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Alain de Benoist, Mémoire vive

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Mon attachée de presse favorite m’a prêté le livre d’un « sulfureux » intelligent. Connaissant la propension à l’anathème des idéologues aussi sectaires qu’envieux qui dominent trop souvent les médias en France, je me suis dit qu’il serait intéressant de savoir ce qu’un intellectuel qui n’est pas « de gauche » (espèce devenue rare) pouvait avoir à dire sur le monde d’aujourd’hui.

L’itinéraire qui va de nationaliste révolutionnaire à 16 ans au fédéralisme écologique à 70 ans mérite qu’on s’y arrête.

S’il a été dans le « mauvais » camp (comme disent ceux qui détiennent la Vérité), il a largement évolué. Autrement que ces Maos qui voulaient dynamiter le système bourgeois… et qui se retrouvent aujourd’hui bons bourgeois repus et nantis, occupant des positions de pouvoir un peu partout dans les médias, la politique et les universités, voire à l’Académie.

Ni droite ni gauche, ni révolutionnaire ni conservateur – mais conservateur révolutionnaire : tel se veut le militant de la Nouvelle droite et Alain de Benoist est son prophète. Près de 70 ans après être né, 40 ans après son mariage qui lui a donné deux garçons, un bilan paraissait nécessaire. Qu’en a-t-il été de cette vie consacrée aux idées ? vouée à la militance intellectuelle ? appelée à prêcher dans le désert ?

Il a manqué à Benoist la discipline de la thèse et l’exigence universitaire pour accoucher d’une œuvre.

Certes, il a beaucoup écrit, mais que reste-t-il au fond ? Des messages d’intellectuel engagé, pas une philosophie originale, ni même une politique. Sa cohérence sur la durée existe, mais où est-elle exposée ? Vu de droite – Anthologie critique des idées contemporaines en 1977, recueil d’articles (déjà) relus et augmentés, était une étape qui n’a pas connu de véritable suite. Alain de Benoist est comme Gabriel Matzneff (l’un de ses amis) incapable semble-t-il d’une œuvre construite, trop dispersé dans l’actualité, trop soucieux de tout avoir lu, de tout englober pour « prendre position ». Sa façon d’écrire, par paperolles découpées ajustées bout à bout, me rappelle la façon empirique dont j’ai composé mon premier livre à 17 ans (jamais publié) ; j’ai bien évolué pour les suivants (publiés).

Il est symptomatique que ces mémoires ne soient pas « un livre » mais une suite d’entretiens. Ils auraient pu être publiés en vidéo ou en CD. La table des matières découpe en cinq périodes l’existence : l’enfance, la jeunesse, la Nouvelle droite, un chemin de pensée, un battement d’aile. Le tout suivi d’un index des noms propres de 12 pages ! Il y a de l’encyclopédie, donc du fouillis, dans cette Voie dont le questionneur tente – un peu vainement – une cohérence. Elle est chronologique, ce qui correspond à une constante de Benoist : la généalogie, l’accès aux sources, le jugement à la racine.

alain de benoist

D’où l’importance de l’enfance et de la jeunesse pour comprendre le personnage qu’il s’est composé, puisque sa méthode même nous y incite.

Fils unique de fils unique, Alain est né à Tours en 1943 ; il en garde peu de souvenirs, monté à Paris à 6 ans, rue de Verneuil. Il a des origines nobles et populaires, un ancêtre paternel italien vers 880 devenu écuyer du comte de Flandres, dont les descendants naîtront et prospéreront en Flandre française. Par sa mère, il vient de paysans et artisans bretons et normands. « Aucun bourgeois », note-t-il, bien que sa propre existence parisienne dans les beaux quartiers ne soit en rien différente des petits de bourgeois qu’il fréquente, ni la profession de son père (commercial pour Guerlain) plus aristocratique que celle des autres. Lecteur invétéré depuis tout jeune, collectionneur effréné de tout, cinéphile passionné, exécrant tout sport mais adorant les animaux lors de ses vacances au château grand-maternel d’Aventon (près de Poitiers), il est solitaire « mais jamais seul », a « beaucoup de copains » mais aucun ami car il se dit timide et hypersensible. Il a été louveteau mais jamais scout, reculant au moment de la puberté.

Ses goûts (peut-être reconstruits) sont déjà orientés : il aime bien les livres de la collection Signe de piste mais avec les illustrations de Pierre Joubert, Alix en bande dessinée mais pas Batman, Hector Malot mais pas Bob Morane ; il préfère l’Iliade à l’Odyssée, les contes & légendes aux romans, il aime Sherlock Holmes et la science-fiction. Il peint dès 14 ans mais, là encore, ses goûts sont « idéologiques » : à l’impressionnisme il préfère l’expressionnisme, à l’abstrait le surréalisme… S’il aime le jazz, il déteste le rock ; s’il apprécie la chanson française, c’est uniquement du classique : Brassens, Brel, Ferré, puis Moustaki et Ferrat. Comme Céline, il déteste la saleté étant enfant. En psychologie, il préférera évidemment Jung à Freud.

Il fréquente le lycée Montaigne en section A-littéraire, puis Louis-le-Grand. L’époque était très politisée et, à 16 ans, il s’engage en politique auprès de la FEN (Fédération des étudiants nationalistes) moins par conviction qu’attiré par la bande de jeunes qu’il fréquente le week-end à Dreux, dans la résidence secondaire de ses parents. Par sa fille de 14 ans, il y fait la connaissance d’Henri Coston, antisémite notoire et ex-membre du PPF de Doriot chargé des services de renseignements ! Le jeune Alain est fasciné par ce personnage tonitruant, adepte de la fiche et qui vit de ses publications. Lui vient de découvrir la « philosophie comme grille d’interprétation du monde » p.53 et rêve de vivre de sa plume et de ses idées, comme Montherlant dont il admire le beau style et le masque aristocratique (le masque est peut-être une clé d’Alain de Benoist).

Coston le présentera à François d’Orcival, chef de la Fédération des étudiants nationalistes, et il suivra le mouvement contre la marxisation de l’université et pour l’Algérie française (lui-même n’avait aucune opinion sur l’Algérie, officiellement « département français » et pas « colonie »). La révolte des pied-noir pouvait être le détonateur d’une révolution métropolitaine attendue, tant la IVe République apparaissait comme « la chienlit ». Il devient secrétaire des Cahiers universitaires où il publie ses premiers écrits, puis rédacteur exclusif d’un bulletin interne. Il participe aux camps-école et se veut soldat-politique : « tu dois tout au mouvement, le mouvement ne te dois rien » p.65. Cheveux courts, idées courtes – auxquelles je n’ai jamais pu me faire, à droite comme à gauche.

S’il poursuit une licence en droit et une licence de philo en Sorbonne, s’il passe même un an à Science Po, il ne se présente pas aux examens car ce serait accepter « le système ». Où l’on voit que l’extrême-droite était aussi bornée que l’extrême-gauche en ces années « engagées ». Attaché par tempérament à Drieu La Rochelle, il prend comme pseudonyme évident Fabrice (le Del Dongo de Stendhal) Laroche (Drieu La Rochelle). Il rencontre ceux qui deviendront ses plus vieux amis, Dominique Venner et Jean Mabire dont le fils Halvard gagnera des courses à la voile. Le militantisme était une « école de discipline et de tenue, d’exaltation et d’enthousiasme, une école du don de soi » p.83.

nouvelle ecole oswald spenglerEn 1968, avant les événements de mai, il est embauché comme journaliste et, journaliste, il le restera.

D’abord à l’Écho de la presse et de la publicité, puis au Courrier de Paul Dehème, lettre confidentielle par abonnement. Avec quelques dissidents de la FEN qui ne veulent pas poursuivre l’activisme politique, il fonde en février 1968 la revue Nouvelle école, en référence au syndicaliste révolutionnaire français Georges Sorel, puis, les 4 et 5 mai, le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) qui donnera ses fondements doctrinaux à ce que les journalistes appelleront « la Nouvelle droite ». Commence alors une « période de flottements » et de « scories droitières » (dit-il) jusqu’à la fin de l’expérience Figaro-Magazine sous Louis Pauwels, au début des années 80. Il publie sur les traditions d’Europe, visite avec quelques « amis » (on disait « camarades » à gauche au même moment) les hauts-lieux européens. Il préfère naturellement l’Allemagne, l’Italie et la Scandinavie au reste. Le journalisme à Valeurs actuelles et le Spectacle du monde le firent voyager dans le reste du monde, dont il ne connaissait, hors d’Europe, que les États-Unis.

Une campagne d’intellos cathos de gauche bobo au Monde et au Nouvel observateur a été déclenchée à l’été 1979 par crainte du succès populaire du Figaro-Magazine et pour raviver « le fascisme », bouc émissaire facile de tous les manques à gauche. Classique bataille pour « les places » dans le système, pour cette génération tout juste issue de 68 et qui avait les dents longues. La publicité faite autour de la polémique a évidemment l’effet inverse à celui recherché : Alain de Benoist devient célèbre et la Nouvelle droite est considérée tant par les radios et les télévisions que par les hommes politiques, les universitaires et même à l’étranger. Alain de Benoist reçoit le Grand prix de l’essai de l’Académie française pour Vu de droite, participe jusqu’en 1992 à l’émission Panorama sur France-Culture et planche même devant les Services, appelé par Alexandre de Marenches, patron du SDECE. A cette date, le libéralisme consumériste et financier américain devient pour lui « l’ennemi principal » p.140.

Commence le chapitre 4 sur les idées, malheureusement pas aussi clair qu’on l’aurait souhaité, indigeste, souvent filandreux, parfois jargonnant.

Les questions introduisent une suite de fiches sur un Alain de Benoist « idéologiquement structuré ». Le naming, cette manie américaine, est l’une des plaies de l’auteur : il ne peut exposer une idée sans la barder de citations. Peut-être pour se rassurer, ou pour mouiller idéologiquement les auteurs, ou encore montrer combien il se rattache au mouvement des idées. Mais pourquoi a-t-il accentué cette écriture mosaïque par rapport à ses premiers écrits ?

Selon moi, deux axes donnent sens à tout le reste :

  1. il n’y a pas d’autre monde que ce monde-ci (donc pas de Vérité révélée ni de Commandement moral mais une histoire à construire et un ethnos à façonner) ;
  2. le Multiple est valorisé (donc pas d’universalisme, de centralisme jacobin, de capitalisme financier globalisé, d’égalitarisme dévoyé au Même uniforme, mais la tolérance et le refus du « ou » au profit du « et » – autre posture favorite de Montherlant, qui préservait ainsi sa liberté personnelle).

Ce qui veut dire que chacun est, sur son sol, dans sa « patrie charnelle », « en pleine conscience du mouvement historique dans lequel il vit », amené à développer sa bonne fortune – sans désirer l’imposer aux allogènes (diversité des cultures, pas de repentance) ni au monde entier (ni colonialisme d’hier, ni impérialisme étasunien d’aujourd’hui, ni universalisme occidental). L’auteur cite le russe Alexandre Douguine, pour qui l’espace est un destin, le lieu portant en lui-même l’essence de ce qui s’y développe. Tout changement d’habitus collectif altère l’ethnos et son destin – ce qui signifie en clair que l’immigration hors contrôle peut changer la civilisation même d’une aire.

krisisL’Europe est pour Benoist une réalité géopolitique et continentale opposée aux « puissances liquides » que sont les îles anglo-saxonnes, États-Unis en tête, dont le but est de nos jours « d’encercler, déstabiliser et balkaniser » l’Eurasie (Moyen-Orient compris) pour mieux contrôler les ressources. Les valeurs terriennes des trois fonctions hiérarchisées mises au jour par Georges Dumézil dans la civilisation indo-européenne (sagesse, politique, richesse) doivent primer sur les valeurs liquides (les flux, le commerce, les liquidités, le négociable) – toutes ancrées dans la troisième fonction. Même si les Indo-européens n’ont jamais existé en tant que tels (personne ne le prouve), le mythe de l’origine, critiqué récemment par l’un de mes anciens professeurs d’archéologie Jean-Paul Demoule, n’est pas plus à condamner que le mythe biblique du Peuple élu ou le mythe de la sagesse de Confucius. La vérité scientifique est une chose, la légende civilisatrice une autre. De toute façon, pour Alain de Benoist « la démocratie » est le régime préférable – lorsqu’elle fait « participer » le plus grand nombre. Mais il n’est pas de politique sans mystique et le mythe indo-européen en est une.

Alain de Benoist aime à concilier les contraires dans l’alternance, sur son modèle Henry de Montherlant. Ce pourquoi il se sent en affinité avec la Konservative Revolution allemande d’entre-deux guerres dont « les anticonformistes français des années 30 » sont pour lui proches, à la suite de Proudhon, Sorel et Péguy. Il s’agit de se fonder sur « ce qui a de la valeur » pour orienter l’avenir. Selon Heidegger, philosophe qu’il préfère désormais à Nietzsche, « l’Être devient » (ce qui me laisse sceptique), la technique désacralise le monde (là, je suis) et produit la Machinerie : une entreprise humaine nihiliste (je suis moins pessimiste).

C’est « l’ascension et l’épanouissement d’une classe bourgeoise qui a progressivement marginalisé aussi bien la décence populaire [la common decency de George Orwell ] que la distinction aristocratique » p.237. Ce pourquoi Alain de Benoist est idéologiquement écologiste, « du côté de la diversité (…) aussi du côté du localisme et de la démocratie de base » p.249. Il y a coappartenance de l’homme, des êtres vivants et de la nature. Selon « un vieil adage scandinave », « le divin dort dans la pierre, respire dans la plante, rêve chez l’animal et s’éveille dans l’homme » p.249. C’est un joli mot mais d’idée passablement chrétienne à la Teilhard de Chardin, voire évoquant un Dessein intelligent…

Arrive enfin la dernière partie du bilan, mais qui n’en finit pas de finir.

L’auteur n’a pas eu le temps de faire court… « J’ai voulu définir et proposer une conception du monde alternative à celle qui domine actuellement, et qui soit en même temps adaptée au mouvement historique que vous vivons » p.225. Ce serait mieux réussi si le message était plus clair. L’Action française, le mouvement auquel Alain de Benoist compare volontiers le sien, était plus lisible dans le paysage intellectuel. Mais lui se veut Janus, son emblème étant un labyrinthe. Le lecteur pourra lui rétorquer ce qu’il reproche à Raymond Aron : « vaut en effet surtout par la subtilité de ses commentaires et de ses analyses, moins par sa pensée personnelle » p.227. Pour Aron, c’est faire bon marché de Paix et guerre entre les nations, et des mémoires, d’une qualité dont on cherche vainement l’équivalent chez Alain de Benoist.

« Je suis un moderne antimoderne », dit l’auteur p.285. Il ne croit pas si bien dire. Son monde apparaît comme celui, avant 1789, de la société organique, de la nature encore création divine, du chacun sa place où l’éthique de l’honneur fait que bon chien chasse de race, où règnent une foi, une loi, un roi (un peuple homogène). Il est, sans surprise, contre les enseignements de genre et affirme que l’homosexualité est majoritairement génétique (p.252), sans considérer que l’éducation répressive des sociétés autoritaires (des sociétés militaires à l’église catholique et aux sociétés islamiques) fait probablement plus pour les mœurs que les gènes (il suffit de comparer les prêtres aux pasteurs). Il déplore aussi que l’écrit décline au profit de l’image, tout comme Platon déplorait en son temps le déclin de la parole au profit de l’écrit…

Le lecteur l’aura compris, la pensée d’Alain de Benoist est en constant devenir. Il n’a pas de dogme, seulement des « convictions ». Même si lui-même veut rester au-delà et ailleurs, comment sa pensée pourrait-elle se traduire concrètement aujourd’hui ? Est-ce sur l’exemple de Poutine en Russie ? Est-ce sur l’exemple de la Fédération des cantons suisses avec les votations qui ont fait renoncer au nucléaire et ouvrir des salles de shoot ? Est-ce comme les « Vrais Finlandais »qui se disent « conservateurs sur les questions morales, mais de centre gauche sur les questions sociales » ? Est-ce Aube dorée ou Vlaams Belang ? Je comprends que, par tactique politique, Alain de Benoist veuille avancer masqué, que l’on considère les idées plutôt que les positionnements, mais la multiplication des masques en politique dilue le message au point de le faire disparaître. La politique exige l’épée qui tranche entre ami et ennemi. Seule la littérature – comme le fit Montherlant – permet l’ambiguïté, le masque étant le procédé commode de dire sans être, de montrer sans le vivre. Alain de Benoist, que je sache, n’est pas Henry de Montherlant. Peut-être, comme lui, eût-il mieux fait de choisir la littérature ?

« Non pas chercher à revenir au passé, mais rechercher les conditions d’un nouveau commencement », dit Benoist p.312. Peut-être, mais nous aurions aimé moins de simple critique du présent et une vision plus claire sur les propositions concrètes d’avenir.

Alain de Benoist, Mémoire vive – entretiens avec François Bousquet, 2012, éditions de Fallois, 331 pages, €22.00

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Destination Cuba

Les États-Unis et Cuba pourraient rouvrir leurs ambassades avant le sommet des Amériques, au Panama, qui se tiendra les 10 et 11 avril. François Hollande devrait se rendre à Cuba… C’est assez pour me faire ressouvenir de mon voyage dans l’île Caraïbe, il y a quelques années. La fin de l’isolement de l’un des derniers pays « communistes » de la planète n’est pas encore pour demain, Fidel Castro se dresse toujours en statue du Commandeur ; mais la fin est proche. Évidemment, Cuba est sur la liste des États soutenant ou finançant le terrorisme ; son retrait de cette liste doit d’abord être soumis au Congrès, dont les deux chambres sont dominées par les Républicains – franchement hostiles au régime Castro. Mais une levée d’embargo profiterait à l’agriculture américaine : un million de tonnes de blé est acheté chaque année par Cuba au Canada et à l’Europe. Il serait moins cher de le transporter depuis la Floride, en face. De quoi susciter la convoitise capitaliste…

Fidel castro dictateur

Dans la navette aéroport, à Madrid, je repère deux minettes venues de Paris ; elles se rendent à La Havane. Elles sont « graves » comme dirait l’Adolescent : minaudantes, miaulantes, affichées, supersapées, électriques et narcissiques, elles veulent aller représenter Paris dans les îles. Leur conversation – assez fort pour que tous autour les entende – sinon ce n’est pas drôle – ne porte que sur les garçons : « et Untel, il t’a appelé ? Attend, je vais lui téléphoner. Et Machin ? » Leur but est d’aller tout prosaïquement se faire brancher par les bien montés coupeurs de cannes. S’offrir au tiers-monde, n’est-ce pas faire preuve d’abnégation « dans le vent » ? Le tee-shirt de l’une d’elle annonce la couleur : « Besame mucho !« . En espagnol, cela signifie quelque chose comme baise-moi à mort…

Nous arrivons alors qu’il est 5h du matin en France ; il n’est que 23h à La Havane. Le décalage horaire nous épuise car nous avons tous mal dormi dans l’avion bien rempli, trop serrés, environnés de bruit. Le vol a fait le plein à Madrid de tout un groupe d’Espagnols, des jeunes de 18 ou 19 ans en vacances. Ils sont à mi-année d’entrée en faculté ou en école de commerce, ils se connaissent tous et discutent par groupes. L’un de leur centre est un couple de madrilènes branchés, beaux comme des dieux et aussi à l’aise. Ils s’aiment, se caressent au vu de tous, mignons comme tout. Leur douceur attire les filles comme un aimant et les garçons par rivalité. Ils font cellule et sont en même temps de plain-pied avec les autres, parlant et riant, jouant aux cartes. L’amante porte des cheveux noirs coiffés à la Jeanne d’Arc, un body gris moule sa poitrine appréciable. L’amant a de beaux cheveux aux reflets vénitiens qui lui retombent en mèche sur le front. Il en joue d’un geste machinal et charmant pour les repousser en arrière. Il montre des avant-bras et des épaules de véliplanchiste, bien pris dans une chemise de vichy bleu. Ils apparaissent particulièrement juvéniles et vulnérables au milieu des autres, grands machos aux barbes déjà bleues ou executives femelles au physique de paysannes du Middle-west, qui les accompagnent.

Cuba carte notre circuit

L’aéroport de La Havane est conçu comme une publicité pour le régime. Il est clean, moderne et international – pas du tout « socialiste » comme on peut le redouter. Une aire de jeu pour tout-petits, côté départs, s’aperçoit par la vitre. En revanche, malgré le nombre de fonctionnaires présents aux innombrables guichets, la queue à l’immigration dure longtemps. Il leur faut vérifier le faciès de tous ces étrangers, comparer les passeports avec les listes « noires » établies pour détecter les « espions de la CIA », je suppose.

De l’autre côté, nous accueille un Sergio local parlant français. Il nous déclare être d’origine espagnole, pour se poser au-dessus des métissés, la grande hantise caraïbe. Placide et enveloppé, nous verrons qu’il aime parler ; il débite déjà son discours uniforme au micro, dans le car qui nous emmène à l’hôtel Kohly. Nous n’y passons qu’une nuit courte, de minuit à 5h. L’obscurité est ponctuée des rythmes de la boite de nuit de l’hôtel, en pleine activité hebdomadaire en ces heures du samedi au dimanche. Suivent, au petit matin, des cris et des rires exacerbés des danseurs qui vont se finir dans la piscine. On entend de grands splash et les réflexions de la meneuse, une fille à voix de ventre. Exaspération sensuelle, exténuation physique, rauquerie du désir, tout cela passe par les voix dans le silence de nos insomnies.

L’en-cas du petit déjeuner exige de ne pas être pressé car il arrive un à un, selon les commandes, et parcimonieusement. Le café est à l’italienne, dans des tasses minuscules, peu fait pour abreuver la soif matinale. Les tartines semblent venir de Madrid tant elles se font attendre. Le beurre en plaquettes, lui, est importé de France.

Un autre bus nous mène à l’aéroport domestique Waijay, pour le vol intérieur jusqu’à Santiago. Le jour se lève à peine, mais il monte vite. Nous sommes juste au-dessous du Tropique du Capricorne. Les rues de La Havane sont encore désertes dans le gris de l’aube. Il pleut un peu. Mais quelques personnes attendent déjà aux arrêts de bus et un vendeur de beignets s’installe dans sa guérite. Circulent de rares automobiles. Je remarque quelques vieilles américaines, mais pas aussi rutilantes que sur les photos du tourisme. En fait, La Havane les use plus vite que le reste du pays. Sur les murs, les seules publicités sont révolutionnaires.

Cuba slogans revolutionnaires

Avec ses syllabes pleines et ses voyelles qui claquent, l’espagnol sonne ferme et définitif. Le slogan remplace la réflexion, ne reculant pas devant le jeu de mots ou l’association d’idées. Hasta la victoria (jusqu’à la victoire, phrase favorite du Che) sonne comme Hasta la vista (au revoir) ! Nous longeons des maisons basses entourées de quelques arbres qui ont l’âge de la Révolution, parfois munies d’un patio ouvert sur la rue. La banlieue près de l’aéroport domestique s’achève en casernes, usines et baraques. De jour, le soleil brille sur tout cela et donne un air riant aux choses. Dans l’atmosphère d’aquarium de cette aube au ciel bas, cette banlieue nous semble plutôt glauque, comme un bricolage fatigué. L’activisme factice remplace l’enthousiasme déclinant comme ce « Vive le Nième anniversaire de la Révolution ! » qui orne le mur face à l’entrée de l’aéroport domestique.

descamisados cuba

Françoise se dit « linguiste », ce qui fait quand même plus distingué que « prof d’anglais », vous ne trouvez pas ? Elle avoue d’ailleurs avoir des copies à corriger dès son retour… Mais elle angoisse. Elle ne sait pas si le passeport qu’elle présente « est le bon » (en a-t-elle un « vrai-faux » dans une autre poche ?). Elle s’aperçoit qu’elle n’a pas d’« autre gourde » (en dehors d’elle, je suppose ?), ni de canif, alors qu’elle s’est inscrite dans un groupe de randonnée ! Une Anne-Laure a les yeux à fleur de tête et le museau froncé d’un pékinois. C’en est irrésistible, d’autant qu’elle en a la naïveté hargneuse. Elle consulte en marketing et semble vouloir dès la première heure « prendre le groupe en main ». Elle occupe n’importe quel silence que lui laisse (parcimonieusement) Françoise pour nous raconter tout ce qui pourrait lui permettre de se présenter à son avantage. Ainsi, elle a « des amies cubaines » et vient ici souvent, parfois avec son frère qui a vaguement des idées révolutionnaires. Elle-même habite le 8ème arrondissement de Paris et est assistante en marketing pour une boite chic du boulevard Haussmann. En général, elle commence ses interventions de consultante en lançant à chaque patient un ballon tout en lui criant des insultes (passionnant !). Elle n’a pas pris le même avion que nous car elle « voulait voir ses amies » et a pris plutôt « un vol direct Air France », un jour plus tôt, qui ne lui a rien coûté avec les miles qu’elle a accumulé dans ses déplacements professionnels… C’en est saoulant ! Les autres sont plus discrets ; un Philippe deviendra même un ami.

Deux décollages et une escale plus tard, nous voici à l’aéroport de Santiago de Cuba. Il y fait chaud bien qu’une brise réussisse à descendre du nord. Sur le bord de la route, un petit à la main de son père en a ôté son tee-shirt. Nous nous apercevrons bien vite que cette attitude de quitter la chemise est très courante ici – se poser en Descamisado fait éminemment révolutionnaire ! Les automobiles qui circulent ici sont des Lada ou des Moskvitch ; les plus récentes sont japonaises. Je note quelques Fiat, Renault et Citroën. Un bus accordé à notre groupe nous pique au sortir de l’avion. Le chauffeur se prénomme Ricardo.

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Comment traiter la délinquance ?

Sujet d’actualité, puisque l’on parle des enfants perdus de nos banlieues dans l’islam ; sujet politique, puisque l’on parle de la délinquance et de notre incapacité à la traiter ; sujet idéologique, puisque les gouvernements français successifs de droite et de gauche s’obstinent à traiter la question selon les Grands Principes Universels plutôt qu’avec l’efficacité du pragmatisme.

La délinquance est l’écart à la loi – mais qui définit la loi, et pour qui ?

La loi est faite par des politiciens professionnels, en majorité issu des corps de fonctionnaires – qui ont donc perdu le contact avec la réalité de terrain (s’ils l’ont jamais eue), et ne se sont jamais préoccupés de chômage, de santé ni de retraite – ces questions cruciales pour les classes populaires. Quant aux organismes de sondage du social, ils se gardent bien de poser les questions qui fâchent – chaussant volontairement des lunettes roses. Les ghettos ethniques des banlieues, même s’ils servent souvent de sas d’intégration, ne peuvent fonctionner entièrement selon « la loi » et doivent leur intégration sociale comme leur survie de jeune adulte à des comportements délinquants. Cela permet aux plus intelligents une « accumulation primitive du capital » (comme aurait pronostiqué Marx) qui leur fait sauter les étapes de l’école et de l’administration pour créer leur affaire – légale, cette fois : bistrot, commerce, artisanat.

C’est la défaillance des services publics de l’État dans ces zones, faute de volonté et de moyens mais surtout faute d’une véritable politique de l’immigration, qui crée ces ghettos. Manuel Valls s’est récemment élevé contre eux, mais en pur communiquant, sans dire comment les résorber. École, animation, formation adulte, aide à l’emploi, aide à la création d’entreprise, aides sociales ciblées, police de proximité et tolérance zéro pourraient gérer le stock de délinquants potentiels ; une politique plus volontariste aux frontières et avec l’Europe pourrait réguler le flux d’immigration, tandis que des quotas ethniques et sociaux dans les logements pourraient la gérer. Or c’est tabou pour la gauche archéo et ignoré pour la droite sécuritaire, les yakas remplaçant aux extrêmes toute idée lucide sur le sujet (yaka les « foutre dehors » à l’extrême-droite, yaka laisser ouvertes les frontières à l’extrême-gauche). Beau déni de démocratie !

ligote fouette en ville

Deux politiques de sécurité sont possibles : redresser les individus délinquants, ou viser les facteurs déterminants des infractions. Historiquement, toutes les sociétés occidentales développées ont commencé par la première ; seule la France, parmi les grands pays, la poursuit – les autres sont passés à la seconde politique, désormais plus efficace.

  1. Dans les sociétés occidentales homogènes d’après-guerre, était appliqué le redressement des individus qui fautaient. La socialisation se faisait aisément dès l’école, renchérie par la famille, disciplinaire au travail, la société étant portée par l’optimisme du baby-boom, les besoins en main d’œuvre de la reconstruction et l’avenir alléchant de la consommation (machine à laver, auto, télé, vacances…). Églises, syndicats et partis encadraient la société, tandis que des rites d’initiation inséraient progressivement le jeune parmi les adultes (communion, certificat d’études, BEPC ou bac, service militaire, mariage).
  2. Après 1968, la guerre du Vietnam a remis en cause la morale factice d’État, les chocs pétroliers ont cassé l’essor économique, et la saturation en biens de consommation a détruit le bonheur de dépenser. Le relâchement des corps au travail grâce à l’informatisation a permis l’autonomie des individus, mais en même temps les affres de leur responsabilité (trouver un nouveau travail, faire un enfant ou pas, se lier en couple pour la vie ou divorcer, s’expatrier ou faire de nouvelles études…). Le modèle de socialisation traditionnel s’est fissuré au profit de modèles alternatifs plus communautaires (hippies, agriculteurs bio) ou plus individualistes (bobos des villes), moins consommateurs et plus proches de la nature – allant jusqu’au naturisme, spontanéisme et autre libération sexuelle selon Wilhelm Reich.
  3. Vers les années 2000 s’efface tout modèle de socialisation unique. Internet permet à chacun de savoir tout sur tous, et surtout d’aller faire allégeance ailleurs partout dans le monde, induisant le repli identitaire des mal-intégrés allogènes comme des déclassés endogènes. Des groupes sociaux divergents coexistent désormais dans le même pays et la même commune, chacun avec leurs normes différentes qui entrent parfois en conflit (« les odeurs » de Chirac, les restrictions aux libertés des filles, les trafics). Des comportements opportunistes de fuite des Français de souche ou d’éviction des « kafirs » se mettent en place. Ils créent ces ghettos qui font peut-être tache pour les partisans du tous-pareils et des Grands principes, mais ne sont au fond que des réponses réalistes à l’impossibilité de vivre ensemble avec des normes trop différentes ou des valeurs à l’opposé (voile intégral vs transparence démocratique).

A cette sociologie due à l’histoire récente, comment réagir ?

Réaffirmer les Grands principes comme une incantation impuissante ? Faire de constants rappels à la loi sans aucune conséquence pratique ? Remettre la morale à l’école et le service militaire pour les jeunes ? Tout ceci est très français mais apparaît comme plutôt régressif : revenir à un passé définitivement révolu comme si de rien n’était, et comme si « tout était mieux avant ». Redresser les individus délinquants est un véritable tonneau des danaïdes. Dans le n°183 de janvier 2015 de la revue Le Débat, Jean de Maillard, magistrat, livre quelques chiffres édifiants pour la France en 2012 : pour 1000 infractions déclarées, 250 plaintes, 61 suites judiciaires et… 3 condamnations effectives. Autrement dit, 997 infractions sur 1000 ne font l’objet d’aucune sanction, pas même d’un rappel à l’ordre ! On sait les prisons engorgées, les flics mal équipés et surexploités, les juges croulant sous les dossiers – mais force est de constater que l’appareil policier et judiciaire est nettement improductif. Cela au nom des Grands principes et de l’universalité des peines. En France, si l’on ne fait pas tous pareils, on n’est pas « démocratique » ! Le bris de vitrine doit-il être traité avec autant de moyens que le crime de sang ?

A cette foutaise répondent les sociétés plus pragmatiques. Parties comme la France du même traitement personnel de tous les délinquants pareils durant les décennies de société homogène, elles en sont venues à modifier leur politique pénale inefficace au nom de la démocratie même : comment éviter le mieux la délinquance. On sait qu’environ 5% des auteurs commettent environ 50% des infractions, dès lors, pourquoi poursuivre « tout le monde pareil » avec les mêmes moyens ? Se focaliser sur ces multirécidivistes permet au contraire de réduire nettement la délinquance pour un même budget.

ado lave vitres en slip

L’idée de fond est que le délit n’est pas d’abord une déviance individuelle mais un dysfonctionnement social : il existe des incitations à « mal » faire dans certains milieux où règnent certaines normes ; ce qu’il faut, est réduire ces incitations – par l’éducation, l’offre de travail, la possibilité alternative de réussite dans la société. C’est le désordre social ambiant qui conduit à une régression collective des comportements vers l’antisocial. Le mal est donc moins dans l’individu que dans son environnement. Il ne s’agit pas d’excuser les comportements individuels mais d’agir sur le milieu social et économique. Il ne s’agit pas de morale (issue du péché personnel chrétien) mais de pragmatisme politique pour faire baisser la délinquance globale.

Les pays d’Europe du nord, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, appliquent depuis des années cette nouvelle politique, mieux adaptée aux sociétés hétérogènes d’immigration que ces pays sont devenus. Contrairement aux Français, ils ne nient pas le problème, ils s’y attellent ; ils ne nient pas l’immigration et ses maux, ils créent des incitations positives adaptées.

Avec Sarkozy puis Taubira, nous sommes loin de les suivre, malgré notre Budget restreint et l’exaspération sociale croissante envers les délinquants, l’immigration et la mise de tout cela dans le même sac. Comme si n’existaient pas d’autres délinquances aussi inacceptables, fraude fiscale, arnaque aux subprimes, favoritisme politique, siphonnage de trésorerie… Le tabou des politiciens de gouvernement sur les Grands principes au détriment de l’efficacité démocratique, le déni de gauche sur les diagnostics lucides pour traiter des vraies questions sociales, l’ignorance des technocrates et élus fonctionnaires sur le terrain réel – préparent des lendemains extrêmes. Ce ne sera pas faute de l’avoir annoncé !

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Sur la gauche bobo

La gauche libertaire est l’une des 4 gauches définies avec brio par Jacques Julliard mais c’est la plus visible – et c’est contre elle que je m’élève parce qu’elle qui occupe les médias en boucle (intellos, experts autoproclamés, universitaires qui ont fait 68, etc.) Il ne s’agit pas de Manuel Valls, de Pierre Joxe ni de certains autres, mais de la constellation des « conseillers » et autres intellos « de gauche » bobo, ultra-parisiens (rapport Tuot sur « la société inclusive », préconisations Terra Nova sur les nouvelles majorités électorales, etc.).

Les dessinateurs de Charlie (et l’économiste) étaient de la génération d’avant, antiautoritaires (antigaullistes et antisoviétiques) dans la lignée de la Commune de Paris, sans être vraiment anarchistes (ils se déclaraient pour le droit).

Ce qui m’agace dans les assauts « d’émotion » et de « vertu républicaine » de la gauche intello-médiatique impériale à la télé, à la radio, dans les journaux est cette posture « d’indignation »… sans aucune conséquence pratique. « Ah non, pas interdire le voile ! Ah non, pas publier de statistiques ethniques ! Ah non, pas de classes de niveaux, tous pareils ! Ah non, il ne s’agit pas de guerre ! Ah non, l’islam n’est pas une religion à dérive totalitaire ! »

« Islam violent ? You dare ! » : IMAGE CENSUREE en juin 2019 A LA DEMANDE DES AUTORITES PAKISTANAISES

C’est la même posture du déni que la gauche sous Jospin à propos de la délinquance et du « sentiment » d’insécurité. On a vu ce que les électeurs de base en ont pensé le 21 avril 2002

Les spécialistes de l’islam savent bien expliquer la distinction entre foi et politique, entre islam et dérives wahhabite puis intégriste, puis terroriste. Mais les intellos ne le font pas, soucieux avant tout d’éviter « l’amalgame », la « stigmatisation » et autres dénis de réalité : ils parlent sans savoir, comme d’habitude, se précipitant pour occuper la première place à l’audimat de l’indignation.

caricatures mahomet

Pourquoi ne constituent-ils pas CONCRETEMENT un Comité de vigilance des intellectuels comme la gauche en 1934 après les émeutes nationalistes du 6 février contre les parlementaires ? C’est ce sur quoi je m’interrogeais dans ma note d’avant-hier. Ce serait un laboratoire de réflexion, une force de propositions trans-partisane, traduisant dans les faits cette « unité » qu’ils revendiquent – tout en restant jusqu’ici dans leur fauteuil confortable.

Il s’agirait de réfléchir aux failles de la société française :

  1. l’immigration fantasmée : or elle est « incontrôlée légalement » (90% de ceux qui entrent chaque année le font parce qu’ils en ont le DROIT par mariage, regroupement familial, asile politique accordé ; 100% des minorités visibles nées en France SONT français, qu’on le veuille ou non) – doit-on changer le droit ? dénoncer les traités internationaux signés ? les renégocier ? invoquer une exception ? – ou les accepter tels quels, mais sans alors accuser sans nuances « l’immigration » ;
  2. la faillite scolaire : l’enseignement resté figé aux années 60, pédagogo, élitiste, matheux, méprisant, inadapté aux nouvelles populations (tous jeunes confondus) et aux nouvelles communications. « J’ai voulu, au travers de mon parcours, raconter que la fermeté à l’égard de ces jeunes est une marque de respect ; la complaisance une forme de mépris » écrit par exemple Zohra Bitan, banlieusarde d’origine et ex-PS. Distinguer la foi de la mauvaise Foi, apprendre à penser soi-même, à travailler avec les autres, à s’exprimer avec des mots (et pas en manipulant des items linguistiques !), apprendre les règles de la vie en société…
  3. la faillite du « vivre ensemble » : violé à la fois par les partis extrémistes de droite ET de gauche (à qui on laisse dire à peu près n’importe quoi) et par le gouvernement socialiste bobo (qui braque les sentiments des gens moyens et des croyants par « le mariage » gai ou le vote « des étrangers », toutes revendications communautaristes bien loin de l’Unité nationale hypocritement revendiquée). Les intellos ne cessent de critiquer, saper et déconstruire la culture occidentale, les associations communautaristes ne cessent de culpabiliser la France entière en rappelant sans cesse les croisades, la colonisation, la Shoah… alors que c’est aujourd’hui qui compte le plus : les pouvoirs autoritaires en Arabie Saoudite, en Syrie, en Algérie, etc., la corruption et le clanisme des élites politiques des pays émergents notamment africains et proche-orientaux, l’attitude d’Israël au mépris de l’ONU depuis des décennies, les petites Shoah en Bosnie, au Rwanda, au Soudan, en Palestine, en Irak qu’on laisse faire comme si de rien n’était. Comment se sentir « français » dans cette culture du mépris et de la honte permanente ? Françoise Sironi, psychanalyste et psychologue du Magazine de la rédaction de France-Culture hier, a pointé la « fragilité personnelle » des terroristes, leur « métissage » entre deux cultures, leur absence de certitudes sur ce qu’ils sont ou ceux qui peuvent les reconnaître. Le multicuturel ne fonctionne QUE lorsqu’on possède déjà une culture; on peut alors s’ouvrir aux autres cultures. Mais lorsque l’on n’est pas sûr de soi, reconnu nulle part, sans modèle de construction pour sa personnalité, le multiple en soi fait se perdre ; la tentation rigoriste des « sectes » ou des religions totalitaires est alors une tentation de facilité : « on » vous dit ce qu’il faut penser et comment il faut vivre. Le communisme a été l’une de ces « religions », il y a deux générations; c’est aujourd’hui l’islamisme radical. La liberté fait peur, il faut être armé pour être libre. Quand on ne l’est pas en soi-même et qu’on se sent impuissant, on utilise un substitut : une kalachnikov.
  4. la faillite de l’emploi : la lutte « contre le chômage » (qui touche particulièrement les jeunes et particulièrement les banlieues) invoquée comme une « priorité » alors que François Hollande pratique l’exact INVERSE : hausse générale des impôts, taxe à 75% symbolique, injures aux entrepreneurs et aux « riches », menaces (verbales) aux étrangers investissant en France (surtout pas d’amendes comme les États-Unis le font !). Comment le chômage pourrait-il reculer, étouffé par les réglementations, les taxes en cascade, l’état d’esprit anti-croissance (écolo), anti-entreprises (gauche du PS), anti-richesse (PDG Mélenchon), anti-réusssite (vieille austérité catho reprise par les jansénistes socialistes à la Martine Aubry) ? Pour la gauche, la seule « réussite » sociale ne passe que par le service d’État (la polémique anti-Macron sur les milliardaires en est l’exemple plus récent) : serait-ce « déroger » d’être entrepreneur, comme sous l’Ancien régime ?
  5. la faillite républicaine enfin : qui bâtit des lois mal ficelées, inapplicables (sur le voile…), qui fait du tortillage de cul lorsqu’il s’agit de l’appliquer (le survol « interdit » des drones au-dessus des centrales nucléaires : pourquoi ne pas les détruire sans sommation ? Il n’y a personne dedans et c’est clairement dit et répété : c’est interdit – haram en arabe) ; qui gère la délinquance par le seul répressif, tout le monde pareil, au risque de radicaliser les jeunes en prison – sans leur donner un modèle alternatif ; qui émet des incantations à « l’union nationale » tout en s’empressant aussitôt d’exclure tel ou tel (fatwa Hidalgo et consorts) sous prétexte qu’ils ne seraient pas « républicains » : c’est quoi être républicain en république ? Obéir aux lois et respecter les institutions ? Alors tous les partis légalement autorisés SONT républicains – ou alors le mot ne veut plus rien dire : la gauche intello adore « déconstruire » et embrouiller le sens commun afin de se poser en seule interprète du Bien… Faillite républicaine manifeste chez François Hollande, qui invoque l’unité dans un discours essoufflé dont il a le secret – tout en laissant son parti dire le contraire et appeler à manifester chacun sous sa pancarte : PS, PDG, écolosLV, CGT, etc. L’identité, ce serait mal à droite mais « vertueux » à gauche ? On mesure combien un Hollande n’arrive pas à la cheville d’un de Gaulle, d’un Mitterrand, ni même d’un Chirac (Allah sait combien je le considère peu, pourtant). Lui-Président apparaît comme président-croupion, technocrate à langue de bois toujours dans la synthèse horizontale sans rien de la hauteur d’arbitre au-dessus des partis requise par la fonction – encore moins l’incarnation de « la France ».

ecole islamiste

Ce sont ces faillites qui fragmentent la France en autant d’égoïsmes communautaires, chacun replié sur ses petits « droits ». Dans ces interstices, les daechistes veulent frapper comme les fascistes hier, pour accentuer les fractures et monter les communautés les unes contre les autres. Ils sont aidés en cela par les suiveurs du « pas de vagues », « mieux vaut la paix », « ils ont été trop loin » et autre état d’esprit de collaboration pétainiste à l’œuvre dans toutes la société française. Et dont Houellebecq a rendu la texture dans une fiction récente – dont je reparlerai.

islamiste et gamin

Cela dans une tendance mondiale au national-quelque chose : national-islamisme daechiste, pakistanais ou turc, national-judaïsme de la droite israélienne, national-‘socialisme’ de l’extrême gauche française, national-étatisme de l’extrême droite française, du pouvoir algérien et du Poutine russe, national-jacobinisme de la majorité socialiste, national-affairisme américain, national-communisme chinois, et ainsi de suite. Qu’y a-t-il dans l’islam qui facilite la tentation totalitaire ? Est-ce différent des autres religions ? L’exigence théocratique réclame-t-elle un  État appelé califat pour les croyants de l’Oumma ? L’histoire est-elle autre ? Est-ce un simple « retard » de développement (théorie un peu ancienne et passablement condescendante) ?

Le danger radical est donc l’épuration ethnique. Je me souviens d’avoir été interloqué lorsque mon directeur de thèse, alors professeur associé à Paris 1, ministre plénipotentiaire et conseiller spécial du ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson à l’époque (donc de gauche socialiste bon teint), m’avait dit que « finalement, la meilleure solution en ex-Yougoslavie serait la partition ethnique, comme les Turcs l’ont faits aux Grecs en 1920 »… Avait-il tort ? Pas sûr, rien n’est jamais tout blanc ni tout noir, ce serait trop simple.

ignorance et mauvaise foi islamiste

Le chacun chez soi ne conduit pas forcément à la guerre, mais limite l’épanouissement. Désolé d’être brutal, mais rester entre soi rend con. Chacun peut le constater dans les milieux très bourgeois (pour faire plaisir à la gauche) ou chez les islamistes sectaires (pour faire plaisir à la droite). C’est la même chose pour les nations : est-ce par hasard si les nations les plus ouvertes sur le monde, dans l’histoire, ont été les plus grandes et les plus prospères ? Rome, Venise, Amsterdam, Londres, New York – aujourd’hui Singapour ou Rio.

En cas de guerre ouverte (Turquie des années 20, Allemagne des années 30, ex-Yougoslavie des années 90, Russie et Syrie 2014), l’exil des « allogènes » est peut-être la solution d’urgence. Mais certes pas une solution à long terme.

Car, à long terme, le nomadisme est historique – depuis les premiers hominidés sortis d’Afrique, avant nos ancêtres directs partis du Proche-Orient vers 200 000 ans. Le mélange fortifie – à condition qu’il soit dosé. Comme le poison ou l’ingrédient de cocktail, tout est question de posologie : trop d’eau dans le whisky (ou de lait dans le thé) rend le breuvage insipide ou écœurant ; un peu d’eau ou de lait avive les saveurs, enrichit les arômes, permet d’explorer de nouvelles sensations. L’immigration est donc à la fois une chance et un danger.

Ce que je reproche à la gauche est de nier les problèmes posés par l’accueil « sans frontières » ; ce que je reproche à la droite est de nier la réalité des traités signés (souvent par des gouvernements de droite) sur le « droit » à immigrer. Il faudrait donc en débattre, mettre des chiffres fiables sur la table, sérier les problèmes posés, mieux répartir les lieux d’accueil, avoir enfin une véritable politique du logement (et pas à la Duflot !), réaffirmer clairement les droits et les devoirs, à commencer par la neutralité laïque (ce qui veut dire aussi, surtout à gauche, faire taire les ayatollahs de la laïcité militante).

paisible islamisme

Quant à « déchoir de nationalité française » les retours de Syrie, d’Irak ou autres lieux djihadistes, c’est irréaliste : un slogan populiste qui ne tient aucun compte du droit actuel. Car si vous êtes « né » français, vous ne pouvez être déchu ; seuls les doubles-nationaux peuvent l’être s’ils se comportent comme les nationaux du pays étranger dont ils sont AUSSI ressortissant. On ne peut devenir arbitrairement apatride. Ou bien l’on change le droit (et les traités internationaux que la France a volontairement signés), ou bien il s’agit de proposer des solutions applicables, comme le rétablissement de l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs, l’obligation de visa pour se rendre en Turquie ou la consultation par les services antiterroristes des listes de passagers d’avion dans l’UE (refusé jusqu’ici parce que portant atteinte aux libertés publiques).

poutine flingue

Nous sommes un régime démocratique (et pas poutinien), nous devons donc suivre les règles démocratiques. Ce qui n’exclut pas la force : inutile de « rétablir la peine de mort » par exemple, autre slogan simpliste (aux effets secondaires jamais évoqués…) : nous sommes en guerre parce que les daechistes déclarent la guerre et portent des armes de guerre ; la police ou les services spécialisés doivent avoir contre eux un comportement d’état de guerre, ce qui signifie tuer s’ils sont directement menacés – ou plus généralement « neutraliser » si déférer à la justice est possible. Ce qui est socialement plus pédagogique.

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État de la droite en France

La droite en France n’est pas comme la droite des autres pays : aucun libéralisme dans la caste politique, pas plus à droite qu’à gauche. Mais, à l’inverse, toujours la révérence à l’État centralisateur, à l’Homme providentiel, au décideur ultime pour submerger l’anarchie des provinces, des groupes et des intérêts. Or le libéralisme n’est pas le laisser-faire, comme l’inéducation nationale le serine à longueur de manuels issus de la vulgate de gauche – le libéralisme est le domaine de la règle, du droit. L’État y a toute sa place, mais rien que sa place : il n’a pas à intervenir dans les chambres à coucher, les nurseries, les cuisines, les garages ou les jardins.

Les pigeons, les dindons, les bonnets, les alternatifs et les manifestants pour tous sont principalement à droite, mais conservateurs, libéraux, anarchistes et libertaires mêlés. C’est dire combien la droite en France est buissonneuse, buissonnante et buissonnière.

  1. Nicolas Sarkozy, en bonapartiste traditionnel, veut une République forte, il se présente devant le peuple comme le Recours. Il ne garde la référence à Patrick Buisson que pour promouvoir une droite buissonneuse-batteuse. En cette posture, il se positionne moins contre François Hollande que contre Manuel Valls, qui joue la même partition bonapartiste à gauche.
  1. Mais l’UMP n’est pas unie, malgré son nom ; elle est buissonnante. Sarkozy l’a bien compris qui veut la recentrer autour de sa personne pour en faire une machine de guerre électorale. Pas sûr que les courants le suivent, bien que lui croit (en bonapartiste convaincu) que les faibles se rallient toujours au fort. Le dernier baromètre politique TNS Sofres montre Alain Juppé à égalité avec Nicolas Sarkozy à l’UMP en termes de cote d’avenir (65% chacun). Mais Alain Juppé devance nettement Nicolas Sarkozy chez l’ensemble des électeurs (40% vs 29%), signe que l’image de l’ancien chef d’État reste bien dégradée. Des non-sarkolâtres coexistent à l’UMP, comme le courant de François Fillon (toujours velléitaire) ou celui de Bruno Le Maire (qui se veut challenger). Rien n’est joué pour 2017, d’autant que des primaires sont censées avoir lieu avant pour désigner le candidat à la présidentielle… Sarkozy voudrait y échapper car la notion « d’homme providentiel » est contradictoire avec un vote primaire, Fillon déclare qu’il se présentera seul si l’organisation n’est pas irréprochable, Le Maire pourrait faire un score honorable, quant à Juppé il se réserve encore.
  1. La droite ne se résume pas à l’UMP… ce pourquoi elle est aussi buissonnière. Centristes et marinistes font aussi partie de la droite, tout comme font partie de la gauche le PDG de Mélenchon, les lambeaux du parti Communiste et les groupuscules gauchistes. Reste le cas des écologistes, écartelés entre leur conservatisme foncièrement « réactionnaire » de la nature et le « progressisme » de leur histoire personnelle gauchisante. François Bayrou serait candidat si Alain Juppé ne l’était pas, mais Jean-Louis Borloo ne voit pas l’intérêt d’être à la présidentielle. Le centre-droit lui-même est écartelé entre tendances, certains sont libéraux humanistes, d’autres démocrates chrétiens, le reste sociaux européens.

pouvoir populaire

Toute la vie politique française se structure autour des présidentielles. Cette personnalisation du pouvoir affaiblit les idéologies (tant mieux !) mais brouille le message politique (ce qui est un handicap). Un Parlement plus fort ferait contre-pouvoir s’il était doté des moyens institutionnels nécessaires (représentation proportionnelle à l’Assemblée contrebalancée par un Sénat élu au suffrage universel uninominal à deux tours, absence de droit de dissolution présidentielle contrebalancée par le non renversement du gouvernement, élection de l’Assemblée à date différente de la présidentielle, élection du Sénat à date différente de l’Assemblée). Une réforme en faveur du régime carrément présidentiel (à l’américaine) simplifierait peut-être la question. Je ne crois pas au retour des partis comme sous la IIIe ou la IVe République : chacun a trop bien vu où les querelles de bac à sable pouvaient mener…

Le handicap français reste cet étatisme de mentalité, de mœurs et de comportement qui empêche de comprendre les autres (européens notamment), et rapproche plutôt malheureusement les Français des Chinois, des Russes et autres régimes autoritaires (les yeux doux de Mitterrand à Ben Ali, de Chirac à Saddam Hussein et de Sarkozy à Poutine). Ce handicap mental empêche de faire les réformes utiles (en réhabilitant l’entreprise concrètement, pas selon de grands « plans d’État » aux sigles alambiqués comme PDR ou CICE…), empêche de responsabiliser la société civile par esprit d’assistanat systématique (emplois aidés, suppression du tiers-payant et autres ABC de l’égalité). Lui président, François Hollande a offert à la France entière le spectacle effarant de répondre à une chômeuse qui veut travailler qu’il va créer des emplois subventionnés d’État pour l’aider à atteindre ses trimestres ; à un jeune diplômé qui ne trouve pas de travail qu’il va augmenter les emplois jeunes subventionnés d’État pour le salarier un moment ; aux collectivités locales qui voient leurs transferts diminuer que l’État va les abonder puisque « ça ne coûte rien » ! Les citoyens électeurs, responsables de leur budget devant leur banque et devant leur famille, qu’ont-ils pensé de ce gras fonctionnaire à vie, technocrate dans l’âme, malheureusement président parce que le précédent était trop agité ? Certainement pas du bien : l’homme peut être sympathique (encore que le feuilleton Trierweiler après le feuilleton Royal laisse douter de sa noblesse intime), mais le personnage politique apparaît détestable : seuls 12% des électeurs lui font confiance d’après le même baromètre TNS cité, 9% parmi les ouvriers et seulement 6% chez les 18-24 ans ! Même Sarkozy, à son 30ème mois, récoltait encore 36%…

hollande et le pacte budgetaire

La droite a donc un boulevard devant elle pour gagner haut la main 2017 et toutes les élections qui précèdent… si elle se définit et se rassemble un tant soit peu autour des désirs d’électeurs. Or ces désirs sont contradictoires (comme toujours) : un État puissant mais pas un État fort, un pouvoir qui édicte les règles et les fait respecter mais qui ne règlemente pas tout, une France traditionnelle portée par 2000 ans de culture mais l’héritage émancipateur des Lumières, de grandes idées de progrès humain mais un conservatisme de propriétaire, une assimilation possible mais pas un déferlement d’immigration, la coopération européenne mais pas le centralisme technocratique bruxellois, des impôts certes mais bien employés et pas sans cesse bouleversés, une classe politique professionnelle peut-être mais plus ouverte et mieux à l’écoute locale… Est-ce trop demander ?

Gare à l’excès de confiance ! Ce n’est pas parce que Hollande est aussi bas dans les sondages qu’un socialiste ne sera pas président dans deux ans et demi. Sarkozy peut encore susciter le rejet, Juppé ou Bayrou diviser, le chômage, la dette et la fiscalité s’aggraver – entraînant le syndrome de Weimar, ce rejet du parlementarisme et de la caste politique tout entière, la fermeture peureuse contre l’Europe, contre la mondialisation, contre l’ouverture des frontières. L’essai du Front national serait alors possible, l’homme providentiel serait une femme, elle déménagerait bien des politiciens.

Mais que ferait Marine Le Pen si d’aventure elle parvenait en 2017 au pouvoir suprême ? Probablement pas grand-chose : elle n’a ni la qualité de militants, ni l’expérience d’élus nombreux, ni le savoir-faire de hauts-fonctionnaires en nombre, ni les alliés politiques de poids pour gouverner avec assurance et efficacité. Grande gueule et dénonciations ne font pas un programme – pas plus à droite qu’à gauche. Encore deux ans et demi pour savoir…

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La France, ce malade de l’Europe

Les élections européennes, techniques et sans enjeux concrets perçus par les citoyens, suscitent en général une abstention assez forte. Elle a été moyenne en Europe, égale à 2009 en France. Plus les pays ont connu récemment la dictature, plus ils sont poussés à exercer ce « droit » – rare sur la planète – de pouvoir aller voter. La Thaïlande comme l’Égypte sont sous coup d’État, l’Ukraine voit des milices rouge-brun empêcher les citoyens d’aller s’exprimer à l’est du pays, la Russie et la Turquie ont « élu » sous pressions et fraudes un genre de dictateur qui réprime toute forme de démocratie autre que le plébiscite campagnard.

2014 05 europennes carte participation

Voter est un luxe de nanti. C’est pourquoi les bobos français (bourgeois bohème) devraient être appelés plutôt égoédos (égoïstes hédonistes), tant ils marquent du mépris snobinard pour cette façon vulgaire d’aller « donner leur voix » comme le bas peuple : 58% des votants Hollande en 2012 ne sont pas allés voter, 52% des Parisiens ! En dehors de leurs petits intérêts de caste comme le mariage gai (et lesbien) ou le vélo à contresens dans les rues, les bobos se foutent de la gauche et de ses « idées », c’est manifeste. L’effondrement du parti socialiste est confirmé et au-delà, le seul socialisme qui subsiste aujourd’hui est national.

Car le problème aujourd’hui n’est pas européen, il est français.

Certes, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Autriche ont donné plus de 15% des voix à des partis extrémistes anti-union – mais c’est en France que le Front national a réussi à passer largement en tête, avec un apparent 25%. La réalité est moins flamboyante car, du fait que 43.5% des votants seulement se sont exprimés et que les gens convaincus sont plus allés voter que les autres, le FN ne compte les voix que de 11% des 46 millions de citoyens français ce dimanche. C’est certes nettement mieux que les 6.3% qui ont voté PS ou le ridicule 2.8% du Front de gauche, habituel favori des bobos (calcul sur 100% des électeurs), mais ce n’est pas un raz de marée, tout au plus un « rat de Marine ». A une élection importante, présidentielle ou législative, le FN ne ferait pas ces scores là, noyé sous la participation utile. Il ne réussit que dans l’indifférence. Et c’est là où les bobos « de gauche ma chère, évidemment de gauche » ont toute leur responsabilité. Le « séisme » 2002 ne leur a rien appris et les mots graves de Manuel Valls hier vont leur passer par-dessus la tête, comme d’habitude.

Il ne leur restera plus que le ridicule d’aller « manifester contre le fascisme » comme en 2002, dans un refus trop tardif d’une démocratie qu’ils n’ont pas exercée par flemme. Au niveau européen, le vote français ne changera pas grand-chose, la coalition sortante reste majoritaire. En France, les seuls partis européens, les centristes et écologistes, se sont bien maintenus. Mais les écologistes en Europe ont fait bien mieux que les idéologues intellos de gauche de l’Hexagone : en cause le gauchisme catastrophiste mâtiné d’arrivisme du parti Duflot.

2014 05 nouveau parlement européen

La gauche française de gouvernement s’obstine à ne pas comprendre que les élites économiques éduquées (diplômés, cadres, hauts revenus, citadins, voyageurs) ne vivent pas dans le même monde que le populaire (peu diplômés, ouvriers, bas revenus ou chômeurs, suburbain ou rural qui n’ont rien vu du monde). Ce pourquoi le socialisme « internationaliste » ne passe plus, ni son tropisme multiculturel, ni ses attendrissements pour les « victimes » à aider en priorité qui sont toujours les autres (homos, étrangers, colorés, immigrés). Quoi d’étonnant à ce que le FN réalise ses meilleurs scores au sein des couches populaires : ouvriers (43%), employés (38%), chômeurs (37%), personnes à faible niveau de diplôme (37%), foyers à bas revenus (30%) et parmi les jeunes (30% des moins de 35 ans), touchés par le chômage ou la galère des stages et CDD à répétition ? (Sondage Ipsos/Steria 25 mai 2014)

Le socialisme à la française tout comme le pseudo-gaullisme à la Copé-Guéant-Sarkozy apparaît comme un ramassis d’impuissants qui envoient leurs déchets à Bruxelles, clament haut et fort en France l’inverse de ce qu’ils signent en sous-main au Conseil européen, agitent des yakas impossibles puisque pas prévus dans le Traité (comme le social, dont le Smic, qui est du ressort de chaque État). Quoi d’étonnant à ce qu’il y ait défiance envers ces hypocrites professionnels ? Quant à Mélenchon, il a clairement échoué : ses outrances ont fait fuir. Il était pathétique et presque sympathique lors de sa conférence de presse, mais toujours dans l’émotionnel alors que cela ne compte dans un vote qu’en plus du fond ; sans le fond, cela fait démago…

Si 62% des votants disent avoir privilégié les questions européennes sur le rejet du gouvernement, l’opacité du fonctionnement européen et la culture nécessaire du compromis empêchent les électeurs français peu éduqués de comprendre. L’Éducation nationale ne fout rien pour habituer les élèves à travailler ensemble et à échanger des idées, les médias perroquettent les mensonges des partis, les populistes trouvent un bouc émissaire commode dans « l’euro, Bruxelles, les 28, le libéralisme » et ainsi de suite.

Les Français, formatés à l’autoritarisme et au plébiscite du chef, sont à l’opposé de presque tous les autres pays européens, formés au parlementarisme et aux alliances de compromis. La France semble avoir une mentalité plus proche de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdogan que de l’Allemagne de Merkel ou du Royaume-Uni de Cameron. Le marasme économique n’arrange rien, la politique stupide du gouvernement Hollande 1 (qui a insulté les patrons, insultés les investisseurs, insulté « la finance » – et taxé à tour de bras tout le monde, y compris en-dessous du Smic) a accentué la récession. Ce clown pathétique de Montebourg a plus fait à lui tout seul pour faire fuir l’investissement que les ministres de Mitterrand – et on le garde au gouvernement !

Les électeurs ne sont pas contre l’Europe, ils ne comprennent pas trop comment elle fonctionne ; ils sentent bien l’avantage de la monnaie unique, puisque 72% (sondage Ipsos ci-dessus) sont CONTRE la sortie de la France de la zone. Mais ils voudraient une Europe plus protectrice en termes économiques, moins accueillante à l’immigration sauvage, mieux unifiée socialement. Encore faut-il envoyer – comme les Anglais – des pointures politiques à Bruxelles, pas des recalés en échec de la politique nationale : des Fabius par exemple, comme hier Delors, pas des Désir. Jamais la « synthèse » molle du tempérament Hollande n’a montré aussi clairement son inaptitude à gouverner.

La France apparaît aujourd’hui comme

  • ce malade de l’Europe qui, faute de mieux, élit des politiciens minables qui promettent tout et en font le moins possible, se défaussant sur « Bruxelles » de leurs fautes ou impuissance,
  • ce malade de la boboterie, toujours en première ligne pour réclamer « des droits », mais qui reste douillettement chez elle dès qu’il s’agir d’agir,
  • ce malade des réformes sans cesse promises, sans cesse repoussées, car elles remettent en cause trop d’intérêts « acquis » sans que personne n’ose prendre le taureau par les cornes.

Puisse l’aiguillon Le Pen donner des hémorroïdes à cette caste de gauche aujourd’hui au pouvoir, à ces petits marquis inaudibles de droite qui aspirent à y revenir, pour qu’enfin – comme dans les autres pays européens – ils soignent la France :

  • inadaptée à intégrer sa jeunesse par l’éducation,
  • inadaptée à la mentalité parlementaire de l’Union,
  • inadaptée à la concurrence économique mondiale.
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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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Yalta bord de mer

Le minibus nous reprend pour descendre des hauteurs du palais Livadia et gagner la ville, sise en bord de mer.

yalta gamin debardeur a trous

Le restaurant, à l’écart de la promenade chic, est trop copieux pour un midi chaud, mais l’abondance est la rançon des deux générations de privations socialistes dans l’URSS d’hier. J’en retiens une salade de carottes râpées, marinées à l’ail et aux graines de coriandre pilées, puis du riz pilaf à sa viande de mouton vapeur. Un déjeuner moins russe que tatar.

yalta promenade bord de mer

Nous allons ensuite nous plonger dans la foule qui arpente la promenade du bord de mer. Elle est pleine de monde, de plagistes plastiques et de nanas exagérées. La beauté des corps libres venus du nord russe est renforcée par la nage, teinte par le soleil et revigorée d’air marin. Nous sommes ici en présence d’une belle portion d’humanité, une Californie russe bodybuildée.

La société russe, sur les bords de la mer Noire, apparaît homogène malgré les mélanges culturels entre russes, biélorusses, ukrainiens, cosaques, tatars… Seul l’islam menace l’unité par son intransigeance métaphysique, mais la société, même sans Poutine, ne tolère pas les déviances. L’islam soumet l’État à la religion, tout comme l’URSS soumettait l’appareil administratif à la foi communiste et au clergé du Parti : même si la Russie de Poutine est plus aujourd’hui une oligarchie autoritaire qu’une démocratie libérale, les citoyens ne veulent plus de théocratie. Ils veulent penser librement et vivre selon leurs traditions, pas sous la botte d’une religion.

La loi est la loi, établie par les progressistes, pas question d’y déroger. Contrairement à l’hypocrisie soi-disant « démocratique » en Europe, le communautarisme n’est admis ici que dans le folklore, mais ni dans l’administration, ni dans la vie courante. L’élite ne divorce pas du peuple comme chez nous, sur ces sujets, elle n’impose pas le « laisser-faire » malgré le vote démocratique. D’où son rejet social de l’immigration venue des pays musulmans, malgré la Turquie proche, les liens géopolitiques avec la Syrie et l’Iran, l’implication dans les républiques du Caucase. Sauf en Chine peut-être, à l’écrasante majorité de Han, il est rare de visiter une société aussi homogène que la société russe. C’est assez reposant.

yalta jeunes russes

L’église Alexandre Nevski est miraculeusement ouverte lorsque nous nous y rendons. Elle présente l’aspect extérieur d’une pièce montée en meringue et beurre coloré, surmontée de boules dorées triomphantes. Rien n’est assez brillant (même concept que « beau » en russe) pour rendre gloire à Dieu. Nous avons la chance qu’un mariage s’y termine, ce qui nous permet d’entrer. Toute l’organisation des accessoires rituels est faite par une énorme et laide matrone à fichu.

yalta eglise alexandre nevski

C’est que, pour un mariage orthodoxe, il en faut des foulards, des couronnes de fleurs, puis un tapis qu’on déroule et enroule, et ainsi de suite ! La grosse dame veut mériter de Dieu puisqu’elle ne peut plus mériter des hommes. Je soupçonne qu’elle trouve aussi certains avantages matériels à grenouiller dans le béni, les noceurs étant probablement plus généreux que l’État pour compléter sa pension. Elle sortira un peu plus tard de l’église, par la porte de derrière, avec une grosse miche de pain (béni) et plusieurs fruits d’offrande dans son cabas en plastique.

yalta lenine hier consommation aujourd hui

La promenade du bord de mer mène à l’inévitable statue de Lénine, debout en manteau, le front obtus et la bouche sévère. Il n’a pas été déboulonné ici, mais la foule alentour se moque de ses prétentions politiques en déambulant à ses pieds vêtue à l’opposé ; presque nue et le sourire aux lèvres – libre, hédoniste, insouciante. Bien loin de la morale socialiste qui se croit la mission de sauver le monde par le peuple (en parlant à sa place).

yalta grosse dame reve de chic

Sur les quais, les touristes se font photographier en situation. Ils louent des robes à froufrou et grimpent comme des tsars sur des trônes énormes décorés d’or qu’on croirait sortis des réserves Disney.

Ou bien revêtent leur poitrine nue de lourdes vestes de cuir clouté ornées de chaînes, pour se jucher sur de lourdes motos Harley-Davidson et jouer aux punks du « no future ». Je ne peux qu’être empli d’admiration pour cette jeunesse en short qui enfile un cuir épais trop grand pour elle, par pur plaisir de se sentir autre, de « faire croire » un instant être dans le vent de la modernité (américaine) et d’immortaliser ce rêve en photo. Cette jeunesse là ne vit pas dans l’instant, sans cesse sollicitée par le nouveau et le consommable, fébrile de zapping par peur de manquer quelque chose. Il lui reste encore la capacité de rêve, l’imagination trop longtemps contrainte et brutalement libérée, il y a si peu d’années, quand le mur de la honte est tombé.

yalta plagistes torse nu en ville

Sur le bord de mer, alors que le soleil ne l’éclaire plus, caché par la falaise, il fait moins chaud. Les gens se promènent, déambulent ou s’exhibent après le bain. La foule est disponible ; toute proposition la tente, des stands de nourriture aux déguisements pour quelques hryvnias, des bateleurs aux montreurs d’ours. J’observe un avaleur de sabre, un saltimbanque au singe attaché à une chaîne qui propose la photo avec la bête sur l’épaule, un autre avec un paon qui, sur le banc, fait la roue pour la prise de vue, un écureuil fureteur pour les bras, etc. Les maltchiki du lieu occupent le terrain, tous sens en éveil, lorgnant les filles plus âgées qui acceptent cet hommage pré-viril l’air de rien.

yalta gamins blonds russes

Le patriotisme soviétique, suivi du nationalisme ukrainien, puis de la régression identitaire en cours dans le monde globalisé des dernières années, rendent curieuses à nos yeux les relations des Slaves avec les Noirs. Nous n’avons rencontré jusqu’ici aucun Noir, aucun Arabe et très peu d’Asiatiques en Ukraine. Justement, deux Noirs s’exposent sur le paseo d’Odessa. Ce sont des bateleurs, une marginalité « normale » qui est peut-être la seule façon de se faire à peu près accepter. Ils sont évidemment torse nu, en pagne de feuilles de raphia pour se poser en « sauvages », et proposent des poses photographiques « coloniales ». L’impétrant peut choisir son thème : il y a « le cannibalisme » où les deux Noirs roulent des yeux gourmands et ouvrent large leurs mâchoires aux canines blanches luisantes sur le petit blanc ou la gaminette blonde à croquer qu’ils maîtrisent de leurs poignes en serres ; il y a « le rapt » où ils enlèvent à coups de biceps proéminents la femme blanche qu’ils tiennent ensuite solidement tout contre leurs muscles d’ébène noueux ; ou encore « la savane » où ils mènent en palanquin le ou la bwana alanguie… Le reste de la famille, émoustillé, prend force photos pour une poignée de hrivnias.

yalta noirs et russes

Cela nous semble, très archaïque et très folklorique à la fois, un remugle de préjugés des plus grossiers en même temps qu’une façon de jouer avec les stéréotypes venus d’ailleurs. Car, souvenons-nous en, aucun Ukrainien ni Russe n’est allé coloniser l’Afrique. Il s’agit donc de second degré, d’une caricature de nos propres caricatures. C’est ce décalage en miroir qui rend pour nous cette scène étrange, gênante et bon enfant à la fois. Non sans rire sous cape des « polémiques » et autres « scandales » que susciteraient inévitablement chez nous les profs de vertu autoproclamés des sectes puritaines antiracistes, anti-antisémites, pro-arabes, pro sans-papiers, sans-logis, sans domicile fixe, sans instruction et sans un sou. Les Russes miment notre ridicule en leur miroir…

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Sakyo Komatsu, La submersion du Japon

sakyo komatsu la submersion du japon

Sakyō Komatsu, mort en 2011, est un écrivain de science-fiction très connu au Japon. Dommage qu’il ne le soit pas plus en Europe car son roman d’anticipation est en pleine actualité. Le Japon, les savants le savent, est situé à l’intersection de trois plaques continentales qui se chevauchent. D’où les séismes, les éruptions, les tsunamis. Ce n’est pas nouveau, mais ce pourrait l’être… il suffit de pousser un peu le scénario.

Ce que fait l’auteur d’un ton détaché, comme historien, décrivant comment des mouvements sous-marins laissent prévoir un vaste remaniement des équilibres de plaques, les énergies accumulées engendrant une brutale rupture en quelques mois. Résultat : l’engloutissement de tout l’archipel japonais sous les flots Pacifique. « Un pays important du point de vue de la population, de l’économie et de l’histoire va être physiquement anéanti. Un homme a-t-il affronté quelque chose d’aussi inouï dans l’histoire ? Y a-t-il un homme d’État capable de faire face à un problème aussi monstrueux ? » p.161.

A partir de cette trame, il tente d’évaluer comment pourraient réagir les scientifiques, les techniciens, les politiques, les citoyens, les pays étrangers, l’ONU. C’est très simple :

  • les scientifiques n’y croient pas et traitent de fou celui qui ose dire que le roi est nu et que le Japon va exploser ;
    les techniciens font leur boulot scrupuleusement, à la japonaise, malgré leurs histoires de cœur, de famille ou d’alcool – ils sont communautaires ;
    les politiques tergiversent, consultent, font tout en équipe, mais finissent par prendre les graves décisions qui s’imposent avec aussi peu de retard que possible ;
    les citoyens sont inquiets mais disciplinés, les deux tiers seront sauvés, d’autres ne veulent pas voir cela et se suicident avec le Japon qui coule ;
    les pays étrangers sont partagés entre effarement et égoïsme du « c’est bien fait »;
  • l’ONU bavasse avec de grands mots, comme d’habitude.

Nous sommes en 1973 et règnent encore sur la planète les deux blocs, le soviétique et le monde libre ; la Chine n’a pas encore émergée, restant maoïste. L’auteur est un peu caricatural sur la presse occidentale, notamment britannique, qui titrerait cyniquement que les Japonais restent des kamikazes qui méritent leur sort ; il est plus réaliste avec l’Australie qui accepte l’immigration, mais pas au point de déstabiliser toute sa population ; il est beaucoup plus prudent avec la Chine, l’URSS et les États-Unis. Il faudrait bien, pourtant, offrir une nouvelle terre à 110 millions de Japonais menacés d’extinction ! Est-ce dû à la date, il me semble que c’est le point où le roman pèche un peu.

tsunami

Pour le reste, il est écrit direct, avec quelques mots-valises dus probablement à la traduction. Nous suivons un pilote de bathyscaphe, Japonais moyen-type, qui accomplit sa tâche en spartiate et laisse son bonheur personnel de côté pour sauver la population.

Avec cette interrogation métaphysique : « En-dehors de cet archipel et de sa nature, de ces montagnes, de ces rivières, de ces forêts, de ces herbes… les Japonais n’existent pas. Ils sont unis à eux. Ils ne font qu’un seul corps avec tout cela. Si cette nature délicate et les îles sont détruites et disparaissent, les Japonais n’existent plus » p.246. C’est traduire combien non seulement le sens de la nature est bien présent dans la mentalité japonaise, mais surtout le sentiment d’être charnellement en accord, fils de la Mère, malade avec elle, détruit avec sa disparition. Cela fait de ce roman de fiction une bonne approche du savoir vivre (et savoir mourir) japonais.

Sakyo Komatsu, La submersion du Japon, 1973, Picquier poche 2000, 254 pages, €7.69

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Bonjour chômage

La France avant l’été connaissait selon l’INSEE 10.9% de sa population active au chômage. Soit bien plus que les pays germaniques (Autriche 4.7%, Allemagne 5.3%, Pays-Bas 6.6%, Danemark 6.8%, Suède 7.9%, Finlande 8.4%, Belgique 8.6%), mais tendant plus vers les pays latins du sud, restés archaïques et en retard sur le développement (Italie 12.2%, Croatie 16.5%, Portugal 17.6%, Espagne 26.9%).

La France devient progressivement un pays sous-développé.

emploi 2013 insee

Le taux de chômage des moins de 25 ans est parmi les plus élevés d’Europe (25.7%), et les plus de 50 ans ne sont chômeurs qu’à 7.2% parce que l’âge légal de la retraite est resté plus bas qu’ailleurs et qu’ils peuplent les catégories de travailleurs intermittents hors « sens du BIT » : ne sont pas chômeurs ceux qui travaillent au moins 1 h dans le mois et les auto-entrepreneurs, même s’ils gagnent moins de 3000€ par an.

Le système d’enseignement laisse environ 150 000 jeunes chaque année sans aucune qualification, d’autres avec des diplômes sans valeur sur le marché : 1/4 de tous les étudiants européens en sport (STAPS) ou en psychologie sont en France.

L’évolution des techniques, des métiers et des entreprises oblige plus qu’avant à la mobilité géographique, de métiers et d’employeurs. Or même les jeunes sont peu ouverts aux changements : les trois quarts des 15-30 ans interrogés par Ipsos pour La Gazette des Communes et Le Monde se déclarent intéressés par une carrière dans la fonction publique (sondage 2004 qui n’a guère évolué). Des bassins d’emplois comme l’Ouest, le Nord, la Savoie peinent à recruter.

Côté employeurs, le conformisme cantonne le recrutement au mouton à cinq pattes : 1/ jeune pour n’être 2/ pas trop cher payé, mais 3/ avec expérience pour 4/ être opérationnel tout de suite, et 5/ le meilleur dans sa spécialité bien sûr. Donc une fourchette d’âge entre 30 et 40 ans. Avant, il faudrait le former, après il serait trop exigeant.

La recherche est mal aimée, non seulement de l’État (qui préfère les « trouveurs » aux « chercheurs ») mais aussi des entreprises, guère intéressées par les bac+8, pré-jugés trop « abstraits » (la faute à l’enseignement uniquement théorique de l’université française). Les chercheurs vont donc poursuivre leurs études aux États-Unis, en Suisse, en Allemagne, en Chine. Et l’on manque d’idées pour l’innovation.

Sans parler des pouvoirs publics pour qui le chômage reste une paresse à secouer ou une honte sociale à contenir – voire un toilettage des statistiques par discrètes « radiations administratives ». Malgré quelques efforts, ni la fiscalité, ni les aides réelles à la création d’entreprise, ni la formation des chômeurs, ni l’accompagnement, ne sont sérieusement envisagés. Cela parce que les syndicats n’en font pas leur priorité, peu représentatifs (majoritairement fonction publique) et plus attachés à défendre les avantages acquis des « inclus ». Il fallait voir le fonctionnaire devenu président, le 7 août, déstabilisé par une Madame Michaud de 50 ans engluée dans les contrats aidés depuis des mois. Toute la différence entre les mots et les choses.

Que faire ?

Déjà regarder ce qui se fait ailleurs.

cahuc zylberberg le chomage fatalite ou necessite

Deux économistes, professeurs à l’Université de Paris 1 l’ont fait en 2004. Leur ouvrage est malheureusement toujours d’actualité, parce que les politiciens n’ont quasiment rien foutu depuis 10 ans, malgré de beaux discours. Sauf la fusion ANPE-Assedic, peut-être au mauvais moment où le chômage explosait, mais en tout cas nettement plus efficace en termes de traitement des demandes !

Pierre Cahuc est en outre chargé de cours à l’École Polytechnique, tandis qu’André Zylberberg est aussi directeur de recherches au CNRS. Ils examinent des études concrètes, livrent des faits mesurables, défrichent l’économie quantitative.

Pourquoi le chômage est-il plus élevé en France qu’ailleurs ?

Par ignorance. L’ouvrage commence ainsi : « La méconnaissance de la nature profonde du marché du travail est, en partie, responsable de cette situation ». Le chômage représente la friction nécessaire pour que les particuliers (démission, changement de domicile, retraite) et les entreprises (innovation, pression sur les coûts, concurrence) s’ajustent. Chaque jour voit disparaître 10 000 emplois (7 par minute) il s’en crée au même moment à peu près le même nombre, de façon « sensiblement identique dans tous les pays industrialisés » p.19

Aucun bouc émissaire ne remplace une analyse. Ni la démographie ni l’immigration, ni la bourse ne sont causes du chômage. « Au contraire, ce sont les pays industrialisés, où l’accroissement de la population active est le plus soutenu, qui ont les taux de chômage les plus faibles » p.31 La mondialisation décentralise les emplois sur le long terme mais très peu à court terme car plus de 60% des importations de l’Union européenne proviennent de l’Union européenne. Les licenciements ne sont pas « boursiers » : une étude américaine montre que, sur 28 ans, les 3878 annonces de baisse d’effectifs ont eu pour effet, sur les 1176 entreprises cotées à la bourse de New York, de faire BAISSER leurs cours et non pas de les faire monter. « Cette constatation signifie simplement que les entreprises qui font appel à des procédures de licenciement collectif ont, en moyenne, de moins bonnes perspectives de profit que les autres. » p.37 Une faible croissance ne cause pas mécaniquement du chômage, ce sont plutôt les différences d’organisation des marchés du travail en termes de réglementation, d’aide au retour à l’emploi, de taxes sur les salaires et de formation.

Collectiviser l’économie est régressif selon l’économiste indien Amartya Sen (cité p.41), prix de la Banque de Suède 1998 (dit ‘Nobel’) : « Nous avons de bonnes raisons d’acheter, de vendre, d’échanger et de conduire notre vie sur un mode qui exige l’existence de transactions. Un déni de liberté sur ce terrain constituerait, en soi, un grave échec pour la société. » Partager le travail est une idée « fausse » p.46, « l’impact de la réduction du temps de travail sur l’emploi dépend de la manière dont elle affecte la compétitivité des entreprises » p.61. « L’expérience allemande de partage du travail (entre 1984 et 1994) a permis à ceux qui ont conservé leur emploi de bénéficier d’horaires moindres sans perte de salaire, mais n’a PAS contribué à faire baisser le chômage. » p.63

Créer des emplois publics aidés n’insère pas les jeunes dans le privé. En Suède, « comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi non aidé sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public. » p.181 En France, la DARES montre que le contrat emploi-solidarité « diminue les chances de retour vers l’emploi régulier de celui qui en bénéficie de 8 points de pourcentage. » p.186 Les études montrent qu’il vaut mieux vaut subventionner directement l’emploi privé.

La fiscalité a des effets pervers. « Une hausse des taux d’imposition des revenus les plus élevés modifie les comportements des personnes percevant ces revenus. (Elles) paient moins d’impôts lorsque le taux d’imposition augmente, ce qui signifie qu’elles diminuent leurs activités ou qu’elles en délocalisent une partie. » p.104 Comme les footballeurs européens qui vont exercer dans d’autres clubs ou les mannequins ’résidant’ à Londres.

Les aides aux chômeurs ne sont utiles que si elles sont organisées. « Comparée à d’autres pays, la France se situe dans le peloton de tête pour les aides à l’emploi (public et privé). Selon l’OCDE, ces aides s’élèvent à 1,04% du PIB pour l’année 2000. (…) La Suède ne dépense que 0,6% de son PIB en aides à l’emploi en 2000, alors qu’en 1994 elle en dépensait 1,91% » p.177 Mais la Suède est devenue bien plus efficace. Car « si les services publics de l’emploi ne remplissent pas leur part du contrat qui consiste à fournir une aide réelle au chômeur, et se contentent simplement de les contrôler, le système perd alors toute efficacité » p.120

Quelles sont les mesures pratiques qui pourraient être prises ?

Évaluer : « Il n’existe aucune instance indépendante, dotée de moyens suffisants pour évaluer l’intervention des pouvoirs publics sur le marché du travail. » p.13

Alléger les charges sur les bas salaires « crée beaucoup d’emplois. Il en résulte de nouvelles rentrées fiscales et des économies au titre des allocations chômage et des minima sociaux. » p.78

Simplifier la prime au retour à l’emploi. Elle a marché au Canada mais son adaptation française illustre le trop peu, trop tard. « Tout d’abord, la loi et le barème sont effroyablement complexes » p.99 « Les montants maximaux de la prime sont aussi très modestes. » « Le PPE distribue peu d’argent, mais à beaucoup de monde. Ce qui fait qu’en définitive son coût est très élevé. » p.100

Inciter à la bonne pratique plutôt que protéger à tout prix l’emploi. La protection « modifie les politiques de recrutement et de licenciement des entreprises sans influencer significativement le nombre de postes de travail dont les entreprises ont besoin. Son impact essentiel consiste finalement à répartir les risques de façon très inégalitaire. La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement. » p.139 « Un mécanisme de bonus-malus, dans lequel le taux de cotisation à l’assurance chômage d’une entreprise augmente avec le nombre de licenciements auxquels elle a procédé, permet de limiter les destructions d’emplois inefficaces. » Cela n’a pas été tenté en France. Et pourtant, « un tel système joue un rôle central dans le financement de l’assurance chômage aux États-Unis » p.143

La formation est d’autant plus efficace qu’elle se fait tôt, dès l’école maternelle, afin de socialiser les enfants dans de bonnes conditions. La formation des ados est d’autant plus valorisante qu’elle est plus pratique, favorisant les comportements de recherche, de curiosité, d’expériences, de travail en équipe – le contraire même de l’abstraction pontifiante des profs àlafrançaise. La formation des adultes n’est utile pour retrouver un emploi que si elle est proche de leur savoir acquis. Une complète reconversion n’apparaît pas « rentable » au sens économique.

Les auteurs n’abordent le chômage que sous l’angle de l’économie empirique : comment il naît, ce qui le fait durer en France, et les solutions ailleurs qui donnent des résultats. Le livre n’aborde pas l’aspect personnel et social du chômage, la solitude, le sentiment d’abandon, d’inutilité collective. Cet aspect non-économique est aussi la vérité du chômage.

Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? 2004 Flammarion, 197 pages, €7.79

INSEE comparaison chômage euro, Europe, Monde

INSEE la précarité des sans-diplômes

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Henning Mankell, Meurtriers sans visage

henning mankell meurtriers sans visage

Bien que datant de plus de 20 ans, ce polar résume bien l’actualité. Le commissaire Kurt Wallander est confronté à deux meurtres sauvages précédés de tortures, « actes gratuits » dirait-on. Un couple de vieux fermiers isolés attaqués la nuit dans leur chambre. La vieille, qui survit un temps, accuse des « étrangers ». Outre la peur des jeunes, l’angoisse des étrangers renforce le sentiment d’inconnu. La société change à toute vitesse et la génération d’avant ne comprend plus rien ; elle se réfugie dans le repli nationaliste comme dans les années 30.

1991 marque la fin du XXe siècle : le mur de Berlin tombe et les heureux habitants du paradis socialiste (selon la propagande) s’empressent de fuir, on dit qu’ils votent avec leurs pieds ; la tentative de putsch communiste conservateur à Moscou échoue grâce à Boris Eltsine ; les républiques ex-soviétiques prennent leur indépendance ; en 1991 éclatent des guerres balkaniques entre Croates, Serbes et Slovènes. C’est aussi l’année où le dictateur arrogant Saddam Hussein défie le monde entier avant d’être battu à plate couture ; où l’Argentine s’enfonce dans la crise bancaire tandis que le Brésil s’en sort tout juste ; où le Front islamique du salut gagne les élections en Algérie ; où les lois d’apartheid sont abolies le 2 juin en Afrique du sud. Mais c’est alors que débute la grande peur de l’allogène en Europe même. Le mot « racisme » amalgame des réalités bien plus complexes. Car le monde étant libéré des blocs, l’immigration explose. La Suède, pays très « libéral » sur le droit d’asile, ne contrôle plus rien et la population se crispe. Comme aujourd’hui en Europe.

La police ne peut que constater et poser des rustines sur les maux de la société, tout en poursuivant cet idéal de rendre justice aux gens concrets. Vaste programme, que Wallander assume jusque dans sa chair. Son mariage se défait, sa fille lui échappe, son père devient sénile ; lui dort trop peu, trop mal, se nourrit de n’importe quoi, prend du poids. Il somatise ce qui arrive.

L’enquête piétine, comme toutes les enquêtes à certains moments lorsque les indices sont trop maigres. Les fausses pistes sont un danger ; elles empêchent de penser autrement. Heureusement, l’adjoint Rydberg joue les Cassandre : ce que vous croyez n’est pas forcément la vérité. Il faut explorer la piste familiale, la drogue, les courses de chevaux, les étrangers… Une fuite venue de la police encourage les groupes nationalistes à « casser du bougnoule », mettant le feu à un camp de demandeurs d’asile, assassinant au fusil un Somalien qui passait par là, promettant une prochaine cible. Mais les crimes sont-ils vraiment le fait d’étrangers ?

Cette première enquête du commissaire Wallander donne le ton de celles qui suivront. Kurt est un homme moyen, Suédois d’une génération née en 1950, après guerre, qui comprend de moins en moins les mutations du monde. Toute stabilité disparaît pour le grand n’importe quoi spontanéiste. Il va donc sans a priori, presque maniaque, suivre tous les indices jusqu’au bout, au prix de quelques longueurs. Mais il s’intéresse aux gens, comme Simenon. Ce qui fait que Wallander est un peu un Maigret du froid. Les tempêtes hivernales de Scanie sont en effet d’une rare violence. Comme le crime. Le Suédois moyen a appris à s’en protéger, à faire avec. Wallander, commissaire de police criminelle, ne procède pas autrement.

C’est bien construit, très humain, et l’on sait qui est le coupable à la fin : un très bon roman policier.

Henning Mankell, Meurtriers sans visage, 1991, Points policier 2003, 386 pages, €4.49

Intégrale Wallander : Tome 1 : Meurtriers sans visage-Les Chiens de Riga-La Lionne blanche, Seuil 2010, 1027 pages, €24.13

Les romans de Henning Mankell chroniqués sur ce blog

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Pourquoi voter Marine Le Pen serait une aventure ?

Certains lecteurs m’ont reproché d’analyser plus la gauche que la droite. Mais c’est que la gauche est au pouvoir, poussée sans arrêt aux illusions par son extrême trotskiste ; il m’a paru jusqu’ici plus utile d’analyser ce danger immédiat que le danger Le Pen plus lointain. J’ai déjà écrit une note Contre le Front national, en décembre 2010. J’examine aujourd’hui quelles pourraient être les conséquences d’une application du programme Le Pen.

Mais disons-le tout net : la majorité des électeurs qui votent Le Pen s’en moquent comme de leur premier slip. Ce qui leur importe est de marquer leur protestation vigoureuse vis-à-vis de l’UMPS, gens au pouvoir depuis des décennies qui ont préféré leurs petits jeux d’ego plutôt que le bien de la France. Bobos et technos ont délaissé la classe moyenne et populaire, s’appuyant ou sur les très riches ou sur les immigrés. Vieillissement démographique, mondialisation, technocratie de l’Union européenne, crise des finances publiques, induisent une angoisse diffuse et une perte de repères. La protestation pourrait s’afficher au premier tour de présidentielles, et être abandonnée en grande partie au second en raison de l’aventurisme du programme…

scores front national 2002 et 2012

Chacun peut le lire intégralement sur le site du Front national (ce qui est écrit en petit doit se lire avec une particulière attention). Il se résume ainsi :

  • en politique, souverainisme, bonapartisme, populisme ;
  • en économie, dévaluation, protection, inflation ;
  • en social, préférence nationale, politique nataliste, censure pour les enfants.

La volonté est celle d’une contre-révolution comme celle préconisée par Joseph de Maistre après 1789, mais la date ici retenue est 1968, l’année de la chienlit sociale, du départ programmé du général de Gaulle (qui démissionne en 1969) et des négociations sociales qui font déraper le budget. Il s’agit d’établir un État organique par un rassemblement de forces, unies par un parti de la nation en colère. La vie est une lutte, le monde une jungle, et toute liberté doit se construire par une volonté recentrée sur soi et ses proches : famille, patrie, travail. L’individualisme n’est pas toléré, la fraude, l’immigration ou le crime non plus ; la communauté de sang et de sol s’impose comme seul souverain politique – donc économique et social. Ni libéralisme, ni socialisme, la promotion de l’homme intégral communautaire, contraint par l’État, représentant souverain du Peuple comme ethnos. Une forme nationaliste du bonapartisme traditionnel.

1/ Politique :

Pouvoir international fort, souverain et austère qui inspire un idéal de vertu :

  • Sortir des traités européens pour une « association libre » (les autres en voudraient-ils et comment ?)
  • Partenariats industriels volontaires (type Airbus)
  • Maîtrise des frontières (fin de Schengen) et de la monnaie (fin de l’euro), indépendance énergétique (énergies vertes + nucléaire)
  • La Banque de France pourra prêter au Trésor public sans intérêts, ce qui permettrait d’augmenter salaires et pensions, de baisser les prix de l’énergie. C’est l’autre nom de la planche à billets – donc l’inflation – non compensée par des coûts à l’exportation abaissés puisque l’abolition du libre-échange entrainera rétorsions.

En politique intérieure, le Front national reprend le bonapartisme traditionnel :

  • Un mandat présidentiel unique de 7 ans non renouvelable.
  • L’appel au référendum pour toute modification de la Constitution.
  • Scrutin proportionnel à toutes les élections (comme dans toutes les sociétés organiques).
  • Fin de l’obligation bruxelloise de concurrence sur les services publics
  • Effort de défense à 2% du PIB, sortie du commandement intégré OTAN (mais pas de l’alliance). Institution d’une garde nationale de 50 000 réservistes + dissuasion nucléaire.
  • Réduction des subventions aux associations « ne relevant pas de l’intérêt général ». Lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale, contre le « coût de la décentralisation » (autrement dit recentraliser).

Un État fort signifie tolérance zéro pour les crimes, le communautarisme des banlieues et les attaques contre les forces de l’ordre. Leurs effectifs seront augmentés, comme les moyens de la justice ; la peine de mort et les peines incompressibles de perpétuité seront rétablies par référendum et 40 000 places de prison de plus seront ouvertes. Les mineurs seront responsables pénalement dès 13 ans.

  • Ce qui paraît contradictoire avec la volonté affichée de protection des « enfants » (les moins de 13 ans ? avec la majorité sexuelle qui va avec la « responsabilité pénale » à 13 ans ?), en rétablissant la censure sur le net et toute forme de « violence » (y compris « morale », ce qui reste éminemment flou, donc propre à toutes les dérives…)
  • A l’école, retour aux fondamentaux : lire, écrire, compter, méthode syllabique obligatoire en CP, suppression du collège unique, promotion des filières manuelles et surtout discipline. Cela marchera-t-il à l’époque d’Internet et de l’ouverture au monde ?
  • Au total, la contrainte autoritaire remplacera partout le laxisme issu de la pensée-68.

electeurs du front national 2006

2/ Économie :

La souveraineté implique de quitter l’euro, donc de dévaluer drastiquement le néo-Franc (autour de 40% dans les années 1930 et 1982) et de bloquer la liberté des capitaux par nationalisation partielle des banques. Conséquences prévisibles :

  • Notons au préalable que l’ampleur de la crise mondiale des années 30 est due justement au protectionnisme, aux dévaluations compétitives, aux restrictions dans l’accès aux matières premières et aux politiques autarciques d’États. Faut-il replonger tout droit dans les mêmes erreurs ?
  • Ne plus être dans l’euro serait-il un véritable avantage ? L’exemple du Royaume-Uni et du Danemark en fait douter. A l’inverse, la Suède montre un pays prospère, mais qui tourne le dos à un programme type FN : refus de l’autarcie (50% du PIB à l’exportation), inflation domptée (pas de planche à billets), large libéralisation des services publics…
  • La contrainte euro sur l’Allemagne existe via le Mécanisme d’aide européen : 350 milliards € selon Christian Ott (économiste Natixis, juillet 2012) via les prêts accordés à la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, et via ses participations auprès des pare-feu européens. Quitter l’euro = quitter toute aide.
  • L’Allemagne a subi avec l’euro une dévaluation de fait par diminution des salaires, augmentation de la durée du travail, allongement du nombre d’années de cotisation pour accéder à la retraite. Si l’Allemagne redevenait autonome, sa concurrence industrielle – donc à terme politique – redeviendrait redoutable. Il y a donc de multiples avantages pour la France à rester dans l’union.
  • La sortie française marquerait l’écroulement du système euro ; nos créances – importantes – sur les pays du sud (Italie et Espagne) ne seraient pas remboursées et certaines de nos banques feraient faillite, donc seraient nationalisées – et pèseraient sur le Budget.
  • Comme les deux tiers de nos échanges économiques se font avec l’Europe, quelles mesures de rétorsion prendraient les autres pays ?
  • L’abandon de l’union monétaire implique l’autarcie, donc l’appauvrissement : ce qui sera produit en France sera plus cher en raison du niveau de vie relatif du pays, ce qui sera importé sera plus cher en raison de la dévaluation du néo-Franc, des droits de douane ou contraintes phytosanitaires.
  • La fin de la discipline, sur l’exemple allemand, ferait retomber le patronat français dans sa paresse du passé : peu d’investissements, crainte de l’innovation, monopoles protégés par la puissance publique, ballon d’oxygène des dévaluations régulières, paix sociale par l’inflation auto-entretenue.
  • Les talents et les jeunes diplômés choisiront encore plus le large – et la liberté – qu’un pays préoccupé des vieux, du rural et du petit commerce.
  • La priorité nationale pour l’emploi et l’immigration choisie limitée (comment ?) à 10 000 entrées par an, ne permettront pas d’abaisser le chômage, contraint par la baisse programmée du nombre de fonctionnaires, le renchérissement de l’énergie importée et les moindres exportations…

3/ Social :

Le souverainisme se veut un pansement social pour les catégories d’électeurs du FN : ouvriers, employés, retraités, petits-commerçants et artisans, agriculteurs et pêcheurs.

  • Mais le patriotisme économique par le soutien au petit commerce ne sera pas compensé en termes de coûts par la simplification bureaucratique et la baisse d’impôts pour PME et entrepreneurs individuels.
  • La politique agricole française et la protection de la pêche dans la zone économique exclusive coûtera au budget national, même si l’outremer se trouve ainsi valorisé.

Pour compenser la perte économique par la fierté symbolique, promotion de l’ethnos français :

  • Suppression du droit du sol, naturalisation sous conditions strictes,
  • Interdiction de la discrimination positive à l’embauche et renvoi des étrangers chômeurs,
  • Pénalisation du « racisme anti-français », suppression des subventions aux lieux de culte et interdiction des signes religieux ostentatoires.
  • Réduction des budgets sociaux aux immigrés et politique nataliste : revenu de 80% du SMIC aux parents à partir du 2e enfant ; allocations familiales réservées aux familles dont un parent au moins est français
  • Un enfant devient un adolescent pénalement responsable de ses actes dès 13 ans, en apprentissage dès 14 ans (comme au moyen-âge où les rois se mariaient dès la puberté)
  • Refus du mariage gai (mais maintien du PACS), lutte contre l’avortement (mais pas abolition)
  • Solidarité organique entre les générations et régime contre la dépendance.

2012 1974 score-fn

En bref, un programme pour figer une France d’hier, immobile, essentielle : le retour aux années 1960 d’industrie forte, de gaullisme politique, d’autorité sociale et d’immigration marginale. Une sorte de pétainisme, mais revu XXIe siècle, qui irrigue souterrainement la psyché française – y compris à gauche – sous la forme d’un abandon masqué par le volontarisme bonapartiste. Le monde va plus vite et plus fort ? Levons le pont-levis, protégeons notre petite vie tranquille. Ce serait l’idéal suisse, si la Suisse ne montrait justement qu’on peut être sûr de son identité et plus démocratique, toujours ouvert sur le monde… A condition de se prendre en main.

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Autour de Tahiti

Rapa Nui est tentée par l’indépendance… comme Tahiti ! L’île menace de déclarer son indépendance vis-à-vis du Chili et de déposer un recours devant la Cour Internationale de justice de La Haye contre Santiago. Les Rapa Nui (1500 personnes sur les 5000 habitants) souhaitent freiner le tourisme de masse (65 000 visiteurs débarquent chaque année), contrôler l’immigration croissante des Chiliens venus du continent, obtenir des investissements dans la santé, l’éducation et le commerce. « Nous pourrions demander notre rattachement à la Polynésie, plus proche, puisque le Chili n’a pas rempli ses obligations ». Faudrait consulter Oscar Tane, spécialiste pour l’ONU.

Rapa-Nui film

Oscar Tane est en Amérique, à New York, à l’ONU, pour réclamer l’indépendance du peuple Maori et de son territoire. « Ce peuple qui se bat avec des lances de bois contre des armes à feu », qui réclame à cor et à cris l’indépendance mais – car il y a un mais ! – avec les gros sous de la France, cette puissance étrangère qui étouffe le peuple Maohi. Au fait le ministre popaa de l’outremer Victorin Lurel est arrivé le 20 janvier à Papeete et Oscar Tane n’est pas entré au fenua. Vous avez dit bizarre ? Non, c’est normal !

Victorin Lurel, ministre des Outremers n’a passé qu’une seule journée en Polynésie française, à cause du décès de sa mère. Mais le Père Noël a déposé plein de cadeaux en janvier ! Des milliards, des emplois d’avenir comme en France alors que le statut d’autonomie de Tahiti ne le permettrait pas, des contrats de projets, la défiscalisation, et même l’ouverture des robinets de 3 milliards pour le RSPF (Régime de solidarité de la P.F.). Un grand absent Temaru « parti à New-York pour rien ». Et le sénateur indépendantiste lui aussi en mission d’accompagnement auprès d’Oscar Temaru. Les élections territoriales sont fixées pour les 21 avril et 5 mai prochains. A quand le référendum pour l’indépendance ? Qui aurait peur de ce référendum ?

L’art de plumer les pigeons européens : c’est le Prosident  qui l’affirme, il faut que les Popa’a casquent et principalement les Farani : « la France nous doit ». Maintenant il existe des séminaires destinés aux maires et aux ministres pour apprendre comment mieux capter les financements de l’Union Européenne. Car si ici on est Maohi jusqu’au bout des ongles, il faut apprendre à drainer le maximum de pépètes avec des projets bidons  et là on peut espérer aussi le Nobel des mensonges !

makatea carte

Projet d’exploration des gisements de phosphate sur l’île Makatea. L’enquête d’utilité publique préalable à l’institution d’un titre minier vient à peine de commencer que déjà des querelles entre les partisans du projet et les opposants se font entendre ! Pour les uns on parle réhabilitation de l’île pour les autres, spoliation des terres. Qui croire quand on sait qu’en Polynésie le mensonge est sport national. L’extraction du phosphate s’est terminée en 1966, elle avait commencé en 1906,  plusieurs projets avancés mais aucun n’a abouti. Et le foncier en Polynésie… il y a 1200 personnes qui revendiquent à la source, certains regroupés en association. La compagnie australienne espère trouver des phosphates et si l’exploration du sous-sol se révélait propice ils l’exploiteraient. Si tout se passe comme prévu, le premier sac de phosphate serait chargé sur un cargo en janvier 2015. A suivre.

Hiata de Tahiti

[Vient de paraître chez Stock « L’homme qui voulut être roi » de Gérard Davet & Fabrice Lhomme, concernant Gaston Flosse et sa connivence avec Jacques Chirac, comme lui il aime « les femmes, les arts premiers, la boisson qui rend gai et la politique »…]

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Élisabeth George, Sans l’ombre d’un témoin

elisabeth george sans l ombre d un temoin

L’Angleterre est en train de changer à vitesse grand V. Les récents meurtres en série de prostituées dans la région d’Ipswich en rappellent l’actualité. L’Américaine Élisabeth George, spécialiste de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui comme de l’écriture des romans policiers, l’avait observé. En 2005, elle pondait ce pavé de 918 pages en édition de Poche, « With no one as witness », traduit en français sous le titre parallèle de « Sans l’ombre d’un témoin ».

L’affaire a lieu à Londres, cité de prédilection tant de Lord Ashbury, alias commissaire Lynley, de Barbara Havers, le tonneau sur pattes aux dents ébréchées qui lui sert de constable, que du tout nouvellement promu « sergent » Nkata, du plus beau noir ébène alibi, accessoirement ancien gangster des quartiers… Il s’agit de meurtres « en série » que ni la police ni la presse n’ont vus parce qu’ils concernaient au départ de jeunes Noirs ou métis.

Ce non-politiquement correct affole l’ineffable Hillier, adjoint du Préfet de police, jamais en retard d’une gaffe politique, et le pousse à accumuler les « exceptions » au travail routinier mais éprouvé de la police traditionnelle. Il s’agit « combattre le racisme » (ou du moins l’accusation) en promouvant le seul constable noir de la Met et en le mettant sous les feux de la rampe lors des conférences de presse. Il s’agit d’user de toutes les méthodes de diversion qui permettent de montrer que « l’on fait tout son possible », même si le profilage à l’américaine ne sert pas à grand-chose, surtout quand les antécédents du profileur ne sont pas contrôlés. Il s’agit enfin de faire « people » en invitant un journaliste « embedded » à suivre l’enquête, tout comme l’armée américaine « embarquait » ses journalistes sur le terrain en Irak pour rendre la guerre « populaire ».

Quand on voit le succès de telles méthodes, on ne peut qu’être inquiet. A juste titre : c’est tout le développement du roman que de railler ce technocratisme médiatique, inefficace et dangereux pour l’enquête de police. Sans dévoiler le meilleur, disons que l’auteur ne ménage pas ses personnages et que, si Havers a durement trinqué dans un roman précédent, c’est cette fois au tour de Thomas Lynley. Marié, bientôt père d’un bébé garçon, il est d’autant plus sensible aux meurtres sadiques de jeunes gars de treize ans qui se multiplient et dont le rituel est toujours le même : choc électrique d’immobilisation, brûlure des mains, tortures diverses in vivo, excision du nombril, gravure au couteau de symboles post mortem, puis cadavre jeté nu au rebut, un peu partout dans la ville.

La cause profonde en est, selon l’auteur, la déstructuration de la société urbaine, anglaise, et moderne. Le profond égoïsme de l’Amérique atteint désormais la Londres traditionnelle avec son cortège de misères dues à l’immigration, au communautarisme, au chômage, aux familles décomposées, aux enfants livrés à eux-mêmes, aux relations sexuelles incitées par le milieu ambiant du porno et de la rue dès 12 ans, à la démission des autorités, à la naïveté imbécile des associations de « bonnes volontés »… C’est toute une sociologie vivante des travers de notre époque qui surgit en couleurs de ce gros livre à prétexte policier.

L’enquête n’est pas noyée, même si elle démarre lentement – mais n’est-ce pas ainsi dans la réalité ? Les caractères des personnages déjà connus du lecteur s’affirment et s’affrontent ; leur existence continue et se prolonge comme un feuilleton au milieu du crime et de l’indigence. On plaint ces gamins qui se croient grands trop tôt, ces parents confrontés au drame du massacre gratuit d’un être cher, aux justifications sordides des déviants, à la psycho de bazar des soixantuitards, « libérés » mais accros au sexe, sans aucun sentiment d’un quelconque devoir ou de la simple responsabilité. On est marri des coups de théâtre finaux qui explosent en feu d’artifice. Élisabeth George est à la pointe de son talent pour égarer savamment le lecteur vers de fausses pistes… avant de faire émerger l’invraisemblable.

Je me demande si, dans nos sociétés de plus en plus narcissiques et médiatiques, chacun ne préfère pas son « image » avant son propre travail : plus question de « faire bien son boulot », il est question plutôt de le mettre en scène, au détriment du résultat, dont on se moque, au fond. Les gamins sont des pions pour les pervers qui affirment leur toute-puissance ; des peluches pour les « bonnes âmes » qui font une industrie de leur « sauvetage » ; des objets pour l’image de la police pilotée par ses technocrates politiquement froids.

Oui, il s’agit d’un gros livre. Mais ne renoncez pas : découvrir l’Angleterre de Tony Blair au ras du bitume, explorer les pulsions d’une société permissive qui est en partie la nôtre aussi, mesurer le chemin à parcourir pour restaurer un ordre social minimum afin que la vie puisse croître au lieu d’être détruite en sa fleur – voilà qui devrait vous inciter à lire cet ouvrage qui le mérite amplement !

Élisabeth George, Sans l’ombre d’un témoin, (With no one as witness) 2005, Pocket, 918 pages, €8.65

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Mondialisation induit nationalisme

Depuis l’ouverture du communisme chinois au capitalisme (1978) et l’effondrement du Mur de Berlin (1989), le monde est un. Les échanges se développent sans frontières, ils sont économiques, migratoires, culturels – mais aussi transfert des ressources, exportation des pollutions, crises financières systémiques et changement climatique. D’où l’ambigüité de la mondialisation : comme la langue d’Ésope, elle apparaît comme la meilleure ou la pire des choses. Ce pourquoi renaissent les nationalismes et les communautarismes, cet autre nom du nationalisme quand il est sans territoire.

Nous assistons en Europe à une multiplication des revendications nationalistes régionales, dues aux égoïsmes économiques mais aussi à la question de « l’identité ». La Ligue du nord en Italie ne veut pas payer pour le sud, les Flamands pour les Wallons, les Catalans riches pour les autres régions plus pauvres, les Basques pour l’Espagne, l’Écosse pour l’Angleterre depuis la découverte de pétrole en mer du Nord. Jusqu’à la Corse qui ne veut pas payer comme tous les Français des droits de succession sur l’immobilier. Il s’agit parfois d’autonomie qui permettrait une meilleure intégration européenne, préfiguration d’un « empire » aux cents nationalités plutôt qu’un joug des actuels États-nation (Monténégro, Kosovo). Le jeu des Girondins contre des Jacobins une fois de plus rejoué ? L’empire austro-hongrois contre la Prusse nationaliste et l’unité italienne de Garibaldi ?

Plus le global se fait présent, plus le local est revendiqué. Et dans le monde existent deux modèles : le chinois et l’indien. Les deux idéogrammes qui forment le mot Chine veulent dire à la fois le milieu, le pays, la nation et l’État, tout confondu. Nous avons là l’identité faite peuple, l’Un solide comme une famille. Ce n’est qu’aux marges (Tibet, Xinjiang) que l’unité est contestée, surtout parce que l’Un éradique toute particularité locale comme la religion, la langue ou la coutume. L’Inde connaît à l’inverse la culture du multiple, l’État étant une fédération d’États plus petits où les langues sont nombreuses, comme les religions. La structure clanique familiale tient lieu de lien social. En Europe, la France tendrait au modèle chinois et le Royaume-Uni au modèle indien. Quant à l’Allemagne, elle serait tentée par la synthèse japonaise : digérer tous les apports extérieurs – mais ne retenir que ce qui est japonisable.

hip hop colonnes de burenQu’est-ce donc que « l’identité » des peuples ? Une dynamique imaginaire, un mythe créé pour faire société. L’anthropologue Maurice Godelier, dans Au fondement des sociétés humaines, montre l’importance de l’imaginaire pour toute société. La pratique symbolique joue un rôle dans le consentement ou les résistances, l’imaginaire des rapports politiques et religieux fabrique le lien social. Le modèle individualiste issu des Lumières est un leurre pour qui n’est pas déjà inscrit dans une culture. L’homme doué de raison du libéralisme politique n’est pas forcément cet agent rationnel qu’y voit le libéralisme économique. Au contraire, la valeur n’est pas le prix et l’humanité ne se réduit pas au statut de consommateur : l’habit ne fait pas le moine, la Rolex ne fait pas la réussite. Ni le mariage l’amour…

Car se déploie aussi l’identité des êtres. Je suis indifférent au mariage gay, je crois qu’un enfant peut parfaitement s’épanouir s’il est aimé, même par deux femmes ou deux hommes, que l’attention portée à un enfant désiré est meilleure que le délaissement ou le dédain de maints couples hétéros dits « normaux », qu’en termes catholiques chacun a déjà deux papa puisqu’aussi « fils de Dieu » et que l’exemple même de Joseph et Marie, parents d’un enfant dû à la procréation assistée (par Gabriel messager), ne pose aucun problème. Je suis cependant dubitatif sur les « raisons » qui font que les marginaux fiers de l’être en 1968 veuillent aujourd’hui (à 50 ans et plus) se vautrer dans le confort bourgeois qu’ils haïssaient jadis. Il n’y a là aucune « raison ». La société populaire n’aimera pas plus « les pédés » ou « les gouines » parce qu’ils/elles seront passé(e)s devant le maire; et les gosses à deux papas et deux mamans se feront moquer plus qu’avant par leurs copains, toujours plus normalisateurs que la loi. Le mariage gay n’est pour moi que cette autre expression du nationalisme, du communautarisme, du repli sur les origines, le couple, le petit entre-soi. Je ne suis pas « contre », je n’en voit pas l’intérêt. Il y aura autant de divorces, de déchirements et de procès en succession que pour les hétéros : belle avancée ! François Hollande montre qu’il n’est pas indispensable de « se marier » pour avoir des enfants, les aimer et les élever. Bel exemple, au fond.

L’identité se forme à la fois dans le temps et dans l’espace. Elle se déploie verticalement par la filiation et la transmission, et horizontalement par l’appartenance à une famille, un clan, une société, une nation, une culture. L’inquiétude identitaire naît du bouleversement des espaces : le tout horizontal déracine et désoriente ; le tout vertical produit l’intégrisme et le refus du présent au profit d’un âge d’or. Quand les liens familiaux et les liens sociaux se relâchent trop, les individus perdent leur personnalité pour se laisser balloter entre communautarismes ou modes. La violence naît moins du refus d’appartenir que de l’impuissance à y parvenir. On affecte de mépriser ce qu’on ne peut avoir (la fille du voisin) et l’on valorise ce qui est loin et accessible à tous (le gangsta rap, le mode de vie américain). L’identité fait problème chez une partie des jeunes issus de l’immigration, mais plus chez certaines communautés que d’autres. La culture maghrébine ou noire verse trop souvent dans la victimisation d’ancien « esclave » ou « colonisé », encouragée perfidement par les « belles âmes » qui agitent le ressentiment pour motifs politiques. La culture familiale asiatique, restée forte, permet d’intégrer facilement la langue, les mœurs et les pratiques sociales françaises. Ce qui montre que chacun ne peut exprimer son humanité universelle qu’au travers de son humanité particulière – si elle est positive. On ne nait pas homme, on le devient.

Il n’y a pas d’identité figée, par essence. Il n’y a que des identités historiques et pratiques. Si l’on vient bien de quelqu’un, on habite aussi quelque part. La synthèse de ces deux espaces (vertical et horizontal) s’opère par la langue, les mœurs et les modes.

  • La langue est une capacité d’échanges ; bien parler permet de ne pas s’exprimer qu’avec ses poings. Encore faut-il aller régulièrement à l’école et ne pas fréquenter exclusivement sa bande ou son ghetto. La langue fait aussi sens commun, donnant aux mots les mêmes connotations.
  • Les mœurs sont les pratiques culturelles et symboliques de l’espace public. Faire comme tout le monde, même avec ses originalités, c’est avant tout respecter les règles du jeu social. Ce n’est pas être bien conforme, mais rester dans des normes acceptables. Basculer dans la violence, les délits, le terrorisme, c’est se rejeter volontairement de la société. Les bobos toujours prêts à excuser les « victimes » devraient regarder la réalité en face, pour mieux la prendre en compte.
  • La conformité, c’est la mode. L’éphémère marchand comme substitut d’identité. Suivre la mode, c’est remplacer les mots par les choses, les gens par des objets. Le trio Smartphone, Facebook, Twitter remplace les relations humaines par des médiations techniques et virtuelles. Il faut de la culture pour les utiliser et ne pas être utilisé par eux ; il faut une personnalité pour les prendre comme des outils, et pas comme le lien social même. Seule la personnalité empêche le fétichisme. Rappelons que le fétiche est un objet qu’on croit doué de pouvoir, alors que c’est le pouvoir sur l’objet qui fait son bon l’usage.

La mondialisation offre la technique à la mode à tous les êtres humains. Mais la technique ne remplace pas la culture, d’où la désorientation personnelle, le décrochage scolaire, la déprise sociale. Communautarismes et nationalismes naissent de ce manque. Ils ne sont pas à condamner en soi : un peu assure l’identité, trop enferme dans un ghetto.

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Elisabeth George, Anatomie d’un crime

Elisabeth George Anatomie d un crime

Les lecteurs assidus de cette américaine spécialiste du Londres contemporain se souviennent que, lors d’un précédent roman de la série ‘Thomas Lynley l’aristo et Barbara Havers la prolo’, tous deux membres de Scotland Yard, la femme de Lynley se trouvait abattue par un minoritaire ethnique sur le pas de sa porte. Pour rien, juste parce qu’elle se trouvait là. L’auteur devait se trouver en panne  sèche pour faire redémarrer la suite car elle a choisi, depuis deux romans, les chemins de traverse.

Anatomie d’un crime’ explore l’existence de la petite frappe qui a tiré, occasion de faire dans le social et de se plonger avec une certaine délectation professionnelle dans l’exploration intime des enfances malheureuses. Le titre anglais est très explicite : ‘Ce qui est arrivé avant qu’il la descende’.

Élisabeth George (pseudonyme), est née dans l’Ohio. Elle s’est intéressée à la littérature anglaise et à la psychopédagogie durant ses études. Enseignante durant 13 ans, elle connaît le monde ado. Choisir Londres et le roman de style policier lui permet le décalage nécessaire pour parler de ce qui l’intéresse sans braquer ses lecteurs américains et Noirs : l’origine sociale et ses conséquences. En ceci, elle est peu américaine au fond, prêtant beaucoup moins d’attention aux gènes et à la « nature » qu’on ne le fait aux États-Unis. Elle apparaît moins éthologue que behavioriste, pour parler jargon. Pour elle, les capacités innées existent, mais elles se révèlent si le milieu y consent, pas autrement.

C’est justement l’histoire de Joel, le tueur de 12 ans, qu’elle veut nous conter. Mélange ethnique de Noir, de Blanc et d’Asiatique (le politiquement correct ne peut pas l’accuser de stigmatiser une minorité…), le gamin « exhibait un visage couvert de taches de la taille d’une dragée qui ne mériteraient jamais le nom de taches de rousseur et qui trahissait la lutte ethnique et raciale dont son sang avait été le théâtre dès l’instant où il avait été conçu. (…) Il avait les cheveux impossibles qui partaient dans tous les sens et ressemblaient à un tampon à récurer couvert de rouille » p.16 Malgré la cruauté ironique du propos, Joel est présenté tout au long du livre comme un préado sympathique, protecteur de son petit frère, s’efforçant d’être responsable et qui fait ce qu’il peut. Mais à cet âge, comment lui demander d’assumer le rôle d’homme dans une famille déstructurée ?

Père drogué repenti, abattu par hasard parce qu’il avait pris le mauvais trottoir au mauvais moment ; mère psychotique qui a failli par deux fois « effacer » son petit dernier en tentant de le jeter du troisième étage, puis en poussant son landau sous un bus, aujourd’hui enfermée chez les fous ; grand-mère coureuse et lâche qui abandonne ses petits-enfants chez une autre de ses filles ; tante, travailleuse méritante mais qui ne peut avoir d’enfant, vite dépassée par une reconstruction trop tardive des mômes. Desdits mômes, Joel est le plus équilibré. Ce n’est que par une suite logique due à un raisonnement de base naïf, qu’il se fourre dans le pétrin. Mais, à cet âge, comment lui demander d’avoir la subtilité d’un adulte ?

Sa sœur de 15 ans, Ness, a été violée dès 10 ans par les copains soûlards de son grand-père ; depuis, « elle aime la bite » et aguiche à qui mieux mieux pour se faire considérer : « Si elle avait retiré sa veste, sa tenue l’aurait également fait remarquer : un petit top à paillettes qui laissait son ventre à nu et mettait en valeur ses seins voluptueux » p.16 Elle ne trouve rien de pire que de provoquer le caïd du quartier, dit « la Lame », expert ès deal en tout genre. Lui la prend, puis la jette comme ses pareilles quand ça lui chante. Dans l’ambiance locale, toutes les pouffes sont des trous putassiers qui ne demandent que protection et sniffe. Ness décide de le quitter, ce qui lance toute l’histoire…

Joel est en effet un petit mâle dont le seul exemple est celui de la rue. On n’y existe que parce qu’on y inspire « le respect ». Pour cela, il faut soit faire peur, soit faire allégeance. A 12 ans, on est à l’âge de l’entre deux, trop fier pour se soumettre et pas les couilles pour s’imposer. Le ressort de l’intrigue est là.

Elle se déploie sur plus de 750 pages qu’on lit avec passion. Ce n’est jamais ennuyeux ni racoleur. Après le décor planté, plutôt sordide, l’engrenage suit sa progression d’horloge, chaque événement entraînant par pente naturelle un second. Parce que sa sœur, pute mais pas soumise, ne suit pas les règles de la rue, le petit frère à moitié débile Toby se fait agresser par une bande de gamins, dont le chef, à peine plus âgé que Joel, voit comme un défi à sa virilité qu’il parle à sa copine dans la même école.

Tout s’enchaîne et Joel, 12 ans, qui ne se drogue pas, ne viole ni n’agresse personne par plaisir et n’est même pas tenté par le sexe, qui écrit dans une « activité » des poésies de rue où les mots se bousculent mais avec vérité, Joel est entraîné dans le maelström. Adultes impuissants à offrir des modèles positifs, protection sociale éclatée, flics débordés qui se contentent de contenir, pas de prévenir – comment un gamin baigné dans un tel milieu pourrait-il s’en sortir ?

Écrivant au scalpel, Élisabeth George ne manque pas d’ironie. Elle pointe les contradictions des gens. D’une musulmane voilée qui veut quand même travailler, et ce dans un pays qu’elle considère ‘impie’ : « Rand travaillait à la vitesse d’une tortue sous calmants, sa vue étant gênée par le stupide drap de lit noir qu’elle s’obstinait à porter, comme si Sayf al Din allait la violer sur le champ dès qu’il aurait la possibilité d’apercevoir son visage » p.549. Des chansons de rue que la démagogie médiatique présente comme de ‘l’art’ : « La radio sur le plan de travail ajoutait encore à la cacophonie ambiante. Du rap s’en échappait sous forme de grognements incompréhensibles émanant d’un chanteur que le DJ présenta comme Queue de Béton » p.658. D’une travailleuse sociale, pleine de bonnes intentions : « Elle était blanche, blonde, bien propre sur elle : ce n’étaient pas des défauts mais des handicaps. Elle se considérait comme un modèle au lieu de se voir comme ce qu’elle semblait être aux yeux de ses patients : une ennemie incapable de rien comprendre à leurs vies » p.652

Est-ce à dire que c’est à désespérer de tout et qu’il n’y a rien à faire pour ces minorités sinon, comme les flics, du ‘containment’ social ? Écrit l’année 2005 en pleine ère George W. Bush, ce roman ne le laisse pas penser. Le problème est énorme : immigration incontrôlée, sexe à tout va encouragé par la pub, naissances multiples non planifiées, système scolaire inadapté, mafias qu’on laisse se développer faute de moyens…

Mais les solutions existent. Le gamin, pas plus que sa sœur, n’est montré irrécupérable. Cette dernière a failli s’en sortir jusqu’à ce qu’une agression issue de ses actions passées ne la rattrape. « Joel a besoin d’un suivi psychologique tout comme Ness, mais il a besoin de plus que cela. Il a besoin d’une prise en charge sérieuse, d’un objectif, d’un centre d’intérêt sur lequel se focaliser, d’un exutoire et d’un modèle masculin auquel s’identifier. Il faut lui procurer tout cela ou alors envisager d’autres solutions » p.629. CQFD

Elisabeth George, Anatomie d’un crime (What came before he shot her), 2006, Pocket 2008, 764 pages, €7.98

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La religion aux États-Unis

En ces temps d’élections – françaises en juin, américaine en novembre -, un court opus d’Isabelle Richet fait le point sur la religion aux États-Unis en collection Que sais-je ? Il est intéressant d’aller voir là-bas pour mieux comprendre ici-même.

Et le parallèle France/États-Unis est assez parlant :

• La conquête des colonies américaines a été religieusement pluraliste (calvinistes, puritains, quakers, juifs, catholiques, animistes). – Aujourd’hui, la France n’est désormais plus homogène.

• Le réveil religieux aux États-Unis, dès 1730, s’est effectué en raison de la diversité ethnique, sociale et culturelle croissante des états. – La poussée de l’Islam en France dès la fin des années 1970 a entraîné un réveil du religieux juif, puis catholique, enfin laïc-athée, désormais affiché et revendiqué.

• La conquête de l’Ouest américain avait une dimension religieuse : inventer un nouveau pays moral. – La reconquête des valeurs du travail, de la sécurité et de l’effort, confuses dans la société et enfourchées par le Président précédent, ont probablement le même ressort. Le réveil des Pigeons, contre une fiscalité confiscatoire envers ceux qui entreprennent, est lui aussi une affaire de morale civique : consentir à l’impôt est affaire de légitimité et de justice.

• La fracture de la religion dominante aux États-Unis, protestante, s’effectue en 1845 sur l’esclavage, marquant deux conceptions évangéliques : libérale ou conservatrice. La seconde donnera le fondamentalisme anti-moderne dont les néos-Cons, hostiles à la contre-culture des années 1960, sont les derniers avatars. – Y aurait-il en France, en germe ou sous-jacent, un tel partage entre modernité et traditionalisme dans la religion (jusqu’ici) majoritaire, la catholique ? Il n’est pas impossible de le penser ; le ministre de l’Intérieur aurait, au gouvernement, pour objectif d’aider le courant libéral de l’Eglise de France (et le courant modéré de l’Islam) à émerger.

Aux États-Unis même :

Le baby boom, la guerre froide, la mobilité sociale en hausse, les migrations géographiques des travailleurs vers les banlieues et des retraités vers les états du sud, ont fait que les églises sont devenues aux États-Unis les seules communautés permanentes. Plus même que les familles, souvent recomposées.

  • Le melting-pot catholique (Irlandais, Italiens, Polonais, Canadiens français, Latinos, Caraïbes, Philippins, Vietnamiens…) est de même la seule communauté de rencontre des non-protestants ; il est vivant, tout comme le Pentecôtisme, grâce au Mouvement charismatique ; il rapproche la culture catholique de la protestante en raison de son accès direct à l’Esprit Saint, sans intermédiaires cléricaux.
  • Le judaïsme est plutôt réformiste, en accord avec la pratique d’une communauté aisée.
  • L’islam est devenu la 3ème religion des États-Unis grâce à l’immigration originaire du Moyen-Orient, avec 4 millions de fidèles (dont 1 million de Noirs).

Cette vivacité religieuse, cette cohabitation des communautés, cet individualisme de la foi (le rapport direct de la personne à Dieu) est un modèle de mœurs qui tentait Nicolas Sarkozy. Pas sûr que le gouvernement socialiste aille dans la même voie. Tout ce qui est marqué du sceau du libéralisme lui semble avoir la patte du Diable. Il aurait plutôt tendance à suivre le pesant conservatisme de la société pour le statu quo, se gardant à la fois de la guerre civile permanente du modèle jacobin hérité des guerres de religion sous les rois, et de l’activisme islamique et catholique. La société française reste peu tolérante et lourde à changer : on l’a vu sur l’avortement, on le voit sur les homosexuels, on l’observe dans les débats « politiques ».

Là où la France diffère des États-Unis :

Les croyants américains sont des activistes de leur foi, pas les croyants français (ou pas encore, ça vient lentement, dirait-on…). Les croyants américains se prennent en main, sans tout attendre d’en haut, de l’institution. Ils participent activement à la construction de leur église en même temps qu’à la gestion de leur commune.

Écart de culture, d’attitude devant la vie : les Américains sont volontaristes, prennent de l’initiative – pas les Français, méfiants et passifs, attendant de voir pour critiquer à leur aise sans mettre jamais la main à la pâte. L’individualisme chrétien rejoint l’individualisme républicain des Lumières : il s’agit de devenir un self-made saint. Le péché originel est rachetable par sa propre conduite. Le succès dans ses affaires est signe de la grâce de Dieu. A culture consumériste, religion thérapeutique : la foi est une psychologie, la pratique un accomplissement de soi (scientologie, new age, néo-évangélisme, ‘bouddhisme’ américanisé).

La communauté dans l’église prône une morale de pureté ; elle a pour mission de contrôler la société impure. Si la Constitution américaine est laïque, la nation est chrétienne – revendiquée comme telle, au contraire d’en France – et la séparation administrative n’inhibe nullement le dialogue pour faire les lois. La geste nationale est d’ailleurs « providentielle » : la découverte de l’Amérique a coïncidé avec la Réforme et incité les Pères pèlerins à devenir Pères fondateurs d’une « nouvelle Jérusalem », ici bas et tout de suite. La conquête de l’Ouest est l’avènement du Royaume. La guerre froide mobilisera de même la religion contre le communisme et, plus près encore, les attentats du 11-Septembre mobiliseront les chrétiens républicains contre les islamistes fous de Dieu.

La religion – quelle qu’elle soit – offre donc des repères :

Cela dans une société de plus en plus complexe, de plus en plus orientée vers le rapide, l’utile et le pratique, de plus en plus irriguée de ‘communication’, au risque du narcissisme et du virtuel. Elle redonne aux États-Unis un sens à la vie et à l’activité des communautés. Elle incite à agir, à se réunir et à réussir.

En dehors même de la foi, qui reste personnelle, la religion a une utilité pratique : la socialisation, l’élaboration d’une norme de comportement et un message sur les fins dernières. Un pays tourné vers l’avenir ne saurait s’en passer. La religion comme identité, au carrefour du pluralisme, de l’individualisme et du nationalisme… Faut-il voir dans tout cela un modèle ?

L’intérêt de ce petit livre est d’y faire réfléchir.

Isabelle Richet, La religion aux États-Unis, PUF collection Que sais-je ?, 127 pages, €8.74

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Venise vue par le commissaire Brunetti

Vous connaissez probablement Venise, ses palais mirant leurs façades dans les eaux du Grand Canal, ses musées emplis d’œuvres d’art, ses restaurants de pâtes et poisson. Vous ignorez sans doute comment vivent les Vénitiens. Je me souviens de mon philosophique « étonnement », à 20 ans, lorsque j’avais vu un employé en costume cravate parcourir les rues animées d’une fin août touristique, le porte-documents à la main. Il y avait donc des « habitants » à Venise ? Des gens qui vaquaient à leurs affaires comme dans toute ville moderne, habillés et non pas en short et polo de touriste ?

J’ai lu avec plaisir, dans les années 1990, la plupart des romans policiers qu’écrivit Donna Leon. Cette américaine vit à Venise depuis la fin des années 80. Elle enseigne la littérature dans une base OTAN de l’armée américaine. Son commissaire de police, Guido Brunetti, est particulièrement réussi. Brunetti sort du petit peuple vénitien, il a suivi des études d’histoire puis de droit grâce à la démocratie d’après-guerre avant d’entrer dans la police. Il a eu la chance d’épouser par amour la fille d’un comte, Paola, professeur de littérature anglaise à l’université, qui lui a donné deux enfants : Raffaele alias Raffi, 15 ans dans le premier volume, et Chiara, 12 ans. Très humainement, ces enfants grandissent de volume en volume, passant par les phases de l’adolescence révoltée, des études prenantes et des ami(e)s pour la vie. Paola l’universitaire, comme les enfants lycéens, sont un pôle de stabilité pour Brunetti : ils assoient concrètement son idée de la vérité, de la justice et du bon vivre social. Car, en bon Italien, Brunetti aime sa famille, les bons repas et la justice ; en bon vénitien, il se méfie des apparences, des produits pollués et de l’incompétence administrative. Donna Leon fait bien ressortir ce qu’il y a d’humaniste dans le métier de policier à Venise.

Chaque volume aborde un thème différent, typiquement vénitien, mais documenté à l’américaine. Mort à la Fenice (1992) se situe dans le monde de l’opéra, Mort en terre étrangère (1993) analyse les échanges mafieux entre industriels peu soucieux d’environnement et militaires américains de la base de Vicence, Un Vénitien anonyme (1994) aborde le milieu des travestis et du porno, Le prix de la chair (1995) s’intéresse à la prostitution venue de l’Est, Entre deux eaux (1996) trempe dans le monde de l’art et des faux, Péchés mortels (1997) parmi les institutions religieuses, Noblesse oblige (1998) dans l’aristocratie vénitienne, L’affaire Paola (1999) autour de la pédophilie, Des amis haut placés (2000) dans le monde des usuriers, Mortes-eaux (2001) chez les pêcheurs de la lagune. Il y aura encore Une question d’honneur (2002) sur le trafic d’œuvres d’art, Le meilleur de nos fils (2003) dans une académie militaire, Dissimulation de preuves (2004) et les filières d’immigration clandestines, De sang et d’ébène (2005) sur les vendeurs de rue africains, Requiem pour une cité de verre (2006) à propos de pollution industrielle, Le cantique des innocents (2007) et le trafic d’enfants, La petite fille de ses rêves (2008) à propos des Roms, La femme au masque de chair (2009) sur les ravages de la chirurgie esthétique, Les joyaux du paradis (2010) sur la corruption. Plus deux autres pas encore traduits en français. Des téléfilms ont été tirés des enquêtes, diffusés en Italie, en Allemagne et en France.

Venise, la ville et l’Etat italien en prennent pour leur grade, surtout vus d’Amérique. Mais l’auteur a un faible pour les Vénitiens particuliers, qui sont loin d’être « tous pourris », même si nombre d’entre eux sont ambitieux, hypocrites et cupides. N’est-ce pas le comte Falier, beau-père de Brunetti, qui déclare : « Nous sommes une nation d’égocentriques. C’est notre gloire mais ce sera aussi notre perte, car pas un seul de nous n’est capable de se vouer corps et âme au bien commun. Les meilleurs d’entre nous parviennent à se sentir responsables de leurs familles mais, en tant que nation, nous sommes incapables d’en faire davantage. » (Mort en terre étrangère, p.255)

Il faut dire que, lorsque l’Etat est faible, prolifère la bureaucratie. La France devrait s’en souvenir, la IVème République n’est pas si loin. Et quand je pense que certains à gauche souhaitent la proportionnelle et le retour au parlementarisme d’hier, devenu « italien » quand Rome l’a imité en 1946, je ne peux que leur conseiller de lire Donna Leon ! Le « pouvoir des bureaux », faute d’Exécutif ferme et durable, fait régresser la politique aux relations claniques et incitent les citoyens à ignorer la loi. La clé de la survie, dans ce genre d’Etat faiblard, est de « faire confiance » à des personnes réelles, pas au droit ni aux fonctionnaires : « telle était la réalité, malléable, docile : il suffisait de s’ouvrir un chemin à la force du poignet, de pousser un peu dans la bonne direction, pour rendre les choses conformes à la vision qu’on en avait. Ou alors, si la réalité se révélait intraitable, on sortait l’artillerie lourde des relations et de l’argent, et on ouvrait le feu. Rien de plus simple, rien de plus facile » (Des amis haut placés, p.185). « Combinazione » et « conoscienze » – les arrangements et le réseau -, ces outils du survivre en anomie, ont été inventés en Italie.

Les idéaux de 1968 qu’avaient Paola et Guido durant leur jeunesse ont fait naufrage sous les vagues des scandales politiques, de la corruption mafieuse et des mainmises d’intérêts économiques. Guido à la questure comme Paola à l’université sont confrontés à la prévarication, au favoritisme, à l’égoïsme de leurs contemporains : « toi, tu as affaire au déclin moral, déclare Paola. Moi, à celui de l’esprit » (Des amis haut placés, p.169). Venise badaude, la crédulité y est reine, tout comme le quant à soi. Un peuple sans esprit critique avale tout ce qu’il lit dans les feuilles à scandales, croit tout ce qu’on lui dit ; l’apparence se doit d’être sauve. Quant à la morale romaine des vieux livres de chevet, elle a sombré avec les siècles. Un dicton vénitien dit cependant : « tout s’écroule mais rien ne s’écroule ». Ce qui signifie : on se débrouille toujours et la vie va.

Car il reste Venise, l’architecture magnifique, son ‘ombra’ bu au comptoir, ses ‘vongole’ délicieux dans les spaghettis – et le printemps, qui est un ravissement. Les gens y sont beaux plus qu’ailleurs. Le sens de la relation humaine est porté à un art inégalé. Donna Leon a capté cette sensibilité quasi religieuse du peuple italien : Luciano, 16 ans, a plongé en simple jean coupé pour reconnaître un bateau coulé ; lorsqu’il ressort de l’eau, secouant la tête d’où des gouttes jaillissent, « le soleil émergeait des eaux de l’Adriatique. Ses premiers rayons, s’élevant au-dessus des digues de protection et de la langue de sable de la petite péninsule, tombèrent sur Luciano lorsqu’il s’immobilisa en haut de l’échelle, métamorphosant le fils du pêcheur en une apparition divine surgie des eaux, ruisselante. Il y eût un grand soupir collectif, comme en présence d’un prodige » (Mortes-eaux, p.20). La beauté de l’adolescent nu fait passer un frisson de sacré sur le peuple, comme il y a deux mille ans. Ou encore : Brunetti « se dit qu’il avait la chance de vivre dans un pays où les jolies filles abondaient et où les très belles femmes n’étaient rien d’exceptionnel » (Des amis haut placés, p.207). Le commissaire est constamment ému de voir ses enfants grandir, il aime le havre de paix du dîner où tout le monde est réuni, il apprécie le stimulant d’une conversation sérieuse avec sa femme. Il aime à lire Gibbons, Sénèque ou Xénophon et à rencontrer ses amis d’hier, Vénitiens comme lui, qui lui apportent des informations sur les rouages sociaux et les tempéraments. Il n’y a pas de secrets dans cette île-ville où tout le monde se connaît.

Brunetti cherche à compenser ce que l’existence peut avoir d’injuste pour les uns ou pour les autres par l’application du droit. Il n’est pas un cow-boy comme certains détectives américains, il n’est pas la Justice en personne malgré les tentations qui lui viennent souvent devant l’impéritie officielle ou la bêtise de son supérieur, le servile et vaniteux Patta. Il veut rester digne du devoir moral qu’il s’est donné jeune et qui prolonge la tradition romaine. Il vise à protéger les faibles et les enfants, à empêcher vautours et prédateurs de nuire en toute impunité. Vaste travail, chaque jour recommencé, mais qui est déjà beaucoup. En lisant ces romans policiers, de psychologie plus que d’action, vous pourrez pénétrer, touristes, dans l’intimité vénitienne, dans l’état d’esprit du peuple vénitien, bien mieux que par les visites guidées de palais morts.

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Mohammed, notre Breivic national

« Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine. Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme. »

Ainsi écrivis-je en juillet 2011 sur « le monstre » de Norvège. Il me suffit de répéter ce texte pour l’appliquer tel quel à Mohammed Merah. Islamisme et anarchisme hyperindividualiste se confondent lorsqu’il s’agit de passer à l’acte pour éradiquer « tous les aliens ». Et les bonobos de gauche (bourgeois NouvelObs bohêmes) qui accusaient déjà l’extrême-droite s’en mordent les doigts. C’est que le politiquement correct pavlovien n’explique rien, il dissimule. On ne veut pas voir…

Oui, l’islam, comme toutes les religions (y compris la communiste), suscite son propre intégrisme.

Mais il ne faut pas confondre l’islam avec l’islamisme, ni la politique d’Israël à Gaza avec le judaïsme, ni le christianisme avec l’Inquisition, ni la philosophie de Marx avec la Tcheka créée par Trotski, les camps par Lénine et les massacres de masse par Staline, Mao et Pol Pot. Mohammed a assassiné une fillette de sept ans en l’attrapant par les cheveux avant de lui loger une balle dans la tête. Le prophète Mohammed ? Non pas, mais d’un croyant qui porte ce beau nom pour en salir la mémoire. On peut très bien analyser, juger et condamner les massacreurs sans manquer de « respect » à une religion, quelle qu’elle soit. Et la gauche à la mode ne se trouve pas grandie des commentaires vains qu’elle a sur ces événements.

  • Sarkozy a été dans son rôle de président, il a réendossé la fonction, ce qui lui manquait souvent durant son quinquennat. La droite peut se féliciter de l’efficacité de la police, que la polémique inepte sur les lacunes du « renseignement » ne saurait diminuer. Faudrait-il emprisonner, fliquer, déchoir de leur nationalité, expulser… tous les jeunes tentés par un séjour dans un camp islamiste ou autre ? Allons donc ! Nous devons rester un État de droit.
  • Hollande a été digne et discret, faisant ce qu’il fallait faire, sans récupération ni accusations.
  • Bayrou a été nul : retombant dans ses travers de moraliste catho-pétainiste, il ne peut pas s’en empêcher.
  • Le Pen fille a été mauvaise, dans tous les sens du mot, appelant à la retenue lorsque la piste de l’extrême-droite a été évoquée, tirant à boulets rouges quand l’information a révélé l’islamisme de petit délinquant de banlieue (tout ce qu’elle « aime »).
  • Mélenchon a eu raison de dire que la vie continue malgré tout, mais déconsidéré de refuser de participer à ce qu’il voit comme un cirque alors qu’il s’agit d’un rare moment de réunion nationale ; son affirmation très légère selon laquelle « l’immigration n’est pas un problème » en sort ridiculisée : ce n’est certes pas le flux en soi des gens qui est problème, mais leur intégration s’ils veulent rester et leur volonté d’être comme les autres Français s’ils sont fils ou petit-fils d’immigrés…
  • Quant aux écolos, la Duflot a montré son inanité une fois de plus en accusant Sarkozy d’effrayer les enfants ! Caroline Eliacheff a très bien remise à sa place sur France-Culture l’égérie verte à tête de linotte en déclarant que les enfants savent bien que les adultes sont bouleversés, que ce n’est donc pas les « protéger » que de nier cette réalité là, que dire que cela aurait pu arriver à n’importe qui, dans n’importe quelle école, donc à eux aussi, c’est renforcer le sentiment d’appartenance, de solidarité, c’est ne pas distinguer une école confessionnelle (juive) des autres écoles de France…

Car de quoi cette affaire est-elle le nom ?

Du tabou : de la croyance de gauche en ces opprimés palestiniens ou afghans (bien réels) comme néo-prolétaires de la mondialisation (ce qui reste à démontrer), donc vecteurs du progrès de l’Histoire (n’ayons jamais peur des grands mots). Donc tout ce qui est connoté islamisme, anti-israélien, anti-impérialiste est « bon » ; tout ce qui vient de là ne peut qu’être « dans le sens » de l’histoire. Les mauvais sont les fascistes, les extrêmes de la droite – jamais de la gauche. Ce sont ces lunettes roses qui valent de ne pas comprendre.

Car de qui s’agit-il ?

D’un Français, né à Toulouse, dans une banlieue modeste mais pas misérable. D’un petit délinquant mal scolarisé, sans père, enfermé dans un ghetto de « potes ». D’un être de ressentiment, qui en veut à la France de ne pas avoir réussi à l’intégrer, ni à l’école, ni dans l’armée, ni dans la société.

Il s’agit donc (à ce stade des informations) d’un de nos « fils », de nos « frères », qui a dérapé dans la croyance – ni plus, ni moins que les activistes trotskistes ou maoïstes d’Action directe, ou les « nationalistes » basques de sa propre région. Il ne s’agit ni d’un fou (terme commode par lequel on évacue toute analyse), ni d’un révolutionnaire (d’un quelconque projet politique), ni d’un « étranger », allogène, d’origine, mouton noir dans un troupeau blanc. Il s’agit d’un Français né en France, élevé en France, qui a été mal intégré par sa propre société. Il a donc cherché ailleurs, dans une secte violente, un idéal pour exister. Son rattachement islamiste est reconstruit, il ne lui est ni congénital, ni familial, ni algérien.

La question est donc celle d’un échec de notre « modèle social français ».

Modèle qui fait eau de toutes parts, de la faute des élites comme des politiciens (pour éviter le terme « hommes » politiques qui déplaît tellement aux femmes féministes politiquement correctes). A croire l’Arabe néo-prolétaire à « sauver » dans l’histoire, à taper sur « l’identité nationale » en l’accusant de tous les rejets et de tous les colonialismes, en promouvant la repentance pour le n’importe quoi (la loi contre la « négation » des crimes contre les Arméniens étant la dernière invention), en ne proposant RIEN de positif autre que cette soupe tiède du « multiculturel » où personne ne se reconnaît (sauf les futiles bobos assez riches pour aller dissiper leur vie à s’amuser entre New-York, Marrakech ou les Bahamas) – la France 2012 a permis un Mohammed Merah.

Parce que l’identité n’est pas le rejet, que le melting-pot des cohabitations à l’américaine n’est pas un modèle enviable, ni qui correspond à notre histoire de France. Parce que les Lumières libèrent, elles n’assignent pas les gens à leur essence. La liberté des diverses religions et croyances n’est permise que par la laïcité. L’égalité devant la loi donne à chacun le droit de faire, de croire et de dire tout ce qui ne pas contre la vie de la cité. Ce vivre ensemble, en bonne entente, est la fraternité. Avec Mohammed, la France d’aujourd’hui connaît donc un triple échec, fait de nos démissions :

  1. Démission sur la laïcité qui seule permet la liberté, en feignant de croire qu’il serait des religions ou des « communautés » plus respectables que d’autres ; que la viande halal peut être imposée à tous en catimini, sans traçabilité ; qu’on pourrait se voiler le visage sans conséquences sur les relations sociales ; qu’il faut voiler Voltaire sur les façades du Louvre…

2. Démission sur l’égalité en exigeant d’interdire par la loi toutes les déviances d’analyse et de discours sur l’esclavage arabe, l’histoire juive, le génocide arménien, la place des femmes, des gais, des handicapés… En laissant les « appartenances » fleurir dans le joyeux festif du multiculturel où le tag est équivalent à la Joconde ou l’éructation ado sur trois accords égal aux Beatles. En refusant d’accomplir la culture des Lumières, qui vise à « libérer » les individus de ces appartenances automatiques que sont la biologie, la famille, le clan, la bande, la mode, l’idéologie, la croyance.

3. Démission sur la fraternité en faisant de Mohammed Merah un faux français, tout de suite qualifié « d’origine », algérienne, musulmane, alors que ni l’école, ni les associations, ni la société, ne lui ont offert un destin.

Les tueries de Toulouse sont donc un symptôme de notre société française.

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Tropisme chinois du Tahiti nouveau

Le Peï a besoin de beaucoup de sous. Il en cherche partout. Le plus simple ? Augmenter les taxes ! Alors ce sera un plus de 5 à 20% sur tous les alcools ; 5 à 60% de taxes sur le tabac et les alcools importés sauf sur le tabac à rouler (marque Le Bison) ; taxe de 1% sur les équipements électriques ; 5% sur les colis dont le montant est compris entre 10 001 et 29 999 FCP ; augmentation des taxes sur les produits d’origine européenne soit 2% sur les fournitures scolaires, les couches, les conserves de légumes, certains produits de construction ; 8% sur les bonbons ; 2 à 4% sur les produits alimentaires et les produits corporels.

Souhaitant améliorer les relations commerciales avec les partenaires du Pacifique, Oscar Tane, palabre pour faire adopter une résolution pour modifier la loi organique. Il a décidé d’abaisser ces taxes de 5 à 2%. On veut croître les relations avec la Chine, toujours et encore la Chine, seulement la Chine !

Encore une escale d’un navire scientifique chinois dans le port de Papeete. Les membres de l’association philanthropique chinoise de Tahiti s’étaient rassemblés pour accueillir les 320 membres de l’équipage. Ce n’est pas la première fois, je voyais au supermarché Champion Paofai les Chinois faire leurs emplettes : chocolat et vin rouge. Je suis troublée, malgré les annonces du gouvernement, de la place prise par les Chinois à Tahiti. Les dirigeants chinois font régulièrement escale à Tahiti, pourtant nous ne sommes pas sur le chemin des Chinois. Le gouvernement cherche à vendre des terres, à qui ? Mystère, mais bien des Polynésiens pourraient se retrouver spoliés. Les terres ainsi prises seraient revendues à… ? Les Chinois achètent de plus en plus de coquillages pour la nacre… mais aussi pour fabriquer des perles paraît-il !

L’année du Lièvre s’est achevée le 22 janvier à minuit et laisse la place au Dragon d’eau. Long Nian Kuai Le, Kung Hi Fat Choy, Shu, Shen Ti Hao, Fu. Cela devrait vous souhaiter Bonne année du Dragon, Prospérité, Longévité, Santé et Bonheur. Tout cela rien que pour les lecteurs d’argoul.com. Les Chinois de Tahiti préparent les festivités. Une troupe chinoise composée d’acrobates, d’humoristes et d’un chanteur viendra donner quelques spectacles au temple Kanti. Préparez la monnaie ! Non, les billets dans l’enveloppe rouge, ce sera moins lourd dans la gueule du lion – car il danse.

En Polynésie la médecine chinoise et sa pharmacopée ne sont pas illégales comme en France. L’histoire de l’immigration chinoise autorise cette science sous certaines conditions. La réglementation polynésiennes encadre strictement la profession d’herboriste, l’importation de produits de la pharmacopée chinoise, tout est fixé par décret depuis 1980. A Tahiti, sept personnes seulement peuvent se prévaloir d’être herboriste. Ces ra’au (médicament) chinois attirent la population polynésienne dans son ensemble. Ce pourrait être une pincée d’hippocampe, du pénis de tigre, des peaux de vers, du cafard d’eau… voyez avec votre médecin et pharmacien. Les noms de ces sept personnes sont publiés au JO ainsi que les substances ou médicaments qu’ils peuvent importer en Polynésie.

Hiata de Tahiti

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Indigente campagne

Politique spectacle, positionnement théâtral, appel à la Morale… Les candidats sont comme des ados qui se prennent en photo devant le miroir, gonflant les muscles, prenant des poses. Le message n’émet pas d’idée mais des images ; il ne vise pas l’électeur mais le journaliste. L’histrionisme médiatique est à son comble, en circuit fermé. Rares sont les sujets vraiment abordés, comme la confrontation des deux discours sur l’école, plutôt fouillés. Mais les Français dans tout ça ?

Mi-octobre, après de longues primaires qui ont suivi les interminables péripéties sur Strauss-Kahn et ses putes, François Hollande a été adoubé contre Martine Aubry. Pour la gauche « ça y était », ils se voyaient déjà élus, au pouvoir. Fin février, Nicolas Sarkozy est entré en campagne comme « candidat hors système ». Toujours du changement : agitation ou cynisme ?

A L’Express le 23 mars 2007, le président alors premier candidat déclarait : « Et ma rupture, ce sera celle des promesses tenues, des engagements pris, de la confiance retrouvée entre le peuple et la parole publique. Ma vie, ma passion, c’est l’action. » Le président de la République ? « C’est un leader qui assume ses responsabilités. Il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il dit, s’engage sur des résultats, par exemple le plein-emploi. Le président, ce n’est pas un arbitre, c’est un responsable. Il doit aussi rassembler le pays et non le diviser, au service d’un projet. » L’Europe ? (c’était avant la crise) : « Il faut aller à Bruxelles pour demander trois choses : un gouvernement économique de la zone euro ; une réflexion sur la moralisation du capitalisme dans la zone euro pour récompenser la création de richesse et pénaliser la spéculation (…) ; comment utiliser l’euro comme les Américains le font avec le dollar, les Chinois avec le yuan et les Japonais avec le yen. » Les idées, on le voit, n’ont pas changé : c’est l’action qui a fait quelque peu défaut. Confiance dans la parole publique ? Au plus bas. Engagement sur les résultats, notamment l’emploi ? Échec – évidemment il y a la crise, mais les blocages réglementaires et technocratiques sont toujours là. L’Europe ? Bon, on n’est pas tout seul, mais Angela Merkel est plus populaire que Nicolas Sarkozy dans tous les pays de l’Union, il y a donc déficit d’efficacité. Rassembler ? Là on rigole franchement…

Comment faire pour apparaître neuf quand on est usé par dix ans de pouvoir, ministre puis président ? Tout le monde prend pour cible le sortant, d’où son positionnement décalé. Il veut éviter d’être acculé à son bilan, donc en appelle directement au peuple par le référendum, prônant le rationnement des parlementaires. Il se présente « contre le système » – le mot vient des Le Pen ; contre les « corps intermédiaires » – mot bonapartiste. Autrement dit la Ve République ne permet pas de gouverner et les contrepouvoirs d’une véritable démocratie bloquent la décision. Est-ce la dictature qu’il nous propose ? Ou n’est-ce que tactique : récupérer l’extrême-droite ? Pour gagner, dans l’état actuel des opinions, Nicolas Sarkozy a besoin de 60% des électeurs Front national et de 45% des centristes.

Or le centre fuit : comment oser l’appeler à se rassembler lorsqu’il y aura second tour ? L’analyse politique est que la France est à droite ; que les valeurs de la « majorité silencieuse » s’extrémisent comme dans le reste de l’Europe ; que les médias comprennent des journalistes des mêmes milieux, formés dans les mêmes écoles, aux deux-tiers branchés, dans le vent, donc « de gauche ». Qu’il y a donc un pays réel opposé au pays légal – thématique habituelle d’ancien régime.

Récupérer les électeurs tentés par Marine signifie aller chasser sur ses terres : non au mariage homo, à l’adoption gai, à la recherche sur les cellules souches, à cette nébuleuse vague qu’on fourre sous le nom d’assistanat, à « l’immigration » (sans distinguer l’obligatoire due aux mariages et regroupement familial, de celle de travail due aux patrons et des étudiants attirés par notre aura intellectuelle…). Trop « d’étrangers » signifie trop de musulmans, qu’ils soient noirs ou arabes, la polémique sur la viande halal le prouve. Si ce n’est pas de la démagogie, tout ça… Et c’est en plus nauséabond. Les valeurs de la République sont autres, les Français n’évoluent pas forcément dans le sens intuitif : le vote des étrangers aux élections locales est mieux accepté qu’il y a 5 ans, la diversité au gouvernement aussi. Le staff des communicants sarkoziens le comprend-t-il ?

François Hollande, quant à lui, ne rassemble guère plus. Il veut rallier son camp, tournant le dos au reste de la France. C’est ainsi qu’il s’oppose à « l’ennemi sans visage » (la finance, les marchés, l’oligarchie, les riches, le mot race…). Il rejoue « la patrie en danger » comme en 1792 sous Robespierre, avec les accapareurs (banquiers) et les émigrés (fiscaux). Sauf que les glissements sémantiques l’emportent lui aussi vers le FN. En oubliant que le mot n’est pas la chose : que comprend le mot « système » ? comment définit-on en acte le mot « race » ? Si « La France est la solution » (comme ailleurs l’islamisme, parallèle douteux…), pourquoi le parti socialiste a-t-il si peu de diversité ethnique dans ses instances ? Pourquoi les gouvernements de gauche ont-il eu aussi peu de représentants colorés? Faire du symbolique, c’est agiter du vent, agir c’est mieux. Reconnaissons que Sarkozy, tout en stigmatisant l’immigration hors contrôle (ce que Hollande ne promet que du bout des lèvres), a mieux réussi l’intégration visible avec Rachida Dati, Rama Yade, le préfet beur.

La colère des électeurs est réelle envers ceux qui ont causé la crise et qui en profitent pour s’augmenter alors qu’ils restreignent les salaires. Mais taxer à 75% les revenus au-dessus d’un million d’euros est populiste. Cela touche quelques milliers de personnes, pas des plus malheureuses et loin de moi l’idée de les plaindre, mais le symbole est ambigu. Taxer le succès est-il encourageant ? Taxer l’héritage, pourquoi pas, mais le travail ? Confisquer est un mauvais réflexe de gauche, comme si les technocrates d’État étaient plus légitimes à dépenser que les salariés à hauts revenus. Outre que cela apparaît constitutionnellement difficile, le résultat réel serait qu’aucun revenu ne serait plus au-delà du million d’euros. Il y aura donc du caché : des dessous de table, du noir, de l’expatriation, des comptes étrangers… ou bien des passe-droits, des « niches fiscales » clientélistes. Cette réponse autoritaire aux provocations de Sarkozy encourage l’inquisition fiscale, la délation, dans la grande tradition jacobine. De quoi diviser un peu plus les Français. Est-ce cela la « bonne » politique ? Alors que l’organisation d’État n’est pas remise en cause, qui ne fout rien aux conseils d’administration des entreprises où le public est au capital, qui laisse faire les syndicats ripoux, qui ne fout rien sur les retraites chapeaux, les stock-options, les bonus, qui blanchit les mafieux du bon parti, les Haberer, les Tapie, les Dumas. Plutôt agiter une pancarte qu’agir contre les copains…

Taxer, est-ce cela la réponse au chômage ? Hollande flatte l’envie populaire et la jalousie égalitaire, cela plaît au populo, comme le montre BVA. Les CSP- (72%) sont plus nombreuses à approuver la mesure que les CSP+ (62%). Mais il ne règle rien à l’emprise de la finance… due à l’impéritie des politiciens (y compris de gauche) qui ont endetté la France depuis des décennies. Avoir moins de riches est-il préférable à avoir moins de pauvres ? Peut-on croire une seconde aux vases communicants du transfert de la richesse des uns aux autres, de la part de fonctionnaires nés dans le giron de l’État et qui n’ont jamais gagné un sou par leur propre talent d’entreprendre ? Les footeux, en général issus des milieux populaires… vont se voir taxer à quasi 100% avec la CSG et l’ISF, sur ce qui dépasse le million d’euros par an. Cela alors que leur carrière est forcément courte, puisque due à leur jeunesse.

Toute cette agitation d’évitement n’aborde pas le fond du problème : la place de la France dans la mondialisation, la place de la démocratie en Europe, la place de l’emploi dans les politiques économiques. Chacun rassemble sa bande pour la faire hurler à l’unisson, criant au populisme de l’autre camp. Désigner les riches en général comme des ennemis sans cibler la délinquance en col blanc ni distinguer le mérite personnel de l’héritage, c’est de la part de François Hollande stigmatiser les « quartiers », même s’ils ne sont pas les mêmes que ceux de Sarkozy. Désigner les étrangers, les élus et les élites multiculturelles de gauche comme responsables de l’état de la France, sans cibler l’empilement des niveaux administratifs, des réglementations touffues, des incohérences fiscales – et de ses voltefaces depuis 5 ans – est, de la part de Nicolas Sarkozy, populiste.

Valeurs républicaines contre identité nationale ? La gauche tombe dans le piège classique de la provocation droitière. Pointer la viande halal ? Ce serait raciste… alors qu’il s’agit de traçabilité pour le consommateur, ce qui devrait être consensuel. Évidemment les socialistes se rétractent sur leurs tabous et le peuple gronde. Sarkozy provoque Hollande à se radicaliser pour mieux le battre. Mais il apparaît comme jouant son va-tout. Que vont penser les centristes qu’il appellera au second tour ?

Second tour qu’il est idiot d’anticiper aujourd’hui car le premier sera un événement politique. Il changera les votes en fonction de qui sera arrivé en tête et du laminage des extrêmes. Il ne suffit pas d’additionner les voix car les deux électorats de Bayrou et Le Pen sont très fluctuants, n’étant ni à droite (conservatrice) ni à gauche (marxisante). « Probablement trop axée sur les attaques de personnes, la campagne n’est jugée intéressante que par 34% des Français, contre 65% qui ne la trouvent pas intéressante. Les Français semblent déçus par les thèmes abordés. Ils attendent qu’on parle davantage des domaines qui les préoccupent personnellement : le pouvoir d’achat (63% estiment qu’on n’en parle pas assez), les retraites (73%) et le logement (73%) ; plus que des domaines « macro » tels que la crise (43% trouvent qu’on en parle trop) et les déficits publics (34%) » (IPSOS).

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Reviennent les idées des années 30…

La hantise de la modernité, l’angoisse de la perte d’identité, la crainte du déclassement – tout ce qui a fait déraper l’Allemagne d’hier dans l’irrationnel, dans l’essentialisme et dans la haine envers un bouc émissaire (capitaliste et juif) – revient en force aujourd’hui. Le succès du ‘Da Vinci Code’, les thrillers de Maxime Chattam, l’habileté des avocats de DSK à le faire échapper à ses responsabilités, la croyance paranoïaque en de tout-puissants Complots, nous font replonger dans cette atmosphère ‘fin de siècle’ de l’Allemagne vers 1880. Sans parler de l’antisionisme des banlieues, et des intellos de gauche qui feignent de confondre identité nationale et essence ‘raciale’.

Un historien a étudié avec attention cette période. George Mosse est juif, allemand et américain. Exilé en 1933 à 15 ans, il est devenu professeur d’histoire à l’université du Wisconsin. Dans un ouvrage d’il y a presque 50 ans, Mosse étudie l’idéologie qui a permis au nazisme non seulement d’arriver au pouvoir, mais de dériver jusqu’à la Solution Finale. Il nous permet de comprendre le présent.

La préférence de notre époque pour l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel est aussi fumeuse que l’idéalisme néoromantique Völkisch. La peur des banlieues-ghettos, la haine du Financier-Capitaliste-Américain-Juif, le sentiment de dépossession de soi dans la bureaucratie européenne ou la technocratie politique, les palabres interminables des institutions parlementaires – tout cela incite à s’évader du réel présent pour fantasmer un avenir « autre » :

  • Plutôt voter extrémiste que de conforter la bourgeoisie satisfaite !
  • Plutôt tout casser que d’accepter une quelconque réforme qui ne pourra qu’être au détriment du « peuple » !
  • Plutôt se réfugier dans le paranormal, l’inconscient, la mystique, que d’affronter le réel, déterminer le raisonnable et faire la part des choses !

Le nazisme a réussi parce qu’il a su marier l’organisation politique et la mobilisation des masses à cette nébuleuse idéologique :

  • Il s’agissait alors d’être anticapitaliste et antibolchevique, tous deux matérialistes et apatrides.
  • Il s’agissait de reconquérir la protection des frontières, d’enraciner le sang dans le sol pour exprimer son Modèle national, sa vraie ‘Natur’, de récupérer sa souveraineté mise à mal par le traité de Versailles.
  • Il s’agissait de retrouver l’harmonie avec le cosmos tout entier en vivant à la campagne, au soleil, en cultivant la terre et en respectant les valeurs posées de la glèbe. Le ‘bio’ d’hier étaient la randonnée Wandervögel, le naturisme hors des villes, le végétarisme (Hitler était végétarien), les produits de la ferme bien de chez nous, l’homéopathie anti-chimique, les chants populaires collectifs contre l’individualisme, les fêtes dans les champs plutôt que dans les boites.
  • Les ennemis étaient la science, la finance, le parlement, la modernité et la ville : tout ce qui est trop sèchement rationnel, calculateur et cupide, technocrate sans cesse à bavasser sans décider, impérieusement progressiste, industriellement aliénant.

Le concept fumeux de ‘race’ n’a plus son actualité dans le politiquement correct d’aujourd’hui ; mais il revient par les marges, en négatif, utilisé par les ‘minorités visibles’ qui fantasment une quête historique de reconquête d’identité en bricolant les revers sociaux du présent. L’idéologie völkisch fut, selon George Mosse, « d’opposition au progrès et à la modernisation qui transformaient l’Europe du 19ème siècle. Elle utilisa le romantisme en l’exacerbant, pour fournir une alternative à la modernité, à la civilisation industrielle et urbaine en expansion qui semblait dépouiller l’homme de son moi créateur, le coupant ainsi d’un ordre social apparemment épuisé et anémié » p.60.

Les concepts de ‘nature’ et d’harmonie cosmique sont remis au goût du jour par les écolos. Le retour à la terre et la vogue du ‘bio’ consolent de la production apatride délocalisée, aux mains de multinationales manipulatrices. Le « petit » producteur s’allie au « petit » commerçant contre les « gros » : grande distribution, multinationales agroalimentaires, capitalisme cosmopolite, impérialisme américain (Monsanto). Il y a de tout chez les écologistes aujourd’hui : des scientifiques qui mettent en garde fort justement sur la finitude des ressources, les dangers de la chimie tirée du pétrole ou du nucléaire, le nécessaire ajustement entre l’humanité et le milieu naturel. Mais il y a aussi des mystiques réactionnaires pour qui l’humain est un parasite de la planète, une engeance à surveiller et punir par le retour à la terre (qui seule ne ment pas, disait Pétain). Ceux qui s’expriment le plus vigoureusement ont un furieux air Völkish, pas très moderne…

Comme dans la communauté organique prônée par Hitler, chaque métier d’aujourd’hui se veut un ‘ordre’ corporatiste qui s’organise lui-même et récuse toute réforme venue de la légitimité démocratique : les banques veulent s’autoréguler, mais aussi les cheminots qui croient seuls avoir le sens de leur métier très technique, le corps enseignant qui sait mieux que parents ou spécialistes ce qu’il faut aux enfants, ou les universitaires qui s’émeuvent de tout ce qui pourrait toucher à leurs libertés de recherche ou de programmes. Même les Indignés réclament de réguler les élus. Et ceux-ci penchent vers le souverainisme pour garder leur petit pouvoir.

Le nombre démocratique, l’immigration ouverte, la circulation des capitaux, obligent chacun à être compétitif pour réussir. Les étudiants fourvoyés dans des filières sans débouchés forment aujourd’hui ce qui, en 1880 déjà, s’appelait le « prolétariat universitaire ». Aspirant au statut de petit-bourgeois, leur hantise est d’être déclassés. Ouverture, concurrence et chômage sont leurs ennemis. Les sectes sataniques, complotistes ou extrémistes permettent de se croire une élite tout en couchant en studio – exactement ce qu’Hitler ressentit à Vienne durant sa jeunesse pauvre et Breivic sur Internet avant de massacrer les jeunes Norvégiens.

N’y aurait-il pas un parallèle dans la façon de penser entre hier et aujourd’hui ?

Les frères Strasser résumaient ainsi leur programme dans les années 20 : « nationaliste, contre l’asservissement de l’Allemagne ; socialiste, contre la tyrannie de l’argent ; völkisch, contre la destruction de l’âme allemande » p.460.

  • Les anti-européens souverainistes, protectionnistes et anti-américains français, sont contre l’asservissement de Bruxelles, contre l’économie libre-échangiste et contre la finance internationale. Ne ressemblent-ils pas aux nationalistes d’hier ?
  • Les socialistes de gauche, mélenchonistes et autres jacobins sont clairement contre la tyrannie de l’argent, souvent parce qu’ils sont fonctionnaires ou politiciens professionnels. « L’âme » du peuple n’est-elle pas aujourd’hui infuse dans l’écologie, cette harmonie Völkisch entre l’être humain sur sa terre et le cosmos ?
  • Si elle n’est pas ethnique, comme dans l’Allemagne d’hier, ne pourrait-elle pas le devenir ? A droite par hantise des banlieues et à gauche par haine du libre-échange apatride, toujours connoté américain et juif ? Goldman Sachs, Lehman Brothers, Madoff… Pourquoi les sites complotistes sont-ils presque toujours antisémites ? Pourquoi Mein Kampf se vend-t-il aussi bien en Turquie et dans tout le Moyen-Orient ? La Chine, modèle de Mélenchon, ou la Russie de Poutine, modèle de Marine Le Pen, ne sont-ils pas ouvertement xénophobes ?

Il ne s’agit pas d’un retour AUX années 30 mais un retour aux idées et façons de penser DES années de crise : 2008 a engendré la plus grande crise économique, sociale, politique et spirituelle depuis 1929.

Nous disons que les périodes de bouleversements induites par la modernité remettent en cause les acquis et les statuts, notamment ceux des petit-bourgeois hantés par l’arrêt de « l’ascenseur social ». Ce sont eux qui, jadis, ont fait le gros du vote nazi. Aujourd’hui ils se radicalisent, tirant Mélenchon vers Doriot et l’UMP vers dame Le Pen.

Nous disons que la lutte des places déclasse, surtout en récession économique – les places moins nombreuses étant réservées en priorité aux dominants possesseurs du capital social, culturel et économique. Le chômage de masse et le sentiment de déclassement suscitent les autoritarismes ou les fascismes, ce qui s’est passé en Italie, en Allemagne, en Espagne et même en France dans les années 20 et 30. Il s’agit d’une réaction de peur qui pousse vers l’ordre établi et appelle l’autorité qui peut le préserver.

Nous disons que les exclus se réfugient alors dans le fantasme, ce qui les dédouane de leurs échecs personnels. Ils ont le choix entre la paranoïa (« je n’y peux rien puisque le Complot est trop puissant, mais je suis malin parce que je décrypte »), ou l’utopie (« je ne peux rien sur mon destin, mais mon collectif élitiste me fait partager son rêve d’un « autre » monde, je nage en bande comme un poisson dans l’eau, bien au chaud dans le ‘tous d’accord’ »). Le Pen ou Mélenchon…

Nous disons que le mysticisme nature et le fantasme de la « pureté » (le bio, le sain et musclé, l’entre-soi, l’austérité morale) étaient typiques des mouvements Völkisch allemands des années 1880-1940. Ce n’est pas le « bio » en soi qui est condamnable, ni le torse nu, mais le fantasme de pureté dont le « bio » ou la nudité ne sont que la traduction narcissique cocoon la plus récente.

Hier, les dictateurs n’ont réussi que parce qu’ils ont su rallier dans un parti organisé les masses confusément en attente avec un programme politique attrape-tout. Ils ne l’auraient pas pu si la nébuleuse fumeuse des idées Völkisch, pétries d’irrationnel, de ressentiment et du fantasme ‘nature’ n’avaient travaillé les Allemands sur plusieurs générations. Il suffirait chez nous d’une aggravation de la crise, et d’un führer plus méchant que les politiciens d’aujourd’hui – mais tous les ingrédients sont là. Autant ne pas être naïf.

Sommes-nous moins manipulables aujourd’hui ? J’en doute. L’effondrement de l’éducation à penser par soi-même, la pression banlieue sur les « bouffons » qui travaillent bien en classe, la préférence pour le zapping plutôt qu’à « se prendre la tête » à lire un texte et à l’analyser, la facilité à croire aux complots comme dans les séries d’Hollywood, l’instinct grégaire à faire comme tout le monde, à « être d’accord » avec la bande, à dénier tout ce qui va contre – ne me rendent pas optimiste. L’extrême-droite monte en Europe, ses idées paranoïaques fantasmant la « pureté » se répandent, les passages à l’acte augmentent. Les attentats ne se font plus aujourd’hui pour libérer l’universel, ils se font pour assurer la domination ethnique, celle des islamistes ou de la Suprématie blanche.

Les États restent démocratiques mais la peur peut très vite engendrer ces contrôles étroits que réclament les gens. Surveiller les délinquants sexuels, traquer les pédophiles, accumuler les données personnelles pour la pub, c’est encore démocratique – mais les mêmes instruments peuvent servir à d’autres fins, politiques ou ethniques. Les médias peuvent être muselés en un temps record grâce aux nouvelles techniques : voyez la Chine, Cuba, la Birmanie, le Zimbabwe. Vous savez qu’ON vous piste sur toutes vos interrogations Google ou Yahoo – et les données sont gardées durant trois ans. Facebook ne détruit rien et, étant immatriculé dans l’État de Californie, le FBI y a accès sans limites grâce à la loi américaine. Pour quel contrôle absolu en cas de basculement ? Le Patriot Act américain a montré ses dérives graves en confondant les noms à consonance arabes pour les assimiler aux terroristes.

L’Occident perd son leadership. La puissance montante est la Chine, avec ses valeurs plus autoritaires et nationalistes… pas vraiment « démocratiques ». Demandez non seulement aux Tibétains mais aussi à ceux qui contestent les décisions des autorités à Shanghai ou Pékin. Mélenchon est « chinois » sur la langue bretonne ou la Dalaï lama. Le pétrole est menacé par des intégrismes musulmans qui ne brillent pas par leur tolérance, leur désir du bien commun universel ni leur relation avec les femmes. L’Europe reste impuissante faute de savoir ce qu’elle veut. Nous avons 27 criailleries à chaque débat fiscal, économique, politique, stratégique. La réaction des peuples est donc au repli frileux, à l’étroitesse de la famille, du clan, de la région, du national – bien avant l’Europe et l’universel.

Vague Europe dont les contours sont de plus en plus flous, menaçante mondialisation qui se dilue dans les rivalités, perte de l’information qui s’évanouit dans le superficiel, la copie et le zapping. Plus la cohésion est lâche, plus le désir fantasmé de voir surgir un ordre fort travaille. On ne se soude que contre d’autres. C’est ce que démontrent René Girard avec le ’bouc émissaire’ et Régis Debray dans ’Le moment fraternité’. Le nous n’existe que parce qu’il y a eux, les opposants. C’est ainsi qu’on se sent frères… Si vous avez des enfants, vous observerez très vite le phénomène : on se chamaille en famille mais, devant les autres, tous unis !

Les solutions sont connues : elles passent (comme sous Roosevelt) par l’action des États, la négociation internationale pour définir des règles, les filets sociaux de sécurité, et la réflexion démocratique de chaque citoyen dans le débat critique. Plus de transparence dans les négociations (et pas ces compromis de cabinet à la Aubry-Duflot), plus de participation démocratique locale, moins de pouvoir centralisé avec cour royale à la française. Avec pour lumière les acquis scientifiques plutôt que les fantasmes et pour guide l’empathie que l’on peut avoir pour ceux qui sont victimes. Cela suffira-t-il ?

George Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich – la crise de l’idéologie allemande, 1964, Points Seuil 2008, 510 pages, préface de Stéphane Audouin-Rouzeau, €11.40

Cet article est la version revue et actualisée d’un billet publié dans mon blog précédent en mars 2009. J’ai tenu compte des objections, nombreuses sur AgoraVox, ce pourquoi la version actuelle est longue. Le thème est malheureusement encore plus d’actualité !

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Sont-elles devant nous les Trente glorieuses ?

Article repris par Medium4You.

Oui ! répondent en chœur deux économistes. Ce sont deux femmes, ce pourquoi elles portent un regard différent des hommes sur la matière ; elles sont passées par la fonction publique, ce qui leur a permis de mesurer la dégradation politique du système social ; elles ne sont pas politiques, ce qui leur laisse un regard de technicien sur l’avenir. Ce qu’elles proposent est donc une richesse et un handicap. La chance à saisir pour un pays qui se pose des questions sur son avenir et donc sur son identité ; l’infirmité de la courte vue, du déficit abyssal et de la ponction fiscale déjà au sommet des pays comparables. Quel politicien pourra reprendre cette utopie pour sa campagne 2012 ? On se demande – d’où l’intérêt de lire ce livre.

Foin de la crise économique, disent les auteurs, ce n’est qu’actualité immédiate. Projetons-nous de suite dans l’utopie : cet an 40 où tout ira bien, 2040 en inverse de 1940. La France y sera le pays d’Europe le plus prospère et le plus peuplé, avec pas moins de 80 millions d’habitants, plus que l’Allemagne. Mais il n’est pas dit de quelle culture : le melting-pot français, appelé hier « intégration » aura-t-il fonctionné ? L’Éducation nationale aura-t-elle réussi à redresser la barre de l’échec à lire-écrire-compter pour les sortants sans qualification du collège ? La recherche aura-t-elle ses bataillons d’ingénieurs motivés dès l’enfance, et de techniciens bien formés nécessaires à son expansion ? Rassurons-nous, on nous assure que tout cela n’a pas d’intérêt car le taux de chômage est retombé à 5,5 %, ce qui rassure les classes sociales en déclin et leur permet d’accepter les autres, tous ceux qui ne sont pas comme eux.

Comment cela a-t-il été possible ? C’est très simple, les idées étaient dans l’air dès 2007 avec la commission Attali. Il s’est agi de faire émerger de façon volontariste des champions nationaux dans l’industrie, surtout énergie (avec un mixte de solaire et de nucléaire) et chemin de fer, vieux tropisme centraliste d’État. On peut se demander si cette palette industrielle n’est pas un peu courte… Le nouveau cycle fait la part belle aux technologies de l’information et l’on ne voit guère où elles peuvent se nicher dans le train et l’énergie. Évidemment il a fallu lancer un « grand » plan d’investissement auprès duquel celui de la commission Attali a fait pâle figure. Mais il fallait rattraper toute une génération perdue sous Mitterrand et Chirac. Il a donc été nécessaire de négocier âprement avec les Allemands qui ont horreur de la dépense non financée dans un système monétaire commun. A été mise en œuvre une enveloppe fiscale européenne analogue à feu le serpent monétaire, un couloir limité dans lequel se tiennent tous les pays afin de limiter le dumping.

Ah oui, petit détail : la relance de l’immigration. Elle était indispensable pour servir l’ambition industrielle, nécessitant des bras jeunes et des cerveaux neufs. Il n’est pas dit d’où elle vient, mais l’on peut supputer qu’il s’agit de pays francophones, plus quelques centaines de milliers de Chinois parce qu’ils sont trop nombreux en Chine et qu’ils y manquent de femmes.

S’agit-il de méthode Coué ? D’optimisme systématique pour se poser contre le pessimisme ambiant ? La Société de confiance’, dont parlait Alain Peyrefitte dans sa thèse, peut-elle se régénérer simplement par volontarisme d’État ? Pour ces auteurs femmes, « le modèle social français » si archaïque, si rigide, si décrié, n’est pas le problème mais la solution. Il ne marche plus si l’on ne considère que la dépense obligatoire, la protection sociale. Mais il fonctionne très bien si on le met en regard de la quantité de biens produits pour un même montant de ressources. En rationalisant, on consomme moins d’énergie et moins de matières premières importées, ce qui augmente d’autant le pouvoir d’achat des Français. Il suffisait d’y penser.

A condition de respecter la devise liberté, égalité, fraternité.

Liberté ? Elle ne naît pas toute armée dans les cerveaux français, plus tentés par la fonction publique protégée que par l’entreprise : 77% des jeunes rêvent d’être fonctionnaires… La France reste sous-investie car le privé se développe ailleurs, là où les marchés s’ouvrent et offrent une population jeune avide de produits de qualité française. Il faut donc que l’État retrouve son rôle d’incitateur et d’encadrement par ses commandes publiques. Le budget, en déficit permanent depuis 1974, ne le permet plus, d’où le grand plan volontariste. S’enclencherait alors un cercle vertueux, là aussi fort libéral, où le fait d’investir redonne le goût du risque d’entreprise, ce qui favorise en retour l’investissement… donc l’emploi. Et tout le monde est content.

Égalité ? Pour les auteurs, il faut que chaque citoyen participe au progrès – c’est là une conception libérale au sens noble où la solidarité est une convergence d’intérêts. L’augmentation des salaires (donc des cotisations) permet la protection sociale et celle-ci participe à la productivité des Français ; elle n’est pas un boulet qui coûte mais un investissement rentable qui fait que chacun travaille mieux et avec moins de craintes pour l’avenir.

Fraternité ? Il réside dans ce mélange unique de service public à la française, d’ouverture européenne âprement négociée, et d’immigration ouverte pour augmenter la richesse du pays.

L’intérêt du livre en 2011 est que les auteurs tiennent à chiffrer leur plan, ce qui est assez rare dans l’intellocratie française pour le souligner. Ils retiennent 5 indicateurs clés : le taux de croissance, la productivité des ressources, le taux de pauvreté après transferts sociaux, le nombre d’années de vie en bonne santé, et la consommation d’énergie renouvelable.

En fait rien de bien neuf, mais remis en perspective. Cette analyse montre qu’un certain avenir est possible, il suffit de le vouloir. Pour cela, quitter ces minables querelles d’ego, attisées par des médias avides de faire du fric avec les scoops des petites phrases assassines. Quand Nicolas Sarkozy suit le rapport de la commission Attali, il est dans le vrai : pourquoi ne pas le dire ? Quand François Hollande réclame une réforme fiscale d’ampleur qui rétablisse l’égalité des citoyens devant la ponction publique, il est loin d’avoir tort : pourquoi ne pas l’avouer ? Quand Jean-Pierre Raffarin fait la bronca sur une hausse du taux de TVA sur les parcs d’attraction, il est politiquement minable au regard des enjeux : pourquoi faire semblant de comprendre ce petit intérêt catégoriel régional ? Sur la convergence économique européenne, la protection contre le dumping social chinois ou les errements de la finance, chacun a des idées qui devraient être mises en œuvre plutôt que jetées à la tête de ses adversaires.

C’est la limite du livre : l’utopie est belle et bonne, mais sa réalisation ne peut passer que par la politique – et là, tout se gâte immédiatement !

Karine Berger et Valérie Rabault, Les Trente Glorieuses sont devant nous, mars 2011, éditions Rue Fromentin, 204 pages, €19

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Quel socialisme après La Rochelle ?

Article repris par Medium4You.

L’université d’été s’est achevée et la question demeure : le socialisme s’est-il perdu dans les sables ?

A écouter les six candidats à la candidature, Manuel Valls, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande, Jean-Michel Baylet et Arnaud Montebourg – seuls les plus jeunes ont quelques idées d’avenir ; ils sont aussi les plus marginaux dans ce parti de vieux. Pour les ténors, l’œil britannique n’a pas manqué sa cible : « on les croirait congelés en 1981 ». Il ne s’agit que de taxer, règlementer, surveiller, étatiser…

Aucun pragmatisme mais le tropisme théorique : yaka faire une « grrande » réforme fiscale et tout ira bien, on pourra dépenser à tout va comme avant, pour arroser les clientèles.

L’Europe ? Yaka violer Merkel, « l’égoïsme » allemand est insupportable aux tenants du Bien qui ont la Raison pure infuse. Puisque les socialistes français détiennent – de droit divin historique – la Vérité, yaka la clamer à la face du monde pour que tout le monde s’incline.

C’est pitié que d’observer une grande nation se perdre en ses vieilles lunes de parti usé jusqu’à la corde. Le monde a changé mais la France socialiste demeure figée dans sa grandeur passée, incapable de bouger, de changer, de s’adapter. La France de gauche ne sait plus où elle en est. A l’origine syndicaliste-anarchiste avec Proudhon, devenu marxiste réformiste sous Lénine, le socialisme du parti s’est transformé en social-démocratie après 1945 puis s’est perdu dans l’émergence du monde tiers.

Plus de sous ! Fiscaliser ne suffit pas, d’autant que Thomas Picketty, expert des impôts au PS, avait déjà montré en 2007 qu’il y avait certes justice sociale à taxer les riches mais aucun « trésor caché » puisque les riches sont fort peu nombreux (Le Monde, 11 juin 2003).

  • Comment imposer les transactions financières sans nuire aux emprunts d’État – que seuls les étrangers vont désormais acheter ?
  • Comment raboter les niches fiscales sans nuire à l’emploi, le premier d’entre eux étant l’immobilier ?
  • Comment répartir ce qu’on ne sait pas produire ?

Le socialisme, expert en administration d’État, n’a pas su penser la société civile. Ce pour quoi il se réfugie aujourd’hui dans l’utopie écolo. Sans voir qu’entre l’utopie positive qui entraîne et la réalité à ses pieds qui résiste demeure un gouffre si l’on n’imagine pas aussi la passerelle !

Tout commence par la réforme de l’État, or le PS a la majorité de ses électeurs, militants et sympathisants dans l’appareil d’État. Équation impossible si l’on dit que la France est dans la moyenne haute des pays de l’OCDE pour le nombre de fonctionnaires par habitant (90 pour 1000 habitants) mais surtout que leur fonction n’est plus à la page pour être efficace (la centralisation d’État devrait nécessiter moins de fonctionnaires que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, plus décentralisés). Scandale de l’évaluation pour les évaluateurs, ceux qui jugent tout du haut de leur statut : profs, flics, fonctionnaires du social. Alors que cela se fait sans drame dans tous les pays voisins.

L’écosocialisme se contente de ressourcer la vieille « croisade des enfants » où les illuminés marchent vers l’étoile. Économiser les ressources de la planète est bon, mais il serait mieux de rendre plus efficace la production de ce qui est. Las ! Les discours se bornent au catastrophisme mondial et aux micro détails locaux. Entre le « petit » producteur qui vend des paniers aux bobos et le « grand marché mondial » où la Chine est très présente, il n’y a aucune pensée de gauche. Veut-on nous faire croire qu’on gère un pays comme une région ? Le Poitou-Charentes ou Lille n’ont pas d’armée, que je sache ! Pas de politique étrangère, pas de place aux négociations de l’OMC ni dans les instances européennes !

La seule pensée de gauche se réduit, pour les plus avancés du PS, à la doctrine du FMI.Le bien-vivre écologique est une philosophie de sagesse… mais pour qui a déjà quelques ressources. S’il s’agit de conforter fonctionnaires et retraités, la France n’a pas besoin du parti socialiste. Aménager la stagnation, tous les partis savent faire. Pour aller de l’avant, peu ont des propositions.

La droite s’adapte avec pragmatisme, selon les vents du monde – c’est déjà ça. Au PS, on attend encore le Sauveur alors que le dernier pressenti, adepte de la dépense compulsive, imposée avec violence, vient de se griller lamentablement dans une chambre d’hôtel à Manhattan. Peu importent les particularités de la procédure américaine, les rapports médicaux et policier font foi, qui prouvent une émission de sperme strausskhanien et lésions sur le vagin de la femme. Consentante ou non, pour le fric ou non, l’aventure laisse apparaître toute l’arrogance, la vie de riche et les mensonges soigneusement mis en scène d’un apparatchik socialiste à qui tout semble permis. Une fois de plus un dirigeant du PS se dit responsable mais pas coupable.

Il faut donc encore « reconstruire »… Mais cela fait plus de dix ans que le socialisme ne cesse de se « reconstruire » sans avancer d’un pas. Depuis Jospin, rien. Plane l’ombre du populisme d’extrême-droite, contre laquelle seules des incantations émanent du PS.

Or le monde avance. Les Français peuvent être fiers de leur modèle économique et social, mais il craque de partout : trop de carcans, trop de niveaux hiérarchiques d’État, trop de dilution des responsabilités – et plus assez de sous pour des prélèvements obligatoires au sommet des pays de l’OCDE !

  • On ne fait pas l’Europe sans consentir à entamer la souveraineté nationale,
  • on ne se dit pas solidaires sans avoir une idée des conséquences de la crise grecque,
  • on n’emprunte pas auprès des marchés financiers sans se dire qu’il faut fixer un cap de sérieux,
  • on n’évoque pas un déficit keynésien sans voir qu’il n’est efficace que lorsqu’il est provisoire et non le prétexte perpétuel à la distribution démagogique,
  • on ne se préoccupe pas de l’emploi et de la vie quotidienne sans poser les problèmes de l’immigration et de l’identité des autochtones, et ceux de la paperasserie administrative et des règlementations sans fin.

Sur tout cela, motus au PS ! Yaka faire une « grrrande » réforme fiscale et violer Merkel. Point à la ligne. Alors que toutes ces pressions conduisent le Français moyen et populaire à un repli sur soi et au refus de toute différence.

Ce pourquoi les ouvriers ont déserté le PS aux élections récentes. Tout ce qui change est menaçant. Le modèle multiculturel est en faillite pendant que les partis de gauche ou les militants antiracistes sont peu à peu contestés. Car ce n’est pas être « raciste » que de dire que l’intégration se fait mal : c’est dire qu’on a mal et que c’est la faute au tabou concernant l’immigration. Ne pas en parler est bien pire que de dire ce qui est : que l’intégration se fait cahin-caha, que les « quartiers » sont des sas de passage vers une évolution par l’emploi et pas ces ghettos à l’anglo-saxonne qui fomentent des émeutes, que les études mènent à intégrer la société mieux que les discours compassionnels sur sssseuxquiisouffrrrr.

La primaire serait la solution ? Nous l’avons toujours écrit, adopter les mœurs américaines nécessite de laisser tomber l’esprit de caste à la française. Hillary Clinton a embrassé Barack Obama après son échec : verrait-on Martine embrasser François ou – pire ? – Ségolène baiser Martine (sur les joues) ? Si primaire il y a, il faut qu’elle soit ouverte. Tous les candidats, même les plus improbables, doivent pouvoir se présenter. Ce n’est évidemment pas le cas dans un parti resté léniniste pour qui il s’agit surtout de verrouiller.

L’électeur de gauche n’aura donc le choix qu’entre la fille de son père, le mari de sa femme et la femme du mari, plus quelques vagues outsiders mal considérés dans les rangs enseignants. Manuel Valls a le pragmatisme propre à la droite, voilà qu’il est aussitôt catalogué « de » droite, en bonne pratique stalinienne.

Hors du Dogme, point de salut ! C’est ce que disait le capitaine du Titanic lorsqu’on évoquait vaguement les icebergs déréglementés se baladant librement sur la mer libre…

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Anders Behring Breivic le monstre de Norvège

Un attentat à la bombe contre le gouvernement social-démocrate et des  jeunes travaillistes de 14 à 30 ans tués par balles en quelques heures. Breivic a frappé fort pour qu’on le considère. Rançon de notre société du spectacle où les idées sont inaudibles si elles ne hurlent pas devant les caméras.

Qui est donc Anders Behring Breivic ?

Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine.

Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme.

Breivic n’est pas raciste, non seulement il le dit mais la meilleure preuve est qu’il a massacré les siens, des ados blonds aux yeux bleus, et pas les basanés immigrés du coin. Il est proche en cela de l’Unabomber américain, un solitaire psychotique qui tuait parmi les siens tous ceux qui représentaient le gouvernement. Ce qui limite probablement son message.

Pourquoi parler de ses idées ?

Jamais je n’accomplirai un acte aussi barbare que de tuer au pistolet-mitrailleur des gosses en slip au bord d’un lac, qui n’ont que leurs mains pour se défendre. Jamais je ne justifierai un tel ‘happening’ au nom de je ne sais quelle révolution ou avenir radieux. Jamais je n’obéirai à la logique glacée des partisans persuadés d’avoir tout seul raison, de Savonarole à Torquemada, de Lénine à Pol Pot.

Mais je crois à la lucidité. Nul ne peut combattre la mort qui marche sans comprendre les ressorts qui la font s’avancer. Comprendre n’est jamais pardonner, cela est d’un autre ordre. Il n’y a aucune morale à analyser pour tenter de savoir ; juger, en revanche, est le lot de la société.

Quelles sont les idées du tueur ?

Elles ne sont pas aberrantes, loin s’en faut. Elles sont seulement poussées à leur logique folle, tout comme les Évangiles avec l’Inquisition et le Capital de Marx avec les camps staliniens. Ses idées sont contenues dans un opuscule de 1518 pages en anglais, qu’il diffuse gratuitement sous le titre de ‘2083 A European Declaration of Independence’.

Anders Behring Breivic accuse l’Occident d’avoir laissé depuis 1945 l’égalitarisme marxiste envahir la culture pour saper les fondements même de la civilisation européenne. Il se dit « chrétien » mais version taliban : fasciné par le Jihad musulman, il se veut un croisé, retournant le jihad contre ses promoteurs. Ce pourquoi il revivifie le mythe du Templier, ordre militaire contre les infidèles. Il a trop joué à World of Warcraft, ado marqué par son époque, où le spectacle en ligne pousse à échapper à la réalité.

Il n’a rien d’un partisan d’extrême-droite (il a quitté le Parti du Progrès qui ne lui apportait rien) mais plus d’un anarchiste nihiliste. Un populiste braqué contre les élites vénales et lâches. Le marxisme, hérésie laïque du christianisme, prône l’égalité absolue des conditions, toute différence étant condamnable en soi. Philosophie de l’histoire tirée de l’observation socio-économique, Gramsci, Lukacs, Marcuse, Adorno et l’école de Francfort l’ont rendu « culturel », générant la « pensée 68 » et gangrenant les campus universitaires au nom de la révolution et de l’anti-répression des désirs. De déconstruction en contestation de toute légitimité, de féminisme en châtrage des valeurs mâles, jusqu’à l’anti-négationnisme où la loi interdit même de discuter des thèses d’histoire politiquement incorrectes. Il en fait un chapitre (p.343), « Le nom du diable est : marxisme culturel, multiculturalisme, mondialisation, féminisme, culte de l’émotion, humanisme suicidaire, égalitarisme »… Dans ce nivellement global « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Sauf que les Musulmans ne sont pas gentils, ils sont croyants et intégristes, domptant les femmes à pondre des enfants. Qui ne prononce pas allégeance à Allah et ne se fait pas circoncire est à abattre comme un chien. L’immigration en Europe atteint l’étiage des 10%, avec une natalité plus forte. Dans une génération ou deux à ce rythme, l’Europe ne sera plus européenne mais la banlieue de l’islam. Avec la bonne volonté de ses dirigeants, qui appellent à une Eurabie en affirmant que l’islam est une part de l’Europe (comme la Turquie), encourageant immigration familiale et mœurs islamiques (voile, harem, épargne charia compatible, commerce halal, cantines spéciales, piscines séparées, enseignement de l’histoire expurgé, apprentissage de l’arabe à l’école, financement des mosquées…). Les musulmans pourraient représenter 50% de la population française en 2050 ! Je ne sais pas d’où viennent ces sources (Wikipedia ?) mais cela explique la « résistance » de l’auteur, « vrai » chrétien, traditionaliste souverainiste, tenant de la civilisation européenne historique.

Breivic fait appel aux sources Internet et à des textes glanés ici ou là dans l’Encyclopaedia Britannica et dans les journaux en ligne pour rassembler ses idées en 1518 pages. Son plan est en 5 parties : 1/ la montée du marxisme culturel et du multiculturalisme en Europe, 2/ pourquoi la colonisation islamique commence en Europe, 3/ l’état des mouvements de résistance européens antimarxistes et anti-jihad, 4/ les solutions pour l’Europe occidentale, et 5/les thèmes de discussion d’application utile à la stratégie politique. Pourquoi 2083 ? Parce qu’à ce moment, croit l’auteur, entre un tiers et la moitié de la population européenne sera musulmane, induisant un violent mouvement de réaction des autochtones avec coups d’état, déportation, interdiction de toute référence multiculturelle et imposition d’une idéologie nationale conservatrice (p.803).

Page 837 vient la formule appliquée littéralement par Breivic vendredi : « la meilleure méthode est d’attaquer de façon violente et par tromperie (attaque choc) avec des forces limitées (1 ou 2 individus). » Le terrorisme conservateur est aussi haïssable que celui d’extrême gauche durant les années de plomb des Brigades rouges, de la bande à Baader et d’Action directe. En cela, les partis de la droite extrême ne sont pas plus coupables de leurs idées que les partis d’extrême gauche. Le terrorisme est mimétique, partant des mêmes causes (un parti mou sans action concrète), avec les mêmes effets (des actes individuels de commando qui sèment la mort sans rien changer à la société).

Comment le contrer ?

En étant clair sur les objectifs de l’Union européenne, ferme sur la culture à transmettre et sur les valeurs qui composent notre vivre-ensemble, opposé à la lâcheté médiatique du métissage où tout vaut tout – pour mieux abêtir et vendre Coca cola.

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L’aberration Libération sur un sondage

Libé est un journal de gôch ! Qu’on se le dise et qu’on se le répète. Peu lu, mais par des convaincus bobos tombés dans mai 68 quand ils étaient petits, il veut voir l’avenir radieux à chaque lendemain qui vient. Hier est paru le numéro spécial Tonton, exigeant « le droit d’inventer ». Inventer : l’espérance sans cesse déçue sait faire – mais pas l’inventaire. En témoigne ce sondage sidérant publié et commenté en pages 3 à 5 pour la prochaine présidentielle.

Rappelons qu’elle n’est que dans un an et que toute prévision de vote ne peut être qu’aléatoire. On ne connaît même pas l’ensemble des candidats, et surtout pas celui de gauche… Mais le militantisme n’en a que faire. Il n’y en a que pour Dominique Strauss-Kahn. Héritier de Mitterrand, « nommé ministre à 40 ans » par Dieu lui-même, DSK est « né de gauche » et ne peut évoluer autrement. Rocard en témoigne qui le dit le meilleur. Il porterait haut les couleurs sociale-démocrates que le parti socialiste aurait acceptées du bout des lèvres, trois ans auparavant. N’ayons pas peur des mots : « Il y a une opportunité historique pour que la France saisisse l’occasion et serve de cristallisateur à une économie mondiale écologiquement compatible » – dixit Michel Rocard.

Est-ce pour cette propagande à grosse ficelle (quel que soit l’intérêt du candidat DSK – s’il se déclare un jour) que le sondage effectué par la société Viavoice est aussi « léger » ? Il n’a pas été réalisé par internet (comme le fameux du Parisien sur Marine Le Pen en février) mais par téléphone. Mais le lecteur qui connaît un tant soit peu la cuisine sociologique se demande comment on peut extraire des réponses aussi nettes de données aussi réduites et de réponses aussi vagues.

Il a déjà fallu 14 jours pour réaliser les questionnaires, ce qui montre l’ampleur de la tâche. Sur un « échantillon représentatif de la population de 18 ans et plus, méthode des quotas » de 2680 personne… seulement 800 ont répondu, se déclarant formellement « de gauche ». Ils ont seuls été interrogés interminablement sur leurs « valeurs ». De quoi enfoncer nombre de portes ouvertes : fallait-il sonder autant pour ça ? Gageons d’ailleurs que le chiffre rond de » 800 est trop beau pour être vrai et qu’il doit s’agir de 782 ou de 804. Remarquons en passant que seul 29.8% de l’échantillon a répondu. Ce qui veut dire soit que les 70.2% restant se considèrent de droite ou au moins hors de « la gauche » officielle, soit qu’ils sont indifférents à la politique et ne souhaitent pas qu’on les interroge à ce sujet !

En déduire alors quelque chose d’utilisable est une œuvre d’art. Surtout quand le lecteur effaré découvre que sur les 800 répondants aux convictions de gauche, 4% « souhaitent la victoire à l’élection présidentielle » de Nicolas Sarkozy et 6% de Marine Le Pen ! Qui connaît la technique reconnaît aussitôt là la « cuisine » des redressements statistiques que chaque organisme de sondage concocte au doigt mouillé, pour « ajuster » les réponses du maigre échantillon de répondants à la toise de l’échantillon « représentatif ». Certes, plus l’on veut affiner, plus il faut multiplier les appels, et ça coûte cher. Libé n’a pas de sous, il fait donc des sondages au rabais. Pourquoi pas, mais une simple mise en garde sur les données s’imposerait auprès des lecteurs.

Il n’en est rien. Malgré le très faible nombre de personnes « sondées » ici au regard des quelques 17 millions qui avaient porté leur voix sur Ségolène Royal en 2007, ne voilà-t-il pas que Viavoice détermine « trois familles » de gauche en 2011 ? Il y aurait 51% pour la gauche régulatrice, libérale mais sociale-démocrate, voulant conserver un rôle de garde-fou à l’État. 29% serait la gauche défensive, effrayée par les coups de la mondialisation, de l’immigration, des délocalisations. 20% resterait à la gauche alternative, plutôt anticapitaliste et écolo. Pourquoi pas, le tableau paraît assez sympa. Mais n’est-ce pas une trop belle copie pour la technique employée ?

Rien ne sonne mieux aux oreilles de l’espérance que ce qu’elle rêve d’entendre. En 2009, le même Viavoice ne dénombrait pas moins dans la même enquête 5 familles de gauche, « d’importance à peu près égales ». Comment, en 2 ans seulement, voici la gauche recomposée et rassemblée ? En 5 ans on comprendrait (la crise est passée par là, Nicolas Sarkozy aussi) mais en 2 ans, est-ce bien raisonnable ? La classification 2009 laisse d’ailleurs rêveur : interventionniste, sociale-libérale, anticonsumériste, antilibérale et écologiste antisystème. Hop ! Voilà les trois dernières catégories fusionnées en une seule deux ans après, ce qui ne fait plus que 20% du total de gauche affirmé… De qui se moque-t-on ?

La grosse ficelle est là : il s’agit de démontrer par les chiffres, selon des extrapolations tirées par les cheveux, que la gauche est « plus homogène que jamais ». Avec DSK en opérateur de synthèse – comme Mitterrand dont on fête justement (ô hasard !) les trente ans de prise de pouvoir le même jour. Tonton dont le plus fameux mérite affirmé dans l’analyse se résume à cet oxymore : « il parlait déjà à une gauche avide de changement et de protection ». Bien vu Madame Michu ! Pourquoi Giscard a-t-il donc échoué, lui qui prônait « le changement sans le risque » ? Et pourquoi pas le prochain slogan à la Chirac : « je ferai tout pour ne rien faire » ?

Affirmer tout et son contraire sur de minces chiffres récoltés par une enquête low cost vaut-il mieux que la méthode Coué ? On se dit que si la gauche gagne 2012, Libé deviendra la Pravda du régime, comme feu Le Matin de Paris sous Tonton… Les candidats, tout comme ceux qui s’intéressent à la politique autrement qu’en dévots déjà sur les genoux, ignorerons cette propagande. Elle a tout de la copie Science Po et pas grand chose de la technique scientifique du sondage.

Libération du 10 mai 2011, pages 3 à 5, avec interview (intéressante) de Michel Rocard pages 10 et 11.

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Épouvantail Marine Le Pen

Article repris par Medium4You.

Panique chez les bobos : Le Pen en tête ! Tactique classique à gauche : célafôta… Sarkozy bien sûr ! Gros dos à droite : notre Président reste le meilleur candidat. Selon le sondage par internet Harris Interactive-Le Parisien, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au premier tour de la présidentielle avec 23%. Avant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry à 21%, puis François Bayrou loin derrière avec 8%, Dominique de Villepin et Eva Joly à 7%. Enfin Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon à 5%.

Pour moi, la leçon de ce sondage est clair : « Sarkozy, dégage ! »

On peut, certes, contester « les sondages ». Dire que cliquer par Internet est plus ludique, donc moins fiable, que répondre de vive voix à un enquêteur. On peut contester les méthodes de « redressement » des votes selon l’âge, la catégorie socioprofessionnelle ou l’habituelle minoration de l’extrême droite. Je n’y crois pas. Ou, plus exactement, je pense qu’un sondage 14 mois avant une élection n’est pas un vote « si jamais c’était dimanche prochain » – contrairement à ce que répète la bêtise médiatique… C’est une leçon au Président. Un halte là ! Un signe pour le premier tour.

Marine Le Pen a pour une fois raison : les Français en ont assez de Nicolas Sarkozy. De Funès en politique, c’est l’agitation permanente, le ministère de la parole, une loi pour chaque victime… et pfuitt ! Rien de concret ne se produit. La crise augmente le chômage, l’État est toujours aussi mal géré (un prof sur deux ne fait pas classe !), les islamistes ne cessent de rogner la loi républicaine, défendus par les zâssociâtions… De ministre affairiste en violeur récidiviste relâché par impéritie administrative, du recul constant des élèves dans les évaluations Pisa aux rodomontades d’ingénieurs qui n’arrivent pas à vendre centrales nucléaires, Rafale ou TGV, les Français au pouvoir gardent arrogance et grande gueule sans résultat. Le monde entier se moque des échafaudages administratifs qui font sanctionner au collège le trafic… de sucettes tandis que la drogue circule librement dans les quartiers branchés ; rigole de voir les superproduits d’ingénieurs invendables pour cause de complexité et de prix ; s’esclaffent de la naïveté des technocrates qui vendent de la technologie ferrée ou aérienne à la Chine pour se faire aussitôt copier.

Nicolas Sarkozy a été un bon candidat en 2007. On allait voir ce qu’on allait voir. On a vu. Stop. Les « vrais » problèmes des Français ne sont pas les grands principes que les cuistres appellent « kantiens » – mais ce qui se passe dans la rue. Pourquoi la loi n’est-elle pas respectée ? Pourquoi n’est-elle pas égale pour tous ? Pourquoi ratiocine-t-on sur ces pôvres musulmans « obligés » en France à vivre selon des coutumes qui ne leur conviendraient pas ? Revendique-t-on l’accès libre au whisky ou au cognac en Arabie Saoudite ? Ou de se promener comme à Paris ou New York torse nu dans la rue ? Ou de se baigner en monokini dans les piscines ouvertes ? N’importe où dans le monde, le visiteur doit s’adapter aux coutumes locales. Pourquoi pas en France ?

Parce que les bobos s’en foutent, eux qui habitent les beaux quartiers protégés parce que très chers ? Parce qu’ils se font ainsi une morale publique à bon compte ? Un Chirac n’ira pas au procès, mais le petit voleur sera condamné à des années. Un ministre peut inciter ses parents à investir dans l’immobilier, mais le prête-nom moyen est lourdement sanctionné. Les copains sont les coquins, comme disait le Mélenchon des années communistes, ils empilent les châteaux et les cadeaux. Les « petits », eux, sont traqués par le fisc, l’URSSAF, leur banque et la morââle médiatique.

La place de l’islam en France mérite débat, et c’est dommage que la gauche n’ait rien à dire sur le sujet que d’ânonner les bondieuseries laïcardes du XIXe siècle. L’immigration du Maghreb vers la France inquiète, d’autant que « la démocratie » arabe reste à inventer. A cela que répond l’opposition ? Que Sarkozy ne cesse de créer des ennemis pour apparaître en blanc sauveur. Que le sondage plaçant Marine Le Pen en tête est « alarmiste ». Laurent Fabius y voit même un complot de Nicolas Sarkozy pour chercher un nouveau 21-Avril en agitant la menace du Front national. Est-ce que cela répond aux inquiétudes populaires des Français ? Ce prétexte politicien permet de refuser la réalité : la détresse sociale, le sentiment de déclassement, le délitement des institutions républicaines, la dissolution de l’identité culturelle et historique dans le magma multiculturel mondialiste.

Cela montre que « le système UMPS » est déconsidéré. L’UMP garde un looser, le PS cherche encore son candidat. Quant aux autres, les Bayrou, Villepin, Borloo et autres, ils sont inaudibles. Nicolas Sarkozy ne convainc plus guère que le noyau dur de la vieille droite qui ne vote que « tout sauf » la gauche. Le centre l’a lâché, n’ayant voté pour lui que par défaut en 2007, au vu du score Bayrou au premier tour. Les dissidents de l’UMP sont confortés par la montée de Marine Le Pen.

Jacques Chirac a joué tactique avec l’insécurité dès 2001, préparant la voie à Le Pen devant Jospin aux présidentielles 2002. Peut-être ne l’a-t-il pas voulu (est-il capable de réfléchir ? la dissolution imbécile de 1996 permet d’en douter), mais c’est ce qui s’est passé et il a été réélu. Poser de bonnes questions sans être en mesure d’y répondre est dangereux. L’identité nationale est un débat qui n’a accouché de rien, que des tartarinades à la Hortefeux pour qui il faut « une loi » pour chaque cas, et en urgence ! Vite votée, sans débat ni analyse, « la loi » n’est qu’un chiffon de papier. Combien attendent encore leurs décrets d’application, tout simplement parce que leur aspect touffu, contradictoire ou en conflit avec une autre loi n’ont pas été vus ni réglés ?

Aujourd’hui nul ne voit d’alternative à Sarkozy à droite, François Fillon allant même dans Le Figaro jusqu’à vanter le Président comme le meilleur candidat ! C’est se tromper d’époque et de personne. On pouvait encore douter, avant l’été. Depuis les affaires à répétition Woerth-Alliot-Marie, c’est toute une équipe qui est déconsidérée, et son chef en premier. Si Sarkozy se présente, la droite sera probablement battue. A moins que la gauche soit encore plus nulle qu’en 2007.

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La société multiculturelle est une utopie

La chancelière allemande Angela Merkel avoue publiquement que le multikulti ne marche pas, le sociologue de gauche Hugues Lagrange stigmatise dans ‘Le déni des cultures’ l’aveuglement idéologique des politiciens sur les descendants d’immigrés, les élections à mi-mandat aux États-Unis voient surgir des Tea parties populistes qui remettent en cause le melting pot au profit de la salad bowl (la soupe mixée au profit de la salade où chaque ingrédient est bien identifié). Tout cela est le signe que, dans les pays blancs développés, les changements du monde remettent en cause les idées. Les mentalités évoluent, poussées par la base. Pour une fois, les élites sont à la remorque du populaire.

Ce qui était hier tabou pour cause d’universalisme républicain et de repentance coloniale devient sujet autorisé. L’identité nationale n’est plus réservé au Front national, ni même au ministre de l’Immigration du Président Sarkozy. Voici que le très sérieux Centre d’analyse stratégique auprès du Premier Ministre mandate le CERI, le CEPII et Science Po, avec l’aide du quotidien ‘Les Échos’, pour le 20ème Rendez-vous de la mondialisation mercredi 17 novembre. Il est consacré au multiculturalisme. En France, on ne veut pas le savoir. Les principes sont républicains, tous pareils et j’veux voir qu’une tête. La juriste Dominique Schnapper évoque même l’hypocrisie positive des mots qui euphémisent (comme dire ‘issus de la diversité’ plutôt qu’issus d’immigrés’, ‘technicien de surface’ plutôt que ‘balayeur’). Bien peu des intervenants se déclarent d’accord avec cette vision passée et, disons-le, carrément ringarde de la question. Éviter la réalité, ne pas poser les mots précis sur elle, c’est plus que de l’hypocrisie sociale : il s’agit du tabou. Comme si la démocratie est une porcelaine fragile qui se brise au moindre souffle.

Le coût social de cette évasion de vocabulaire est qu’on ne peut pas mettre en place une politique pragmatique, dit Daniel Sabbagh, directeur de recherche au CERI. Il prend l’exemple des États-Unis pour définir les divers degrés de discrimination positive en œuvre. Le multiculturel est une idéologie qui valorise les différences. La discrimination positive est au contraire le concret des droits, à répartir selon les communautés. Elle émerge quand explosent des émeutes raciales : sous Nixon aux États-Unis. Ces discriminations positives peuvent être soft (actions orientées sans viser une population particulière), indirectes (politique de la ville) ou directes (préférences pour une minorité). Il ne s’agit donc pas de multiculture mais de politique sociale. L’arrêt Bakke 1978 de la Cour suprême a considéré les quotas comme inconstitutionnels mais les actions informelles comme légales – si elles ont pour objectif de promouvoir « la diversité des expériences, des perspectives et des idées. » Rien d’ethnique, dans cette diversité, mais la concurrence positive des visions du monde.

Pour Yudhishthir Raj Isar, professeur à l’Université américaine de Paris, l’enjeu est la double appartenance : communauté et société. Le multiculturalisme est un fantasme : il réduit les individus à leur essence d’origine, sans mesurer leur histoire ni envisager leurs désirs. Le régionalisme (on peut être Breton et Français), l’indigénat (les Indiens d’Amérique ou les Afro-Américains, les Beurs, etc.) et les diasporas (juive, arménienne, italienne, chinoise, etc.), montrent dans l’histoire comment le multiculturalisme s’est traduit et adapté aux nations et aux empires. Il faut considérer trois étages : 1/ le fait social qui est le mélange dans la vie courante ; 2/ l’articulation sociale des différences entre cultures via les associations culturelles, les églises, les fêtes ; 3/ le programme politique normatif pour promouvoir la diversité et la juxtaposition ou l’assimilation. Aujourd’hui, seuls le Canada (à causes des Français du Québec) et l’Australie (en raison de l’immigration choisie asiatique), ont mis en place une politique multiculturelle. Aux États-Unis, il s’agit plus de politique sociale que de multiculture, on raisonne droit des genres et des préférences sexuelles, celui des minorités ethniques est sur le même plan. En Inde, Indonésie ou Afrique du sud, les États-nations sont réellement composés de peuples différents avec des langues différentes mais les règles du jeu national sont clairement établies avec un fédéralisme de régions. Il s’agit de définir un socle de valeurs politiques plus que culturelles pour faire cohabiter des peuples différents qui gardent chacun leurs traditions.

Philippe d’Iribarne – basque français européen – directeur de recherches au CNRS, mesure la rigidité du modèle français républicain. Tout paraît cartésien : l’espace public est neutre, les communautés font partie de l’espace privé. Mais quand le privé se mêle concrètement au public dans la rue, les crèches associatives, les écoles, les cités, les quartiers, au travail, à la cantine, à l’hôpital ?… Comment règle-t-on, dans la vie courante et pas dans l’éther des principes, les écarts culturels ? Là, les grandes idées montrent leurs limites abstraites et littéraires. Pierre Bourdieu lui-même, sociologue de gauche, montre page 21 de ‘La misère du monde’, combien le bruit et les odeurs des Maghrébins et Africains d’un grand ensemble peuvent incommoder un vieux couple de militants communistes, pourtant plongés tout petits dans l’internationalisme prolétarien. C’est que l’épiderme est profond ! Le sentiment de ne plus se sentir chez soi, dernier refuge contre les vents du monde, déstabilise. Le projet révolutionnaire français a toujours été de formater les citoyens par la Raison. Mais les individus résistent, tout comme les familles et les communautés. D’où le bricolage social qui remet les grands principes à leur place : en Alsace règne le Concordat, les règlements d’urbanisme tiennent compte du style régional, etc. La société prend sa revanche sur toutes les différences en exigeant savoir-être, connivence et respect de la hiérarchie existante contre les particularismes, mais il s’agit plus du vivre ensemble que d’essence ethnique. Ne pas crier au racisme donc quand on juge incompatible le langage banlieue et un poste de commercial… Qui fait allégeance au groupe est accepté, qu’il soit Noir ou Blanc, diplômé ou non. Les sociétés égalitaires (Chine, Japon, Europe du nord), sont très peu multiculturelles ; les sociétés multiculturelles sont inégalitaires et pratiquent volontiers la ségrégation (empire ottoman, Liban, Inde, États-Unis)…

D’où la remarque de l’anthropologue Jean-Pierre Wargnier, spécialiste des sociétés du nord-Cameroun où coexistent 150 royaumes et 50 langues sur un territoire grand comme la Belgique. La clôture ethnique est un fantasme, le commerce et les échanges ont toujours existé. Mais selon des codes établis. Le multiculturel est né bien avant l’époque moderne, dans la tragédie grecque ‘Les suppliantes’, des femmes africaines demandent à devenir citoyens. Il y a donc deux ordres humains :

  • l’horizontal, fait d’échanges, de communication, de mariage, de commerce et de dons ;
  • le vertical, qui est la filiation, le patrimoine, la transmission de l’identité.

L’idéologie universaliste tend à nier la filiation pour niveler tout le monde sur le même plan. D’où la désorientation mentale, la préférence pour le présent, le zapping et le commerce de tout – puisque rien n’est inaliénable. Quand les différences culturelles et sociales sont niées, ne restent que les différences irréductibles : elles sont biologiques et aboutissent aux génocides du XXe siècle. Il faut s’opposer à l’hypocrisie sociale de Dominique Schapper et promouvoir un universalisme de transmission plutôt qu’un universalisme de communication. Ce qui veut dire réhabiliter l’histoire, les traditions, leur évolution. La résolution de la crise actuelle est à ce prix.

S’il est mon égal en démocratie, l’autre ne saurait être mon semblable, et c’est bien ainsi. Je peux ainsi le reconnaître pour ce qu’il est, l’apprécier, sans qu’il vienne m’imposer ses coutumes ou que je l’oblige aux miennes. Pas d’ouverture aux autres sans identité de soi.

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