La mode célèbre le 18 juin mais, en 1940, il y avait très peu de Jean Moulin – seulement 12 200 personnes à l’été. En Gaule un seul de Gaulle, selon les témoins. L’un des plus improbables vient d’un grantécrivain oublié parce que son époque refuse la vertu et préfère l’idéologie allemande à la sagesse antique. Réformé pour blessure après la guerre de 14, qu’il a faite, Henry de Montherlant s’engage comme correspondant de guerre en mai 1940. Il peut observer tout ce qu’a décrit Marc Bloch dans L’étrange défaite : la bureaucratie, l’impéritie du commandement, la politichiennerie. Mais, comme il est écrivain plutôt qu’historien, il va plus loin.
Il rappelle que Saint-Simon, Byron, Rousseau et Chateaubriand, entre autres, disaient des Français qu’ils étaient courtisans, ne faisant rien que par mode et contagion. « Il faut faire comme les autres : c’est la première maxime du pays », selon Rousseau. Faites et dites comme les autres, disait Louis XIV au duc de Saint-Simon (p.1510). La Cour autrefois, les journaux avant 1940 et la télé aujourd’hui, formatent l’opinion commune. « La foule s’y engouffre, dit Montherlant, son rêve millénaire est de ‘penser’ en commun » (Le solstice de juin, p.903). Eloquence parlementaire, parlotte médiatique, enflure hugolienne – « Nous sommes imbibés de paroles. Et notre mollesse ne vient-elle pas en partie de cette imbibition ? » A la radio « revient le règne des hommes-disques ». Ils « font tourner frénétiquement, et presque inconsciemment, les moulins à couplets : couplets d’espoir, couplets de confiance, couplets de chauvinisme, couplets d’adulation. » Vice du verbiage, des petites phrases et du n’importe-quoi-pourvu-que-ça-mousse… tellement à la mode en politique, dans la France actuelle, toujours.
Ecrit en 1942 et refusé par tous les journaux sous le gouvernement Pétain, Montherlant parodie la bêtise collectiviste de la Révolution nationale dans une ‘lettre persane’ intitulée Les zanfandeyzécols (Textes sous une occupation, p.1449). La population d’une petite ville de province est conviée « impérieusement » à la fête du Travail « pour y célébrer le culte du gouvernement ». La société de Cour, retournée à l’Ancien régime, fonctionnait à plein. « Il y avait là les corps constitués ; les fonctionnaires, fonctionnant à plein gaz, car ils tremblaient pour leur fonction ; la police en uniforme et de préférence en civil ; le clergé, toujours affamé de coller au pouvoir, dans l’espoir d’être confondu avec lui ; tous les citoyens, certains convaincus de l’excellence du gouvernement, les autres de l’excellence de la liberté personnelle, qu’ils avaient chance de perdre si leur zèle était suspecté ; enfin, au grand complet, cette puérile brigade des acclamations, dont le nom seul nous indique que nous sommes chez les Turcomans, les ‘zanfandeyzécols’, et qui est d’un si grand secours à tous les gouvernements du monde. Les zanfandeyzécols, vu leur âge, ne peuvent être que la complaisance même ; ils approuvent tout ce qu’on veut et, s’il le faut, à trois semaines de distance les idéaux antagonistes, avec un enthousiasme d’autant plus enthousiaste qu’ils ne savent jamais de quoi il s’agit. »
Ces maréchalistes feront bientôt de bons communistes. Mais ne rions pas : ils furent aussi de parfaits robespierristes et le Mélenchon d’aujourd’hui rêve d’en faire de bons gauchistes… Toujours ce rêve de l’unité fusionnelle, de la ruche à Reine pondeuse et experts affidés, du citoyen sans cesse mobilisé pour faire la guerre à tout ce qui n’est pas la mode politique, l’idéologie du moment, la parole cheftaine. Montherlant oppose aux zanfandeyzécols trois petits sauvages qui font du feu tout seuls dans la montagne, résistant au troupeau. De futurs gaullistes, peut-être…
Car si la mode glorifie la Résistance, c’est à ces allergiques à la ruche, aux réfractaires à ces mots d’ordre collectifs que la Résistance existe. Il y a donc quelque contradiction à prôner le « j’veux voir qu’une tête » des partis totalisants d’aujourd’hui (Mélenchen le Pont), en même temps que chanter un hymne à la Résistance complaisant (aux extrêmes gauche et droite) !
La fraternité, cet idéal français, est autre chose que ce collectivisme que les partis veulent imposer pour se servir des gens. Montherlant le décrit en 1941 dans Le solstice de juin. Il cite un souvenir personnel, le défilé du 24 mai 1936. « Dans ce spectacle, il n’y avait (…) rien pour le lyrisme. Il ne s’agissait pas ici de la noblesse des sentiments, mais du naturel des sentiments. La grandeur venait d’une unanimité en vue d’une requête qui était naturelle et juste, qui demandait seulement que quelque chose fut fait qui atténuât en ces hommes le sentiment séculaire de leur dégradation (à quatorze ans, les mains pourries pour la vie après un mois de travail) ; qui leur donnât en une année plus de cinquante jours de vie vivable ; qui les rendît moins à la merci de tous, et d’eux-mêmes. (…) Je n’aimais pas ce mot de ‘camarade’, à la mode en ce temps-là, quand c’était un homme politique ou un littérateur qui en usait : j’y croyais sentir alors une pointe de pose. Mais il me touchait dans la rue, dit par un obscur, et employé avec le ‘vous’ : « Camarade, ne poussez pas… » (…) Le ‘vous’ reconnaissait une inégalité fatale de conditions, inhérente à la société comme à la nature ; le ‘camarade’ joint à lui, laissait entendre qu’avec un peu d’intelligence, de bonne volonté et de générosité (…) la camaraderie pouvait subsister par-dessus cette inégalité » (p.929).
Car la fraternité vécue ne va jamais sans liberté… La révolution de 1789 fut libérale, la gauche l’oublie bien trop souvent au profit de sa phase 1793 dictée par Robespierre. La fraternité n’est ni l’encasernement partisan, ni l’unanimisme forcé de gouvernement, ni la terreur du penser-unique.
Montherlant relève du libéral anglais Stuart Mill, dans ses Carnets d’époque : « Le simple exemple de non-conformité, le simple refus de s’agenouiller devant la coutume est en soi-même un service. Précisément parce que la tyrannie de l’opinion est telle qu’elle fait un crime de l’excentricité, il est désirable, afin de briser cette tyrannie, que les hommes soient excentriques » (Carnet XX p.1012).
Ce sont les marmousets qui jouent dans la montagne contre les zanfandeyzécols rameutés en ville. Ce sont les Anglais volontiers excentriques, ce pourquoi ils n’ont jamais accepté le fascisme chez eux (forçant à la démission leur roi Edouard VII fasciné par Hitler). Le contraire des Français, si volontiers à la mode comme le raillait déjà Rabelais avec les bêtes du sieur Panurge – ce pourquoi ils ont suivi en masse le Maréchal, son armistice, sa collaboration et son retour à la terre.
La mode est aujourd’hui d’aller contre la mode – et cette contradiction ne choque en rien la fraction inculte du showbiz, de la politicaille et des médias… Souvenons-nous bien que ladite mode célèbre le 18 juin et que, en 1940, il y avait très peu de Jean Moulin, toute la Gaule ne comprenant qu’un seul de Gaulle.
Henry de Montherlant, Essais, Pléiade Gallimard 1963, 1648 pages, €62.00
Henry de Montherlant sur ce blog




























































Dix ans de blog !
Le 8 décembre 2004, sur l’invitation du journal Le Monde, j’ouvrais un blog : fugues & fougue. Ce curieux « journal intime » électronique venu des États-Unis était devenu à la mode avec l’élection présidentielle de George W. Bush et, dans la perspective des présidentielles à venir 2007. Comme pour renouveler l’intérêt des abonnements qui s’effritaient, le « quotidien de référence » voulait se brancher bobo.
Ma première note a porté sur le programme que je me proposais : « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. » Ma conviction était et reste toujours que « le monde est beau et triste ; les humains sont la plus grande source de joie et la pire source d’horreurs – nous ne sommes pas des dieux. Hélas. Retenons ce qui fait vivre. » Je m’y suis tenu, alternant lectures, voyages, témoignages et opinions. J’ai toujours pensé que le blog était l’alliance idéale entre écrit et oral, spontanéité et réflexion : « l’écriture devient dialogue, avec ce recul de la main qui fait peser les mots et garde l’écrit moins évanescent que la parole ».
Sauf que, comme beaucoup, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles, l’équivalent du bouton « j’aime » des rézozozios (avec l’option « va te faire foutre » en plus), une « réaction » plutôt qu’une réflexion. Au départ libertaire (toute opinion est recevable), je suis désormais responsable (directeur de la publication), donc attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spams et physing etc.) – que je censure désormais sans aucun état d’âme.
L’intérêt du blog a été multiple :
• M’obliger à écrire quotidiennement, donc à préciser ma pensée et à choisir mes mots, évitant de rester comme avant (et comme beaucoup) dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.
• Exiger de moi un autre regard pour observer ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Écrire oblige, comme la noblesse, rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble. Donc pas d’émotion de l’instant, comme ces naïfs qui croyaient que j’émettais mes notes en plein désert, lors du voyage au Sahara !
• M’offrir l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie pour chroniquer), témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueur du monde.fr, puis d’autres).
• Donner aux autres – mes lecteurs – ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées). Enrichir, poser des questions, offrir une tentative de réponse.
Je pensais au départ échanger des idées ou des impressions de voyages en forum – bien mieux que la triste réalité… car j’ai plus donné que reçu. Peut-être parce que mon blog est resté généraliste et non spécialisé dans ces micro-domaines dans lequel les commentaires aiment à se développer (la cuisine, la politique, les hébergements, les complots…). J’ai été beaucoup repris – et c’est tant mieux (si l’on indique la source).
Les rencontres avec les blogueurs ont été intéressantes, dès avril 2005 au Café de l’Industrie à Paris, puis à Montcuq en août. Des amitiés sont nées, qui résistent parfois au temps (Jean-Louis Hussonnois (hélas parti trop tôt), Virginie Ducolombier, Yann Hoffbeck, Véronique Simon, Alain Ternier, Daniel Baudin, Guilaine Depis…) et d’autres non (Frédéric, Laurence, Huu, Céline, Philippe, José, Gérard, Katrine, Jean-Pierre, Jean-Marie, Lunettes rouges, Versac, Arthur…). Le « jouet » blog a vite lassé la majorité des bobos du monde.fr. Leur narcissisme a trouvé plus ludique et moins fatiguant de lâcher une phrase, une photo ou un lien vidéo sur leur fesses-book. D’autres ont voulu faire de leur blog et des réunions de « blogueurs de référence » quelque instrument au service de leur ambition politique. La dernière rencontre a coulé à Coulon en 2007 ; personne n’a semblé regretter depuis lors.
Dix années m’ont permis d’apprendre ce qui convient et ce qui plaît, même si je n’applique pas forcément les recettes intégrales du marketing. Il est nécessaire :
• « d’écrire blog » : c’est-à-dire court, voire en points-clés qui reviennent à la ligne
• d’illustrer : les images (prises par moi, reprise sur les moteurs, ou retravaillées) sont les principales requêtes qui font venir les visiteurs
• de donner toujours les références : soit en lien, soit à la fin (même si certains blogs « interdisent » d’être cités…)
• de varier les plaisirs offerts aux lecteurs : en variant les thèmes – tout en les regroupant en « catégories » pour la commodité (colonne de droite, après « commentaires récents ») – même si certains lecteurs pas très doués « ne trouvent pas » (il y a toujours le carré « rechercher », juste sous la pensée, qui permet de trouver ce qu’on veut dans le blog avec un seul mot-clé).
Je ne regrette rien, j’ai même été sélectionné dans les favoris du monde.fr… jusqu’au 17 novembre 2010 où lemonde.fr a planté tous les blogs. Sans rien dire avant deux jours entiers. L’explication donnée n’est pas plus intéressante : « Après vérification, il apparaît que certains éléments composant votre blog (photos ou sons) ont été effacés lors de cet incident et n’apparaissent donc plus. » Autrement dit, lemonde.fr n’a aucune sauvegarde, pas de back up. A se demander s’ils ont la compétence de leur ambition. Il fallait payer (l’abonnement au journal) pour bloguer. Malgré le plaisir des 2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans, c’en était trop. L’indépendance technique était indispensable.
Celle d’esprit aussi, car Le Monde prenait une tonalité « de gauche bien-sûr » tellement conventionnelle (intello-parisiano-bobo) que c’en devenait pénible. L’accaparement de Télérama puis du Nouvel Observateur ont ajouté à cette dérive de prêt-à-penser socialiste modéré bien « comme il faut ». On peut être de gauche sans être au parti socialiste ni lire Le Monde ou le Nouvel Observateur. On peut aussi ne pas être de gauche mais de droite ou du centre – ou d’ailleurs.
Argoul.com est humaniste et libéral, au sens des Lumières, volontiers libertaire mais pas naïf sur la nature humaine. Il n’est pas, pour moi, de fraternité sans liberté, alors que l’égalité ne permet aucun lien social quand elle est poussée aux extrémités jacobines ou collectivistes – ni, dans l’autre sens, du « j’ai tous les droits » anarchiste ou libertarien. Ce qui est trop souvent le cas ces derniers temps.