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Sexe, rhum et cochon de Cuba

À l’arrivée au stade, une voiture de location recueille trois Italiens d’âge mûr, dont les adolescents en vélo qui baguenaudent alentour nous disent qu’ils viennent de se faire une ou deux putes. Cela les faite plutôt rire, ces ados ; ils n’ont pas l’austérité protestante de nos contrées coincées où baiser pour de l’argent est le péché absolu. Ils aiment l’amour, le faire, le voir et, si la femme se fait payer en plus, c’est tout bénéfice. Mais Françoise (qui ne comprend pas l’espagnol) réagit aux quelques bribes qu’elle perçoit de la traduction raccourcie de Philippe et elle se lance tel Don Quichotte contre les moulins. « Quoi ! salauds, salopo » (néologisme inventé pour la circonstance car Françoise ne parle pas plus italien qu’espagnol), « vous, pas honte ? baiser comme ça ? baisar ! » Nous rigolons ouvertement de cette morale militante (en langage « petit nègre » d’un air supérieur foutrement colon !), de ce féminisme décalé, de cette clownerie de gauche bobo. Entre adultes consentants, l’amour, même vénal, est une affaire de contrat, pas de morale publique. Mais allez faire comprendre cela à une fonctionnaire d’État socialiste en pleine psychanalyse !

fille bien roulee cuba

Le bus nous reconduit à l’hôtel en passant dans les vieux quartiers où nous revoyons une fois de plus les filles jeunes, bien moulées dans leurs boléros colorés, et les gosses caramels qui se sont mis à l’aise pour jouer après l’école. Toni nous quitte pour rejoindre sa belle, à qui il a fait en passant signe qu’il allait lui téléphoner sous peu. Encore un que l’amour va tenir occupé ce soir. Françoise, dans cette ambiance si sensuelle, se sentirait-elle frustrée ?

Si les adultes connaissent des sacrifices, la Perle des Antilles (petit nom de Cuba) semble bien être le paradis des enfants. Bien nourris, convenablement soignés, éduqués, ils vont sans guère de contraintes, ni vestimentaires, ni du qu’en-dira-t-on. Ils sont presque tout le jour les pieds nus et jouent sans chemise avec leurs frères et leurs copains. Dans cette atmosphère, même l’école intéresse leur curiosité. Ce n’est que l’âge venant qu’ils se font embrigader et vêtir au-delà du minimum. Dès 14 ans, nombre d’entre eux travaillent, surtout dans les campagnes. Même si cela leur donne une autonomie bienvenue à cet âge d’affirmation, et l’impression d’être utiles, le travail est quand même une contrainte. On les sent curieux de connaître le monde extérieur et la modernité, qui ne sont pas le diable de la propagande télévisée officielle, ils le sentent bien. Cette curiosité vivante, on la sent peu chez les adultes, plus méfiants, plus endoctrinés, moins formés peut-être – ou seulement résignés.

ecoliers torse nu cuba

Le rendez-vous est à 19h au bar pour un daiquiri fait de rhum (5cl), de jus de citron vert (1/2) et de glace pilée. On peut raffiner en ajoutant deux boules de glace au citron pour le moelleux de la crème. Certain ajoutent un trait de marasquin. Nous goûtons aussi le mojito qui est fait autrement. Prenez du rhum, toujours la même dose standard, 5cl, 1 trait de sucre de canne liquide le jus d’1/2 citron vert, un brin de menthe à écraser contre le verre, 25cl d’eau gazeuse et quelques glaçons. C’est meilleur. Je préfère le mojito au daiquiri, mais cela dépend de la température extérieure ! En revanche, je n’aime pas trop le cuba libre, 5cl de rhum et 25cl de cola avec glaçons : trop sucré pour moi.

daikiri de cuba mojito de cuba

Nous partons vers 20h pour le Rancho Toa, un restaurant chic à quelques kilomètres de la ville. La rivière Toa a le plus haut débit de Cuba, serine Sergio dans son micro. Nous sommes seuls en « salle » ; je mets ce mot entre guillemets car, sauf sur un côté, les murs n’existent pas. La nature est là, les arbres, les plantes, immédiats, température oblige. Et les moustiques s’en donnent à trompe joie. Nous sommes placés à la table principale pour les groupes, faite de planches brutes. Nous sommes assis sur des bancs de rondins à dossier. Tout cela est révolutionnaire et cow-boy à la fois, ce mélange constant de socialisme et d’Amérique qui fait la contradiction cubaine. Nous est servie une soupe épaisse de porc aux bananes, en calebasse. Puis le cochon lui-même, grillé à la broche, un long bâton enfilé de la barbe jusqu’au cul – ce qui a donné le mot « barbecue » qui vient des boucaniers. La viande est accompagnée de riz (importé du Vietnam car Cuba n’en produit pas assez pour l’avidité de ses habitants), de beignets de bananes plantains et de salade de tomates et laitue. Chacun va se servir à l’étal du cuisinier, un Noir gras qui, en bon spécialiste culinaire, connaît un peu de français. Le cochon, jeune, est tendre et goûteux (je ne parle pas du cuisinier mais de la bête embrochée !). C’est un met de luxe que nous avons là pour les normes cubaines ! Pas de dessert, invention trop occidentale, mais un café parfumé local.

Malgré la joie de cette nourriture bien choisie et bien préparée, toute conversation a été gâchée par les sempiternels musiciens qui viennent vous assourdir jusque dans votre assiette. Ils sont sept, jouent des airs « urbains » archiconnus qui deviennent des scies à touristes comme « Guantanamera » et « Siempre comandante, Che Guevara ». Les neufs dixièmes des touristes sont assez idiots pour être béatement heureux des rythmes en scie à leurs oreilles. Cela les empêche de penser. Moi, je m’emmerde. Les neuf dixièmes des touristes sont ravis qu’on vienne les tirer de la table pour se trémousser (peut-on appeler ça danser, sans rien connaître des rythmes ni des pas locaux ?). Moi, ça me gonfle. La gaieté factice n’a jamais été mon fort. Je prise plus la conversation des esprits à table que la danse du ventre. Et la chasse aux dollars continue. Les musiciens nous ennuient, mais il est « de bon ton » de les rémunérer. Les dix dollars chacun de la cagnotte créée hier soir pour régler pourboires et boissons collectives sont presque bouffés. Il s’agit ici de chasser le dollar où qu’il se trouve. Le touriste est un citron qui doit être pressé sous des airs avenants. On le prend par le gosier, par le sentiment, par la bienséance ou par la queue, peu importe. Les capitalistes doivent payer pour exister, n’est-ce pas dans la propagande ?

cochon de cuba

Nous rentrons vers 22h. Se déchaîne encore à l’hôtel l’animation des danseurs et danseuses salariés. Mais le vent est resté fort ce soir, et les mâles qui se trémoussent ont cette fois enfilé le tee-shirt qu’ils avaient quitté les soirs précédents pour s’exhiber devant les spectateurs dans une parodie de Loft Story showisée à l’américaine. Une vingtaine d’Américains justement, avachis, contemplent la viande très moussante qui se fait mousser sous leurs yeux. Ils paraissent abrutis et je ne sais si c’est l’effet du rhum traîtreusement avalé dans des cocktails sans force apparente ou si c’est l’effet hypnotique de la sono bien trop forte. Je ne les plains pas, chacun prend son plaisir où il le trouve. Mais j’avoue que ce plaisir à l’américaine n’est pas de ceux qui me sont bienvenus.

Quand la musique se tait, quelque part dans la soirée, on entend crisser les palmes et déferler les vagues. À mes oreilles, c’est quand même autre chose !

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Daniel Easterman, La nuit de l’apocalypse

daniel easterman la nuit de l apocalypse
Nous sommes en Irlande, avant les accords de paix. Catholiques et protestants en chrétienté sont aussi haineux que sunnites et chiites en islam. L’auteur, Irlandais malgré son pseudo à consonance juive, professe l’histoire musulmane à l’université de Newcastle ; il connait bien les diverses sectes du Livre. Il part du banal quotidien – un attentat en Ulster, une conférence de religieux musulmans – pour bâtir un scénario poussé à l’extrême.

La caractéristique du livre est un meurtre toutes les deux pages, plus d’une centaine au total, par balle, bombe, grenade, au couteau, au fil à étrangler, dans un incendie… L’auteur croit que l’attrait du thriller est la tuerie implacable, la volonté en marche qui ne tolère aucun obstacle autre que la force en face de soi. C’est un peu outré, mais efficace. Aucune guerre ne doit faire de sentiment. Or le terrorisme, qu’il soit chrétien ou islamiste, est une guerre. Ce pourquoi on ne peut user des moyens de la paix pour cantonner ses effets : la police reste et restera impuissante, elle n’est pas faite pour autre chose que le maintien de l’ordre. La guerre totale, à motifs religieux, lui échappe.

C’est donc le rôle des services secrets, plus ou moins parallèles, emberlificotés dans les alliances OTAN, UE ou Commonwealth. Dans le roman, tous s’en mêlent et se marchent sur les pieds, la Garda irlandaise, le MI5 anglais, la CIA américaine. Sans parler des manipulateurs qui complotent pour embraser les sociétés afin d’accomplir la « fin du monde » que laissent croire imminente les textes interprétés de façon littérale. Déjà, la CIA était pointée du doigt, force secrète avide de mener le monde en mettant la force américaine au service de la mission religieuse des pionniers.

Dublin, petit nouveau européen qui veut agir comme un grand et damer le pion aux Anglais exécrés, organise une conférence de chefs religieux musulmans du Moyen-Orient. En 1995, c’était encore possible ; ce serait impossible aujourd’hui où chacun s’est radicalisé et regarde comment les autres admirent son intransigeance. Plus proche de moi qu’Allah, tu meurs ! L’auteur porte un regard indulgent et respectueux sur les représentants lettrés de l’islam, comme sur les radicaux qui ne voient que les armes à opposer à la force au Liban, en Irak, en Syrie. Un chef religieux se proposera même en sacrifice à la place d’une femme athée – ce qui apparaît aujourd’hui comme utopique, d’une générosité quasi divine. Mais ce n’est pas de l’islam, même extrémiste, que viennent dans ce livre les malheurs.

Declan Carberry, chef de la lutte antiterroriste de la République d’Irlande, est chargé de sécuriser la réunion. Las ! Ses hommes, même entrainés, se font tirer comme des pigeons. La sentinelle a toujours un handicap par rapport à l’agresseur : elle reste visible, donc vulnérable ; elle ne peut user de la meilleure défense qui est l’attaque, étant obligée de tenir un point. Les dignitaires sont enlevés, les politiciens incapables qui minimisaient les risques osent le déni : tout va bien, ils travaillent, il ne s’est rien passé.

Or il se passe régulièrement quelque chose. Les ravisseurs sont des chrétiens fondamentalistes, que révéleront les années 2000 aux États-Unis, jusqu’au Tea party. La raison pour laquelle George W. Bush a attaqué l’Irak était peut-être plus rationnelle, mais ces forces obscures qui travaillent l’Amérique ont poussé au choc des civilisations, l’islam étant considéré comme la dernière œuvre de Satan avant l’Apocalypse annoncée par Jean. Juifs orthodoxes et chrétiens intégristes se rejoignent sur ce constat – et l’auteur, dès 1995, l’avait pointé sous l’habillage du thriller. Ce pourquoi il ne faut jamais négliger les thrillers, ils révèlent beaucoup des tendances à l’œuvre dans notre monde, sous leur aspect divertissant.

Un prêcheur est à la tête du commando ravisseur, échappé d’un assaut donné à la secte qu’il dirigeait au Texas (vous aurez une surprise en apprenant son nom). Des bureaucrates du renseignement malintentionnés l’ont chargé de faire le sale boulot à leur place : répondre au terrorisme arabe par un terrorisme blanc, couper les mains et les têtes comme là-bas, au prétexte de revendiquer le droit de faire circuler la Bible en Arabie saoudite et de prêcher les Évangiles en terre d’islam.

Je ne vous raconte pas comment tout cela se termine, mais l’action est efficacement menée, les chapitres haletants, même si le nombre de tués augmente sans cesse, jusqu’à deux gosses qui s’amusaient dans une voiture. Dans les guerres de religion, nul n’est innocent. Ce pourquoi ce genre de roman d’action est salutaire pour contrer la naïveté rose bonbon des bobos béats. Pas de conclusions hâtives sur des faits qui se répètent ? Certes, mais il faut bien, un moment conclure : la lucidité exige autre chose que le déni pour que survive la société.

Daniel Easterman, La nuit de l’apocalypse (Night of the Apocalypse), 1995, Pocket 1998, 415 pages, €3.87

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William Faulkner, Requiem pour une nonne

william faulkner requiem pour une nonne
Roman expérimental d’après Nobel, donc roman chiant, qui tente de mêler histoire du pays et pièce de théâtre. La part historique remonte aux origines – pour traquer le péché originel de l’Amérique d’être une putain d’un côté, une meurtrière de l’autre ? La part théâtrale met en scène l’accusation de meurtre d’un bébé (évidemment fille) par une nurse noire, ancienne putain, recueillie par la fille écervelée qui, à 17 ans, avait suivi un malfrat dans un bordel de Memphis dans Sanctuaire. Évidemment, la putasserie demeure et la belle fricote avec le frère de l’ancien amant. De qui est le bébé ? Le doute demeure, son premier est affirmé ne pas être du mari qui, saoul, a jeté la voiture au fossé quand elle avait 17 ans, poursuivant l’engrenage que la putasse avait elle-même commencé. Mari soulard qui se révèle le neveu de l’avocat Stevens, bourré dès l’université. Aurait-il été si mal élevé, le gamin que l’on a appris à apprécier dans L’Ours, L’Intrus et Le Gambit ? C’est assez invraisemblable – même s’il ne porte plus le prénom de Charles – dit Chick – mais celui de Gowan.

Vous ne comprenez pas plus que moi ? Pas grave. Il semble que Faulkner tente de rassembler son œuvre en une cohérence, de lier la geste américaine à sa geste littéraire personnelle, reprenant ses anciens personnages et ses hantises fantasmées pour leur donner une suite. Ce n’est pas des plus heureux. Trois fictions historiques au ton incantatoire, prêches vertueux sur les turpitudes des anciens autour d’un cadenas, d’une prison et de la guerre. Trois actes scéniques où la négresse se trouve réhabilitée (elle a étouffé le bébé pour le sauver d’une existence de bâtarde) et la bourgeoise avilie (elle voulait tout quitter pour son gigolo bien membré). Le tout lié d’anciennes nouvelles et de pensées Ancien testament sur la culpabilité et la responsabilité, dans une lassitude d’écriture manifeste. Le théâtre se traîne et les fictions sont très inégales. Le tout est bien raté, n’en déplaise aux dévots pour qui la « Littérature » c’est tout bon si l’auteur a écrit une fois une bonne œuvre.

albert camus requiem pour une nonne

Il est vrai que Faulkner se débattait entre deux maitresses à la fois à l’époque du roman et qu’il a joué à laisser écrire certaines scènes du théâtre par la jeune pétasse qu’il avait sous son aile. Il a retouché sous les conseils de professionnels mais, même après cela, la pièce restait injouable en l’état, plus roman que théâtre. Albert Camus en France en a tenté l’adaptation en 1956 avec un certain succès, mais en remaniant l’ordre des dialogues pour faire progresser l’action, en coupant ici et développant là – en bref une véritable réécriture à partir du lourd bordel ambiant, autant littéraire que moral…

William Faulkner, Requiem pour une nonne (Requiem for En un), 1951, Folio 1993, 304 pages, €7.90
William Faulkner, Œuvres romanesques IV, Gallimard Pléiade 2007, 1429 pages, €78.50
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William Faulkner, Parabole

william faulkner parabole
Seul roman qui se situe hors du Mississippi natal et qu’il a mis 11 ans à écrire, A Fable (titre américain) est une allégorie évangéliste avec quelques enflures rhétoriques. Il a du souffle mais des longueurs. Le trou noir central, maelström qui entraîne l’humanité malgré elle, aurait du être la guerre mais Faulkner choisit comme point central un avatar creux du Sauveur, idée mal incarnée qui semble flotter ici ou là. Parabole apparaît comme une grande ambition – mais épuisée.

Nous sommes en mai 1918 sur le front français ; la victoire hésite et les Allemands sont encore vigoureux. C’est alors que la lassitude des poilus, après 4 ans de tranchées, se manifeste par la mutinerie silencieuse de tout un régiment : 3000 hommes qui refusent tout simplement de sortir des trous aux ordres, après le barrage d’artillerie. Tout le système conventionnel de l’armée s’écroule d’un coup et le général qui les commande se voit contraint de demander qu’on les fusille. Tous. Ce qui ne se fera pas ; on ne fusillera que le bouc émissaire et on « suicidera » le général en prison pour qu’il ait l’air d’avoir été tué à l’ennemi. Il sera enterré avec les honneurs et muni d’une décoration supplémentaire : le système est sauf.

Mais pourquoi ce refus collectif ? Parce qu’un groupe de 13 hommes mené par un caporal va de popote en popote pour porter la bonne nouvelle. Que la paix vaut mieux que la guerre, que ceux qui décident ne sont pas ceux qui se font tuer – on n’en sait guère plus, Faulkner semble bien embarrassé d’expliquer comment les gens peuvent être convaincus d’être plus pacifistes universalistes que patriotes. Il préfère le symbole, la lourde allégorie biblique, qu’il illustre avec une croix chrétienne en tête de tout chapitre – comme dans un missel.

Le lecteur n’échappera pas à Judas (Polchev) ni au triple reniement de Pierre (Bouc) avant la Tentation sur la montagne (par le généralissime français qui est son père ignoré) et la Passion qui le fait crucifier au poteau pour être fusillé (avec deux larrons), couronné de barbelés lorsqu’il chute. Il est recueilli par trois femmes dont deux sont prénommées Marya et Marthe (évidemment), et enterré sous un hêtre dont les racines forment grotte. Il « disparaît » le troisième jour lors d’un duel d’artillerie… Cette enflure qui démarque lourdement les Évangiles est un peu pénible à suivre, hors des États-Unis dévots et avec un demi-siècle de recul.

Cette « allégorie de la conscience morale » – comme Faulkner le défendait – a quelques traits d’humour qui sauvent le propos : le cadavre du caporal Stefan (dont ne connait le prénom qu’à la toute fin, Étienne, premier martyr chrétien) deviendra celui du « soldat inconnu » sous la flamme de l’Arc de Triomphe à Paris, tandis que passe le cortège du généralissime mort. Le Sauveur et le Boucher, chacun dans sa bulle, étendus là pour l’édification des foules…

Plus que le christianisme, c’est au fond le vieux stoïcisme aristocratique du Sud que met en scène l’auteur, une maçonnerie pas très franche, mais de façon contournée et pesante, allant jusqu’à inclure un chapitre américain de passion pour un cheval. Il faut accepter l’homme tel qu’il est, bon et mauvais, mais porter tout son poids sur les institutions. La caste militaire, bras exécutif du complexe militaro-industriel, fonctionne comme une Église pour la domination du monde : « toute notre petite espèce répudiée et sans patrie sur cette terre, qui non seulement n’appartient plus à l’humanité mais plus même à la terre, puisque nous avons été obligés de recourir à ce dernier coup de dés abject et désespéré [le tir de barrage en plein sur les soldats qui fraternisent de part et d’autre des barbelés] pour y conserver notre dernière position précaire et désespérée » p.994. Ce clergé militaire actionne l’idéalisme pour faire rêver d’aventures et de gloire les jeunes, comme ce pitoyable et infantile Levine, sous-lieutenant d’aviation incorporé les derniers mois de la guerre (comme l’auteur), qui se suicide dans les chiottes du terrain d’aviation parce que la guerre s’arrête.

Au spectacle de la guerre civile européenne 14-18 est opposée la grande liberté américaine, dans un chapitre incongru transporté au Mississippi : « L’affirmation d’un credo, d’une croyance, la déclaration d’une foi immortelle, la revendication d’un irréductible mode de vie ; la haute et puissante voix de l’Amérique elle-même, issue du grondement en marche vers l’ouest de ce continent gigantesque et meurtri mais indomptablement vierge, où rien, sauf le ciel immense ignorant de la morale, ne limitait ce qu’un homme pouvait essayer de faire et où le ciel même n’opposait point de limite à sa réussite et à l’adulation de son semblable » p.826. A cette liberté « élue » s’oppose, selon les badernes bardées de décorations, le choix de fraterniser qui est de la subversion. Choisir la paix est une guerre contre ses chefs, préférer la vie est une insulte au drapeau.

Publié en 1954, cette contestation littéraire du prix Nobel 1949 de littérature anticipe la contestation à la guerre du Vietnam des années 1960. Il démontre aussi, une fois de plus, l’absurdité des « commémorations » de la guerre de 14-18 et leur récupération par des politiciens trop avides de popularité – faute de savoir agir dans le présent.

William Faulkner, Parabole (A Fable), 1954, Folio 1997, 640 pages, €10.60
William Faulkner, Œuvres romanesques IV, Gallimard Pléiade 2007, 1429 pages, €78.50

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Martin Amis, La maison des rencontres

martin amis la maison des rencontres

La maison en question est au goulag sous Staline. Les détenus mâles peuvent y rencontrer les détenues femelles avec lesquelles ils sont mariés. Sur autorisation de l’administration des camps et sous l’œil minuté des instances d’État. Certes, Martin Amis ne cesse de se renouveler. Après l’Angleterre – sa patrie – il s’est essayé au roman noir américain ; le voici déguisé en Russe du dernier siècle. Bien qu’assez court, ce roman n’est pourtant pas des meilleurs.

Martin Amis réussit assez bien à se mettre dans la peau d’un zek, ce Russe moyen, patriote et apolitique, envoyé au camp de travail pour avoir prononcé un jour le mot Amérique – alors qu’il désignait une femme. La stupidité administrative s’ajoute à la paranoïa stalinienne et au système de surveillance d’État généralisé pour bâtir cet « avenir radieux » chanté par Marx, Lénine et Staline. Jusqu’au poussah abêti Brejnev, qui affirmait « le socialisme » réalisé… Si c’est cela le socialisme, il a bien fait de mourir, même si son cadavre bouge encore dans les esprits des idéologues jacobins.

Deux frères dans le même camp, l’un protège l’autre, l’autre justifie l’un. Ils sont amoureux de la même femme, Zoya, une Juive – donc suspecte à la xénophobie russo-stalinienne. Mais être juif n’est pas pire qu’être intellectuel ou penser par soi-même, en petit-bourgeois. Seul compte l’accomplissement du socialisme, les plans réalisés à 150% et le chant des littérateurs salariés de l’appareil de propagande comme cet Ananias, mari post-brejnévien de Zoya.

L’auteur a puisé aux meilleures sources publiées sur le goulag, le stalinisme et la période Brejnev – mais son roman a quelque chose de lisse, de seconde main, qui empêche de compatir. Nous sommes loin de Dostoïevski, malgré ce que la quatrième de couverture voudrait nous faire croire. Il se trouve que je connais bien l’histoire de l’URSS pour y avoir consacré une thèse : les récits de Kolyma de Soljenitsyne et Chalamov sont bien plus percutants que ce que nous conte Martin Amis. Même comme prétexte à une histoire humaine, on ne voit guère ce qui est le ressort du roman : est-ce le suicide assisté d’un peuple tout entier ? Pourquoi donc écrire en 2006 précisément sur un système qui s’est écroulé en 1991 ?

C’est un fait que la Russie a massacré allègrement ses serfs sous l’Ancien régime, puis ses soldats en 14, puis ses élites dans les années 20, ses paysans dans les années 30, ses soldats à nouveau dans les années 40, ses Juifs et ses intellectuels dans les années 50, puis à nouveau ses soldats dans les années 80 en Afghanistan, jusqu’aux 186 enfants tués de Beslan et aux 129 civils du théâtre de Moscou en 2002, pris en otage par des Tchétchènes. Poutine ne fait pas plus dans la dentelle pour prendre le pouvoir « démocratiquement », d’opportunes explosions d’immeubles dans les banlieues des grandes villes en 1999 (à Riazan, des membres du FSB sont reconnus et arrêtés, puis relâchés) permettant la dose de terreur suffisante pour assurer la victoire de sa conception de la Sécurité. Martin Amis : « En Russie, un homme risque neuf fois plus qu’un Israélien de mourir de mort violente. S’il s’en sort, il vivra à peu près aussi longtemps qu’un habitant du Bangladesh. Il existe un phénomène démographique : le village des babouchkas – les jeunes sont partis et les hommes sont morts » p.248.

Tout cela est bel et bon, mais quelle est l’histoire ? Elle n’est pas vraiment claire. Deux frères perdus, des mariages impossibles, une sexualité à jamais stérile, et lorsque l’enfant paraît, unique, il est sacrifié « pour la patrie » dans un lointain pays sans intérêt majeur et par une confusion d’aiguillages… L’esclavage d’État dégrade la personne ; elle n’a plus d’initiative, donc plus envie de vivre, ni de se reproduire.

L’auteur s’élève en faux contre cette phrase – tirée de Nietzsche – selon laquelle « ‘Ce qui ne te tue pas te rend plus fort’. Pas du tout ! Pas du tout. Ce qui ne te tue pas ne te rend pas plus fort. Cela te rend plus faible, et te tueras plus tard » p.279. Mais c’est toute la différence – essentielle – entre l’Allemagne et la Russie : la première s’est relevée du nazisme et de la guerre ; la seconde reste enfoncée dans le stalinisme et le souvenir de la guerre.

Hormis cette réflexion, somme toute utile, il n’y a guère de romanesque dans ce livre.

Martin Amis, La maison des rencontres (House of Meetings), 2006, Folio2009, 293 pages, €7.03
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William Faulkner, Sanctuaire

william faulkner sanctuaire
Encensé par Malraux, récupéré par Sartre, pour Camus un chef d’œuvre, ce livre est un roman policier noir qui se passe dans le sud, ce Mississippi cher à l’auteur. L’intrigue est simple : une étudiante se fait violer par un pervers de la pègre ; un avocat humaniste tente de sauver celui qui est accusé à tort mais rien ne fonctionne. La vie est une fatalité et chacun doit aller au bout de son destin.

Écrit sans les tentatives expérimentales du Bruit et de la fureur, Sanctuaire est l’application au XXe siècle des rigueurs de l’Ancien testament : Popeye le caïd est le serpent du mal pur, Temple l’étudiante de 17 ans est une oie blanche aussi niaise que travaillée de la vulve. Quand les deux se rencontrent, ça fait boum, le sanctuaire est violé et le paradis perdu ; tous les lecteurs de la Bible connaissent la suite…

Mais le viol est à plusieurs étages, ce qui complique l’affaire : Popeye est impuissant depuis l’enfance et c’est un épi de maïs qui fait office avant qu’un homme (un vrai), au nom de Red, soit choisi pour officier devant lui en servant d’étalon. « Tiens, t’as un nom de garçon ? » s’étonne devant Temple la tenancière d’un bordel dans lequel Popeye a mené sa conquête. Il est vrai que l’auteur adore donner des noms de garçon aux filles (ainsi Quentin dans Le bruit et la fureur) : pour mieux les traiter de garces ?

Car toute femelle ne pense qu’à « ça », même les oies blanches couvées en pensionnats séparés. « Dans leurs yeux à toutes, cette expression de froideur innocente et effrontée » (chapitre 19) ; elles aiment la bite, dira-t-on dans les années 1980 (Les Bronzés), mais il s’agit bien des mêmes. « Cette curieuse petite chair (…) en qui semblait fermenter peu à peu quelque chose de ce bouillonnement qui l’identifiait à la vigne en fleur » ch.19. Le lieu du mal est la chair, le temps du mal est le printemps, le prétexte du mal est l’alcool. L’oie blanche, malgré trois frères, ne connait rien à la vie, enfant trop gâtée, trop égoïste et hédoniste, déjà prototype de « conne américaine » que la littérature plus récente a consacrée : « Elle n’avait qu’à s’habiller et, quelques instants après, quelqu’un venait la chercher » ch.18.

Tout commence en avril, dans ce sud des États-Unis où le printemps explose en luxuriance, pour se terminer en automne dans le gris uniforme du Paris bourgeois. Entre temps, la nature aura fusé, la soupape aura été refermée, et la « bonne » société retrouvé sa morale, cette discipline étouffante qui est sa seule culture. Tout commence à la source, qui jaillit naturelle, et se termine au Luxembourg, devant un bassin maîtrisé.

Le roman ne cesse d’alterner exprès la fausse innocence féminine et la pseudo virilité, le hors la loi et l’homme de loi, la maison coloniale isolée et la maison de famille urbaine, le libertarisme campagnard détournant la Prohibition et la morale étriquée des « paroissiennes » en ville et de ceux qui ne veulent jamais d’ennuis – « tous d’excellents chrétiens » ch.20, le citoyen normal, professionnel et égalitaire, et celui qui veut péter plus haut que son cul. « Parce qu’ils ont un veston cintré et qu’ils ont accompli le merveilleux exploit de fréquenter l’Université de Virginie, ces gens-là parcourent la terre impunément… » ch.19. Le contraste de l’avocat humaniste et de l’avocat « juif » montre l’antisémitisme latent d’époque dans les romans de Faulkner, même s’il prête les propos à des personnages peu recommandables. Peut-être est-ce moins contre la « race » que contre la soi-disant « élite », le peuple travailleur contre les financiers enrichis, le Mississippi contre New York, les états du sud contre ceux du nord ?

Roman grinçant, pessimiste sur la nature humaine, imbibé de bible et d’horreur de la chair – une sorte d’envers de l’Amérique optimiste, braillarde et superficielle dont on garde l’image. Faulkner avoue, dans son introduction à l’édition de 1932 : « Je (…) spéculai sur ce que pourraient êtres les problèmes actuels pour un habitant du Mississippi. Je m’arrêtai à ce que j’estimai être la réponse correcte, et inventai l’histoire la plus effroyable qu’on puisse imaginer ». Temple sera violée, son violeur est impuissant et un autre est accusé à tort, qu’il laissera lyncher, avant que le destin du malfrat soit scellé par une condamnation à mort pour un crime qu’il n’avait pas commis… Vous avez là toute l’Amérique, balancée d’un coup, d’une plume de maître.

William Faulkner, Sanctuaire (Sanctuary), 1931, Folio 1972, 384 pages, €7.51
Faulkner, Œuvres romanesques tome 1, Gallimard Pléiade, édition Michel Gresset 1977, 1619 pages, €57.00

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Jillian et Mariko Tamaki, Cet été-là

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Que faire en été à Awago Beach, villégiature familiale dont les spécialités sont la dinde séchée et le village huron ? Surtout quand on vient d’avoir 13 ans et que sa copine d’enfance à la plage en a 11 et demi ? Rose regarde Windy se débattre encore dans l’enfance, tandis que Windy observe Rose aborder timidement l’adolescence.

Le seul endroit où l’on se retrouve, outre la plage trop vaste pour lier connaissance, est Brewster’s, le bazar qui vend des bonbons et loue des DVD. Il est tenu pour l’été par un garçon de 16 ou 18 ans que les autres surnomment Dud, et qui court les filles. Aurait-il mis sa dernière conquête, Jenny, enceinte ? Ou est-ce elle qui veut le ferrer par cette menace alors qu’il irait bien voir ailleurs ? Autant Windy est écœurée, autant Rose est fascinée – peut-être secrètement amoureuse. Moins du garçon, trop grand pour elle, que de l’amour et des passions qu’il donne.

Mieux que son père et sa mère en tout cas, qui se disputent à propos de rien. Elle ne veut pas nager, obstinément névrosée. Lui a besoin de prendre l’air, même s’il aime sa fille et aurait bien eu un autre enfant. Mais l’Amérique d’aujourd’hui est décrite comme adepte du sucre et du soda durant l’enfance, de quoi déglinguer les hormones, et du végétalisme avec yoga, danses lesbiennes et naturisme à la lune, de quoi se déglinguer la nature. Sa mère ne peut plus avoir de bébé, elle a fait une fausse couche dans l’eau une année ou deux avant ; quant à la copine de sa mère, elle a du adopter Windy faute de pouvoir enfanter par elle-même. Seules les familles qui envahissent le village huron ont l’air « normales », même si les enfants sont agités et capricieux comme de vrais petits Américains.

Les deux préados regardent le soir des films d’horreur pour ressentir une passion, car il n’y a rien à faire dans ce trou, après les pâtés d’enfance et avant les patins d’ados. Passent sur ordinateur les Dents de la mer, Massacre à la tronçonneuseLes griffes de la nuit…toute une série de montages grossiers et de comportements hystériques auxquels la génération Internet ne croit pas une seconde : « Y’aurait moins de mecs qui meurent s’ils avaient pas à sauver toutes ces filles débiles qui savent pas se gérer », déclare Rose devant un film de hurlements.

« J’adore ce livre », écrit Craig Thompson, grand auteur (canadien lui aussi) de Blankets, une histoire d’enfance (la sienne), dans le genre roman dessiné.  Moi aussi. Il est doux amer comme l’adolescence qui se cherche encore, grave et gentil comme les fillettes qui deviennent grandes, délicat et complexe comme le monde adulte dont on découvre les balbutiements. Un beau moment de lecture pour adultes et ados.

Jillian et Mariko Tamaki, Cet été-là (This One Summer), 2014, traduit de l’anglais (Canada) par Fanny Soubiran, éditions Rue de Sèvres, 319 pages, €19.00

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Être un bon Européen ?

Chacun peut l’être par conviction politique, foi humaniste ou simple intérêt bien compris dans un monde globalisé où seuls comptent désormais les grands ensembles. Mais je voudrais donner ici une autre idée de l’adhésion à l’Europe : celle d’esprit libre.

C’est Friedrich Nietzsche il y a plus d’un siècle, dans son époque de nationalités et revendications identitaires batailleuses, qui prenait de la hauteur pour ne pas rester lié à une patrie. Les différences superficielles entre nations européennes masquent pour lui une unité culturelle. Les fermentations des haines nationales ne sont pas la solution pour vivre plus ou mieux – au contraire. Le nationalisme est une démence de la passion, que la raison délirante transformera au siècle suivant en camps pour tous les métèques, les koulaks, les barbares, les « rats ».

doisneau ouvriers empoignent seins

Nietzsche en appelle à la survenue d’hommes supérieurs, au-dessus de ces bas instincts, de ces passions folles, de cette raison en dérive. La volonté doit accoucher des valeurs, donc de la culture. Le « bon européen » selon Nietzsche est donc « sans patrie ». Il peut être d’un terroir et s’exprimer en une langue sans s’y enfermer : c’est au contraire par les voyages, les curiosités de lectures et de rencontres, par l’apprentissage d’autres langues, donc d’autres façons de penser, qu’émergera la conscience supérieure. En premier lieu européenne.

Peut-être un jour aura-t-on une conscience galactique, ou multi-univers, mais commençons par le commencement. C’est l’erreur des intellos français, trop théoriciens, que de grimper tout de suite aux rideaux en poussant l’abstraction. Victor Hugo en appelait à la « conscience universelle », probable effet de son christianisme mal digéré. Mais vouloir l’universel revient concrètement à ne rien vouloir du tout. L’excès engendre l’impuissance, et pas seulement dans la conscience. Agiter l’universel ou le cosmopolite, c’est surtout ne rien faire ici et maintenant – tout en se donnant bonne conscience dans « l’au-delà » de l’avenir. Ce qui veut dire jamais, à notre échelle humaine, attitude que Nietzsche rapproche du « nihilisme ».

Le « bon Européen » est un ideal-type, un modèle vers lequel on doit tendre, plus facile à suivre que le très vague « universel » (qui n’est qu’une projection de la conscience occidentale sans en avoir conscience). Dans Par-delà le bien et le mal, Nietzsche fait du « bon Européen » celui qui possède « un art et une faculté d’adaptation maximalisés » §242. Lorsque l’on sait que la « faculté d’adaptation » est la définition de l’intelligence (différente de « la raison »), le lecteur voit jusqu’où pourrait aller la notion « d’homme supérieur » – bien loin de la musculation à la Poutine ou de la cruauté exclusive des nazis. Nietzsche n’hésitait pas à parler de « névrose nationale » pour l’obsession nationaliste de son pays, l’Allemagne – en son temps, sous Bismarck. Il lui préfère à l’époque la culture française, plus ouverte sur le monde, à la conscience plus large malgré sa dérive vers l’abstraction sans chair de « l’universel ».

L’Europe culturelle de Nietzsche ne s’arrête pas aux frontières, elle englobe une vision du monde commune, essaimée en Amérique et en Océanie, « une somme de jugements de valeur qui commandent et qui sont passés en nous pour devenir chair et sang », Le Gai savoir §380. Cette culture vient des Grecs antiques, relayée par les Romains puis par le christianisme des Pères de l’Église, avant de rebondir au 15ème siècle avec la Renaissance de la pensée, l’essor scientifique et les grandes découvertes géographiques.

« La science » est elle-même une croyance, mais sa méthode est peut-être la seule qui permette d’observer le monde avec le moins d’a priori possible : par le débat, la critique et la correction successive. L’exigence de transparence sur l’agora politique incite à la rationalité intellectuelle, donc à la recherche de « la vérité », notion relative et ideal-typique elle aussi, mais qui conduit au savoir scientifique sans cesse en progrès. « L’Europe va maintenant jusqu’où s’étend la foi en la science », dit Nietzsche (Fragments posthumes, HTH II, 33, 9).

Tout n’est pas bon dans cette culture européenne, pense Nietzsche, mais quand même : si ce n’est elle, laquelle ? Celle à créer sans doute, mais seulement avec le temps.

Car la quête de « la vérité » engendre cette dichotomie de vision entre vrai et faux, donc bien et mal, donc égoïsme et altruisme. Il « faudrait » (injonction culturelle) choisir le vrai, le bien, l’altruisme – en soi – comme Platon le prônait, et après lui le Christ. Alors que l’être humain réel est irrémédiablement mêlé, sa conscience comme chacun de ses actes pris sans cesse dans un champ de forces entre raison et pulsions, passions et volonté. La faculté d’intelligence est ce délicat équilibre entre ces forces contradictoires mais toujours présentes et utiles.

  • Car que serait la raison sans passion ? – en politique une technocratie robotisée.
  • Que serait la volonté sans raison ? – une dictature totalitaire.
  • Que seraient les pulsions sans raison ? – un univers à la Sade, où tout est permis au nom de la jouissance égoïste.
  • Que seraient les passions sans la volonté ? – une anarchie de mouvements sans ordre ni sens…

Le scepticisme est justement la valeur qui caractérise les « bons Européens » selon Nietzsche. Ce pourquoi il révère Montaigne plus que Descartes.

Rien de conservateur, donc, dans cet appel à la culture européenne. Plutôt la continuation d’un mouvement commencé avec les Grecs vers le savoir et le débat, vers l’amélioration de la conscience humaine. Car les Européens d’aujourd’hui sont les « héritiers du dépassement de soi le plus long et le plus audacieux de l’Europe » (Le Gai savoir §357).

  • Renoncez au troupeau – pensez par vous-même !
  • Renoncez à la vérité absolue – adhérez au « gai » savoir qui multiplie les interprétations et laisse ouvertes les portes !
  • Ayez la volonté de vivre plus intensément, d’exister plus, d’être meilleur – en sublimant pulsions, passions et raison dans l’intelligence des choses et la volonté des actes !

Certes, voter pour des députés nationaux de seconde zone, recalés par leur parti dans cette voie de garage qu’est le « Machin européen » vu de l’énarchie parisienne centrée sur le Pouvoir autour du Président, paraît bien faible, vu des hauteurs de Nietzsche. La faute aux minables socialistes et aux étriqués de droite.

Mais il faut bien commencer par un bout… Avant l’univers, la terre ; avant la terre, l’Europe – seul grand ensemble susceptible de participer à cet « universel » dont rêvent les bonnes consciences à bonne excuse. « Ne veuillez rien qui soit au-dessus de vos forces : il y a une mauvaise fausseté chez ceux qui veulent au-dessus de leurs forces » (Ainsi parlait Zarathoustra, De l’homme supérieur 8). S’ils ne vont pas voter pour l’Europe, ces bobos qui vantent « l’universel » en incantations rituelles, ils ne risquent pas de voter pour le monde ! Beau prétexte à surtout ne rien faire, tout en se pavanant en Bisounours, content de soi. « Car, en admettant que l’on soit une personne, on a nécessairement aussi la philosophie de sa personne », Avant-propos au ‘Gai savoir’, 2.

Boboterie qui incite le populaire à voter contre ces « élites » dévoyées, pour des populistes aigris et étroits d’esprit. Le contraire du « bon Européen » dont Nietzsche a montré l’attrait…

Friedrich Nietzsche sur ce blog

Un article excellent de Pierre Verluise, docteur ès Science politique, sur la France dans l’Union européenne.

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Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose

stefan zweig ivresse de la metamorphose

Stefan Zweig aimait les filles et les grands hôtels ; il détestait la guerre de 14 et la morgue des nouveaux riches encore plus sectaires que les aristos. C’est ainsi qu’il mélange tous ces ingrédients dans ce roman inachevé, composé en fait de deux nouvelles qui se chevauchent et ont du mal à se rejoindre.

La première partie, la plus longue, est du meilleur Zweig. Comment une jeune fille pauvre vit en jeune fille riche le temps de quelques semaines, en vacances dans un grand hôtel de Pontresina où se réunit la jet set de l’époque (où les jets sont des trains fumants mais internationaux). Christine a vu sa famille ruinée par la guerre et par l’hyperinflation qui a suivi. Son père est mort usé, son frère au front, sa mère est cardiaque et peut à peine se déplacer. Elle a honte d’être jeune et d’avoir envie de rire. Elle ne peut compter sur sa sœur, mariée à un brave social-démocrate fonctionnaire mais que les deux enfants ont rendue près de ses sous. Elle a par piston obtenu un emploi de l’État, postière-auxiliaire dans un village. Et c’est ainsi qu’elle s’étiole, derrière un guichet.

Jusqu’à ce que sa tante d’Amérique, mariée à un bon gros Hollandais devenu riche à force d’industrie et grâce au petit capital initial de sa femme, invite Christine à quelques vacances avec eux, en Suisse. La guerre a isolé l’Europe des États-Unis et les mentalités des deux continents ont divergé. Vu d’Amérique, on ne se rend pas compte combien la misère est présente, après 1918, à cause de cette inflation galopante dont on n’a pas idée. Seuls comptent les biens réels, terre, maisons, or ; tout ce qui est économie en billets, livrets ou emprunts d’État ne vaut plus rien. Les rentiers sont ruinés, mais aussi les petits épargnants et ceux que les traités internationaux d’après 1918 ont fait basculer d’un pays à l’autre, de l’Autriche à l’Italie ou la Tchécoslovaquie.

Christina arrive en pauvresse mal attifée et mal coiffée dans cet hôtel chic ; sa tante en quelques heures efface sa honte sociale en l’habillant et en la confiant aux mains expertes de la coiffeuse et de la manucure. C’est la métamorphose du vilain petit canard en cygne, l’ivresse de se sentir belle et courtisée. Sa jeunesse tardive – elle a 28 ans – et son envie de vivre enfin, la font rayonner. Elle est l’énergie chantée par Nietzsche, le vouloir-vivre célébré par Schopenhauer. Les vieux aiment à se conforter en sa présence enthousiaste, les jeunes la cajolent, garçons comme filles, les premiers pour coucher ou épouser, les secondes par jalousie et volonté d’en savoir plus. C’est ainsi, par le dépit d’une fille, que le pot aux roses se découvre. « Christiane von Boolen » n’est ni noble ni Boolen, mais Christine Hoflehener qui a emprunté le nom et la particule sans noblesse de son oncle par alliance van Boolen. Ses robes viennent de sa tante, sa richesse n’est que prêtée. Si Lord Elgins s’en moque et continue à s’afficher avec elle, les vieilles veuves qui cancanent et établissent le can’t (ce qui se fait ou pas), font circuler la rumeur. La tante comme la nièce sont grillées et le couple d’Amérique décide de partir aussitôt pour un autre hôtel, renvoyant la nièce chez elle.

Comment retrouver son village étriqué et grossier après avoir goûté l’hôtel international branché ? Certes, les riches qui peuplent les palaces sont bien loin d’être cultivés ni d’origine honorable. Mais ils sont justement les pires à défendre la caste. L’argent peut tout, pas la culture ni l’idéal, telle est la leçon donnée par la guerre de 14. Et aucun gros bonhomme à rosette de président ne nous fera jamais avaler que c’était héroïque et rassembleur, cette boucherie d’État. Zweig a des mots très durs pour ces repus qui se croient une mission nationale en vantant les massacres qu’ils commandent sans jamais en être. « Depuis la guerre, il a perdu la foi en l’humanité, en la sagesse des nations ; il a fait l’expérience de leur égoïsme, de leur incapacité à imaginer les souffrances qu’elles s’infligent les unes aux autres. (…) Cette foi en la mission morale de l’humanité et dans le progrès moral de la race blanche sont à jamais ensevelis à Ypres, dans les terres inondées rouges de sang… »

Commence alors la seconde partie, plus faible. L’auteur aurait dû publier la première en imaginant une fin courte qui laisse rêver. Il a voulu compléter, améliorer, justifiant le proverbe que le mieux est l’ennemi du bien. Christine, en visitant sa sœur à Vienne, fait la connaissance de Ferdinand, copain de guerre de son beau-frère mais resté prisonnier en Sibérie plusieurs années. Sa jeunesse embrigadée par la guerre imbécile – de 18 à 24 ans – l’a empêché de poursuivre ses études, les traités l’ont rendus apatrides, et l’existence l’oblige à vivoter de petits boulots dans la pauvreté. « On est une sorte d’estropié », dit-il.

S’enclenchent alors une reconnaissance entre ces déclassés que sont Christine et Ferdinand, avec une suite d’errances dans la Vienne miteuse des faubourgs, l’hôtel borgne où passer la nuit, la descente de flics (qui n’arriverait jamais dans un grand hôtel, où les hautes bourgeoises font pareillement les putes de chambre en chambre), le retour au guichet de la poste. Le tout agrémenté de tirades « sociales » sur l’État anonyme devenu ingrat, sur les ex-révolutionnaires devenus pantouflards, sur les nouveaux riches devenus méprisants. La leçon de morale en final est lourdingue, malgré un rebondissement que je vous laisse découvrir. On ne confond pas impunément les registres : roman dans la première partie, essai de sociologie critique dans la seconde. C’est pourquoi Stefan Zweig n’a jamais su finir son seul roman ébauché.

Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose, (inachevé 1925-1931), Livre de poche 1994, 285 pages, €5.80

Stefan Zweig, Romans, nouvelles et récits (Tome 2), Gallimard Pléiade 2013, 1584 pages, €61.75

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Edith Wharton, Les chemins parcourus

edith wharton les chemins parcourus

J’ai déjà évoqué cette Américaine amoureuse de la France et qui a vécu l’inter-siècle 1862-1937. Elle a écrit ce précieux manuel sur Les mœurs françaises incisif, bien vu et toujours utile pour comprendre en ses profondeurs le parisianisme. J’y reviens aujourd’hui avec l’histoire de sa vie. Une histoire qu’elle recompose selon l’image qu’elle veut laisser d’elle-même et de ses amis, avec des blancs et des silences, mais l’histoire aussi de l’Amérique avant l’impérialisme et de l’Europe avant 14. La civilisation s’épanouissait des deux côtés de l’Atlantique comme jamais et l’on pouvait croire – ironie de la raison – qu’un siècle de paix et de bien-être allait s’ouvrir… Comme on le croit aujourd’hui.

Il n’en a rien été mais Edith Jones, épouse Wharton, traverse les épreuves le cœur haut. Elle est une « éblouie », ainsi que le lui dit à un dîner Henri Bergson, à propos de son incapacité à mémoriser de la poésie. La mémoire d’Edith Wharton est émotionnelle, comme celle de Marcel Proust dont elle aime beaucoup la Recherche du temps perdu (surtout le premier tome). Elle a besoin de recréer pour raconter, dans le calme d’une campagne où alternent lectures, jardinage et visites d’amis intellectuellement proches. Mais elle a besoin aussi de mouvement, elle adore les voyages comme son mari et ils laboureront la Méditerranée et les îles grecques ou turques, arpenteront la France, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et même l’Allemagne, rapportant à chaque fois une moisson d’impressions et quelques écrits. Très émotionnelle, donc sujette aux dépressions, ce qu’elle cache soigneusement en ces pages, écrites d’un ton enjoué et volontaire. Mais l’auteur révèle cette appréhension affective dès ses premières impressions : « le monde objectif ne pouvait jamais perdre son charme tant qu’il contenait des petits chiens et des petits garçons ». Être embrassée à 4 ans par son cousin à peine plus âgé est son premier souvenir.

Il y en aura bien d’autres. Oisive, oie blanche ignorante du sexe dans une famille riche de New York remontant aux origines de la colonie, elle ne fait aucune étude mais lit toute la bibliothèque classique de son père en plusieurs langues. Elle parlera français, italien, allemand depuis l’enfance, regrettant de ne pas avoir été au collège pour apprendre le grec et le latin. Elle fait ses débuts timides en littérature par la poésie, avant de se faire conseiller par des amis lettrés et de publier des romans à succès. Dans son milieu, il est indécent pour une femme d’écrire et l’on n’en parle pas. L’inverse de Londres où elle est l’invitée des salons, et surtout de Paris, où elle vécut treize ans, avant la guerre de 14 rue de Varennes, pendant la guerre en créant des foyers d’accueil et des sanatoriums pour réfugiés et, après la guerre, près d’Ecouen. Elle est d’ailleurs enterrée à Versailles.

Edith Wharton est grande amie de Henry James, Paul Bourget, Vernon Lee, la comtesse de Noailles, Jacques-Émile Blanche, Victor Bérard, Charles Du Bos, et même du président Theodore Roosevelt – sans parler des Anglais, Italiens et Américains dont les noms ne disent plus rien. Elle rencontre Bergson, Gide et Cocteau, dont elle livre un portrait jeune incisif : « j’y ai rencontré un jeune homme de dix-neuf ou vingt ans qui, à cette époque, vibrait de toute la jeunesse du monde. C’était Jean Cocteau, alors plein de passion et d’imagination, pour qui chaque beau vers était une aurore, et chaque crépuscule jetait les fondations de la Cité céleste. (…) Une des tristesses des années qui suivirent furent de voir cette lumière s’estomper. La vie en général, et la vie parisienne en particulier, est la cause de beaucoup d’effacements ou de défigurations de ce genre ; mais dans le cas de Cocteau, c’est d’autant plus dommage que ses dons étaient particulièrement nombreux, et ses ferveurs parfaitement sincères » p.264.

Edith Wharton a vu basculer le monde encore rural du XIXe siècle dans le monde industriel du XXe, avec son cortège de laideurs, de brutalités, de mécanisation des esprits et des bureaucraties. « A Paris et dans ses environs tout semblait pousser le même cri : les riants faubourgs qui n’avaient pas été défigurés par les hideuses réclames, les champs de blé de Millet et de Monet encore intacts, déployant leur opulence dorée autour de la capitale, les Champs-Élysées dans leurs derniers soupirs d’élégance, et les grands édifices, les statues et les fontaines qui, au crépuscule, se retiraient dans le secret et dans le silence, au lieu d’être arrachés à leur mystère par des flots vulgaires de lumière électrique » p.295.

Mais elle a su garder l’âme haute, ce qu’elle déclare en « Premier mot » : « Malgré la maladie, malgré même ce pire ennemi, le chagrin, on peut rester vivant bien après la date usuelle de la décrépitude si on n’a pas peur du changement, si on conserve une curiosité intellectuelle insatiable, si on s’intéresse aux grandes choses, et si on sait tirer du bonheur des petites » p.11. Tout l’inverse de la France d’aujourd’hui – qui vieillit, qui refuse tout changement, qui s’ankylose dans le passé et qui réduit son regard aux petites hantises de détail du présent.

Puisque l’on honore tant, dès cette année, la période 14-18, pourquoi ne pas regarder du côté du vivant optimiste plutôt que de se confire dans la mort et les cadavres ?

Edith Wharton, Les chemins parcourus – autobiographie (A Backward Glance), 1933, édition 10-18 2001, 383 pages, occasion € 16,97  

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Croissance ou épanouissement ?

Le bien-être est mesuré par les États en termes de niveau de vie ; celui-ci est réduit au Produit intérieur brut (PIB) par habitant. Ce PIB est un agrégat comptable qui représente la production finale des unités résidentes dans un pays. On le décrit comme la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs et branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions. Il ne considère autrement dit qu’une partie de la valeur créée par l’activité économique, y compris les activités négatives comme les accidents, et les valeurs productives douteuses comme la publicité – mais absolument pas certaines activités positives non marchandes, comme l’activité artistique, les productions bénévoles (par exemple les blogs), ou le travail non externalisé au sein de la famille (aide aux devoirs, jardinage, lessive, bricolage…).

C’est commode, calculable, et sert à prélever des impôts et à répartir des subventions – mais le PIB ne mesure en rien la qualité de vie. Car qu’est-ce qu’être heureux ? C’est être matériellement à l’aise, certes, manger à sa faim, être protégé des aléas de la vie par les services publics (police, justice, armée, éducation, santé) et volontairement en plus par les assurances privées volontaires, se loger sans se ruiner, se vêtir et sortir correctement.

Mais c’est le terme « correctement » qui pose problème : il n’est pas mesurable car toujours subjectif. Si l’on raisonne en moyenne, le « niveau de vie » (PIB par habitant) ne donne qu’une chimère : tout dépend des écarts de revenus réels et de patrimoines ; si l’on raisonne en « panier de la ménagère » en ajoutant quelques services, on reste dans l’administration anonyme des choses sans considérer les gens ; si l’on prend le « revenu par foyer » (adoré par Bercy), l’évaluation est plus juste mais ne tient compte ni du patrimoine, ni du parcours éducatif, ni du réseau social. ce sont pourtant ces capitalisations financière, culturelle et sociale qui sont bien utiles pour trouver une bonne place dans la société !

sucer torse nu

Considérer alors « la croissance » comme l’augmentation du PIB est un mensonge réducteur, bien dans l’esprit positiviste gavé par l’éducation « nationale » qui ne croit qu’au calculable et qui formate des technocrates sans âme.

Le Japon a le 3ème PIB au monde, mais aussi le 4ème taux de suicides…La Chine le 2ème PIB (en parités de pouvoir d’achat) mais le 7ème rang pour les suicides. La France semble mieux lotie : 5ème pour le PIB mais seulement 18ème pour le taux de suicides ; la Suisse est encore mieux équilibrée (et il y a pourtant nettement moins de prélèvements sociaux qu’en France !). Est-ce parce que si le pessimisme français est très haut, l’optimisme familial aussi ? On aime bien les enfants, en France, on en fait plus qu’ailleurs et – non ! – ce ne sont pas seulement des rejetons d’immigrés outre-méditerranéens.

Plutôt que la croissance, peut-être faudrait-il considérer l’épanouissement ? Il ne s’agirait plus de remplir le tonneau des danaïdes des désirs mimétiques toujours insatisfaits (« toujours plus », avoir « mieux que le voisin », rivaliser avec le beauf), mais de mesurer le bien-être personnel et l’attention apportée aux autres. Ce qui voudrait dire ajouter des critères de bonne santé, de travaux domestiques et bénévoles, de liens sociaux et d’activités, de bonheur au travail. On ne produirait alors plus pour produire – mais pour des besoins et des gens. La nature ne serait plus pillée ni les bêtes exploitées, mais considérées en harmonie dans l’ensemble du vivant.

Ce sont ces idées généreuses et intéressantes qui tourmentent la pensée américaine ces derniers temps, comme le montrent John Erenfeld et Andrew Hoffman. Mais que sont-elles, ces idées, sinon l’éternelle resucée du stoïcisme et du bouddhisme ? Pourquoi chercher à inventer ce qui existait dans le passé ? Tout est dans tout car la raison humaine commande les sens de chaque individu et est une partie de l’esprit universel – qui permet de distinguer s’il y a accord entre la nature de l’homme et celle de l’univers.

Vivre selon la raison signifie vivre selon le bon sens, sans excès ni démesure : pas de désirs sans limites comme procréer à 60 ans ou être rajeuni à grands frais à 90, pas de grosses bagnoles qui vont très vite alors que la vitesse est collectivement limitée pour le bien de tous, pas de pub incitant la machine désirante du tout, tout de suite et tant pis pour les autres. Le sage bouddhiste qui a trouvé l’illumination est saisi de compassion pour les êtres : il aide ses semblables à trouver la voie de l’extinction des désirs sans limites qui tourmentent, il aime les enfants et les guide pour s’épanouir, il ne mange pas une bête sans nécessité, il respecte les plantes (ceux qui ont « la main verte » comprendront).

Table avec tomates

Nous avions l’humanisme, Rabelais disait même que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais l’humanisme a fait naufrage avec le positivisme technocrate d’État (droite et gauche confondues). La transformation du libéralisme en doctrine à faire de l’argent et du marxisme en exploitation forcenée de l’homme et de la nature par une clique restreinte au pouvoir ont dévoyé un peu plus l’héritage ancestral. Droite inepte, socialistes intolérants, profs syndicalistes et écolos arrivistes n’ont en rien amélioré l’espèce – toujours dans la haine et l’excès, les mauvaises notes et le mépris de l’autre. Camus l’avait bien vu !

La croissance était certes indispensable pour acquérir un niveau économique suffisant durant les années de reconstruction d’après-guerre ; mais puisque le monde est fini et que nous n’y sommes pas seuls ni les plus forts, le temps est venu de quitter le tout-production pour considérer le bien-être. Retrouver la « vie bonne » des philosophes antiques repris par Montaigne.

Hélas, stoïcisme, bouddhisme, Montaigne ? Cékiça ? On ne les apprend plus à l’école et les médias ne font pas de shows dessus ; les histrions surpayés qui tiennent les antennes seraient même capables de les confondre avec masochisme, boudin et montagne. Seul ce qui vient d’Amérique est valorisé : alors écoutons l’Amérique puisque nous ne savons plus penser utilement pour la société aujourd’hui !

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Radicalisation de crise

L’Amérique reste qu’on le veuille ou non le phare du monde et ce qui lui arrive nous arrivera probablement aussi, avec une décennie de décalage. Ce pourquoi les réflexions suscitées par les dernières élections présidentielles aux États-Unis, rassemblées dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat (n°173, éditions Gallimard, €18.50) font penser à la France. Nos élections présidentielles de l’an dernier ont marqué une pente dont la campagne anti-Obama fut la caricature. Ce qui s’est produit là-bas risque de se produire ici, en 2017. Qu’est-ce à dire ?

Les États-Unis se sont montrés de plus en plus opposés à l’État et de moins en moins unis.

Les divisions raciales, culturelles, d’origines et de résidence géographique sont devenues criantes. En France, nous avons encore connu en 2012 le choc idéologique entre droite et gauche ; aux États-Unis, le choc est désormais entre communautés : Noirs contre Blancs, petites villes contre mégapoles (Washington, New York, Chicago, San Francisco), états du centre contre états des côtes, cols bleus contre cols blancs, industriels et commerçants contre intellos universitaires…

Cela nous menace-t-il ?

Sans aucun doute. Catholiques et Juifs se retrouvent contre un islam médiatique (différent de l’islam pratiqué) qui valorise l’image de l’intolérant, du macho et du terroriste. Il faut dire que les musulmans « normaux » restent frileux face aux surenchères salafistes et autres « Frères »; on ne les entend guère dans les médias… Les laïques sont partagés, anticléricaux mais « respectueux » (jusqu’à la lâcheté trop souvent) des cultures du monde, dont les opprimés et leur religion font partie. Les habitants des campagnes et des petites villes françaises ne se reconnaissent plus dans les grandes villes telles Paris, Lyon, Marseille, Toulouse. Ces mégapoles cosmopolites ne sont plus « la France » (voir la série Plus belle la vie dont les acteurs n’ont même pas l’accent de Marseille) ; leurs élites ne représentent plus la nation mais le nomadisme mondialisé ; leur culture, subventionnée d’État, ne dit plus rien aux éducations classiques. Pire : les partis de gouvernement sont mis dans le même sac de « l’UMPS » tant par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon. Tous sont accusés d’être dans le vent, ploutocrates (que les intellos-économistes méprisants appellent « ultralibéraux »), dévoués au marché (« grand méchant ») et – pourquoi pas ? – aux maîtres du monde qui comploteraient (rumeur) la fin des peuples.

on est autiste

Le vieux fond humaniste résiste encore en France aux séductions de la manipulation ethnique et des théories du Complot, mais pour combien de temps ? Aux États-Unis, le parti Républicain devient récalcitrant, dédaigneux de tout compromis. Il s’agit presque d’une guerre de religion entre Républicains et Libéraux, les premiers étant à la fois conservateurs (moins d’impôts et moins d’État) et libertariens (moi-je, pionnier tout seul contre le monde pour refonder ici-bas la cité céleste) ; les « libéraux », là-bas, sont gens de gauche, en souvenir des Lumières – ce qu’ont bien oublié les archéo-marxistes français passés sous Staline et dont l’esprit ne s’est jamais remis. En France, la propension au refus de tout compromis est moins marquée mais contradictoire, la droite conservatrice (moins d’impôts mais plus d’État), la gauche plus individualiste que libertarienne (moi-je, narcissique – mais qui exige les autres pour faire son théâtre médiatique ou frimer sur les réseaux sociaux). Les Libéraux américains (parti Démocrate) sont keynésiens et partisans du New Deal, en France l’UMP et le PS aussi… sauf à réduire les déficits. De cette confusion multiculturelle surgissent de nouvelles radicalités aux marges. La rue du ‘printemps’ de droite en témoigne.

Il s’agit de crispation des petits Blancs : WASP aux États-Unis et petits commerçants, artisans, fonctionnaires en France contre « les étrangers » qui viennent saisir les opportunités d’emplois et bénéficient des prestations sociales parce qu’ils sont juste en-dessous en termes de revenus. Plus encore : ce lumpen proletariat bénéficie de la bienveillance des intellectuels, des politiciens et des faiseurs de lois, puisqu’ils sont considérés (à cause d’une vague culpabilité impérialiste ou coloniale) comme « victimes », forcément victimes. L’administration crée des quotas pour favoriser les Noirs aux États-Unis, Obama compte régulariser 11 millions de sans-papiers latinos (4% de la population, l’équivalent de 2.5 millions d’illégaux en France). Susan Sontag, gauchiste féministe new-yorkaise, n’est-elle pas allée jusqu’à déclarer que « la race blanche est le cancer de l’humanité » ? La psychologie de la domination remplace l’analyse de la société, c’est sans doute plus confortable intellectuellement et donne l’éternelle bonne conscience d’être avec les opprimés, mais sans travailler en rien ni à la production, ni à la redistribution sociale, ni à l’éducation des gens. Il y a trahison, aux États-Unis comme en France : le peuple (autochtone) pense que les élites (censées les représenter) les trahissent en favorisant les allogènes (qui ne veulent pas s’assimiler ou n’ont aucune incitation à le faire). Quel intérêt d’être conforme, s’il est plus avantageux de rester victime ?

Les élites de gauche préfèrent semble-t-il, aux États-Unis comme en France, les minorités biologiques aux classes sociales, l’état de nature à la construction historique et politique de la société. Limousine Liberals et bourgeois-bohêmes n’ont que faire du peuple, qu’ils méprisent. La dernière mode en politique est d’oublier ouvriers et employés (Blancs) pour favoriser toutes les minorités ethniques ou de « genre » (qui voteront « bien »). Une fois au pouvoir, la loi remplace l’éducation. Les gais-lesbiens-bi-trans sont plus chouchoutés pour convoler, adopter et procréer que les hétéros qui maltraitent leurs enfants et ne savent pas les élever. Je l’ai écrit, je ne suis pas contre le gai mariage, mais je constate le sentiment naissant qu’il vaut mieux « être » que se créer, « naître » que s’éduquer. Mieux vaut être Noir homosexuel illettré sans papier que Blanc hétéro cultivé intégré… Ce serait ça la gauche ?

De plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent plus ou moins confusément : à quoi cela sert-il donc de bien travailler à l’école, de vouloir faire carrière, de payer des impôts ? Dans la France de Hollande plus particulièrement, où « les riches » sont désignés comme boucs émissaires de tout ce qui ne vas pas (au-dessus de 3000 € par mois – soit le salaire moyen d’un fonctionnaire en fin de carrière – selon la fiscalité présidentielle), où les « entrepreneurs » sont méprisés a priori et considérés comme vaches à lait fiscales, où une caste restreinte aidée de communicants et d’avocats (Brafman, Veil, Fouks, Hommel) se protège de la loi commune, où « la recherche » est vue comme l’avenir en paroles mais dernière roue du carrosse en réalité (les étudiants brillants partent à l’étranger, comme les innovateurs en Californie : « trop de lourdeur, trop de casse-têtes administratifs et juridiques ») – où 38% des Français déclarent dans un sondage récent qu’ils quitteraient la France s’ils pouvaient… Quel merveilleux projet politico-social ont nos gouvernements depuis le début du nouveau siècle pour que plus d’un tiers des adultes actifs veuillent fuir !

fesses et bobos

Quoi d’étonnant à ce que le populisme monte ?

Tea Parties aux États-Unis et extrémistes en France se radicalisent contre les élites qui les ignorent et font une politique qui va contre leurs valeurs et leurs intérêts. La volatilité des électorats, déboussolés par le changement non accompagné, par la promotion de minorités sans autre explication que « l’égalité » par principe (seraient-ils « plus égaux » que les autres ?), va s’accentuer – aux États-Unis comme en France. Pire : le grand inquisiteur fiscal est pris la main jusqu’au coude dans le pot à confiture des paradis fiscaux; le grand argentier présidentiel a des intérêts aux îles Caymans ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : voilà le discours politique de la gauche « morale ». Après le stupre, le lucre, les Strauss-Kahn et Cahuzac (sans parler des seconds couteaux Guérini, Lamblin, Andrieux, Teulade, Kucheida… et autres hollandais volant) font du président « normal » une image qui pousse au cynisme. Après la fracture sociale, la fracture morale ? Après le « président des riches » des affaires et de l’industrie, le « président des nouveaux riches »  de la fonction publique et du carnet d’adresses ?

Ce qui veut dire que tout dirigeant élu, Obama comme Hollande, n’a plus de « mandat » des électeurs, seulement des « opportunités » de circonstance. D’où l’espèce de fuite en avant de François Hollande sur les questions libertaires (mariage gai, récidive, vote des étrangers, voler au secours du « pauvre » Mali, « moralisation » des moeurs des copains) pour masquer les vraies questions – qui sont de classe et de mondialisation : chômage, déficit public, fiscalité, encouragement à l’entreprise, politique européenne, émergence de la Chine.

Nous ne sommes pas encore au point atteint par les Américains, mais nous y venons.

Sarkozy caresse l’idée d’un retour radical en politique ; Mélenchon fourbit sa faconde, coupeuse de têtes ; Le Pen père, fille et nièce poussent leurs pions. Obama n’a gagné que parce qu’il a su mobiliser à la base, dans les comtés, en exploitant les données personnelles innombrables, glanées sur les réseaux sociaux et auprès des donateurs particuliers. Hollande en reste aux meetings de sous-préfecture et aux appareils obsolètes.

En France la droite ou la gauche extrêmes sont encore loin de mobiliser vraiment la base et les réseaux sociaux. Pour le moment… mais  d’ici 2017 ? Le radicalisme, c’est dans 4 ans.

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Mark Twain, L’autobiographie

Mark Twain Autobiographie

L’immortel humoriste américain de Tom Sawyer et du Prince et du pauvre livre ici ses « Mémoires », publiables 100 ans après sa mort. Le lecteur comprend vite pourquoi : il n’hésite pas à dire leurs quatre vérités à ses contemporains ! Fils de famille nombreuse, dans laquelle la moitié des enfants survivront à l’âge adulte, Samuel Clemens, descendant d’un juge écossais ayant condamné Charles 1er à la décapitation, a pris le pseudonyme de Mark Twain après ses années de pilote sur le Mississippi. « Mark Twain » signifie en effet « Deux brasses », jauge de ce qui reste sous la quille avec les bancs de sable…

Rien de conventionnel dans ce ramassis de textes disparates, parfois digressifs et bavards. Des éléments rédigés en vue de raconter sa vie côtoient des dictées à une secrétaire en sténo, des lettres qui rappellent des souvenirs, des articles de journaux, des fragments d’une biographie de son père par sa fille Susie, adolescente… Mais c’est que l’on était avant Internet, le téléphone, la télé, le film et même la radio ! Les distractions étaient rares : le sermon du dimanche, les journaux locaux, les conférences. Mark Twain est de ce monde là. Curieux bonhomme, d’une curieuse famille, assez déjantée semble-t-il. Orphelin très tôt, il a exercé plusieurs métiers, dont celui de prote, de pilote de vapeur à aubes, de journaliste, d’humoriste, de conférencier, avant de devenir « écrivain » – vivant de sa plume. Il a marché pieds nus sur les bords du fleuve et est allé à l’école pour tous (de 4 à 27 ans…) où sa première expérience sociale a été le rejet parce qu’il ne savait pas chiquer (à 7 ans !).

Tom Sawyer est l’aventure de son enfance, déformée et amplifiée évidemment. Mais Huckleberry Finn a vraiment existé, il s’appelait Tom Blankenship, « jamais lavé » mais très libre avec un père ivrogne : l’idole des gamins. Samuel Clemens alias Mark Twain a aussi côtoyé les personnages célèbres des États-Unis comme le général Grant ou Harriet Beecher Stowe, auteur de La case de l’oncle Tom. Il est fort critique vis-à-vis des escrocs et bateleurs comme Jay Gould ou le jeune Rockefeller, mais admiratif aussi envers les sans-grades dont la postérité n’a jamais retenu le nom.

Elijah Wood dans Huckleberry Finn

Il écrit drôle, parfois long, mais pour être parlé. La télévision nous a habitués aux dérives de la jactance pour ne rien dire mais, avant son avènement, c’était un procédé d’orateur pour tenir en haleine les foules. Mark Twain adore en rajouter. Notamment sur le métro de Londres (Royaume-Uni) : « Quand le train arrive, il faut bondir, se précipiter, voler et s’entasser avec la foule dans la première boite à cigares à proximité, à moins d’être abandonné sur place. On a à peine le temps de s’écraser sur une portion de siège avant que le train ne reparte. Il fulmine et postillonne en avançant, vomissant fumée et cendres vers les fenêtres, que quelqu’un a ouvertes ne faisant valoir ses droits à rendre toute la boite à cigares inconfortable si son confort le demande ; le voile de fumée noire étouffe la lampe et en brouille la lumière, et la double rangée de personnes assises et entassées ici se hurlent au visage, le pieux et l’impie priant à sa propre façon » p.107.

Mark Twain photo

Livrant un article sur Jeanne d’Arc à Londres, qu’il connait bien, il se voit corriger par un obscur, à son grand dam. Qu’à cela ne tienne ! Il répond par une lettre détaillée pour montrer l’incompétence de son interlocuteur. A un ami qui lui rétorque : « Ne vous ai-je pas dit qu’il corrigerait Shakespeare ? », il répond du tac au tac : « Oui, je sais, mais je ne pensais pas qu’il me corrigerait, moi ». Il raille aussi la langue allemande et sa prétention à accoler les noms jusqu’à ce monstre (comprenne qui pourra) « Hottentotenstrottelmutterattentâterlattengitterwetterkotterbeutelratte » p.125… Ou le Thanksgiving Day américain, « une habitude parce que, au fil du temps, à mesure que passaient les années, on comprit que l’extermination avait cessé d’être mutuelle et ne se faisait plus que du côté des Blancs, en conséquence du côté du Seigneur, et en conséquence il était correct d’en remercier le Seigneur et de prolonger les compliments annuels habituels » p.401. Il se moquera même de la Providence, qui a bon dos, jetant le marin à la mer par fantaisie avant de le faire sauver par un capitaine immoral, « irréligieux et blasphémateur » p.342.

Né dans le Missouri en 1835, Mark Twain a traversé le siècle industriel jusqu’en 1910. Il a connu l’Amérique pionnière, anarchique, messianique. Cette édition est le premier tome d’une masse de manuscrits de la Bancroft Library à Berkeley, University of California. Cela nous en promet bien d’autres ! Une heureuse idée des éditions régionales Tristram, bien traduite par Bernard Hoepffner.

Mark Twain, L’autobiographie – Une histoire américaine (Autobiography of Mark Twain), 1910, traduction française de l’édition 2010 aux États-Unis par Bernard Hoepffner, éditions Tristram, Auch, septembre 2012, 823 pages, €28.02

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J.D. Salinger, L’attrape cœur

Salinger L attrape coeurJérôme David (« jidi ») Salinger, disparu récemment, reste l’homme d’un seul livre, écrit en 1953.  Roman culte depuis trois générations, ‘L’attrape cœur’ marque l’irruption dans la littérature (donc dans la société) de cette nouvelle classe d’âge de la prospérité : l’ado.

Salinger vous envoie sa dose de ‘rebel without a cause’. Holden boy, 16 ans, maigre et taille adulte, est mal dans sa peau. Normal à cet âge. Il ne fout rien au collège et l’internat huppé où ses parents l’ont mis le vire à la fin du premier trimestre. Il doit partir le mercredi mais quitte l’endroit dès le samedi soir sur un coup de tête. Il va errer dans New York, sa ville, rencontrer des chauffeurs de taxi, des putes, des pétasses, d’anciennes copines, un ex-prof. Il va se faire rouler, un peu tabasser, va fumer, picoler, tripoter, dans cet entre-deux d’adulte et de môme qui caractérise les seize ans.

Il n’a pas envie de faire semblant comme le font les adultes, de jouer un rôle social, de travailler pour payer, de « se prostituer » à la société. Mais il n’est plus un môme, âge qu’il regarde avec émerveillement pour sa sincérité, avec attendrissement pour ses terreurs et ses convictions. Ni l’un, ni l’autre – il se cherche dans cette Amérique d’il y a 68 ans déjà, mais déjà très actuelle. Certes, à l’époque les adolescents n’y sont pas majeurs avant 21 ans, mais ils sont laissés en liberté et peuvent entrer et sortir du collège sans que personne ne les arrête. Pas sûr que ce soit toujours le cas.

Ils pelotent les filles mais ne vont pas plus loin sauf acceptation – là, on est sûr que ce n’est plus le cas. Ils trichent sur leur âge en jouant de leur taille et en rendant plus grave leur voix. Cela pour boire de l’alcool – interdit aux mineurs – ou fumer comme les grands. Ils ont envie mais trouvent tout rasoir ; ils détestent le mec ou la nana en face d’eux mais regrettent leur présence quand ils sont partis ; ils détectent le narcissisme ou la fausseté chez leurs condisciples mais restent au chaud dans leur bande. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent.

Ce qu’ils craignent en premier est de devenir adultes. En second, de devenir pédé. C’est un véritable fantasme américain des années 50 que l’inversion sexuelle : une tentation permanente – mais la hantise de la contagion. Comme si le mal – qu’on croit héréditaire – devait se révéler sur un simple attouchement. Stradlater, copain de chambre de Caufield au collège : « Il circulait toujours torse nu parce qu’il se trouvait vachement bien bâti. Il l’était. Faut bien le reconnaître » p.38. Luce, son ancien conseiller d’études, de quatre ans plus âgé : « Il disait que la moitié des gars dans le monde sont des pédés qui s’ignorent. Qu’on pouvait pratiquement le devenir en une nuit si on avait ça dans le tempérament. Il nous foutait drôlement la frousse. Je m’attendais à tout instant à être changé en pédé ou quoi » p.175. Mister Antolini, son ex-prof qui le reçoit un soir chez lui, avec sa femme, pour qu’il dorme sur le divan : « Ce qu’il faisait, il était assis sur le parquet, juste à côté du divan, dans le noir et tout, et il me tripotait ou tapotait la tête » p.229. Rien de plus et ça suffit à faire sauter l’ado du lit en slip pour s’enfuir en courant.

Holden Caulfield se liquéfie en revanche devant les gosses. Il est tout sensiblerie. Il évoque son frère Allie, mort d’une leucémie à 11 ans, lui en avait 13. Il s’était alors brisé le poignet à force de défoncer les vitres du garage pour dire sa rage. Sa petite sœur Phoebé le fait fondre. C’est elle, la futée, qui l’empêchera d’agir en môme à l’issue de son périple. Lui voulait partir en stop dans l’ouest pour devenir cow-boy ou quelque chose comme ça. Elle lui a collé aux basques pour partir avec lui. Il s’est rendu compte aussitôt de tout ce que ça impliquait, de tout ce qu’elle allait perdre – et lui aussi. Ses yeux se sont ouverts, il a découvert sa maturité incertaine, sa responsabilité adulte envers sa petite sœur.

Je ne sais plus si j’ai lu Salinger quand j’étais moi-même adolescent. Si oui, cela ne m’a pas vraiment marqué. La traduction vieillie garde ce tic des années 1980 d’ajouter « et tout » à chaque fin de phrase. C’est d’un ringard ! La traduction que j’avais lue datait d’encore avant et ce n’était pas mieux. C’est le problème de trop vouloir coller à l’argot du temps : ça s’use extrêmement vite. Avantage : ça plaît à l’âge tendre.

Le titre, ‘L’attrape-cœurs’, vient d’une chanson d’époque, « si un cœur attrape un cœur qui vient à travers les seigles… » Et plus loin d’un poème de Robert Burns qui parle de « corps » qui vient à travers les seigles. Mais pour les ados, c’est pareil, le cœur se confond avec le corps, le tout fondu par les hormones. Ce n’est qu’en devenant adulte qu’ils font la distinction et 16 ans est l’âge charnière où cela reste imprécis. J.D. Salinger raconte très bien cet entre-deux. A faire lire à votre Holden boy, s’il a dans les 16 ans.

Jérôme David Salinger, L’attrape cœur (The Catcher in the Rye), 1945, Pocket 2010, 253 pages, 5.41€

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Richard Price, Ville noire ville blanche

Voici un thriller psychologique venu d’un Noir américain qui va conforter les partisans de la police de proximité ! Le cadre est en effet la banlieue de New York, la ville des inégalités, et le quartier noir d’Armstrong appelé Freedomtown, côtoyant le quartier blanc de Gannon. La « ville de la liberté » est le surnom dérisoire donné par ses habitants au ghetto dans lequel ils sont parqués. De là viennent en effet la majorité des délinquants, trafiquants de drogue, petits voleurs à la tire, agresseurs de passants. La police n’hésite alors pas à boucler le quartier pour faire pression sur la majorité silencieuse afin qu’elle livre les malfrats. Mais fait-on de même en quartier blanc ?

Richard Price est moins connu pour ses romans (épais et de bonne facture) que pour ses scénarios de film. Il a ainsi écrit entre autres ‘Mad Dog and Glory’ avec Robert de Niro. Ce roman policier noir écrit par un Noir sur les inégalités sociales et policières de Dempsey, dans la périphérie de la Grosse pomme, dit toute l’Amérique : principes d’égalité affichés mais réalité des rapports de force. Selon que vous êtes Noir ou Blanc, vous ne serez pas traités pareil.

Brenda, une jeune femme blanche travaillant dans le social pour le quartier noir, est un soir d’été étouffant recueillie aux urgences choquée et les mains déchirées. Le flic de proximité Lorenzo doit lui arracher sa déposition, mais il n’est pas satisfait : « ça ne colle pas ». Elle dit qu’un Noir vêtu d’une capuche l’a tabassée et jetée hors de sa voiture, et qu’il s’est enfui avec. Sauf que son sac à main est retrouvé dehors : l’aurait-elle pris par réflexe ? Sauf qu’elle avoue que son fils de quatre ans, Cody, dormait sur la banquette arrière : où est passé le gosse ?

Les flics s’agitent, le FBI est pressenti, les huiles s’inquiètent. Le quartier noir est passé au peigne fin, les dealers inquiétés, les mauvais coucheurs envoyés en prison. On arrête un jeune d’après le portrait robot : s’il n’a pas piqué la tire, il a au moins fait autre chose de répréhensible. Le quartier gronde, la chaleur monte, les gamins demi-nus grouillent comme des mouches autour des reporters arrivés en masse comme sur une merde… C’est bien le sentiment des habitants de Freedomland que d’être considéré comme moins que rien. Les leaders officiels, pasteurs, imams, militants, association de recherche de disparus, en profitent pour faire mousser leur business. Plus le temps passe, plus la situation échappe aux protagonistes. Brenda a-t-elle dit la vérité ? Jesse la journaliste collée à ses basques cherche-t-elle l’information ou sa gloire personnelle ? Lorenzo le flic de proximité est-il trop mou avec les délinquants ?

Nous découvrons les vies méritantes des gens du quartier, les existences ternes de ceux qui ont un emploi de médiation, les destinées ratées des dealers et maris violents. Les gosses battus poussent en bandes, le fric facile inhibe toute loi, la recherche de l’illusion prime tout effort quotidien. Car prendre de la drogue, fourguer du recel ou de la came ou croire découvrir le grand amour – sont des illusions très américaines. La réalité sordide du quartier noir englue ses habitants. Brenda la Blanche n’y échappe pas…

Que le nombre de pages ne vous rebute pas, elles se lisent bien. Il y a foule de personnages mais la tension monte et l’enquête progresse par à-coups, bien découpée en longues séquences. Un livre à lire dans le train, en avion, lors de longs voyages. Ne bouquinez surtout pas quatre ou cinq pages seulement avant de faire autre chose, vous perdriez le fil ! Ce livre se boit à longs traits comme l’eau pétillante les jours de canicule. Et il fait réfléchir sur la police de proximité d’autant plus vantée en France qu’elle n’a jamais encore été vraiment appliquée.

Richard Price, Ville noire ville blanche (Freedomland), 1998, 10-18 2010, 621 pages, €9.69 

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Herman Melville ou la sagesse

« Vieux moi-même, j’affectionne la vieillesse des choses ; c’est pour cette raison, principalement, que j’apprécie tant le vieux Montaigne, le vieux fromage, le vin vieux, et que j’évite les jeunes gens, les petits pains encore chauds, les nouveaux livres et les pommes de terre nouvelles ; et que j’éprouve une telle tendresse pour mon vieux fauteuil aux pieds de griffon, pour mon voisin au pied bot, White le diacre, et pour cet autre voisin plus proche encore, mon vieux pampre noueux qui, les soirs d’été, appuie son coude sur le rebord de ma fenêtre, cherchant une amicale compagnie, tandis qu’à l’intérieur je fais de même pour aller à sa rencontre – et surtout, surtout, pour ma vieille cheminée et son immense manteau. »

« Ma femme, au contraire, du fait de son incurable juvénilité, n’a de goût que pour la nouveauté ; et c’est pour cette raison, principalement, qu’elle aime le cidre nouveau en automne et, qu’au printemps, comme si elle était la fille de Nabuchodonosor, elle se jette avidement sur toutes les variétés de salades, d’épinards, et plus particulièrement sur les concombres verts (bien que la nature fasse savoir avec obstination qu’elle réprouve ces juvéniles et inconvenantes envies chez une personne de son âge, en lui rendant la digestion de ces nourritures malaisée), et se passionne pour les belles théories d’invention récente (pourvu qu’on n’y voie nul cimetière à l’arrière plan), les idées de Swedenborg, la philosophie des esprits frappeurs et autres vues nouvelles sur toutes choses aussi bien naturelles que surnaturelles et, animée d’un inaltérable désir, ne cesse de composer de nouveaux parterres de fleurs, même du côté nord de la maison, où le vent glacé des montagnes permet à peine à l’herbe rude qu’on appelle plantain de prendre pied pour de bon, et plante au bord du chemin de simples rejets de jeunes ormes, bien qu’il n’y ait aucun espoir d’en recevoir aucune ombre, sinon sur les tombes en ruines de ses arrière-petites-filles, et refuse de porter un bonnet, mais tresse ses cheveux gris, et lit le ‘Magazine des modes’, et achète toujours son nouvel almanach un mois avant le Nouvel an, et se lève à l’aube, et du plus chaleureux coucher de soleil se détourne froidement, et travaille sans discontinuer jusqu’à des heures indues, son nouveau cours d’histoire, son français, sa musique, et se complaît dans la compagnie des jeunes gens, et s’offre à monter de jeunes poulains, et pique de jeunes surgeons dans le verger, et ne cache pas son animosité contre les gentils coups de coude de mon vieux pampre, contre mon vieux voisin au pied bot et mon vieux fauteuil aux pieds de griffon, et surtout, surtout, poursuit d’une haine mortelle ma vieille cheminée à l’immense manteau. »

Dans cet intéressant paragraphe, formé de deux phrases seulement, Herman Melville oppose mâle et femelle, sage et juvénile, ancien et moderne, vieille Europe et jeune Amérique, réflexion et réflexe, fatigue et vitalité. C’est pourquoi il nous paraît tant d’actualité !

La France vieillit, se lasse, aspire au repos. Alors que le monde très jeune devient un tourbillon de vitalité et d’entreprise, elle désire la retraite, la tour d’ivoire. Non plus l’Europe puissance dans un monde globalisé, mais l’Europe forteresse en grande Suisse protégée du dehors.

Montaigne est un philosophe qui s’intéresse à lui-même et tente de bien vivre – il ne désire ni à refaire le monde, ni changer les hommes.

Vieux vin et vieux fromages ressortent de la tradition séculaire des produits du terroir, élaborés lentement par des artisans peu au fait de la standardisation ni du marketing. Au contraire, les pains chauds, les pommes de terre nouvelles et le cidre nouveau flattent le palais mais ne durent pas en bouche, adaptés au zapping d’une jeunesse avide de toujours neuf. De même les nouveaux livres, à la mode qui trotte mais qui ne passent le plus souvent pas le cap des années.

Les voisins, les plantes qu’on a vu grandir, qu’on voit refleurir et faire des fruits chaque année, la cheminée qui donne chaud les soirs d’hiver, cœur de la maison, foyer familial et ‘home’ pour l’homme déçu de la société – tout cela s’oppose au dehors, au grand large, aux jeunes gens aussi écervelés et esclaves de leurs sens que les oiseaux chanteurs. Faut-il s’agiter pour s’agiter, comme sa femme qui plante au nord et repique des surgeons qui ne donneront pas un arbre avant un siècle ? Faut-il suivre la mode, les idées dont tout le monde parle (à son époque le spiritisme), ne lire que des magazines éphémères (aujourd’hui gazouiller sur Twitter) et suivre toute sa vie des « cours » sur tout et n’importe quoi ?

C’est avec humour et un certain ronchonnement sympathique que Melville nous livre cette simple philosophie, tirée de son expérience propre.

Il était en effet en butte à son épouse qui le poussait à délaisser la plume, qui ne rapportait rien, pour prendre un poste lucratif. Il se sentait de plus en plus étranger à cette société américaine avide de toujours plus (plus loin, plus neuf, plus riche) et qui ne considérait plus aucune chose ni aucune valeur de tradition.

  • La jeunesse est une étape de l’existence – pas un état d’esprit.
  • Le féminisme une revendication parmi d’autres – pas une nouvelle domination.
  • L’évocation des esprits et le tropisme sentimental une faiblesse – pas l’épanouissement de la raison.
  • Le zapping et la tyrannie de la mode une tare qui passe – pas le dernier état de la philosophie.

Le monde change, pas les humains, ce pourquoi ces deux phrases de Melville restent étonnamment actuelles. Les propos sur l’inanité de la Génération Y ou de ses petits frères et sœurs de la Génération Z sont à méditer d’après cette sagesse séculaire…

Herman Melville, Moi et ma cheminée, 1856, Œuvres tome 4, Gallimard Pléiade p.557 

Retrouvez tous les romans d’Herman Melville chroniqués sur ce blog

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Sortez les sortants !

Article repris par Medium4You.

Les électeurs sont allés massivement s’exprimer à plus de 80% malgré les vacances « colère », l’abstention n’a pas gagné. Les partis qui résonnent dans l’opinion sont les fronts : Front national et Front de gauche. Aussi butés et têtus que des taureaux machos. Aussi en panne d’idées concrètes utilisables, hors des slogans. On note donc dans ce premier tour l’envol du populisme, la lassitude pour les partis de gouvernement et l’effondrement du centre.

Envol du populisme

Surenchère de droite : le vote Le Pen, à près de 20%, est un message clair pour ‘sortir les sortants’, cette élite bobo-cosmopolite qui ne répond rien à la crise. La jeunesse peu éduquée (grâce au syndicat socialiste de l’Éducation nationale qui bloque toujours toute réforme), les sans-diplômes sans-relations sans-mérite, se disent que les sans-papiers, sans argent et sans-logis, chéris de la gauche bobo, comme les nantis de tout, chéris de la droite bobo, ne valent pas qu’on les soutienne. Les ouvriers votent Le Pen.

Surenchère de gauche : le vote Mélenchon est une tentative de donner un sens. Sauf que le ton hystérique et les mensonges (selon Marianne, Vigie 2012, le Véritomètre, Sud-Ouest ou les vidéos traquantes) rendent peu crédible le personnage. Il est tombé autour de 12%, bien en-deçà des fausses promesses des sondages… Le gueulisme radical est dans la ligne des amuseurs médiatiques qui se moquent de tout en restant soigneusement à l’intérieur du système : « tout contre ». Les ouvriers ne votent pas Mélenchon, mais les profs déclassés oui. Mais certains ont trouvé plus utiles de voter Hollande. Mélenchon apparaît d’autant plus braillard et fusionnel qu’impuissant, proclamant tout et son contraire. Les facétieux lui mettent souvent une petite moustache sur les affiches de campagne.

Ces deux partis de tribuns agitent « le peuple », mais il y a malentendu sur la le « pouvoir du peuple » : la démocratie. Le pouvoir libéral est individualiste et universel, préservant la liberté et l’ouverture au monde ; le pouvoir collectiviste est fusionnel, exigeant l’égalité citoyenne par la mobilisation permanente. Qu’elles soient « nationales » ou « populaires », ces démocraties ne sont en rien proches de la nôtre. Leur légitimité ne réside en effet plus dans « le peuple » mais dans « la révolution ». Le premier est godillot et masse de manœuvre, la seconde est mouvement permanent, initié et guidé par des « grands » leaders. Ce fut le cas du Comité de Salut public sous Robespierre, de la Commune de 1871, du parti bolchevique qui dissout l’Assemblée régulièrement élue en 1917, des partis fasciste et nazi, des Mao et Castro, enfin des Conseils de la révolution des printemps arabes. L’avant-garde est composée de ceux qui braillent le plus fort et en imposent aux indécis. Ce pouvoir de chef de bande s’arroge tous les droits : la révolution avant tout, éventuellement (et trop souvent) contre le peuple.

Lassitude pour les partis de gouvernement

L’exaspération, la passion, l’aspiration au changement, font que la raison citoyenne des Lumières se trouve fort déplumée. Les deux candidats de gouvernement ne rassemblent qu’autour de 54% des exprimés. Le réalisme, la modération, l’art du compromis sont contestés par ceux qui se veulent « en résistance ». Le cap est difficile, eux sont à même de mieux le passer que les populistes, mais on sent la lassitude. L’avenir ne sera pas rose pour qui gagnera le second tour.

La crise aurait pu permettre à Nicolas Sarkozy de parler des enjeux du monde et de définir la place de la France. Il aurait pu défendre un projet de compétitivité par contraste avec François Hollande et le tropisme dépensier du projet socialiste. Le travail nécessaire était un thème porteur. Son bilan n’était pas mauvais, malgré certaines erreurs, mais son style personnel a suscité de la haine. Il n’a pas utilisé la crise, préférant le transgressif droitier pour tenter de récupérer l’électorat populaire de Marine Le Pen. Il a donc perdu les centristes. Il n’a pas mis en avant les atouts de son bilan, mais encore et toujours sa personne, comme s’il voulait qu’on l’aime malgré ses trop gros défauts. Ce masochisme suicidaire ne l’a pas servi. Il est deux points en dessous de son rival de gauche, vers 26%.

Inspiré jusqu’à la caricature par François le Grand (Mitterrand), on se demande si François le Petit (Hollande) parviendra à exister. S’il a eu raison d’éviter la confrontation avec Le grand Méchant Luc (Mélenchon), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Georges Marchais. S’il a lancé le défi au petit Nicolas (Sarkozy), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Valéry Giscard d’Estaing. Monsieur ‘Normal’ a du mal à apparaître autrement qu’assez fade. Ses 28% lui permettent de faire bonne figure, mais plutôt contre Sarkozy que pour son équipe socialiste.

Effondrement du centre

La posture du solitaire orgueilleux de François Bayrou ne l’a pas servi. Être « au-dessus » des partis est une force lorsqu’on a une légitimité historique : où est la sienne ? quel est son bilan ? Avec moins de 9% des voix, Bayrou fait mentir les sondages. Comme en 2007 et comme Mélenchon aujourd’hui, il a suscité un effet de mode, retombé au dernier moment.

Outre le caractère indécis du personnage, le centrisme se heurte au grand écart des populations confrontées à la crise. Repli sur soi, identité, souveraineté, que dit Bayrou sur le sujet ? Le problème identitaire n’est pas seulement un mot de Sarkozy : il atteint toute l’Europe (Breivic) et l’Amérique d’Obama. Le déni de gauche bobo ne rendent pas moins réels le gauchissement du parti démocrate (avec le mouvement Occupy Wall Street) comme la droitisation du parti républicain (avec les Tea parties). Les démocrates tendent vers l’anarchisme et les républicains libéraux vers les libertariens… La modération devient à notre époque un fatal handicap.

Le premier tour est tombé le jour de saint Alexandre… mais le second tombera le jour de sainte Prudence. Faut-il y voir un signe ? Le rapport droite/gauche se situe à 47 contre 49%, en faveur du changement. Comment cet éclatement extrémiste des votes se traduira-t-il durant les Législatives de juin ?

(Estimation Ipsos/Logica Business Consulting/France Télévisions/Radio France à 20h52, susceptibles de modifications à la marge)

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Marc Dugain, La malédiction d’Edgar

Science pote et ex-financier, Marc Dugain mélange réalité et fiction d’une étrange manière. Son style de rapport administratif laisserait croire à la réalité d’une enquête de journaliste, voire d’historien. Mais l’intitulé « roman » en fait une docu-fiction, genre très à la mode aux États-Unis parce qu’il correspond à la mentalité jeune, formatée au mélange des genres, prenant les jeux vidéos pour le monde réel. C’est ce métissage qui me gêne. Pourquoi ne pas avoir rédigé un « vrai » roman, une réalité réinventée ? A chaque affirmation du livre naît toujours un doute : est-ce vrai ou pas ? Ce qui met mal à l’aise.

Reste Edgar Hoover en directeur du FBI durant 48 ans, son soi-disant amant (?) Clyde Tolson en adjoint du directeur, et divers présidents dont surtout John Fitzgerald Kennedy. On savait JFK aussi queutard que DSK, mais ce qu’on apprend ici – si c’est vrai… – fissure la statue du jeune premier dynamique. Le frère Bob est encore pire. Quant à Hoover, il est inconsistant dans ce livre. Il se contente de régner en proconsul sous huit présidents et dix-huit ministres de la justice, fuyant comme une anguille.

Conservateur ? Il l’est évidemment puisque c’est le rôle de la police fédérale de protéger l’État et les institutions. Homosexuel moralement rigide ? Peut-être, mais est-ce la réalité de la personne ou le rôle complaisant créé pour lui par l’auteur ? Les « preuves » peuvent très bien avoir été inventées par ses ennemis, fort nombreux surtout parmi la gauche américaine, du simple fait qu’il n’était pas conforme au canon de l’Américain moyen : marié, deux gosses.

Comme financier sans doute, Dugain connaît bien les Texans, ceux qui ont laissé assassiner les Kennedy. « Ils sont l’expression même de la virilité. J’aimais leur machisme, cette façon binaire de voir le monde, d’écarter d’un revers de la main toutes ces foutaises d’ambitions collectives qui ne sont que l’émanation de dépressifs pleurnichards. J’étais fasciné par leur brutalité, gage de leur efficacité. Les Texans ne connaissaient pas les problèmes en suspens. Ils les réglaient. (…) Les gens qui savent ce qu’il leur en a coûté pour parvenir là où ils sont ne prêtent jamais l’oreille aux balivernes vomitoires des libéraux bien-pensants » p.151. Le Texan ou l’anti-Hollande…

Le ‘communisme’ est le bouc émissaire commode de ces années Hoover, qui a encouragé le sénateur MacCarthy. « Tout comportement, toute attitude, toute pensée, toute intention déviants. Il regroupait toutes les formes d’actions politiques ou sociales qui allaient contre l’Amérique et qui d’une façon ou d’une autre engageait à la subversion. Il définissait toute attitude frelatée où l’individu s’abandonnait à des pulsions nocives pour la société, en essayant de justifier cet abandon de soi par un discours libéral sans autre but que de légitimer ses certitudes » p.166. Le communisme pour Hoover est la finance de Hollande et Mélenchon, le Mal en soi, à soupçonner et à traquer partout. De quoi aveugler sur toutes les autres réalités souvent plus menaçantes comme la mafia, la drogue ou les castes politico-économiques…

Les politiciens modernes ont été inventés par JFK. Marketing et storytelling remplacent convictions et projet d’avenir : « une belle coupe de cheveux à) la télévision vaut mieux que n’importe quelle conviction solide, (…) le désir supplante les croyances et suffit à ramasser des voix » p.241. Qu’aurait été Kennedy sans Hoover ? C’est la question que pose le roman, sans que peut-être la réalité ait été ainsi. John Kennedy n’était-il que ce sex-machine vaniteux et léger que peint l’auteur – malgré les mémoires de Pierre Salinger, collaborateur de JFK, qu’il cite pourtant en bibliographie ? « Le pouvoir, au fond, c’est faire ce qui est dans l’intérêt de la nation et ne lui faire savoir que ce qu’elle peut entendre » p.421.

D’où la « leçon » tirée par l’auteur sur le siècle américain, le siècle de Hoover et des Kennedy, des libéraux hippies de gauche et des Texans moralistes et conservateurs : Camus. Il imagine (invente-t-il ou est-ce vraiment arrivé ?) Tolson allant trouver un obscur prof de littérature française dans son chalet isolé de montagne pour l’interroger sur le suspect Albert Camus, un probable subversif ‘communiste’ trouvé dans les papiers d’un anti-américain. Le philosophe français s’est toujours élevé contre les totalitarismes, à commencer par celui du parti moscoutaire et par les idiots utiles et sectaires comme Sartre. Le prof cite Camus : « Le bien absolu ou le mal absolu, si l’on met la logique qu’il faut, exigent la même fureur » p.447. Réplique immédiate de l’admirateur des Texans : « Ce genre de pensée affaiblit le pays, elle le gangrène alors que l’ennemi n’a jamais été aussi actif. On ne peut pas avoir ces idées et être un bon patriote » p.447. C’est ce que disent Mélenchon et Marine, et même Hollande en mode ‘de gauche’.

Tous les persuadés de la morale, tous les volontaristes autoritaires, tous ceux qui savent bien mieux que vous ce qui est bon pour vous, sont des sectaires. Il existe des Hoover de droite et des Hoover de gauche, des Hoover d’église et des Hoover de parti, des Hoover intellos et des Hoover politiquement correct. Peut-être est-ce la leçon du livre pour notre temps, très différente du film de Clint Eastwood ?

Marc Dugain, La malédiction d’Edgar, 2005, Folio 2011, 497 pages, €7.98

DVD J. Edgar de Clint Eastwood, avec Leonardo di Caprio, Warner Home, €8.86

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Alexander Kent, En vaillant équipage

Vingt ans et déjà quatrième lieutenant sur un vaisseau du Roi : Richard Bolitho franchit les grades à toute allure en fonction des engagements de guerre, des pertes au combat et de sa propre audace. Il se retrouve à la fin capitaine, commandant un brick de prise. Il est aimé des hommes, discipliné et compétent. Il n’en faut pas plus pour être reconnu, même tout jeune, dans la marine anglaise. Cette capacité à reconnaître que la valeur n’attend pas le nombre des années fait sans aucun doute la force de toute société. Napoléon reprendra l’idée à son compte, avec les succès qu’on sait. De même la Résistance prouvera une fois de plus ce qu’il en est. Depuis, les Français, confits en rentes et statuts, se sont empressés d’oublier…

Nous sommes en ce roman en 1777 et les vaisseaux de haut rang de Sa Majesté tentent de conserver à la Couronne les colonies américaines que les Insurgents – ces « paysans » – veulent émanciper. La guerre fait rage sur terre mais aussi sur la mer où les corsaires américains harcèlent les bâtiments de commerce et traitent en contrebande de la poudre et des armes avec les Français. Car le bon roi Louis XVI soutenait au-dehors cette révolution qu’il ne voudra pas au-dedans. L’auteur le reconnaît, les Français construisent alors de bons bateaux et ils sont bien commandés. On peut être ennemi et néanmoins fair play.

Commander un navire, d’ailleurs, n’est pas une sinécure, obéir non plus. L’entraînement à la discipline commence très tôt, vers 12 ans – pour les mousses comme pour les officiers. Manœuvrer un tel monstre de toiles et ses quelques centaines d’hommes exige une seule tête et une hiérarchie établie. La voile ne pardonne pas : il faut décider dans l’instant et agir vite. D’où ce sadisme d’apparence, le respect exigé des matelots pour les officiers, le fouet donné pour tout manque, et ces gamins envoyés méditer là-haut, dans les enfléchures.

D’où, en réalité, cette vertu de l’exemple, qui agit bien mieux et bien plus fort que toute punition. Le capitaine se doit de rester de marbre et de savoir où il va ; les lieutenants se doivent de comprendre sur l’instant et de donner les ordres qu’il faut ; les aspirants se doivent d’imiter leurs aînés et de rester dignes toujours devant leurs hommes.

Tous ne sont pas élus et la tempête comme la bataille révèlent parfois le manque de caractère ou de maîtrise de soi qui empêcheront à jamais d’exercer un commandement. Le roman met en scène, autour de Bolitho, deux aspirants par contraste. Le premier, Quinn, 16 ans, fils de négociant de Londres, n’est pas fait pour commander et combattre, il perd tous ses moyens, paralysé de terreur, même s’il connaît parfois quelques sursauts de courage et d’honneur.

Le second, Couzens, 13 ans, n’en est que plus émouvant. Terrorisé lui aussi par le fracas de la bataille, il se choisit un modèle qu’il suit aveuglément, avec courage. Ce modèle est naturellement Richard Bolitho, de 8 ans son aîné, qui lui est comme un grand frère et qui, attentionné à tous ses hommes, l’encourage et le protège. Couzens le suit partout et fonce comme un petit taureau. Même sans savoir nager, il s’accroche à tout espar et renaît – tout nu mais très digne – sous les vivats de l’équipage et les compliments du capitaine. Bolitho lui aussi, au même âge, « avait jeté son dévolu sur un officier qui était devenu son idole, un lieutenant qui ne s’était sans doute jamais rendu compte de rien et pour qui il n’était même pas un être humain. Mais Bolitho se souvenait encore de lui comme au premier jour. C’était un officier qui ne perdait jamais son calme sans raison, qui ne cherchait jamais à se décharger sur autrui quand il venait de se faire sermonner par le capitaine. » p.15

Il y a beaucoup de bagarres, de coups de main, de ruses et d’action, dans ce monde d’hommes. Mais l’aventure est l’aventure et le récit tient en haleine tout lecteur qui aime la mer, la voile et le courage. L’observation des êtres humains est d’une grande importance sur ces étroits territoires de bois où le capitaine est le roi et le juge. Cette lecture d’action et d’éducation humaine revigore – et donne des leçons à notre temps.

Alexander Kent, En vaillant équipage, 1977, Phébus Libretto 2006, 315 pages, €9.40

Les romans maritimes d’Alexander Kent déjà chroniqués sur ce blog.

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Michael Connelly, L’Épouvantail

Jack McEvoy est journaliste au Los Angeles Times et il a jadis participé à l’arrestation du tueur en série appelé Le Poète (Points policier 1997). Mais la presse écrite se meurt, les gens ne lisent plus, fascinés par les gadgets audiovisuels interactifs d’Apple. Les journaux papier licencient, se faisant tailler des shorts par les sites en lignes et les blogs spécialisés. Engrenage mortel : la perte de rentabilité exige de réduire les coûts, ce qui ampute l’expérience et le talent car les plus chers, donc les plus anciens) sont virés. C’est le cas de Jack à qui l’on offre un sursis s’il forme une stagiaire précaire pour les affaires dont il s’occupe. La fille a les dents longues, fantasme sur les dominatrices à fouet ; c’est la « conne américaine » de caricature : féministe, sans scrupules, jouant du sexe pour se faire valoir, arriviste – et d’une bêtise sans nom.

L’intrigue tourne autour de ces trois sujets, le journalisme, les nouvelles technologies et la conne américaine : un vrai roman sociologique ! Bien découpé mais aussi littéraire – filmique et à l’ancienne – ce qui donne un grand bonheur de lecture. De quoi captiver et enseigner, tout en frissonnant.

Fin du journalisme. « Parce que c’était bien de cela qu’il allait s’agir. Il n’y avait plus de quotidien sur le marché pour accueillir un journaliste de quarante-quatre ans spécialisé dans les affaires de police. Surtout pas depuis qu’ils disposaient d’une réserve infinie de main-d’œuvre bon marché, à savoir de bébé reporters (…) qui, sortant année après année des universités (…) étaient prêts à travailler pour deux fois rien » p.19. Michael Connelly a été journaliste et prix Pulitzer pour ses reportages sur les émeutes de Los Angeles en 1992. Il sait de quoi il parle. « Maintenant tout se passait sur le Net. Tout se résumait à préparer le téléchargement des blogs et de l’édition en ligne. Tout avait à voir avec les liens télé et les mises à jour sur Twitter. Les articles, on les entrait dans son téléphone au lieu de se servir de cet instrument pour appeler la rédaction et les corriger. Des pensées après coup, voilà ce qu’était devenu le journal du matin. Les nouvelles, c’était sur le Web qu’on les trouvait, et la veille au soir » p.19.

Les nouvelles technologies sont, comme la langue d’Ésope, le pire et le meilleur.

  • Le meilleur parce qu’elles sont pratiques d’utilisation, toujours à portée de main pour communiquer et s’informer, entrées dans l’existence au point qu’on se sent tout nu lorsque le mobile est désactivé ou ne capte pas.
  • Le pire parce que tout est dans tout. Quiconque connaît la technique peut sans grand effort tout savoir (ou presque) sur vous, tant chaque action laisse des traces sur les serveurs officiels ou privés et que chacun se lâche sur le réseau, dans le confort du pseudo-anonymat. Mais celui-ci ne résiste jamais à qui sait trouver : FBI, hackers, tueurs en série…

La conne américaine s’appelle Angela Cook. Elle est blonde, sexy, minois de cocker – et elle adore les histoires de meurtre. Elle saute donc sur l’occasion de faire ses preuves en tâchant de battre le vieux routard McEvoy sur sa spécialité. On ne se refuse rien quand on est jeune et Américaine, dans la Californie 2009. Le tueur en série s’appelle Carver, le lecteur le sait dès le premier chapitre. Il est hacker et directeur informatique d’une société de stockage des données pour les entreprises. A lui de protéger les « fermes » de serveurs des intrusions hostiles. D’où son nom : l’épouvantail. Mais il ne se contente pas de protéger, il aime l’offensive. Quiconque tente une intrusion est impitoyablement traqué, virussé et détruit. Ses comptes bancaires sont vidés, ses cartes de crédit inactivées, son téléphone mobile en opposition, et des photos pédophiles sont cachées dans son ordinateur tandis que la police qui traque les fantasmes est opportunément prévenue… On ne badine pas avec Carver, dont l’enfance a consisté à attendre dans des loges de scène sa mère qui dansait nue tous les soirs.

Inutile de préciser que la conne américaine a donné toutes les lanières du fouet pour se faire lacérer et que le tueur en profite avec sadisme. Angela Cook est cuite lorsqu’elle décline sa vie entière sur un blog de confidences, livrant incidemment son code informatique qui est tout bête : le nom de sa chienne. Il fallait y penser, nom d’un chien ! Le féminisme ne peut supporter les mâles et il faut que l’animal soit chienne ; le féminisme exacerbe les comportements féminins et il faut tout chatter de soi pour exister ; le féminisme se croit tout autorisé sans risque puisque les hommes ne sont que des abrutis, évidemment domptables en tortillant du cul. Sauf quand l’abruti, violé par une dizaine d’assistantes de sa mère dès qu’il a pu bander, se fait un malin plaisir à se venger des connes américaines.

Jack, journaliste, et sa copine Rachel, agent spécial du FBI, vont avoir fort à faire pour coincer l’habile tueur qui choisit ses victimes sur le Net et efface avec aisance toutes ses traces. Sauf qu’il est névrotiquement fixé à l’enfance et que ses noms de domaine tournent autour du Magicien d’Oz. Comme la féministe, le hacker se pense à l’abri de toute mise en cause. Le roman conte la démesure de l’optimisme béat qui se croit tout permis. La parfaite Amérique.

Le lecteur palpite aux rebondissements, frémit lorsqu’un Noir de 15 ans, Alonzo, est arrêté pour un meurtre qu’il n’a pas commis, s’amuse de voir l’effarement d’un histrion de télé lorsque l’ado, libéré grâce au reportage de Jack, est convoqué pour passer à l’antenne en ponctuant toute ses phrases par « enculé de ta mère » (c’est pire en version US). Le lecteur s’étonne encore et toujours de la bureaucratie imbécile du FBI qui préfère les procédures au talent. Le lecteur jouit lorsque Jack McEvoy, licencié du journal en 99ème sur une liste de 100 pour raison de coûts, refuse de réintégrer son poste une fois l’affaire brillamment terminée. Anarchisme américain que les organisations et systèmes aillent se faire foutre lorsqu’ils ne reconnaissent pas le talent : je fonde ma propre entreprise. C’est ça, l’Amérique ! Il n’y a pas que des Apple mais aussi beaucoup d’entreprises qui deviennent d’ineptes bureaucraties. Sauf que là-bas on sait rebondir…

Un très bon Connelly, Le Poète recyclé technologies 2009 ! Qui nous en apprend beaucoup sur la sociologie du pays – et de nos manques par la même occasion.

Michael Connelly, L’Épouvantail (The Scarecrow), 2009, Points policier Seuil, mai 2011, 520 pages, €7.41

Étude sur l’intelligence de lecture d’un journal sur papier ou sur écran

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Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond

Nous ne sommes pas ici dans le roman, mais dans la vie réelle. Murakami se met en scène au milieu de la cinquantaine, comme il fit un bilan à seize ans « tout nu devant un miroir ». Il assemble en un essai cohérent des textes épars, écrits entre 2005 et 2006. Né en 1949, il est devenu coureur sur le tard. Peu sportif adolescent – tout ce qui est contraint le hérisse – il a attendu d’être sorti de l’université, entré dans le mariage, avoir géré un bar de jazz à Tokyo… avant de se remettre en cause. Murakami est ici comme dans ses livres : lent, obstiné, accrocheur. Toutes les qualités qui font un bon coureur de fond.

Ce qui est intéressant dans ce court livre est moins les sensations qu’il a dans la course, sa préparation, son effort, le dépassement de soi – que le parallèle qu’il fait entre courir et exister. Pour lui c’est écrire des romans mais, pour d’autres, ce peut être n’importe quel métier. Haruki Murakami est japonais, donc imprégné de zen, sagesse venue du Bouddha indien et transmise via le Tibet à la Chine avant d’aborder l’île nippone. Or, le zen est la présence au monde. Pas espérance de l’au-delà mais des réincarnations successives comme autant d’étapes d’une fusion avec ce monde-ci. Chaque existence doit améliorer l’être pour qu’il se fonde dans le grand Tout. Il faut donc vivre au présent, ici et maintenant, pour ne pas accumuler un karma négatif. Chaque instant prépare au nirvana ultime, chaque épreuve est une expérience de sagesse.

Courir permet d’être soi-même, tout seul face à la nature, aux autres et à ses propres capacités. J’ai pratiqué moi-même la course de fond, et même un marathon en mon jeune temps, je comprends intimement ce que veut transmettre Murakami. Mais inutile d’être coureur pour saisir les liens qu’il fait entre cette activité physique gratuite et l’existence même. Chacun peut adapter ce qu’il pratique à ce qui est dit, c’est là où l’auteur est universel. Écrire un livre est comme courir un marathon : entraînement, effort, flottement puis passage d’un cap et euphorie. Ce livre expose des « leçons que j’ai apprises de manière tout à fait personnelle, en mettant effectivement mon corps en mouvement et en comprenant par là que la souffrance était un choix individuel » p.10. Dans le bouddhisme zen, on existe avec tout son corps, pas l’âme seulement ; la souffrance est l’obstacle à franchir pour trouver la paix. Courir, c’est donner un rythme à son corps, mesure nécessaire à poursuivre toute activité. Cette régularité, c’est une obstination, Sisyphe roulant son rocher selon Camus, métaphore de la vie humaine. « Se consumer au mieux à l’intérieur de ses limites individuelles, voilà le principe fondamental de la course – et, pour moi, une métaphore de l’écriture » p.106.

Nul ne court sans y mettre sa vie même. Murakami, tout en courant, observe. « Tôt le matin, lorsque je pratique un jogging paisible le long de la Charles River, des jeunes filles qui ont l’air de nouvelles étudiantes de Harvard surgissent derrière moi et presque toutes me doublent rapidement. La plupart sont petites et minces (…) et, tout en écoutant leur iPod dernier cri, elles filent comme le vent, droit devant. Indubitablement, elles vous communiquent un sentiment de défi et d’agressivité, elles qui semblent parfaitement habituées à dépasser les autres. Sans doute n’ont-elles pas l’habitude d’être dépassées. Toutes ont l’air si resplendissantes, si pleines de santé, si belles et si sérieuses. Elles débordent de confiance en elles-mêmes. La plupart d’entre elles ne doivent pas être des spécialistes des longues distances. Plutôt des distances moyennes. Leurs foulées sont longues, leur attaque du pied puissante, décidée. Elles ne sont pas du genre à contempler le paysage environnant à une allure nonchalante » p.118. Ne voilà-t-il pas une description criante de vérité de l’Amérique optimiste ? De ces juments sûres d’elles-mêmes et féministes, parfois naïves en leur ‘bon droit’ pouvant dériver en « connes américaines » ? Courir est une façon de vivre.

Écrire aussi. « Au Japon, beaucoup de mes compatriotes semblent tenir pour acquis qu’écrire des romans est une activité malsaine, que les écrivains sont en quelque sorte immoraux et qu’ils doivent mener une vie déréglée afin de pouvoir créer. C’est là une conception largement partagée : en adoptant un mode de vie malsain, un écrivain se retirerait du monde profane et atteindrait une sorte de pureté doublée de valeur artistique » p.122. Cette conception vient du romantisme européen, l’artiste maudit, pauvre social riche en esprit, qui hante tout le XIXe français et russe… Haruki Murakami est l’exemple inverse. Une fois son premier roman écrit – et récompensé – il a quitté sa vie antérieure de barman gestionnaire citadin pour celle de romancier coureur à la campagne. Avec son épouse, il a cessé de se coucher à 4 h du matin pour préférer 22 h ; il a cessé ses sorties pour se retrouver chez soi ; il a pris de la distance avec le zapping perpétuel du jeunisme usé par l’énervement des sens dans la musique, l’alcool et la danse. La maturité exige de la distance, une vie plus calme, des préoccupations de santé : où l’on trouve ici une clé pour l’essor des préoccupations écologiques. Courir, ce n’est pas faire de la compétition – passé la cinquantaine, ce serait ridicule. C’est vivre plus intensément son corps dans la nature.

« Ce qui nous procure le sentiment d’être véritablement vivants – ou du moins, en partie – c’est justement la souffrance, la souffrance que nous cherchons à dépasser. » Je traduirais plutôt par ‘épreuve’ le terme de souffrance ici choisi ; ce n’est pas le masochisme qui meut le coureur, mais la mise en mouvement de son corps. Murakami le confirme d’ailleurs par la suite de la phrase : « Notre qualité d’être vivant ne tient pas à des notions comme le temps que l’on réalise ou le rang, mais à la conscience que l’on acquiert finalement de la fluidité qui se réalise au cœur même de l’action. (En tout cas, si tout se passe bien) » p.211.

Qui veut mieux connaître ce prix Nobel de littérature « impétrant » (nouveau mot à la mode de gauche), doit lire cet ouvrage trempé dans la sueur et dans l’encre, toutes deux intimement mêlées, tant écrire c’est vivre, et réciproquement.

Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, 2007, 10-18, 2011, 221 pages, €7.03

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Réactionnaires

Article repris par Medium4You.

Qu’est-ce qu’être « réactionnaire » ? C’est celui qui réagit à une action ; en politique, celui qui est contre ce qui arrive et veut soit le rétablissement de ce qui était avant (conservatisme) soit l’établissement d’un idéal imaginé (gauchisme) ou d’un équilibre éternel (écologistes). La réaction est une action qui tend à provoquer l’effet contraire à celui qui l’occasionne. Sont donc réactionnaires tous ceux qui refusent le présent au nom d’un âge d’or, d’un ailleurs ou d’une « autre » politique.

Contrairement aux idées reçues, le terme de « réactionnaire » en politique n’est pas réservé aux conservateurs qui veulent retrouver un âge d’or (droite) ou protéger les zacquis (gauche) ; il est aussi applicable à ceux qui prônent le durable, autre nom de l’éternel. Cet âge de stabilité à (re)trouver peut être soit très ancien, soit plus récent.

  1. Ainsi, les contre-révolutionnaires n’ont jamais accepté la révolution libérale des Lumières en 1789 ; ils rêvent au retour du roi de droit divin, de la tradition établie, des féodaux.
  2. Certains écologistes remontent même plus loin, à l’époque néolithique où l’homme a cessé d’être chasseur-cueilleur respectueux de mère nature pour tenter de la maîtriser par l’élevage et la culture, bâtissant des villes pour y entasser les récoltes, créant l’État pour lever l’impôt et entreprendre de grands travaux pour dompter les fleuves, le vent, la matière.
  3. Les nostalgiques des Trente glorieuses rêvent de retrouver l’élan démographique, économique et moral des années de Gaulle, où le parti Communiste et la CGT allaient dans le même sens productiviste et progressiste.

Il y a donc des réactionnaires de droite, des réactionnaires écolos et des réactionnaires de gauche. Mais tous ont un point commun. Ils se ressemblent par leur itinéraire mental, toujours le même, obéissant à un schéma de causalité identique. La séquence commune est : refus du présent, sentiment de déclin, recherche d’un coupable, ressentiment anti-élites, désignation d’un bouc émissaire, rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur.

Extrême droite, extrême gauche et gauche écolo agissent de cette même façon. Toujours au nom du « peuple », bien sûr, à qui l’on inculque que célafôta et yaka. Selon cet archétype politique, peu importe le prétexte, le résultat sera le même. Inutile de prétexter qu’il y a « gauche » dans le titre, il s’agit là de pure idéologie, dont Marx, Nietzsche et Freud ont montré qu’elle n’est que le voile de bonne conscience sur les instincts refoulés.

Il suffit d’examiner point par point l’itinéraire de cet archétype.

1-      Refus du présent : il s’agit de montrer qu’aujourd’hui est pire qu’hier ou que l’équilibre abstrait (Dieu, l’Histoire ou Gaïa même combat). Pas difficile car rien ne va jamais comme on veut. C’est le sens du temps que de changer sans cesse. Le mouvement a deux sens, revenir à l’avant ou anticiper l’après – mais il s’agit, à droite comme à gauche, de quitter ce mouvement pour établir une éternité. De quitter l’histoire qui se fait pour fonder un équilibre perpétuel indépendant des hommes.

  1. L’extrême droite veut retrouver un âge d’or où la culture ne remettait pas en cause la nature, où tout était « naturel » : l’identité, l’état social, la hiérarchie du pouvoir, la croyance, les mœurs.
  2. L’extrême gauche veut retrouver une époque révolue en rétablissant ce qui était alors : État jacobin, politique industrielle, crédit largement nationalisé, franc géré par le gouvernement via la Banque de France, frontières, diplomatie armée indépendante dotée de la bombe nucléaire (en bref un capitalisme monopoliste d’État).
  3. La gauche écologiste veut un avenir sur le thème de l’équilibre, toujours hors de l’histoire, par un nouveau pacte écologique pour effacer l’humain des rythmes naturels et des ressources de la nature, en devenant « renouvelable » ou « durable ». Effacer l’homme des êtres prédateurs au nom d’un « équilibre » du vivant mythique.

2-      Sentiment de déclin : non seulement ça ne va pas, mais ça va de mal en pis. Vite, jetons le bébé avec l’eau du bain ! Pour les réactionnaires, de droite, de gauche ou écolos, il n’y a rien de bon à garder du présent. La nature se dégrade comme le climat, les ressources se raréfient et sont l’objet de compétition mondiale, la population nationale est envahie d’immigrés, l’économie s’effondre à cause des émergents et de la rentabilité marchande, la devise est laissée à un lobby de technocrates apatrides asservi au capital étranger, l’emploi se délite à cause des patrons avides qui vont produire ailleurs et déclarer des bénéfices où il y a le moins d’impôts, la diplomatie et l’éducation n’ont plus « les moyens », le français recule comme langue parlée dans le monde comme le bon français dans nos banlieues. Nous sommes en décadence, rien ne va plus, c’était mieux avant ; il n’y a plus de bons produits, plus de sécurité, plus de jeunesse, plus de morale…

3-      Recherche d’un coupable : il s’agit de démontrer la causalité diabolique, souvent assimilée au libéralisme économique, laisser faire et laisser passer. La différence entre les extrêmes, droite et gauche (avec les écolos), est que la première refuse tout laisser passer au nom de l’autorité réhabilitée contre le laxisme, alors que la seconde distingue soigneusement le laisser faire économique (c’est mal) et le laisser faire des mœurs (c’est bien). Il faut y voir un écart de clientèle, les bobos sont des bourgeois acquis à la gauche qu’il s’agit de garder alors que leur pente naturelle, fonction de leur position sociale et de leur statut de richesse, les mènerait volontiers au conservatisme (si je suis heureux dans la société telle qu’elle est, pourquoi vouloir qu’elle change ?). Or le mouvement historique montre l’affinité des libertés : de la liberté d’expression à celle de voter, de la liberté de faire à celle d’être. La liberté réclame la liberté, voyez l’Iran, la Chine, l’Égypte de Moubarak… Le coupable une fois désigné, pourquoi ne se passe-t-il rien ? Parce qu’il y a Complot, évidemment ! Complot planétaire, fomenté par tous ceux qui ont intérêt à préserver leur pouvoir financier, social et moral et qui empêchent « le peuple » de réaliser ce qu’il veut.

4-      Ressentiment anti élite : qui a donc intérêt à préserver ce qui est ? Ceux qui ont actuellement le pouvoir, les élites sociales, politiques, énarques et grandes écoles, des affaires. Elles sont mondialisées, libérales, riches, urbaines, bourgeoises, parlementaires, attirées par les États-Unis et à l’aise en anglais. Vous avez là tous les ingrédients de ce « qu’il faut » haïr : la société du contrat au profit du retour à la société patriarcale, la culture de la négociation au profit de celle de l’autorité imposée, la société ouverte au profit du protectionnisme et du corporatisme, la population multiculturelle au profit de la xénophobie, le bon français et la loi française contre la presse poubelle et l’instruction à l’américaine (déferlement de franchouillardise sur l’affaire DSK), la campagne contre la ville, le terroir contre l’Europe technocrate, le jacobinisme contre les organisations internationales, le nationalisme contre le cosmopolitisme, la pureté ethnique contre le mélange métèque…

5-      Bouc émissaire : il est tout trouvé, il s’agit du capitalisme libéral anglo-saxon mené par l’Amérique selon l’éternel Complot financier qui dépossède chacun de sa terre, de ses origines, de ses pratiques ancestrales ppour tout rendre négociable et marchand. Un classique qui touche l’extrême droite comme l’extrême gauche et les écologistes, malgré les euphémismes et les dénis. Il s’agit de remettre en cause tout le mouvement de libération de l’individu depuis les démocrates Grecs jusqu’à la révolution des mœurs de mai 1968, en passant par la Renaissance (lire les classiques païens au-delà de la Bible) et les Lumières (esprit critique, égalité en droit et dignité, sortie par l’éducation des obscurantismes et contraintes). Cela au profit du collectif qui commande et exige le fusionnel. Tous les droits au collectif, aucun droit à l’individu : telle est la vulgate de ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Evidemment, le collectif, c’est eux : le parti, l’avant-garde, les spécialistes autoproclamés, la technocratie d’Etat…

L’intérêt de désigner un bouc émissaire est que le ressentiment individuel peut prendre une forme physique collective manipulée et canalisée : la violence de « la rue » est orientée vers des ennemis clairement désignés. Tous ceux qui ne sont pas avec vous sont contre vous : c’est simple à comprendre ! Tu discutes ? Tu es donc l’ennemi, le Diable, le sous-humain, le malade. J’ai le droit moral de te haïr, le droit juridique de t’accuser de n’importe quoi, le droit médical de te faire soigner malgré toi dans des camps spécialisés de rééducation, le droit physique de te taper dessus (et plus si crise politique comme sous Hitler, Staline, Castro, Pol Pot ou Milosevic).

6-      Rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur : à cette anarchie apparente des intérêts particuliers qui semble faire de la société une jungle, le remède refuge est l’État national et social. Il s’agit de la nostalgie de la monarchie, état « organique » où tout le monde est à sa place selon l’ordre divin ou « naturel », ou de l’Etat « intrument de la lutte des classes » pour retrouver l’équilibre de la société d’avant les classes, l’état définitif de la fin de l’Histoire, ou encore de l’empeinte humaine minimum dans l’état de Nature. C’est une constante des programmes de gauche comme de droite extrêmes que ce social nationalisme (ou national socialisme) dans un seul pays. Repli sur soi, sur ses origines, ses traditions, son « modèle social », ses frontières. Contre l’étranger, les traités négociés, les classes privilégiées, les lobbies, vive le peuple sain, rural et premier ! Local contre global : la terre seule ne ment pas, bon sang ne saurait mentir, vox populi vox dei.

  1. Pourquoi l’État ? Parce qu’il est réputé au-dessus des classes et des partis, des intérêts personnels – même s’il est manipulé par une caste étroite au nom du « peuple ». Parce que seules les frontières définissent le domaine d’intervention d’un État.
  2. Pourquoi un sauveur ? Parce que nul groupe ne peut seul être le maître en démocratie, enclin plutôt à négocier, à faire de la petite « politique ». « Yaka imposer car célafôta l’élite établie », est le slogan populiste.
  3. Pourquoi populiste ? Parce que le populaire est toujours en retard d’une génération sur les mœurs – depuis tous temps. Resté autoritaire malgré 1968, patriarcal machiste malgré le droit de vote de 1945 et l’égalité dans le mariage 1975, partisan des solutions de force malgré l’éducation (nationale).

Toute époque de crise engendre ressentiment social et repli sur soi, crispation et intolérance. Malgré l’écart affiché des idéologies, le schéma de réponse politique est le même : il s’agit d’arrêter le temps, de trouver l’équilibre qui rendra immobile le système. Il s’agit là d’un rituel archétypal où peu importent les prétextes – de gauche, de droite ou écolo : l’avenir espéré est résolument réactionnaire.

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Ken Follett, Le pays de la liberté

Reporter formé à la philosophie, Ken Follett le Gallois est devenu romancier. ‘L’arme à l’œil’ est son premier thriller reconnu en 1978. Il y en aura d’autres, tous inspirés de l’actualité. ‘Comme un vol d’aigles’ conte par exemple l’histoire vraie de deux ingénieurs américains exfiltrés d’Iran au moment où l’ayatollah Khomeiny impose son pouvoir. Mais Follett aime aussi l’histoire, qui le laisse plus libre de créer des personnages en lutte avec leur destin. ‘Les piliers de la terre’ en sont le plus célèbre mais ‘Le pays de la liberté’ en est un autre, plus léger.

L’aspiration à la liberté en est le thème central. La fin XVIIIe est l’époque choisie, prérévolutionnaire. Malachi McAsh est Écossais, mineur de fond depuis l’âge de sept ans. Une coutume illégale veut qu’il « appartienne » au seigneur foncier propriétaire de la mine s’il y travaille un an et un jour après sa majorité. Pas question pour le jeune Malachi, appelé Mack. Il quittera son village, sa sœur jumelle, ses copains de mine et la belle Annie avec qui il a eu depuis toujours des jeux de plus en plus érotiques. Sa mère lui a appris à lire, un avocat de Londres lui a appris le droit, sa volonté lui commande de s’émanciper. Il ira contre les lords fonciers, contre les pratiques marchandes, contre les coutumes sociales, contre l’Angleterre impériale sanglée dans de vieux principes. Il quittera le village, l’Écosse, le Royaume-Uni. Non sans mal, ni se faire parfois rattraper par la société qui combat par tous les bouts la liberté.

Mais le vieux monde est en train de basculer. Nous sommes à la veille de la révolution américaine qui a lieu 13 ans avant la française ; elles vont bouleverser tout l’Occident. Lorsque Mack débarque en Virginie, dans les cales d’un navire de forçats, il a été condamné par la « bonne » société londonienne pour une émeute montée par son ancien seigneur. Mais il ne va pas se laisser faire : il s’enfuit, passe la « frontière », encore proche des colonies. Il entraîne avec lui la belle Lizzie, ex-châtelaine d’Écosse avec qui il a joué enfant, devenue femme de son maître foncier. C’est que Lizzie est curieuse et volontaire, elle n’accepte pas le rôle de potiche poulinière que veut lui faire assumer son rôle social. Elle bout lorsque son mari, ignare et à bout d’arguments, lui oppose que « ces sujets sont pour les hommes ».

Jay, le blond folâtre a dilapidé son crédit au jeu et à acheté trois jeunes bagnardes, qu’il saute à l’envi, délaissant sa femme, trop intelligente pour lui. Il a commencé par trahir sa confiance en laissant son père exploiter le charbon du domaine de sa mère. Lizzie lâche ce lâche comme une vieille chaussette, son amour premier fondé sur l’aventure d’une expédition dans la mine se transforme en haine de cet esclavage qu’il impose et qui va si bien à son insignifiance. Malgré son machisme c’est un faible, incapable de gérer une plantation, incapable de ne pas perdre au jeu, incapable d’aimer sa femme et de lui faire des enfants. La belle aristocrate écossaise lui préfère les bras musclés du prolétaire Mack, son côté impulsif mais bulldozer, l’aventure et l’amour fou aux convenances guindées et à l’univers borné de sa classe, condamnée par l’histoire. Contrairement à Jay, Mack a tout ce qu’il faut pour se faire une place au soleil. Il s’est libéré de l’ignorance, des obscurantismes et des conventions sociales. Il est plus à sa place qu’en Écosse arriérée dans ce pays neuf qui n’est encore que les 13 colonies mais qui va devenir très vite les États-Unis d’Amérique. Nos héros réussissent à échapper à leurs ennemis, à s’installer dans une vallée en pleine nature sur la frontière, à fraterniser avec les jeunes Indiens du coin…

L’histoire d’amour est un peu convenue mais saine et ardente. La libération du jeune mineur est cruelle et semée d’embûches mais assez bien menée, surtout sur la fin. L’espoir nouveau qui se lève, écolo-fraternel, apparaît un peu naïf à nos yeux d’Européens qui en ont trop vu, mais soulève l’enthousiasme. C’est bien écrit, enlevé, droit au but. Un bon roman d’été.

Ken Follett, Le pays de la liberté (A Place Called Freedom), 1995, Livre de poche 1997, 477 pages, €6.60

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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Harlan Coben, Faux rebond

Plongée dans l’Amérique d’aujourd’hui, par un quadragénaire ado dans les années 70 et qui écrit des livres après un diplôme de science politique. Le personnage créé par Harlan Coben lui ressemble. Fan de basket au point d’être presque sélectionné dans son adolescence, un accident malencontreux au genou mit fin à ses espoirs. Il s’est reconverti en agent sportif après avoir travaillé quelque temps au FBI avec son copain de chambre au collège, héritier d’une gestion de fortunes, Win. Et justement, ce passé le rattrape. Cet accident en était-il un ? Pourquoi lui propose-t-on de rempiler dans l’équipe après dix ans sans rien faire ? Où est passé son adversaire superstar Greg qui a pris sa place de champion ? Qui a couché avec qui ?

Il y a un peu d’action, quelques meurtres comme au ciné, mais ce n’est pas là ce qui fait à mes yeux l’attrait du livre. Il est dans le personnage à succès de Myron Bolitar où l’Amérique des années Clinton se reconnaît. Prénom improbable, nom impossible, le héros est bien ce produit du melting-pot qui fait la force et la faiblesse des Etats-Unis. Sportif doué comme chaque ado rêve d’être, il doit se reconvertir dans le concret du business lorsque le destin en décide autrement. Il s’accroche, il a des amis, il est amoureux. Sa résilience tient à l’art martial qu’il pratique avec son meilleur copain, à son savoir-faire auprès de son équipe femmes de sa boite, à la compétence qu’il s’est forgée dans les enquêtes. Telle est l’Amérique : elle récompense celui qui fait et qui sait faire. Myron n’est pas macho américain pour un sou mais fragile. Ce sont les femmes autour de lui qui sont fortes : sa copine écrivain, sa secrétaire, son ex… Il y a un jeu volontaire des contrastes dans les romans de Coben : l’anti-John Wayne se faufile, tandis que les super-women se plantent.

Les personnages qui gravitent autour de lui sont savoureux, à commencer par sa secrétaire, la superbe hispano Esmeralda – championne de lutte professionnelle – et sa copine Cyndy, un gros tas qui borborygme mais d’une fidélité à toute épreuve. Et son ami Win, golden boy né, expert en art martial, tombeur des dames avec classe. Il y a aussi la Femme Libérée, alias « la Branleuse », qui n’a pas assez de cran pour être pute mais qui s’envoie systématiquement tous les nouveaux de l’équipe championne de basket. Avec l’impression de choisir, tout en étant incapable d’accepter de faire sa vie avec. On fait connaissance avec Clip Arnstein, sponsor avisé et sentimental, avec un patron de restaurant hispanique qui bosse et fait bosser sa femme et son ado pour réussir (« qui lui ressemblait comme une jeune goutte d’eau ressemble à une vieille goutte d’eau » p.121), avec Mister B, mafieux (« cravate jaune nouée façon Windsor avec épingle en or » p.194), avec une ex-activiste hippie accusée d’avoir braqué une banque et qui vit underground depuis des années, avec l’inspecteur Dimonte mâchouillant un cure-dent et aux « boots en peau de serpent d’un violet du plus bel effet » p.135…

L’auteur les croque à traits rapides, plein d’humour, c’est ce qui fait le sel du livre. Esmeralda : «  Elle se produisait en bikini de daim avec des franges sur le côté et tenait toujours le rôle de la ‘gentille’ dans le scénario de cette fable moralisatrice qu’est la lutte professionnelle. Elle était petite, merveilleusement proportionnée, sexy en diable et, bien que d’origine hispanique, suffisamment basanée pour passer pour une Amérindienne » p.45 Tous les clichés de l’Amérique sont moqués en deux phrases. Et les « franges sur le côté » sont irrésistibles ! Audrey, la journaliste de scoops sportifs : « Ni canon ni thon, elle était… spéciale. Incontournable » p.62 Terry « TC » Collins, superstar du basket trop gâté, deux mètres tout en muscles : « Le bruit courait qu’il était noir, bien que cette hypothèse fut difficile à vérifier, compte-tenu des tatouages qui recouvraient toutes les parties visibles de son épiderme » p.66 « TC orné de sa quincaillerie. Trois anneaux à une oreille, quatre à l’autre, plus un dans le nez. Pantalon de cuir noir, petit gilet en résille, avec vue imprenable sur ses piercings sur le téton gauche et sur le nombril » p.74 Maggie la Branleuse : « Savamment décoiffée, comme si elle venait d’enlever deux ou trois épingles de son chignon. Elle était mince et belle, parfaite pour jouer le rôle de l’avocate de la partie adverse dans ‘Ally McBeal’. » p.16

Un polar qui plaira sans doute plus aux mecs, et à ceux qui ne dégueulent pas dès qu’on évoque l’Amérique, mais tant pis : il y a de l’humour pour tout le monde !

Harlan Coben, Faux rebond (Fade Away), 1996, Pocket 2007, 408 pages, €6.65

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Lima

Nous arrivons dans la capitale du Pérou, ville fondée en 1535 par la conquérant espagnol Francisco Pizarro sur l’une des oasis fluviales de la zone aride côtière péruvienne. Elle est arrosée par le Rimac et habitée depuis des temps très reculés. On dit de Lima qu’elle est la plus belle d’Amérique du Sud.

L’occasion de visiter la cathédrale, la Plazza de Armas, le couvent San Francisco. La place San Francisco est l’ensemble architectural le plus important et le plus beau de l’époque coloniale. L’exposition didactique et chronologique de la culture péruvienne au Musée de la Nation est un détour indispensable.

La Plazza de Armas est de belle proportions, au centre une fontaine de bronze du 17e siècle, c’est le centre historique de la cité. Côté nord, la maison de Pizaro devint le Palais du Gouvernement après reconstruction, achevée en 1938 dans le plus pur baroque français.

Côté est, la cathédrale a été reconstruite plusieurs fois après des tremblements de terre. L’intérieur est vaste et austère. Puis le Palais de l’Archevêché orné d’un impressionnant balcon de bois ajouré, l’Hôtel de Ville, le Club de la Union, la Poste Centrale. Plus loin encore le Monastère de San Francisco, le joyau du Lima colonial.

C’est au musée de la Nation que j’ai salué comme il se doit « le Seigneur de Sipan ». Vous savez que la culture mochica s’est épanouie entre le 1er et le 7e siècle de notre ère. La découverte fortuite d’une plate-forme funéraire dans la vallée de Lambayeque, au village de Sipan, a permis de consigner une quantité impressionnante d’informations sur la culture mochica. Les archéologues qui ont fouillé la tombe ont eu la chance de découvrir les restes d’un « gardien » aux pieds amputés afin qu’il ne quitte pas son poste. Ensuite les restes du Seigneur de Sipan, enterré avec de magnifiques parures en or, en argent, en cuivre doré ornées de pierres semi-précieuses.

La symbolique est complexe. On a relevé plusieurs niveaux de parure déposés sur son corps. Il avait été inhumé avec divers ornements d’oreilles, son visage était recouvert de fines feuilles d’or, le menton et les joues étaient protégés par un « couvre-menton » en or, la coiffe était ornée d’un cimier en or. Le corps était paré de pectoraux et bracelets faits de perles en coquillages. Il portait un collier composé de 10 cacahuètes en or à droite et de 10 cacahuètes en argent à gauche. Sa taille était entourée de sonnailles en demi-lune. Ses hanches étaient protégées par deux éléments en forme de tumi (couteau andin dont la lame est en demi-lune), l’un en or, l’autre en argent. Dans sa main droite un sceptre en or. Ses pieds étaient chaussés de sandales en cuivre.

Le seigneur était accompagné par un certain nombre de serviteurs sacrifiés lors des rites de l’inhumation : à droite un guerrier (35-40 ans), à gauche un homme (même âge) avec un chien étendu sur ses jambes, à la tête du Seigneur une femme (16-20 ans), au-dessous une autre femme, un enfant de 10 ans, une autre jeune femme, deux lamas et des offrandes de céramique. Pour le moment, la symbolique des deux métaux précieux, or et argent, demeure inconnue. La position particulière des corps dans la chambre funéraire, autre symbolique, reste à décrypter elle aussi.

Hiata de Tahiti

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Les Incas du Pérou

On ne connaît pas l’origine des Incas. Certains les font venir des hautes plaines de l’Amazonie, d’autres du Lac Titicaca… Les Incas ont fondé vers 1200 Cuzco, « le nombril du monde » en quechua. Le grand temple du Soleil est devenu les fondations du monastère Santo Domingo. Douze dynasties incas se seraient succédé à Cuzco. Atahualpa appartiendrait à la treizième. Le premier Inca historique est Pachaculec-Inca-Yupan (1438-1471). « Renversement de l’ordre du monde » signifierait son nom. Les Espagnols découvrirent la ville de Cuzco rebâtie par lui.

Les Incas dominaient un immense empire couvrant le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, et une partie de la Colombie et du Chili d’aujourd’hui. Les traces de cette civilisation sont partout, chez les gènes des 10 millions d’indigènes parlant le quetchua, dans les objets des musées, dans les ruines du bâti antique. Les Incas ont beaucoup apporté à l’agriculture et à l’architecture. Comment ne pas être admiratif devant les ouvrages colossaux constitués d’impressionnantes pierres taillées et ajustées qu’on ne peut, entre deux blocs, y glisser la lame d’un couteau ?

Sur les crêtes, ils ont construit Machu Picchu, Pisac, Sacsahuaman, des cités-forteresses approvisionnées et surveillées par tout un réseau de chemins et de sentiers d’approche. Les travaux des routes commencés sous la civilisation Chimu se sont poursuivis. Ils les ont agrandis jusqu’à 11 000 km, une route suivant la côte, l’autre la cordillère.

Si la religion catholique a été adoptée par la majorité des peuples d’Amérique du Sud, l’animisme a conservé ses rites millénaires : lorsqu’on passe un col, vous verrez votre chauffeur descendre de voiture ou de car et poser un caillou blanc sur un tas déjà constitué. Le jour des morts on fait libation sur les tombes, on apporte aux défunts à manger, on trinque avec la tequila, on leur fait donner une aubade. Le lutin bossu et grassouillet (ekeko), censé apporté la richesse, est béni ainsi que tous les autres le 24 janvier à La Paz. Le demi-dieu de l’abondance est porteur de tous les désirs en représentations miniatures tels enfants, nourriture, argent, automobile Mercédès. Les poupées du Pérou en laine, coton et fibres végétales n’étaient pas des jouets mais des idoles rituelles. Les guérisseurs font toujours office de médecins.

La musique demeure l’une des plus belles qu’il m’ait été donnée d’entendre que ce soit dans les auberges, les fêtes populaires, sur une place publique.

Les tambours, (cajas et tinyas), percussions, sifflets, ocarina, flûtes de pan (antaras), flûtes droites (quenas), guitare et violon accompagnent les chanteurs et danseurs de valse créole et marinera.

Hiata de Tahiti

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John Connolly, L’empreinte des amants

Où l’on retrouve Charlie Parker. Non pas le jazzman bien connu mais le détective privé de Connolly, irlandais comme lui. Cette enquête très spéciale met en musique la vie même de Charlie. « On » lui en veut, il ne sait pourquoi ; « on » le protège aussi, mais il s’agit d’une autre entité indéfinie. Un journaliste veut écrire un livre sur ses enquêtes bien sanglantes, Charlie refuse, autant s’en charger soi-même quand le quotidien devient incompréhensible.

Tout remonte au suicide de son père, un policier du NYPD, après qu’il ait abattu deux adolescents. C’étaient un garçon et une fille presque du même âge que son fils. Charlie avait quinze ans et n’a jamais compris pourquoi le père avait tiré – c’était la première fois qu’il abattait un suspect – ni pourquoi il a mis fin à ses jours. Il va donc interroger les anciens collègues de son père et découvrir plusieurs choses. Un que tout est lié, deux que la violence qui le suit n’est pas due au hasard, trois qu’il y a plus de chose sur la terre et dans le ciel que ne peut en comprendre toute notre philosophie.

Ne dévoilons pas l’histoire. Disons qu’elle frise le fantastique et qu’elle fait appel aux mythes américains par excellence que sont le démonisme avant christianisme, la possession, la jeunesse dévoyée, l’éternelle lutte policière contre le mal. Surgit un rabbin, dont on peut se demander pourquoi il intervient dans ce milieu irlandais catholique.

C’est que le christianisme n’explique rien de l’avant raison humaine, rien de ces puissances créées dans le chaos primordial avant le Nouveau testament. Seule la Kabbale – selon l’idée reçue – le peut.

C’est ainsi que toutes les déviances, fussent-elles bénignes comme aujourd’hui l’homosexualité (celle d’un ancien flic nommé Jimmy), sont nécessaires à la société. « Nous présentons tous un visage au monde et en gardons un autre caché. Personne ne peut survivre autrement » p.230. Il faut y voir dans ce respect de la différence le ressort de la liberté américaine, ce qui distingue fortement ce pays de l’unanimisme citoyen et de convention sociale exigé par exemple en France. La jeunesse en Amérique peut se dévoyer mais ce n’est que provisoire… sauf si elle est possédée. La loi est alors impuissante mais il faut faire avec parce que l’on est humain, trop humain..

C’est ainsi qu’un ancien flic des flics (un bœuf-carottes dans le jargon français) expose son idée du jeu : « Parce qu’il y a une procédure à suivre. Il y a un système judiciaire. Il n’est pas parfait et ne marche pas toujours comme il devrait, mais c’est le meilleur que nous ayons. Et quiconque – quiconque – se met en-dehors de ce système pour s’ériger en juge, jury et bourreau est un ennemi de ce système. (…) On ne peut pas faire le mal au nom d’un plus grand bien, parce que le bien en pâtit. Il est corrompu et pollué par ce qui a été fait en son nom » p.207.

Parker le chasseur du mal n’est pas ainsi parce que sa vie fut violente (suicide de son père, mort de sa femme égorgée et de sa petite fille). La vengeance n’est qu’un but immédiat qui peut détruire un être. Charlie « ne se détournait pas facilement de la souffrance des autres (…) Il était tourmenté par l’empathie. Plus que cela, il était devenu un aimant pour le mal » p.287.

Privé de sa licence de détective au début de l’intrigue, la récupérant à la fin, Charlie Parker vit cette aventure comme une parenthèse sur les thrillers d’action qui ont précédés et qui suivront. Mais ce n’est pas pour cela qu’il ne se passe rien, au contraire ! L’action est prétexte d’entrer plus avant dans le personnage. Nous sentons sa profondeur. Est-ce un hasard si ce tome est le septième de la série écrite par l’auteur ? Comme Dieu, il s’est arrêté le septième jour pour contempler son œuvre. Et il vit que cela était bien…

John Connolly, L’empreinte des amants (The Lovers), 2009, Pocket avril 2011, 442 pages, €7.03

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Shane Stevens, Au-delà du mal

Voici pour les vacances un pavé bien saignant et captivant. Pavé par ses 891 pages, saignant parce que plus d’une centaine de femmes violées, d’enfants fouettés, de meurtres par éventration s’y produisent. Captivant parce que l’auteur écrit direct, un fait à chaque paragraphe, qu’il panache comme des séquences de film. Le livre est en trois parties : le bandit, le journaliste enquêteur, la rencontre finale. Nous sommes dans un western, ce mythe de l’Amérique, qui passe de la côte californienne à la côte est, de Los Angeles où tout commence à New York où tout finit toujours.

Qui se souvient de Caryl Chessman ? Ce petit malfrat, braqueur avec armes et violeur récidiviste, a été condamné à mort. Aidé par les intellos contre la chaise électrique, il a engagé toutes les procédures, écrit quatre livres, passé 12 ans dans les couloirs de la mort avant de la rencontrer dans la chambre au cyanure. C’était en 1960. Et si ses viols avaient produit leurs fruits ? C’est ce qu’imagine l’auteur. Ainsi naît Thomas, garçon détesté par sa mère, haï par son père officiel qui sait qu’il n’est pas de lui et qui disparaîtra bientôt, minable, tué dans un braquage foireux. L’enfant est dressé par sa mère au fouet, habitué à la haine. Il finira par l’assassiner à 10 ans et à brûler son corps dans la chaudière. Interné pour cela, il apprendra à ruser pour se fondre dans la société des humains, à jamais amputé de toute empathie et de tout amour.

Il apprend beaucoup par la télévision, notamment sur les mille manières de se fondre dans la société américaine très libre (avant le Patriot Act) où il suffit d’une date de naissance et d’une adresse pour se procurer tous les papiers d’identité nécessaires. Thomas s’évade à 25 ans de l’hôpital psychiatrique en se faisant passer pour mort : il assassine froidement son co-évadé et il lui met son portefeuille et ses vêtements, défonçant son visage pour qu’on ne le reconnaisse pas. Il a subtilisé ses photos et empreintes dans les dossiers de l’hôpital. Le voilà neuf, il ne songe qu’à se venger. Il adule celui qu’il croit son vrai père, Caryl Chessman, il viole et tue en son honneur. Beau gosse, il attire. La baise lui répugne, préférant les pipes, jouissant surtout de se vautrer dans le sang. De ville en ville, il sème son lot de cadavres.

Nous suivons le tueur, l’enquête des polices locale et fédérale, la quête du journaliste d’investigation. Mais l’auteur ne se contente pas d’un thriller sur un tueur en série. Il veut mettre en scène toute l’Amérique. Il passe donc en revue les regards indifférents des voisins de campagne sur l’enfant battu, la solitude des filles seules autour de trente ans, l’enchevêtrement des lois et règlements entre états et fédération, la corruption politique, la spéculation immobilière, les liens des politiciens avec la pègre, la naïveté bobo des psy sur la cure des détraqués, l’usage politique des informations de presse, les maîtresses obligées de tout homme de pouvoir, les petites manipulations entre amis, l’envie de lynchage des « bons citoyens » outrés, l’ère de paranoïa Nixon… C’est une radiographie des États-Unis des années 1970 qui surgit de l’action.

‘Pour cause de démence’ (titre américain d’Au-delà du mal) est un grand livre. Il donne le pourquoi de l’ère Reagan qui suivra, dans les années 1980. Et il se lit comme un thriller, ce qui n’est pas rien en vacances !

Shane Steven, Au-delà du mal (By Reason of Insanity), 1979, Pocket février 2011, 891 pages, €8.45

DVD Crimes of the 20th Century avec bonus : By Reason of Insanity, Sanctuary 2004, €12.49 (en anglais)

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L’appel de l’océan

Fin des épreuves scolaires, vivent les vacances solaires !

L’océan nous appelle. Justement au Cap, il suffit de passer le bac pour se retrouver à la Pointe. Face à l’Atlantique.

A l’horizon l’Amérique.

Impressions…

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