais je voudrais donner ici une autre idée de l’adhésion à l’Europe : celle d’esprit libre.

C’est Friedrich Nietzsche il y a plus d’un siècle, dans son époque de nationalités et revendications identitaires batailleuses, qui prenait de la hauteur pour ne pas rester lié à une patrie. Les différences superficielles entre nations européennes masquent pour lui une unité culturelle. Les fermentations des haines nationales ne sont pas la solution pour vivre plus ou mieux – au contraire. Le nationalisme est une démence de la passion, que la raison délirante transformera au siècle suivant en camps pour tous les métèques, les koulaks, les barbares, les « rats ».

doisneau ouvriers empoignent seins

Nietzsche en appelle à la survenue d’hommes supérieurs, au-dessus de ces bas instincts, de ces passions folles, de cette raison en dérive. La volonté doit accoucher des valeurs, donc de la culture. Le « bon européen » selon Nietzsche est donc « sans patrie ». Il peut être d’un terroir et s’exprimer en une langue sans s’y enfermer : c’est au contraire par les voyages, les curiosités de lectures et de rencontres, par l’apprentissage d’autres langues, donc d’autres façons de penser, qu’émergera la conscience supérieure. En premier lieu européenne.

Peut-être un jour aura-t-on une conscience galactique, ou multi-univers, mais commençons par le commencement. C’est l’erreur des intellos français, trop théoriciens, que de grimper tout de suite aux rideaux en poussant l’abstraction. Victor Hugo en appelait à la « conscience universelle », probable effet de son christianisme mal digéré. Mais vouloir l’universel revient concrètement à ne rien vouloir du tout. L’excès engendre l’impuissance, et pas seulement dans la conscience. Agiter l’universel ou le cosmopolite, c’est surtout ne rien faire ici et maintenant – tout en se donnant bonne conscience dans « l’au-delà » de l’avenir. Ce qui veut dire jamais, à notre échelle humaine, attitude que Nietzsche rapproche du « nihilisme ».

Le « bon Européen » est un ideal-type, un modèle vers lequel on doit tendre, plus facile à suivre que le très vague « universel » (qui n’est qu’une projection de la conscience occidentale sans en avoir conscience). Dans Par-delà le bien et le mal, Nietzsche fait du « bon Européen » celui qui possède « un art et une faculté d’adaptation maximalisés » §242. Lorsque l’on sait que la « faculté d’adaptation » est la définition de l’intelligence (différente de « la raison »), le lecteur voit jusqu’où pourrait aller la notion « d’homme supérieur » – bien loin de la musculation à la Poutine ou de la cruauté exclusive des nazis. Nietzsche n’hésitait pas à parler de « névrose nationale » pour l’obsession nationaliste de son pays, l’Allemagne – en son temps, sous Bismarck. Il lui préfère à l’époque la culture française, plus ouverte sur le monde, à la conscience plus large malgré sa dérive vers l’abstraction sans chair de « l’universel ».

L’Europe culturelle de Nietzsche ne s’arrête pas aux frontières, elle englobe une vision du monde commune, essaimée en Amérique et en Océanie, « une somme de jugements de valeur qui commandent et qui sont passés en nous pour devenir chair et sang », Le Gai savoir §380. Cette culture vient des Grecs antiques, relayée par les Romains puis par le christianisme des Pères de l’Église, avant de rebondir au 15ème siècle avec la Renaissance de la pensée, l’essor scientifique et les grandes découvertes géographiques.

« La science » est elle-même une croyance, mais sa méthode est peut-être la seule qui permette d’observer le monde avec le moins d’a priori possible : par le débat, la critique et la correction successive. L’exigence de transparence sur l’agora politique incite à la rationalité intellectuelle, donc à la recherche de « la vérité », notion relative et ideal-typique elle aussi, mais qui conduit au savoir scientifique sans cesse en progrès. « L’Europe va maintenant jusqu’où s’étend la foi en la science », dit Nietzsche (Fragments posthumes, HTH II, 33, 9).

Tout n’est pas bon dans cette culture européenne, pense Nietzsche, mais quand même : si ce n’est elle, laquelle ? Celle à créer sans doute, mais seulement avec le temps.

Car la quête de « la vérité » engendre cette dichotomie de vision entre vrai et faux, donc bien et mal, donc égoïsme et altruisme. Il « faudrait » (injonction culturelle) choisir le vrai, le bien, l’altruisme – en soi – comme Platon le prônait, et après lui le Christ. Alors que l’être humain réel est irrémédiablement mêlé, sa conscience comme chacun de ses actes pris sans cesse dans un champ de forces entre raison et pulsions, passions et volonté. La faculté d’intelligence est ce délicat équilibre entre ces forces contradictoires mais toujours présentes et utiles.

  • Car que serait la raison sans passion ? – en politique une technocratie robotisée.
  • Que serait la volonté sans raison ? – une dictature totalitaire.
  • Que seraient les pulsions sans raison ? – un univers à la Sade, où tout est permis au nom de la jouissance égoïste.
  • Que seraient les passions sans la volonté ? – une anarchie de mouvements sans ordre ni sens…

Le scepticisme est justement la valeur qui caractérise les « bons Européens » selon Nietzsche. Ce pourquoi il révère Montaigne plus que Descartes.

Rien de conservateur, donc, dans cet appel à la culture européenne. Plutôt la continuation d’un mouvement commencé avec les Grecs vers le savoir et le débat, vers l’amélioration de la conscience humaine. Car les Européens d’aujourd’hui sont les « héritiers du dépassement de soi le plus long et le plus audacieux de l’Europe » (Le Gai savoir §357).

  • Renoncez au troupeau – pensez par vous-même !
  • Renoncez à la vérité absolue – adhérez au « gai » savoir qui multiplie les interprétations et laisse ouvertes les portes !
  • Ayez la volonté de vivre plus intensément, d’exister plus, d’être meilleur – en sublimant pulsions, passions et raison dans l’intelligence des choses et la volonté des actes !

Certes, voter pour des députés nationaux de seconde zone, recalés par leur parti dans cette voie de garage qu’est le « Machin européen » vu de l’énarchie parisienne centrée sur le Pouvoir autour du Président, paraît bien faible, vu des hauteurs de Nietzsche. La faute aux minables socialistes et aux étriqués de droite.

Mais il faut bien commencer par un bout… Avant l’univers, la terre ; avant la terre, l’Europe – seul grand ensemble susceptible de participer à cet « universel » dont rêvent les bonnes consciences à bonne excuse. « Ne veuillez rien qui soit au-dessus de vos forces : il y a une mauvaise fausseté chez ceux qui veulent au-dessus de leurs forces » (Ainsi parlait Zarathoustra, De l’homme supérieur 8). S’ils ne vont pas voter pour l’Europe, ces bobos qui vantent « l’universel » en incantations rituelles, ils ne risquent pas de voter pour le monde ! Beau prétexte à surtout ne rien faire, tout en se pavanant en Bisounours, content de soi. « Car, en admettant que l’on soit une personne, on a nécessairement aussi la philosophie de sa personne », Avant-propos au ‘Gai savoir’, 2.

Boboterie qui incite le populaire à voter contre ces « élites » dévoyées, pour des populistes aigris et étroits d’esprit. Le contraire du « bon Européen » dont Nietzsche a montré l’attrait…

Friedrich Nietzsche sur ce blog

Un article excellent de Pierre Verluise, docteur ès Science politique, sur la France dans l’Union européenne.

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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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Hollande est-il dans l’impasse ?

Pas facile de gouverner, surtout lorsqu’on a été élu sur un malentendu (contre l’histrionisme de Sarkozy) et que l’on est issu d’un parti sectaire, tétanisé par le pouvoir. Il y avait déjà peu d’idées avant, il n’y a plus aujourd’hui aucune idée au parti socialiste : le désir s’est éteint avec l’orgasme. L’agence de notation financière Standard & Poors vient de dégrader la note de la France à double A « seulement ». Piaillements dans le volailler politique !

Le Figaro voit se confirmer que la France suffoque sous le poids de sa fiscalité, tandis que le gouvernement se montre incapable d’engager une réduction des dépenses publiques. On parle de blocage, toute marge de manœuvre coincée entre impôts et chômage, les deux au maximum du supportable. Jean-François Copé dénonce, c’est de bonne guerre, un « déni ahurissant » du gouvernement. On pointe ailleurs, avec plus de raison, qu’à Marseille et en Bretagne le gouvernement sort le chéquier pour étouffer le mécontentement « au profit de ceux qui se sont montrés les plus bruyants, voire les plus violents » (L’Alsace). Les impôts rentrent moins et les dépenses continuent de filer.

Pour le gouvernement Hollande, la cure est la seule politique possible, réduire le déficit est la seule façon de récupérer des marges entre taux d’emprunts d’ État raisonnables et cohésion sociale. Nous le croyons volontiers – sauf que c’est l’exacte politique menée par le gouvernement Sarkozy en 2011 – qui fut pourtant dénoncée en son temps par Hollande : ignorance de la crise ou mauvaise foi politicienne ? Paul Krugman (prix d’économie 2008 en l’honneur d’Alfred Nobel) célèbre cette version optimiste en trois notes sur son blog : « Je maintiens mon appréciation : S & P n’a pas vraiment évalué le risque de défaut Français, il tape les Français sur les doigts pour ne pas s’être suffisamment engagés à démanteler l’État-providence. » La seule concession de Hollande aux grognements a été de reculer l’échéance de deux ans (et probablement plus). L’erreur du président a probablement été de croire au retour imminent de « la croissance » comme si de rien n’était, avec une inversion assez rapide de la courbe du chômage. Il pensait 2.5% en 2013 et pas 0.2%…

Les ministres ont attaqué le thermomètre, les agences de notation, dont ils dépendent pourtant à cause de l’endettement qu’ils poursuivent. Arnaud Montebourg a, comme d’habitude, jeté « n’importe quoi pourvu que ça mousse » en déclarant tout simplement « n’accorder absolument aucun crédit à ces agences de notation ». Il prouve donc, si la langue française a encore un sens, que la note triple A français ne valait rien auparavant. Donc que les marchés sont bien bêtes de prêter à l’État français à des taux aussi ridiculement bas. L’inverse même de ce que montre Paul Krugman… mais on ne peut pas demander à une grande gueule et néanmoins ministre de connaître quoi que ce soit à l’économie, quand même ! On est en France, pas ailleurs, la politique doit toujours avoir raison, même contre la réalité. Les socialistes ont évidemment recours à la bonne vieille ficelle usée de « la faute à Sarkozy ». Lorsque la violente récession 2009 est survenue, qu’auraient-ils faits, eux, sinon de laisser filer pareillement le déficit ?

Marine Le Pen accuse l’Europe, comme la gauche bobo férue d’économisme (célafôta l’euro, célafôta la concurrence exigée par Bruxelles, célafôta Merkel, célafôta l’Allemagne). Jean-Luc Mélenchon accuse globalement « la finance » (moins il dit ce que c’est concrètement, mieux le complot fonctionne). En bref, c’est la faute à tout le monde (le thermomètre, les concurrents, les partenaires, les institutions, l’argent…) – mais ce ne saurait être la faute ni du socialisme (qui a toujours raison – mais toujours demain), ni des politiques concrètement menées depuis mai 2012 : désigner à la vindicte publique les gagneurs, décourager les innovateurs, insulter les repreneurs, taxer toute production, faire rentrer les impôts où est l’argent – sur les classes moyennes beaucoup et sur les riches très peu – car il y a très peu de riches, Thomas Piketty, pourtant gourou de la gauche bobo férue d’économisme l’avait dit et redit. Même les hochets (retardés) offerts aux entreprises, sont des usines à gaz compliquées et paperassières comme le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi avec son crédit d’impôt différé, et restent soumises au bon vouloir sourcilleux de l’Administration.

Patrick Artus, économiste de gauche rationnel et directeur de la recherche de Natixis, estime que l’agence de notation a eu raison de dégrader la note de la France. Car « compte tenu des perspectives démographiques, du système de retraite et des problèmes de compétitivité, nous ne voyons pas comment nous pourrions dépasser un taux de 1 % » de croissance dans les années à venir. « Plus grave, le déficit structurel de la France est beaucoup plus élevé qu’on le dit, car la crise nous a fait perdre des points de croissance potentielle, -6% dans l’industrie et -8 % dans la construction. » Pour respecter 3,5 % du PIB en déficit budgétaire, « contrairement à ce que dit le gouvernement, l’essentiel de l’effort est devant nous et pas derrière. Il faudra encore augmenter les impôts ou diminuer vraiment les dépenses. » Source ici.

indicateur avance croissance t4 2013 natixis

Alors, que faire ?

Maintenir les impôts, peut-on faire autrement ? mais ne plus les modifier tout le temps ni les augmenter globalement car trop c’est trop. C’est moins le niveau de prélèvement qui compte, que la tendance au toujours plus et à la remise en cause de ce qui existe : pas une semaine qui ne passe sans l’annonce à grand son de trompe (à destination de la seule gauche de la gauche ?) que l’on va taxer et encore taxer, et rétroactivement, rompant le contrat de confiance de l’épargne – dont les entreprises, l’assurance dépendance et les retraites ont pourtant tant besoin ! Le petit peuple se révolte, par texto et sans les syndicats, en « démontant » à la Bové (c’est-à-dire en détruisant) les bornes écotaxe et même les radars, sans parler – pour l’instant – des sous-préfectures. Cet écotaxe était pourtant rationnelle, acceptée aussi bien par la droite que la gauche en son temps – mais seulement par les « représentants » et par les élites. La province et les besogneux en ont assez des bobos écolos et de leur prédation justifiée par un discours hystérique sur le climat, la santé, la catastrophe planétaire. Les écolos français sont loin des écolos allemands – et là aussi, comme en économie, la comparaison est cruelle pour la France. Le seul impôt qu’il est encore possible d’augmenter sans mettre les gens dans la rue, est la TVA « normale » : le Danemark est bien à 25%. Ce serait taxer les importations aussi bien que la production nationale, donc pas si bête ; ce serait laisser à chacun le choix d’acheter des produits chers ou de consommer plus frugalement, puisque ne paye la taxe que qui achète. Mais c’est un tabou à gauche !

Réduire les dépenses publiques, mais c’est là que le bât blesse. Il touche en effet toute cette clientèle captive des élus locaux, des strates administratives, des fonctionnaires d’État et territoriaux, des syndicats et mutuelles qui vivent très bien de la prébende d’État et des monopoles de faits de la représentation, qui profitent des subsides publics de la prévention et de la formation permanente. Pas moins de six niveaux entre la commune et l’Europe : donc six administrations, six producteurs de règles et de paperasses, six délais de décision et d’arbitraire. Réduire la dépense des ministères est déjà largement engagé, on ne peut guère faire plus – sauf à réviser le maquis touffu des lois et réglementations, qui pourraient être simplifiés – et laisser plus l’armée dans les casernes au lieu de la faire intervenir au Mali, voire en Syrie : si l’on veut une politique internationale, il faut en garder les moyens. Réduire la dépense locale est possible à la marge, notamment en embauchant moins de fonctionnaires à vie, mais les collectivités ne peuvent être en déficit de par la loi (fort heureusement !), il y a donc peu de gains à tirer. Le budget de la Sécurité sociale, qui comprend trois branches, maladie, vieillesse, famille, est politiquement sensible mais peut être contenu.

Restent surtout ces réformes ambitieuses promises par le candidat, dont on ne voit toujours pas pointer le bout de la queue : la « Grande réforme fiscale » (qui permettrait de faire payer effectivement ceux qui ont beaucoup et moins ceux qui ont peu), la « Grande réforme des retraites » (à points pour tout le monde, mais au détriment des régimes « spéciaux » privilégiés), la réforme des collectivités territoriales (enterrée pour cause d’élections municipales en 2014 ?), le « choc de compétitivité » (qui ne choque personne tant il est timoré), la mise à plat des aides à l’emploi et à la formation des chômeurs (dont les syndicats ni les patrons ne veulent pas – les premiers parce qu’ils seraient privés de la manne financière de la formation professionnelle qu’ils trustent, les seconds parce qu’ils profitent des effets d’aubaines des embauches de jaunes ou de maintien en emploi des seniors, sans que cela n’influe sur leur politique d’embauche).

L’économie sociale et solidaire, c’est bien, mais ce n’est pas elle qui embauchera de gros bataillons de travailleurs. Le contrat emploi-jeunes permet de faire sortir plusieurs centaines de milliers de mal formés mal éduqués et non vendables des statistiques de Pôle emploi, mais ne leur donnera aucune qualification d’avenir – et fera tache sur leur CV s’ils veulent entrer en entreprise. Je ne suis pas le seul à regretter l’abandon – en rase campagne – de quasiment toutes les promesses raisonnables du candidat. Ne subsistent que les « marqueurs de gauche », dont près des deux-tiers des Français se foutent, selon les sondages, car ils n’ont pas votés POUR la gauche mais CONTRE Sarkozy : mariage gai, imposition à 75%, suppression des peines plancher, retour d’une illégale expulsée, condamnation des clients qui vont aux putes, et autres créations de salles de shoot.

Le président aurait du être aidé par un parti qui se pique de penser, le seul désir en tête, aiguillonné par une majorité parlementaire tant à l’Assemblée qu’au Sénat – mais il n’en est rien. Rien de rien ! Lui-même, Hollande, que fait-il pour relancer l’initiative ? Cet état zéro de la politique, ajouté à l’incessant changement fiscal plus agité que Sarkozy lui-même, désespère l’électorat qui paye toujours plus sans que rien ne change au fond. Dommage que l’opposition soit si indigente, entre un Copé sans idée et un Fillon velléitaire, sans aucune alternative à un improbable retour d’un Sarkozy que tous admirent mais dont aucun ne veut plus.

Peut-on pronostiquer un envol du Front national et de l’Alternative centriste aux prochaines élections européennes ? Un net recul socialiste et écologiste aux municipales de 2014 ? L’heure est sans aucun doute au « sortez les sortants ! »

Sur une idée de Daniel, je publie ci-après la traduction de la troisième des notes publiées par Paul Krugman sur son blog, après le temps de la réflexion (la première, citée plus haut, était à chaud) : Blog qu’il intitule « La conscience d’un libéral » sur http://krugman.blogs.nytimes.com/
9 novembre 2013, 12:43 « Plus de notes sur le France-Bashing »

Tout d’abord: la France a des problèmes. Le chômage est élevé, en particulier parmi les jeunes, de nombreuses petites entreprises luttent, la population est vieillissante (mais pas autant que dans de nombreux autres pays, l’Allemagne plus que les autres y compris.)

Par n’importe par quel bout je la prenne, la France ne semble pas être trop mal par rapport aux normes européennes. Le PIB a récupéré à peu près son niveau d’avant-crise, le déficit budgétaire est assez faible et la dette à moyen terme n’est pas du tout effrayante, les projections budgétaires à long terme sont en fait assez correctes par rapport aux voisins grâce à un taux de natalité plus élevé.

Pourtant, le pays fait l’objet de commentaires injurieux, plus qu’ailleurs. Par exemple The Economist, il y a un an, qui déclare que la France est « La bombe à retardement au cœur de l’Europe». Ou CNN déclarant que la France est en «chute libre».

Ce billet CNN donne effectivement quelques arguments. Il fait valoir que la France est confrontée à un « béant écart de compétitivité » en raison de la hausse des coûts de main-d’œuvre. Hmm. Mais voilà ce que j’observe des chiffres de la Commission européenne comparant la France à la zone euro dans son ensemble : (graphique coûts unitaire du travail 1999-2013, France comparée à zone euro)

Il y a un peu de détérioration, je suppose – mais c’est plus un flottement qu’une chute.

CNN déclare également, « le déclin de la France est mieux illustré par la détérioration rapide de son commerce extérieur. En 1999, la France a vendu environ 7% des exportations mondiales. Aujourd’hui, le chiffre est un peu plus de 3%, baissant rapidement. »

Hmm. Il se trouve que presque tous les pays avancés, les États-Unis évidemment compris, ont une part décroissante des exportations mondiales (l’Allemagne est une exception); le document de recherche de la Fed de New York note que cette baisse est plus ou moins en ligne avec la baisse de la part des économies avancées dans le PIB mondial due à l’essor des nations émergentes, et il décrit la France comme plus ou moins dans les clous.

Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que la France est sans problème, la question est pourquoi cette nation modérément agitée attire la dégradation des notes et une rhétorique aussi apocalyptique.

Et la réponse est évidemment politique. Le péché de la France n’est pas un endettement excessif, en particulier la faible croissance, la productivité moche (elle a plus ou moins suivi l’Allemagne depuis 2000), la faible croissance de l’emploi (idem), ou quelque chose comme ça. Son péché est celui d’équilibrer son budget en augmentant les impôts au lieu de sabrer les avantages. Il n’y a aucune preuve qu’il s’agit d’une politique désastreuse – et, en fait, les marchés obligataires ne semblent pas concernés – mais qui a besoin de preuves ? »

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Jean-Marie Déguignet, Mémoires d’un paysan bas-breton

jean marie deguignet memoires d un paysan bas breton

Né fils de journalier agricole en 1834, dernier d’une famille nombreuse pauvre, obligé d’allier mendier son pain parce l’école n’était pas obligatoire, ce Quimpérois d’un hameau de l’Odet est l’exemple même de l’arriération bretonne comme de la méritocratie républicaine. Son témoignage est crucial sur le tournant du siècle et les débuts de la IIIe République.

Il a tout vécu, Jean-Marie : les rois, l’empereur, le général tenté par la dictature (Mac Mahon), la république. Il a été mendiant, vacher, domestique, soldat, sous-officier, cultivateur métayer, bistrot, courtier d’assurances, tenancier d’un bureau de tabac. Il a été en Crimée, à Jérusalem, en Italie, en Kabylie et au Mexique. Il ne s’est marié qu’à 34 ans, s’est toujours méfié (avec raison) des bonnes femmes, a eu cinq gosses qu’il a élevé comme il a pu, leur assurant au moins le pain et les hardes. Il est devenu veuf d’une femme abîmée dans la soûlerie, séparé d’une compagne pathologiquement jalouse, exclu de ses enfants devenus adolescents – donc productifs – par sa belle-famille, avant de finir à l’hospice.

Paranoïaque en diable (on le serait à moins), athée républicain bouffeur de curés, il se réfugie dans l’histoire de sa vie parce que son intelligence dépasse de loin le milieu dans lequel il vit, parce que sa curiosité n’est en rien celle des Bretons de son entourage, et qu’il pense par lui-même au lieu de suivre les autorités de naissance ou de religion. Il est petit (moins d’1m54), accroché à la vie, tenace ; il ne tient pas en place tant du corps que d’esprit, usant de toutes les occasions pour apprendre : la terre, la savate, l’italien, la philosophie… Il est sociable, il écoute, il teste – mais reste inébranlable sur ses convictions politiques (les emplumés et ensoutannés exploitent le peuple par leurs belles paroles) et religieuses (le fils de Madame Joseph était un noceur qui a renié ses frères).

Sa faiblesse ? Ne pas savoir refuser un service à qui en a besoin. Ce qui va l’entraîner à quitter l’armée sous-officier avant d’y revenir simple soldat, faute de travail en Bretagne et par jalousie des ‘cousins’, puis à se marier sans l’avoir voulu, puis à soigner ses enfants qui seront bien ingrats (sauf le garçon de 19 ans dont la mort lui arrache un cri de désespoir), enfin à confier ses cahiers à Anatole Le Braz, pape du régionalisme breton d’époque, qui attendra sept ans avant de réaliser sa promesse de l’éditer dans La Revue de Paris.

bretons paysans 19e

Il aura le bonheur de se voir survivre par l’écriture, avant de mourir quelques mois plus tard. Sa vie, en 24 cahiers de 2854 pages, est un roman d’aventure écrit d’une belle langue française, avec des mots bretons, italiens et espagnols glanés dans ses campagnes. Il écrit vrai, Déguignet, et remet à leur place les folkloristes et leur romantisme du ‘c’était mieux avant’. Non ! C’était pire avant : les enfants mouraient en bas âge, l’ignorance était entretenue par les curés et les nobliaux pour exploiter les métayers et les journaliers, la vanité se mesurait aux railleries bretonnantes, chaque canton avait sa langue et comprenait à peine les autres Bretons, encore moins le français, la routine régnait en maître jusque dans les familles, où les femmes étaient les pires conservatrices de ce qui se fait et doit se faire éternellement, où aucune réussite n’était possible sans sacrifier au clientélisme local et faire allégeance…

Sur la fin de sa vie, il tire ce bilan personnel : « Si j’avais été une brute complète, sans pensée et sans réflexion, je serais sans doute la plus heureuse des créatures, puisque j’ai du pain à manger et un trou pour me cacher. Mais je pense, je réfléchis et je raisonne sur les maux et les tourments de mes confrères, et sur les canailleries, les fourberies, les iniquités et les injustices dont ils sont victimes de la part des voleurs et des bandits qui ont l’impudence, le cynisme et l’effronterie de se dire les gouvernants, les représentants et les protecteurs du peuple, lorsqu’ils n’en sont que les seigneurs et les égorgeurs » p.414.

A lire pour se réjouir de la vitalité d’un Breton qui refuse la complaisance folklorique, un brin méprisante, des élites qui utilisent le régionalisme comme tremplin personnel. A lire pour ce grand bol d’air de l’aventure dans une société archaïque et coincée, qui paraît si loin alors qu’elle n’a qu’un siècle. Et qu’il en reste de nombreux traits aujourd’hui !

Jean-Marie Déguignet, Mémoires d’un paysan bas-breton, 1905, édition An Here 1998 établie par Bernez Rouz, ou Pocket 2001, 462 pages, €2.62 à 31.55 ou €3.94 en Kindle

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Albert Camus était libéral et surtout pas socialiste

L’habitude ancrée de la gauche aujourd’hui est d’appeler « libéral » tout ce qu’elle appelait hier « fasciste ». Cette manie est dénoncée par Camus dans la propagande stalinienne. On voit donc d’où vient la ‘bonne conscience’ de gauche d’aujourd’hui : du tyran moustachu. En 1952, Albert Camus ironise sur les ‘Cahiers du communisme’ où un certain Georges Cogniot (fort heureusement oublié) le qualifiait de fasciste. Comme ça, sans raison objective autre que celle qu’il n’était pas compagnon de route de son clan et de la prophétie marxiste.

Albert Camus theatre

« C’est qu’il ne s’agit pas de ce que je suis mais de ce que, selon la doctrine et la tactique, il faut que je sois. Selon la doctrine, il faut qu’un libéral aujourd’hui soit fasciste. (…) Ce qui oblige ou bien à respecter les vrais libéraux ou bien à faire admettre qu’en réalité un libéral est l’ennemi de toutes les libertés. Le mieux, selon la tactique, n’est pas de le démontrer, ce qui serait difficile, mais de le dire et de le répéter autant de fois qu’il le faudra. La tactique se donne en somme pour but de remplir les mots mécaniquement d’un contenu opposé à celui qu’ils détenaient jusque là. Le libéralisme, c’est le fascisme, le parti unique c’est la liberté, la vérité c’est le mensonge, les généraux sont pacifistes » (Le dialogue et le vocabulaire, p.1103). La vérité c’est le mensonge est du pur Orwell type 1984. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ; qui veut exterminer un groupe humain le traite de sous-homme. Ainsi font les socialistes réels.

Ceux d’aujourd’hui, surtout version révolution à la Mélenchon, ont les mêmes réflexes staliniens que dénonçait Camus. Il est de bon ton chez les intellos de dire tout le mal qu’on peut du « libéralisme » – sans savoir ce que recouvre le mot. C’est confondre économie et politique, confondre la finance Folamour avec l’économie réelle. Le soi-disant « libéralisme » est le bouc émissaire commode de tout ce que la gauche n’a jamais su réaliser elle-même : l’encouragement à l’innovation et à la production par des libertés assurées. La gauche se veut l’étalon du Bien (Dominique Strauss-Kahn prenait d’ailleurs ça au premier degré) :

  • Tout ce qui n’est pas concédé par la doctrine ne saurait être une liberté.
  • Tout ce qui n’est pas réalisé par le parti quand il est au pouvoir ne saurait être une liberté.
  • Tout ce qui n’est pas goûté et approuvé par les doctrinaires du politburo ne saurait se qualifier de liberté…

Ce pourquoi Camus n’était surtout pas socialiste mais bel et bien libéral.

Il le déclare expressément en 1951 : « Bien que je ne sois pas réellement socialiste, ma sympathie allant aux formes libertaires du syndicalisme, j’ai souhaité que les travaillistes fussent vainqueurs de ces élections. » Le travaillisme n’est pas le socialisme, mais un parti de trade-union, non dogmatique, social-démocrate – tout ce que la gauche morale, toute parée de vertu tyrannique, appelle social-traître. Tout ce que Hollande a honte de revendiquer aujourd’hui, tout en essayant maladroitement de faire de la sociale-démocratie quand même – sous les huées de 40% du PS et de 110% du PDG Mélenchon.

Camus : « Je m’intéresse au travaillisme comme à l’exemple d’un socialisme sans philosophie, ou presque. Depuis un siècle, le socialisme européen a fait passer la philosophie de ses chefs avant les intérêts concrets de ses troupes ouvrières. Comme cette philosophie, efficace dans son aspect critique, est irréelle dans sa partie positive, elle s’est constamment heurtée aux réalités et les socialistes du continent n’ont eu d’autre choix que l’opportunisme qui sanctionne leur échec, ou la terreur, dont le but profond est de faire plier la réalité humaine et économique à des principes qui ne lui conviennent pas. » Belle analyse du Parti socialiste français depuis 1981 ! Il ne produit quasiment que des arrivistes à la Fabius, des sectaires à la Chevènement ou Aubry ou des opportunistes à la Jospin-Hollande. Faisons exception pour Pierre Mauroy, Michel Rocard, Jacques Delors et quelques autres – mais si rares…

Fabius le suffisant que Mitterrand l’habile a mis au pied du mur en 1983 (voir la note ‘le tournant de la rigueur’), a préféré sa carrière à ses idées tout en affichant le contraire, il a fait de même pour le Rainbow Warrior (« Moi, Premier ministre, je n’étais pas au courant… »), puis sur le sang contaminé (« responsable mais pas coupable »), enfin sur le vote européen en 2005 où il est allé volontairement contre la discipline de son parti – ce pourquoi nous ne pouvons pas respecter Monsieur Fabius.

Jospin a bien commencé ses cinq années de Premier ministre mais sans vision pour la France, il s’est laissé circonvenir par les démagogues électoralistes du dépenser « toujours plus » au profit des « toujours plus exclus ».

Seul Jacques Delors a eu un projet pour l’Europe, mais il a été trop humble pour l’imposer à la bronca du parti et s’est retiré sur la pointe des pieds.

Camus poursuit le raisonnement : « Il me semble, au contraire, que le travaillisme anglais, comme le socialisme scandinave, est resté à peu près fidèle à ses origines, quoique parfois contaminé par l’opportunisme, et qu’il est arrivé à réaliser, un peu à tâtons, un minimum de justice dans un maximum de liberté politique » (Conférence faite en Angleterre, 1951, p.1097). Mais cela fait combien de dizaines d’années que certains socialistes vont chercher des idées outre-Manche ou dans le nord, sans jamais les voir considérées par les dogmatiques du Parti ?

Je me souviens de Jean-Michel Belorgey, à l’époque chargé de conférences à Science Po, qui nous parlait de l’ombudsman scandinave et des droits du Parlement : combien d’années a-t-il fallu au PS pour accepter l’idée d’un Médiateur ? Et combien de palinodies pour éviter – au dernier moment – de voter des droits parlementaires nouveaux déjà suggérés par le socialiste Chandernagor à la fin des années 1970 – tout ça parce que c’était Nicolas Sarkozy qui les proposait ?

Je me souviens aussi de Jean-Pierre Cot, professeur à Paris 1 : nommé ministre de la Coopération en juin 1981 a-t-il tenu longtemps pour avoir dénoncé la Françafrique ? Remplacé par l’affairiste socialiste Christian Nucci, pris la main dans le sac du Carrefour du développement… puis amnistié par ses copains de parti. Combien de dizaines d’années au PS pour avouer que Jean-Pierre Cot avait raison, après l’avoir viré du ministère deux mois après sa nomination ? Trois dizaines d’années ? Une génération ?

Albert Camus Manifeste conformiste

Camus l’avait bien vu, une liberté donnée par un adversaire ne saurait être une liberté pour les doctrinaires. Lorsque Tony Blair a créé une Troisième voie, ce n’était qu’ironie chez les tenants du Dogme intangible de l’État-patron. Même chose il y a peu avec Thomas Picketty et sa proposition de retraites à points à la scandinave : silence à peine poli au PS !

Parce que le Parti socialiste, malgré ses dénégations outrées, n’a toujours pas effectué son Bad Godesberg comme le parti social-démocrate allemand en 1958. Tout un courant (Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Benoit Hamon, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon pour faire court) reste arc bouté aux vieilles lunes lues dans Marx avec les lunettes de Lénine, alors que le monde a changé et – qu’en bonne dialectique scientifique – toute modification de l’infrastructure devrait retentir sur la superstructure. Mais non, le Dogme est le fonds de commerce de certains ego. Ils ont besoin d’une religion laïque pour faire de la politique, sans égard ni pour la réalité des choses ni pour les désirs des gens. Ils imaginent une société idéale fixe et veulent faire coller le présent à cet abstraction – toujours repoussée dans l’avenir. Ce pourquoi le peuple divorce de ces « élites ». Et que ces mêmes élites (ou qui se croient telles) se cherchent un nouveau peuple à leur mesure chez les immigrés, les gays & lesbiens, les minorités.

Le monde est tragique, pas téléologique ; tissé de bien et de mal, pas formatable selon l’idéal en chambre. Camus : « L’homme d’aujourd’hui qui crie sa révolte en sachant que cette révolte a des limites, qui exige la liberté et subit la nécessité, cet homme contradictoire, déchiré, désormais conscient de l’ambiguïté de l’homme et de son histoire, cet homme est l’homme tragique par excellence » (Sur l’avenir de la tragédie, 1955, p.1119).

Ceux qui réussissent en politique ont la conscience aiguë de la réalité tragique – où toute chose a son revers : de Gaulle, Mitterrand, Obama. Hollande l’a-t-il ?

Tout bien a pour contrepartie un mal, toute liberté une contrainte – il faut naviguer au mieux entre les deux. Lucides, ceux qui reconnaissent le tragique n’en ont pas moins pour moteur la volonté et pour guide les conséquences. Ils suivent l’éthique de responsabilité et non l’éthique de conviction. L’inverse du « responsable mais pas coupable » de l’angélique Machiavel des antichambres qui n’a pour méthode que le mensonge au nom du Bien pour garder son pouvoir.

Quand donc les lucides vont-il s’imposer au vieux cadavre du socialisme à la française ?

Albert Camus, Œuvres complètes tome 3, Pléiade Gallimard, édition 2008 par Raymond Gay-Crosier.

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Radicalisation de crise

L’Amérique reste qu’on le veuille ou non le phare du monde et ce qui lui arrive nous arrivera probablement aussi, avec une décennie de décalage. Ce pourquoi les réflexions suscitées par les dernières élections présidentielles aux États-Unis, rassemblées dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat (n°173, éditions Gallimard, €18.50) font penser à la France. Nos élections présidentielles de l’an dernier ont marqué une pente dont la campagne anti-Obama fut la caricature. Ce qui s’est produit là-bas risque de se produire ici, en 2017. Qu’est-ce à dire ?

Les États-Unis se sont montrés de plus en plus opposés à l’État et de moins en moins unis.

Les divisions raciales, culturelles, d’origines et de résidence géographique sont devenues criantes. En France, nous avons encore connu en 2012 le choc idéologique entre droite et gauche ; aux États-Unis, le choc est désormais entre communautés : Noirs contre Blancs, petites villes contre mégapoles (Washington, New York, Chicago, San Francisco), états du centre contre états des côtes, cols bleus contre cols blancs, industriels et commerçants contre intellos universitaires…

Cela nous menace-t-il ?

Sans aucun doute. Catholiques et Juifs se retrouvent contre un islam médiatique (différent de l’islam pratiqué) qui valorise l’image de l’intolérant, du macho et du terroriste. Il faut dire que les musulmans « normaux » restent frileux face aux surenchères salafistes et autres « Frères »; on ne les entend guère dans les médias… Les laïques sont partagés, anticléricaux mais « respectueux » (jusqu’à la lâcheté trop souvent) des cultures du monde, dont les opprimés et leur religion font partie. Les habitants des campagnes et des petites villes françaises ne se reconnaissent plus dans les grandes villes telles Paris, Lyon, Marseille, Toulouse. Ces mégapoles cosmopolites ne sont plus « la France » (voir la série Plus belle la vie dont les acteurs n’ont même pas l’accent de Marseille) ; leurs élites ne représentent plus la nation mais le nomadisme mondialisé ; leur culture, subventionnée d’État, ne dit plus rien aux éducations classiques. Pire : les partis de gouvernement sont mis dans le même sac de « l’UMPS » tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. Tous sont accusés d’être dans le vent, ploutocrates (que les intellos-économistes méprisants appellent « ultralibéraux »), dévoués au marché (« grand méchant ») et – pourquoi pas ? – aux maîtres du monde qui comploteraient (rumeur) la fin des peuples.

on est autiste

Le vieux fond humaniste résiste encore en France aux séductions de la manipulation ethnique et des théories du Complot, mais pour combien de temps ? Aux États-Unis, le parti Républicain devient récalcitrant, dédaigneux de tout compromis. Il s’agit presque d’une guerre de religion entre Républicains et Libéraux, les premiers étant à la fois conservateurs (moins d’impôts et moins d’État) et libertariens (moi-je, pionnier tout seul contre le monde pour refonder ici-bas la cité céleste) ; les « libéraux », là-bas, sont gens de gauche, en souvenir des Lumières – ce qu’ont bien oublié les archéo-marxistes français passés sous Staline et dont l’esprit ne s’est jamais remis. En France, la propension au refus de tout compromis est moins marquée mais contradictoire, la droite conservatrice (moins d’impôts mais plus d’État), la gauche plus individualiste que libertarienne (moi-je, narcissique – mais qui exige les autres pour faire son théâtre médiatique ou frimer sur les réseaux sociaux). Les Libéraux américains (parti Démocrate) sont keynésiens et partisans du New Deal, en France l’UMP et le PS aussi… sauf à réduire les déficits. De cette confusion multiculturelle surgissent de nouvelles radicalités aux marges. La rue du ‘printemps’ de droite en témoigne.

Il s’agit de crispation des petits Blancs : WASP aux États-Unis et petits commerçants, artisans, fonctionnaires en France contre « les étrangers » qui viennent saisir les opportunités d’emplois et bénéficient des prestations sociales parce qu’ils sont juste en-dessous en termes de revenus. Plus encore : ce lumpen proletariat bénéficie de la bienveillance des intellectuels, des politiciens et des faiseurs de lois, puisqu’ils sont considérés (à cause d’une vague culpabilité impérialiste ou coloniale) comme « victimes », forcément victimes. L’administration crée des quotas pour favoriser les Noirs aux États-Unis, Obama compte régulariser 11 millions de sans-papiers latinos (4% de la population, l’équivalent de 2.5 millions d’illégaux en France). Susan Sontag, gauchiste féministe new-yorkaise, n’est-elle pas allée jusqu’à déclarer que « la race blanche est le cancer de l’humanité » ? La psychologie de la domination remplace l’analyse de la société, c’est sans doute plus confortable intellectuellement et donne l’éternelle bonne conscience d’être avec les opprimés, mais sans travailler en rien ni à la production, ni à la redistribution sociale, ni à l’éducation des gens. Il y a trahison, aux États-Unis comme en France : le peuple (autochtone) pense que les élites (censées les représenter) les trahissent en favorisant les allogènes (qui ne veulent pas s’assimiler ou n’ont aucune incitation à le faire). Quel intérêt d’être conforme, s’il est plus avantageux de rester victime ?

Les élites de gauche préfèrent semble-t-il, aux États-Unis comme en France, les minorités biologiques aux classes sociales, l’état de nature à la construction historique et politique de la société. Limousine Liberals et bourgeois-bohêmes n’ont que faire du peuple, qu’ils méprisent. La dernière mode en politique est d’oublier ouvriers et employés (Blancs) pour favoriser toutes les minorités ethniques ou de « genre » (qui voteront « bien »). Une fois au pouvoir, la loi remplace l’éducation. Les gais-lesbiens-bi-trans sont plus chouchoutés pour convoler, adopter et procréer que les hétéros qui maltraitent leurs enfants et ne savent pas les élever. Je l’ai écrit, je ne suis pas contre le gai mariage, mais je constate le sentiment naissant qu’il vaut mieux « être » que se créer, « naître » que s’éduquer. Mieux vaut être Noir homosexuel illettré sans papier que Blanc hétéro cultivé intégré… Ce serait ça la gauche ?

De plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent plus ou moins confusément : à quoi cela sert-il donc de bien travailler à l’école, de vouloir faire carrière, de payer des impôts ? Dans la France de Hollande plus particulièrement, où « les riches » sont désignés comme boucs émissaires de tout ce qui ne vas pas (au-dessus de 3000 € par mois – soit le salaire moyen d’un fonctionnaire en fin de carrière – selon la fiscalité présidentielle), où les « entrepreneurs » sont méprisés a priori et considérés comme vaches à lait fiscales, où une caste restreinte aidée de communicants et d’avocats (Brafman, Veil, Fouks, Hommel) se protège de la loi commune, où « la recherche » est vue comme l’avenir en paroles mais dernière roue du carrosse en réalité (les étudiants brillants partent à l’étranger, comme les innovateurs en Californie : « trop de lourdeur, trop de casse-têtes administratifs et juridiques ») – où 38% des Français déclarent dans un sondage récent qu’ils quitteraient la France s’ils pouvaient… Quel merveilleux projet politico-social ont nos gouvernements depuis le début du nouveau siècle pour que plus d’un tiers des adultes actifs veuillent fuir !

fesses et bobos

Quoi d’étonnant à ce que le populisme monte ?

Tea Parties aux États-Unis et extrémistes en France se radicalisent contre les élites qui les ignorent et font une politique qui va contre leurs valeurs et leurs intérêts. La volatilité des électorats, déboussolés par le changement non accompagné, par la promotion de minorités sans autre explication que « l’égalité » par principe (seraient-ils « plus égaux » que les autres ?), va s’accentuer – aux États-Unis comme en France. Pire : le grand inquisiteur fiscal est pris la main jusqu’au coude dans le pot à confiture des paradis fiscaux; le grand argentier présidentiel a des intérêts aux îles Caymans ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : voilà le discours politique de la gauche « morale ». Après le stupre, le lucre, les Strauss-Kahn et Cahuzac (sans parler des seconds couteaux Guérini, Lamblin, Andrieux, Teulade, Kucheida… et autres hollandais volant) font du président « normal » une image qui pousse au cynisme. Après la fracture sociale, la fracture morale ? Après le « président des riches » des affaires et de l’industrie, le « président des nouveaux riches »  de la fonction publique et du carnet d’adresses ?

Ce qui veut dire que tout dirigeant élu, Obama comme Hollande, n’a plus de « mandat » des électeurs, seulement des « opportunités » de circonstance. D’où l’espèce de fuite en avant de François Hollande sur les questions libertaires (mariage gai, récidive, vote des étrangers, voler au secours du « pauvre » Mali, « moralisation » des moeurs des copains) pour masquer les vraies questions – qui sont de classe et de mondialisation : chômage, déficit public, fiscalité, encouragement à l’entreprise, politique européenne, émergence de la Chine.

Nous ne sommes pas encore au point atteint par les Américains, mais nous y venons.

Sarkozy caresse l’idée d’un retour radical en politique ; Mélenchon fourbit sa faconde, coupeuse de têtes ; Le Pen père, fille et nièce poussent leurs pions. Obama n’a gagné que parce qu’il a su mobiliser à la base, dans les comtés, en exploitant les données personnelles innombrables, glanées sur les réseaux sociaux et auprès des donateurs particuliers. Hollande en reste aux meetings de sous-préfecture et aux appareils obsolètes.

En France la droite ou la gauche extrêmes sont encore loin de mobiliser vraiment la base et les réseaux sociaux. Pour le moment… mais  d’ici 2017 ? Le radicalisme, c’est dans 4 ans.

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Social-individualisme

Article repris par Medium4You.

Terminé le national-socialisme, vive le social-individualisme ! Tel semble le message de notre époque, qui a remplacé les élans collectifs (pour le meilleur comme pour le pire – voir l’Iran) par des élans narcissiques, centrés sur l’individu. Le mouvement démocratique libère la personne des appartenances biologiques, claniques, sociales et même physiques. L’hérédité ne fait plus l’identité. Celle-ci devient multiple, construite tout au long de la vie, bariolée. Mais cela ne va pas sans risques.

Le premier risque est celui de la peur. La liberté fait peur car nombreux sont ceux qui ne savent qu’en faire, effrayés de devoir décider par eux-mêmes après avoir réfléchi. D’où cette régression réactionnaire vers un âge d’or, un Dieu qui commande, une religion qui prescrit en détail comment se comporter, un parti qui décide de la morale, des syndicats qui défendent obstinément les zacquis, un chef qui montre le chemin… Merah se croyait missionné d’Allah pour tuer de sang froid de jeunes enfants élevés dans une autre religion (sans même qu’on leur ait laissé le choix).

Le second risque, inverse, est celui de la démesure : tout est permis. La liberté devient la licence, l’émancipation le droit de faire ce qu’on veut, au gré des désirs les plus fous. On se marie entre gais, on baise avec n’importe quel « cochon », on tue sans assumer les suites (dans la série Poubelle la vie), on refuse l’Europe-contrainte, on nie les simples lois de l’économie, on refuse toute entrave au désir du tout tout de suite. Ainsi, l’éthylotest en voiture devient-il une contrainte insupportable, incitant un gouvernement de gauche à agir comme Chirac, président de droite : « je promulgue la loi mais je demande qu’on ne l’applique pas ». Pourquoi rendre légalement « obligatoire » l’éthylotest si ne pas en avoir n’emporte aucune conséquence ? Autant supprimer l’obligation pour n’en faire qu’un conseil de la Prévention routière. Mais non : jamais un gouvernement jacobin n’acceptera de laisser le choix à la société civile, il lui faut toujours énoncer le Bien.

Peur de la liberté, démesure de la licence, ces deux pôles semblent les tentations de la politique. La droite veut conserver, voire revenir sur les excès de libertés ou de réglementation. La gauche veut aller toujours plus de l’avant, faisant du « progressisme » un objectif en soi, sans but, sans définir un progrès vers quoi. La droite veut immobiliser le changement trop rapide de la société, la gauche veut chevaucher le mouvement social. Rien n’a changé en apparence, nous serions dans le clivage classique.

Mais ce serait trop simple, car en économie, c’est l’inverse. En France, la droite est pour s’adapter au monde qui bouge, la gauche frileuse pour résister des quatre fers à tout ce qui change. La gauche d’immobilisme et la droite de mouvement, c’est nouveau… mais rappelle les années 30, où le « progressisme » sort du collectif à gauche pour s’incarner dans l’individualisme, tandis que la droite l’investit massivement !

Cela en théorie, car droite et gauche se rejoignent au gouvernement. Hollande fait concrètement du Sarkozy, il n’y a que le style qui soit différent. Le résultat des élections est tiède, déplaisant à tous ceux de droite comme à tous ceux de gauche. Restent les raisonnables, de moins en moins nombreux, les européens de conviction, les centristes et les sociaux-(qui voudraient bien être)-démocrates – mais sans syndicats puissants.

La tentation de la politique sera donc de refaire du clivage entre droite et gauche. Comment ?fefe Lucile Butel

Depuis des décennies, la droite ne dit rien de l’avenir. De Gaulle montrait le chemin de l’indépendance et de la grandeur nationale, jusqu’à Giscard avec les réformes de mœurs devenues indispensables pour adapter le pays aux mœurs (divorce, avortement, égalité dans le couple, majorité à 18 ans). Mais Chirac n’a rien foutu, roi fainéant conservateur, médiatique anesthésiant. Sarkozy changeait d’avis de mois en mois, reniant ce qu’il affirmait d’abord, refusant d’abolir ce qu’il aurait dû, par exemple ISF et 35 heures, surfant en avant des médias pour faire tout seul l’actualité. Ni le somnifère ni le prozac ne sont de bons moyens de gouverner : la droite n’aurait-elle rien à proposer de plus équilibré ? Ni Chirac, ni Sarkozy, où sera le nouveau projet de société ? Bruno Le Maire, François Fillon, NKM ? Comme nul ne voit rien venir, certains ont la nostalgie du retour de Sarkozy.

Depuis des années, la gauche est restée hors du gouvernement. Elle n’assume donc qu’avec réticences et couacs répétés les « ajustements » nécessaires des promesses au réalisable, de l’idéal « de gauche » au quotidien concret. Promettant l’emploi pour tous dans quelques mois, elle ne réussit que le chômage pour tous par ses insultes aux créateurs d’entreprise, par sa pression fiscale sur les sociétés et sur « les riches » (de la classe moyenne), par sa posture anti-finance (malgré une réforme bancaire avortée) et son théâtre anti-repreneurs s’ils sont étrangers (Mittal, Taylor…). Après avoir accusé la TVA d’être « de droite », voici que la gauche va l’augmenter, après avoir accusé Sarkozy de « brader » les acquis de retraite, voici que la gauche va les remettre en cause, après avoir vilipendé la semaine de 4 jours, voilà que les syndicats d’enseignants vilipendent l’abolition de la semaine de 4 jours, après avoir juré que « jamais » il ne signerait le pacte de stabilité européen, voilà que le gouvernement de gauche le signe selon la version Sarkozy et les désirs allemands. C’est que la réalité des choses rattrape les grands discours abstraits – dans le même temps que l’individualisme narcissique se fiche du collectif comme de son premier slip. Le « Moi, président de la République, je serai irréprochable » nomme ses copains plutôt que des compétents (Jack Lang, Olivier Schrameck, Ségolène Royal…). Les rodomontades du Montambour (merci Alain Ternier pour cet heureux surnom) sonnent creux devant les nécessités industrielles de Florange, Pétroplus, Goodyear et du journal la Provence. Toujours, c’est le « moi je » qui règne et pas le collectif, plus de salaire au détriment de l’intérêt des élèves, plus de copains confort qui ne feront pas de vagues, plus de célébrité auprès de syndicats et de la gauche radicale.

La gauche délaisse alors l’économie où elle ne peut rien – que surveiller et punir (ce qui aggrave la crise) pour faire diversion dans le libéralisme… sociétal. Il répond au narcissisme moi-je d’époque et devrait faire dévier la ligne raisonnable de François Hollande en radicalisme anarchiste à la Beppe Grillo. C’est la vraie tentation de la gauche que de reconstituer du clivage en ce sens. En manipulant le politiquement correct, mariage gai, mères porteuses, droit de vote aux étrangers, toutes les revendications minoritaires deviennent des « droits » pour répondre au prurit d’égalité sans limites. Même les casseurs et autres agresseurs condamnés par la justice deviennent légitimes… s’ils sont syndicalistes ! Le gouvernement de gauche leur reconnaît une égalité supérieure aux citoyens ordinaires : ils peuvent impunément tabasser, casser, séquestrer, sans être condamnés pour autant. Il s’agit de « luttes sociales », donc permises. Un conseil aux maris jaloux ou autres vengeurs : prenez votre carte de la CGT, entraînez votre ennemi dans une manif et foutez lui sur la gueule : vous resterez impunis.

Mais les ouvriers déclinent, mondialisation et productivité obligent. Ceux qui restent délaissent la gauche, surtout le parti socialiste, au profit des fronts, d’ailleurs plus le national que le « de gauche ». Le socialisme perd alors son prétexte social pour changer de clients. Vive l’immigré et le bobo urbain ! Donnons le droit de vote aux étrangers, abolissons les genres, permettons toutes les provocations individualistes-narcissiques. Là est l’avenir puisque là serait « le progrès », induit par le mouvement social qui va sans but.

couple erotique

Le pire vient probablement d’avoir lieu avec le roman Iacub où culture s’abrège en cul tout court. Nous avons là le meilleur exemple de l’amoralité bobo de gauche : l’individualisme absolu, le narcissisme du désir exacerbé, l’aboutissement du libertaire revendiqué depuis Fourier en passant par mai 68. Entre adultes consentants, tout est permis s’il n’y a ni torture ni meurtre ; le désir violent d’être violée peut même se concevoir dans une démarche de jouissance jusqu’au bout (et très vit). On peut même rire de cette lutte pour la domination entre bourgeois cosmopolites mâle et femelle. Mais où serait l’information si le naming répété dans les médias ne constituait les ragots croustillants ? Où serait la « littérature » s’il ne s’agissait de la marque déposée DSK, « ex-Directeur du FMI, ex-candidat à la présidence de la République, ex-figure de la gauche socialiste » ? Le niveau s’abaisse au caniveau. Nul ne peut croire qu’on cherche la « sainteté » en devenant pute à « cochon ». A moins qu’il ne s’agisse de victimiser le prédateur pour renverser l’opinion ? Les victimes apitoient toujours… alors qu’un procès en prostitution a bientôt lieu à Lille.

Voilà de quoi renforcer à la fois le Front national et les islamistes ou cathos intégristes. Voilà de quoi séparer un peu plus le peuple et les élites, la classe moyenne familiale laborieuse et l’hyper-classe supérieure individualiste et riche. Comme à Athènes au IVème siècle : comme quoi le « progrès du mouvement social » est une idéologie qui n’a aucune consistance historique…

D’où mon pronostic (pas mon souhait) :

  • Les classes moyenne et populaire vont volontiers voter de plus en plus à droite (comme chez les Républicains américains) – tant mieux si la droite sait récupérer le raisonnable, l’Etat protecteur sans entraver l’initiative, le moindre gaspillage des deniers publics. Sinon ce sera le Front national qui va grossir.
  • La classe des élites mondialisée et des petits intellos « révolutionnaires » va voter de plus en plus à gauche, surfant sur l’individualisme narcissique – en cherchant à racoler les antisystème, immigrés, étrangers, gais-bi-trans-lesbiens, artistes, écolos, fonctionnaires et autres clients captifs de l’État-prébendes. Tant mieux si le hollandisme ne déçoit pas trop. Sinon les troupes pourraient bien conforter le PDG de Mélenchon, qui se verrait volontiers en Saint-Just appelant aux armes contre les riches et aux frontières contre Bruxelles.

La France pourrait connaître une évolution à l’américaine, avec une droite de plus en plus à droite mais refuge du collectif national, et une gauche de plus en plus anarchiste-bobo, exaspérée de tout est permis. Ce qui promet de prochaines élections intéressantes…

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François Hollande n’est pas social-démocrate

François Hollande se voudrait « social-démocrate » – mais il ne le peut pas. Parce que la recherche d’un consensus politique entre l’État, le patronat et les salariés nécessite ces relais dans la société que sont les corps intermédiaires, éradiqués en France par la philosophie de la Volonté générale et l’unanimisme historique créé par l’État rationaliste. Les syndicats aujourd’hui sont très peu représentatifs, donc très radicaux ; quand ils sont plus modérés, ils ne représentent quasiment que la fonction publique. Pas de social-démocratie sans relais dans la société.

Une comparaison avec le voisin immédiat anglais, qui a cofondé avec nous le parlementarisme, est éclairante. La sortie de la féodalité a été différente, ce qui a conduit à un État diffèrent. La féodalité est un mode d’organisation politique et social qui fait de la Force le Droit. Les relations sont hiérarchiques et entraînent le ralliement de clans au féal. Très efficace en période de guerre civile de tous contre tous, ce regroupement de bandes armées ne permettent pas l’établissement de relations « modernes » de confiance, de règles et d’échanges qui, seules, permettent l’essor de la science, du commerce et des régimes représentatifs. En Angleterre, la sortie de la féodalité s’est faite progressivement et en douceur depuis 1215. A cette date, le Roi se voit obligé de signer la Grande Charte qui limite son absolutisme et crée l’embryon d’un gouvernement représentatif. A l’inverse, la France attend le 17ème siècle pour mettre au pas les Grands, au prix d’un absolutisme royal devenu par étape absolu (Henri IV, Louis XIII avec Richelieu et, apogée, Louis XIV). La Révolution n’a fait que prendre la place du roi, en détruisant tout et sans rétablir la société civile (les syndicats n’ont été autorisés qu’en 1884 et les associations qu’en 1901).

L’État anglais est devenu le sommet régulateur d’une hiérarchie de corps intermédiaires sur lesquels il peut s’appuyer pour gouverner. L’État français s’est trouvé le seul créateur du lien social dans une société radicale qui avait tout aboli. L’Exécutif (avec son Administration, rouage destiné seulement à « fonctionner ») est considéré comme le petit bras du Législatif, seul légitime, exécuteur de la « volonté générale » exprimée dans la rue et par le suffrage. Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.

La différence ? En France la monarchie absolue se veut rationaliste, la liberté ne résulte que de la conformité au modèle « naturel » de l’État fondé en Raison ; en Angleterre, les contrepouvoirs à l’État central sont construits par la représentation et la négociation. En France, le droit est d’évidence, figé par les élites partisanes interprètes du Vrai et du Bien ; en Angleterre, il est élaboré par la coutume, débattu, sans cesse remis sur l’ouvrage.

Dieu Johann Sfar Le chat du rabbin

François Hollande pourrait se vouloir « social-libéral » – mais il ne le peut pas. Antiautoritaire et cherchant à impliquer les citoyens dans les décisions, cherchant comme Camus à concilier liberté et égalité au travers des régulations et par l’éducation des individus, le social-libéral est sensible aux gens et en faveur des libertés. Impossible pour Hollande : il a été élu avec les voix « de gauche » qui font du « libéralisme » le bouc émissaire commode de tout ce qui ne va pas selon leurs vœux, à commencer par la jalousie envers ceux qui réussissent, la méfiance envers toute régulation qui ne passe pas par l’État, et le ressentiment envers la mondialisation qui menace le « modèle ».

L’individualisme moderne est né de la philosophie grecque, du droit romain et de la transcendance chrétienne. Il a été poussé par l’essor des échanges, assuré par une nouvelle classe de commerçants et artisans regroupés en villes. Il s’est trouvé favorisé pour raisons politiques antiféodales par le pouvoir central avec l’octroi de franchises et « libertés ». Ce mouvement a eu lieu dès le 17ème siècle au Royaume-Uni où l’accès aux métiers artisanaux et aux industries s’est très vite ouvert, les corporations ne survivant que peu à la dissolution de la féodalité. Rien de tel en France, où il a fallu attendre 1789 et sa fameuse Nuit du 4 août pour que les privilèges soient abolis d’un trait, et 1791 pour que les corporations se voient interdites. Auparavant, la société française est restée figée en société d’ordres, tropisme qui court toujours dans les profondeurs sociales et qui renaît à chaque occasion, faute d’alternative.

Or, malgré le discours ambiant, les individus sont désormais plus libéraux. Ils sont « laïques » par rapport aux églises mais aussi par rapport à l’État représenté par le prof, l’adjudant, le policier, le psy et le technocrate. 1968 a opéré cette rupture, aussi brutale que le fut 1789 (d’où l’ampleur des « événements » en France, comparée aux autres pays). La révolte de Notre-Dame des Landes est équivalente au Larzac des années 70, elle représente le surgissement emblématique de la société civile dans les rouages conventionnels des élus, fonctionnaires et autres spécialistes. Le gouvernement Ayrault n’est pas prêt à l’accepter.

Livres anciens

Qu’est donc François Hollande ? Un homme qui fait ce qu’il croit pouvoir, non sans regarder à droite et à gauche, à petits pas, avec beaucoup de précautions. Il ne peut être au fond que « social-étatiste », tradition bien française qui veut que l’État incarne l’intérêt général à lui tout seul, forcément omniscient, forcément fondé en Raison, naturellement bon et bienveillant. Le substitut de Dieu sur la terre pour les laïcs progressistes. Comment, dès lors, penser l’intérêt général comme il est « normal » ailleurs ? En Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie ou même en Italie, l’intérêt général est  un  compromis entre les intérêts particuliers de la société. Pas en France.

L’État français est politique, l’État anglais ou allemand sont juridiques, voilà l’écart essentiel. La Raison universelle est unanime car « évidente », « naturelle ». Elle n’a pas à être délibérée ni argumentée : il n’y a pas deux solutions à un problème de géométrie. Dès lors, pourquoi protéger les libertés et bâtir des contrepouvoirs ? La Révolution française a réalisé l’établissement du droit et le suffrage universel dans une société encore immature. Le despotisme éclairé de l’État rationnel s’est donc institué très vite, dès Bonaparte, contre l’anarchie des incapables.

Technocrates issus de l’ENA et apparatchiks secrétés par les partis se veulent désormais « instituteurs du social » (Pierre Rosanvallon) : ils approprient les biens rares (les télécoms dès le télégraphe Chappe de 1794 jusqu’aux nationalisations de 1982 et la loi Hadopi) ; ils ont l’obsession scolaire de former des citoyens formatés à la vie collective (éducation nationale) et pas des individus aptes à juger par eux-mêmes (instruction publique) ; ils « instaurent l’imaginaire » avec établissements culturels, achats d’œuvres d’art contemporain sur comités de fonctionnaires et fêtes d’État ; ils pratiquent l’hygiénisme au 19ème, le Plan dans les années 1950, l’urbanisme dans les années 1960, le « travail social » dans les années 1970, enfin la morale socialiste anti-riches, anti-putes et pro-minorités bobo de 2012…

La Raison dans l’État tolère mal la représentation. Le Parlement est peu considéré, les syndicats peu représentatifs, les associations tardivement reconnues. L’État unanimiste de la « volonté générale » veut un citoyen toujours mobilisé (d’où le long attrait pour l’URSS puis pour Cuba, puis pour Mao et Pol Pot), farouchement jaloux d’égalité, collectiviste par mépris des « intérêts » considérés comme égoïstes des individus et des entreprises. Pour Rousseau, il s’agit carrément de « changer la nature humaine » (Du contrat social). Créer un Homme nouveau, disait Lénine…

« Le bonapartisme [étant] la quintessence de la culture politique française », selon le mot de Pierre Rosanvallon, François Hollande voudrait bien sortir du culte de l’État rationnel propre à son parti, mais il ne le peut guère. La dernière négociation avec les partenaires sociaux était plutôt réussie – mais pas sans la menace d’une loi-balai étatique en cas d’échec (et la résistance de la gauche du PS au Parlement). Pour le reste, l’aéroport Notre-Dame des Landes, le nucléaire, le mariage gay, la procréation assistée pour tous, Hollande reste loin de ce renouveau démocratique qu’appelle par exemple Rosanvallon (qui a beaucoup étudié le sujet) dans ses ouvrages. Le credo du PS demeure d’imposer une loi sur tous sujets sans laisser aller au bout débat ou négociation entre partenaires sociaux ou groupes de la société civile – tout en poursuivant la mise en scène de l’unité du peuple (contre les boucs émissaires commodes que sont « les riches », les cathos, les patrons, les écolos, les exilés fiscaux et ainsi de suite).

Quand on ne peut rien pour l’économie, on agite les symboles. Cliver pour communiquer, n’était-ce pas ce que « la gauche » avait reproché à Sarkozy ?

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Françoise Chandernagor, L’enfant des Lumières

Françoise Chandernagor, juriste et grand serviteur de l’État, écrit ici son anti-‘Émile’. Rousseau l’abstrait, qui a pontifié un traité d’éducation alors qu’il n’a jamais élevé le moindre enfant (mais a mis tous les siens aux Enfants-trouvés) n’est pas un bon guide. Mais c’est toute une société – la nôtre – qui est passée au crible de la critique. L’auteur nous entraîne en effet dans l’histoire de la Révolution, la philosophie des Lumières, la corruption sociale des élites, l’éducation des enfants. Tout ce qui fait sens à la société française d’aujourd’hui. Écrit en 2006, c’est bien la France de Chirac qui est en ligne de mire.

Deux décennies avant 1789, la France royale se trouve dans les mains d’un roi fainéant et de financiers qui ont l’art de détourner l’argent public dans des poches privées. Le ministère de Monsieur Necker est édifiant : « pas de réformes (…), pas d’impôts, pas d’efforts, pas de vagues, pas de larmes – de l’emprunt ! » p.383. La démagogie bat son plein pour conforter la rente au détriment de l’entreprendre. La fameuse Compagnie des Indes n’égalera jamais son équivalent anglais car la France met à sa tête des politiciens et non des capitaines d’industrie. Tout ce qui compte est de paraître et de renforcer son statut en s’enrichissant sur le dos des actionnaires – de par le bon vouloir du Roi. On croirait lire l’histoire d’EADS sous Chirac et Villepin, avec l’ineffable Monsieur Gergorin.

En cause la philosophie des Lumières qui préfère les grands mots aux vraies actions. Tout n’est que Morale, Vertu, Progrès, tout n’est que majuscules. Dans la réalité, les coiffures d’un mètre de haut avec vase incorporé et les faux-culs de plus en plus amples des robes à la mode, masquent la décadence des mœurs. Tout le monde couche avec tout le monde, au su de tout le monde. Et ça jacasse dans les salons. L’économie va comme elle peut, le paysan n’ayant qu’une idée : frauder le seigneur sur les grains et faire contrebande du sel entre baillages à fiscalité différente. Le chacun pour soi monte, monte… « Où, dans ce siècle, voyez-vous le progrès ? Déclin de l’honneur privé, dédain des vertus publiques, exténuation de la langue, affadissement de la sensibilité… Sans parler du triomphe de l’agiotage ! » p.567.

Ceux qui sont trop naïfs pour croire que l’honneur et la fidélité conduisent les affaires sont ruinés. C’est le cas du mari de la comtesse de Breyves, acculé à la faillite personnelle et qui se pend de désespoir. Ce monde de requins n’est décidément pas fait pour lui. « Étrange société que celle où la censure s’oppose aux pièces de Beaumarchais, mais où la Reine elle-même joue devant la cour l’auteur censuré ! Sous prétexte de grâce, de subtilité, le siècle s’écartèle, se dédouble, s’oublie jusqu’à la folie. Insensée, l’élite (…) prétend être (…) conservatrice avec les conservateurs, et frondeuse avec les frondeurs » p.394. Les aristos d’hier ressemblent tant aux bobos d’aujourd’hui !

La comtesse, née bourgeoise enrichie dans le commerce triangulaire et le sucre des colonies, ne fait ni une ni deux : elle s’exile à la campagne dans le seul bien propre qui lui reste, la Commanderie. Ce vaste manoir est situé aux lisières de l’Auvergne, dans la Marche, et est propice à la culture. Elle s’y établit avec Alexis, son unique fils de sept ans, déjà déluré et habile au commerce. N’a-t-il pas appris le bonneteau auprès des malandrins du Pont-Neuf, y compris l’art de perdre au début pour gagner gros ensuite ?

Mais la Cour et ses médisances, la philosophie qui trotte après Voltaire, l’indigence des élites obsédées de sexe et de fêtes, les Parisiens exacerbés de sensiblerie et capables d’une cruauté sans égale quand elle est collective, ne sont décidément pas un milieu propice à l’éducation d’un enfant. ‘Émile’ est une fumisterie, on n’élève pas les garçons comme Marie-Antoinette ses moutons à rubans roses dans la bergerie de Versailles. La réalité est toute autre : il faut chasser, cultiver, plaider, compter, savoir châtier pour se faire obéir, et établir de saines relations pour se faire aimer. Les parents élèvent toujours leurs enfants pour le monde d’hier, rarement pour celui qui vient…

Madame de Breyves décide de confronter son garçon aux réalités du monde. Il n’est pas chevaleresque comme son père (mais à quoi cela lui a-t-il servi ?), mais plutôt affairiste comme son grand-père. Inutile de tenter de corriger cette tendance, l’éducation n’agit pas contre la nature. Mais il est utile de lui forger un corps robuste, un cœur endurci et un esprit avisé pour qu’il sache s’adapter au nouveau monde qui naît. « Elle lui enseignerait la prudence et l’art des apparences » p.277. Rousseau « le bon apôtre » (p.165) est décidément un mauvais maître – peut-être est-ce pour cela qu’il plaît tant dans les salons ? « Entre Émile et Alexis, il n’y avait d’opposés que le tempérament et le projet… » p.361. Rien de moins. Le garçon est « gai, drôle, gourmand de la vie, gourmand des êtres. Tendre et affectueux par-dessus le marché ! En outre capable de secret, et dépourvu de préjugés… (…) sachez, si vous ne l’avez remarqué, qu’Alexis est insolent, chapardeur, tricheur, cupide et indiscret (…) Alexis est confiant ! Oui, oui, optimiste, indulgent. Deux péchés inexpiables ! » p.332.

Le garçon grandira, excellera, non sans désespérer sa mère parfois lorsqu’elle doit renvoyer Léveillé, valet adolescent qui fait jouir l’enfant à 10 ans en l’embrassant sur le ventre, très bas, ou lorsqu’il se fait renvoyer du collège religieux à 16 ans pour avoir lu Zadig (« de » Voltaire). Mais il l’aime plus que tout et c’est un arrachement de le faire devenir lui-même. Il faut parfois à la comtesse jouer la mère chatte qui crache et griffe ses petits devenus trop grands pour qu’ils se détachent d’elle et s’épanouissent. Pas simple d’élever seule un enfant, surtout un garçon sans modèle paternel.

Ce roman foisonnant est fort réussi, réussissant l’exploit de nous faire aimer l’histoire et la philosophie, la sociologie et l’éducation tout à la fois. Brassant les siècles parce que notre quotidien est né fin XVIIIème – et qu’il est peut-être, comme vers 1780, en train de disparaître dans la futilité, le mépris, le chacun pour soi – et l’agiotage. Un roman philosophe, qui l’eût cru en ce début du deuxième millénaire ?

Françoise Chandernagor, L’enfant des Lumières, 2006, Folio, 691 pages, €8.17

Un autre roman de Françoise Chandernagor chroniqué sur ce blog

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Quelle Europe pour demain ?

Un intéressant article de Franck Lirzin et Philippe Condé, géopoliticiens économistes, est paru en mars sur le site Diploweb. Pour les auteurs, « face à la crise de l’euro, il existe deux grandes grilles de lecture. La première en tire argument pour prôner l’éclatement de la zone euro. La deuxième considère qu’il faut pour la dépasser mettre en œuvre de manière démocratique une Europe plus fédérale afin d’engager une convergence économique et sociale tournée vers la croissance. »

Mais comment faire lorsque les trois principaux pays européens ont des cultures contraires et que leur action politique est guidée par des visions différentes ?

  • Pour les Allemands, l’enjeu est moral : il s’agit de responsabilité des États (et des peuples) sur les conséquences de leurs actes. Chaque pays doit se soumettre aux règles de la collectivité (efforts, rigueur, transparence) pour garantir l’unité et la confiance.
  • Pour les Anglais, l’enjeu est pragmatique : il s’agit d’encourager la mobilité des travailleurs et la redistribution des taxes pour fluidifier l’économie de la zone. Ce qui signifie recul de la souveraineté des États par intégration budgétaire.
  • Pour les Français, l’enjeu est politique : il s’agit d’installer une coordination des politiques budgétaires qui n’existe pas, une centralisation des pouvoirs économiques au niveau communautaire via un ministre des Finances euro et l’achat d’obligations des États par la Banque centrale européenne.

Comment agir dans ce grand écart ? Par alliances. Pour le moment, « la solution retenue est d’inspiration allemande : instauration de règles de vie en commun, pénalisation des pays ‘délinquants’, responsabilisation des gouvernements. L’approche française n’aura survécu que dans l’idée de coordination des politiques budgétaires. Quant aux Britanniques, ils ont quitté la partie. » La raison en est que les Anglais sont très mal en point et doivent se sauver tout seul avant de revenir négocier ; que les Allemands sont en bonne santé et qu’ils affichent légitimement leur vertu, tout en reconnaissant qu’ils ne seraient pas si heureux sans l’Europe ; les Français restent velléitaires et ‘arrogants’ – comme d’habitude – incapables de mettre de l’ordre dans leur État obèse et inefficace, mais plein d’idées pour avancer en commun dont ils ne conçoivent pas qu’elles ne soient pas la ‘raison’.

Morale, pragmatisme, politique… Nous serions tentés d’observer que le dernier terme l’emporte : il s’agit de savoir quel est le projet d’Europe que nous voulons.

  • Le projet anglais reste le splendide isolement îlien, avec un grand marché de libre-échange à sa porte – et le parapluie militaire américain pour le solde.
  • Le projet allemand reste l’hédonisme d’une population repue et vieillissante qui préfère s’occuper de ses petites affaires que d’exister dans le monde (ils ont déjà donné…).
  • Le projet français reste au pire celui de Charlemagne et de Napoléon, au mieux la mission civilisatrice des Lumières (prolongée un temps par le marxisme), notre fameux « modèle français » trop centralisateur et autoritaire pour qu’aucun de ses partenaires n’en veuille… vu son échec.

Reste que la France, si elle laisse de côté son jacobinisme botté (à droite) sûr de lui-même et dominateur (à gauche), peut tenir une voie juste qui n’est pas une voie moyenne. Dire aux Allemands que notre destin est commun et que les économies se complètent (85% des exportations allemandes se font en UE) ; dire aux Anglais que l’intégration est nécessaire mais pas sur tout les détails, en fonction de la subsidiarité, et qu’il faut avancer les débats démocratiques.

La voie historique sur l’exemple du Zollverein (1828), un temps favorite de la France, n’est pas d’actualité : personne n’en veut. Il s’agissait moins de créer la prospérité allemande que de forger une entité politique panallemande pour accéder au rang de première puissance industrielle. La voie Hollande, qui consiste à prôner des « cercles » concentriques entre pays unis, pays de droit commun et pays de libre-échange n’est pas incompatible avec cette vision. Mais elle nécessite de s’entendre a minima avec les Allemands… ce qui est mal parti lorsque seul le SPD y est favorable.

Les auteurs prônent une autre voie, assez séduisante. « Demander à des pays de suivre des règles de vie communes n’a de sens que si l’on esquisse également une solidarité par laquelle les pays s’entraident pour parvenir à des niveaux technologiques équivalents, pour nouer des partenariats commerciaux et pour faciliter la mobilité des citoyens européens. Le pacte de discipline budgétaire ne fonctionnera qu’adossé à une volonté de faire de la zone euro un espace politique, sous la forme d’une fédération. »

Ce qui signifie volonté des élites et offre de démocratie plus réelle au peuple. Les auteurs ne vont pas plus loin, moi si. Ce serait par exemple élire des députés européens hors nations, sur la base de partis européens. Ils seraient réunis dans un Parlement élu le même jour dans tous les pays de l’Union, dans les mêmes conditions. Ce Parlement aurait alors un pouvoir de lever ses propres impôts pour établir un budget global, orienté vers les investissements directs dans la zone. Cela ne supprimerait pas les États, ni les régions, mais donnerait une tête et un bras à ce concept flou d’Union européenne. Il faudrait évidemment que l’élargissement sans fin s’arrête, et qu’on dise une bonne fois que cette politique supranationale est désormais « entre nous ». Car comment faire accepter l’impôt, si on ne sait pas où il va ?

http://www.diploweb.com/Vers-une-Federation-europeenne.html Mars 2012-Condé-Lirzin/Diploweb.com

Patrick Artus, La relation Allemagne/reste de la zone euro semblable à la relation Chine/Etats-Unis, mars 2012

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Mohammed, notre Breivic national

« Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine. Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme. »

Ainsi écrivis-je en juillet 2011 sur « le monstre » de Norvège. Il me suffit de répéter ce texte pour l’appliquer tel quel à Mohammed Merah. Islamisme et anarchisme hyperindividualiste se confondent lorsqu’il s’agit de passer à l’acte pour éradiquer « tous les aliens ». Et les bonobos de gauche (bourgeois NouvelObs bohêmes) qui accusaient déjà l’extrême-droite s’en mordent les doigts. C’est que le politiquement correct pavlovien n’explique rien, il dissimule. On ne veut pas voir…

Oui, l’islam, comme toutes les religions (y compris la communiste), suscite son propre intégrisme.

Mais il ne faut pas confondre l’islam avec l’islamisme, ni la politique d’Israël à Gaza avec le judaïsme, ni le christianisme avec l’Inquisition, ni la philosophie de Marx avec la Tcheka créée par Trotski, les camps par Lénine et les massacres de masse par Staline, Mao et Pol Pot. Mohammed a assassiné une fillette de sept ans en l’attrapant par les cheveux avant de lui loger une balle dans la tête. Le prophète Mohammed ? Non pas, mais d’un croyant qui porte ce beau nom pour en salir la mémoire. On peut très bien analyser, juger et condamner les massacreurs sans manquer de « respect » à une religion, quelle qu’elle soit. Et la gauche à la mode ne se trouve pas grandie des commentaires vains qu’elle a sur ces événements.

  • Sarkozy a été dans son rôle de président, il a réendossé la fonction, ce qui lui manquait souvent durant son quinquennat. La droite peut se féliciter de l’efficacité de la police, que la polémique inepte sur les lacunes du « renseignement » ne saurait diminuer. Faudrait-il emprisonner, fliquer, déchoir de leur nationalité, expulser… tous les jeunes tentés par un séjour dans un camp islamiste ou autre ? Allons donc ! Nous devons rester un État de droit.
  • Hollande a été digne et discret, faisant ce qu’il fallait faire, sans récupération ni accusations.
  • Bayrou a été nul : retombant dans ses travers de moraliste catho-pétainiste, il ne peut pas s’en empêcher.
  • Le Pen fille a été mauvaise, dans tous les sens du mot, appelant à la retenue lorsque la piste de l’extrême-droite a été évoquée, tirant à boulets rouges quand l’information a révélé l’islamisme de petit délinquant de banlieue (tout ce qu’elle « aime »).
  • Mélenchon a eu raison de dire que la vie continue malgré tout, mais déconsidéré de refuser de participer à ce qu’il voit comme un cirque alors qu’il s’agit d’un rare moment de réunion nationale ; son affirmation très légère selon laquelle « l’immigration n’est pas un problème » en sort ridiculisée : ce n’est certes pas le flux en soi des gens qui est problème, mais leur intégration s’ils veulent rester et leur volonté d’être comme les autres Français s’ils sont fils ou petit-fils d’immigrés…
  • Quant aux écolos, la Duflot a montré son inanité une fois de plus en accusant Sarkozy d’effrayer les enfants ! Caroline Eliacheff a très bien remise à sa place sur France-Culture l’égérie verte à tête de linotte en déclarant que les enfants savent bien que les adultes sont bouleversés, que ce n’est donc pas les « protéger » que de nier cette réalité là, que dire que cela aurait pu arriver à n’importe qui, dans n’importe quelle école, donc à eux aussi, c’est renforcer le sentiment d’appartenance, de solidarité, c’est ne pas distinguer une école confessionnelle (juive) des autres écoles de France…

Car de quoi cette affaire est-elle le nom ?

Du tabou : de la croyance de gauche en ces opprimés palestiniens ou afghans (bien réels) comme néo-prolétaires de la mondialisation (ce qui reste à démontrer), donc vecteurs du progrès de l’Histoire (n’ayons jamais peur des grands mots). Donc tout ce qui est connoté islamisme, anti-israélien, anti-impérialiste est « bon » ; tout ce qui vient de là ne peut qu’être « dans le sens » de l’histoire. Les mauvais sont les fascistes, les extrêmes de la droite – jamais de la gauche. Ce sont ces lunettes roses qui valent de ne pas comprendre.

Car de qui s’agit-il ?

D’un Français, né à Toulouse, dans une banlieue modeste mais pas misérable. D’un petit délinquant mal scolarisé, sans père, enfermé dans un ghetto de « potes ». D’un être de ressentiment, qui en veut à la France de ne pas avoir réussi à l’intégrer, ni à l’école, ni dans l’armée, ni dans la société.

Il s’agit donc (à ce stade des informations) d’un de nos « fils », de nos « frères », qui a dérapé dans la croyance – ni plus, ni moins que les activistes trotskistes ou maoïstes d’Action directe, ou les « nationalistes » basques de sa propre région. Il ne s’agit ni d’un fou (terme commode par lequel on évacue toute analyse), ni d’un révolutionnaire (d’un quelconque projet politique), ni d’un « étranger », allogène, d’origine, mouton noir dans un troupeau blanc. Il s’agit d’un Français né en France, élevé en France, qui a été mal intégré par sa propre société. Il a donc cherché ailleurs, dans une secte violente, un idéal pour exister. Son rattachement islamiste est reconstruit, il ne lui est ni congénital, ni familial, ni algérien.

La question est donc celle d’un échec de notre « modèle social français ».

Modèle qui fait eau de toutes parts, de la faute des élites comme des politiciens (pour éviter le terme « hommes » politiques qui déplaît tellement aux femmes féministes politiquement correctes). A croire l’Arabe néo-prolétaire à « sauver » dans l’histoire, à taper sur « l’identité nationale » en l’accusant de tous les rejets et de tous les colonialismes, en promouvant la repentance pour le n’importe quoi (la loi contre la « négation » des crimes contre les Arméniens étant la dernière invention), en ne proposant RIEN de positif autre que cette soupe tiède du « multiculturel » où personne ne se reconnaît (sauf les futiles bobos assez riches pour aller dissiper leur vie à s’amuser entre New-York, Marrakech ou les Bahamas) – la France 2012 a permis un Mohammed Merah.

Parce que l’identité n’est pas le rejet, que le melting-pot des cohabitations à l’américaine n’est pas un modèle enviable, ni qui correspond à notre histoire de France. Parce que les Lumières libèrent, elles n’assignent pas les gens à leur essence. La liberté des diverses religions et croyances n’est permise que par la laïcité. L’égalité devant la loi donne à chacun le droit de faire, de croire et de dire tout ce qui ne pas contre la vie de la cité. Ce vivre ensemble, en bonne entente, est la fraternité. Avec Mohammed, la France d’aujourd’hui connaît donc un triple échec, fait de nos démissions :

  1. Démission sur la laïcité qui seule permet la liberté, en feignant de croire qu’il serait des religions ou des « communautés » plus respectables que d’autres ; que la viande halal peut être imposée à tous en catimini, sans traçabilité ; qu’on pourrait se voiler le visage sans conséquences sur les relations sociales ; qu’il faut voiler Voltaire sur les façades du Louvre…

2. Démission sur l’égalité en exigeant d’interdire par la loi toutes les déviances d’analyse et de discours sur l’esclavage arabe, l’histoire juive, le génocide arménien, la place des femmes, des gais, des handicapés… En laissant les « appartenances » fleurir dans le joyeux festif du multiculturel où le tag est équivalent à la Joconde ou l’éructation ado sur trois accords égal aux Beatles. En refusant d’accomplir la culture des Lumières, qui vise à « libérer » les individus de ces appartenances automatiques que sont la biologie, la famille, le clan, la bande, la mode, l’idéologie, la croyance.

3. Démission sur la fraternité en faisant de Mohammed Merah un faux français, tout de suite qualifié « d’origine », algérienne, musulmane, alors que ni l’école, ni les associations, ni la société, ne lui ont offert un destin.

Les tueries de Toulouse sont donc un symptôme de notre société française.

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Joseph Fouché, Mémoires

« Ce fut un politique, et l’un des plus grands », déclare Edwy Plenel de Fouché. Journaliste de gauche, formé aux méthodes d’investigation américaines, il présente cette édition avec délectation. Fouché, comte d’Empire, duc d’Otrante, ministre de la Police après la Révolution, « dit la vérité de la politique moderne ». A savoir, selon Stefan Zweig, qu’elle est un métier de « joueur professionnel ». Mais Fouché avait un principe unique pour guider son action : la préservation de l’État hérité de la Révolution.

Pour cela, « accompagner l’événement plutôt que de l’infléchir », « rester dans le jeu quitte à en changer les règles, se maintenir au pouvoir quoi qu’il en coûte », affirme Edwy Plenel. Du parfait Jacques Chirac, resté longtemps à l’école de François Mitterrand. François II Hollande serait un peu comme ça et Nicolas II aimerait bien rééditer le succès de Nicolas 1er Sarkozy. « Tout changer pour que rien ne change », disait Alain Delon-Tancrède dans Le Guépard’ de Visconti, d’après le roman de Lampedusa

« Nul ne fut sans doute plus haï, détesté et caricaturé, après sa mort », écrit Plenel, « Fouché dérangeait le siècle qu’il vit naître et qu’il avait pourtant, plus que d’autres, anticipé ». Il était athée, opportuniste, vil serviteur, flic… tout ce qu’affecte de détester la gauche et qui, pourtant y sacrifie si volontiers ! Souvenez-vous de Staline et de ses compagnons de route intellos des cafés enfumés de Saint-Germain des Prés. Plus près de nous, de ces maos qui fleurirent en 1968, prosternés devant le Génial Grand Dirigeant, instituteur promu qui avait le don d’enfoncer les portes ouvertes. Y aurait-il un divorce entre la posture morale des gens de gauche et la réalité de leurs actes ?

Justement, nous apprend Joseph Fouché, aucune morale n’existe en politique, seulement le succès. La cynique réalité l’emporte sur les bons sentiments, si l’on veut survivre. La gauche (française, d’aujourd’hui) reste pour cela handicapée, drapée dans sa Morale de principe au lieu d’écouter le pragmatisme du peuple, agissant plus par ressentiment que par raison, incapable de négocier avec nos partenaires européens alors que ce cadre est le seul qui permette encore d’exister au niveau mondial. Les gens de gauche devraient lire Fouché, les gens de droite le pratiquent sans le savoir, connaissant déjà Machiavel.

« Le lecteur pourra y lire ce que d’ordinaire un politique professionnel n’avoue pas, à savoir que le seul critère de réussite est la durée au pouvoir et non la fermeté des convictions, que l’indifférence aux autres et la fidélité à soi sont les garanties du succès, que mener deux politiques de front et choisir celle qui triomphe est le b a ba du métier… » Si c’est Edwy Plenel qui le dit… Il décalque seulement Fouché : « Telle doit être, en effet, la maxime de l’homme d’État ; le passé ne devrait jamais être à ses yeux que de l’Histoire : tout est renfermé dans le présent » p.225.

« J’étais d’ailleurs moralement ce qu’était le siècle », déclare Fouché dès les premières pages, « avec l’avantage de n’avoir été tel ni par imitation, ni par engouement, mais par méditation et par caractère » p.10. Destiné dans sa jeunesse à la navigation, Joseph Fouché n’est surtout pas fanatique à la Robespierre ! Il lui tire le portrait en pied : « être envieux, haineux, vindicatif, ne pouvant se désaltérer du sang de ses collègues et qui, par son aptitude, sa tenue, la suite de ses idées et l’opiniâtreté de son caractère, s’élevait souvent au niveau des circonstances les plus terribles » p.14. Staline imitera Robespierre, tout comme Mao, précipitant leurs pays dans des décennies de marasme et de terreur. Mélenchon suivrait bien Robespierre… Fouché, lui, est plus réaliste : « Quand on a le pouvoir, toute l’habileté consiste à maintenir le régime conservateur. Toute autre théorie, à l’issue d’une révolution, n’est que niaiserie ou hypocrisie impudente » p.23. Le rôle des gouvernants ? « Réglez l’activité brûlante de vos concitoyens afin qu’elle soit féconde… Qu’ils sachent bien que l’énergie n’est pas le délire et qu’être libre ce n’est pas être indépendant pour faire le mal » p.31.

Si le contrôle policier est indispensable à tout gouvernement, ce n’est « ni avec des écritures, ni avec des rapports qu’on faisait de la haute police ; qu’il y avait des moyens plus efficaces ; par exemple, que le ministre lui-même devait se mettre en contact avec les hommes marquants et influents de toutes les opinions, de toutes les doctrines, de toutes les classes supérieures de la société. Ce système m’a toujours réussi… » p.43. Fouché fut chargé de mission sous la Révolution, ministre de la police sous le Directoire puis l’Empire, chef du gouvernement provisoire après Waterloo, encore ministre sous Louis XVIII avant de s’exiler en Autriche en 1816. « J’avais jugé Bonaparte seul capable d’effectuer les réformes politiques impérieusement commandées par nos mœurs, nos vices, nos écarts, nos excès, nos revers et nos funestes divisions », dit-il p.60. Quel pourrait être ce président analogue dont la France aujourd’hui a besoin, selon les mêmes réformes impérieuses ?

Avec cette tempérance : « la raison et la tolérance que j’ai toujours cru très compatibles avec la politique d’un gouvernement assez fort pour être juste » p.80. Car Bonaparte devint vite Napoléon, avec ce despotisme des camps militaires qui croit décisive sa seule volonté. « Je le fatiguai moi-même en ne cessant de lui dire que, lorsque les gouvernements ne sont pas justes, leur prospérité n’est que passagère » p.116. Ce que personne n’ose dire à Sarkozy, peut-être – ni peut-être non plus aux revanchards de gauche ?

Les peuples européens ne sont toujours pas mûrs, mais c’est pourtant l’Europe que voulait faire Napoléon 1er. Il le déclare lui-même à Joseph Fouché qui le rapporte fidèlement : « Il nous faut un code européen, une cour de Cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois ; il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe le même peuple et de Paris la capitale du monde » p.266. C’était en 1812 et les États tremblent encore d’une Europe ainsi carrée « à la française » ! Que comprend la gauche actuelle à cette crainte-là ? Elle qui veut « imposer » la renégociation des traités juste par bon plaisir, sans tenir compte du rapport de forces des États et de l’intérêt général des peuples de l’Union ? « Conscription, impôts, vexations, privations, sacrifices, voilà (…) ce que nous connaissons du gouvernement de la France ». C’était il y a deux siècles et cela reste d’actualité… La France est un pays guerrier qui veut entraîner les autres en Afghanistan et en Lybie ; la France adore taxer tant et plus ; la France ne sélectionne ses élites que pour en faire des fonctionnaires d’un État obèse qui produit surtout du règlement et du prestige ; tout le reste est rabaissé, méprisé, spolié – à commencer par le travail et l’entreprise.

Il est curieux de constater combien les mentalités changent peu, même avec les siècles… Tous les cinq ans, rituellement, la France réfléchit sur elle-même à l’occasion de l’érection présidentielle. Plus qu’une élection, c’est bien d’une érection dont il s’agit ! Assaut de rodomontades pour refaire le monde et surenchères étatistes qui font rire les autres pays plus démocratiques qu’autocratiques. Ne serait-il pas temps que la France ouvre les yeux sur ce qu’elle est ?

Joseph Fouché, Mémoires, 1824, éditions Arléa 2006, 402 pages, en solde €5.00

 

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Haruki Murakami, Danse, danse, danse

Danse3 est la suite de La course au mouton sauvage’,  avec le même personnage principal et son mystérieux homme-mouton. C’est qu’une existence conforme n’est banale que parce qu’on le veut bien. Le Japon de la fin des années 1980 est en plein boom économique et les sacrifices de la génération d’après-guerre payent enfin : belles voitures, appartements confortables, standing, musique et bars branchés. Nombre de gens sont pris par le système, bons élèves, bons professionnels, bon époux. Ainsi Gotanda, élève dans la même classe au lycée, devenu acteur célèbre : « jeune, beau et compréhensif. Il était grand, mince et doué en sport, et toutes les filles de mon lycée étaient amoureuses de lui au point de s’évanouir en entendant son nom » p.104.

C’était sa « tendance ». « Même si tu recommençais ta vie à zéro, tu referais sans doute exactement la même chose. C’est ça, les tendances. Et une fois passé un certain point, elles deviennent irréversibles. » Alors que faire ? « Danser (…) Continuer à danser tant que tu entendras la musique. (…) Il ne faut pas penser à la signification des choses. Il n’y en a aucune au départ. Si on commence à y réfléchir, les jambes s’arrêtent. (…) Même si tout te paraît stupide, insensé, ne t’en soucie pas. Tu dois continuer à danser en marquant les pas. (…) Et danser du mieux qu’on peut. » p.133 Nous sommes en plein existentialisme : le refus nietzschéen de toutes les croyances consolatrices, le Sisyphe de Camus qui roule éternellement son rocher en métaphore de l’existence, la définition de soi par sa seule action selon Sartre. Danser, c’est suivre le mouvement de la vie en soi-même, être ici et maintenant selon le zen. Haruki Murakami adhère pleinement à cette conception du monde. Même lorsqu’il fait la cuisine, « je la fais avec amour et soigneusement. (…) Si on s’efforce d’aimer ce qu’on fait, on finit par y arriver dans une certaine mesure » p.371.

Le narrateur a 34 ans et est en marge. Il a toujours été à côté du système, depuis l’école caserne jusqu’à la société commerçante. Il est considéré comme « bizarre » parce qu’il ne pense pas comme tout le monde au Japon, parce qu’il n’a pas les réactions attendues de cette société très codifiée. Son ami l’acteur l’envie : « Tu avais l’air de toujours faire ce que tu voulais, tout seul, sans te soucier de ce que les autres pouvaient penser, de leur jugement, tu avais l’air de toujours faire avec facilité uniquement ce que toi-même avais envie de faire » p.210. Il va jusqu’à échanger un temps sa Maserati sans âme pour la banale Subaru des années 80 du narrateur, sans chic mais fonctionnelle et intime. S’il connaît une activité sexuelle régulière, aucune fille n’a envie de faire sa vie avec un être aussi différent. S’il travaille comme un pro, très organisé et ponctuel, il met mal à l’aise son associé ou ses clients. Il est ici et ailleurs, socialisé mais pas impliqué. Ses références sont Kafka et Nabokov, l’absurde du Procès et le décalage de Lolita. Car, s’il est en marge, le narrateur n’est pas marginal. Il y a bien pire que lui !

Notamment cette femme très belle qui « oublie » sa fille de 13 ans dans un hôtel de Sapporo et file à Katmandou pour faire des photos d’art. La fille s’appelle Yuki – Neige en japonais – et le narrateur l’a remarquée au bar de l’hôtel. Comme il retourne à Tokyo, une hôtesse lui confie l’adolescente pour le voyage en avion. Il n’y a rien de sexuel dans cette attirance, ni une paternité en germe. Ces deux êtres, séparés de vingt ans, ont en commun leur sensibilité, heurtée par la société affairiste et matérialiste du Japon des années 80.

Personne ne s’occupe de Yuki, ni sa mère déjantée, ni son père divorcé, ex-écrivain célèbre (et double parodique de Murakami puisqu’il l’appelle de son anagramme : Hiraku Makimura). Elle ne va plus à l’école parce que brimée d’être trop belle, trop riche, trop sensible – inadaptée. Elle n’a aucun ami. Ce pourquoi le narrateur lui fait du bien, rêveur comme elle, prenant la vie comme elle vient. Sa philosophie est résumée ainsi à la mère de la gamine : « Si vous restez attentive, si vous lui montrez que vous êtes liée à elle dans sa vie (…) si vous manifestez votre estime pour elle, (…) elle saura faire son chemin toute seule » p.408. Ainsi faut-il être avec les êtres, notamment avec les enfants. Cela les aide à grandir, sans leur imposer un modèle. Il faut simplement « être juste, et sincère si on peut » p.459.

Mais il y a l’homme-mouton, le passeur de l’entremonde, qui fait le lien entre le narrateur et la réalité parallèle. Qui n’a jamais rêvé d’un tel décalage, où tout pourrait être subtilement différent ? Murakami offre carrément des passerelles : il suffit de passer certains murs, à certaines périodes et en certains lieux, pour disparaître du monde réel. Ainsi de Kiki, ex-copine du précédent roman, retrouvée en pute dans un film avec Gotanda, rencontrée un soir par une organisation de call girls… et disparue depuis sans nom ni adresse. Ainsi de May, retrouvée assassinée nue dans un hôtel, on ne sait pas par qui. Ainsi de June, commandée par téléphone (attention du père de Yuki au narrateur pour qu’il assouvisse ses éventuelles pulsions en-dehors de sa fille…), venue de nulle part et retournée au néant. Il n’y aura pas de July…

Murakami critique impitoyablement la société moderne, occidentalisée et purement affairiste. Celle qui confère aux élites certains privilèges exorbitants… Ceux-ci ne se résument pas à la richesse, bien qu’elle en fasse partie. Être privilégié, c’est appartenir au club restreint de ceux qui sont en connivence au plus haut niveau du pouvoir : politiciens, hommes d’affaires, acteurs, grands artistes. Ceux-là commandent à la police, persuadent des hôteliers antiques de céder leur terrain, vont dans des restaurants chics et conduisent des Maserati parce que cela entre dans « les frais », louent des putes à Hawaï par téléphone depuis Tokyo, sautent dans un avion pour faire quelques photos.

Quant à la masse, elle suit la mode, manipulée par le marketing. Elle encense les chanteurs derniers cris alors que « si tu écoutes la radio une heure entière, tu en entends à peine un de bon » p.170. Elle va uniquement dans les restaurants dont parlent les magazines branchés. Déformée par l’école obligatoire, « un endroit affreux. Des types infects qui prennent de grands airs. Des profs ennuyeux à mourir qui font les arrogants. Pour te dire franchement, je pense que 80% des profs sont des sadiques ou des incapables. (…) Il y a trop de règles absurdes à respecter. C’est un système destiné à écraser l’individu, et ceux qui ont les meilleures notes ne sont que des idiots sans la moindre parcelle d’imagination » p.284.

Il parle du Japon, mais il parle aussi de nous, Murakami. De la difficulté de vivre, de l’imagination, du formatage social. De la nécessité de faire soi-même son existence pour être autre chose qu’un robot.

Haruki Murakami, Danse, danse, danse, 1988, traduit par Corinne Atlan, Points Seuil 2004, 575 pages, €7.60

Les autres romans de Murakami chroniqués sur ce blog.

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Un mois de socialisme : et après ?

Les primaires socialistes se sont achevées, la presse durant le mois n’a cessé de parler socialiste. Le candidat le plus évident en est sorti vainqueur. Nous ne sommes pas dans des primaires à l’américaine où il n’y a qu’un seul tour et peu de vie de parti en-dehors de la machinerie électorale. Le premier tour socialiste a servi de défouloir « contre » Nicolas Sarkozy et pour s’indigner contre la crise, le monde, les boucs émissaires. Il a attiré 2,6 millions de votants – mais cela ne fait guère que 6% des 43 millions de l’électorat national. Il a surtout marqué les divisions du PS. Le second tour a éliminé, c’est le rôle d’un second tour. C’est dire que le candidat élu pour être éligible aux « vraies » présidentielles de l’an prochain a suscité autant de rejet que d’accord dans son propre camp. Il ne recueille qu’un peu plus de la moitié des militants & sympathisants.

On a parlé de « révélation » Montebourg. Mais cet avocat qui a échoué à l’ENA en son temps n’a rien de la Vierge apparue aux gamins de Fatima ; il s’agit d’une tactique classique du gauchisme militant depuis Trotski : l’entrisme. Puisque ces primaires n’étaient plus réservées aux quelques 120 000 militants PS mais ouvertes « à tous les sympathisants républicains », les mélanchonnistes en ont massivement profité. Est-ce que cela va clarifier les idées socialistes ? Sûrement pas. Chacun sait que Mélenchon, qui a lu Lénine, voudrait provoquer une bonne crise pour apparaître comme radical-rassembleur et faire razzia sur les électeurs du PS.

La révélation est plutôt la persistance de trois gauches (guévariste, jacobine, social-démocrate), tout comme il y a trois droites (nationaliste, gaullienne, libéral-démocrate) :

  1. Les guévaristes, en référence à Che Guevara dont Hugo Chavez est l’actuel représentant, sont en faveur du yaka, du volontarisme politicien, la volonté du Peuple voulant une seule Assemblée, des frontières souveraines et surtout aucune séparation des pouvoirs : ni traités, ni autorités ou banques indépendantes, ni décentralisation. Cette tendance va de l’extrême gauche à la gauche du PS. Mélenchon et Montebourg sont sur cette ligne.
  2. Les jacobins sont dans la lignée Mitterrand, énarques, parisiens, technocrates. Aubry et Fabius représentent le mieux ce courant dont Hollande faisait partie avant de prendre de la hauteur et de se recentrer (les présidentielles se gagnent au centre…)
  3. Les sociaux-libéraux sont ce qu’on a appelé la « deuxième gauche », de Mendès-France à Rocard et Delors. Elle est proche de la gauche des autres pays européens (mais sans les syndicats puissants) et des Démocrates américains d’Obama : économie de marché + Etat-providence. Valls, Baylet, Royal, probablement Delanoë en font partie. Bayrou s’y agrégerait bien si on voulait de lui.

La primaire socialiste n’a pas été une primaire « citoyenne » mais une procédure interne à un parti parmi les autres. Les écolos et le centre ont aussi eu leurs primaires sans que cela soit qualifié de « citoyen ». Cette enflure de vocabulaire marque l’idée socialiste d’être seuls légitimes, représentants du « vrai » peuple ; tous les autres seraient entachés d’un péché originel bourgeois-libéral-capitaliste-nanti-exploiteur-colonialiste (rayez les mentions inutiles). A quel peuple veut-on faire croire un tel conte de fée ? Force est de constater que le parti comme « avant-garde éclairée » reste le credo léniniste du PS et que la Deuxième gauche laisse dire. Ce qui a pour conséquence que la seule « démocratie » reconnue par le PS est celle du centralisme : approuver ce que le parti a décidé en interne. Seule Ségolène Royal, en 2006 puis lors du Congrès de Reims, avait tenté d’aller contre. L’unanimisme a été le cas avant la chute de DSK, lorsque les primaires ont failli être « de confirmation » ; c’est bel et bien le cas avec la victoire Hollande, qui confirme ce que tout le monde savait. Sa légitimité est avant tout celle d’un Secrétaire général de parti soviétique, le plus petit dénominateur commun entre les courants et le plus rassembleur sur le centre, pivot de l’élection présidentielle française.

Cela n’enlève rien à ses qualités personnelles de savoir nager, de faire travailler et de capacités au compromis. Cela relativise le discours « radical » qu’une certaine gauche voudrait le pousser à tenir mais entraîne le retour des énarques, écartés du pouvoir assez largement par Nicolas Sarkozy depuis 2007. La gauche technocratique gagne, celle du courant central – entre Deuxième gauche et Guévaristes. C’est la gauche Jospin, jacobine et centralisatrice, adepte du meccano industriel et des lois encadrant les entreprises, des emplois de service public et des prélèvements obligatoires. Les socialistes sont restés « je veux, l’État-c’est-moi » alors que « les moyens » sont limités (déjà 55% du PIB en dépense publique !) et que la France dans le monde n’est rien sans l’Europe. Faire payer les riches, pourquoi pas, mais il y a très peu de riches… Le gâteau fiscal est donc très limité sauf à toucher aux classes moyennes. Quant à l’Europe, eh oui c’est la démocratie libérale qui y règne ! Il va falloir tenter de convaincre les sociaux-démocrates et autres libéraux, majoritaires dans les autres pays européens, que le dirigisme jacobin français est « la seule solution » et que les traités doivent être révisés.

Il n’y a eu campagne jusqu’ici qu’à gauche. La vraie campagne présidentielle française ne commencera que dans quelques mois. François Hollande est le candidat du Parti socialiste, pas (encore) celui des Français. Car, selon un sondage Australie-Sofres d’août 2011, la vie politique est ennuyeuse pour 42% des électeurs. Ils ne sentent pas pris en considération par les politiciens (qu’ils soient hommes ou femmes), ni compris ni respectés, avec le sentiment de ne pas avoir les moyens de participer au débat. Ces Français en âge de vote sont devenus désabonnés ou désabusés. Ils n’ont pas envie de participer en votant ou en consommant, soit qu’ils vivent difficilement (14% des Français), soit qu’ils vivent confortablement mais en marge critique du système (25%). Vont-ils mettre leur bulletin dans l’urne ? Et pour qui ? Pour les belles promesses technocratiques d’un énarque chef de parti ou pour la légitimité du sortant à gérer la crise ? « Tout sauf Sarkozy » n’est donc pas le bon slogan pour gagner.

N’allez pas alléguer « les affaires »… Un sondage Canal+-Sofres septembre 2011 sur la corruption montre que 72% des Français en âge de voter estiment tous les politiciens corrompus (ils n’étaient que 42% en 1990)… La confiance faite aux partis pour y remédier ne va surtout pas en réponse spontanée au Modem (4%) ni au PDG de Mélenchon (7%), à peine plus aux Verts et à l’UMP (11% chacun) et de façon à peine meilleure au PS (16%). Aucun parti ne veut empêcher la corruption, telle est la réponse qui remporte la palme avec 25 % ! « Tous pourris à droite » n’est donc pas le bon slogan pour gagner.

Quelles seraient donc les qualités qui font un bon président de la République ? Un sondage Philosophie Magazine-Sofres de juillet 2011 place en premier la capacité de prendre des mesures « de droite comme de gauche » si c’est indispensable (59%), en second la proximité du terrain et le pragmatisme (55%) et en troisième la culture intellectuelle (45%). Viennent ensuite des qualités importantes mais non indispensables comme celle de décider seul en cas de crise ou de savoir employer la force si nécessaire, ou encore d’avoir un style de vie proche des Français. Il ressortait alors en juillet (avant la crise européenne et les primaires socialistes) que les personnalités de droite apparaissaient mieux placées et moins sectaires sur les caractères « gaulliens » tels que l’aptitude à prendre des mesures au-dessus des clivages droite-gauche ou décider seul en cas de nécessité. Ils faisaient jeu égal pour les deux suivantes, proximité du terrain et culture. Sur ce dernier point, malgré les sarcasmes des média de gauche sur la ‘Princesse de Clèves’, Nicolas Sarkozy apparaissait à l’opinion comme intellectuel plus cultivé que François Hollande, Marine Le Pen, Dominique de Villepin, et surtout Jean-Louis Borloo – autant qu’Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et Martine Aubry… Comme quoi l’écho d’une personnalité dans la France profonde n’est pas forcément celle des élites, zélotes médiatiques qui s’auto-intoxiquent en cercles fermés. « La personnalité Sarkozy » n’est donc pas le bon thème pour gagner.

Reste quoi ? La demande de protection contre la crise mondiale ? C’est une donnée importante mais pour laquelle la gauche n’est pas plus légitime que la droite. Ce sont quand même les sénateurs républicains de droite aux États-Unis qui veulent une loi contre les produits chinois au taux de change politique. C’est de même le gouvernement conservateur de droite anglais qui décide la séparation par la loi des banques d’investissement et des banques de dépôts. La protection contre la globalisation n’est pas la fermeture des frontières mais l’accord entre partenaires européens pour négocier avec la Chine et avec les États-Unis sur les normes financières et d’échanges. C’est en interne des filets sociaux de sécurité qui ne sont finançables QUE par une meilleure gestion du budget public et par une règlementation moins sectaire sur les relations de travail – tout ce qu’ont réussi les pays nordiques de l’Europe et que l’ère Jospin a échoué à mener lorsque la croissance était là et le permettait. Il faudra le mettre en place, que le prochain président soit Hollande ou Sarkozy, pour diminuer ce pessimisme français associé à la défiance envers tout ce qui change.

Alors reste quoi ? De façon ultime, la réforme fiscale. Seul François Hollande en propose une d’envergure. Non pas pour de nouvelles rentrées, le repli des consommateurs désabusés et l’exil des patrimoines réduira l’impôt tant que durera la crise. Mais pour un nouveau partage de la pénurie. Probablement plus juste, en tout cas mieux accepté… s’il réussi à éradiquer la plupart des « niches fiscales » ce qui, comme le non-cumul des mandats, est loin d’être acquis ! Cela pour caresser la gauche du ressentiment, mais le débat n’a rien dit sur la stabilisation ou la baisse de la dépense publique, hors norme en France par rapports aux pays voisins.

La campagne pour la présidence se fera donc probablement sur la réforme fiscale à gauche et sur la personnalité dynamique apte à sortir de la crise à droite. C’est loin d’être déjà joué.

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Réactionnaires

Article repris par Medium4You.

Qu’est-ce qu’être « réactionnaire » ? C’est celui qui réagit à une action ; en politique, celui qui est contre ce qui arrive et veut soit le rétablissement de ce qui était avant (conservatisme) soit l’établissement d’un idéal imaginé (gauchisme) ou d’un équilibre éternel (écologistes). La réaction est une action qui tend à provoquer l’effet contraire à celui qui l’occasionne. Sont donc réactionnaires tous ceux qui refusent le présent au nom d’un âge d’or, d’un ailleurs ou d’une « autre » politique.

Contrairement aux idées reçues, le terme de « réactionnaire » en politique n’est pas réservé aux conservateurs qui veulent retrouver un âge d’or (droite) ou protéger les zacquis (gauche) ; il est aussi applicable à ceux qui prônent le durable, autre nom de l’éternel. Cet âge de stabilité à (re)trouver peut être soit très ancien, soit plus récent.

  1. Ainsi, les contre-révolutionnaires n’ont jamais accepté la révolution libérale des Lumières en 1789 ; ils rêvent au retour du roi de droit divin, de la tradition établie, des féodaux.
  2. Certains écologistes remontent même plus loin, à l’époque néolithique où l’homme a cessé d’être chasseur-cueilleur respectueux de mère nature pour tenter de la maîtriser par l’élevage et la culture, bâtissant des villes pour y entasser les récoltes, créant l’État pour lever l’impôt et entreprendre de grands travaux pour dompter les fleuves, le vent, la matière.
  3. Les nostalgiques des Trente glorieuses rêvent de retrouver l’élan démographique, économique et moral des années de Gaulle, où le parti Communiste et la CGT allaient dans le même sens productiviste et progressiste.

Il y a donc des réactionnaires de droite, des réactionnaires écolos et des réactionnaires de gauche. Mais tous ont un point commun. Ils se ressemblent par leur itinéraire mental, toujours le même, obéissant à un schéma de causalité identique. La séquence commune est : refus du présent, sentiment de déclin, recherche d’un coupable, ressentiment anti-élites, désignation d’un bouc émissaire, rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur.

Extrême droite, extrême gauche et gauche écolo agissent de cette même façon. Toujours au nom du « peuple », bien sûr, à qui l’on inculque que célafôta et yaka. Selon cet archétype politique, peu importe le prétexte, le résultat sera le même. Inutile de prétexter qu’il y a « gauche » dans le titre, il s’agit là de pure idéologie, dont Marx, Nietzsche et Freud ont montré qu’elle n’est que le voile de bonne conscience sur les instincts refoulés.

Il suffit d’examiner point par point l’itinéraire de cet archétype.

1-      Refus du présent : il s’agit de montrer qu’aujourd’hui est pire qu’hier ou que l’équilibre abstrait (Dieu, l’Histoire ou Gaïa même combat). Pas difficile car rien ne va jamais comme on veut. C’est le sens du temps que de changer sans cesse. Le mouvement a deux sens, revenir à l’avant ou anticiper l’après – mais il s’agit, à droite comme à gauche, de quitter ce mouvement pour établir une éternité. De quitter l’histoire qui se fait pour fonder un équilibre perpétuel indépendant des hommes.

  1. L’extrême droite veut retrouver un âge d’or où la culture ne remettait pas en cause la nature, où tout était « naturel » : l’identité, l’état social, la hiérarchie du pouvoir, la croyance, les mœurs.
  2. L’extrême gauche veut retrouver une époque révolue en rétablissant ce qui était alors : État jacobin, politique industrielle, crédit largement nationalisé, franc géré par le gouvernement via la Banque de France, frontières, diplomatie armée indépendante dotée de la bombe nucléaire (en bref un capitalisme monopoliste d’État).
  3. La gauche écologiste veut un avenir sur le thème de l’équilibre, toujours hors de l’histoire, par un nouveau pacte écologique pour effacer l’humain des rythmes naturels et des ressources de la nature, en devenant « renouvelable » ou « durable ». Effacer l’homme des êtres prédateurs au nom d’un « équilibre » du vivant mythique.

2-      Sentiment de déclin : non seulement ça ne va pas, mais ça va de mal en pis. Vite, jetons le bébé avec l’eau du bain ! Pour les réactionnaires, de droite, de gauche ou écolos, il n’y a rien de bon à garder du présent. La nature se dégrade comme le climat, les ressources se raréfient et sont l’objet de compétition mondiale, la population nationale est envahie d’immigrés, l’économie s’effondre à cause des émergents et de la rentabilité marchande, la devise est laissée à un lobby de technocrates apatrides asservi au capital étranger, l’emploi se délite à cause des patrons avides qui vont produire ailleurs et déclarer des bénéfices où il y a le moins d’impôts, la diplomatie et l’éducation n’ont plus « les moyens », le français recule comme langue parlée dans le monde comme le bon français dans nos banlieues. Nous sommes en décadence, rien ne va plus, c’était mieux avant ; il n’y a plus de bons produits, plus de sécurité, plus de jeunesse, plus de morale…

3-      Recherche d’un coupable : il s’agit de démontrer la causalité diabolique, souvent assimilée au libéralisme économique, laisser faire et laisser passer. La différence entre les extrêmes, droite et gauche (avec les écolos), est que la première refuse tout laisser passer au nom de l’autorité réhabilitée contre le laxisme, alors que la seconde distingue soigneusement le laisser faire économique (c’est mal) et le laisser faire des mœurs (c’est bien). Il faut y voir un écart de clientèle, les bobos sont des bourgeois acquis à la gauche qu’il s’agit de garder alors que leur pente naturelle, fonction de leur position sociale et de leur statut de richesse, les mènerait volontiers au conservatisme (si je suis heureux dans la société telle qu’elle est, pourquoi vouloir qu’elle change ?). Or le mouvement historique montre l’affinité des libertés : de la liberté d’expression à celle de voter, de la liberté de faire à celle d’être. La liberté réclame la liberté, voyez l’Iran, la Chine, l’Égypte de Moubarak… Le coupable une fois désigné, pourquoi ne se passe-t-il rien ? Parce qu’il y a Complot, évidemment ! Complot planétaire, fomenté par tous ceux qui ont intérêt à préserver leur pouvoir financier, social et moral et qui empêchent « le peuple » de réaliser ce qu’il veut.

4-      Ressentiment anti élite : qui a donc intérêt à préserver ce qui est ? Ceux qui ont actuellement le pouvoir, les élites sociales, politiques, énarques et grandes écoles, des affaires. Elles sont mondialisées, libérales, riches, urbaines, bourgeoises, parlementaires, attirées par les États-Unis et à l’aise en anglais. Vous avez là tous les ingrédients de ce « qu’il faut » haïr : la société du contrat au profit du retour à la société patriarcale, la culture de la négociation au profit de celle de l’autorité imposée, la société ouverte au profit du protectionnisme et du corporatisme, la population multiculturelle au profit de la xénophobie, le bon français et la loi française contre la presse poubelle et l’instruction à l’américaine (déferlement de franchouillardise sur l’affaire DSK), la campagne contre la ville, le terroir contre l’Europe technocrate, le jacobinisme contre les organisations internationales, le nationalisme contre le cosmopolitisme, la pureté ethnique contre le mélange métèque…

5-      Bouc émissaire : il est tout trouvé, il s’agit du capitalisme libéral anglo-saxon mené par l’Amérique selon l’éternel Complot financier qui dépossède chacun de sa terre, de ses origines, de ses pratiques ancestrales ppour tout rendre négociable et marchand. Un classique qui touche l’extrême droite comme l’extrême gauche et les écologistes, malgré les euphémismes et les dénis. Il s’agit de remettre en cause tout le mouvement de libération de l’individu depuis les démocrates Grecs jusqu’à la révolution des mœurs de mai 1968, en passant par la Renaissance (lire les classiques païens au-delà de la Bible) et les Lumières (esprit critique, égalité en droit et dignité, sortie par l’éducation des obscurantismes et contraintes). Cela au profit du collectif qui commande et exige le fusionnel. Tous les droits au collectif, aucun droit à l’individu : telle est la vulgate de ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Evidemment, le collectif, c’est eux : le parti, l’avant-garde, les spécialistes autoproclamés, la technocratie d’Etat…

L’intérêt de désigner un bouc émissaire est que le ressentiment individuel peut prendre une forme physique collective manipulée et canalisée : la violence de « la rue » est orientée vers des ennemis clairement désignés. Tous ceux qui ne sont pas avec vous sont contre vous : c’est simple à comprendre ! Tu discutes ? Tu es donc l’ennemi, le Diable, le sous-humain, le malade. J’ai le droit moral de te haïr, le droit juridique de t’accuser de n’importe quoi, le droit médical de te faire soigner malgré toi dans des camps spécialisés de rééducation, le droit physique de te taper dessus (et plus si crise politique comme sous Hitler, Staline, Castro, Pol Pot ou Milosevic).

6-      Rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur : à cette anarchie apparente des intérêts particuliers qui semble faire de la société une jungle, le remède refuge est l’État national et social. Il s’agit de la nostalgie de la monarchie, état « organique » où tout le monde est à sa place selon l’ordre divin ou « naturel », ou de l’Etat « intrument de la lutte des classes » pour retrouver l’équilibre de la société d’avant les classes, l’état définitif de la fin de l’Histoire, ou encore de l’empeinte humaine minimum dans l’état de Nature. C’est une constante des programmes de gauche comme de droite extrêmes que ce social nationalisme (ou national socialisme) dans un seul pays. Repli sur soi, sur ses origines, ses traditions, son « modèle social », ses frontières. Contre l’étranger, les traités négociés, les classes privilégiées, les lobbies, vive le peuple sain, rural et premier ! Local contre global : la terre seule ne ment pas, bon sang ne saurait mentir, vox populi vox dei.

  1. Pourquoi l’État ? Parce qu’il est réputé au-dessus des classes et des partis, des intérêts personnels – même s’il est manipulé par une caste étroite au nom du « peuple ». Parce que seules les frontières définissent le domaine d’intervention d’un État.
  2. Pourquoi un sauveur ? Parce que nul groupe ne peut seul être le maître en démocratie, enclin plutôt à négocier, à faire de la petite « politique ». « Yaka imposer car célafôta l’élite établie », est le slogan populiste.
  3. Pourquoi populiste ? Parce que le populaire est toujours en retard d’une génération sur les mœurs – depuis tous temps. Resté autoritaire malgré 1968, patriarcal machiste malgré le droit de vote de 1945 et l’égalité dans le mariage 1975, partisan des solutions de force malgré l’éducation (nationale).

Toute époque de crise engendre ressentiment social et repli sur soi, crispation et intolérance. Malgré l’écart affiché des idéologies, le schéma de réponse politique est le même : il s’agit d’arrêter le temps, de trouver l’équilibre qui rendra immobile le système. Il s’agit là d’un rituel archétypal où peu importent les prétextes – de gauche, de droite ou écolo : l’avenir espéré est résolument réactionnaire.

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Anders Behring Breivic le monstre de Norvège

Un attentat à la bombe contre le gouvernement social-démocrate et des  jeunes travaillistes de 14 à 30 ans tués par balles en quelques heures. Breivic a frappé fort pour qu’on le considère. Rançon de notre société du spectacle où les idées sont inaudibles si elles ne hurlent pas devant les caméras.

Qui est donc Anders Behring Breivic ?

Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine.

Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme.

Breivic n’est pas raciste, non seulement il le dit mais la meilleure preuve est qu’il a massacré les siens, des ados blonds aux yeux bleus, et pas les basanés immigrés du coin. Il est proche en cela de l’Unabomber américain, un solitaire psychotique qui tuait parmi les siens tous ceux qui représentaient le gouvernement. Ce qui limite probablement son message.

Pourquoi parler de ses idées ?

Jamais je n’accomplirai un acte aussi barbare que de tuer au pistolet-mitrailleur des gosses en slip au bord d’un lac, qui n’ont que leurs mains pour se défendre. Jamais je ne justifierai un tel ‘happening’ au nom de je ne sais quelle révolution ou avenir radieux. Jamais je n’obéirai à la logique glacée des partisans persuadés d’avoir tout seul raison, de Savonarole à Torquemada, de Lénine à Pol Pot.

Mais je crois à la lucidité. Nul ne peut combattre la mort qui marche sans comprendre les ressorts qui la font s’avancer. Comprendre n’est jamais pardonner, cela est d’un autre ordre. Il n’y a aucune morale à analyser pour tenter de savoir ; juger, en revanche, est le lot de la société.

Quelles sont les idées du tueur ?

Elles ne sont pas aberrantes, loin s’en faut. Elles sont seulement poussées à leur logique folle, tout comme les Évangiles avec l’Inquisition et le Capital de Marx avec les camps staliniens. Ses idées sont contenues dans un opuscule de 1518 pages en anglais, qu’il diffuse gratuitement sous le titre de ‘2083 A European Declaration of Independence’.

Anders Behring Breivic accuse l’Occident d’avoir laissé depuis 1945 l’égalitarisme marxiste envahir la culture pour saper les fondements même de la civilisation européenne. Il se dit « chrétien » mais version taliban : fasciné par le Jihad musulman, il se veut un croisé, retournant le jihad contre ses promoteurs. Ce pourquoi il revivifie le mythe du Templier, ordre militaire contre les infidèles. Il a trop joué à World of Warcraft, ado marqué par son époque, où le spectacle en ligne pousse à échapper à la réalité.

Il n’a rien d’un partisan d’extrême-droite (il a quitté le Parti du Progrès qui ne lui apportait rien) mais plus d’un anarchiste nihiliste. Un populiste braqué contre les élites vénales et lâches. Le marxisme, hérésie laïque du christianisme, prône l’égalité absolue des conditions, toute différence étant condamnable en soi. Philosophie de l’histoire tirée de l’observation socio-économique, Gramsci, Lukacs, Marcuse, Adorno et l’école de Francfort l’ont rendu « culturel », générant la « pensée 68 » et gangrenant les campus universitaires au nom de la révolution et de l’anti-répression des désirs. De déconstruction en contestation de toute légitimité, de féminisme en châtrage des valeurs mâles, jusqu’à l’anti-négationnisme où la loi interdit même de discuter des thèses d’histoire politiquement incorrectes. Il en fait un chapitre (p.343), « Le nom du diable est : marxisme culturel, multiculturalisme, mondialisation, féminisme, culte de l’émotion, humanisme suicidaire, égalitarisme »… Dans ce nivellement global « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Sauf que les Musulmans ne sont pas gentils, ils sont croyants et intégristes, domptant les femmes à pondre des enfants. Qui ne prononce pas allégeance à Allah et ne se fait pas circoncire est à abattre comme un chien. L’immigration en Europe atteint l’étiage des 10%, avec une natalité plus forte. Dans une génération ou deux à ce rythme, l’Europe ne sera plus européenne mais la banlieue de l’islam. Avec la bonne volonté de ses dirigeants, qui appellent à une Eurabie en affirmant que l’islam est une part de l’Europe (comme la Turquie), encourageant immigration familiale et mœurs islamiques (voile, harem, épargne charia compatible, commerce halal, cantines spéciales, piscines séparées, enseignement de l’histoire expurgé, apprentissage de l’arabe à l’école, financement des mosquées…). Les musulmans pourraient représenter 50% de la population française en 2050 ! Je ne sais pas d’où viennent ces sources (Wikipedia ?) mais cela explique la « résistance » de l’auteur, « vrai » chrétien, traditionaliste souverainiste, tenant de la civilisation européenne historique.

Breivic fait appel aux sources Internet et à des textes glanés ici ou là dans l’Encyclopaedia Britannica et dans les journaux en ligne pour rassembler ses idées en 1518 pages. Son plan est en 5 parties : 1/ la montée du marxisme culturel et du multiculturalisme en Europe, 2/ pourquoi la colonisation islamique commence en Europe, 3/ l’état des mouvements de résistance européens antimarxistes et anti-jihad, 4/ les solutions pour l’Europe occidentale, et 5/les thèmes de discussion d’application utile à la stratégie politique. Pourquoi 2083 ? Parce qu’à ce moment, croit l’auteur, entre un tiers et la moitié de la population européenne sera musulmane, induisant un violent mouvement de réaction des autochtones avec coups d’état, déportation, interdiction de toute référence multiculturelle et imposition d’une idéologie nationale conservatrice (p.803).

Page 837 vient la formule appliquée littéralement par Breivic vendredi : « la meilleure méthode est d’attaquer de façon violente et par tromperie (attaque choc) avec des forces limitées (1 ou 2 individus). » Le terrorisme conservateur est aussi haïssable que celui d’extrême gauche durant les années de plomb des Brigades rouges, de la bande à Baader et d’Action directe. En cela, les partis de la droite extrême ne sont pas plus coupables de leurs idées que les partis d’extrême gauche. Le terrorisme est mimétique, partant des mêmes causes (un parti mou sans action concrète), avec les mêmes effets (des actes individuels de commando qui sèment la mort sans rien changer à la société).

Comment le contrer ?

En étant clair sur les objectifs de l’Union européenne, ferme sur la culture à transmettre et sur les valeurs qui composent notre vivre-ensemble, opposé à la lâcheté médiatique du métissage où tout vaut tout – pour mieux abêtir et vendre Coca cola.

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Péguy et la mystique républicaine

Dans les années 80 j’ai trouvé en solde dans la collection « Velpeau » de Gallimard un court livre édité en 1933 et réédité depuis en Folio essais : ‘Notre jeunesse’. On ne lisait déjà plus Péguy et avec raison tant le style est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de tribune fait pour être dit, pas pour être lu. La déclamation d’assemblée passe mal le silence de la page. ‘Notre jeunesse’ est peut-être la plus lisible des œuvres de Péguy. Le lecteur y découvre quelques idées restées neuves.

S’il est peu question de la jeunesse en général, et encore moins de celle de l’auteur malgré le titre, Charles Péguy développe certaines de ses conceptions politiques à leurs débuts. Elles sont marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy nomme avec emphase la « mystique républicaine ». Un Mélenchon n’a pas peur de raviver l’idée aujourd’hui pour servir sa dissidence. Mais c’est une grande idée, simple comme toutes les grandeurs. Je crois qu’elle porte encore puisqu’elle est probablement le moteur des révolutions arabes.

Il s’agit d’une transcendance. La république comme substitut de religion. Le contraire même de la religion d’État ou de la religion de l’État. Louis XIV qui ne voulait voir qu’une tête (la sienne) et le jacobinisme botté intolérant d’une certaine gauche comme d’une certaine droite, apparaissent aussi insupportables en regard de la république. Celle-ci, « chose publique », signifie l’intérêt général.

  • Il n’est pas forcément celui du plus grand nombre : ce ne sont pas les sondages qui gouvernent.
  • Il n’est certainement pas celui d’un seul, omniprésident, guide, conducator ou secrétaire général.
  • Il est celui d’un groupe informel et pas d’un parti.
  • Il est soucieux du bien de la nation avant toute autre chose. Mitterrand a ainsi imposé l’abolition de la peine de mort à une opinion rétive… qui reconnaît son bien-fondé. De Gaulle avait de même imposé l’indépendance algérienne à son camp qui y était hostile, volontiers nationaliste.

Ces présidents-là avaient l’air de gouverner seuls. Ils incarnaient en fait la France, une certaine idée partagée de l’avenir commun. Leur solitude était légion.

La mystique signifie l’au-delà de la matière, la mise en veilleuse des petits intérêts cuits à petit feu dans leurs petits coins par les petits lobbies et les partis étroits. L’argent, les machines politiques, les alliances internationales, la mondialisation, conduisent du fait de leur complexité à réserver le champ du politique aux seuls spécialistes. Or la politique est la vie de la cité, elle concerne chaque citoyen, elle appelle tous ceux qui veulent le devenir, jeunes, exclus ou immigrés. Avec le recul, c’est bien la mystique républicaine qui a fait naître la Résistance comme la conquête du pouvoir par la gauche en 1981, ou encore la volonté de bouger enfin la France dans un monde qui accélérait, en 2007. C’est l’une des causes des révoltes arabes, et certainement ce qui pousse los indignados à revendiquer d’exister dans une société qui les ignore, les éduque par-dessus la jambe et les exclut du travail.

Que dit donc Péguy ? Pour lui, la modernité est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. Cette mystique qu’il revendique est une foi, mais pas forcément religieuse. Elle est le sens des valeurs, la culture en acte. Incarnations : Jeanne d’Arc, Barra, Gavroche, de Gaulle au 18 juin, Jean Moulin, Albert Camus face à la haine des Sartre – pour n’évoquer aucun vivant.

« Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui est peut-être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Ne sautez pas au plafond au mot de ‘race’, c’est une clause du style d’époque pour dire l’honneur, d’essence aristocratique. La ‘race’ au sens de Péguy n’est pas la sélection génétique mais le tamis des valeurs inculquées par la culture et le milieu. « Car des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28.

Mais c’est une loi historique que toute foi s’use, que toute légitimité se voit remise en cause, que toute noblesse devienne routine. La tragédie se répète en comédie, la mystique se dégrade en politique, les pensées vivantes en idéologie fermée, la volonté en propositions réduites à l’acceptable, la culture en enseignement monotone et l’enseignement en pédagogisme… Ce qui était vivant, fruit d’un élan, s’intellectualise, se dessèche, se réduit, se bureaucratise. On ne construit plus, on nomme une commission ; on ne décide plus, on cherche le plus petit commun dénominateur pour ne fâcher personne. Les saints deviennent clercs, puis énarques ; les héros passent nobliaux fiers de leur naissance plus que de leurs actes, puis politiciens démagos fiers de leur beau quartier, de leur écoles huppées, des résidences réservées et des rallyes privilégiés pour marier leurs descendance ; les entrepreneurs deviennent gestionnaires puis administrateurs, l’esprit d’entreprise se dégrade pour se réduire ultimement au seul contrôle des coûts.

La grandeur, on ne la comprend plus, donc on la méprise. Le scepticisme intellectuel croît très fort dans le calme et la paix, engendrant une somnolence de la raison, plus sollicitée par les instincts ou les mouvements. Chaque catastrophe nous le révèle : l’Administration n’a jamais rien vu, les politiciens n’ont rien anticipé, les décideurs réagissent affolés à ce qui aurait dû être au moins envisagé. L’État n’est plus incarné, c’est personne. Voilà la politique du parapluie, le principe de précaution inscrit dans la Constitution, la somnolence Chirac élevée au rang des beaux arts… Auparavant, il y eût la faillite de mai 1940, la débâcle de toute une société petite-bourgeoise, provinciale, contente d’elle-même et confite en un « radicalisme » qui n’avait plus aucune radicalité autre que celle de conserver à tout prix ses zacquis.

Ce sont alors les obscurs, les sans-grades qui sauvent l’honneur, ceux qui avaient gardé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine. Joseph Kessel a magnifiquement décrit ce premier mouvement dans ‘Pour l’honneur’, dédié aux résistants de la première heure face à la démission des élites française de la IIIe République en 1940, tout comme aux républicains espagnols catalans.

La mystique républicaine s’applique à tous les peuples. Mais la France a ses particularismes en Europe et dans le monde. Charles Péguy les énumère : « la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré, une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir l’injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. Avec l’hédonisme post-68 et la contamination américaine, ces vertus seraient à revoir, mais ne boudons pas notre plaisir : la mystique républicaine reste.

La question est : qui l’incarne ? Il ne suffit pas de le clamer, comme Mélenchon. On sent chez lui que, très vite l’intérêt « général » risque de se réduire à celui de son clan, de sa vérité étroite. Comme Chavez ou Castro, il est universel avant de prendre le pouvoir, il risque d’être sectaire après. Il y avait de Gaulle, il y a eu Mitterrand. Quelques autres ont émergé sans accéder à la haute fonction. Qui  pour 2012 ?

Charles Péguy, Notre jeunesse, 1933, Folio essais 1993, 344 pages, €9.40

Joseph Kessel, Pour l’honneur, 1964, Livre de poche 1972, €1.80 occasion

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Dudouet et Grémont, Les grands patrons en France

L’intérêt de ce livre est qu’il se situe – volontairement – au carrefour de l’économie, de la sociologie et de l’histoire politique. C’est ce qui le rend précieux. Le patronat français est bien loin des 200 familles chères au Front populaire. Il est aujourd’hui principalement composé d’ex-fonctionnaires, issus des Grandes écoles de la République, surtout Polytechnique et l’ENA.

La relation incestueuse du pouvoir politique et économique, tellement française, s’est déplacée. Hier l’État était tout-puissant, faisait et défaisait les rois en entreprise. Aujourd’hui, alors que la mondialisation exige l’efficience, les matheux formatés Éducation nationale délaissent le « service » public pour le profit privé. Ce qui compte reste toujours le pouvoir : celui, social, d’imposer ses vues ; celui, égoïste, d’amasser le maximum d’argent. Pas le pouvoir d’œuvrer pour la société, pas même pour l’entreprise : les grandécolâtres ex-fonctionnaires sont des mercenaires, pas des entrepreneurs.

L’état des lieux, dressé par un chercheur au CNRS rattaché à l’université Paris-Dauphine et par un économiste président de l’Observatoire politico-économique des structures du capitalisme, est édifiant. Les élites, sélectionnées par le système puis autoproclamées par cooptation constante, suivent un mouvement qui les dépasse. Avant 1914 c’était le libéralisme où le moins d’État possible assurait la plus grand puissance des profits et de la notoriété. Il a fallu deux guerres mondiales pour immiscer l’État dans l’organisation de l’économie et engendrer cet autoritarisme industriel qui a fait le bonheur de ceux qui sont bien « nés ». Non de sang, mais de méritocratie scolaire appuyée d’un puissant réseau social. Fils de patrons et fils de profs, aiguillés dans les bons lycées des bons milieux, ont investi les allées du pouvoir politique, puisqu’il était l’antichambre du pouvoir de l’argent. L’âge d’or s’est situé entre 1945 et 1986, lorsque l’État possédait le principal par nationalisation et nominations.

Depuis, la « privatisation » a eu lieu. Mais croyez-vous qu’elle soit sociale ? Pas du tout : les ex-fonctionnaires ont pantouflé royalement dans les prébendes. Ce sont toujours les écoles des corps d’État qui assurent le principal des patrons 2008 (dernière année de l’étude). Sauf Normale sup, reléguée au fin fond pour ignorance économique. Un tiers des patrons du Cac40 sort non seulement des grandes écoles au recrutement malthusien, mais aussi des grands corps d’État. Cette relation incestueuse démontre l’intrication du politique et de l’économique plus qu’ailleurs dans la France d’aujourd’hui. C’est dire combien il est peu adapté à la globalisation de la production et des échanges… A-t-on jamais vu encore une grande entreprise internationale nous demander un énarque pour la présider ? A l’inverse, les écoles de commerce émergent peu à peu, notamment les plus prestigieuses comme HEC, ESSEC et ESC Paris. Mais pour la France, ajouter l’ENA et passer par l’inspection des Finances reste le must.

Car la France, société de cour, fonctionne en réseau hiérarchisé. Plus vous êtes proche du pouvoir, du sommet, de l’Élysée, plus vous avez de pouvoir symbolique. Or le pouvoir symbolique se traduit, chez nous, par du pouvoir réel. Jean-Marie Messier (dit J6M : Jean-Marie Moi-Même Maître du Monde), bien que polytechnicien et énarque, n’était pas proche du cœur de ce pouvoir symbolique, ce pourquoi il a été lâché par les « parrains » (au sens mafieux) du capitalisme français. Sa société, Vivendi, bien qu’endettée, n’a pas fait faillite. C’était le signe qu’elle restait viable malgré la course aux rachats externes. Mais son PDG marginal a été éjecté. La caste se défend.

Le tableau du réseau social des entreprises du Cac 40, patiemment élaboré par les auteurs, est éclairant. Au centre du pouvoir se situent les financiers détenteurs du levier crédit : BNP-Paribas et Axa. Autour d’eux gravitent, reliées soigneusement par des conseils d’administration croisés, les entreprises du cœur : Total, l’Oréal, Air France-KLM, Vivendi, Alcatel, Lafarge, Renault. Pour celles-là, pas touche ! Aucune offre publique d’achat ou rapprochement possible sans consentement des parrains.  Tout le gotha se dresserait contre car s’y trouvent des entreprises nationales stratégiques (Total, Renault, Air France, BNP, Axa, Alcatel) et des pompes à phynance pour le pouvoir politique (L’Oréal, Total, Vivendi). Les opéables sont celles qui n’ont guère de relations avec ce pouvoir social politique et économique : Michelin, Danone, Bouygues, PPR, Accor, Vallourec, Cap Gemini, LVMH, Pernod Ricard, Arcelor…

« Le virage libéral qu’a connu la France dans les années 1980-1990 relève qu’une dynamique historique commune à tous les pays occidentaux et ne peut donc se réduire à la stratégie des élites nationales, supposant une communauté de vue et d’intérêts que les compétitions internes nuancent fortement » (p.66). Mais l’élite a bien vu son intérêt et le « service » public est resté un paravent idéologique (où catholiques voisinent avec les positivistes). Rideau de fumée bien commode pour masquer le réel : appétit de pouvoir et avidité d’argent. Les privatisations ont assuré la pérennité de l’élite hier d’État, aujourd’hui du clan des grands groupes. Rares sont les héritiers de familles fondatrices et propriétaires de l’entreprise. La majeure partie des « patrons » est mercenaire, entendus comme les PDG et autres directeurs exécutifs des sociétés cotées au CAC 40. Formés matheux au lycée et formatés par les Grandes écoles, ils défendent leur groupe restreint fait de condisciples, d’intermariages, de cohabitation dans les quartiers huppés, de formations en lycées ou prépas d’excellence, et de relations au cœur de l’État. Très peu d’étrangers dans ce nid incestueux : 23 sur 136, dus surtout aux prises de participations européennes. Évidemment très peu de femmes : 3 sur 136.

Reste la question de toute élite : celle de sa légitimité. Autant les footeux et autres tennismen ou women peuvent, sans faire scandale, s’approprier une grosse portion des ressources produites, autant les grands patrons ont peu de légitimité à percevoir golden welcome, stock options, bonus et retraites chapeaux. « Il existe une forme d’enrichissement des grands patrons qui ne subit pas d’opprobre comparable : celle de la valorisation de leur capital économique » (p.141). Les patrons propriétaires qui développent leur entreprise, créent des emplois et augmentent la notoriété de leur marque nationale, sont légitimes quand ils en profitent eux-mêmes. Ceux qui font scandale sont les mercenaires, trop souvent ex-fonctionnaires : ils s’enrichissent sans cause, avec pour seul bagage le pouvoir de leurs relations.

Comme quoi l’État, lorsqu’il se mêle d’économie, n’a pas la légitimité qu’on veut bien lui prêter pour régler la société. Plus d’État qui régule est une revendication économique légitime, réclamée par le libéralisme (voir Fernand Braudel). Mais régulation ne signifie certainement pas plus de fonctionnaires aux commandes !

Un livre passionnant qui se lit facilement et vient compléter pour l’entreprise les analyses de la bourgeoisie par le couple Pinçon-Charlot.

François-Xavier Dudouet et Éric Grémont, Les grands patrons en France : du capitalisme d’État à la financiarisation, 2010, éditions Lignes de repères, 174 pages, 17.10€

Eric Grémont est directeur de l’OPESC

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Que nous disent ‘los indignados’ ?

Les indignés espagnols initient depuis quelques semaines une façon neuve de faire de la politique : l’insurrection pacifique des non syndiqués sans-partis et au chômage. Cette jeunesse est rafraichissante, bien plus que les braillards idéologues de nos avenues pavées qui scandent du Marx ou du Guevara (sauf le mercredi et pendant les vacances) – puis s’empressent de se poser en intellos sur France Culture et dans Libération une fois leurs études passées.

Indignation : colère envers ce qui heurte la conscience morale, contre les politiciens indignes de confiance dont la légitimité apparaît imméritée. La colère n’est pas le ressentiment, elle a à voir avec la dignité et la justice, pas avec la haine sociale née de l’envie. Le ressentiment veut détruire un système, une classe et des gens haïs en faisant table rase ; la colère veut faire lever un nouvel avenir rectifié en participant à son élaboration. C’est bien la différence entre los indignados espagnols (ou la révolte arabe) – et nos intellos en herbe.

Cet écart, Victor Hugo cité par le Robert l’a démontré : « on n’est indigné que lorsqu’on a raison ». Les Français dans la rue ont des certitudes à la Hugo, le sentiment de détenir l’ultime Vérité – pas los indignados des places espagnoles. D’ailleurs les manifs parisiennes avancent, s’écoulent, cassent des vitrines en queue pour piller – pas les manifs espagnoles qui s’installent, statiques, en des lieux symboliques. Les théoriciens gauchistes ont déjà la société utopique toute prête dans leur tête, pas les pragmatiques indignés qui disent seulement ‘on est là et il faut compter avec nous’.

Carlos Paredes, entrepreneur espagnol associé d’une micro-entreprise d’informatique, explique à MyEurop pourquoi un tel mouvement spontané : « Ce que nous réclamons, c’est que le Gouvernement établisse des mécanismes pour que les gens puissent contrôler ce que font les hommes politiques. Actuellement, en dehors du vote, il n’y a pas de moyen de le faire et les élus ont carte blanche toute la durée de leur mandat. Or, le problème, c’est qu’il y a une professionnalisation de la politique et du syndicalisme qui fait que l’intérêt des élus est de rester au pouvoir le plus longtemps possible, au détriment de l’intérêt des gens qu’ils sont censés représenter. » L’Espagne est une démocratie mais il manque des mécanismes pour empêcher que les élus mettent en place des politiques qui lèsent la majorité des citoyens.

Cette revendication d’autogestion, de non-violence et de tolérance vient de loin. Elle existe aussi en France : la Résistance, le peuple contre les élites défaillantes, Camus contre Sartre, le mouvement anti guerres coloniales et la deuxième gauche avec Mendès-France puis Michel Rocard, l’aspiration européenne sociale-démocrate de Jacques Delors. Aujourd’hui encore, les citoyens français sont attirés par le centre, les sondages le montrent. Dominique Strauss-Kahn l’a un temps incarné, mais sa chute ne profite pas aux extrêmes. Les Français en ont marre des gauchistes radicaux qui veulent tout casser pour instaurer un pouvoir centralisé à leur seul profit. Ils aspirent à la paix, à la participation, aux contrepouvoirs. Comme les autres Européens.

C’est ce qu’a bien perçu Pierre Rosanvallon avec sa démocratie participative. La contre-démocratie est composée des piliers qui surveillent, empêchent et jugent. Par eux, la société en son entier fait pression sur les gouvernants, soit pour les accompagner par leur vigilance, soit pour les corriger lorsqu’ils dérapent. Pas d’apathie politique ni ces manifs fusionnelles entre soi mais une nouvelle « démocratie d’expression » par la prise de parole, « démocratie d’implication » par les moyens de se concerter (dont internet), et « démocratie d’intervention » par les formes d’action collective (p.26). Si la « démocratie d’élection » s’est érodée, les autres sont bien vivantes. Les Intellectuels se voient toujours comme des « résistants » dont le devoir est d’alerter. Or, leur véritable travail est celui d’analyse pour comprendre le réel. Ce n’est pas du théâtre mais de la recherche !

Toutes les personnes qui se réunissent à Puerta del Sol veulent un vrai changement et parlent en leur propre nom, pas en celui d’un parti. Si le campement venait à prendre fin, des assemblées de quartier sont prévues dans tout Madrid. Pas besoin de partis, de syndicats ou d’intellos en Espagne ! Chaque citoyen prend son destin en main. Dure leçon pour les Français qui aiment bien donner des leçons…

Le livre de Stéphane Hessel, ‘Indignez-vous’ est plus émotionnel qu’analytique. Son empathie généralisée est naïve, plus un constat d’impuissance qu’une ouverture vers l’avenir. Mais le succès de son opuscule ne tient pas seulement à son titre et à ce qu’on peut le lire durant un trajet en métro. Il montre la colère face aux injustices des puissants, qu’ils soient riches ou élus. A leurs postures médiatiques, leurs petites phrases, leurs coups sans lendemain. Los indignados en Espagne montrent la voie moderne à ces Français qui cherchent à rejouer sans cesse le psychodrame parisien de mai 68.

Los indignados, dossier MyEurope.info

Los indignados, Rue89

Stéphane Hessel, Indignez-vous, 2010, collection Ceux qui marchent contre le vent, 32 pages, €2.85

Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, 2006, Points essais 2008, 344 pages, €9.02

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Le festival Strauss-Kahn

La semaine s’est ouverte avec le festival de Cannes mais les canards n’en ont pas fait le marronnier annuel. Strauss-Kahn a réussi à alimenter les cancans. A peine les lampions du 10 mai éteints, le 14 mai va s’inscrire dans l’histoire des mœurs politiques. Nous avions eu Félix Faure, mort sur le tas en besognant une « connaissance » dont on retient surtout qu’elle est « sortie par derrière ». Nous avions la fille Mazarine, les mains baladeuses du président Giscard, le fils improbable de Jacques Chirac, les épouses en « a » de Sarkozy. Nous pouvons désormais chanter, avec Sœur Sourire : « Dominique, nique, nique ! »

Sauf que ça ne rigole pas au parti Socialiste. Ça ne rigole d’ailleurs jamais, tant la situation est « grave » depuis trente ans. Voyez les médiatiques : quand Hollande a commencé à ravaler ses bons mots pour faire la tronche, il a grimpé dans les sondages… Les frasques de Dominique – cherchez à qui le crime profite : à l’avenir à gauche ? pas sûr. Aux journaleux ? pas vraiment. A la France ? sûrement pas. Mais au père François pour sûr.

C’est que cette véritable honte de choc n’est pas que socialiste.

C’est toute la gauche qui s’en trouve submergée. Pas plus que le tremblement de terre japonais devenu nucléaire, cela n’était prévu. Le candidat « évident » a canné comme cela arrive : hier Delors, avant-hier Mendès-France. Un autre Kahn (Jean-François) évoque avec un mépris gourmand un « troussage de domestique ». Pour ce soixantuitattardé de la cuculture hédoniste bobo, la victime ne saurait être une femme Guinéenne payée au SMIC, mais le beau macho piégé pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Et les grandes orgues à gauche de se déployer à la télé : BH Lévy, J. Lang, et même R. Badinter habituellement mieux inspiré. Pourquoi jouent-ils les élites outragées ? Les tenants du Bien (socialiste) contre le Mal (forcément américain) ? Se prennent-ils pour la Loi et les Prophètes, ou défendent-ils le clan étroit des machistes méditerranéens ? Dans le Coran aussi la parole d’un homme vaut celle de deux femmes. Le multiculturel veut-il la maghrébisation comme antidote aux mœurs anglo-saxonnes ? La social-démocratie a donc du plomb dans l’aile, le jacobinisme botté époque Mitterrand relève la tête. La gauche pétainiste se retrouve une morale, celle du peuple contre les élites. Mélenchon s’en réjouit ouvertement, disant qu’un boulevard s’ouvre à lui tout seul pour rassembler « à gauche ». Il veut dire dans le style 1793, citoyens en armes, j’veux voir qu’une tête, le peuple dans la rue et les accapareurs au bout d’une pique.

C’est toute la médiacratie qui a failli. Des complaisances à ne pas gêner un partisan du même bord pour ne pas « retarder l’Histoire ». Des habitudes machistes méditerranéennes décrites avec indulgence, du « qui va garder les enfants » Fabius au soutien ouvert à ce violeur d’une gamine de treize ans Polanski, c’est toute une génération de journalistes qui montre son manque de professionnalisme. Ils préfèrent « l’investigation » sur le racisme présumé du sélectionneur de l’équipe de foot à l’enquête sur la maîtrise morale d’un candidat au poste suprême. Les citoyens peuvent-ils croire ces histrions qui paradent à la télé ou font la morale dans les journaux, quand ils constatent une telle faillite de la vigilance ? Un regard toujours rose du moment qu’il s’agit d’un homme de gauche ? C’est qu’on a bien plus invoqué la « présomption d’innocence » pour Dominique Strauss-Kahn que pour Eric Woerth, par exemple ! Ce pourquoi la théorie du Complot a fleuri aussitôt et que le sentiment anti-élite du « tous pourris » a de beaux jours devant lui.

C’est toute la France qui s’en trouve salie. Rabaissée au niveau du mépris pour les femmes des religions du Livre, elle qui se dit laïque, fait une loi sur le voile et conserve l’arrogante habitude de faire la morale au monde entier. Le monde entier a les yeux sur ce Français cosmopolite chef du Fonds monétaire international, expert en macro-économie mais incapable de se maitriser devant un cul. De quoi renforcer ceux qui préfèrent la Corrèze au pèze et Tulle à la bulle, s’affirmant du terroir et pas né hors sol. Car le sexe n’est pas honteux s’il est partagé entre adultes. Libertinage n’est pas cuissage, n’en déplaise aux notables qui se sont toujours cru au-dessus des lois. Toute séduction implique le consentement. L’Amérique a raison de garder au frais Strauss-Kahn en attendant son jugement. Juste retour de bâton du réel pour nos intellos-médiatiques qui savent mieux que tout le monde qui « doit » être innocent ou coupable, de Polanski à Batisti, jusqu’à la mère de Tristane, journaliste « violée » il y a dix ans par le Dominique et que le prestige notable et les convenances politiques ont « empêché » de porter plainte. Au point de ne pas craindre d’être ridicule à profiter de l’actuelle curée.

Le choc a montré la France qui cause dans le poste à nu : hystérique, haineuse, ignare. Plus le présumé coupable est riche et célèbre, plus les hyènes jalouses crient au scandale et plus les copains de parti nient la réalité. On accuse les puissances d’argent, la CIA, la justice américaine. C’est bien la peine de boire à longueur de journée du Coca en surfant sur son Smartphone Apple, se gavant de mac-bourgeois et de séries télé américaines, tout en portant des jeans Lévi-Strauss ! A quoi cela sert-il de lire des romans policiers ou de se pâmer devant les feulm’ hollywoodiens projetés à Cannes, si c’est pour ne rien comprendre au fonctionnement judiciaire des États-Unis ? Après Outreau, l’interminable procès Chirac et les non-lieux politiques, a-t-on vraiment « la meilleure » justice du monde ? Quelle détestable arrogance doublée d’ignorance jacobine ! L’affaire DSK sera peut-être le titre d’un prochain feulm’ (toujours prononcé à la bobo sur France-cul). Il montrera le provincialisme franchouillard dans la globalisation du monde, le rejet de tout ce qui n’est pas terroir bien de chez nous. Il suffit d’écouter les groupes en voyage en avion sur la bouffe, les hôtels, la propreté, la politesse, pour s’en faire une idée…

Quelles conséquences politiques ?

La gauche de gouvernement va devoir se choisir un autre candidat crédible. Hollande ou Aubry sont bien placés, le premier plus que la seconde parce que lui a envie d’y aller malgré son absence de charisme. Mais il ne devrait au moins pas y avoir de surprises côté mœurs.

Le choc doublé du ressentiment anti-élite friquée cosmopolite aurait pu faire monter l’extrémisme. Or ni Le Pen ni Mélenchon ne semblent pour l’instant en profiter. Une semaine après la valse de Strauss-Kahn, la modération semble l’emporter dans les souhaits pour 2012 (sondage Ipsos-Logica-LeMonde du 18 mai). Ce qui ramène Marine à un étiage qui ne lui permettra peut-être pas de passer au second tour.

Ce qui ouvre un boulevard pour le centre, bien pressuré ces derniers mois entre une droite récupératrice pour un vote utile et une gauche séductrice avec Dominique. Sa sortie de course rejette le PS vers la gauche. Une partie des centristes qui auraient pu voter Strauss-Kahn ne voteront ni Aubry ni Hollande.

Il pourrait donc y avoir rassemblement à gauche, mais tiré vers le mitterrandisme tradi et le style Mélenchon ou Chevènement. Un peu juste pour séduire en-dehors de l’antisarkozysme. Car la gauche ne peut gagner sans des voix du centre…

Il pourrait y avoir dispersion à droite, les gens du centre allant au premier tour sur les quatre ou cinq candidats potentiels, de Villepin à Hulot en passant par Bayrou et Borloo. Nicolas Sarkozy pourra-t-il alors accéder au second tour ? Mais la dispersion du centre ne permettra pas d’aligner un candidat centriste crédible contre un candidat de gauche…

Les jeux restent donc très ouverts et il n’est pas impossible que, comme aux échecs, Nicolas Sarkozy ne puisse assurer un second mandat. Il profiterait du désarroi partisan à gauche, du discrédit moral de la gôch intello-médiatique, de la perte de compétence mondiale sans Dominique Strauss-Kahn alors que montent les problèmes mondiaux : la Chine, les révoltes arabes, l’éveil de l’Afrique, l’essor de l’Amérique du sud et les faillites d’États de la zone euro.

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Vers une démocratie écologique ?

Article repris par Medium4You.

L’écologie est à mon sens l’avenir de la pensée politique. Elle va remplacer un « socialisme » à bout de souffle faute d’avoir fait évoluer la doctrine XIXe dans un monde qui a fort changé. Il est donc intéressant de sonder les écrits qui tentent de « penser » la nouvelle politique qui tient compte de la globalisation du climat, des échanges et de la compétition pour les ressources. Dominique Bourg et Kerry Whiteside, respectivement géoscientifique suisse et politologue américain, ont cosigné ce livre paru au Seuil fin 2010. Touchant de près la politique, il a fait l’objet d’un colloque entre administratifs en octobre, auprès du ministre Nathalie Kosciusko-Morizet. La salle était trop étroite, j’y étais, pour accueillir tout ce monde avide de savoir à quelle sauce ils allaient être mangés…

Pour les auteurs, l’écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des politiciens. Car ce sont des mains faibles, tourmentées par le seul court-terme en vue de leur réélection dans leur petite circonscription. Ce pourquoi la dégradation globale de l’environnement et son aspect invisible et cumulatif ne sont pas vendeurs. Le contrat social érige un gouvernement représentatif qui protège les droits des individus en se chargeant de leurs intérêts communs, mais tout ce qui sort de la perception ici et maintenant du commun y échappe. Les auteurs proposent donc de changer de contrat.

Exit l’élection comme fin en soi, place aux experts. Préserver la biosphère devrait pour eux être inscrit dans la Constitution, une Académie du futur être créée pour éclairer les ignares. Mais surtout le Sénat serait nommé « par tirage au sort » sur une liste de « scientifiques internationalement reconnus dans leur spécialité », liste agréée par des ONG environnement. Cette haute assemblée nationale pourrait opposer son veto à une loi contraire au long terme de la planète et examinerait toutes les décisions qui en ressortent. Des « jurys citoyens » seraient mis en place pour diffuser la bonne parole et convaincre la base du bien-fondé de tout ça.

Nous sommes bien conscients des difficultés à envisager un modèle économique « de décroissance », qui ne fasse pas du « toujours plus » l’alpha et l’oméga du bien-être humain. Rien que le découplage entre pays développés et pays en développement transformerait en quelques années nos pays en déserts industriels, étroitement dépendants de la bonne volonté exportatrice des pays producteurs. L’Europe serait réduite à un parc d’attractions touristiques où le seul emploi serait le service à la personne. Ce que Houellebecq a parfaitement décrit dans les derniers chapitres de son dernier livre, ‘La carte et le territoire’.

Mais il nous semble que la proposition du Suisse et de l’Américain cumulent les travers des systèmes politiques de chacun de leurs pays d’origine. Il s’agit d’instaurer un fascisme de consensus (à la Suisse) où la bonne parole est délivrée d’en haut par ceux qui savent (à l’américaine). La conviction serait entonnée par la propagande des jurys communautaires où chacun n’ose pas penser autrement que la foule. Son application serait du ressort d’une assemblée de spécialistes nommés (et non plus élus) par des organisations autoproclamées.

La démocratie n’est certainement pas le meilleur des régimes, mais il l’est par exception de tous les autres. Faut-il en revenir au vote censitaire sous prétexte que « les gens » sont ignorants du long terme et de l’invisible climatique ?

Le débat démocratique, bien loin des cercles fermés entre spécialistes – met tout sur la table. Les électeurs n’ont pas forcément le culte du court terme ni de leur seul intérêt personnel. Avant de casser le thermomètre, peut-être faudrait-il l’affiner ? Compter autrement « la croissance » ? La commission Stiglitz a testé quelques pistes en France, tandis que le Genuine Progress Indicator (progrès authentique) a été élaboré par un institut californien. Pourquoi ne pas explorer ces pistes ?

Si l’écologie ne convainc pas, surtout en France, c’est surtout parce que le personnel politique des partis écologistes est d’une indigence rare. Comment confier le pouvoir de diriger un État à un histrion de télé, à une diplômée en géographie qui place le Japon dans l’hémisphère sud ou à une juge rigoriste ? Tous ces gens ont leurs qualités, mais dans leur domaine particulier. Ils n’intègrent en rien l’intérêt général puisqu’ils ne parlent guère d’économie ou d’emploi, sinon par de grandes fresques vagues où l’on rasera gratis au paradis retrouvé. Mais qu’en est-il concrètement des grèves des cheminots qui obligent à prendre sa voiture ? De la hausse du prix de l’essence et du gaz ? De la production d’électricité si elle n’est plus nucléaire (Hulot vient d’y réfléchir, il parait…) ? De la vie quotidienne des vraies gens ?

L’idée même d’un parti politique exclusivement consacré à la défense de l’environnement est un non-sens politique. Les électeurs le savent bien, moins bêtes qu’ils ne paraissent aux élites universitaires. La politique prime, qui est la vie complète de la cité ; l’environnement est une cause seconde qui doit être dans tous les partis. Ne choisir « que » l’environnement est une régression pétainiste (la terre seule ne ment pas) et aboutit au retour du moyen-âge (panier bio local, vélo et trains quand ils ne sont pas en grève, emplois de proximité exclusivement dans les services à la personne, maisons en terre et chaume chauffées par la seule orientation et la circulation d’air entre sol et plafond…).

L’échec du raout écolo-mondial de Copenhague a montré l’illusion des bobos nantis. Les pays riches croient délivrer la bonne parole en même temps qu’affirmer le bon sens en enrôlant des scientifiques pour dire « le vrai ». Mais les ONG environnement ne sont pas le gouvernement mondial, personne ne les a élues. Ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil, ni les autres, ne se sont privés pour le dire ! L’arrogance des riches à mettre le couvercle sur le développement des pauvres, sous prétexte de religion pour la Terre mère a quelque chose d’indécent. Cela ne veut pas dire que la question des ressources rares, des pollutions et du climat ne se posent pas. Mais qu’on ne décide pas entre spécialistes, mis en scène de façon tapageuse par les orchestres médiatiques, mais par la politique internationale. Or la politique arbitre entre les intérêts, elle n’est pas qu’un spectacle. Les gens se laissent amuser quand le sujet leur est indifférent (les promesses qui n’engagent pas, les amours du président ou le mariage princier), mais ils se saisissent de la décision quand ils jugent que l’équilibre des intérêts est nettement en leur défaveur.

Le pire de la dégradation de la terre, disait le commandant Cousteau, est le nombre des hommes. Que disent les écolos sur la démographie ? Restreindre la natalité dans les pays pauvre, est-ce un tabou religieux ? Dès lors, qu’a donc de « scientifique » cet oubli volontaire dans la politique des ressources et du climat ?

La politique, justement, ne se réduit pas à l’application rationnelle du savoir scientifique. Tout cela sent par trop son saint-simonisme XIXe, récupéré par Marx et ses épigones activistes au nom d’une prétendue Loi de l’histoire. La politique est l’art de convaincre en vue d’un projet commun. Or tout ce qui consiste à « défendre » et à proposer aux gens du « moins » n’a rien d’un projet mais tout d’une contrainte. Aménager notre planète commune peut être un projet, mais les savoirs très spécialisés des domaines climatiques et biologiques ne font pas une politique. Faire avancer sa cause sans jouer le jeu des urnes, c’est se défiler devant la responsabilité. C’est bien universitaire… Tellement persuadé de « sa » vérité, proclamée « scientifique », que seule une avant-garde éclairée pourrait gouverner le monde et corriger malgré eux ces « enfants » ignares que sont les électeurs. Lénine l’a tenté avec les inconvénients qu’on sait. La proposition Bourg & Whiteside, reste dans ce droit fil du savant politique, qui n’a rien à voir avec la politique mais tout avec l’illusion de tout savoir.

Ce néo-socialisme a tout pour séduire nos élites technocrates qui se croient déjà supérieures pour avoir subies le tamis des « grandes écoles », et délivrées de tout souci matériel comme d’avenir pour être fonctionnaires à statut garanti. Mais le peuple, lui, qui aura sans doute son mot à dire, pourra n’être pas d’accord avec cette main basse sur la décision au nom du despotisme éclairé !

Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique, Seuil La République des idées, octobre 2010, 103 pages, €10.93

La présentation au Centre d’analyse stratégique sous le patronage de Nathalie Kosciusko-Morizet

A propos des auteurs

Dominique Bourg est membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne. Il a publié « Parer aux risques de demain. Le principe de précaution » (Seuil, 2001), « Le Nouvel Âge de l’écologie » (Descartes & Cie/ECLM, 2003) et « Le Développement durable. Maintenant ou jamais » (Gallimard, 2006).

Kerry Whiteside est professeur de sciences politiques au Franklin and Marshall College, en Pennsylvanie. Il a publié « Divided Natures: French Contributions to Political Ecology » (MIT Press, 2002) et « Precautionary Politics: Principle and Practice in Confronting Environmental Risk » (MIT Press, 2006).

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